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Full text of "Histoire de la marine française"

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HFSTOIRE 


MARINE  FRANÇAISE 


DU    MEME   AUTEUR 

Histoire  de  la  Marine  française. 

I.  —  Les  Origines.  Un  vol 8  fr. 

II.  —  La  Guerre  de  Cent  ans.   Révolution  maritime.   Un  vol.    .        8   fr. 
{Couronné  par  l'Académie  des   inscriptions  et  belles-lettres,  grand  prix  Gobert.) 


^.IM^ 


HISTOIRE 


DE    LA 


MARINE  FRANÇAISE 


III 

LES    GUERRES   D'ITALIE 

LIBERTÉ  DES  MERS 

l'Ali 

CHARLES  DE  LA  RONCIÉRE 

ANCIEN     MEMBRE     DE     L  'kCOLE     FRANÇAISE     DE     ROME 


PARIS 

LIBRAIRIE     PLON 

PLON-NOURRIT    kt    G-,    IMPRIMEURS-EDITEURS 

RUE     GARANCIÈRE,    8 
1906 


DC 
50 

1 3 


Tous  droiu  de  reproduction  et  de  traduction 
réservés  pour  tous  pays. 

Published  23  May  19UG. 

Privilège  of  copyright  in  tlie  United  States 
reserved  under  the  Act  approved  March  Z<^  190;> 
by  Plon-N'ourrit  et  C". 


A    LA    MÉMOIRE 


DE  MA    CHÈRE  ELISABETH 


J>    _ 


ANDRE     DORIA 

^D'après   Titien.) 


HISTOIRE 

DE     LA 

MARINE  FRANÇAISE 


CHARLES    VIII 

L'EXPÉDITION  DE  NAPLES 


Des  considérations  que  nous  avons  développées  dans  le 
volume  précédent,  il  résulte  que  la  France  n'était  point 
prête,  à  la  fin  du  quinzième  siècle,  à  s'engager  dans  une 
grande  guerre  maritime.  L'émiettementde  nos  forces  entre 
plusieurs  amirautés  indépendantes  enlevait  au  comman- 
dement l'unité,  aux  escadres  la  cohésion;  avec  les  inces- 
sants progrès  de  l'artillerie,  la  tactique  évoluait,  sans  que 
l'expérience  eût  encore  permis  d'en  fixer  les  règles  et  d'ap- 
précier la  valeur  relative  des  divers  bâtiments  :  le  rude 
homme  de  mer  qui  avait  illustré  le  règne  de  Louis  XI, 
Coulon,  n'était  plus.  Point  d'amiral  en  renom,  peu  de  vais- 
seaux, pas  de  flotte...  Ce  fut  le  moment  choisi  pour  de- 
mander à  notre  marine  un  effort  considérable. 

Lasse   de  poursuivre   l'accroissement  normal   du    terri- 
toire, la  politique  française  changeait  soudain  d'orienta- 
m.  1 


2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

tion  ;  et  pour  nous  se  rouvrait,  sous  le  vain  masque  de 
croisade,  l'ère  des  expéditions  lointaines  et  stériles.  Se- 
conder une  armée  d'invasion  par  une  action  parallèle, 
l'éclairer,  la  flanquer,  la  ravitailler,  avec  le  danger  d'être 
sans  cesse  coupés  de  leur  base  d'opérations,  tel  était  le 
rôle  capital  dévolu  à  nos  marins.  Pour  n'avoir  pas  de  longue 
main  su  préparer  l'attaque,  nous  allions  apprendre  pour  la 
seconde  fois  à  nos  dépens  de  quel  poids  pèse  dans  une 
guerre  la  suprématie  navale. 

En  proie  aux  discordes  intestines  et  à  la  crainte  d'une 
invasion  turque,  l'Italie  appelait  un  sauveur,  la  papauté 
un  croisé,  la  population  napolitaine  un  roi  (1) ,  n  Un  homme 
va  venir,  clamait  Savonarole  aux  gens  de  Florence;  il 
envahira  l'Italie  en  quelques  semaines,  sans  tirer  l'épée.  Il 
passera  les  monts  et  les  rochers,  et  les  forteresses  tombe- 
ront devant  lui  (;2) .  » 

Celui  qu'on  sollicitait  ainsi  de  toutes  parts  était  jeune, 
par  suite  enclin  aux  aventures.  Il  céda.  Et,  en  dépit  des 
sages  remontrances  de  ses  vieux  conseillers  (3),  Charles  VIII, 
le  fils  du  plus  pratique  de  nos  rois,  se  lança  dans  les  entre- 
prises les  plus  chimériques,  conquête  du  royaume  de 
Naples,  restauration  de  l'empire  d'Orient. 

A  ces  rêves,  dont  un  autre  Valois,  un  Charles  aussi, 
avait,  deux  siècles  avant,  montré  l'inanité,  Charles  VIII 
sacrifiait  l'intégrité  du  territoire  et  la  dignité  nationale.  Il 
abandonnait  à  l'ennemi  nos  frontières,  Roussillon,  Cer- 
dagne,  Franche-Comté  :  à  l'Angleterre,  il  payait  tribut. 

(1)  Sur  l'expédition  de  Charles  VIII  en  Italie,  il  y  a  deux  ouvrages  d'une 
importance  capitale,  l'un  contemporain  des  événements,  l'autre  tout 
moderne  :  Marine  Sanuto,  Spediztoite  di  Carlo  VIII  in  Italia,  éd.  Binaldi 
Fulin.  Venezia,  1883,  8°,  estralto  dall'  Archivio  Veneto.  —  H.-Fr. 
Delaborde,  L'expédition  de  Charles   VIII  en  Italie.  Paris,  1888,  in-4''. 

(2)  P.  ViLLAHi,  Jérôme  Savonarole  et  son  temps.  Traduction  G.  Gruyer. 
Paris,  1874,  in-12,  t.  I,  p.  192,  226. 

(3)  L'amiral  de  Graville  et  Gié  {Mémoires  de  Philippe  de  Commynes,  éd. 
B.  de  Mandrot.  Paris,  1903,  in-8»,  t.  II,  p.  132). 


CHARLES    VIII.  3 

Et  libre  de  suivre  en  paix  sa  chimère,  il  proclama  solen- 
nellement à  Lyon  ses  revendications  sur  le  royaume  de 
Naples  (1).  Cette  couronne,  que  lui  avait  léguée  en  héri- 
tage, sans  avoir  pu  la  ceindre,  le  bon  roi  René,  il  comptait 
l'arracher  lui-même  à  l'usurpateur  Alphonse  d'Aragon. 
Pour  ce,  une  armée  de  41,900  hommes  était  mise  sur 
pied  :  le  quart  de  l'effectif  prendrait  la  voie  de  la  mer  (2). 


UNE    FLOTTE    IMPROVISEE 


Mais  point  de  flotte!  l'État  possédait  en  tout  vingt  et  un 
bâtiments,  dont  neuf  dans  le  Ponant  :  il  en  fallait,  à  dire 
d'experts,  quatre-vingt-six  (3).  On  en  mendia  partout,  car- 
raques  et  galères  à  Gênes,  caravelles  et  allèges  de  débar- 
quement en  Portugal,  galères,  pontons  et  troupes  à  Flo- 
rence (4),  réquisitionnée  par  un  ultimatum  :  l'Espagne  se 
chargerait  des  vivres,  le  duc  de  Milan  du  reste.  Pour  un 
conquérant,  le  pitoyable  aveu  de  faiblesse! 

Tablant  là-dessus,  Florence  refusa  ses  services;  le  pape 
Alexandre  VI  se  détourna  de  nous,  au  point  de  marier  son 


(1)  17  mars  1494  (Cf.  Ph.  vax  der  Haegiien,  Examen  des  droits  de 
Charles  VIII sur  le  royaume  de  Naples,  dans  la  Revue  historique,  t.  XXVIII 
(1885),  p.  89). 

(2)  Dépêche  de  Belgiojoso  à  Ludovic  le  More.  28  mars  1494  (H.-Fr. 
Delaborde,  p.  325). 

(3)  50  galères,  24  gros  navires  et  12  galions.  Or,  nous  possédions  7  vais- 
seaux et  2  galères  en  Normandie,  6  navires  et  6  galères  dans  la  Méditerra- 
née [Ibidem.  —  Cf.  la  notice  consacrée  aux  armées  de  Charles  VIII,  par 
H.  Lemo^kier,  dans  l'Histoire  de  France  de  E.  Lavisse.  Paris,  1903,  in-4", 
t.   V,  p.  28). 

(4)  6  galères,  2  pontons,  300  lances  et  100  fantassins  étaient  le  contingent 
auquel  fut  taxée  Florence  dès  le  2  février  1494  (Abel  Desjardins,  Néqocia- 
tions  diplomatiques  de  la  France  avec  la  Toscane,  dans  la  coll.  des  docu- 
ments inédits.  Paris^  1859,  in-4'',  t.  I,  p.  361,  401). 


4  HISTOIRE    D£    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

fils  à  la  fille  d'Alphonse  d'Aragon.  Indifférent  au  Saint- 
Siège,  dont  il  ne  nous  gagnait  point  l'appui,  le  projet  d'ex- 
pédition contre  les  Turcs  offusquait  Venise,  jalouse  de  sa 
suprématie  en  Orient.  Peu  scrupuleux  sur  le  choix  des 
moyens  de  nous  entraver,  le  capitaine  général  Andréa 
Loredano  supprima  nos  éclaireurs.  Il  pendit  haut  et  courl, 
sous  le  pavillon  fleurdelisé  arboré  par  dérision  sur  le 
gibet,  le  capitaine  de  vaisseau  Philippe  Bucelly,  de  Mont- 
pellier, et  les  gentilshommes  de  sa  suite  :  l'exécution  eut 
lieu  en  l'île  Saint-Georges,  près  de  Zante  (1). 

Devant  cette  sinistre  réalité,  s'évanouissait  le  décevant 
mirage  développé  devant  Charles  VIII  par  un  rêveur  qui 
se  donnait  des  allures  de  prophète.  N'allait-il  pas  jusqu'à 
dénombrer  les  contingents  maritimes  que  nous  badleraient 
Il  les  rois  de  la  mer» ,  Génois  et  Vénitiens  (2),  pour  anéan- 
tir les  marranes  musulmans!  Et  Guilloche  de  Bordeaux  se 
faisait  d'autant  mieux  écouter  qu'il  revenait  d'un  voyage, 
voire  d'une  mission,  en  Italie,  dont  il  rapportait  des  impres- 
sions flatteuses  pour  l'amour-propre  national  : 

>'  Or,  ay  je  veu  Napolitains, 

Crier  à  Dieu  à  haulte  voix, 

Tant  qu'ilz  peurcnt  à  jointes  mains  : 

Dieu!  envoyez-nous  ces  Françoys  !  »    (3). 

En  dehors  de  ces  sympathies  popvilaires,  presque  impuis- 
santes, nous  n'avions  en  réalité  qu'un  seul  allié,  Ludovic 
le  More,  duc  de  Milan.  Encore  l'indisposa-t-on  en  donnant 

(1)  Lettre  de  Charles  VIII  à  la  Republique  de  Venise,  22  janvier  1494 
(Archives  de  Modène,  Cancellaria  Estense,  estera,  lettre  publiée  dans  les 
Lettres  de  Charles  VIII,  roi  de  France,  par  P.  PÉLiciiiR.  Paris,  t.  IV,  1903, 
in-8",  p.  1  :  Société  de  l'histoire  de  France). 

(2)  12  nefs,  32  galères,  22  galéasscs  vénitiennes,  18  nefs  génoises. 

(3)  Bibliothèque  Nationale  [que  j'abrégerai  désormais  en  B.  N.]^  Franc. 
1713  (fol.  18  v°),  publié  sous  le  titre  :  La  prophécie  du  roj  Charles  VIII, 
par  maitre  Guilloche,  bourdelois  (1494),  publiée  pour  la  première  fois, 
d'après  le  ms.  de  la  Bibliothèque  impériale,  par  le  marquis  de  La  Grange. 
Paris,  1869,  in-18. 


CHARLES    VIII.  5 

une  place  prépondérante  à  son  compétiteur  éventuel  au 
trône  de  Milan,  Louis  d'Orléans,  l'héritier  des  Visconti  (l). 
Le  duc  d'Orléans  reçut  le  commandement  de  la  flotte,  tant 
est  enracinée  chez  nous  l'idée  qu'on  s'improvise  amiral, 
idée  que  partageait  le  roi  lui-même.  Charles  VIII,  jaloux  de 
renouveler  les  exploits  de  Guillaume  le  Conquérant,  si  les 
courtisans  ne  l'en  avaient  détourné,  eût  pris  passage  sur 
la  Charlolte,  le  plus  puissant  vaisseau  du  temps  : 

11  Vingt-deux  cens  pippes  de  vin  portoit, 
Sans  l'appareil  d'elle  qui  coniportoit. 

Le  tiers  d'autant 

Fournie  estoit  de  grosse  artillerie; 
D'autres  basions  à  feu,  granz  et  poliz, 
Elle  portoit  environ  quatre  cens.  »    (2) 

Sur  les  llammes  et  les  pavillons,  lo  grand  peintre  Jean 
Bourdichon  avait  reproduit  telle  miniature  des  Heures  de 
la  reine  Anne,  qui  devenait  le  palladium  de  l'expédition  : 
la  Vierge  passant  sur  une  nuée  d'argent  dans  la  voûte 
constellée  du  firmament  (ii) .  Quand  la  grande  nef  changea 
de  chef,  les  armes  d'Orléans  se  marièrent  au  hlason  du 
roi  (4.) . 

Tandis  qu'on  procédait  au  «recoutrement  et  rabillement" 
des  six  galères  de  l'arsenal  marseillais  (5),  un  grand  chan- 
tier de  constructions  njivalcs  était  créé  à  Toulon  sous  la 
direction  de  Frère  Pierre  Baron,  chevalier  de  Rhodes,  et 

(1)  Louis  d'Orléans  fut  nommé  chef  et  capitaine  général  de  l'armée  de 
mer,  4  mars  1494  (B.  ]N.,  Clairand)ault  825,  fol.  114). 

(2)  [André  de  La  Vio'k],  Vcrqicr  d'onneur,  nouvellement  imprimé  à 
Paris,  par  Jehan  TreppercI,  fol.  ci  v".  — Je  soupçonne  toutefois  le  Vcrqier 
d  avoir  confondu  la  Charlotte  avec  la  Charente,  qui  n'alla  que  deux  ans 
plus  tard  dans  le  Levant. 

(3)  De  Maulde  La  GLWiÈnK,  Histoire  de  Louis  XII.  Paris,  1891,  gr.  in-8", 
t.  III,  p.  62. 

(4)  Comptes  d'équipement  de  la  nef  du  duc  d'Orléans  (Archives  nat., 
KK  333.)  —  GuiCHARDiN,  Histoire  des  guerres  et  choses  advenues  en  la 
Chrestienté  soubs  Charles  VIII.  Paris,  1568,  in-8°,  fol.  68). 

(5)  Mars-mai  1494  (Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  2551,  fol.  1- 
133). 


6  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

du  Marseillais  Jehanon  Risso  (1).  C'est  ainsi  que  Toulon 
s'éveilla,  un  matin  de  mars  1494,  j^rand  port  de  guerre. 
Des  équipes  d'ouvriers  venues  de  Marseille  mettaient  sept 
galères  (2)  dans  leurs  berceaux,  —  dans  leurs  bers,  disait- 
on,  —  au  bruit  des  marteaux  du  maître  de  forges  :  le 
i<  portai  de  la  marine  »  ,  que  gardait  sévèrement  un  portier 
consigne,  protégeait  les  travaux  contre  tout  regard  indis- 
cret. 

Ce  n'était  point  là  toutefois  que  s'apprêtait  le  gros  de  la 
Hotte  expéditionnaire.  Il  avait  fallu  recourir  à  l'étranger 
et  prendre  Gènes  pour  base  d'opérations.  Au  grand  écuyer 
Pierre  d'Urfé,  assisté  d'un  chambellan  royal,  d'un  contrô- 
leur des  finances  et  d'un  maître  d'hôtel  (3),  incombait  la 
lourde  tâche  d'improviser  une  flotte  de  dix  carraques  et 
vingt-quatre  galères,  dont  Ludovic  le  More  assumait  la 
moitié  des  frais  (4). 

Organiser  un  service  de  brigantins  éclaireurs  autour  de 
Gênes,  un  service  de  ravitaillement  jusqu'en  Sardaigne, 
préparer  pour  le  passage  éventuel  du  roi  une  galéasse  et 
une  galère,  pourvoir  de  palcmentes  l'arsenal  marseillais, 
livrer  bataille  à  la  flotte  ennemie,  si  elle  osait  paraître, 
lutter  contre  la  peste  qui  désolait  le  littoral,  telle  était  la 
tache  écrasante  imposée  au  grand  écuyer  :  en  guise  de 
récompense,  il  céderait  son  commandement  au  duc  d'Or- 
léans, dès  que  la  flotte  serait  prête  (5).  Et  comment  donner 

(i)  Il  Rolle  de  la  despence  faite  à  Thollon  aux  niaistres  qui  ont  l)esonlié 
aux  gallées  du  lloy...,  qui  fait  fore    audit  Tliollon  «  {Ihid.,  fol.   104,   119). 

(2)  Les  constructeurs  niaitres  d'aiche  étaient  :  Arlaut,  pour  trois  galères; 
Londjardon,  pour  une;  Anglovs,  pour  trois.  Le  maître  des  forges  s'appelait 
Victor  Fabre  :  il  était  aussi  de  Marseille  [Ibid.,  fol.  107  v",  109). 

(3)  De  Beaumont,  Jean  de  t^a  Primaudaie  et  Guinot  de  Lousiers. 

(4)  Il  devait  armer  4  carraques  et  12  galères. 

(5)  Instructions  de  Charles  VIII  à  Pierre  d'Urfé,  de  Beaumont  et  .Ican 
de  La  Primaudaye.  Lyon,  4  mai  1494  (B.  N.,  Moreau  774,  fol.  1.  —  Cf. 
l'append.  de  Commynes,  éd.  Dupont,  t.  III,  p.  370.)  —  Tant  aux  navires 
qu'aux  archers,  Guinot  de  Lousiers  et  son  lieutenant  Jean  de  La  Grange 
furent  préposés  commissaires  (^Verqier  d'onneur,  éd.  J.   Trepperel,  fol.  ci). 


CHARLES   VIII.  7 

quelque  cohésion  à  des  éléments  aussi  disparates  :  galères 
et  carraques  génoises  de  Paolo  Fregoso  et  Giovanni 
Adorno  (1),  escadre  provençale  de  Villeneuve-Trans  et 
Bidoux,  transports  savonais  de  François  de  Luxembourg  (2) , 
nefs  normandes  de  La  Chapelle,  au  nombre  de  douze  (3)  ? 

(1  La  Franche  Nan,  la  Figue,  la  Denise, 
La  grant  navire  au  signe  de  la  couppe, 
La  Marguerite  légière  de  la  courpe. 
Le  Chien  de  mer,  le  Jacquet,  la  Volcnte, 
De  La  Rochelle  aussi  la  Gouvernante  (4).  » 


II 

LA    CONQUÊTE 

Ce  fut,  pour  Pierre  d'Urfé,  un  vrai  tour  de  force  que 
d'opérer  sa  concentration  malgré  Tennemi.  Il  eut  l'intui- 
tion que  l'offensive  vaut  toujours  mieux  en  pareil  cas;  au 
lieu  d'attendre  de  pied  coi  les  trente-cinq  galères  et  les  dix- 
huit  vaisseaux  du  prince  Frédéric  de  Tarenle,  prince  d'Al- 
tamura  et  frère  du  roi  de  Naples,  il  ramassa  tous  les  vais- 
seaux en  rade  pour  se  porter  à  leur  rencontre.  Et  bien  qu'il 
ne  disposât  que  des  quarante-trois  bâtiments  d'Adorno  et 
du  prince  de  Salernc,  il  forçait,  le  19  juillet,  son  adver- 
saire à  abandonner  le  siège  de  Porto-Venere  et  à  se  replier 
sur  Livourne  (5) . 


(1)  B.  SEX\nKGA,    De    rébus    Genueiisihus  commentaria   ah   anno    148S-' 
1514,  dans  MunAToni,  Scriptores  rerum  Italicarum,  t.  XXIV,  p.  540. 

(2)  Luxembourg-Martigues   avait  été    envoyé  le  5  août   à    Savone    pour 
presser  l'embarquement  des  troupes  (De   Maulde,  t.  III,  p.  51). 

(3)  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.   182.  Ce  capitaine  était  sans  doute  Pierre  de 
Velort,  sieur  de  La  Chapelle-Belouin,  que  nous  retrouverons  en  1503. 

(4)  Vergier  rVonneur,  fol.    ci   v°  :  la  Louise,  qui  y  est  également  portée, 
ne  vint  qu'en  1496  dans  le  Levant. 

(5)  Senarega,  De  rébus   Genuensibus,  dans  MuR.vroRi,  t.  XXIV,  p.  540. 
—  S.ixuTO,  Spedizione,  p.  52,  58. 


8  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Notre  plus  redoutable  ennemi  faillit  être  nous-mêmes; 
la  rivalité  éclatait  entre  les  chefs  de  la  Hotte.  Pierre  d'Urfé 
avait  refusé,  au  départ,  de  céder  le  commandement  à  tout 
autre  qu'au  duc  d'Orléans  (1)  et  de  reconnaître  les  préten- 
tions soit  du  lieutenant  général  des  galères  Paolo  Fre- 
goso  (2),  soit  du  nouveau  lieutenant  du  duc  d'Orléans. 
François  de  Luxembourg,  vicomte  de  Martigues,  avait  en 
effet  reçu  du  prince  une  mission  analogue  à  celle  de  Pierre 
d'Urfé,  travailler,  nuit  et  jour,  àl'armementde  la  flotte  (3). 
Fort  heureusement,  un  personnage  considérable,  le  chef 
suprême  de  la  marine  française,  s'était  effacé,  et,  par 
cette  sage  abstention,  qui  marquait  sa  désapprobation 
pour  les  projets  du  roi,  l'amiral  de  Graville  n'avait  point 
contribué  à  compliquer  l'imbroglio.  Malet  de  Graville 
n'en  avait  pas  moins  patriotiquement  joint  à  l'expédition 
ses  deux  nefs,  le  Lion  et  la  Pensée,  armées  à  ses  frais  (4) 
et  placées  sous  les  ordres  de  René  Parent,  jvicomte  de 
Rouen  (5). 

Enfin,  l'arrivée  de  Louis  d'Orléans,  le  29  juillet,  mit  fin 
à  de  fâcheuses  rivalités.  Le  capitaine  général,  à  bord  de  la 
grosse  nef  Negrona,  pavoisée  à  tousses  mâts,  passa  la  revue 
navale  la  pkis  grandiose  qu'il  nous  eût  été  donné  d'avoir 
depuis  plus  d'un  siècle.   Quatre-vingt-dix-huit  vaisseaux, 

(1)  Le  13  juin,  Charles  VIII  avait  prévenu  Pierre  d  Urfé  que  le  chef  de 
l'armée  navale  serait  le  duc  d'Orléans  (^Catalogue  de  vente,  par  Et.  Chara- 
vay,  11  décembre  1875,  n"  106). 

(2)  Selon  des  lettres  de  provision  en  date  du  9  avril  (B .  N.,  Clairamhault 
825,  fol.  114). 

(3)  Lettre  du  doge  de  Gênes  au  duc  d'Orléans.  10  juillet  (Archives  de 
Gênes,  Littcrarum  (1493-1495),  X  140  :  36-1812).  —  Dk  Maui.de,  t.  III, 
p.  61. 

(4)  Le  roi  lui  remboursa  plus  tard  23,175  livres  pour  les  dix-neuf  mois 
de  campagne  (l'^''  juin  1494-31  décembre  1495)  du  Lion  et  de  la  Pensée 
(B.  N.,  Franc.  8310,  fol.  235  v°.  —  P.  Anselme,  Tre'sor  ge'ne'aloqique, 
t.  VII,  p.  865). 

(5)  Quittance  de  René  Parent,  chevalier,  «  vicomte  de  Rouen  et  cappi- 
taine  de  navires.  »  1'^  mais  1498  (B.  IN.,  Pièces  orig.  2196,  doss.  Parent  de 
Normandie,  2), 


CHARLES    VIII.  9 

en  le  saluant  tour  à  tour  tle  leurs  aubades,  s'alignèrent 
devant  lui  (1). 

C'était  également,  à  deux  bâtiments  près,  l'effectif  total 
de  la  flotte  napolitaine  (2);  mais  nous  avions  beaucoup 
moins  de  galères  que  l'ennemi.  Ce  détail  n'avait  point 
échappé  à  l'œil  vigilant  du  prince  de  Tarente,  qui  revenait 
à  la  charge.  Débarquant  quatre  mille  hommes  à  Rapallo,  à 
quelques  lieues  de  Gênes,  il  renvoya  vers  Naples  ses  navires 
de  transport,  pour  conserver  toute  liberté  d'allures,  se 
dérober,  si  notre  flotte  attaquait  en  bloc,  «  opprimer  "  au 
contraire  nos  lourds  voiliers,  s'ils  se  présentaient  isolément 
ou  suivaient  en  traînards  (;î). 

Pour  empêcher  le  mouvement  insurrectionnel  de  gagner 
de  proche  en  proche,  le  duc  d'Orléans  prit  immédiatement 
la  mer  à  la  tête  de  ses  vaisseaux  légers,  dix-huit  galères, 
six  galions  et  galéasses  et  neuf  vaisseaux.  Le  corps  d'armée 
des  San-Severino,de  Giovanni  Adorno  et  Antoine  de  Baissey 
descendait  le  long  de  la  côte  pour  le  seconder  (4).  Sous  la 
protection  de  la  capitane  Notre-Dame  (5).  dont  la  grosse 
artillerie  balayait  «  Testroitte  planure  »  de  Rapallo  et  bat- 
tait en  flanc  les  Aragonnais,  un  millier  de  Suisses,  débar- 
qués de  la  flotte,  prirent  l'ennemi  à  revers,  au  moment  où 
les  tètes  de  colonne  d'Adorno  et  de  Baissey  prononçaient 
leur  attaque,  le  8  septembre   1404.  Refoulés  dans  la  ville 

(1)  20  galions,  17  navires,  6  carraques,  3  fustes,  23  grosses  l)arques, 
41)rijjantins,  24  galères  (Compte  de  Pierre  I^e  Gendre  :  B.  N.,  Franc.  17329, 
fol.  182). 

(2)  96  bâtiments,  dont  30  galères,  30  barges,  4  vaisseaux,  4  galions 
(NoTAR  Gur.OMO,  Cionica  di  Napnti,  éd.  P.  Garzilli.  Napoli,  1845,  in-4'', 
p.  183). 

(3)  GciCHARDix,  Histoire...  .«tojf/w  Charles   VIII,  fol.  46  v". 

(4)  Ibidem,  fol.  55. 

(5)  Qui  appartenait  à  Commines  (Commynes,  éd.  B.  de  Mandrot,  t.  II, 
p.  137.  —  A.  Spoxt,  La  marine  française  sons  le  règne  de  Charles  VIII, 
dans  la  Revue  des  Queslions  hisforic/ues  (1"  avril  1894),  p.  58.  —  Fier- 
ville,  Documents  inédits  sur  Philippe  de  Commines.  Le  Havre,  1879,  in-8", 
p.  20. 


10  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

de  llapallo,  les  Nannis  génois  commandant  les  troupes  ad- 
verses, Ohietlo  Fieschi,  Fregosino  et  Giulio  Orsini  laissè- 
rent une  centaine  de  tués  sur  la  place  et  la  moitié  de  leurs 
soldats  prisonniers  ;  le  reste  gagna  péniblement  la  mon- 
tagne. 

Le  lendemain,  comme  la  flotte  napolitaine  arrivait  en 
bataille  pour  tâcher  de  recueillir  les  fuyards,  Louis  d'Or- 
léans, malgré  son  infériorité  numérique,  lui  barra  la  route. 
Devant  la  ferme  attitude  de  nos  marins,  qui  gouvernaient 
(i  droit  comme  une  ligne  »  sur  lui,  le  prince  de  Tarente, 
pour  la  seconde  fois,  battit  en  retraite  sur  Livourne  (1), 

De  cette  brillante  victoire  de  Rapallo,  nous  ne  pûmes 
tirer  aussitôt  profit.  Le  duc  d'Orléans  tomba  malade  :  au 
bout  de  deux  semaines,  on  le  remplaça  à  la  tête  de  la  flotte 
par  le  cardinal  Julien  de  La  Rovère,  commandant  purement 
nominal  qui  n'imposait  point  silence  aux  compétitions. 
Complètement  désorienté  sur  le  plan  de  campagne  à  suivre, 
le  conseil  royal  ne  savait  à  quelle  solution  s'arrêter  :  con- 
tinuons la  poursuite,  disait  Pierre  d'Urfé,  qui  avait  fait 
ses  preuves  et  que  Briçonnet,  évéque  de  Saint-Malo,  ap- 
puyait de  son  autorité  (2).  Gouvernons  sur  Naples,  opinait 
le  sénéchal  de  Beaucaire,  Etienne  de  Vesc,  qui  avait  pour 
lui  le  duc  de  Milan.  Restez  à  Gênes,  parés  à  barrer  le  che- 
min à  l'escadre  espagnole  de  Villamarin,  qu'a  mandée  le 
prince  de  Tarente,  seml)lait  décider  Charles  VIII  (3). 

Nous  disposions,  à  ce  moment,  de  forces  navales  consi- 
dérables, cent-vingt-six  bâtiments,  selon  un  recensement 
fait  en  rade  de  Gênes  (4) .  Officiers  et  matelots  à  notre  solde 

(1)  Hisloiic  de  1270  a  1510,  par  un  gentilhomme  de  la  suite  de  Charleê 
d'Orléans,  dans  Godefroy,  p.  100.  — Lettre  de  Charles  VIIl  au  Parlement, 
10  septembre  [Bibliothèrjue  de  l'Ecole  des  Chartes,  i.  LV,  p.  145).  — = 
Saxi-ïo,  p.    54. 

(2)  Dépêche  florentine,  citée  par  M.  m-:  Boislislk,  Etienne  de  Vesc,  p.  94. 
note  2.  —  CoMMYXES,  éd.  B.  de  Mandrot,  t.  II,  p.  1G8  et  p.   145,  note  4. 

(3)  Sakuto,  p.  244. 

(4)  Georgii  Fi.om  Mediolanensis,  De  e.xpeditioiie  Carnli  VIII  in  Neapoli- 


CHARLES    VIII.  11 

avaient  reçu  ordre,  le  9  octobre,  de  prêter  serment  de  fidé- 
lité entre  les  mains  du  lieutenant-général  François  de 
Luxembourg  (1).  Une  triple  démonstration  navale  était 
décidée  contre  les  ports  napolitains,  toscans  et  pontifi- 
caux, tant  pour  préparer  l'invasion  que  pour  ouvrir  un 
passage  à  l'armée  de  terre. 

Le  16  octobre,  une  petite  division,  formée  de  la  Salvazza 
et  de  deux  barges,  s'ébranla  pour  La  Spezia  :  elle  portait 
2,000  hommes  d'infanterie  et  du  canon  au  corps  d'armée 
de  Gilbert  de  Bourbon-Montpensier,  qui  forçait  l'entrée  de 
la  Toscane  parles  villes  de  la  Lunigiane.  A  quelques  jours 
d'intervalle,  suivit  l'armée  de  François  de  Luxembourg, 
envoyée  contre  les  États  pontificaux  :  après  avoir  jeté  dans 
Ostie  les  trois  cents  arbalétriers  de  Menaud  d'Aguerre  et 
joint  aux  troupes  romaines  de  Fabricio  Colonna  le  corps  de 
débarquement  du  lieutenant-général  Gratien  d'Aguerre  (2), 
elle  devait  se  rabattre  contre  Livourne.  C'était  la  plus  forte 
de  nos  escadres  :  elle  ne  comprenait  pas  moins  de  vingt-sept 
galères  et  de  quinze  vaisseaux,  placés  primitivement  sous  le 
commandement  de  Pierre  d'Urfé.  La  dernière  appareilla 
pour  le  royaume  de  Naples  dans  les  premiers  jours  de 
novembre,  emmenant  l'amiral  de  Naples  (3),  Antoncllo  di 
San-Scverino,  prince  de  Salcrne,  le  capitaine-général  de  la 
marine  de  Provence,  Louis  de  Villcneuve-Trans,  sieur  de 
Sérénon,  et  trois  mille  combattants.  Telles  furent  les  nou- 
velles publiées  en  France  dans  le  premier  bulletin  officiel 
de  la  grande  armée  d'Italie  (i). 

taimm  re^nu»;,  dans  Godefroy,  Histoire  de  Char/es  VIII.  Paris,  t684,  p.  22.5. 

(1)  Arcliives  de  Gênes,  Litterarian  (1493-14.95),  X  140  :  36-1812, 
fol.  100. 

(2)  Gratien  d'Aguerre  disposait  de  ses  cinquante  lances,  plus  trente  lances 
d'Antoine  de  Ville,  sieur  de  Domjulien,  trente  de  Robert  de  La  Marck, 
cinq  cents  Suisses  et  cinq  cents  arbalétriers  :  Colonna  avait  huit  cents  lancrs 
italiennes  à  notre  solde. 

(3)  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  182. 

(4)  J.    DE   L.\   PiLORGERiK,    Campaqne   et   bulletinx  rie  la    r/rn)irle  armée 


12  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Les  mesures  prises  étaient  habiles,  la  suite  le  prouva.  A 
l'annonce  que  le  grand  écuyer  Pierre  d'Urfé,  à  la  veille  de 
quitter  Gênes,  s'était  enquis  des  points  faibles  de  Li- 
vourne  (1),  Pierre  de  Médicis  s'affola.  Le  30  octobre,  il 
accourait  au  camp  royal  et  nous  livrait  pour  toute  la  durée 
de  la  guerre  les  places  fortes  de  la  Lunigiane,  Sarzane, 
Pisc,  Livourne  (2).  Contre  les  Etats  de  l'Eglise,  la  même 
pression  réussit.  L'occupation  d'Ostie,  malgré  le  naufrage 
de  dix  galères  à  l'embouchure  du  Tibre,  le  22  novembre, 
et  la  capture  de  deux  autres  par  Frédéric  de  Tarente  (3), 
amena  Alexandre  VI  à  composition.  Dès  que  Charles  VIII 
eut  atteint  la  Ville  Eternelle,  le  30  décembre,  le  pape  lui 
remit  en  gage,  outre  Ostie,  Civita-Vecchia  et  Terracine. 
Dès  lors,  le  ravitaillement  par  mer  de  l'armée  d  invasion 
était  assuré  :  et  les  convois  de  vivres  se  suivirent  journel- 
lement; c'est  ainsi  qu'à  une  flottille  de  vingt-deux  petits 
bâtiments,  entrée  dans  le  Tibre  le  12  janvier  (4),  succédait 
le  convoi  de  Jean  Laure,  parti  le  surlendemain  de  Tou- 
lon (5). 

Aux  termes  du  bulletin  de  la  grande  armée,  deux 
colonnes  d'avant-garde  devaient  préparer  l'invasion  du 
royaume  de  Naples.  Gratien  d'Aguerre  et  les  Colonna  des- 
cendraient du  nord;  le  prince  de  Salerne  attaquerait  sur 
un  autre  point,  de  lui  connu.  Il  affirmait  qu'à  son  approche, 

irilalie  commatuice  par  Charles  VIII  (1494-1495).  Nantes,  1866,  ln-12, 
p.  84-.  —  Historié  lU  ittesser  Marco  Guazzo,  ove  si  coiiteiKjono  la  veuuta  et 
parlita  illtalia  di  Carlo  Ottavo,  redi  Franza,  et  cnme  acquisto  et  lascio  il 
rer/nn  di  ISnpoli,  et  tuttc  le  cose  iii  qiici  tempi  in  mare  et  in  terra  successe. 
Venelia,  1547,  in-8°,  fol.  31. 

(1)  Leitres  de  Ridolti  et  Sodeiini  à  Pierre  de  Médicis,  7  et  22  octol)rc 
(A.  Desjardixs,  t.  I,  p.  529,  578), 

(2)  Saxuto,  p.  106.  —  Prof.  Camillo  Maxkrom,  Storia  délia  marina  ita- 
liana.  Ronia,  1897,  in-8",  t.  III  (dalla  caduta  di  Costantinopoli  alla  batta- 
ylia  di  Lepanto),  p.  204. 

(3)  Sanuto,  p.  204. 

(4)  .1.  DE  La  PiLORGERiE,  p.  136  :  bulletin  daté  de  Rome,  13  janvier. 

(5)  Archives  de  Toulon,  BB  44.  fol.  62. 


CHARLES    VIII.  13 

quatre  ports  de  la  péninsule  arboreraient  notre  drapeau  (1), 
et  on  était  d'autant  plus  fondé  à  le  croire  qu'il  était  amiral 
de  Naples  depuis  1477  et  que  sa  famille,  la  puissante  ge)i<i 
des  San-Severino,  possédait  nombre  de  villes  et  de  châteaux 
en  BasilicaLe,  en  Calabre  et  dans  la  terre  d'Otrante  (2) .  Mais 
on  lui  avait  donné  l'escadre  proven(;ale  (3)  de  Villeneuve- 
Trans,  dont  les  matelots,  hébergés  au  château  de  Trans, 
n'étaient  qu'  »  un  tas  de  brigans  et  mauvais  garsons  " ,  à  ce 
point  dangereux  que  le  sénéchal  de  la  province,  deux  ans 
auparavant,  avait  dû  conduire  contre  eux  ban,  arrière-ban 
et  milices  (4).  Jetée  par  la  tempête  sur  les  côtes  sardes,  où 
un  vaisseau  se  perdit,  l'escadre  fut  si  lente  à  n  se  r'habil- 
1er  I)  qu'au  lieu  de  devancer  le  roi  à  Naples,  elle  fut  la  der- 
nière au  rendez-vous  (5). 

En  dépit  de  ce  mécompte,  la  marche  triomphale  con- 
tinua sans  arrêt  vers  le  sud  :  Voluntas  Dei,  Missus  a  Deo, 
étaient  les  devises  inscrites  sur  les  étendards.  A  Naples, 
dès  l'approche  des  Français,  l'émeute  gronda  dans  les  rues. 
Aux  cris  répétés  de  «  Francia!  Francia!  "  le  roi  Alphonse 
prit  peur,  abdiqua  et  s'enfuit.  Le  nouveau  roi,  Ferdinand 
ou  Ferrand  II  d'Aragon,  abandonné  de  ses  sujets,  incapable 
d'esquisser  la  moindre  résistance,  avec  les  huit  galères  et 
barges  du  catalan  Villamarin,  se  retira  dans  l'île  d'ischia  (G). 
Le  20  février  1495,  les  vedettes  de  l'armée  française  aper- 
çurent dans   le   port  de  Naples  un  gigantesque  incendie; 

(1)  Avis  adressé  de  I-.yon  à  Pierre  de  Médicis.  24  mai  (A.  IJesjardins,  t.  I, 
p.  397). 

(2)  Se.  Ammirato,  Fainiglie  nobili  Napoletane,  l^art.  I,  p.  80. 

(3)  Armée  à  Marseille  et  Villefranche  (Extraits  des  comptes  des  trésoriers 
de  la  marine,  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  182). 

(4)  21  septembre  1492  (Archives  de  Toulon,  BB  44,  fol.  23). 

(5)  CoMMYXES,  éd.  Dupont,  t.  II,  p.  327,  368.  —  Saxuto,  Spedizioiie  di 
Carlo  VIII,  p.  188.  —  H.-Fr.  Dei.aborde,  p.   523. 

(6)  NoïAR  GiACOMO,  p.  185.  — Sur  l'entrée  de  Charles  VIII  à  Naples,  on 
peut  encore  consulter  avec  fruit  Michel  Ris,  Histoire  de  la  coix/uéte  et  de 
la  rébellion  de  Naples,  en  latin  (B.  N.,  Latin  6200),  publiée  partiellement 
par  A.  DE  BoisLisLE,  Etienne  de  Vesc,  p.  258. 


14  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

c'était  Tadieu  du  fugitif  :  l'arsenal  brûlait  avec  les  galères 
et  les  fustes  en  chantier,  une  barge  à  flot  et  trois  grands 
vaisseaux  ancrés  près  du  môle,  la  Ferlina,  C Annonciata  et 
la  Ferrandina  (1).  Les  flammes  n'épargnèrent  que  deux 
galéasses,  attribuées  plus  tard  à  Etienne  de  Vesc  et  Gra- 
ticn  d'Aguerre  (2),  et  l'Incapiello  ou  la  Capella,  que  les 
bannis  génois,  le  cardinal-archevêque  Paolo  di  Gampo 
Fregoso  et  le  protonotaire  Obietto  Fieschi,  avaient  obtenue 
du  roi  fugitif  pour  se  sauver  eux-mêmes  (3). 

Le  surlendemain,  Charles  VIII  faisait  dans  Naples  une 
entrée  solennelle,  aux  acclamations  d'une  foule  qui  l'atten- 
dait comme  le  Messie.  Il  n'eut  à  compter  qu'avec  les  gar- 
nisons du  château  de  l'Œuf  et  du  Castel  Nuovo.  Les  huit 
cents  Basques  et  Suisses  du  Castel  Nuovo  n'opposèrent 
qu'une  faible  résistance,  malgré  le  concours  du  corsaire 
Peruca  le  Catalan.  Pour  réduire  le  château  de  l'OEuf,  il 
fallut  au  contraire  l'écraser  sous  le  feu  des  batteries  du 
Pizzofalcone,  de  l'escadre  du  prince  de  Salerne  arrivée  de 
Sardaigne  le  7  mars  (4),  et  de  la  Capella  que  le  cardinal- 
archevêque  de  Gênes  avait  jointe  à  nos  vaisseaux,  en 
échange  d'une  amnistie  pour  les  bannis  génois.  Le  gou- 
verneur du  château,  Antonello  Picciolo,  sous  la  menace 
de  n'avoir  aucun  quartier  après  l'assaut,  capitula  le 
13  mars  (5). 

Tout  le  royaume  de  Naples,  à  part  Ischia,  Lipari,  Brin- 
disi  et  Gallipoli,  suivit  l'exemple  de  la  capitale.  Et  sur  le 
littoral  méditerranéen,   depuis  les  confins    du    Roussillon 


(1)  Mastrojanî*!,  Sommaj'io  deqli  atti  délia  cancellerin  di  Carlo  VIII  a 
Napoli,  dans  VArcIiivio  storico  per  le  pioviiicie  Napoletane,  t.  XX  (1895), 
p.  566,  n.  4. 

(2)  A.   DE  BOISLISLE,  p.    133. 

(3)  Historié  di  messer  Marco  Guazzo,  fol.  98.  —  Bulletin  daté  devant 
Naples,  20février(J.  de  La  Pilorgerie,  p.  193). 

(4)  André  DE  La  Vigxe. 

(5)  Guazzo,  fol.  97  v",  103  v°,  112  v». 


CHAR  LKS    VIII.  13 

jusqu'à  l'extrémité  de  la  botte  italienne,  notre  pavillon 
flotta  victorieux.  Allait-il  flotter  plus  loin  encore  (Ij? 

A  l'heureux  conquérant,  tout  semblait  sourire  :  les  pro- 
phéties se  réalisaient  (2).  Après  le  royaume  de  Naples  et 
de  Jérusalem,  la  suprême  étape  était  pour  lui  l'empire 
d'Orient.  Le  dernier  descendant  des  basilcs,  »  prince  de 
Constantinople,  seigneur  de  la  Morée,  »  André  Paléologue, 
avait  cédé  à  Charles  YIII  ses  droits  (3)  ;  le  pape  lui  avait 
remis  Ziem  ou  Djem,  frère  et  rival  du  sultan,  a  l'homme 
que  Bajazet  craignoit  le  plus  (4)  » ,  comme  un  instrument 
do  guerre  civile.  Lors  de  l'entrée  triomphale  qu'il  fit  à 
Naples,  sous  un  dais  de  brocart  d'or  porté  par  les  grands 
officiers  de  la  couronne,  Charles  VIII,  escomptant  l'avenir, 
revêtit  le  costume  d'apparat  des  empereurs  d'Orient,  avec 
le  sceptre  et  la  pomme  orbiculaire  (5). 

Avant  même  que  les  derniers  bastions  napolitains  eussent 
succombé,  une  circulaire  avait  mandé  dans  la  capitale  du 
nouveau  royaume  tous  les  maîtres  de  navires,  tous  les 
constructeurs  de  vaisseaux,  afin  d'improviser  une  flotte 
immense  (6).  Un  Paléologue,  Georges  de  Bissipat,  avait 
commandé  l'escadre  royale  (7)  ;  un  Grec,  Nicolas  Famelitis, 


(i)  Suivant  les  cédules  des  Etats  de  Languedoc,  Charles  VIII,  u  à  l'exor- 
tacion  de  nostre  sainct  père  »  ,  avait  «  intencion  tle  mettre  sus  une  grosse 
armée  pour  résister  aux  daninables  entreprises  des  Intidclles. . .  par  le 
royaume  de  Naples,  qui  est  oontigu  desditz  intidelles  »  (A.  dk  Boislisle, 
p.  80,  note  4). 

(2)  La  prophécie,  vision  et  lévelacion  divine  révélée  par  très  Imnihle 
prophète  Jeiiax  Michel...  du  recouvrement  de  la  terre  sainte  à  luj  desti- 
née. In-V. 

(3)  De  Foncemagne,  Éclaircissemens  historiques  sur  rnielques  circons- 
tances du  voyage  de  Charles  VIII  en  Italie,  et  particulièrement  sur  la 
cession  que  lui  fit  André  Paléolo(/ue,  du  droit  qu'il  avait  à  l'empire  de 
Constantinople,  dans  les  Mémoires  de  l'Acad.  des  insoiptious  et  belles^ 
lettres,  t.  XVII  (i751). 

(4)  Commyses,  t.  II,  p.  502. 

(5)  12  mai  (NoTAR  Giacomo,  p.  190.  —  Guazzo,  fol.  139). 

(6)  8  mars  (Guazzo,  fol.  111  v°.  —  Sandto,  p.  259,  265). 

(7)  Cf.  siiprh,  t.   II,  p,   376. 


16  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

était  encare  à  la  tète  du  vaisseau  royal  /a  Marguerite  (1). 
Si  la  présence  de  Bucelly  et  de  ses  éclaireurs  dans  les 
parapes  de  Zante  indiquait  assez  ce  qu'on  attendait  des 
Grecs,  la  mission  de  l'archevêque  de  Durazzo  fut  plus 
significative  encore  :  de  Naples,  Charles  VIII  l'envoyait 
susciter  »  quelque  remvicment  »  en  Grèce  (2).  Déjà,  l'Al- 
banie se  soulevait.  Les  Turcs,  en  garnison  dans  l'antique 
Hellade,  s'affublaient  de  coiffures  grecques,  afin  «d'évader 
la  fureur  des  François  (3).  »  Des  Albanais,  en  Grèce, 
avaient  arboré  notre  drapeau  et  envoyé  supplier  Claude  de 
Guise,  à  Otrante,  de  prendre  possession  de  leur  pays  (4). 
Un  septuagénaire,  dont  le  jeune  conquérant  avait  sollicité 
les  conseils,  l'illustre  défenseur  de  Rhodes  Pierre  d'Aubus- 
son,  l'homme  le  mieux  instruit  des  affaires  d'Orient  (5), 
saurait  donner  à  toutes  les  forces  éparses  de  la  chrétienté 
en  Orient  une  impulsion  vigoureuse.  A  Constantinople  ré- 
gnait l'inquiétude,  l'effroi  :  le  sultan  s'apprêtait  à  la  guerre 
ou  à  la  fuite  :  cent  vingt  galères,  quarante  mille  hommes 
se  massaient  en  prévision  d'une  attaque  contre  les  postes 
avancés  de  l'Islam.  Ce  fut  le  dernier  frisson  des  Croisades. 
Les  Vénitiens  interceptèrent  au  passage  l'archevêque 
de  Durazzo  (6).  Au  pape  Alexandre  Borgia,  pensionné  du 
sultan  pour  servir  de  geôlier  à  Djem,  1  Islam  n'importait 
puère.  Il  devint  vite  le  moindre  des  soucis  de  Charles  VIII. 

(1)  Cité  comme  tel  en  1497. 

(2)  GncHARDis,  Histoire...  souhs  Charles  VIII,  fol.  105. 

(3)  Claude  DE  Seisskl,  Histoire  sinyulièje  du  roy  Lojs  XII.  Paris,  1558, 
n-8',  fol.  69  Y». 

(4)  Bulletin  royal  daté  de  Naples,  28  mars  (J .  de  La  Pii.orgerie,  p.  218). 

(5)  FosTAKiEU,  Dissertation  sur  la  cession  faite  par  André'  Paléoloque  à 
Charles  VIII  de  ses  droits  à  l'empire  de  Constantinople  (B.  N.,  Franc. 
10450,  fol.  348).  —  Du  même,  Histoire  de  Charles  VlII  (B.  N.,  Franc. 
13760,  fol.  337).  —  Sur  les  rapports  du  sultan  avec  le  royaume  de  Naples 
avant  1494,  cf.  F.  Ceroîse,  La  politica  orientale  di  Alfonso  d'Aragona, 
dans  Y Archivio  storico  per  le  provincie  Napoletane  (1902  et  1903). 

(6)  Y.  Lamansky,  Secrets  d'Etats  de  Venise.  Saint-Pétersbourg,  1884, 
n-8%  p.  292. 


DJÈM 

ÎMMENIi     PAR     LES     CHEVALIERS    UE     RHODES 
il!.    N'.,    Laliii  60l>7,   fol.    16'J.) 


CHARLES   VIII.  17 

III 

LA    DEBACLE 

Les  délices  de  Capoue  avaient  perdu  rarmée  d'Annibal, 
les  délices  de  Naples  perdirent  les  troupes  françaises. 
L'ennemi  était  aux  portes,  sans  qu'on  fit  un  effort  pour  le 
déloger.  D'Ischia,  le  capitaine  d'Avalos,  laissé  en  garnison 
par  le  prince  de  Tarente,  épiait  nos  mouvements  :  le  roi 
Ferrand  et  le  corsaire  Peruca  venaient  rôder  aux  abords  de 
Naples  et  enlevaient  en  vue  de  la  ville  nos  transports  de 
vivres  (I).  Notre  escadre,  envoyée  pour  les  chasser,  trouva 
la  ville  d'Ischia  abandonnée;  n'osant  s'attaquer  à  la  Rocca, 
qui  dominait  la  place,  elle  attendit,  pour  en  commencer  le 
siège,  d'autres  vaisseaux  mandés  de  Provence  et  de  Gènes. 
Mollesse  plutôt  que  prudence!  «  Les  François,  laissant 
aller  à  l'aventure  les  affaires  de  conséquence,  ne  pensoiont 
à  autre  chose  qu'à  se  festoyer  (2).  " 

Et  les  signes  précurseurs  de  l'orage  ne  les  arrachèrent 
point  à  leur  torpeur.  Ferdinand  d'Aragon,  roi  d'Espagne, 
écoutant  la  voix  du  sang,  épousait  la  cause  de  son  parent 
vaincu;  sous  le  prétexte  de  prendre  la  défense  d'un  fief  du 
Saint-Siège,  il  envoyait  les  deux  escadres  de  Requesens 
et  d'Aguilar,  avec  dix-huit  cents  hommes  de  troupes,  dans 
le  royaume  de  Naples.  Les  Espagnols  débarquaient  en 
Sicile  (3)  ;  les  Vénitiens,  jaloux  de  leur  suprématie  dans 
nAdriatique,  dirigèrent  la  flotte  du  capitaine  général  Gri- 

(t)  GuAzzo,  fol.  127. 

(2)  GuiciiARDix,  Histoire...  soubs  Charles  VIII,  fol.  104  v". 

i^'i)  Ibidem,  fol.  107,  108,  117.  —  Dès  le  4  janvier,  trente-cinq  caravelles 
catalanes  de  Requesens,   comte  de  Trivento,    étaient   parties  pour  Messine 
(GuAZZO,  fol.  83  v").  La  flotte  espagnole  fut  portée  à  soixante-quinze   bâti- 
ments par  l'arrivée,  en  mai,  de  l'escadre  d'Aguilar  [Ibidem,  fol.  151). 
m.  o 


18  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

mani  sur  la  Fouille.  Inquiet  de  la  présence  de  son  rival 
Louis  d'Orléans  à  Asti,  le  due  de  Milan  faisait  des  prépa- 
ratifs dans  le  nord,  levait  des  mercenaires  allemands  et 
armait  pour  renforcer  la  flotte  hispano-vénitienne  dix  ga- 
lères et  quatre  grosses  nefs.  Le  royaume  de  Naples  allait 
être  cerné  de  toutes  parts  (1). 

Tout  à  coup,  dans  la  matinée  du  5  avril  1495,  éclata  la 
nouvelle  de  la  formidable  conspiration  dirigée  contre  nous  : 
le  pape,  l'empereur,  le  roi  d'Espagne,  le  duc  de  Milan,  les 
Républiques,  Gênes,  Venise  s'étaient  ligués  pour  nous 
chasser  d'Italie  (2).  L'ambassadeur  vénitien,  qui  s'en  était 
fait  le  messager,  tâchait  d  atténuer  l'injure  :  la  confédéra- 
tion a  pour  objet,  disait-il,  une  défense  commune  contre 
le  Turc.  Mais  Charles  VIII  l'interrompit  avec  violence  : 
(1  C'est  une  honte,  s'écria-t-il,  une  honte  intolérable. 
N'ai-je  pas  moi  aussi  un  Etat  en  Italie?  Si  votre  République 
voulait  former  une  ligue,  pourquoi  ne  m'a-t-elle  point 
avisé?  A-t-elle  perdu  de  vue  que  ses  vaisseaux  ne  peuvent 
faire  le  voyage  de  Flandres  sans  ma  permission.  Le  Turc? 
Je  voudrais  bien  qu'il  vînt  par  ici.  "  Et  Charles  continuait  : 
(i  Quoi?  le  roi  d'Espagne,  à  qui  j'ai  donné  Perpignan  et 
Elne!  Quoi  !  Maximilien,  qu  une  lettre  de  moi  ferait  rentrer 
sous  terre!  Et  le  pape!  Et  Ludovic  (3)  !  » 

La  colère  royale  passée,  il  fallut  songer  au  départ  et  à 
un  retour  précipité  vers  le  nord,  avant  que  les  forces  de  la 
Ligue  eussent  achevé  leur  concentration.  Un  corps  d'occu- 
pation, commandé  par  le  vice-roi  Gilbert  de  Bourbon- 
Montpensicr,  fut  laissé  dans  le  royaume  de  Naples,  princi- 
palement dans  les  places  maritimes,  Naples,  Otrante,  Ta- 
rente,   Manfredonia,   Monopoli   (4),  qu'une  escadre  légère 


(i)  Gdazzo,  fol.  126,  129  v". 

(2)  31  mars  1495. 

(3)  Sasuto,  p.  294.  —  A.  de  Boishsle,  p.  127. 

(4)  J.  DK  La  I^iLonoEniK,  p.  277. 


CHARLES   VIII.  19 

pouvait  relier  entre  elles.  Et  le  20  mai,  Charles  reprit  la 
route  de  France  à  la  tête  de  l'autre  moitié  de  ses  forces, 
un  millier  de  lances  et  moins  de  six  mille  fantassins. 
Encore,  à  Sarzane,  morcela-t-il  ses  troupes,  contre  l'avis 
de  tout  le  conseil,  pour  détacher  vers  Gènes  la  colonne  de 
Philippe  de  Bresse  (1).  Appuyé  par  mer  par  l'escadre  de 
Louis  de  Miolans,  Philippe  de  Bresse  devait  rallier,  sous 
les  murs  de  Gênes,  un  bataillon  venu  d'Asti,  les  bandes  de 
Battista  Fregoso  et  des  troupes  savoyardes.  Conserver  ou 
reprendre  notre  base  d'opérations  navales  était,  en  effet, 
d'importance  extrême. 

Derrière  l'armée  en  retraite,  la  révolte  éclatait.  Les 
Caiétans  se  soulevaient,  lors  de  la  perception  d'un  subside 
pour  la  flotte  :  trois  cents  marins  basques  du  capitaine 
Maorio,  envoyés  d'Ischia  par  Rodrigo  d'Avalos,  encadraient 
les  mutins.  Il  fallut  détacher  de  l'escadre  d'occupation  (2) 
quatre  galères  et  cinq  transports,  avec  huit  cents  hommes, 
aux  ordres  du  capitaine  Gratien  d'Aguerrc.  Et  le  24  juin, 
la  garnison  de  Gaète,  dévalant  du  château,  renforcée  en 
roule  [)ar  une  compagnie  de  débarquement,  tombait  sur 
les  rebelles.  Au  port  l'escadre  de  Gratien  d'Aguerre,  aux 
portes  les  paysans  de  Fondi,  conduits  par  le  cardinal 
Golonna,  fermaient  à  l'insurrection  toute  issue.  Maorio 
perdit  beaucoup  des  siens  en  se  repliant  sur  la  rade  :  des 
remparts  sautant  d'un  bond  dans  sa  caravelle,  il  s'éloigna 
à  toutes  voiles  sous  le  feu  de  nos  galères,  qui  poursuivirent 
longtemps  de  leurs  boulets  ses  deux  bâtiments.  La  répres- 


(1)  La  compagnie  de  Jean  «le  Poiignac,  sieur  de  Beauniont,  de  garde  à  La 
Spezia,  40  lances,  les  40  lances  du  grand  couver,  300  fantassins  d'Aubi- 
joux  et  2,000  arbalétriers  (J.  de  La  Pilohgerie,  p.  352).  —  120  lances  et 
500  fantassins  (Gliciiaudix,  fol.  121  v".  —  Commynes,  éd.  de  Mandrot,  t.  I, 
p.  250,  note  4). 

(2)  12  galères,  3  galéasses,  2  gros  galions,  1  vaisseau  génois  de  850  tonnes, 
et  8  barges  avec  Fregoso,  fils  du  cardinal  de  Gênes  (B.  N.,  Franc.  17329, 
fol.  182.) 


tiO  HISTOIRE    DE    LA    MARliNE    FRANÇAISE. 

sion  fui  terrible;  quatre  cents  cadavres,  d'aucuns  disent 
même  quinze  cents,  jonchèrent  les  rues.  Deux  ou  trois 
cents  jeunes  femmes,  dont  plusieurs  nonnes,  allèrent  re- 
joindre à  bord  les  trophées  de  la  conquête,  les  brocards  d'or 
du  lit  des  rois  aragonais  et  les  fameuses  portes  de  bronze 
du  Gastel  Nuovo  :  ainsi  Titus  enlevait  les  colonnes  du 
temple  de  Salomon  pour  les  placer  à  Saint-Jean-de-Latran. 
Et  le  sénéchal  de  Beaucaire,  Etienne  de  Vesc,  ne  se  fit 
point  faute  du  même  sacrilège,  en  dépouillant  des  vases 
sacrés,  des  ex-voto  et  des  joyaux  de  leur  trésor  les  sanc- 
tuaires de  Gaète  (1). 

Alourdie  et  encombrée  par  ces  trophées,  l'escadre  de 
Louis  de  Miolans  cheminait  lentement  vers  Gênes.  Elle 
avait  pour  chef  non  point  un  marin,  mais  un  simple  favori, 
pourvu  d'un  commandement  naval,  sans  que  son  office  de 
maréchal  de  Savoie  l'indiquât  guère  pour  cela,  sans  qu'il 
eût  fait  autre  chose  que  d'inspirer  la  mesure  de  clémence 
qui  avait  valu  au  duc  d'Orléans  la  liberté  (2) .  Miolans  était 
réduit  à  suivre  les  avis  d'Etienne  de  Nefve,  ancien  patron 
des  galéasses  de  France.  Un  incident  suffit  à  ruiner  un 
prestige  si  vain.  Le  doge  de  Gênes  n'avait  point  attendu 
l'attaque.  Par  ses  ordres,  Giustiniano,  l'un  des  meilleurs 
marins  de  la  République,  et  Francesco  Spinola  le  More 
s'étaient  portés  à  notre  rencontre  à  La  Spezia  ;  leurs  forces 
étaient  sensiblement  égales  aux  nôtres  :  huit  galères,  une 
carraquc  et  deux  barques  génoises,  contre  sept  galères, 
deux  gros  galions,  deux  fustcs  et  un  brigantm  de  France. 
Pourtant,  leur  tactique  consista  d'abord  à  nous  harceler, 
sans  engager  d'action  à  fond.  Le  3  juillet,  comme  Miolans 
bombardait  le  château  de  Sestri  Levante,  l'escadre  génoise 

(1)  Sasuto,  Spedizinne,  p.  440.  —  Domenico  Malipikro,  Annali  Veneti 
(1457-1500),  dans  VArchivio  ston'co  itaUano,  l''"  série,  t.  VII,  part.  I  (1843), 
p.  339.  —  A.  DE  BoisusLE,  Etienne  de  Vesc,  p.  131,  noie  2,  137. 

(2)  Saixt-Gelals,  Chronique,  extrait  dans  la  Collection  de  Mémoires 
Michaud  et  Poujoulat,  1'^'  série,  t.  I,  p.  579. 


CHARLES   VIII.  21 

lui  donna  la  chasse  et  le  força  de  se  blottir  dans  le  golfe 
de  Rapallo. 

Dans  la  nuit  du  12  au  13  juillet,  Spinola  le  More,  qui 
avait  reçu  du  doge  des  renforts,  débarqua  six  cents  soldats 
et  les  lança  contre  Rapallo  en  une  colonne  d'assaut  con- 
duite par  Gian-Aloisi  Fieschi  et  Giovanni  Adorno.  Miolans 
mit  à  terre  contre  eux  une  partie  de  ses  équipages.  Mais 
pendant  ce  temps,  Spinola  cernait  dans  le  port  nos  bâti- 
ments à  demi  désarmés  :  Miolans,  malade  du  mal  de  mer, 
se  rendit  presque  sans  résistance.  A  Oberto  di  Levante,  il 
donna  sa  bourse  et  offrit  dix  mille  ducats  de  rançon,  à  la 
condition  d'être  mené  incontinent  en  Provence.  Il  n'avait 
pas  achevé  de  conclure  son  marché,  qu'il  devenait  la  proie 
de  deux  autres  patrons  de  navires  légers,  puis  d'Andréa 
Giustiniano.  Le  commissaire  de  la  flotte,  Péron  de  Baschi, 
fut  plus  heureux  :  avant  qu'on  pût  reconnaître  son  iden- 
tité, il  obtint  d'être  relâché  pour  cent  vingt-cinq  écus  et  se 
hâta  d'aller  prévenir  du  désastre  la  colonne  de  Philippe  de 
Bresse.  Ce  fut  la  seule  personne  qui  échappa  :  toute 
l'escadre  française  était  prisonnière  presque  sans  coup  férir, 
alors  qu'elle  eût  pu  écraser  l'ennemi  de  ses  trois  cents 
bouches  à  feu,  alimentées  par  quatre  cents  barils  de  poudre. 
Tout  le  butin  de  Naples  et  de  Gaète,  —  plus  de  cent  mille 
ducats,  —  fut  amené  à  Gênes,  où  Spinola  le  More  offrit, 
en  guise  d'ex-voto  commémoralif  de  la  victoire,  le  grand 
vitrail  de  l'église  de  1  Wnnunziata  (1). 

Ses  compatriotes  eurent  le  triomphe  moins  discret.  En 
août,  la  division  provençale  de  Villeneuve-Trans  revenait 
de  campagne.  Des  matelots  envoyés  à  l'aiguade  dans  une 
petite  ville  de  la  Rivière  de  Gênes  "  veirent  un   eschauf- 

(1)  GuAzzo,  fol.  168  V»,  174  v",  177,  191  v".  —  Sexarega,  dans  Mcra- 
TORi,  t.  XXIV,  col.  550.  —  ttait-ce  un  récit  de  la  bataille  que  comptait 
faire  le  doge  de  Gènes  dans  une  lettre  inachevée,  qui  débutait  ainsi  :  u  Is 
est  locus  Rapalli  in  quem  trirèmes  hostiles  exercitumimmiserunt»  (Arclùvcs 
de  Gènes,  Litterarum  (1493-1495J,  X  140  :  36-1812,  fol.  123  v"). 


•22  HISTOIRE    DE   LA   MARINfi    FRANÇAISE. 

faut  dressé  en  l'ung  des  carrefours  d'icelle,  où  1  on  faisoit 
un  mistère  »  ;  le  personnage  principal  de  ce  drame  d'actua- 
lité était  le  roi  de  France;  et,  grossière  allusion  à  la  retraite 
d'Italie,  on  mettait  le  feu  à...  ses  trousses.  Le  châtiment 
ne  se  fit  pas  attendre  :  Villeneuve  débarquait  à  deux  heures 
du  matin  une  forte  colonne,  que  la  flotte,  à  un  signal 
donné,  appuyait  de  son  feu.  La  ville,  emportée  d'assaut, 
fut  mise  à  sac.  Et  Villeneuve  venait  s'en  vanter,  le  22  août, 
au  roi, —  qui  se  trouvait  alors  à  Chieri  en  Piémont  (1). 

Jamais  courtisanerie  ne  fut  plus  inopportune.  Charles  VIII 
n'avait  dû  qu'à  la  valeur  de  ses  troupes  de  s'ouvrir  un  pas- 
sage à  travers  l'armée  italienne  à  Fornoue.  Isolé  dans  le 
nord,  il  avait  la  nécessité  de  ménager  les  Génois.  De  leur 
concours  ou  de  leur  abstention  dépendait  le  maintien  ou 
la  chute  de  la  domination  française  à  Naples.  Quatre  mille 
combattants  devaient  s'y  rendre  par  mer,  en  plus  des  con- 
tingents, qui  descendaient  de  Rome  vers  le  sud  (2). 

L'insurrection  couvait  dans  la  capitale  napolitaine.  On 
le  vit  le  6  juillet,  lorsque  le  roi  Ferrand  parut  en  vue  de 
son  ancienne  ville,  à  l'heure  même  où  Charles  VIII  livrait 
la  bataille  décisive  de  Fornoue.  Aux  soixante-trois  bâti- 
ments espagnols  que  le  chef  d'escadre  Requesens  amenait 
de  Messine,  nous  n'avions  à  opposer  que  seize  vaisseaux  et 
galères.  Nous  faillîmes  pourtant  livrer  bataille;  plus  d'un 
capitaine  suppliait  Montpensier  d'en  donner  l'ordre.  Devant 
notre  ferme  attitude,  un  flottement  se  dessina  parmi  les 
vaisseaux  aragonais,  que  le  feu  des  châteaux  mettait  en 
péril  :  et  Ferrand  battit  en  retraite  vers  Ischia.  Gilbert  de 
Montpensier,  précédé  de  l'épée  royale,  parcourait  la  ville 
de  Naples,  afin  de  la  maintenir  dans  le  devoir.  Le  lende- 

(i)  [André  de  La  Vigxe],  Le  Verc/ier  d'honneui-,  dans  CiMBtu  et  Dakjoit, 
Archives  curieuses,  i"  série,  t.  I,  p.  404. 

(2)  Lettre  de  Charles  VIII  à  Jean  de  La  Rovère,  préfet  de  Rome.  Turin, 
29  août  [Lettres  de  Charles  VILI,  t.  IV,  p.  275). 


CHARLES   VIII.  23 

main,  l'inconstante  population  des  lazzaroni  massacrait 
dans  les  rues  tous  les  Français  qui  ne  purent  trouver  asile 
dans  les  redoutes  de  Saint-Elme,  Saint-Vincent,  Pizzofal- 
cone,  Castel  Nuovo  et  château  de  TOEuf.  Ces  bastions, 
s'épaulant  l'un  l'autre,  en  une  ligne  de  défense  continue, 
tinrent  l'ennemi  en  échec  pendant  des  mois  entiers  et  pro- 
tégèrent notre  escadre,  qui,  du  grand  môle,  s'élait  repliée 
sous  les  remparts  du  Castel  Nuovo  (1). 

Il  était  d'un  intérêt  capital  pour  le  roi  Ferrand  de 
couper  nos  communications  avec  le  dehors.  Aussi  cher- 
chait-il à  écraser  notre  flotte  sous  le  feu  convergent  des 
batteries  du  petit  môle,  de  l'arsenal  et  du  rivage.  Comme 
les  pièces  légères  de  la  tour  de  la  Lanterne  lui  causaient 
beaucoup  de  mal,  il  lança  à  l'assaut  la  colonne  d'Alonso 
d'Avalos,  marquis  de  Pescara.  Obligés  d'avancer  en  ter- 
rain découvert,  sous  les  rafales  de  nos  pièces  de  marine  et 
de  forteresse,  les  assaillants  subirent  de  lourdes  pertes, 
avant  de  s'emparer,  le  :24  juillet,  du  phare  (:2).  Et  leur 
succès  fut  court.  De  nuit,  la  tour  fut  jetée  bas  par  nos 
grosses  pièces.  Mais  sur  les  ruines,  Pescara  éleva  de  nou- 
veaux retranchements,  d'où  les  coulevrines  recommen- 
cèrent à  tonner  contre  notre  escadre.  Le  28  juillet,  une  de 
nos  barges  était  coulée;  le  13  août,  un  galion;  un  autre  de 
nos  bâtiments  les  moins  endommagés  jusque-là  était 
dcmàté  (3). 

Par  mer,  le  blocus  se  fit  des  plus  étroits.  L'apparition 
de  deux  carraques,  que  l'on  reconnut  pour  être  la  Negrona^ 
l'ancien  vaisseau  amiral  de  Louis  d'Orléans,  et  la  Camilla^ 
avait  fait  naitre  l'espérance  parmi  les  assiégés.  Le  20  août, 

(1)  Antonio  FKLTnio,  Cronlca  délie  cose  ciel  reyiio  di  Aanoli,  dans 
Pkllicia,  Raccolta  di  varie  croniche,  diari  ed  altri  opuscoli,  cosi  italiani 
tome  latini,  apparlenenti  alla  storia  di  Napoli.  Napoli,  1780,  in-4",  t.  I, 
p.  294.  —  GiicnAnDi>",  Histoire...  soubs  Charles   VIII,  fol.  138. 

(2)  NOTAR  GlACOMO,  p.    194. 

(3)  GcAzzo,  fol.  198,  208  v». 


24  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

un  brlgantin  tenta  de  prendre  langue  avec  elles  :  le  tré- 
sorier de  l'armée,  les  patrons  de  l'Armada  et  de  la  galcassc 
d'Etienne  de  Vesc  pensaient,  avec  ce  léger  bâtiment,  forcer 
le  blocus  :  les  braves  gens  payèrent  de  leur  liberté  leur 
coup  d'audace.  Quant  à  la  Camilla,  à  peine  eut-elle  réussi 
à  gagner  notre  mouillage,  qu'elle  sombrait  sous  une  grêle 
de  boulets.  Notre  grande  galéasse  et  deux  autres  de  nos 
bâtiments  eurent  le  même  sort  (1),  en  dépit  de  la  palissade 
de  pilotis  derrière  laquelle  la  flotte  s'était  retranchée,  à  la 
pointe  du  château  de  l'OEuf.  Deux  brûlots  auraient  achevé 
l'œuvre  de  destruction,  le  3  septembre,  si  le  môle  ne  les 
avait  déviés  de  leur  route  et  empêchés  de  dériver  jusqu'à 
notre  front  de  mer  (i2) . 

Pour  sauver  les  débris  de  notre  escadre,  Montpensier;, 
capitaine  du  Castel  Nuovo,  Yves  d'Alègre,  ancien  cham- 
bellan de  Charles  du  Maine,  roi  de  Sicile,  qui  lui  avait 
légué  sa  nef  Saint-Michel  (3),  Etienne  de  Yesc,  et  le  capi- 
taine de  la  flotte,  La  Chapelle,  résolurent  d'occuper  à  nou- 
veau le  môle  et  de  l'isoler  de  la  terre  ferme  par  une 
tranchée.  Soudain,  le  22  septembre,  les  Allemands  de 
fifarde  au  nouveau  bastion  de  la  Lanterne  se  trouvèrent 
enveloppés.  Nos  hommes  d'armes  attaquaient  de  front;  nos 
barques  et  une  galère,  chargées  d'arquebusiers  gascons, 
avaient  contourné  le  môle  et  tiraient  en  flanc.  Les  bâti- 
ments aragonais,  à  leur  vue,  s'enfuirent  vers  la  Mad- 
dalena,  où  était  embossée  la  flotte  de  Ferrand,  Attirés 
au  bruit  du  canon,  les  Napolitains,  qui  cherchaient  à 
secourir  par  l'arsenal  le  corps  de  garde,  étaient  foudroyés 
par  le  feu  du  Castel  Nuovo.  Pescara,  accourant  enfin  à 
la  rescousse,  se  jeta  sur  nos   gens  d'armes   :    la  crainte 


(1)  GuAzzo,  fol.  208,  210.  —  Antonio  Felthio,  p.  295. 

(2)  jNoTAn  GiAcoMO,  p.  194. 

(3)  Et  1000  écuspour  aller  à  Compostelle.  10  décembre  H81  (P.  Anselme, 
t.  VII,  p.  709). 


CHARLES    VIII.  25 

d'atteindre  les  nôtres  dans  la  mêlée  fit  taire  le  feu  de  notre 
escadrille  et  assura  le  triomphe  des  Aragonais  (1). 

En  désespoir  de  cause,  le  vice-roi  avait  mandé  à  son 
secours  Stuart  d'Aubigny,  gouverneur  des  Galabres,  et  Ber- 
nart  de  Précy,  qui  commandait  dans  la  Basilicate.  Précy 
seul  fut  en  état  de  répondre  à  son  appel.  Avec  trois  mille 
hommes,  il  passa  sur  le  corps  d'armée  quatre  fois  plus 
fort  de  Tomaso  Garaffa  et,  refoulant  Prospero  Golonna,  le 
10  octobre,  il  était  aux  portes  de  Naples;  à  la  Ghiaja,  il 
apprit  la  capitulation  toute  récente  du  vice-roi.  Ignorant  la 
marche  en  avant  de  Précy,  Gilbert  de  Montpensier  avait 
promis,  le  4  octobi'e,  de  rendre  le  Gastel  Nuovo  et  les  bas- 
tions au  bout  de  deux  mois,  s'il  n'était  dégagé  dans  l'inter- 
valle. Seul,  le  capitaine  du  château  de  l'OEuf,  Rabodanges, 
avait  refusé  de  capituler.  L'escadre  française,  en  atten- 
dant, resterait  à  l'ancrage;  le  commandant  de  la  division 
normande,  Pierre  de  La  Ghapelle,  et  les  patrons  de  la 
Marie  et  de  la  Gahrielle  s'en  portaient  garants,  en  deve- 
nant les  otages  du  chef  d'escadre  Requesens  {il).  Force  fut 
à  Précy,  trop  faible  pour  livrer  bataille,  de  rebrousser 
chemin  par  le  long  souterrain  voûté  de  Piedigrotta,  en 
abandonnant  ses  bagages. 

La  révolte  de  Naples  avait  été  le  signal  d'un  soulève- 
ment général  dans  tout  le  royaume.  De  l'autre  côté  de  la 
botte  italienne,  sur  l'Adriatique,  notre  drapeau  avait  été 
mis  bas  à  Manfredonia  et  Barletta,  dès  l'apparition  du 
pavillon  de  Saint-Marc.  De  Monopoli,  le  capitaine  général 
Antonio  Grimani  n'eut  raison,  le  1"  juillet,  qu'en  lançant 
quatre  colonnes  et  en  accablant  la  ville  sous  le  feu  de 
vingt  galères  et  de  six  vaisseaux.  Ginq  cents  des  siens  et 

(t)  GiAZZO,  fol.  209.  —  P.  Jovii,  Histoiiarum  sui  temporis  tomi  duo 
(1494-1547).  Florentiae,  1550-1552,  lib.  III  ;  traduictcs  du  latin  par  Denis 
Sauvage,  Histoire  de  Paolo  Jovio.  Paris,  1570,  in-fol.,  tome  I,  p.  96. 

(2)  A.  DE  BoisLisLE,  p.  143,  279.  —  Notar  Giacomo,  p.  196.  —  Guazzo, 
fol.  229  v°. 


26  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

quatre  de  ses  capitaines  y  furent  mis  hors  de  combat  (1). 

Avec  trois  galères  seulement,  le  prince  Frédéric  d'Alta- 
mura  tentait  d'arracher  aux  griffes  du  lion  de  Saint-Marc 
les  lambeaux  du  royaume.  Au  gouverneur  de  Trani,  le  pro- 
véditeur  avait  offert  dix  mille  ducats,  s'il  voulait  rendre  la 
ville  aux  Vénitiens.  —  Elle  ne  vous  a  jamais  appartenu, 
répliqua  rudement  Guillaume  de  Villeneuve.  Et  à  la  som- 
mation du  prince  d'Altamura,  il  répondit  :  »  Capituler? 
Plutôt  mourir!  » 

A  l'heure  de  l'assaut,  le  4  août,  abandonné  de  trente- 
deux  lâches,  Villeneuve  n'avait  plus  que  huit  braves  autour 
de  lui.  Encore  fallut-il  plusieurs  heures  et  l'attaque  simul- 
tanée de  deux  colonnes,  par  terre  et  par  mer,  pour  avoir 
raison  de  sa  résistance.  Prisonnier  à  bord  de  la  galère 
Marquese,  il  assista  dès  lors  à  la  campagne  navale  de 
l'ennemi,  dont  il  a  retracé  les  épisodes  dans  son  curieux 
Viatique  (2). 

La  magnifique  page  d'histoire  que  le  siège  de  Tarente! 
La  vieille  acropole  grecque,  si  propice  aux  flottes,  était 
défendue  par  deux  descendants  de  ces  chevaliers  normands 
qui  avaient  jadis  conquis  la  Grande-Grèce,  George  de  Silly 
et  un  lieutenant  du  roi  d'Yvetot.  Frédéric  d'Altamura  pensa 
1  enlever  par  surprise.  Dans  lu  nuit  du  19  août,  la  Marquese 
s  embusqua  derrière  1  lie  San-Pietro,  cependant  que  deux 
brigantins  allaient  courir  des  bordées  devant  la  ville.  Mor- 
dant à  l'appât,  les  gens  de  bien  de  la  garnison,  dès  l'aube, 
se  jetèrent  à  leur  poursuite  sur  trois  ou  quatre  brigantins. 
Ils  touchaient  au  but,  quand  la  Marquese  sortit  d'embus- 


(i)  GxjAzzo,  fol.  185.  —  Malipikro,  p.  3()V,  373. 

(2)  Guillaume  de  Villkneuvk,  Histoire  des  guerres  d'Italie  sous 
Charles  VIII,  roy  de  France,  de  JSaples  et  de  Jérusalem  (1495-1497), 
publiée  en  Appendice  des  Mcinoircs  de  messire  Philippe  de  Comines,  nou- 
velle édition,  par  Godefiioy  et  Le:>glet  du  Fressoy.  Londres,  in-4",  t.  IV 
(1747],  preuves,  p.  82  ;  ou  dans  la  Collection  Michaud  et  Poujoulat, 
1™  série,  t.  IV,  p.  379. 


CHARLES    VIII.  27 

cade,  et  chassés  à  leur  tour,  ils  eurent  la  plus  grande  peine 
à  gagner  l'abri  de  Tartillerie  du  château. 

Le  soir,  quinze  bâtiments  de  Venise,  de  Naples  et  de 
Biscaye  (1)  commençaient  le  blocus  de  Tarente.  Un  mois 
après,  le  15  septembre,  ils  étaient  rejoints  par  dix-neuf 
galères  du  provéditeur  vénitien  Gontarini.  Ni  les  menaces, 
ni  les  descentes  multipliées,  ni  la  famine  n'avaient  raison 
du  vaillant  gouverneur.  On  usa  de  la  trahison.  Le  29  sep- 
tembre, un  traître,  du  nom  de  Louis  Bertochelle,  devait 
ouvrir  les  portes  de  la  citadelle.  A  l'heure  fixée,  le  signal 
convenu  avec  l'ennemi,  une  bannière  blanche,  parut  sur  la 
tour,  qui  fut  aussitôt  foudroyée  par  l'artillerie  du  château. 
Les  galères  des  alliés  approchèrent  et  jetèrent  l'ancre, 
parant  leurs  esquifs  pour  le  débarquement,  lorsqu'une 
grole  de  boulets  s'abattit  sur  elles.  La  trahison  avait  été 
découverte  deux  heures  avant  1  instant  fatal;  le  traître 
avait  révélé  le  signal;  le  lir  du  château  n'était  qu'une 
feinte,  et  la  Marquese  faillit  être  coulée  à  fond.  Le  surlen- 
demain, après  un  bombardement  infructueux  de  toutes 
leurs  pièces  de  marine,  les  alliés  levaient  le  siège  de 
Tarente. 

Laissant  une  galère  en  croisière  de  blocus  devant  la 
ville,  ils  contournèrent  la  Calabre  et  passèrent  devant 
Reggio,  dont  le  capitaine,  un  Ecossais,  avait  résisté  avec 
tant  de  valeur  aux  troupes  du  roi  Ferrand  que  les  assail- 
lants, furieux,  l'avaient  haché  en  pièces.  Gontarini  et  Alta- 
mura  allaient  renforcer  Requesens  devant  Naples  pour  la 
reddition  finale. 

De  l'entrée  en  ligne  des  marins  génois  dépendait  le  salut 
de  la  capitale.  On  avait  obtenu  d'eux,  le  10  octobre,  l'enga- 
gement de  restituer  l'escadre  prise  à  Rapallo  et  d'y  joindre 

(1)  8  galères  de  Venise,  3  galères  du  prince  d  Altamura,  4  barges  basques 
du  capitaine  Juan  Martin  (Guillaume  de  Villekedve,  onvr.  cité  :  Michel 
Ris,  dans  le  ms.  B.  N.,  latin  6200,  fol.  36). 


28  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

deux  carraques  à  leurs  frais  (1),  trois  ou  quatre  autres  aux 
frais  de  la  France  (2).  Lorsque  Etienne  de  Nefve  et 
Pérou  de  Baschi  se  présentèrent  pour  en  prendre  livraison, 
le  gouverneur  de  Gènes  les  éconduisit;  Ludovic  le  More 
éludait  ses  promesses,  sous  le  fallacieux  prétexte  qu'il  ne 
s  était  pas  engagé  à  laisser  monter  les  carraques  par  des 
Français  (3).  Les  Florentins  se  dérobèrent  de  même  à 
leur  promesse  de  fournir  deux  cent  cinquante  hommes 
d'armes,  malgré  qu'ils  eussent  reçu  comme  arrhes  les 
villes  que  nous  occupions  en  Toscane  (4). 

Vingt-huit  bâtiments  pourtant  armés  à  Marseille  et 
Villefranche  (5),  sur  les  instances  de  Charles  VIII  (6),  ten- 
tèrent de  jeter  dans  Naples  un  renfort  de  trois  mille  Suisses 
et  Gascons.  Le  18  octobre,  ils  arrivaient  dans  les  parages 
des  îles  Ponza.  Par  malheur,  vingt-quatre  galères  véni- 
tiennes de  Contarini  et  neuf  galères  catalanes  de  Villama- 
rin  étaient  à  Naples  depuis  cinq  jours  (7),  ce  qui  avait 
permis  avix  coalisés  de  détacher  à  notre  rencontre  toute 
l'escadre  des  voiliers,  trois  grosses  nefs  de  Gènes,  vingt-sept 
barges  et  trois  galères.  L'escadre  napolitaine,  sortant  des 
îles  Ponza,  où  elle  était  masqviée,  se  mit  en  chasse  et,  à  la 
tombée  de  la  nuit,  parvint  à  portée  de  canon  de  la  flotte  de 
Louis  Aleman  d'Arbent.  A  minuit,  un  violent  sirocco 
sépara  les  belligérants.  Aleman  d'Arbent  se  replia  sur 
Livourne;   un    de  ses   vaisseaux   toucha  à    l'île  d'Elbe,  à 

(1)  GoDKFROV,  Histoire  de  Charles   VIII,  p.  725. 

(2)  Lettre  de  Charles  VIII  au  duc  de  Milan  (Lettres  de  Cliarles  VIII, 
t.  IV,  p.  306). 

(3)  CoMlMY^■ES,  éd.  Dupont,  t.  II,  p.  533.  —  De  Mauldl,  Histoire  de 
Louis  XII,  t.  III,  p.  359. 

(4)  Florence,  8  septembre  (A.  de  Boisusle,  p.  149). 

(5)  16  navires,  4  galions,  2  fastes  et  6  galères  (Extrait  de  compte  :  B.  X., 
Franc.  17329,  fol.  182). 

(6)  Lettre  au  duc  de  Bourbon  {Archives  des  Missions,  2'^  série,  1.  II, 
p.  384). 

(7)  Chronica  anonima  (1495-1519),  publiée  par  Peli.ICCIA,  t.  I.  p.  252. 
—  Tjettre  de  Contarini  dans  M.m.ipikho,  p.  399. 


CHARLES    VIII.  29 

Porto-Longone,  où  toute  la  flotte  ennemie  vint  le  cerner  : 
avant  de  fuir  à  terre,  l'équipage  et  les  trois  cents  Suisses 
embarqués  à  bord  jetèrent  à  la  mer  canons,  vivres  et  muni- 
tions. A  Libourne,  Arbent  ne  put  empêcher  ses  hommes 
de  se  débander  et  de  gagner  Pise  :  ayant  ainsi  échoué,  le 
:23  octobre,  il  reprit  la  route  de  Villcfranche  (1). 

Bien  que  le  succès  des  coalisés  fût  insignifiant  et  que  la 
mésintelligence  entre  Girolamo  Contarini  et  le  capitaine  de 
l'escadre  espagnole  paralysât  désormais  leurs  opérations 
navales,  la  retraite  d'Arbent  fut  pour  Montpensier  le  coup 
de  grâce.  Le  vice-roi  voulut  sauver  les  débris  de  son 
armée,  et  l'amiral  prince  de  Salernc  sa  petite  escadre. 
Laissant  une  faible  garnison  au  CastelNuovo  et  au  château 
de  rOEuf,  ils  embarquèrent  deux  mille  cinq  ccnls  hommes 
sur  les  treize  bâtiments  en  rade  du  château  de  lOEuf  et, 
dans  la  nuit  du  :27  octobre,  au  mépris  des  termes  de  la 
capitulation,  ils  s  évadèrent  vers  Salerne,  sans  que  l'escadre 
vénitienne,  lancée  à  leur  poursuite,  parvint  à  les 
rejoindre  [2).  Trois  semaines  plus  tard,  deux  de  leurs  vais- 
seaux et  une  galéassc  gagnaient  notre  dernière  ligne  de 
retraite,  Gaète  (3).  Tout  espoir  de  sauver  Naples  était 
perdu,  en  dépit  de  la  résistance  désespérée  du  château  de 
rOEuf,  dont  le  gouverneur,  Rabodanges,  ne  capitula  que 
le  19  décembre. 

Gaète  allait-elle  avoir  le  même  sort?  Pérou  de  Baschi 

(1)  GuicnARDix,  fol.  141.  —  Sanuto,  Clnouicon  Veiictum  (149V-1500), 
dans  MuRAToni,  t.  XXIV,  col.  30.  —  Gicstisiaxo,  fol.  252  v".  — 
André  dk  La  Yignk,  p.  408.  —  (!(iMMY>iES,  éd.  B.  de  Mandrot,  t.  II,  p.  300. 
—  Scion  Vii.LENKUvE,  la  flotte  hispano-vénitienne,  forte  de  30  {jalères  et 
20  voiliers,  ne  serait  arrivée  de  Messine  que  le  27  octobre  [Mémoires,  éd. 
Michaud  et  Poujoulat,  Coll.  de  Mémoires,  t.  IV,  p.  393). 

(2)  Malipikp.o,  Annali  Veneli,  dans  Y Archivio  storico  italiano,  t.  VII, 
p.  422,  423.  —  NoTAR  Giacomo,  p.  198.  —  Cronicn  délie  case  di  Aa- 
puli,  da  Antonio  Feltrio,  dans  Pelliccia,  t.  I,  p.  295,  —  Guazzo, 
foi.  232. 

Ci)  14  novembre  [Chronica  anonima  (1495-1519),  dans  Pelliccia,  t.  I, 
p.  253). 


30  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

était  parvenu  à  former  à  Savone  l'armée  navale  qu'il  n'avait 
pu  organiser  à  Gênes.  Forte  de  dix-neuf  bâtiments  (l),elle 
appareilla  sous  le  commandement  du  lieutenant  général 
Paolo  Fregoso,  emmenant,  avec  les  Suisses  et  les  Gascons 
de  l'escadre  d'Arbent,  huit  cents  fantassins  venus  de 
Gueldre.  A  son  approche,  la  flotte  de  blocus  prit  le  large, 
sans  risquer  un  combat,  et  lui  laissa  toute  facilité  de 
débarquer  les  troupes  (2).  Le  prince  de  Tarente,  quittant 
précipitamment  iNaples  le  16  janvier  149(),  accourut  à  la 
rescousse  à  la  tête  de  trente-cinq  vaisseaux  et  six  ga- 
lères (3)  ;  mais  il  était  trop  lard  :  seul,  un  navire  traînard, 
la  Magdeleine,  lui  tomba  entre  les  mains.  Il  lui  fallut  se 
résigner  encore  à  un  blocus,  dont  Galceran  de  Requesens, 
avec  une  forte  division  navale  (4),  fut  chargé.  Nonobstant, 
Etienne  de  Vesc,  commandant  de  la  place,  s'échappa  à  la 
tête  de  deux  galères  et  neuf  bâtiments  légers  (5)  ;  et  par 
lui,  le  roi  reçut  cet  appel  suprême  : 

il  Sire,  vostre  royaume  de  Sicile  ne  se  peust  conquérir, 
nv  garder,  si  vous  n'envoyés,  à  toute  diligence,  une  armée 
par  mer,  plus  puissante  que  celle  des  Aragonnoys,  ny  des 
Vénitiens,  ny  aultres  vos  ennemys  (6).  » 

Pareilles  nouvelles,  confirmées  parle  délégué  des  barons 
napolitains,  par  Vitellozzo,  Orsini  et  par  Trivulce,  venu  spé- 
cialement d'Asti,  provoquèrent  à  la  Cour  de  France  un  vif 
émoi.  Sans  une  grosse  flotte  et  une  armée  de  secours  de 
quatre  à  cinq  mille  hommes,  c'était  l'effondrement  complet 

(1)  12  vaisseaux  et  7  galères  (Comptes  d'annement  :  B.  ÎN.,  Franc.  17329, 
fol.  182). 

(2)  GciciunniN,  fol.  182. 

(3)  NoTAR  GiACOMO,  p.  200.  —  Chronica  anonima,  dans  Pki.liccia,  t.  I, 
p.  254. 

(4)  Une  douzaine  de  galères  et  15  vaisseaux  (Guillaume  de  Villexetjvk, 
p.  398,  401). 

(5)  A.  DE  BoisLisLE,  p.  155-157. 

(6)  Lettres    de    Gilbert    de    Grassay   et  G.    d'Albret    au    roi.    8   avril   et 

31  mars  1496  (Commy.\es,  éd.  Dupont,  t.  III,  preuves,  p.  434-438). 


CHARLES   VIII.  31 

de  l'éphémère  conquête.  Charles  YIII  tenta  d'y  parer  en 
formant  vine  flotte  qu'il  comptait  porter  à  trente  vaisseaux 
et  trente  galères  (I)  :  à  l'amiral  de  France,  il  prescrivit 
d'expédier  à  Marseille  la  grande  nef  Louise,  encadrée  do 
six  barges  bretonnes  armées  en  guerre;  aux  généraux  des 
finances,  il  dépêcha  quatre  de  ses  secrétaires  pour  presser 
les  armements;  au  grand  sénéchal  de  Provence,  enfin,  il 
écrivit  :  «Arrêtez  tous  les  vaisseaux  en  état  de  tenir  la  mer, 
mettez  en  chantier  un  grand  bâtiment  de  mille  tonnes,  et 
comme  ma  flotte  a  besoin  d'un  port  de  refuge,  fortifiez  le 
havre  de  Toulon.  Mais  avant  tout,  secourez  (îaète  :  deux 
navires  légers,  sous  pavillon  de  Savoie,  tiendront  la  route 
de  Sicile  et  de  nuit,  par  ce  subterfuge,  trouveront  moyen 
d'entrer  dans  le  port  ["!) .  » 

Et  de  fait,  le  26  juillet,  une  petite  division  de  trois 
galères,  flanquées  de  la  nef  Normande,  passait  aii  travers 
des  vingt-six  vaisseaux  du  blocus,  alors  commandés  par  le 
provéditeur  vénitien  Malipiero.  Le  18  août,  un  galion  avait 
le  même  bonheur  (3).  Charles  VIII  n'en  était  pas  moins  aux 
abois,  faute  de  marins,  —  car  les  Provençaux  se  disaient 
«  merveilleusement  dégoustez  »  de  la  guerre  (4),  —  quand 
les  Bretons  entrèrent  en  ligne. 

A  peine  les  instructions  royales  reçues,  les  vaillants  capi- 
taines de  la  flotte  bretonne,  ceux  qui  voulaient  se  mesurer, 
en  1492,  avec  toutes  les  forces  britanniques  (5),  Guillaume 
Carrel  et  Jean  de  Porcon,  armèrent  «  en  extresme  dili- 
gence »  leurs  vaisseaux  :  qui,  le  Lesneven  et  le  Baltazar  à 

(1)  La  PopKLiMKnE,  Histoire  île  Cliarlcs  VIII  :  B.  N.,  Dupuy  71-5, 
fol.  78. 

(2)  Lettre  de  Charles  VIII  au  sénéchal  de  Provence.  Châtillon-sur-Indre, 
9  juillet  (B.  N.,  Moreau  774,  fol.  4). 

(3)  Guillaume  dk  Villeneuve,  p.  501.  —  Malipikho,  p.  544.  —  Lettre 
d'Etienne  de  Vesc.  21  juillet  (Commyxes,  éd.  Dupont,  t.  III,  p.  448). 

(4)  Lettre  de  Pierre  d'Urfc  au  roi,  24  juillet  (Commynes,  éd.  Dupont, 
t.  III,  p.  454). 

(5)  Cf.  tome  II,  p.  433. 


32  HISTOIUE    DE    LA    MARIiNE    FRAiNÇAISE. 

Brest  (1),  qui,  une  nef  montée  de  trois  cents  marins  de 
combat,  à  Saint-Malo  (:2) .  Et  les  six  barges  requises  pour 
escorter  la  Louise  furent  bientôt  prêtes  à  prendre  la  mer, 
avec  huit  cents  matelots  commandés  par  Guyon  Le  Roy 
du  Chillou,  capitaine  du  Groisic,  et  par  Jean  de  Porcon. 
La  Charente,  parachevée  aux  frais  du  trésorier  Jean  de  La 
Primaudaye  (3),  était  partie  de  1  avant,  vu  l'extrême 
urgence.  La  grande  nef  de  Morlaix,  la  Cordelière,  devait 
suivre,  avec  la  compagnie  de  gens  d'armes  et  d'archers  de 
Jean  Guibé  (4).  D'autres  carraques  en  chantier,  aux  frais 
des  villes  de  Bretagne  (5),  qui  en  faisaient  cadeau  à  la 
royauté  (6),  formeraient  une  escadre  formidable  avec  la 
carraque  de  Rhodes,  achetée  au  grand  maître  Pierre  d"Au- 
busson  (7).  Et  j'imagine  que  la  mission  secrète  de  Thomyn 
Lefèvre,  envoyé  du  Groisic  en  Portugal,  était  d'obtenir  de 
nouveaux  renforts  pour  la  flotte  fS). 

Les  confédérés  ne  se  faisaient  point  faute  d'entraver  de 
tout  leur  pouvoir  nos  préparatifs.  Une  escadre  de  six  vais- 
seaux espagnols  et  les  quatre  galères  vénitiennes  du  capi- 
taine Marin  Signolo,  assemblée  à  Gênes,  courut  des  bor- 
dées    depuis     Yillefranche     jusqu'aux      j'omégues,     afin 


(i)  Vaisseaux  bretons  armes  en  IWfO  pour  le  recouvrement  des  Deux- 
Sicilcs  (Comptes  des  trésoriers  :  R.  N..  Frani;.  8310,  fol.  235  v"). 

(2)  Suivant  mandement  royal  du  22  juillet  (Dom  Moim;i:,  Mémoires  pour 
servir  de  preuuex  à  l' histoire  rie  Bretiif/ne,  t.   III,  col.   TS-V). 

(3)  Et  d'Etienne  de  JNefve.  On  l'appelait  aussi  la  carraque  Sainie-Marie- 
Saint-Micliel  {B.  N.,  Pièces  orig.,  vol.  2386,  doss  i'rimaudaye,  p.  13.  — 
Archives  nat.,  JJ  227,  n°  139). 

(4)  40  hommes  d'armes  et  80  archers,  l''"'  octohrc  ^B.  N.,  Franc.  8310, 
fol.  256.)  —  Anne  de  Bretagne  avait  consacré  à  son  ladoub  un  reliquat  de 
compte  de  Semblançay  (B.  N.,  Franc.  25720,  p.  62). 

(5)  Les  États  de  Vannes  s'en  étaient  fait  présenter  les  devis  en  février  1496 
(B.  N.,  Franc.  8310,  fol.  247  v"). 

(6)  Charles  VIII  envoie  un  messager  s'enquérir  des  carraques,  28  juin  1497 
(Archives  de  Nantes,  EE  222). 

(7)  Charles  VIII  l'acheta  20,000  écus.  Lyon,  10  décembre  1496  (B.  N., 
Dossiers  bleus,  vol.  100,  doss.  Blanchefort,  p.  138). 

(8)B.  N.,  Franc.  8310,  fol.  238. 


CHARLES   Vin  33 

d'intercepter  nos  convois.  Trois  de  nos  bâtiments  furent 
ainsi  capturés  (I),  entre  autres  la  barque  du  corsaire 
Domenge,  qui  soutint  un  long  combat  en  vue  de  Mar- 
seille (2).  Et  comme  Charles  VIII  songeait  à  retourner  au 
royaume  de  Naples,  la  Ligue  lui  opposa  un  redoutable 
adversaire  en  mandant  dans  la  péninsule  l'empereur  Maxi- 
milien.  L'empereur  s'y  prêta.  Joviet  inconscient  de  l'ambi- 
tion de  Ludovic  le  More,  comme  l'avait  été  auparavant  le 
roi  de  France,  il  vînt,  mais  avec  des  forces  dérisoires,  de 
nature  à  rabaisser  le  prestige  du  nom  impérial;  et  il  se 
laissa  entraîner  dans  la  plus  lamentable  des  aventures. 

Ludovic  lui  persuada  que  sa  présence  imposerait  aux 
Florentins  et  les  détacherait  de  la  France.  L'empereur, 
quittant  donc  Gènes  le  20  septembre  à  la  tête  de  quinze 
gros  vaisseaux  de  guerre  qu'escortaient  huit  galères  véni- 
tiennes de  Malipiero,  s'achemina  vers  Livourne,  le  grand 
port  de  guerre  de  Toscane.  Des  troupes  allemandes,  mila- 
naises et  vénitiennes  vinrent  simultanément  camper  devant 
la  ville.  Loin  de  se  laisser  abattre  par  ce  déploiement  de 
forces,  la  garnison  florentine  fit  bonne  contenance,  comp- 
tant sur  la  venue  prochaine  d'une  centaine  de  lances  fran- 
çaises et  d'un  millier  de  fantassins  suisses  ou  gascons  (3). 

Le  29  octobre  1496,  au  moment  où  les  pionniers  de 
l'empereur  commençaient  les  travaux  d'approche,  une 
escadre  parut.  Malipiero  avait  posté  ses  vingt-sept  bâti- 
ments (4)  derrière  la  Meloria,  écueil  fameux  dans  les  fastes 
maritimes  de  l'Italie;  malgré  son  énorme  supériorité,  il  ne 

(1)  Malipiero,  p.  542. 

(2)  Valbelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  6. 

(3)  GuiCHARDix,  fol.  204-205.  Le  sénéchal  d'Albigeois,  commandant  dea 
troupes,  refusa  de  s'embarquer,  ainsi  que  sa  compagnie  d'hommes  d'armes; 
le  corps  expéditionnaire,  par  de  nou%'elles  défections,  fut  réduit  à  six  cents 
hommes  de  pied. 

(4)  L'escadre  comprenait  trois  grosses  nefs  génoises,  six  barges,  six  galions, 
huit  galères  vénitiennes,  deux  galères  génoises  et  deux  brigantins,  selon 
Malipiero  (p.  545). 


34  HISTOIRE    DE    LA    MARINE  FRANÇAISE. 

chercha  point  à  barrer  la  route  à  Porcon  et  Du  Ghillou,  car 
c'était  la  grande  nei  Louise  qui  arrivait  avec  son  escorte  de 
barges  bretonnes  (1).  A  part  un  bâtiment  chargé  de  grains 
et  monté  de  quatre-vingts  hommes,  qui  fut  cerné  par  quatre 
galères  vénitiennes,  tout  le  convoi  entra  dans  Livourne,  à 
la  vue  de  Maximilien  :  il  amenait  cinq  cents  hommes  de 
renfort,  ainsi  que  les  partisans  Vitellozzo  et  Carlo  Orsini, 
qui  allaient  tenir  la  campagne.  Puis  la  Louise  —  la  grande 
nei Normande  comme  on  l'appelait  — continua  vers  Gaète, 
en  renvoyant  en  Provence  son  escorte;  ce  qui  ne  l'empêcha 
point  de  battre,  par  le  travers  de  Port'Ercole,  plusieurs 
bâtiments  génois.  Les  forceurs  de  blocus  avaient  sauvé  Li- 
vourne; devant  la  tempête,  qui  jeta  l'Adornay  la  Salvadegfi 
et  plusieurs  navires  à  la  côte,  le  blocus  dut  cesser;  et  l'em- 
pereur, levant  le  siège,  reprit  honteusement  la  route  de 
rAllemagne. 

A  Gaète,  la  fortune  nous  fut  moins  clémente.  Les  hn\{ 
galères  de  Prégent  de  Bidoux,  en  mer  depuis  le  3  octobre, 
ne  purent  forcer  le  cordon  d'investissement  et  coururent 
vainement  des  bordées  jusqu'en  Corse  et  en  Sardaigne  pour 
donner  le  change  à  la  croisière  de  blocus  (2).  Maîtres,  le 
5  novembre,  de  la  redoute  de  Monte-Orlando,  les  assiégeant^ 
dominaient  le  port  :  de  cet  ancien  tombeau  romain  trans^ 
formé  en  bastion,  les  boulets  pleuvaient  sur  nos  cinq  bâtir 
ments  en  rade,  bloqués  d'autre  côté  par  la  flotte  enne- 
mie (3).  Il  fallut  capituler.  Le  brave  Aubert  Du  Rousset  le 
fit  aux  conditions  les  plus  glorieuses  et  sortit,  le  19  novem- 


(i)  Un  témoin  oculaire  parle  de  six  barges  (Foscari,  Dispacci,  dans 
YArchivio  storico  italiano,  t.  VII,  p.  938).  —  Malipiero  compta  deux 
grands  vaisseaux  et  huit  barges,  avec  les  huit  cents  Bretons  (p.  ÔVG).  — 
GuicuARDis  relève  la  présence  dans  l'escadre  d'une  grande  nef  normande 
(fol.  205,  207  v")  et  Paul  Jove  (liv.  IV)  également. 

(2)  A.  Spont,  Les  galères  royales  dans  la  Méditerranée,  dans  la  Revue 
des  questions  historiques,  t.  LVIII,  p.  393,  note  7. 

(3)  NOTAR  GlACOMO,   p.   212. 


CHARLES   VIII.  35 

bre,  après  plus  de  dix  mois  de  siège,  avec  les  honneurs  de 
la  guerre  (1). 

Le  royaume  de  Naples  était  perdu.  Charles  VIII  sanc- 
tionna la  ruine  de  ses  espérances,  en  signant,  le  25  février 
1497,  une  trêve,  avant-coureur  de  paix,  avec  le  nouveau 
roi  de  Naples,  Frédéric  d'Aragon. 

Il  se  retourna  contre  Gènes,  dont  la  défection,  au  fort  de 
la  guerre,  avait  été  la  cause  initiale  de  nos  désastres.  Le 
corps  d'armée  de  Trivulce  coupa  les  communications  de 
Gènes  avec  Milan,  par  l'occupation  de  Novi;  des  troupes 
florentines  avancèrent  par  la  rivière  de  Levant,  tandis  que 
la  division  navale  de  Giamhattista  Fregoso  agissait  par  le 
Ponant.  Nos  six  galères  s'emparèrent  de.  Vintimille,  mais 
ne  purent  rien  tenter  contre  Savone,  faute  d'un  soulève- 
ment populaire  qu'on  escomptait  et  qui  n'éclata  pas  (2).  Au 
large,  croisaient  nos  voiliers;  la  grosse  neî  Promontoria,  qui 
apportait  à  Gênes  une  cargaison  de  blés  de  Sicile,  ne  put 
résister  à  leurs  pièces  de  gros  calibre;  ce  qui  fut,  pour  la 
République,  un  motif  de  prescrire  à  toutes  les  nefs  d'em- 
porter un  certain  nombre  de  bombardes. 

Loin  de  se  laisser  démoraliser  par  notre  investissement  à 
distance,  les  Génois  prenaient  l'offensive.  Trois  grandes 
nefs  et  deux  galères,  aux  ordres  de  Gian-Aloisi  Fieschi. 
vinrent  s'embosser,  en  juillet  1497,  en  vue  de  Toulon, 
qu'elles  tinrent  bloqué  de  longs  mois  (3).  Il  se  trouvait  heu- 
reusement que  Charles  VIII  avait  donne  ordie,  Tannée 
précédente,  d'achever  les  fortifications  du  port  (4),  ainsi  à 
l'abri  d'un  coup  de   main.  Prégent  de  Bidoux  riposta  par 

(1)  De  Boislisle,  p.  168.  —  Un  de  nos  vaisseaux  coula  en  route  et  la 
Normande  aurait  été  capturée  (Sanuto,  t.  I,  col.  393). 

(2)  GUICUAKDIS,   fol.   212  V». 

(3)  Paolo  di  Negrone  succéda  à  Fieschi,  malade  (Agostino  Giustiniano, 
Annali  di  Genoa,  fol.  254.  —  Archives  du  ministère  des  Affaires  étran- 
gères, Gènes  2,  fol.  226). 

(4)  9  juillet  1496  (CoMMYNES,  éd.  Dupont,  t,  III,  p.  444), 


36  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

une  contre-attaque,  qui  amena  les  Génois  à  composition  : 
ses  quatre  galères  cernèrent  à  Porto-Venere  une  soixan- 
taine de  voiles  (1).  Atteint  dans  ses  œuvres  vives,  son  com- 
merce, le  gouvernement  de  la  République  ligurienne  s'hu- 
milia; il  demanda  que  les  marchés  de  France  lui  fussent 
de  nouveau  ouverts  et  particulièrement  les  foires  de 
Lyon  (2).  Et  sans  doute,  cette  soumission  fut  le  résultat  de 
notre  croisière. 

Un  vrai  marin  venait  de  se  révéler  au  milieu  de  cette 
pléiade  de  capitaines  d'armées  navales,  qu'une  commis- 
sion royale  improvisait  et  qu'une  défaite  rejetait  dans  le 
néant.  Et  voyez  comme  un  homme  énergique  et  habile 
peut  changer  la  face  des  choses.  Prégent  de  Bidoux  avait 
trouvé  des  matelots  démoralisés  par  une  série  d'échecs,  une 
situation  maritime  des  plus  précaires.  Deux  ans  après,  à  la 
mort  de  Charles  VIII,  alors  que  Prégent  n'avait  pas  plus 
de  huit  bâtiments,  le  doge  de  Gênes  écrivait  :  «  Les  galères 
de  France  balayent  tout  sur  leur  passage,  sans  être  inquié- 
tées :  personne  n'ose  leur  tenir  tête  (3) .  d 

(1)  Novembre  1497  (Malipiero,  p.  550). 

(2)  6  novembre  (Archives   des  Affaires  étrangères,  Géues  2,  fol.  226  v"). 

(3)  15  octobre  1V98.  Bidoux  avait  été  quérir  à  Civita-Vccchia  la  dispense 
pontificale  permettant  à  Louis XII  d'épouser  Anne  de  Bretagne  :  le  8  octobre, 
il  ramenait  en  France  le  porteur  de  la  bulle,  César  Borgia  (Sancto,  Diarir, 
t.  I,  col.  65.  —  Spokt,  dans  la  Revue  des  questions  historiques,  t.  LVIII, 
p.  394.  —  La  Levrière  de  Rouen,  capitaine  Guillaume  de  Laumosne,  cou- 
rait les  eûtes  d'Italie.  Mai  1498  (Gossei.in,  Documents  authentiques  et  iné- 
dits pour  servir  a  l'histoire  de  la  marine  normande  pendant  les  xvi'  et 
xvii°  siècles.  Rouen,  1876,  in-8°,  p.  6). 


LOUIS   XII 

LA  FRANGE  EN   ORIENT 


Si  le  roi  de  France  oubliait  les  injures  du  duc  d'Orléans, 
il  n'en  oubliait  point  les  droits.  Et  les  titres  de  roi  de  Jéru- 
leni  et  des  Deux-Siciles,  de  duc  de  Milan,  que  Louis  XII  prit 
en  montant  sur  le  trône,  laissaient  assez  deviner  sa  poli- 
tique future.  Ludovic  Sforza  fut  le  premier  à  s'en  aperce- 
voir. Conquis  par  nos  troupes  en  octobre  1499,  perdu  à  la 
suite  d'une  sédition,  le  Milanais  fut  reconquis  en  moins  de 
vingt  jours  en  mars-avril  1500  :  Ludovic,  prisonnier. 
s'achemina  vers  la  tour  de  Loches,  où  il  devait  mourir  en 
captivité.  Cette  conquête  eut  comme  corollaire  la  soumis- 
sion de  Gênes  le  26  octobre  1499,  sans  que  l'escadre  de 
Villeneuvc-Trans  eût  à  agir  (1).  Dès  lors,  Gènes,  qui  reçut 
un  gouverneur  français,  redevenait  pour  nous  la  meilleure 
des  bases  d'opérations  navales. 

Dans  l'accalmie  qui  suivit,  en   paix  avec  la  Chrétienté 

(1)  Agostino  GiusTiMASO,  Annali  di  Geuoa,  fol.  255.  —  Sakuto,  Diariif 
t.  il,  col.  465,  576,  714.  —  A.  de  Boislislk,  Etienne  de  Vesc,  p.  187,  190. 
- —  J)ella  dedizione  dei  Genovesi  a  Luicji  XII,  da  Luigi-ïommaso  HklgRAno, 
dans  les  Miscellanea  di  storia  patria,  t.  I,  p.  557.  —  Léon-G.  F'Élissier, 
Documents  sur  la  première  année  du  rèqne  de  Louis  XII ;  Documents  sur 
l'elahlissement  de  la  domination  française  à  Gènes,  App.  II  ;  et  Recherches 
dans  les  Archives  italiennes  :  Louis  XII  et  Ludovic  Sforza  (1498-1500). 
Paris,  1896,  2  vol.  in-8",  dans  la  Bibliothèque  des  écoles  frant;aises  de  Rome 
et  d'Athènes. 


38  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

par  des  traités  dûment  conclus  avec  la  Savoie  (1),  Venise, 
FAu triche  (2),  l'Angleterre  (3),  l'Espagne  (4),  Louis  XII 
tint  à  justifier  son  titre  de  roi  de  Jérusalem,  avant  de  faire 
valoir  ses  prétentions  au  trône  des  Deux-Siciles.  Une 
escadre  montée  de  sept  mille  hommes  fut  équipée  pour 
concourir  à  la  défense  de  Rhodes  contre  l'Islam. 


I 

UNE    BATAILLE    DE    N  AVARIN-LÉP  AN  TE    IGNORÉE 

Dans  l'histoire  de  l'Europe,  la  bataille  de  Lépante,  en 
1571,  fait  date.  C'est  l'arrêt  brusque  de  l'islam,  le  recul  de 
l'invasion  asiatique,  le  salut  de  l'Europe  chrétienne.  Or, 
l'événement  eût  pu  arriver  soixante-douze  ans  plus  tôt. 
Dans  les  mêmes  parages,  des  forces  aussi  imposantes, 
cinq  cents  navires  et  soixante  mille  hommes,  s  étaient 
trouvés  en  pi'ésence.  Pour  décider  du  sort  de  deux  reli- 
gions, Sinon  de  deux  races,  il  ne  manqua  qu'un  don  Juan 
d'Autriche  :  et  jamais  démonstration  ne  fut  plus  éclatante, 

—  les  circonstances  étant  dans  les  deux  batailles  les  mêmes, 

—  du  rôle  décisif  que  joue  l'individualité  du  chef  suprême. 
Aussi  éclatante  fut  dans  l'histoire,   dans  la  littérature, 

dans  la  légende,  la  victoire  de  don  Juan  d'Autriche,  aussi 
terne  et  effacée  est  restée  la  longue  bataille  de  treize  jours, 
livrée  ou  plutôt  subie,  en  1499,  par  Grimani.  Et  malgré 
la  part  brillante  qn'y  prit  l'escadre  française,  aucune  de 
nos  histoires,  même  les  plus  récentes,  n'en  parle,  comme 
aucune  de  nos  chroniques  n'en  a  consigné  le  souvenir  (5). 

(i)  13  mai  1499. 

(2)  2  août. 

(3)  24  août. 

(4)  5  août. 

(5)  A    part    Gaguin,    dans    ses    Annales   rermn    Gallicarum.    Encore    ne 


LA   FRANCE    EN    ORIENT.  39 

Au  moment  où  notre  escadi'e  allait  partir  poui 
Rhodes  (1),  s'éleva  la  voix  suppliante  des  contempteurs  de 
la  croisade  de  Charles  VIII.  Contre  eux,  se  tournait  l'offen- 
sive turque;  et,  remords  suprême  pour  les  meurtriers  de 
Bucelly  et  de  nos  marins,  c'est  au  lieu  même  du  supplice, 
dans  les  parages  de  Zante,  qu'ils  avaient  besoin  de  notre 
concours.  De  la  détresse  des  Vénitiens,  Louis  XII  eut 
pitié.  Le  grand  prieur  d'Auvergne,  Guy  de  Blanchefort, 
reçut  l'ordre  de  se  détourner  de  sa  route  pour  se  ranger 
sous  l'étendard  de  Saint-Marc  (2), 

Près  du  cap  extrême  où  la  côte  de  Grèce  s'infléchit  vers  le 
nord,  à  Modon,  le  capitaine  général  Antonio  Grimani  barrait 
au  capoudan  pacha  Daud  l'accès  de  l'Adriatique.  Il  avait 
cent  soixante-treize  bâtiments,  les  Turcs  deux  cent  soixante. 
Le  12  août  1499,  l'action  s'engageait  entre  les  vaisseaux 
ronds  des  deux  avant-gardes.  Alban  d'Armer,  lâchement 
abandonné  par  le  chef  d'escadre  Alvise  Marcello,  qui  ne  le 
soutint  que  de  quelques  volées  de  canon,  attaqua  le  gros 
bâtiment  de  Borrak-Raïs.  Andréa  Loredano  ne  voulut  point 
laisser  à  son  camarade  tout  le  faix  du  combat,  et  aux  cris 
enthousiastes  de  »  Loredan,  Loredan  !  "  la  Pandora  accro- 
cha à  son  tour  le  vaisseau  turc.  Les  musulmans  étaient  an 
millier,  marins  ou  janissaires,  les  Vénitiens  un  peu  moins. 
Le  corps  à  corps  dura,  terrible,  une  demi-journée  et  ne  finit 
que  dans  l'embrasement  gigantesque  des  trois  vaisseaux. 


parle-t-il  que  du  capitaine  général  des  Vénitiens  et  de  sa  pusillanimité.  — 
Sur  nos  préparatifs,  cf.  Spoxt,  les  Gaietés  royales  clans  la  Méditerranée, 
dans  la  Revue  des  Questions  historiques,  t.  LVIII,  p.  395  :  et  Baudouin, 
Histoire  de  l'Ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  t.  1,  p.  200. 

(1)  Louis  XII  prie  les  Toulonnais  de  remettre  deux  canons  pour  la  flotte 
qu'il  envoie  porter  secours  à  Rhodes.  10  mai  1499  (Archives  de  Toulon, 
BB  44,  fol.  141). 

(2)  Malipiero,  Annali  Veneti,  p.  164,  170,  171.  —  C'était  Gui  de  Blan- 
chefort qui  avait  fait  remise  à  la  France  de  la  carraque  de  Rhodes,  10  dé- 
cembre 1496  (B.  N.,  Dossiers  bleus,  vol.  100,  doss.  Blanchefort,  p.  138). 
—  Léon-G.   PÉLissiER,  T^ouis  XII  et  Ludovic  Sforza,  t.  I,  p.  300. 


40  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Armer,  en  essayant  de  se  sauver  à  la  nage,  tombait  entre 
les  mains  des  Turcs.  Loredano  se  jetait  dans  les  flammes, 
l'étendard  de  Saint-Marc  au  poing,  en  s'écriant  :  "  Sous  ce 
drapeau,  je  suis  né  et  j'ai  vécu;  sous  lui,  je  veux  mourir.  » 
Ainsi  périt  l'homme  qui  faisait  trembler  tout  le  Levant. 
Grimani  était  resté  coi,  sans  porter  le  moindre  secours  à  un 
camarade  dont  il  était  jaloux  (1).  Slahat  Petriis  a  longe,  lui 
appliquait  plus  tard  l'avocat  général  dans  un  terrible  réqui- 
sitoire. L'affaire  restait  indécise;  mais  ce  furent  les  Véni- 
tiens qui  accusèrent  leur  défaite,  en  prenant  position  en 
arrière,  à  l'île  Prodano. 

Il  C'est  la  coutume  des  Vénitiens  au  service  de  l'État  de 
ne  point  écrire  la  vérité,  sauf  quand  elle  leur  est  favorable. 
JExécrable  habitude  » ,  écrivait  Sanuto  à  propos  de  cette 
longue  bataille  navale,  commencée  à  Modon  pour  conti- 
nuer à  Navarin  et  finir  à  Lépante  (2).  Dupée  par  les  rap- 
ports de  Grimani,  confiante  dans  des  forces  navales,  qui 
n'avaient  jamais  été  si  imposantes,  — quatre-vingt-six  vais- 
seaux de  ligne  et  vingt  à  vingt-cinq  mille  marins,  —  la 
population  vénitienne  se  livrait  à  de  bruyantes  manifesta- 
tions de  joie,  alors  que  son  prestige  s'effondrait  de  façon 
lamentable. 

La  pusillanimité  de  Grimani  dépassait  toute  expression 
et  rendait  critique  la  position  de  sa  flotte,  quand  le  18  août, 
à  l'aube,  parut  l'escadre  française  de  Guy  de  Blanchefort, 
signalée  la  veille  du  côté  de  Zante.  Elle  comptait  seize 
vaisseaux,  quatre  galères  et  deux  brigantins,  dont  quatre 
vaisseaux  de  première  ligne,  la  carraque  de  Rhodes  cédée 
à  la  France,  la  Charpente,  la  Louise  et  (a  Rapiamus .  Montée 
de  six  à  sept  mille  hommes  et  bien  armée,  notre  escadre 

(i)  De  Hammer,  Histoire  de  l'einpire ottoman,  trad.  Dochez,  t.  I,  p.  378. 
~  Sakuto,  Diarii,  t.  II,  col.  858,  931,  959,  10J8,  1049,  1132,  1219. 

(2)  Sanuto,  Chronicon  Venetum  (1494-1500),  dans  Mlbatori,  t.  XXIV, 
col.  94. 


LA   FRANCE   EN    ORIENT.  41 

n'avait  d'autre  défaut  que  d'être  dépourvue  de  vivres,  ce 
qui  nous  poussait  à  une  action  immédiate  (1).  L'occasion 
s'en  offrait.  Sortant  de  la  rade  de  Navarin,  le  capoudan 
pacha  tentait  de  forcer  le  passage  pour  gagner  le  golfe  de 
Patras.  Six  brûlots  lancés  au  milieu  de  sa  flotte  furent  cap- 
turés par  elle,  avant  d'avoir  été  enflammés.  Une  vive 
canonnade  ne  put  davantage  enrayer  sa  marche.  La  Cha- 
rente^ commandée  par  le  Breton  Jean  de  Porcon,  et  un 
grand  vaisseau  vénitien  eurent  plus  de  succès  :  enveloppée 
par  une  soixantaine  de  galères  musulmanes,  la  Charente^ 
après  deux  heures  d'un  combat  furieux,  força  sa  légion 
d'adversaires  à  reculer  (2),  et  sous  une  vigoureuse  charge 
des  galéasses,  les  Turcs  se  replièrent  vers  Castel  Tornese, 
en  face  dé  Zante.  Ils  avaient  néanmoins  gagné  du  terrain 
et  se  rapprochaient  de  leur  objectif.  Il  fallait  en  finir  avec 
eux. 

Le  lendemain,  21  août,  les  alliés  adoptaient  en  conseil 
de  guerre  l'ordre  de  bataille  (3),  qui,  plus  tard,  dans  les 
mêmes  parages,  donnait  la  victoire  à  don  Juan  d'Au- 
triche (4).  Pour  rendre  aux  Vénitiens  du  cœur  par  son 
exemple,  le  grand  prieur  d'Auvergne  mènerait  l'attaque 
avec  sa  splendide  division  de  grands  vaisseaux  :  la  car- 
raque  de  Rhodes,  qu'il  montait,  dite  la  reine  de  la  mer  (5), 


(1)  Sanuto,  Chronicon  Vcnetum,  dans  MunAxoni,  t.  XXIV,  col.  106.  -~ 
Sanuto,  Dinrii,  t.   Il,  col.  12>}8, 

(2)  Réquisitoire  de  INicolô  Michiel  contle  Griiiiani  (Sa>cto,  J)ia>ii,  t.  III, 
col.  174).  —  «Jehan  de  Porcon,  dit  le  Grand  Porcon,  cappilaine  de  mer,  » 
touchait,  cette  année  même,  600  livres  de  pension.  Compte  de  Jean  Lale- 
iiiant,  receveur  général  de  Normandie,  1499(B.N.,  Nouv.  acq.  franc.  7645, 
fol.  ;5iO  v"). 

(3)  Sanuto,  t.  II,  col.  1292. 

(4)  A  Lépante,  en  1571,  les  galéasses  étaient  rangées  en  avant-garde  avec 
une  réserve,  les  galères  en  demi-lune  par  derrière  (B.  Cuesckistio,  Naidica 
Mediterranea  (1607),  p.  523). 

(5)  Cf.  sitprà,  t.  II,  p.  474.  Nous  avons  vu  que  c'était  Guy  de  Blanche- 
fort,  grand  prieur  d'Auvergne,  qui  avait  effectue  la  cession  de  la  carraque 
au  roi  en  1496. 


42  HISTOIRE    DK    LA    iMARINE    FRANÇAISE, 

La  Charente  ou  la  Notre-Dame  de  Saint-Michel  (1),  de  deux 
cents  pièces  de  canon  et  douze  cents  hommes  d'équipage, 
si  bonne  voilière  avec  cela  qu'en  mer,  »  n'étoient  pirates, 
ne  écumeurs  qui  devant  elles  tinssent  vent  »  ,  (2)  devaient 
tomber  simultanément  sur  le  capoudan-pacha.  Près  d'elles, 
combattrait,  étendard  rouge  et  jaune  au  vent,  la  grande 
nef  de  l'amiral  de  France,  la  Louise,  de  soixante-treize 
canons,  dont  les  passevolants  à  tir  rapide  étaient  logés 
jusque  dans  les  hunes  et  qui  avait  comme  grosse  pièce  à 
longue  portée  la  célèbre  coulevrine  la  Barbe  (3)  :  la  Louise, 
dont  les  contemporains  disaient  qu  elle  était  furieusement 
armée,  a  furia,  et  que  son  artillerie  eût  suffi  à  garnir  deux 
vaisseaux  (4).  La  Louise,  amatelotée  avec  le  chef  d'escadre 
Marcello,  la  Mema  (5)  et  le  brave  Tomà  Duodo,  Domenego 
Biancho  et  le  galion  du  neveu  de  Louis  XII,  enfant  de  dix 
ans  qui  allait  rendre  illustre  le  nom  de   Gaston  de  Foix, 


(i)  Cession  de  cette  grosse  nef  au  roi  par  les  héritiers  de  La  Priinaudaye. 
1506  (B.  N .,  Pièces  orig.,  vol.  2386,  doss.  Primaudaye,  p.  12). 

(2)  Jean  d'Actox,    Ch/onirpie/t,  éd.    de  Mauldc  La  Glavière,  t.  II,  p    19. 

(3)  «  L'inventère  de...  la  grant  nef  nommée  la  Lojse,  qui  fut  à  Mgr  de 
Graville,  admyral  de  France  "  :  22  coulevrines  et  faucons  de  fonte,  10  gros 
canons  de  fer,  sur  affûts,  22  gros  passevolants,  dont  un  "  canon  à  hune  "  , 
14  petits  passevolants  au  château  d'avant,  5  longues  serpentines.  14  no- 
vembre 1516  (Archives  du  Havre,  EE  79  :  communiqué  par  M.  Gh. 
Bréard). 

(4)  Lettres  de  Francesco  Fonlana  et  Nap.  Lomellino.  Gênes,  2  juin  1498 
(Léon-G.  PÉLissiER,  Documents  pour  l'histoire  de  l'établissement  de  la 
domination  française  à  Gênes  (1498-1500),  dans  les  Atti  délia  Societâ 
ligure  di  storia  patria,  t.  XXIV  (1892),  p.  514-515).  —  Le  podestat  de 
San-Remo,  dans  une  lettre  du  3  mai  1499  au  doge  de  Gènes,  donne  d  in- 
téressants renseignements  sur  la  composition  de  notre  escadre  :  la  carraque 
de  Rhodes  est  commandée  par  celui  qui  l'a  vendue  au  roi,  Blanchefort  ;  il 
y  a  deux  faucons  et  une  grosse  bombarde  par  galère  ;  une  bombarde,  embar- 
quée à  bord  de  la  Ferrandine,  tire  des  boulets  de  115  livrés;  la  Rapiamus 
embarque  des  vivres  ;  la  nef  du  marquis  de  Cotrone  est  équipée  à  Toulon  ; 
la  Comtesse  et  la  Mesquine  partiront  également  {Ibidem,  p.  528). 

(5)  Je  ne  sais  à  quel  bâtiment  français  répond  ce  mot  vénitien.  Il  est  facile 
de  reconnaître,  dans  l'ordre  de  bataille  que  nous  a  conservé  Sanuto,  les 
navires  de  notre  flotte.  Ils  sont  désignés  par  leur  nom,  tandis  que  les  bâti- 
ments vénitiens  ne  sont  indiqués  que  par  le  nom  de  leur  capitaine. 


La  Louise 

Chantillv  :  Musce  Condc,  ms.   1886.} 


LA   FRANCE    EN    ORIENT-  -43 

envelopperaient  deux  à  deux  chacune  des  grosses  galéasses 
musulmanes. 

Trois  autres  divisions  chargeraient  en  même  temps  et 
sur  une  seule  ligne  la  flotte  turque  :  quatorze  vaisseaux, 
dont  la  Panthère  et  le  Lioîi  (1),  de  liené  Parent,  vicomte 
de  Rouen,  attaqueraient  les  navires  ronds.  Vingt  et  une 
galéasses  et  caravelles,  entre  autres  la  Comtesse,  la  Figue 
et  la  Michelle  de  notre  division  du  Ponant,  commandées 
par  le  capitaine  de  la  flotte  de  Barbarie,  Baxadona,  se  jet- 
teraient sur  les  galères  subtiles.  Dicdo,  capitaine  des 
galéasses  du  Trafic,  et  Prégent  de  Bidoux,  avec  deux  de 
ses  galères  provençales,  canonneraient  les  gros  vaisseaux. 
Une  réserve  de  dix  bâtiments  vénitiens  se  tiendrait  en 
soutien  de  lavant-garde,  à  une  portée  d'arbalète. 

Le  général  Grimani  et  ses  provéditeurs,  restant  prudem- 
ment en  seconde  ligne,  se  contentaient  du  poste  d'infirmiers; 
les  galères  vénitiennes  étaient  réduites  au  rôle  de  remor- 
queurs pour  les  bâtiments  hors  de  combat. 

Le  lendemain  22,  dès  que  se  prononça  notre  attaque,  les 
équipages  turcs  se  dérobèrent,  moitié  d'entre  eux  s'enfuirent 
à  lerre.  La  victoire  semblait  dès  lors  acquise.  Mais,  au  lieu 
de  charger  à  fond,  Grimani  et  ses  capitaines  n'eurent-ils 
pas  la  lâcheté  de  gagner  la  pleine  mer!  C'en  fut  assez  pour 
rendre  le  courage  aux  musulmans,  qui  prirent  une  vigou- 
reuse offensive  et,  malgré  la  perte  de  quatre  galères  et  deux 
fustes,  poussèrent  jusqu'à  la  punta  del  Papa,  le  cap  Kalo- 
gria  actuel,  à  l'entrée  du  golfe  de  Patras. 

Un  dernier  combat  se  livra  le  25  août  au  matin,  comme 
la  flotte  turque  doublait  la   pointe  du  Pape.  Au  coup  de 

(1)  L'année  suivante,  le  commandement  de  la  Panthère  ou  du  Lion 
devait  être  donné  à  Avmar  de  Vesc  (Saxuto,  t.  III,  col.  255,  269).  Et  c'est 
en  effet  sur  le  Lion  qu  Aymar  de  Vesc  fit  en  i501  la  campagne  de  Mitylènc. 
—  Le  LJon  et  la  Pensée  venaient  d'être  achetées  12000  livres  à  l'amiral 
de  Graville  par  le  Trésor.  1498  (B.  N.,  Pièces  orig.  1813,  doss.  Malet, 
p.  70  :  Franc.  26277,  p.  207). 


44  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

canon  de  Guy  de  Blanchefort,  qui  commandait  l'avant- 
garde,  la  Charente^  deux  vaisseaux  français,  le  bâtiment  de 
Polo  Calbo,  et  les  galéasses  du  patron  du  Trafic  prirent  en 
quevie  l'ennemi  et  enlevèrent  une  dizaine  de  galères  légères. 
Si  le  reste  de  la  flotte  avait  donné,  «  comme  Dieu  est 
Dieu  »,  tous  les  bâtiments  musulmans  succombaient.  Mais 
devant  l'incompréhensible  inertie  du  capitaine  général  et 
des  provéditeurs  vénitiens,  Guy  de  Blanchefort  craignit,  en 
engageant  nos  seules  forces,  de  subir  le  sort  de  Loredano 
etd'Armer  et  de  sacrifier  inutilement  les  deux  cents  cheva- 
liers qu'il  menait  au  secours  de  Rhodes.  Les  Turcs  gagnè- 
rent enfin  le  golfe  de  Patras,  où  ils  allaient  combiner  leurs 
efforts  avec  l'armée  de  terre  pour  enlever  Lépante.  Dès  le 
lendemain  du  combat,  le  grand  prieur  d'Auvergne  avait 
pris  congé  de  Grimani,  et  tiré  vers  Céphalonie,  puis  vers 
Rhodes  (1). 

Il  Vous  êtes  prudents,  disait  en  matière  de  conclusion 
Louis  XII  à  l'ambassadeur  vénitien;  vous  êtes  riches,  mais 
vous  avez  trop  peur  de  la  mort.  Nous,  nous  faisons  la  guerre 
avec  la  volonté  de  vaincre  ou  de  mourir  (2) .  " 

Prégent  de  Bidoux  en  administrait  incontincntla  preuve. 
Libre  d'agir  à  sa  guise  avec  ses  quatre  galères  et  deux  fustes 
de  Rhodes,  il  se  porta  intrépidement  sur  les  derrières  des 
Turcs,  au  milieu  de  leurs  flottilles  de  relève.  A  Volo,  au 
nord  de  Nègrepont,  on  fabriquait  des  rames  par  milliers 
pour  la  flotte  de  Daud;  la  présence  de  quatre  cents  cava- 
liers et  six  cents  fantassins  turcs  ou  albanais  donnait  aux 
ouvriers  pleine  confiance,  quand  parut  en  avril  1500  l'esca- 
drille de  Prégent.  Sous  le  feu  des  galères  qui  balayent  la 
plage,  le  pacha  et  ses  hommes  lâchent  pied  :  une  compa- 
gnie  de   débarquement   de  quatre  cents    hommes  occupe 

(1)  Lettre  d'un  Vénitien  datée  de  Zante,  2  septembre  1V99  (MALii'ii;no, 
p.  176-179.  —  Sanuto,  t.  II,  col.  1325). 

(2)  MALipiEno,  p.  183. 


LA   FRANCE   EN    ORIENT.  43 

aussitôt  l'arsenal  et  l'incendie,  sans  que  rien  puisse  échap- 
per aux  flammes.  En  retournant  à  Schyros,  Prégent  apprend 
qu'une  dizaine  de  bâtiments  commandés  par  Kara  Dormis  et 
Chablasi,  vont  assaillir  l'île.  Il  court  à  leur  rencontre,  les 
met  en  fuite,  les  force  à  s'échouer  à  Nègrepont  et  détruit 
huit  bâtiments  :  deux  autres  navires  subissent  le  même  sort 
à  Stalimène  (1). 

Cependant  le  grand  visir  Ali-Pacha  et  le  capoudan  Daud 
poursuivaient  leurs  succès  en  Grèce.  Les  forteresses  véni- 
tiennes du  sud,  Modon,  Coron,  Navarin,  succombaient  tourà 
tour  au  mois  d'août  sous  leurs  attaques  répétées.  Un  renfort 
de  mille  à  douze  cents  Normands  et  Provençaux  (2) ,  partis  le 
9  septembre  de  Gênes  sur  la  Lomellina  et  la  Bozella,  n'avait 
plus  de  raison  d'être  (3).  René  Parent,  vicomte  de  Rouen, 
ne  put  du  reste  amener  à  Zante  qu'un  des  deux  vaisseaux, 
ayant  laissé  l'autre  en  détresse  en  Sicile.  En  Parent,  le  roi 
avait  mis  sa  confiance.  Trois  ans  auparavant,  Charles  VIII 
lui  avait  décerné  une  chaîne  d'or  pour  services  rendus  en 
l'expédition  navale  de  Naples  (4).  Or,  avec  des  allures  de 
matamore,  avec  ses  serments  terribles  de  se  baigner  dans 
le  sang  des  Turcs,  Parent  ne  sut  que  se  rendre  ridicule  et 
compromettant  :  »Le  roi  d'Espagne,  disait-il,  arme  soixante- 
dix  vaisseaux  pour  se  faire  nommer  empereur  de  Constan- 
tinople;  sachez  que  mon  maître  a  la  même  ambition  ;  l'an 
prochain,  il  mandera  là-bas  autant  de  navires  que  son 
rival  (5).  »  Le  maladroit  parlait  en  présence  du  provédi- 

(1)  Lettre  de  Prégent,  29  avril  1500  (Santjto,  t.  III,  col.  448,  492). 

(2)  Six  cents  Normands  et  quatre  cents  Provençaux,  selon  Guidoti 
(Sancto,  t.  III,  col.  542.  —  Léon-G.  Pélissier,  Louis  XII  et  Ludovic 
Sforza,  t.  III,  p.  482). 

(3)  Leur  armement  avait  coûté  35  000  écus  (Archivio  di  Stato  à  Gênes, 
Diversorum  libri  (1499-1500),  12  juin-7  septembre  1500.  Sancto,  t.  III, 
col.  576,  643,  etc.)  —  A.  Spont,  Les  galères  royales  clans  la  Méditerranée 
(1496-1518),  dans  la  Revue  des  Questions  historiqties,  t.  LVIII,  p.  396. 

(4)  B.  N,,  Franc.  8310,  fol.  231  v°, 

(5)  Sa>ijto,  t.  lil,  col.  1127. 


4G  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

teur  Pesaro,  qui  avait  reçu  des  Espagnols  des  renforts 
autrement  importants  que  les  nôtres,  deux  mille  hommes. 
Résolus  de  chasser  les  musulmans  des  îles  Ioniennes,  le 
2  novembre  1500,  les  trois  chefs  d'escadre  Pesaro,  Pero 
Navarro  et  René  Parent  se  portaient  contre  le  fort  Saint- 
Georges  de  Céphalonie,  que  défendaient  trois  cents  Turcs. 
Mais  Parent,  vexé  de  ne  point  recevoir  de  solde  des  Véni- 
tiens (1),  n'attendit  pas  lissuedu  siège:  un  certificat  attes- 
tant qu'il  avait  rejoint  Pesaro  lui  suffisait,  et  il  partit.  Dans 
la  traversée  du  retour,  il  trouva  encore  le  moyen  d'aggraver 
son  cas  en  capturant,  en  vue  des  îles  Lipari,  un  navire  de 
la  République.  Sur  les  vives  remontrances  du  doge,  on  le 
punit  par  une  destitution  de  ses  emplois  (2). 

Le  pis  dans  ses  rodomontades,  c'est  qu'elles  contenaient 
une  parcelle  de  vérité  :  une  expédition  française  se  prépa- 
rait contre  Gonstantinople. 


II 


EXPEDITION    DE    MITVLENE 

De  plus  en  plus  affolée  par  les  progrès  des  Turcs  dans 
l'Adriatique,  Venise  adressait  un  pressant  appel  à  la  France, 
à  la  Papauté,  aux  nations  chrétiennes  de  l'Occident,  afin 
de  sauvegarder  les  intérêts  du  christianisme,  et  surtout  les 
siens.  Toutes,  l'Angleterre  exceptée,  promirent  le  concours 
de  leurs  flottes.  Mais  quand  il  fut  question  d'agir  de  con- 
cert, l'accord  cessa  :  et  le  sultan  Bajazet  II  put  mettre  en 
ligne  de  compte,  —  la  chose  ne  date  pas  d'aujourd'hui,  — 
les  jalousies  entre  puissances  pour  garder  ses  conquêtes. 

(1)  P.  Jovius,  De  vita  et  lebus  yestis  Goiisalui  Ferdinandi  Coidubae, 
lib.  I. 

(2)  Sa>-lïo,  t.  III,  col.  1282,  1306,  1450  :  Spont,  p.  397. 


LA   FRANCV.   EN    ORIENT.  47 

Sommé  de  s'exécuter  au  passage  de  notre  flotte  à  Reggio, 
Gonzalo  de  Cordova  répondit  avec  désinvolture  qu'il  avait 
d'autres  soucis  en  tête  que  la  croisade.  Et  si  les  Portugais 
de  Joaô  de  Meneses  poussèrent  jusqu'à  Corfou,  à  seule  fin 
de  donner  l'illusion  d'avoir  tenté  quelque  chose,  en  rivaux 
heureux  des  marchands  vénitiens,  ils  ne  cherchèrent  point 
à  relever  ceux  dont  ils  avaient  ruiné  le  commerce  par  la 
découverte  d'une  nouvelle  route  des  Indes.  Ils  poussèrent 
l'ironie  jusqu'à  prétendre  à  leurs  protégés  que  le  roi  était 
trop  pauvre  pour  risquer  sa  flotte  (l).  Quant  au  pape, 
Alexandre  Borgia  trouva  plus  urgent  de  déloger  le  sei- 
gneur de  Piombino  de  l'opulente  île  d'Elbe  que  de  faire  la 
guerre  aux  Turcs  (2). 

En  définitive,  Louis  XIIetAnne  de  Bretagne,  après  s'être 
assurés  des  sentiments  des  rois  de  Hongrie  et  de  Pologne  (3) , 
vinrent  seuls  au  secours  de  Venise.  Ils  agirent  sans  arrière- 
pensée,  ni  mesquinerie,  l'un  avec  le  sentiment  que  la  pos- 
session de  Milan  et  de  Naples  faisait  de  lui  le  protecteur  de 
l'Italie  menacée,  l'autre  avec  l'enthousiasme  d'une  Bretonne 
pour  les  idées  de  croisade.  La  duchesse  de  Bretagne  «à 
l'affaire  de  ce  voyage  n'eut  le  vouloir  amolli,  ne  la  main 
close.  i>  Et  sur  les  sept  meilleures  nefs  de  la  province, 
armées  à  ses  frais,  s'embarquèrent  son  vice-amiral  Hervé 
Garland,  le  premier  héraut  d'armes  Pierre  Choque,  promu 
historiographe  de  l'expédition,  et  Jacques  Guibé,  capitaine 
d'une  de  ses  compagnies,  auquel  elle  confia  la  magnifique 
nef  la  Cordelière.   Les  deux  Porcon,   le  grand  et  le  petit, 

(i)  Cluuin(/iies  de  Jean  d'Auto>-,  éditées  par  R.  de  Maulde  La  Clavière, 
pour  la  Société  de  l'histoire  de  France.  Paris,  1890,  in-8",  t.  II,  p.  153. — 
Samjto,  t.  IV,  col.  158,  166. 

(2)  Le  F.  A.  GuGUELMOTTi,  La  Gueira  dei  pirati  e  la  niaiina  pontificia 
clal  1500  al  1560.  Firenze,  1876,  in-8",  p.  18. 

(3)  Le  traité  d'alliance  conclu  par  Louis  XII  avee  ces  deux  rois  et  dirigé 
contre  les  Turcs  est  du  14  juillet  1500.  Il  a  été  publié  en  appendice  de 
Jean  de  Sai>ct-Gelais,  Histoire  de  Louis  XLI,  éd.  Godefroy  (1622), 
p.  231. 


48  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Jean  et  François,  commandaient  l'un  la  Charente^  l'autre 
six  vaisseaux  normands,  qui  rallièrent  à  Brest  la  division 
d'Armorique.  Parmi  les  volontaires,  soldats  sans  solde,  vrais 
croisés  résolus  à  livrer  bataille  à  la  flotte  turque  pour  le 
salut  de  leur  àme  (1),  figuraient  des  noms  illustres  dans 
nos  annales  :  René  d'Anjou,  Du  Quélénec,  Coligny,  Males- 
troit,  Boisboissel,  Meschinot,  L'Epinay,  Dinteville,  Vi- 
vonne,  Mouy,  Damas,  Grammont,  Galiot,  Castelbajac, 
Gonflans,  Cadoré,  Du  Cosquer,  Lavedan,  Chàteauvert. 
Christophe,  marquis  de  Bade,  capitaine  du  Marais,  et  un 
Stuart  s'étaient  joints  à  eux. 

Les  deux  divisions  du  Ponant  ralliaient  à  Toulon  quatre 
galères  de  Prégent  de  Bidoux,  la  Marquise  àe  Jean  d'Auzis, 
/e  Zîon  d'Aymar  de  Vesc.  Al'escale  suivante,  à  Gênes, atten- 
dait un  autre  contingent  de  quatre  nefs  et  quatre  galères, 
armées,  à  leur  corps  défendant,  par  les  citoyens  (2),  mais 
commandées  par  des  capitaines  dont  les  noms  rappelaient 
les  gloires  de  l'ancienne  République,  Grimaldi,  Fornari, 
Lomellino  et  Fieschi,  Stalliano,  Fieschi,  de  Pozzo  et  Palla- 
vicini.  De  Monaco,  Giovanni  Grimaldi  avait  envoyé  pour 
sa  quote-part  deux  galères  et  deux  cents  combattants  (3). 

Jamais  flotte  française,  que  je  sache,  n'avait  été  aussi 
bien  organisée  par  escadres  et  par  divisions.  La  division 
bretonne  de  Jacques  Guibé  et  la  division  normande  du 
Petit  Porcon  formaient  l'escadre  de  Bretagne  ou  du  Ponant, 
sous  le  commandement  du  lieutenant  général  Jacques  de 
Fouquesolles;  la  division  provençale  de  Prégent  de  Bidoux 
et  les  deux  génoises  composaient  la  seconde  escadre, 
dite  de  Gènes,  sous  les  ordres  du  lieutenant  général  Paolo 
Fregoso  (4).  De  quatorze  grands  bâtiments  comme  la  pre- 

(1)  Lettre  de  l'orateur  de  Venise.  Rlois,  16  février  1501  (Sanuto,  t.  III, 
col.  1372). 

(2)  Atti  délia  Societd  ligure,  t.  XXIV,  p.  509. 

(3)  G.  Saige,  Documents  sur  Monaco,  t.  II,  p.  30.  —  Spoxt,  p.  398. 

(4)  Fouquesolles    et   Fregoso    reçurent  leur  commission    de    lieutenants 


LA    FRANCE    KN    ORIENT.  49 

mière  (l),  l'escadre  du  Levant  avait  sur  elle  l'avantage  de 
la  vitesse  :  tous  les  navires  rapides  y  avaient  été  versés.  Le 
commandement  de  l'expédition  avait  été  confié  au  gouver- 
neur de  Gènes,  que  Louis  XII  avait  également  investi  de  la 
charge  d'amiral  du  royaume  de  Naples  et  Jérusalem,  Phi- 
lippe de  Clèves,  sire  de  Ravenstcin.  Dans  ses  pouvoirs  de 
capitaine  général  (2)  était  inscritl'ordre  formel  de  reprendre 
aux  Turcs  Lépante  et  Modon,  en  leur  livrant  bataille.  Ce 
fut  pour  Ravenstcin  l'occasion  de  méditer  sur  la  stratégie 
navale,  dont  aucun  livre  ne  résumait  les  nouveaux  prin- 
cipes, depuis  la  révolution  opérée  dans  la  tactique  par  l'em- 
ploi de  l'artillerie  (8).  Tant  le  capitaine  général  qu'un  de  ses 
officiers,  Antoine  de  Gonflans,  profitèrent  de  l'expérience 
acquise  dans  cette  campagne  pour  écrire  un  manuel  de 
stratégie;  flatterie  intelligente  pour  un  roi  qui  n'avait  pu 
oublier,  en  montant  sur  le  trône,  qu'il  était  le  vainqueur 
de  Rapallo.  Et  Louis  XII,  s'il  n'étaitpoint  »  un  très  grand 
historien  (i)  »  ,  avait  des  lettres  et  prenait  plaisir  à  s'ins- 
truire. 

Dans  l'espoir  d'être  rallié  en  cours  de  route  par  les 
autres  flottes  chrétiennes,  Ravenstcin  s'acheminait  à  pe- 
tites journées  vers  le  Levant,  en  multipliant  les  relâches. 
Il  s'attarda  jusqu'au  9  août  1501  dans  le  golfe  de  Naples  : 
à  son  passage  devant  l'île  de  Stromboli,  il  ne  résista  pas 
au  plaisir  de  faire  l'ascension  du  volcan.  Durant  quatre 
heures,   il   monta,  ayant  de  la  cendre  jusqu'aux  genoux; 

généraux  le  12  février  1501  (B.  N.,  Coll.  Clairambault,  vol.  825, 
fol.  114). 

(1)  L'escadre  dite  de  Gênes  était  de  8  galères  et  6  nefs,  l'escadre  dite  de 
Bretagne  était  de  14  grosses  nefs  (Notar  Giacomo  ,  Cronica  di  Napoli 
(—1511),  p.  243). 

(2)  B.  N.,  Franc.  5093,  fol.  283. 

(3)  Cf.  le  tome  précédent  de  cette  Histoire  (t.  II,  p.  496,  503). 

(4)  Jean  de  Sai:nct-Gel*is,  Histoire  de  Louis  XII,  roy  de  France,  père 
du  peuple,  éd.  Th.  Godefroy.  Paris,  1622,  in-4°,  p.  115  :  "  Nostre  prince, 
lequel  est  très  grand  historien...  » 


50  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

mais,  faute  de  guide,  il  dut  s'arrêter  à  mi-chemin  du  som- 
met. 11  relâcha  une  semaine  à  Reggio,  attendant  vainement 
au  rendez-vous  l'escadre  espagnole.  Le  29  septembre  enfin, 
à  son  arrivée  à  Zante,  il  eut  des  nouvelles  de  la  seule  flotte 
qui  se  fût  mise  en  mouvement  en  même  temps  que  la  nôtre. 
Pesaro,  avec  trente  galères  vénitiennes,  était  à  Gorfou  et 
envoyait  proposer  l'attaque  immédiate  de  la  forteresse  de 
la  Valona,  sur  la  côte  albanaise,  refuge  des  corsaires  turcs. 

Ravenstein  réunit  en  conseil  de  guerre  ses  principaux 
officiers  et  leur  demanda  leur  avis.  Le  capitaine  des  ga- 
lères provençales,  Prégent  de  Bidoux,  s'éleva  avec  force 
contre  tout  retour  en  arrière  :  au  lieu  de  rétrograder  sur 
Gorfou  et  de  laisser  aux  Turcs  le  temps  de  mettre  leurs  places 
en  état  de  défense,  il  fallait,  disait-il,  précipiter  l'attaque 
avant  l'hiver  déjà  proche;  de  plus,  l'escadre  que  les  cheva- 
liers de  Rhodes  assemblaient  dans  leur  île,  perdue  au  milieu 
des  possessions  musulmanes,  risquait  d'être  écrasée  par 
les  Turcs,  si  on  ne  la  ralliait  au  plus  tôt.  Mais  sur  quel 
point  porter  l'effort  d'aussi  grandes  forces  navales?  Gons- 
tantinople,  défendue  par  une  flotte  formidable,  était  hors 
de  cause.  Le  Génois  David  Stalliano  ou  Staglieno,  qui 
avait  jadis  servi  chez  les  Turcs,  indiqua  Mételin  ou  Mity- 
lène,  île  «  moult  riche,  fertile  et  prenable  " ,  excellente 
base  d'opérations  pour  attaquer  la  flotte  turque  à  la  sortie 
des  Dardanelles.  Cette  proposition  fut  adoptée  par  le  con- 
seil de  guerre  et  notifiée  à  Pesaro. 

Bien  qu'il  vînt  de  subir  un  échec  devant  cette  même 
place  de  Mételin  (1),  le  capitaine  général  des  Vénitiens, 
quittant  aussitôt  Gorfou,  se  rallia  à  nos  propositions  et  se 
mit  à  la  recherche  de  notre  flotte,  qu'il  finit  par  trouver 
dans  le  port  de  Milo.  Un  moment  repoussées  par  les  vents 
jusqu'à  la  rade  de  la  Sude,  les  deux  flottes  parvinrent  en 

(1)  Lettre  du  baile  de  Corfou,  31  juillet  (Sa>uto,  t.  IV,   col.    112,    161). 


LA    FRANGE    EN    ORIENT.  51 

vue  de  Mitylène  le  23  octobre  1501.  Pour  éviter  toute  sur- 
prise de  Tannée  navale  des  Turcs,  un  détachement  de  huit 
galères  vénitiennes  fut  envoyé  en  croisière  du  côté  des  Dar- 
danelles. Prégent  de  Bidoux,  avec  ses  quatre  galères  pro- 
vençales, fut  charge  de  préparer  l'attaque  en  explorant  les 
abords  de  la  forte  place  de  Mételin.  Il  le  fit  avec  une 
calme  intrépidité,  sous  un  feu  violent,  auquel  il  riposla 
vigoureusement. 

Mételin  était  défendue,  du  côté  du  rivage,  par  une  grosse 
tour  qui  baignait  dans  la  mer.  C'était  la  première  redoute 
à  enlever.  Le  26  octobre,  sous  le  feu  de  cette  tour,  Raven- 
stein  débarqua  trois  mille  hommes.  Français  pour  les 
deux  tiers,  avec  un  parc  de  siège  de  vingt-quatre  pièces. 
Les  Turcs,  refoulés  de  la  plage,  reculèrent  pied  à  pied 
vers  les  faubourgs,  qu'ils  furent  obligés  d'évacuer.  Un 
enseigne  d'une  compagnie  de  fantassins,  nommé  l'Enfant 
de  Paris,  se  fit  tuer  en  plantant  son  drapeau  sur  les  boule- 
vards extérieurs  de  Mételin  :  mais  sa  compagnie  restait 
maîtresse  du  terrain,  quand  les  Turcs,  sortis  secrètement 
de  la  ville  à  bord  de  leurs  brigantins,  la  prirent  à  revers  : 
et  d'une  position  dominante,  où  ils  installèrent  trois  pièces 
de  canon,  ils  désemparèrent  les  boulevards  et  les  rendirent 
intenables.  Une  autre  sortie  d'un  escadron  de  cavalerie  fut 
repoussée  par  le  marquis  de  Bade,  capitaine  du  vaisseau  le 
Marais. 

Cependant  Ravenstein  commençait  à  battre  la  grosse 
tour  du  bord  de  la  mer,  qui  gênait  beaucoup  par  son  tir 
intense  les  communications  de  la  flotte  et  de  l'armée.  Le 
Petit  Porcon  venait  d'être  emporté  par  un  boulet,  au  mo- 
ment où  il  débarquait  pour  se  rendre  près  du  capitaine 
général.  Le  Grand  Porcon,  capitaine  de  la  Charente,  brû- 
lait de  venger  son  frère  :  dès  que  la  brèche  fut  jugée  prati- 
cable, il  monta  à  l'assaut,  en  dépit  des  remontrances  ami- 
cales de  son  chef  et  du   rapport  des    »  échelleurs  » ,  qui 


52  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

avaient  pu  observer  par-dessus  les  remparts  la  force  de  la 
garnison.  Avec  une  vingtaine  de  gentilshommes,  il  parvint 
à  gagner  la  crête  des  murailles  noyées  dans  les  brumes  du 
matin,  pendant  que,  sur  sa  gauche,  Tristan  de  Lavedan 
et  cent  vingt  hommes  escaladaient  la  tour  :  «  le  chevalier 
de  Lavedan  lit  là  tel  exploit  darmes,  que  ce  futjusqucs  à 
l'épouvantement  des  Turcs.  »  Mais  il  échoua  :  le  premier  à 
l'assaut,  il  battit  en  retraite  le  dernier,  lorsque  tous  ses 
compagnons  furent  en  bas  des  échelles.  Il  était  impossible 
de  tenir  sous  la  pluie  de  soufre  et  de  poix  qui  tombait  des 
murailles,  avec  des  obus  en  cuir  remplis  de  poudre,  dont 
l'amorce  était  formée  de  charbons  ardents  dans  un  pot 
friable.  Debout  sur  un  pan  de  mur,  Jean  de  Porcon  com- 
battit jusqu'à  ce  qu'un  bloc  de  pierre  lui  eût  faussé  la 
bavière  de  son  armot  et  un  coup  de  pique  labouré  la 
gorge.  Force  était  de  battre  en  retraite  sur  toute  la  ligne. 
Le  bombardement  de  la  tour  continua  une  semaine 
entière.  Un  dialogue  engagé  en  breton  entre  un  homme 
de  Quimperlé  qui  se  trouvait  parmi  les  Turcs  et  les  ma- 
rins de  la  duchesse  Anne,  nous  apprit  la  détresse  de  la  gar- 
nison turque.  Comme  de  grands  pans  de  mvirailles  s'étaient 
écroulés  sous  nos  boulets,  Ravenstein  fit  sonner  l'assaut  : 
Jacques  de  Coligny  était  à  la  tête  de  nos  troupes,  que 
secondaient  d'autre  part  les  Vénitiens.  Il  montait  à  l'esca- 
lade, l'épée  au  poing,  quand  une  grosse  pierre,  en  l'assom- 
mant, l'envoya  rouler  dans  les  fossés.  Mais,  à  sa  place, 
Jacques  Guibé,  capitaine  de  la  Cordelière,  son  porte-en- 
seigne Guillaume  Cadoré,  et  d'autres  capitaines  de  vais- 
seau, Jean  Ghapperon,  le  marquis  de  Bade,  le  duc  d'Al- 
bany,  un  cordelier,  frère  Bernardin,  qui  portait  cuirasse 
sous  le  froc  et,  la  rapière  au  côté,  la  demi-pique  au  poing, 
bénissait  les  Croisés,  conduisaient  valeureusement  l'assaut. 
L'enseigne  de  la  Cordelière,  trouée  comme  une  loque,  fut- 
un  moment  en  danger  :  bref,  le  tir  des  Turcs  eut  une  der- 


LA    FRANCE    EN    ORIElNT.  ^3 

nière  fois  raison  de  notre  fougue,  en  mettant  hors  de 
combat  la  plus  grande  partie  de  nos  gens,  au  moment  où 
les  Vénitiens  plantaient  Fétendard  de  Saint-Marc  sur  une 
des  tours  et  le  Génois  Fieschi  sa  bannière  sur  un  second 
bastion  (1). 

La  plupart  des  soldats  étaient  blessés  ou  malades,  les 
munitions  s'épuisaient,  les  vivres  tiraient  à  leur  fin  :  l'es- 
cadre des  chevaliers  de  Rhodes,  à  laquelle  Ravenstein  avait 
donné  rendez-vous  devant  Mételin,  n'apparaissait  pas.  Ra- 
venstein se  décida  à  lever  le  siège  et,  dans  la  nuit  du  29  oc* 
tobre,  il  rembarqua  son  artillerie. 

Le  lendemain,  comme  la  flotte  allait  appareiller,  les 
galères  vénitiennes  envoyées  en  reconnaissance  du  côté 
des  Dardanelles  rapportèrent  qu'il  n'y  avait  à  craindre 
aucune  attaque  à  revers  des  Turcs.  Et  les  Vénitiens  insis- 
tèrent pour  qu'on  continuât  le  blocus  de  Mételin,  où  déjà 
la  famine  se  faisait  sentir.  Un  nouveau  débarquement  fut 
donc  résolu.  Mais  six  à  sept  cents  janissaires,  faciles  à 
reconnaître  à  leurs  blancs  turbans,  parvinrent  à  franchir 
après  une  furieuse  mêlée  le  cordon  d'investissement.  On 
ne  barra  la  route  qu'à  une  partie  d'entre  eux  :  et  c'était  un 
curieux  spectacle  de  voir  le  brave  Jacques  Guibé,  lancé  à 
leur  poursuite,  ayant  de  l'eau  jusqu'aux  aisselles,  asséner 
de  grands  coups  de  hallebarde  dans  l'eau,  car  il  avait  la 
vue  courte  et  croyait  frapper  l'ennemi. 

Il  y  eut  encore  de  hardis  coups  de  main  des  nôtres, 
mais  cela  ne  nous  avançait  pas.  Les  vivres  manquaient. 
Frère  Bernardin,  qui  avait  toujours  le  harnois  sur  le  dos, 
comme  un  soldat,  alla  enlever,  sous  les  murailles  mêmes  de 
Mételin,  un  grip  turc  chargé  de  figues  et  de  raisins  :  ce 
n'était  guère  pour  ravitailler  l'armée.  Aussi  un  suprême 
assaut  fut-il  décidé.   Il  échoua  encore.  Par  malheur,  on 

(1)  Lettre  de  Chio,  20  et  22  novembre  (Sanuxo,  t.  IV,  col.  207). 


64  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

n'avait  pas  de  nouvelles  de  la  flotte  de  Rhodes,  forte  de 
vingt-quatre  vaisseaux  et  de  quatre  mille  quatre  cents 
hommes  de  troupes  de  débarquement,  qui  devaient  nous 
aider  :  la  retraite  fut  de  nouveau  résolue,  irrévocablement 
cette  fois,  afin  d'éviter  l'attaque  à  revers  d'Hersek-Ahmed 
pacha  et  de  Sinan,  beglierbeg  d'Anatolie,  qui  accouraient 
enfin  de  Constantinople  (1). 

Ravenstein  et  Pesaro  se  séparèrent.  Lun  prit  la  route 
de  France,  l'autre  se  retira  du  côté  de  la  Grèce. 

Durant  la  relâche  à  Chio,  le  Grand  Porcon  mourut  de  ses 
blessures.  Il  fut  enterré  dans  l'église  des  Cordeliers,  à  côté 
du  célèbre  argentier  de  Charles  VII,  Jacques  Cœur,  mort  en 
exil  au  cours  d'une  Croisade  qu'il  dirigeait  contre  les  Turcs. 

Le  25  novembre,  jour  de  Sainte-Catherine,  le  vaisseau 
amiral  la  Lomellina  était  par  le  travers  de  l'île  de  Cytlière, 
l'actuel  Cérigo.  Et  l'imagination  de  ces  hommes  d'armes 
familiarisés  avec  les  souvenirs  de  l'Antiquité  évoquait  déjà 
de  riantes  images,  quand  la  tempête  éclata  avec  violence. 
Ravenstein  fit  jeter  toutes  ses  ancres;  en  un  instant,  les 
filins  se  rompirent,  les  mâts  craquèrent  et  s'abattirent  avec 
fracas,  et  le  bâtiment,  rasé  comme  un  ponton,  alla  à  la 
dérive.  Personne  n'essayait  plus  de  lutter  contre  l'oura- 
gan :  les  hommes,  fatigués  et  désespérés,  attendaient, 
inertes  sur  leurs  lits  de  camp,  la  délivrance  ou  la  mort. 

A  deux  heures  du  matin,  un  craquement  épouvantable 
retentit  à  l'avant;  le  château  de  proue  s'écroulait  dans  la 
mer.  La  Lomellina  venait  de  toucher  sur  les  écueils  de 
Cythère.  Ravenstein  et  les  gentilshommes,  logés  comme  il 
était  d'usage  à  l'arrière  et  aux  étages  supérieurs,  parvin- 
rent à  s'accrocher  à  un  rocher  qu'ils  apercevaient  au  clair 
de  la  lune.  Des  six  cents  hommes  qui  étaient  à  bord,  il  s'en 
sauva  ainsi  deux  cents;  les  autres  périrent. 

1)  De  Hammeh,  Histoire  de  l'empire  ottoman,  t.  I,  p.  382. 


LA    FRAINCE    EN    ORIENT.  55 

Les  naufragés,  parmi  lesquels  on  comptait  le  capitaine 
général  de  la  flotte,  l'infant  de  Foix,  le  duc  d'Albany, 
Mouy,  Vivonne  et  d'autres  gentilshommes  de  grandes  mai- 
sons, s'étaient  sauves  en  chemise,  par  une  nuit  glaciale 
d'hiver.  «  Ils  passèrent  illec,  dit  le  chroniqueur  Jean  d'i\.u- 
ton,  toutes  les  heures  de  cette  froide  nuitée,  sans  avoir  sur 
eux  autre  couverture  que  le  manteau  des  obscures  nues.  " 

Cythère  ne  méritait  en  rien  le  renom  d'hospitalité  exces- 
sive que  l'Antiquité  lui  avait  donné.  «  Durs,  rudes, 
agrestes  et  malsains,  »  selon  l'expression  de  notre  chro- 
niqueur, ses  insulaires  se  montrèrent  inhumains  pour  les 
naufragés,  qu'ils  laissèrent  «  abandonnés  à  tous  les  heurts 
de  perverse  fortune  »  . 

A  l'aube,  un  grand  vaisseau  parut  en  vue,  luttant  contre 
(i  les  cinglots  des  ondes  enflées  de  la  mer  " .  C'était  la 
Pensée,  qui  arrivait  avec  sept  cents  hommes  à  bord,  parmi 
lesquels  de  nombreux  chevaliers  flamands.  Elle  approchait 
de  la  côte  :  elle  n'était  plus  qu'à  un  jet  de  pierre  de  l'en- 
droit où  le  vaisseau  amiral  avait  sombré.  Tout  à  coup,  au 
moment  où  le  soleil  jetait  ses  premiers  rayons  comme  pour 
éclairer  ce  sinistre  spectacle,  la  Pensée,  soulevée  par 
d'énormes  vagues,  retomba  éventrée  contre  un  écueil  et 
coula  immédiatement  sous  les  yeux  terrifiés  des  naufragés 
de  la  Lomellina .  On  ne  put  lui  porter  aucun  secours  :  elle 
périt  corps  et  biens;  il  n'échappa  que  deux  hommes,  que 
les  vagues  rejetèrent  évanouis  sur  la  plage. 

Pendant  vingt  et  un  jours,  Ravenstein  et  les  siens  errè- 
rent dans  l'île  de  Cythère,  sans  vêtements  et  sans  vivres, 
mendiant  de  porte  en  porte,  mais  impitoyablement  re- 
poussés de  Cérigo  et  des  autres  villes.  Plusieurs  d'entre 
eux  moururent  de  froid  et  de  faim,  Aimon  de  Vivonne 
pour  n'en  citer  qu'un.  Enfin  une  galère  vénitienne  vint  à 
toucher  par  hasard  à  Cythère.  Le  patron,  messer  Paolo 
Galbo ,    homme   compatissant    autant  que   brave  —  il  en 


56  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

avait  donné  des  preuves  à  la  bataille  navale  de  1499,  — 
débarqua  cent  soldats  et  obligea  les  insulaires  à  héberger 
les  malheureux  naufragés.  Puis  il  alla  prévenir  à  Milo la 
division  génoise,  qui  dépécha  trois  galères  au  secours  du 
capitaine  général  et  des  siens.  Le  reste  de  la  traversée  n'eut 
heureusement  pas  de  ces  tragiques  péripéties. 


III 

SIÈGE    DU    PORT    SANTA-MAURA 

Contre  le  départ  de  la  flotte  française,  dont  ils  se  faisaient 
une  excuse  pour  pallier  leur  échec,  les  Vénitiens  ne  taris- 
saient pas  en  imprécations.  Louis  Xll  ne  les  calma  qu'en 
envoyant  Prégent  de  Bidoux,  avec  quatre  galères  et  deux 
brigantins,  relever  l'honneur  du  drapeau.  Dans  le  golfe  de 
Salonique,  au  mont  Athos,  le  long  des  côtes  de  Nègrepont, 
notre  pavillon  flotta  fièrement  auprès  de  l'étendard  de 
Saint-Marc.  Et  malgré  la  faiblesse  de  ses  effectifs  —  à 
peine  le  douzième  de  la  flotte  coalisée  de  Venise  et  du 
Saint-Siège,  —  Prégent  de  Bidoux  prit  une  part  prépondé- 
rante à  l'événement  saillant  de  la  campagne  de  1502.  En 
août,  le  fort  de  Santa-Maura,  dans  l'ilc  Leucade,  repaire 
de  pirates  turcs  et  poste  avancé  dans  l'Adriatique,  qui 
commandait  1  entrée  du  golfe  d'Arta,  était  brusquement 
investi  par  la  flotte  chrétienne  (l). 

L'escadre  pontificale  de  Giacopo  Pesaro,  en  s  engageant 
dans  le  canal  qui  sépare  l'ile  du  continent,  et  l'escadre 
franco-vénitienne  de  Benedetto  Pesaro  et  de  Bidoux,  venue 

(1)  Saxcto,  t  IV,  col.  307,  314,  318.  —  Jean  d'Auton,  t.  II,  p.  201. 
—  De  Hajimer,  Histoire  de  l'empire  ottoman,  t.  I,  p.  382.  —  Lettre  de 
Giacopo  Pesaro.  De  1  ile  Santa  Maura,  sur  la  capitanc  du  pape,  15  sep- 
tembre 1502  (A.  GrcLlELMOTTi,  La  guerra  dei  pirati  e  la  marina  pontiji- 
cia,  t.  I,  p.  43). 


La  France  en  orient.  57 

par  la  haute  mer,  avaient  exécuté  contre  la  place  un  vaste 
mouvement  convergent.  Douze  bâtiments  des  pirates 
avaient  été  surpris  et  capturés  par  la  division  pontificale, 
dont  la  mission  était  également  d'intercepter  les  secours 
venus  du  continent.  Quatre  de  ses  galères  sur  douze  tinrent 
en  échec  par  leurs  salves  les  troupes  des  sandjakbegs  de 
Janina,  Argiro-Castro  et  Lépante,  tandis  que  les  autres 
débarquaient  un  millier  d'hommes  au  sud  de  la  place.  Les 
Franco-Vénitiens,  en  même  temps,  prononçaient  leur 
attaque  par  le  nord  avec  de  grosses  pièces  de  siège.  Malgré 
la  force  de  leur  position,  malgré  les  cinq  énormes  tours 
qui  flanquaient  l'enceinte  du  château,  les  janissaires  et 
les  asapes  de  la  garnison,  soit  cinq  cents  soldats,  sans 
compter  les  pirates,  furent  promptement  réduits  à  la  der- 
nière extrémité.  Et  le  30  août,  au  lever  du  soleil,  ils  ne 
purent  résister  aux  colonnes  d'assaut.  Les  asapes  se  firent 
tous  tuer;  les  janissaires  demandèrent  grâce,  et  les  pirates 
furent  pendus  aux  créneaux. 

l*ostés  à  une  portée  de  canon  de  la  place,  les  renforts 
venus  d'Epire  allaient  nous  surprendre  durant  le  sac  de  la 
ville,  et  les  vainqueurs,  de  1  aveu  du  général  vénitien,  cou- 
raient un  grand  danger,  quand  Prégent  de  Bidoux,  «  le 
magnifique  capitaine  "  ,  seul  de  tous  les  commandants,  eut 
assez  d'autorité  pour  rallier  ses  hommes  et  les  maintenir 
en  bataille  sur  les  remparts.  Et  la  République  prouva 
quelle  estime  elle  avait  pour  lui  en  lui  offrant  le  comman- 
dement de  vingt  galères  avec  une  grosse  pension.  La 
réponse  de  Prégent  fut  aussi  belle  que  l'étaient  ses  exploits  : 
(i  Je  suis  au  roi  de  France,  dit-il;  et  jamais,  tant  qu'il  aura 
mes  services  à  gré,  autre  maître  n'aura  ma  foi.  »  Le  sur- 
lendemain de  la  victoire,  il  partait,  à  l'annonce  que  la 
guerre  était  engagée  avec  l'Espagne,  afin  de  rallier  le  dra- 
peau. 

Ce  fut  la  dernière  fois  que  les  Vénitiens  combattirent  à 


58  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

nos  côtés  contre  l'Islam.  Le  souci  de  leurs  intérêts,  qui 
les  avait  rapprochés  de  nous,  opéra  chez  eux  une  évolution 
contraire.  Menacés  de  ruine  depuis  que  le  voyage  de  Gania 
aux  Indes  déplaçait  Taxe  commercial  du  monde,  ils  lièrent 
partie  avec  le  sultan,  lésé  lui  aussi  par  les  navigations  por- 
tugaises, qui  dérivaient  hors  de  ses  Etats  le  transit  des 
épices.  Depuis  longtemps,  on  envisageait  à  Venise  une 
solution  de  nature  à  satisfaire  la  République  comme  la 
Porte  :  un  émissaire  secret,  Teldi,  reçut  mission,  en  1504, 
de  l'exposer  au  sultan,  quand  la  République,  effrayée  sans 
doute  d'être  à  la  merci  des  Turcs,  révoqua  ses  instructions. 
Cette  solution  n'était  autre  que  le  percement  de  l'isthme 
de  Suez  (1). 

Or,  de  l'isthme  de  Suez  et  des  pays  limitrophes,  nous 
songeâmes  à  nous  emparer,  sous  le  couvert  d'une  Croisade. 
Par  des  démarches  répétées  près  du  roi  et  du  légat,  notre 
consul  d'Alexandrie  essayait  de  provoquer  l'envoi  d'une 
expédition  en  Svrie  (2)  :  et  il  fut  écouté.  Un  gentilhomme 
français  qui  avait  voyagé  en  Turquie  et  visité  le  Saint- 
Sépulcre,  Charles  de  Tocque  de  La  Motte,  fut  dépéché 
vers  le  roi  d'Ecosse,  afin  d'obtenir  son  concours.  Jacques  IV 
entra  si  bien  dans  nos  vues  qu'il  offrit  de  participer  lui- 
même  à  l'expédition  comme  lieutenant  du  roi  de  France  (3). 

Voici  ce  qui  avait  motivé  l'émotion  de  notre  consul 
d'Alexandrie,  comme  aussi  de  notre  consul  de  Terre-Sainte, 


(1)  ManfroxI,  Storîa  délia  marina  italiana  dalla  caduta  di  Costantîno- 
poli  alla  hattarjlia  di  Lepanto^  p.   144. 

(2)  Dès  1501,  Ferdinand  le  Catholique  avait  envoyé  en  Egypte  l'iiuma- 
niste  Pierre  Martyr,  afin  d'observer  l'état  des  choses  en  Orient  et  de  négo- 
cier un  accord  avec  le  sultan  menacé  par  les  Turcs  (MAniKJOL,  Pierre  Mar- 
tyr d'Aiighcra.  Paris,  1888,  in-8°,  p.  48). 

(3)  Instructions  originales,  signées  de  Jacques  IV,  à  "  Robert  Cokbournc, 
postule  de  Rossetausmonier  de  nosti'e  très  chier  frère  et  cousin  »  Louis  XII. 
Edimbourg,  15  octobre  (B.  N.,  Franc.  2933,  fol.  237).  —  C'est  en  1508 
que  Robert  Cockburn  postula  l'évêché  de  Ross,  vacant  depuis  l'année  pré- 
cédente. 


LA   FRANCE    EN    ORIENT.  59 

Philippe  de  Parées  :  irrité  du  désastre  que  les  chevaliers 
de  Rhodes  avaient  fait  subir  à  sa  flotte  dans  le  port  de 
Jaffa  le  21  août  1510,  le  Soudan  Kansou  Al-Gouri  avait 
incarcéré  tous  les  marchands  chrétiens  d'Egypte  et  de 
Svric  et  mandé  de  démolir  le  Saint-Sépulcre.  Mais  l'éner- 
gique attitude  de  notre  consul,  Philippe  de  Parées,  amena 
Al-Gouri  à  résipiscence  :  religieux  et  marchands  furent 
relâchés,  le  gouvernement  du  Saint-Sépulcre  donné  au  roi 
de  France,  et  au  lieu  d'une  flotte  de  guerre,  ce  fut  une 
pacifique  ambassade  que  Louis  XII  envoya  en  Egypte 
l'an  1511  (1).  Elle  était  conduite  par  le  frère  même  du 
consul,  Pierre  de  Parées  ou  de  Pcretz,  capitaine  de  la  nef 
aniirale  de  La  Trémoille,  Catherine.  Aux  diplomates,  André 
Le  Roy,  Gaspard  d'Estaing,  François  de  Bonjean,  s'étaient 
joints  des  pèlerins,  des  marchands,  en  tout,  avec  l'équi- 
page, deux  cent  cinquante  personnes.  Et  l'on  se  fera  une 
idée  de  l'intérêt  alors  porté  aux  affaires  d'Orient,  par  ce 
fait  qu'un  des  voyageurs,  frère  Jean  Thenaud,  avait  ordre 
de  pousser  jusqu'en  Perse,  jusqu'aux  Indes.  Il  tenait  sa 
mission  de  François  d'Angouléme,  l'héritier  présomptif  du 
trône  f2') . 


(1)  Jean  Le  Maire  de  Belges,  Le  tr aidé  de  la  différence  des  schismes  et 
des  conciles  de  l'Eqlise...  et  le  sauf  conduit  que  le  souldan  baille  aux  Fian- 
çoys  pour  fréquenter  en  la  terre  saincte.  Paris,  1548,  in-'*";  publié  à  la 
suite  de  ses  Illustrations  de  Gaulle,  cahier  eee  ini. 

f2)  Le  voyage  d'Outremer  de  Jean  Thenaud,  gardien  du  couvent  des 
Cordeliers  d'Angouléme,  publié  par  Ch.  Schefer.  Paris,  Leroux,  J88V, 
in-S",  p.  LxvHi,  LXix,  6,  20. 


EXPEDITIONS   D'ITALIE 


I 

CAMPAGNE    DE   NAPLES 

A  leurs  compétitions  pour  la  couronne  de  Naples, 
Louis  XII  et  Ferdinand  le  Catholique  avaient  cru  mettre 
un  terme  par  un  partage  secret,  dont  le  roi  Frédéric  faisait 
les  frais.  L'un  prenait  l'Abruzze  et  le  Labour,  avec  le  titre 
de  roi  de  Naples  et  de  Jérusalem  ;  Ferdinand  le  Catholique 
se  contentait  du  sud  de  la  péninsule  (1).  La  victime  ne 
s'avisa  de  son  malheur  qu'à  l'arrivée  des  troupes  d'occupa- 
tion françaises  et  espagnoles  :  Béraud  Stuart  d'Aubigny 
avançait  à  marches  forcées  par  le  nord,  tandis  que  Gonzalo 
de  Cordova  débarquait  à  Messine  (2).  En  vain,  le  roi  Fré- 
déric, affolé,  ht-il  prêter  serment  de  fidélité  à  ses  sujets  : 
le  4  août  1501,  Naples  ouvrait  ses  portes  aux  troupes  fran- 
çaises :  la  veille,  Frédéric  s  était  retiré  avec  sept  galères  à 
Ischia,  tandis  que  la  reine  Jeanne  emmenait  le  reste  de  la 
flotte  à  Palerme  (3) . 

(1)  Traité  secret  de  Grenade,  11  novembre  1500. 

(2)  Le  18  juillet  1501  avec  une  soixantaine  de  bâtiments  et  quatre  mille 
liommes  de  troupes  (Cesareo  Ferkandez  DuRO,  Armada  espafiola,  t.  I,  p.  32, 
note  1). 

(3)  NoTAR  GiAcOMO,  Cvonica  di  Napoli  ( —  1511),  p.  242. 


EXPÉDITIONS    D'ITALIE.  61 

Les  Napolitains,  fort  heureusement  pour  eux,  avaient 
stipulé  dans  l'acte  de  reddition  de  leur  ville  que  les  per- 
sonnes comme  les  biens  seraient  respectés.  Quelques  jours 
plus  tard,  ce  n'eût  plus  été  possible.  Le  6  août,  la  première 
escadre  de  l'amiral  des  royaumes  de  Naples  et  Jérusalem, 
en  route  pour  le  Levant,  alignait  dans  le  port  huit  galères 
et  six  vaisseaux  génois;  cinq  jours  après,  elle  était  rejointe 
par  l'escadre  de  Bretagne,  formée  de  quatorze  gros  bâti- 
ments. Les  troupes  de  débarquement,  parties  avec  l'espoir 
de  mettre  à  sac  la  capitale,  ne  pouvaient  se  résigner  à 
observer  les  termes  de  la  capitulation  conclue  avec  Stuart 
d'Aubigny.  Il  fallut,  pour  les  contenir,  que  d'Aubigny  les 
menaçât  de  mettre  ses  soldats  en  bataille  et  de  restituer 
aux  Napolitains  leurs  bastions  (1).  L'amiral  Ravenstcin, 
d'autre  part,  était  furieux  de  l'armistice  de  six  mois  con- 
senti par  son  collègue  au  roi  Frédéric.  Le  roi  de  Naples 
eût  ainsi  trouvé  le  temps  de  se  fortifier  dans  l'île  d'Ischia 
et  de  correspondre  avec  les  places  de  son  parti  (2).  Pour  y 
parer,  on  décida  que  Frédéric  irait  immédiatement  s'en- 
tendre avec  Louis  XII;  et  le  6  septembre,  escorté  de  huit 
navires  rapides,  il  quittait  Ischia  à  destination  de  Mar- 
seille (3).  Ravenstein  avait  déjà  repris  la  route  de  Mételin. 

Ce  fut  au  retour  seulement  de  l'expédition  contre  les  Turcs 
qu'il  fut  possible  d'organiser,  sous  le  commandement  du 
capitaine  général  Louis  de  Bigars  de  la  Londe  (4)  et  des 
lieutenants  généraux  Antoine  de  Marlay  et  Antoine  de  Con- 
flans  (5),  une  escadre  (6)  en  état  de  se  mesurer  avec  la  flotte 


(1)  NOTAR  GlACOMO,   p.    243. 

(2)  Instruction  de  Louis  XII  à  ses  lieutenants  à  Naples.  8  août  1501 
(A.  M.  DE  BoisLiSLE,  Histoire  de  la  maison  de  JSicolaj.  Nogent-le-Rotrou, 
1875,  in-4°,  t.  I,  p.  40). 

(3)  Avec  six  galères  et  deux  fustes  (Notar  Giacomo,  p.  242). 

(4)  Nommé  le  2  avril  1502. 

(5)  Nommés  les  22  mai  et  4  juin  1502  (B.  N.,  Clairambault  825,  fol.  114). 

(6)  6  carraques  génoises,  7  navires,  3  fustes,  5  barques,  1  galiote,  6  bri- 


62  HISTOIRE   DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

espagnole.  Les  dix  navires  de  l'avant-garde,  battant  pavil- 
lon français  et  napolitain,  entrèrent  dans  le  port  de  Naples 
le  4  août  1502  (l).  Ils  venaient  de  Marseille,  précédant  de 
beaucoup  le  gros  de  la  flotte  qui  s'équipait  à  Gènes. 

L'accord  avait  cessé  de  régner  entre  les  co-partageants 
du  royaume  de  Naples,  dès  qu'il  s'était  agi  de  délimiter 
leurs  territoires  respectifs  en  Capitanate.  Nommé  vice-roi 
de  Naples,  Louis  d'Armagnac,  duc  de  Nemours,  venait  de 
lancer  deux  colonnes  d'invasion  dans  les  provinces  espa- 
gnoles, en  Galabre  et  en  Fouille.  Bigars  devait  appuyer  la 
seconde  armée,  en  combinant  ses  efforts  avec  ceux  de 
Jacques  de  Ghabannes  contre  Barletta.  Il  quitta  Naples  le 
23  septembre  1502,  enleva  près  d'Ischia  cinq  bâtiments 
espagnols  chargés  d'artillerie  et  de  munitions,  mais  ne  put 
franchir  le  phare  de  Messine  :  Bernard  de  Villamarin  et 
Juan  de  Lezcano  lui  barraient  la  route  avec  des  forces 
supérieures.  De  Gênes  lui  furent  expédiés,  comme  ren- 
forts, la  Charente,  la  Cordelière,  la  Louise,  le  Clermont,  avec 
l'ordre  exprès  de  se  porter  en  toute  hâte  au  secours  de 
Prégent  (2).  a  Vieux  brave  adventurier  "  ou,  comme  nous 
disons  aujourd'hui,  soldat  de  fortune,  Bigars  n'était  guère 
préparé  par  le  commandement  de  deux  mille  fantassins 
normands  à  livrer  une  bataille  navale  (3).  Gêné  par  l'insu- 
bordination des  capitaines  des  cinq  galères  napolitaines,  il 
laissa  écraser  son  camarade. 

Depuis  son  haut  fait  à  Santa  Maura,  Prégent  de  Bidoux 
était  resté  dans  l'Adriatique,  comptant  trouver  asile  à  Brin- 
disi,  Otrante  ou  Monopoli,  dont  les  Vénitiens,  ses  obligés, 


gantins,  tl  galères  (Extrait  du  compte  d'André  Le  Roy,  trésorier  au  royaume 
de  Naples  :  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  183). 

(1)  NoïAR  GiACOMO,  p.  246  :  il  y  avait  5  galères  et  5  voiliers. 

(2)  Jean  d'Auton,  t.  III,  p.  62. 

(3)  Cf.  la  notice  consacrée  par  R.  de  Maulde  La  Cl-WIÈre  à  Bigars  dans 
son  édition  des  Chroniques  de  Louis  XII,  par  Jean  d'Alton,  t.  I,  p.  59, 
note  3. 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  6S 

étaient  détenteurs.  Détournant  des  Infidèles  ses  coups, 
il  tombait  sur  les  convois  espagnols  des  Fouilles,  coulait 
une  nef,  en  prenait  deux  autres  et  ne  relâchait  à  Otrante, 
le  10  février  1503,  que  pour  radouber  une  de  ses  galères  et 
panser  une  blessure.  Six  jours  après,  il  était  cerné  par 
quatre  galères  et  plusieurs  bâtiments  légers.  «  Suis-je  en 
sûreté  dans  votre  port?  demanda  Prégent  au  gouverneur 
Fantino  Malipiero.  —  En  aussi  bonne  sûreté  qu'à  Mar- 
seille :  si  les  Espagnols  embouquent  le  port,  je  les  coule  à 
fond.  Il  Nonobstant,  Lezcano  avançait  toujours.  <i  Laissez- 
moi  me  défendre,  "  répétait  Prégent  au  gouverneur,  qui 
lui  interdit,  sous  peine  de  mort,  de  tirer.  Sur  ce,  les  Espa- 
gnols forcèrent  la  passe,  en  dépit  de  la  chaîne  qui  la  bar- 
rait. Prégent,  débarquant  précipitamment  son  artillerie, 
coula  lui-même  ses  galères,  plutôt  que  d'amener  son  pavil- 
lon :  puis  il  se  retira  dans  la  place  française  de  Lecce. 
Savez-vous  comme  les  Vénitiens,  après  avoir  si  mal  défendu 
les  franchises  de  leurs  eaux  territoriales,  montrèrent  leur 
reconnaissance  au  héros  de  Santa-Maura?  Malipiero  s'ap- 
propria la  vaisselle  d'argent  dont  on  usait,  de  la  poupe  à 
la  proue,  sur  la  capitane  française! 

Nos  désastres  se  succédèrent  avec  une  rapidité  fou- 
droyante. Jacques  de  Chabannes,  plus  connu  sous  le  nom 
de  La  Palisse,  se  laissait  enlever  par  Gonzalo  de  Cordova. 
Son  successeur  à  la  tête  de  l'armée  de  Pouille,  le  vice-roi 
en  personne,  était  écrasé  et  tué  à  Cérignoles  le  28  avril. 
La  semaine  précédente,  l'armée  de  Calabre  avait  éprouvé 
une  semblable  débâcle  à  Seminara;  son  général,  Béraud 
Stuart  d'Aubigny,  capitulait  à  la  Rocca  d'Angitola.  Nos 
troupes  n'avaient  plus  de  chefs,  et  le  vainqueur  précipitait 
sa  marche  vers  la  capitale.  Le  16  mai,  il  faisait  son  entrée 
à  Naples,  au  mépris  des  garnisons  françaises  du  Castel 
Nuovo  et  du  château  de  l'OEuf. 

L'avant-veille,  les  cinq  galères  et  les  onze  vaisseaux  de 


64  HISTOIRE    DE  LA    MARINE    FRANÇAISE. 

garde,  et  parmi  eux  les  splendides  nefs  royales  Charente  et 
Cordelière,  avaient  pris  le  large  (1),  afin  de  conserver  toute 
liberté  d'allures.  Les  galères  parvinrent,  dans  la  nuit  du 
21  mai,  à  capturer  deux  vaisseaux  près  du  Carminé  et  à 
donner,  en  guise  de  renforts  à  nos  deux  petites  garnisons, 
des  Turcs  capturés  jadis  par  Prégent  de  Bidoux  (2).  Quel- 
ques jours  plus  tard  (3),  la  coopération  de  la  flotte  avec  la 
défense  du  Gastel  Nuovo  devenait  impossible  :  vingt-sept 
bâtiments  de  guerre  espagnols  s'embossaient  dans  le  port. 
L'un  des  chefs  de  notre  escadre,  Antoine  de  Conflans,  était 
allé  en  hâte  aviser  Louis  XII  de  l'extrême  gravité  de  la 
situation. 

Sans  perdre  un  instant,  le  nouveau  vice-roi  de  Naples, 
François  de  Saluées,  partit  à  la  tète  de  ses  quatorze  galères 
marseillaises  et  de  huit  carraques  et  galéasses,  dont  Pré- 
gent de  Bidoux  venait  de  prendre  à  Gènes  le  commande- 
ment (4).  Le  17  juin,  il  bousculait  dans  le  golfe  de  Naples 
la  flotte  de  Villamarin,  délivrait  à  bord  de  ses  prises  cent 
cinquante  soldats  de  Stuart  d'Aubigny  et  refoulait  sur 
Ischia  les  trente-six  bâtiments  espagnols.  Hélas!  il  n'était 
plus  temps  de  sauver  le  Castel  Nuovo.  Le  jour  même  où 
ses  défenseurs  avaient  vu  poindre  à  l'horizon  la  flotte  de 
secours,  le  14  juin  (5),  les  remparts,  minés  par  Navarro, 
s'étaient  écroulés,  et  les  cinq  cents  hommes  de  Guérin  de 
Talleyrand  avaient  été  impuissants  à  repousser  l'assaut. 

Quant  au  commandant  de  notre  dernière  redoute  à 
Naples,   qu'on    avait    soupçonné    d'entretenir   des    intelli- 


(1)  NOTAR  GlACOMO,  p.  253. 

(2)  Clirouica   auoninia   (1495-i519),    dans    Pei.liccia,    Raccolta  ili  varie 
cronichc...  di  ISapoH,  t.  I,  p.  278.  — Jean  d'Alton,  t.  III,  p.  181. 

(3)  26  mai  (NoTAR  Gi.\como,  p.  254). 

(4)  Compte  de  Rousselet  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  183).  —  Piuffi,  His- 
toire de  Marseille,  t.  II,  p.  347. 

(5)  Chronica  rt)?o;n»irt,  dans  Pellioia,  t.  I,  p.  278.  —  Giticiiardix,  liv.  VI. 
—  ZcniTiVj  Anales  de  la  corona  d'Aragon,  liv.  VI,  cap.  34. 


EXPEDITIONS    D'ITALIE. 


gences  avec  l'ennemi,  il  avait  vivement  répliqué  à  Prégent 
de  Bidoux  :  «  Qui  entrera  dans  le  château  de  TOEuf,  me 
passera  sur  le  ventre.  "  Et  de  fait,  le  capitaine  Raymonet 
Pons  mourut  sur  la  brèche  le  11  juillet,  au  moment  où  les 
Espagnols  pénétraient  dans  le  château  de  l'OEuf. 

Pero  Navarro,  dont  les  terribles  explosions  de  mines 
avaient  eu  raison  de  notre  résistance,  faillit  faire  coup 
double.  Une  heure  après  la  reddition  de  la  place,  apparurent 
dans  les  ténèbres  un  grand  vaisseau,  deux  galères  et  un  bri- 
gantin  :  c'était  une  division  française  qui  amenait  de  Gaète 
des  renforts.  Navarro  espéra  lui  donner  le  change  en  con- 
trefaisant notre  signal  d'accoster.  Mais  nos  marins  se  tinrent 
prudemment  sur  leurs  gardes  et,  la  situation  reconnue  par 
leur  brigantin,  se  retirèrent  vers  le  Pausilippe  (1). 

Pendant  ce  temps,  se  livrait,  à  Ischia,  un  duel  émouvant 


c^-/ 


ISCHIA,  d'après  V Itinéraire  de  Jérôme  Maurand  (1544). 


dont  l'issue  pouvait  être  la  ruine  de  la  domination  ennemie. 
Bigars,  Saluées  et  Bidoux  tenaient  leurs  adversaires  acculés 
dans  le  port  d'Ischia  (2).  Villamarin  avait  rangé  ses  trente- 
six  bâtiments  derrière  deux  chaînes  qui  barraientle  chenal  ; 

(i)  NOTAR  GlACOMO,   p.  258. 

(2)  Lettre  de  François  de  Saluées.    Devant  Ischia,  18  juin  (B.  N.,  Dupuy 
261,  fol.  119  :  DE  BoisLiSLK,  Histoirede  la  maison  de  Nicolay,t.  I,  p.  66). 


66  HISTOIRE    DE   LA   MARINE   FRANÇAISE. 

et  contre  le  tir  plongeant  de  la  Charente  et  de  la  Lomellina 
que  montait  Bidoux,  Tartillerie  de  quatre  grosses  nefs  joi- 
gnait ses  feux  à  ceux  du  chàteau-fort  bâti  sur  un  ilôt 
rocheux  à  peu  de  distance  de  la  plage.  Villamarin  avait  un 
adversaire  digne  de  lui.  Prégent  avait  concerté  avec  son 
chef  un  plan  d'attaque  qui  consistait  à  lancer  au  milieu  de 
la  flotte  espagnole  trois  brûlots.  Toutefois,  l'idée  d'une 
pareille  destruction  le  navrait.  Hâtez  donc  le  départ  des 
quatre  mille  Gascons  qui  doivent  s'embarquer  en  Langue- 
doc, écrivait-il;  une  semaine  après  leur  arrivée,  la  flotte 
ennemie  sera  nôtre  (1).  Il  avait  lâché  la  proie  pourrombrc... 
Nos  dernières  forces  navales  se  hâtaient  vers  Ischia  :  six 
navires  marseillais  ralliaient  â  Fréjus,  le  18  juillet,  pareil 
nombre  de  bâtiments,  emportant  les  deu.x  mille  hommes 
de  Nicolas  Grimaldi,  seigneur  d'Antibes,  de  Pierre  de 
Glandèves  et  d'Ange  de  Buon.  Le  lendemain,  l'escadre 
d'Aigues-Mortes,  dont  trois  carraques  formaient  le  novau, 
prenait  également  la  route  de  1  est  (2),  avec  les  Gascons  de 
Casenove,  tant  demandés  par  Bidoux,  leur  compatriote. 
Pierre  de  Velort,  sieur  de  la  Ghapelle-Belouin,  était  à  la 
tète  des  Languedociens  (3);  le  lieutenant  général  Antoine 
de  Marlay  commandait  1  escadre  provençale  (4). 

Tous  arrivèrent  trop  lard.  Le  IG  juillet,  Bigars,  Saluées 
et  Bidoux,  perdant  avec  le  château  de  l'OEuf  tout  point 
d'appui,  avaient  levé  le  blocus  d'Ischia  et  s  étaient  repli('s 
sur  Gaète  (5),  où  les  débris  du  corps  expéditionnaire,  deux 

(1)  Lettre  de  Bidoux.  A  hord  de  l<i  Lomelliiie,  devant  Ischia,  21  juin 
(de  Boislislk,  t.  I,  p.  68). 

(2)  Histoire  journalière  d  Honoré  dk  Valdelle,  en  provençal,  B.  A., 
Frani;.  5072,  fol.  8.  —  Rl'ffi.  Ilist.  île  Marseille,  t.  Il,  p.  347. —  CI.,  sur 
les  capitaines,  B.  N.,  Franc.  5093.  fol.  106  et  245. 

(3)  Jean  d'Auton,  t.  III,  p.  185,  193. 

(4)  Qui  comprenait  en  tout  13  navires,  3  fustes,  2  caravelles,  4  briyan- 
tins,  3  galions  (Compte  de  Rousseiet,  B.  N  ,  Franc.  17329,  fol.  183). 

(5)  NoTAR  GiACOMO,  p.  259.  —  Chronica  anonima  (1495-1519),  dans 
Pellicia,  t.  I,  p.  279. 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  67 

mille  trois  cents  hommes,  avaient  trouvé  refuge.  Villama- 
rin  par  mer,  Gonzalo  de  Cordova  par  terre  nous  suivaient 
<le  près.  Le  grand  capitaine,  comme  on  appelait  le  vice-roi 
espagnol,  s'aperçut  vite  (l)  que  ses  forces  navales  n'étaient 
pas  en  état  de  bloquer  le  port  (2);  il  obtint  comme  renfort 
six  galères  catalanes  de  Ramon  de  Cardona  (3). 

Aux  divisions  navales  de  Villamarin,  de  Lezcano  et  de 
Cardona,  les  chefs  d'escadre  Bigars  de  la  Londe  et  Pierre 
de  Yelort,  mouillés  à  deux  milles  au  large,  furent  chargés 
de  tenir  tête.  Une  réserve  de  cinq  galères  et  huit  carraques, 
entre  autres  la  Charente,  la  Cordelière  et  le  Lion,  restait 
embossée  dans  le  port  de  Gaète  sous  les  ordres  de  Prégent 
de  Bidoux.  Croisant  les  feux  de  trente  pièces  de  canon  avec 
le  tir  des  batteries  du  Monte-Orlando,  elle  enfilait  les  tran- 
chées espagnoles  établies  au  pied  de  la  colline.  Et  quand 
Gonzalo  de  Cordova,  après  neuf  jours  d'un  bombardement 
sans  trêve  ni  répit,  crut  pouvoir  lancer  ses  troupes  à  l'as- 
saut par  une  brèche  énorme,  notre  batterie  navale  et  celles 
du  Monte-Orlando,  foudrovant  les  colonnes  ennemies,  cou- 
chèrent bas  dix-sept  cents  hommes. 

La  famine,  il  est  vrai,  pouvait  avoir  raison  du  courage 
des  assiégés.  Averti  de  cette  conjoncture,  Louis  XII  dépê- 
cha vers  Gaète  le  lieutenant  général  Antoine  de  Conflans 
avec  neuf  bâtiments  armés  à  Savone  et  à  Gênes.  Conflans, 
au  sortir  de  Port'Ercole,  au  début  d'août,  tombait  au 
milieu  de  quinze  vaisseaux  de  guerre  ennemis.  C'était 
l'escadre  de  Villamarin.  Loin  de  se  dérober  devant  des 
forces  aussi   supérieures,  Conflans  ordonna   le  branle-bas 

(1)  LeUre  du  8  août  1503  (F.  Duro,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  40). 

(2)  24  voiliers  et  12  galères,  selon  Notar  Giacomo  :  12  grosses  barges 
comuiandées  par  Lezcano,  13  galères,  commandées  par  Villamarin,  1  car- 
raque,  3  nefs  et  des  bâtiments  légers.  La  flotte  française  aurait  compté 
5  carraques,  5  galères,  8  grosses  barges,  4  galions,  etc.  (Zurita,  Anales 
(l'Aïaqon,  t.  V,  fol.  274  v"). 

(3)  F.  DcBo,  t.  I,  p.  40. 


'68  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

de  combat,  n'oubliant  point  de  garnir  sa  hune  de  nom- 
breux projectiles.  En  un  instant,  sa  galère  fut  enveloppée 
Après  un  court  duel  d'artillerie,  les  Espagnols  bondirent  à 
l'abordage.  Ils  furent  reçus  à  coups  de  hallebarde.  Une 
seconde  attaque  réussit  :  déjà,  plus  de  soixante  des  leurs 
sautaient  des  agrès  sur  le  pont  en  criant  :  «  Victoria  !  Vic- 
toria! "  quand  nos  gens,  "  durs  comme  lions,  à  coups  dé- 
sespérés de  glaives,  de  caillons  et  de  barres  de  fer  » ,  les 
jetèrent  par-dessus  bord.  Et  Conflans,  réussissant  à  se 
dégager,  amenait  à  Gaète  quinze  cents  défenseurs  (I). 

Bien  mieux,  nous  reprenions  l'offensive.  Une  armée 
nouvelle  (2)  descendait  du  Dauphiné  vers  Naples,  sous  le 
commandement  de  Louis  de  La  Trémoille,  amiral  de  Bre- 
tagne et  de  Guyenne.  Pour  préparer  les  voies,  Prégent  de 
Bidoux  quittait  Gaète  (3)  à  la  léte  de  vingt-six  voiles  (4); 
et,  le  19  octobre  1503,  sa  flotte  entrait  dans  le  golfe  de 
Naples  :  un  moment,  par  un  violent  sirocco,  la  Lomellina 
et  unegaléasse  se  trouvèrent  en  perdition  à  l'îlot  de  INisida, 
près  de  Pouzzoles.  A  la  tête  de  cinq  mille  Napolitains,  le 
grand  dépensier  du  royaume  allait  s'en  emparer  quand 
elles  se  renflouèrent  par  leurs  propres  moyens  :  leurs  équi- 
pages s'emparèrent  de  la  tour  de  Baia.  Devant  la  menace 
d'une  attaque  contre  la  capitale,  la  flotte  espagnole  s'était 
repliée  sur  le  golfe  de  Naples. 

Cependant  l'armée  française,  renforcée  de  la  garnison 
de  Gaète,  se  trouvait  arrêtée  au  passage  du  Garigliano  par 
Gonzalo  de  Gordova.  C'est  sur  les  bords  de  ce  fleuve  que  se 
joua   la  suprême   partie.   Prégent  de   Bidoux  était  revenu 

(1)  Jean  D'AuTO^,  t.  III,  p.  194-.  —  Saxuto,  t.  V,  col.  62.  —  Villari, 
t.  II,  p.  94.  Conflans  avait  six  carraques  et  quatre  galères,  selon  une  lettre 
du  4  août,  publiée  par  Sanuto,  neuf  bâtiments,  selon  Jean  d'Auton. 

(2)  10000  hommes  de  pied  et  1200  hommes  d'armes,  selon  Jean 
d'Auton. 

(3)  Le  13  octobre  1503,  Prégent  écrivait  de  Gaète,  le  28  du  port  de  Haia 
(Sanuto,  t.  V,  col.  402). 

(4)  15  voiliers,  6  galères,  1  ]>riganlin,  etc.  (Notar  Giacomo,  p.  264). 


EXPÉDITIONS    DITALIE.  69 

seconder  les  troupes  de  terre.  A  proximité  des  retranche- 
ments espagnols,  sous  la  tour  du  Garigliano,  il  ne  craignit 
point  de  jeter  un  pont  de  bateaux,  qu'un  bataillon  français 
traversa  aussitôt.  Et  renouvelant  son  exploit  de  Gaète, 
Prégent,  embossé  à  l'embouchure  du  fleuve,  appuya  l'at- 
taque par  un  terrible  feu  d'enfilade,  «  que  c'était  horreur 
à  regarder  v  .  Malheureusement,  le  grand  capitaine  parvint 
à  nous  arrêter  pendant  des  semaines  et  des  mois.  Notre 
armée,  harassée,  dut  battre  en  retraite  sur  Gaète,  le  27  dé- 
cembre. Prégent  essaya  de  sauver  les  pièces  de  siège.  Mais 
la  tempête  coula,  au  sortir  du  Garigliano,  dix  des  barques 
(jui  les  contenaient;  près  de  trois  cents  hommes  périrent 
en  même  temps,  entre  autres  Pierre  de  Médicis  (1).  A 
grand  peine,  Prégent  lui-même  parvint  à  soutenir  sa  barque 
sur  l'eau  et  à  regagner  son  escadre.  Notre  dernier  effort 
pour  reconquérir  le  royaume  de  Naples  avait  échoué.  Le 
1"  janvier  1504,  Gaète  se  rendait  à  Gonzalo  de  Cordova. 
Et  les  débris  de  l'armée  française  prirent  tristement  la 
route  de  Gènes  à  bord  des  vaisseaux  de  Prégent  de  Bidoux 
et  de  Pierre  de  Velort.  Louis  XII  en  fut  si  marri  qu'il  ne 
voulut  voir  ni  ouïr  les  survivants  et  les  interna  dans  le 
duché  de  Milan.  Plusieurs  chefs,  le  vice-roi  Louis  de 
Saluées,  Pierre  de  Velort  (2)  en  moururent  de  chagrin. 
Les  marins  furent  congédiés;  seules,  la  Charente  et  neuf 
galères  (3),  aux  ordres  de  Bigars  de  La  Londe,  restèrent 
quelque  temps  en  croisière  sur  les  côtes  de  Toscane  et  dans 
la  rivière  de  Gênes  (4),  pour  s'opposer  à  toute  tentative 
d  attaque  ennemie  ou  de  révolution  populaire. 

Louis  XII  avait  lieu  d'être  découragé  :  il  avait  tout  fait, 

(1)  Lettre   de    Gonzalo   de    Cordova.    Monte-Oilando  de   Gaète,   l"  jan- 
vier 1504  (Samjxo,  t.  V,  col.  711). 

(2)  Jean  d'Auto>,  t.  III,  p.  306. 

(3)  Lettre    de    Philippe   de    Clèves,    sieur  de    Ravenstein,   au   roi.   Gènes, 
25  janvier  (B.  N.,  Dupuy  262,  fol.  79). 

(4)  Compte  de  Rousselct  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  183  v"). 


70  HISTOIRE   DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

tout  tenté  pour  dégager,  par  de  multiples  contre-attaques^ 
son  corps  expéditionnaire.  Jamais  nous  n'avions  eu  tant 
d'escadres  en  mer.  En  dehors  des  trois  divisions  envoyées 
au  secours  de  Naples  et  de  Gaète,  deux  autres  opéraient 
des  diversions  dans  les  golfes  de  Gascogne  et  de  Lion.  Une 
escadre  bretonne  de  dix-sept  navires,  dont  le  novau  était 
constitué  par  la  "  bande  "  de  croiseurs  du  capitaine  Portz- 
moguer  (1),  protégeait  les  convois  du  Ponant  contre  l'essor 
des  corsaires  basques  et  l'entrée  en  ligne  éventuelle  des 
Anglais,  vivement  sollicitée  par  Ferdinand  le  Catholique  (:2j . 
Simultanément,  le  17  septembre  1503,  une  escadre  mar- 
seillaise de  quinze  bâtiments  de  guerre  (3)  et  douze  noies 
légères  (4)  prenait  la  route  de  Collioure,  afin  de  retenir  de 
ce  côté  les  renforts  espagnols  destinés  à  Naples.  Coordon- 
nant ses  mouvements  avec  ceux  du  maréchal  de  Rieux, 
elle  était  venue  s'embosser  au  grau  de  Leucate,  sur  le 
flanc  gauche  de  notre  armée,  qui  assiégeait  la  place  forte 
de  Salses.  René,  bâtard  de  Savoie,  la  commandait;  en 
dépit  de  son  titre  d'amiral  de  Provence,  il  n'entendait  rien 
à  la  marine;  il  eut  la  candeur  de  l'avouer  à  ses  officiers, 
en  leur  demandant  conseil,  quand  il  apprit  que  les  troupes 
de  siège,  après  trente-six  jours  de  tranchées  ouvertes, 
étaient  forcées  de  se  retirer  devant  l'armée  du  ixn  Ferdi- 
nand le  Catholique.    Plusieurs  parlèrent  de  lever  l'ancre 

(t)  Portznioguer  avait  cinq  bâtiments  et  cinq  cents  hommes;  outre  les  nefs 
armées  par  chacun  des  ports  de  Saint-.VIalo,  Tréguier,  Quimper-Corentin. 
Vannes  et  du  Croisic,  il  y  avait  les  grandes  nefs  de  Bouvardière  et  Guil- 
laume Finamour,  de  Guémadeuc  et  de  .lehan  Frôlai,  fe  Sénéchal  et  le 
Chapon.  On  comptait  1890  hommes  d'équipage.  Vannes,  17  août  iôO^i 
(A.  DE  La  BonDKiiiK,  Hervé  Portzmoquer,  documents  inédits  (1503-1510), 
extrait  du  Bulletin  de  la  Société  archéolo(jiqiie  du  Finistère  (1885),  p.  7j. 

(2)  II  avait  chargé  son  ambassadeur  à  Londres  de  demander  le  concours 
des  Anglais  (^Calendar  of  state  papers,  Spaiti,  t.  I,  p.  290). 

(3)  La  carraque  génoise  Giustiniana,  3  galères,  5  galions,  1  fuste,  5  bri- 
gantins  (Valbelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  9  v"). 

(4)  Jean  d'Autos  (t.  III,  p.  211)  compte  une  galère  et  un  galion  do  plus 
que  Valbelle  :  il  donne,  en  outre,  le  nom  de  tous  les  patrons. 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  71 


immédiatement.  Mais  le  lieutenant  général  de  l'escadre, 
Guyon  Mordret  de  Tours,  capitaine  de  la  Réale,  déclara 
énergiquement  que  le  devoir  de  tous  était  de  protéger  la 
retraite  de  l'armée,  en  empêchant  les  Espagnols  de  passer 
le  long  du  grau.  Son  avis  lemporta.  Aux  premières  lueurs 
de  l'aube,  les  ennemis,  dévalant  par  milliers  de  la  mon- 
tagne vers  la  plage,  furent  balayés  par  le  feu  de  cent  vingt 
pièces  de  marine.  L'armée  était  sauvée.  Mais  quand  la 
flotte  reprit  le  large,  une  violente  tempête  la  malmena 
fort,  jetant  trois  galions  en  perdition  sur  les  côtes  de  Cata- 
logne, quatre  autres  sur  la  plage  de  Sérignan,  où  le  bâtard 
de  Savoie  atterrit  en  naufragé  (1)  ;  trois  galères  se  réfu- 
gièrent à  Agde,  la  Réale  à  Aigues-Mortes.  La  diversion 
tentée  en  Jioussillon  avait  complètement  échoué;  les  opéra- 
tions furent  suspendues  pour  cinq  mois  par  l'armistice  du 
L">  novembre  L503,  qui  laissa  aux  Espagnols  le  moyen  de 
concentrer  toutes  leurs  forces  contre  nos  dernières  posi- 
tions dans  le  royaume  de  Naples. 


II 

RÉVOLTE    DE    GÈNES 

Si  Louis  XII  avait,  après  son  échec  à  Xaples,  laissé  des 
croiseurs  dans  la  Rivière  de  Gènes,  c'était  à  bon  escient. 
Pour  vassalle  qu'elle  fût  de  la  France,  Gènes  avait  con- 
servé ses  allures  de  libre  république  et  ne  craignait  point 
d'avoir,  en  dehors  de  tout  contrôle  roval,  sa  politique  per- 
sonnelle. Elle  était  intervenue  dans  les  affaires  de  Pise; 
elle  voulut  chasser  de  son  voisinage  les  Grimaldi  et  donna 

(1)  lluFri,  Histoire  de  Marseille,  t.  Il,  p.  348.  —  Deu.\  galions  et  une 
galère  firent  naufrage  en  Catalogne,  selon  le  eouipte  du  trésorier  Rousselet 
^B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  183  v»). 


72  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

au  capitaine  général  Tarlatino  di  Città  di  Castello,  des 
troupes  et  dix  vaisseaux,  avec  un  ingénieur  et  un  parc  de 
siège,  pour  opérer,  en  novembre  1500,  contre  ^Icnton, 
Roquebrune  et  Monaco  (l).  Or,  c'était  si  peu  dans  les 
idées  royales  que  Louis  XII  venait  de  créer  chambellan 
Luciano  Grimaldi  (2)  et  d'affecter  au  port  monégasque, 
après  la  dislocation  de  l'expédition  de  Naples,  deux  de  ses 
galères  (3) . 

Sur  ces  entrefaites,  une  collision  entre  la  noblesse  et  la 
bourgeoisie,  a  le  peuple  gras  "  de  Gènes,  dégénéra  en 
guerre  civile,  malgré  les  tentatives  de  conciliation  de 
Louis  XII.  La  noblesse  avait  fait  appel  à  son  souverain;  le 
peuple,  s  insurgeant  contre  la  France  aux  cris  de  "Popolo! 
Popolo  !  "  nomma  pour  doge  le  teinturier  Paolo  di  Novl  et, 
le  12  mars  1507,  emporta  le  château  que  défendait  une 
faible  garnison  française.  Roquebertin,  le  lieutenant  gou- 
verneur, fut  expulsé. 

Réfugié  dans  le  Castelleto  avec  deux  cent  cinquante 
hommes,  Galéas  de  Salazar  repoussait  assaut  sur  assaut. 
Sa  position  devenait  pourtant  critique,  quand  une  escadre 
de  huit  galères,  surgie  brusquement  le  13  avril,  ouvrit  un 
feu  violent  sur  les  troupes  des  rebelles  et  fouilla  le  port  de 
Gènes,  dont  elle  fit  trois  fois  le  tour  sans  cesser  de  tirer. 
Puis  elle  s  embossa  à  trois  milles  au  large,  hors  de  portée 
des  batteries  du  môle,  mais  en  travers  de  la  route  que 
devaient  suivre  et  les  canaques  de  Tarlatino  di  Città  di 
Castello,  rappelé  de  Monaco,  et  les  renforts  promis  par  le 
pape.  Le  hardi  capitaine  qui  avait  rendu  l'espoir  aux 
assiégés,  en  montrant  nos  couleurs,  était  le  lieutenant 
général  des  galères  Prégent  de  Bidoux  (4).  Il  était  allé  de 

(1)  On  trouvera  tous  les  détails  du  siège  de  Monaco  dans  G.  Saige,  Doc. 
historicjues  relatifs  «...  Monaco,  t.  II,  p.  59-84. 

(2)  Saige,  p.  85,  note  1. 

(3)  Spont,  Les  galères  royales,  p.  407. 

(4)  Suivant  lettres  patentes  du  7  octobre  1506.  Le  capitaine  général  était, 


EXPÉDITIONS    D'ITALIE.  73 

Favant,  sans  attendre  les  douze  voiliers  de  sa  flotte  (l)  et 
les  quatre  galères  napolitaines  de  Miguel  Pastor  (2) . 

»  Est  cestuy  Prégent,  —  écrivait  un  témoin  de  son  haut 
fait  (3),  —  homme  de  si  noble  vertuz,  de  si  hauit  couraige, 
de  sens  si  singuUier,  de  bonté  si  plain,  d'honneur  si  grant, 
d  intégrité  si  louable,  de  foy  si  certaine,  de  hardiesse  si 
impareille,  que  en  chacune  de  ses  vertuz  peult  estre  dict 
acomply  et  parfaict.  » 

De  fait,  son  initiative  avait  sauvé  la  situation.  Il  avait 
donné  le  temps  à  Tarmée  royale  de  battre  les  rebelles  dans 
la  montagne,  et,  le  !28  avril,  Louis  XII  en  personne  faisait 
son  entrée  dans  la  ville  aux  salves  répétées  de  la  Hotte  et 
de  la  garnison  du  CastcUeto.  Sa  victoire  atteignait  par 
contre-coup  le  pape  Jules  II,  dont  la  connivence  avec  les 
rebelles  était  trop  patente  pour  ne  pas  causer  au  complice 
les  plus  grandes  craintes  pour  lui-même.  Gomme  il  publiait 
partout  que  Texpédition  française  était  dirigée  contre  le 
Saint-Siège,  il  fallut  dépêcher,  le  5  mai,  la  division  napo- 
litaine et  deux  de  nos  galères,  afin  de  le  rassurer.  Bidoux, 
de  son  côté,  allait  sans  bruit,  avec  quatre  autres  galères  et 
les  troupes  de  rAllemand  Suffray,  appréhender  les  meneurs 
fugitifs.  L'un,  Demetrio  Giustiniani,  fut  arrêté  dans  son 
château  par  des  soldats  déguisés  en  paysans  :  le  13  mai, 
sa  tête  roulait  à  Gênes  sur  une  machine  encore  peu  connue 
et  qvii  devait  avoir,  plusievirs  siècles  après,  une  sinistre 
renommée    :   la  guillotine  (4).  Le  5  juin,  le  doge  Paolo  di 

depuis    le    iO  juin  1506,  François   de    Salures  (B.  N.,  Clairanibault    825, 
fol.  114). 

(1)  Selon  les  comptes  de  P.  Roollet,  sa  flotte  comprenait  7  galères, 
4  galions  et  8  autres  navires  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  184). 

(2)  Jean  d'Auton,  t.  IV,  p.  164.  —  jNotar  Giacomo,  p.  298. 

(3)  "  Cronicquex  de  Genuea,  faictes  et  composéez  en  françoispar  Alexandre 
Saui.vaige  [ou  Salvago],  de  nacion  gennevoise,  à  la  rcqueste  du  sire  de 
Chanipdenier,  pour  lors  gouverneur  du  dit  Gennes,  »  publiées  par  G.  Dj  .si- 
Mosi,   dans  les  Atli  délia  Societâ  li(^iire  di  storia  patiia,  t.  XIII,  p.  475. 

(4)  Cf.  la  description  de  la  guillotine  dans  Jean  d'Auton,  t.  IV,  p.  280. 


li  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Novi  lui  succédait  sur  Téchafaud.  Il  s'était  caché  en 
Corse.  Mais,  trahi  par  un  patron  génois,  il  était  tombé 
dans  une  embuscade  où  les  marins  de  Bidoux  étaient 
apostés. 

Il  n'y  eut  du  reste  pas  plus  de  deux  exécutions  à  Gênes. 
Du  Père  du  peuple,  on  ne  pouvait  attendre  que  la  guillo- 
tine inaugurerait  le  régime  de  la  terreur.  Pour  comprimer 
les  énergies  latentes  de  la  révolte,  particulièrement  redou- 
tables au  moment  où  le  besoin  d'une  base  d'opérations 
navales  serait  le  plus  pressant,  Louis  XII  se  contenta 
d  imposer  aux  Génois  l'entretien  de  forces  de  terre  et 
de  mer  :  trois  galères  bien  armées  et  un  château  fort 
construit  à  leurs  frais  les  tiendraient  constamment  «  en 
bride"  . 

Sur  le  promontoire  rocheux  que  domine  le  grand  phare- 
de  Gènes,  existait  déjà  une  tour  surmontée  d'une  lanterne, 
dont  la  lumière  servait  «  d'adresse  »,  comme  l'on  disait, 
aux  vaisseaux  qui  venaient  d'occident.  C'est  là  que  le 
grand  maître  de  1  artillerie  française,  Paul  de  Benserade, 
construisit  une  forteresse  de  soixante  pas  de  diamètre, 
flanquée  de  tours,  que  la  mer  enveloppa  de  tous  côtés. 
Par  une  large  tranchée  dans  le  roc,  au-dessous  de  l'abbaye 
de  Saint-Bénigne,  des  urompeurs  de  pierre  "  avaient  coupé 
le  promontoire  et  transformé  en  un  îlot  imprenable  la 
Mauvoisine  de  Gode/a,  c'est-à-dire  de  la  pointe  du  phare  : 
ainsi  était  désigné  le  chàteau-fort  dans  le  style  imagé  de  la 
langue  populaii-e.  Ses  feux  battaient  l'entrée  du  port  vers 
San  Pier  d'Arena.  De  la  croupe  d'une  montagne,  le  Cas- 
teletto  dominait  la  ville.  Louis  XII  crut  1  esprit  de  révolte 
à  jamais  dompté  (l)... 


La  guillotine  se   trouve   figurée   dans    une   miniature   du  xv''   siècle  (B.    N., 
latin  9473,  fol.  13  y"). 

(1)  Cf.,  sur  la  construction  de  /a  Mnuvoixine,  le  nis.  de  la  B.  N.,  Nouv. 
acq.  franc.  159. 


EXPEDITIONS    D  ITALIE.  7J 

L'explosion  n'en  fut  ensuite  que  plus  violente.  Mais 
pour  rinstant,  tout  était  à  la  paix.  A  Savone,  Louis  XII  et 
le  roi  Ferdinand  d'Aragon,  venu  de  Gaète,  eurent  1  en- 
trevue la  plus  amicale  et  Bidoux  fraternisa  avec  notre 
vieil  ennemi  Villamarin  (l).  A  cette  sérénité  de  la  poli- 
tique, il  n'y  avait  qu'un  nuage.  Affolé  de  la  descente  de 
Louis  XII  en  Italie,  le  pape  avait  mandé  l'empereur  à  son 
secours. 


III 


COMPLICATION    INATTENDUE.   —    UN    CORSAIRE    TROP 
CHEV.iLERESQUE. 

Le  cœur  chez  nous  l'a  toujours  emporté  sur  la  tète;  et 
comme  il  a  ses  liaisons  que  la  raison  ne  connaît  pas,  il 
nous  a  valu  plus  d'un  mécompte.  C'est  ainsi  que  l'acte 
chevaleresque  de  deux  particuliers,  en  1507,  déchaîna 
contre  nous  la  guerre.  Tandis  que  Louis  XII  châtiait  les 
Génois,  les  Flamands  tombaient  sur  son  allié,  Charles 
d'Egmont,  duc  de  Gueldre  (2).  Émus  de  l'infortune  du 
Il  pauvre  prince  » ,  deux  gentilshommes  de  la  compagnie 
d'Aymar  de  Prie  épousèrent  sa  cause  et  le  lui  mandèrent 
par  un  de  leurs  frères  d'armes,  le  Chevalier- Vert.  Le  duc 
de  Gueldre  les  agréa  pour  ses  chevaliers.  Mais  u  lettres 
d'aveu  »  et  messager  furent  interceptés  en  route.  Nos 
preux  n'en  tinrent  compte  (;i). 

(1)  Joan  d'Atton. 

(2)  Dès  juin  1506,  l'amiral  Philippe  de  Bourgogne,  gouverneur  de 
(lueldre,  investissait  la  ville  de  Wagheninghe,  qui  était  le  réduit  du  duc 
(chartes  de  Gueldre.  Le  gouverneur  de  Brabant  assemblait  de  son  côté  des 
troupes  pour  barrer  la  route  à  tout  secours  qui  viendrait  de  France.  La 
guerre  augmenta  d'acuité  en  1507  (Gachard,  Collection  des  l'ujaqes  des 
souvetaias  des  Pays-Bas.  Bruxelles,  1876,  in-4'\  t.  I,  p.  443). 

(3)  Jean  u' Autos,  t.  IV,  p.  388. 


76  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Ce  ne  fut  rien  moins  que  cinq  cents  hommes  de  guerre, 
nobles  volontaires,  soldats  et  marins,  que  mobilisèrent 
Jean  Ghapperon,  seigneur  de  Oueue-de-Yache  en  Aunis, 
et  Antoine  d'Auton,  gentilhomme  saintongeais.  Avec  une 
nef  de  quatre  cents  tonneaux  et  une  barque  de  soixante, 
ils  ne  craignaient  point  de  se  mesurer  avec  l'adversaire  du 
duc  de  Gueldre,  qui  n'était  autre  que  Philippe  de  Bour- 
gogne, amiral  de  Flandre. 

Leurs  armements  étaient  en  contravention  formelle  avec 
les  ordonnances  d  amirauté,  que  Louis  de  La  Trémoille 
avait  pris  soin  de  codifier  et  qui  réservaient  à  Famiral  le 
droit  de  délivrer  des  congés  de  navigation  et  de  munir 
d'artillerie  et  de  sa  propre  bannière  tout  navire  en 
bataille  (1).  Ces  ordonnances  de  mer,  dont  nos  argonautes 
faisaient  fi,  ils  entendaient  en  imposer  le  respect  à  autrui. 
Deux  bâtiments  britanniques  rexpérimentèrent  à  leurs 
dépens,  pour  avoir  voulu  passer  au-dessus  du  vent,  sans 
«  faire  révérence  »  .  Un  coup  de  canon  et,  la  nuit,  une 
visite  domiciliaire  leur  apprirent  le  savoir-vivre.  Cette 
visite  indue  eut  lieu,  à  vrai  dire,  à  1  insu  des  capitaines, 
par  des  damoiseaux  »  nouvelliers  »  en  fait  de  marine, 
auxquels  des  malelols,  "  après  bien  dringuer,  »  n'avaient 
pas  eu  de  peine  à  persuader  que  les  Anglais  étaient  des 
corsaires  déguisés. 

N'ayant  presque  point  d'artillerie,  "  prêtez-nous  la  vôtre 
ou  vendez-la  à  crédit,  "  dirent  nos  corsaires  au  capitaine 
d'une  nef  espagnole  qui  passait  près  du  Chef-de-Bois. 
Comme  il  ne  voulait  rien  entendre,  on  lui  donna  la  chasse 
jusqu'à  l'île  d'Yen.  Enveloppé  et  canonné  pendant  une 
grosse  heure,  1  Espagnol    força    de    voilure,   «   la    misaine 


(i)  «  Ordonnances  d'admiralité  :  extraict  des  registres  de  l'admiralité  de 
France  à  la  Table  de  marbre  du  Pallaiz  à  Paris,  »  délivré  par  le  greffier 
d'amirauté  Perron  à  la  requête  de  l'amiral  Louis  de  La  TremoilIe.  24  dé- 
cembre 1502  (B.  N.,  Franc.  11969,  fol.  187). 


EXPÉDITIONS    D'ITALIE.  77 

SOUS  l'estouin,  qui  est  une  voile,  tenant  à  l'un  des  bouts 
de  l'entenne,  pendant  sur  le  bord  du  navire,  mise  là  pour 
faire  hâtive  fuite  ou  vite  chasse  (1).  n  Et  de  fait,  la  nef 
nous  échappa. 

Pareils  débuts  étaient  pleins  de  promesses  en  fait  de 
complications  internationales.  Ce  fut  bien  pis,  lorsque 
nos  corsaires  impromptu  se  trouvèrent  en  présence  de 
bâtiments  flamands.  Ils  eu  capturèrent  cinq  au  raz  de 
Saint-Mahé,  et,  gardant  en  otages  les  principaux  officiers 
ou  marchands,  ils  renvoyèrent  les  équipages,  avec  ordre 
de  payer  rançon  au  duc  de  Gueldre.  Sur  la  côte  anglaise, 
vers  la  mi-août  1507,  un  corsaire  d'Arnemuyden  offrit  le 
combat.  De  force  égale  à  la  nef  de  Chapperon,  il  soutint 
une  lutte  acharnée  depuis  "  vêpres  jusques  au  lendemain 
midi  "  .  Un  à  un,  on  avait  vu  jeter  de  son  bord  quatorze 
cadavres;  sa  résistance  fléchissait,  lorsqu'une  de  ses  pièces, 
pointée  à  couler  bas,  le  derrière  levé,  envoya  un  énorme 
boulet  dans  l'étrave  de  Chapperon.  C'en  fut  assez  pour 
nous  faire  lâcher  prise. 

Les  tribulations  commençaient  pour  nos  preux.  On  les 
traitait  en  pirates.  Le  vice-amiral  de  Normandie  leur 
interdit  de  stationner  eu  rade  de  Villerville,  même  pour 
se  radouber.  L'amiral  de  PMandre,  Philippe  de  Bourgogne, 
auquel  les  victimes  de  l'affaire  de  Saint-Mahé  étaient 
venues  exposer  leurs  doléances,  cria  que  nous  violions  la 
neutralité,  qu'il  savait  nos  sympathies  pour  le  duc  de 
Gueldre;  bref,  comme  réponse  à  l'agression  de  Chappe- 
ron, il  mit  en  mer  six  vaisseaux  de  guerre  (2) . 

Cette  mobilisation  donna  si  fort  à  réfléchir  à  nos  impru- 
dents, qu'ils  résolurent  d'aller  chercher  aventure  au  delà 
du  détroit  de  Gibraltar,  n  Un  jour,  au  matin,  sur  l'éclaircie 

(1)  La  définition  de  Jean  d  Auton  s'applique  exactement  à  la  bonnette  en 
étui. 

(2)  Août  1507  (Gachard,  t.  I,  p.  478). 


18  HISTOIRE   DE   LA   MARINE    FRANÇAISE. 

du  soleil  levant,  avisèrent  deux  gros  navires  flamands 
équipés  en  manière  de  guerre.  "  Entre  les  éclaireurs  des 
deux  escadrilles,  le  Jaulain  de  Flandre  et  la  barque  d'An- 
toine d'Auton,  un  violent  combat  commença  :  Auton,  qui 
menait  1  attaque  à  l'abordage,  armé  de  toutes  pièces,  la 
pique  au  poing,  eut  le  garde-bras  emporté,  et  son  maître 
d'équipage  la  tète.  Mais  battu  à  ovitrance,  le  Jaulain  eût 
succombé  sans  l'arrivée  opportune  de  sa  conserve,  l'Anne, 
que  Ghapperon,  survenant  de  même,  étreignit  à  son  tour. 
Il  força  l'entrée  de  l'Anne,  passa  quarante  hommes  au  til 
de  l'épée  et  expédia  le  reste,  une  trentaine  de  marins  et 
trois  femmes,  sur  un  bâtiment  portugais  qui  passait.  Le 
Jaulain  avait  fui.  La  prise  avait  une  cargaison  d'anneaux 
de  cuivre,  de  couteaux  et  de  miroirs,  destinés  à  faire  la 
joie  des  nègres  d'Afrique. 

L'odyssée  touchait  à  sa  fin.  Il  avait  été  décidé  en  conseil 
qu'on  hivernerait  à  Monaco,  en  pays  neutre.  Mais  une  nuit, 
à  l'insu  des  capitaines,  les  maîtres  d'équipage  de  la  prise 
et  de  la  barque  virèrent  de  bord  vers  la  France.  A  peine 
l'Anne  avait-elle  jeté  l'ancre  à  Soubise  en  Charente,  qu'un 
incendie  la  détruisait  avec  les  tapisseries,  draps  et  métaux 
provenant  du  butin  :  trois  prisonniers  flamands  s'étaient 
échappés  du  bord,  en  y  laissant  quelque  «  trainée  ou 
amorce  "  .  Antoine  d'Anton  n'était  pas  plus  tôt  de  retour 
en  son  manoir  que  vingt-quatre  archers  de  la  garde 
venaient  pour  se  saisir  de  sa  personne  :  le  malheureux 
s'enfuit  sous  un  déguisement  et  dans  un  tel  état  d'inquié- 
tude qu'il  ne  dormit  plus  deux  nuits  de  suite  sous  le 
même  toit. 

A  Marseille,  Ghapperon  n'avait  point  osé  aborder  sans 
un  sauf-conduit  du  parlement  de  Provence.  Arrêté  nonobs- 
tant, il  ne  s'évada  des  prisons  d'Aix  qu'avec  la  connivence 
du  <i  chartrier  »  ,  ainsi  appelait-on  le  geôlier,  qui  se  laissa 
«  adoucir  i> .  De  retour  à  son  bord  après  trois  semaines  de 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  79 

détention,  il  se  garda  de  toucher  terre  en  France,  tant  que 
la  colère  royale  ne  fut  pas  apaisée  (1). 

C'est  que  sa  conduite  inconsidérée  nous  mettait  en 
fâcheuse  posture.  Non  seulement  elle  nous  aliénait  la  gou- 
vernante des  Pays-Bas,  Marguerite  d'Autriche;  mais  encore 
elle  donnait  au  père  de  Marguerite,  à  l'empereur  Maximi- 
lien,  l'occasion  d'intervenir.  «  Incontinent  nostre  grande 
armée  assemblée,  écrivait  l'empereur,  nous  donrons  tant 
affayre  et  suffryr  aux  Françoes  qu'il  serunt  contraint  âv 
abandonner  lesdits  Geldroes  (2).  » 

C'est  encore  en  Italie  que  devait  se  dérouler  la  guerre.  A 
l'appel  du  pape,  l'empereur,  en  février  1508,  descendait  les 
monts  du  Tyrol.  Mais  les  Vénitiens  lui  refusèrent  le  passage 
et,  un  moment  nos  alliés,  lui  firent  subir  défaite  sur 
défaite.  Trieste,  Fiume,  Goritz  et  Gradisca  tombèrent  suc- 
cessivement entre  leurs  mains  (3). 

Sur  mer,  la  guerre  franco-impériale  n'eut  point  de  réper- 
cussion, sauf  qu'elle  provoqua  une  réfection  complète  de 
notre  flotte.  Qu'il  y  a  loin  de  simples  radoubs  (4)  ou  de 
l'achat  de  quelques  grands  vaisseaux,  comme  la  Charente  (5i 
ou  la  Mermande  (6),  à  la  mesure  d'ordre  général  prise  par 
Louis  XII!  Dans  l'intérêt  de  "  la  chose  publicque,  "  le  roi 

(1)  De  l'odyssée  de  Chapperon  et  d'Antoine  d'Auton,  le  chroniqueur  Jean 
d'Auton  a  tracé  le  plus  pittoresque  des  récits. 

(2)  Lettre  de  Maximilien  1"  à  Marguerite  d'Autriche.  17  octobre  i507 
(Le  Glay,  Correspondance  de  l'empereur  Maximilien  I"  et  de  Marguerite 
d'Autriche,  sa  fille,  gouvernante  des  Pays-Bas,  de  1507  à  1519.  Paris, 
1839,  in-S",  t.  I,  p.  15,  dans  les  publications  de  la  Société  de  l'Histoire  de 
France.  — Ph.  Van  des  Berghk,  Correspondance  de  Marguerite  d'Autriche 
sur  les  affaires  des  Pays-Bas,  de  1506  à  1528.  1845-1847,  2  vol.  in-8"). 

(3)  Just.  GoBi>ER,  Chronica  der  Kriegshandel  des  Kaisers  Maxiniilian  I 
gegen  die  Venediger  und  die  Franzosen  1508  gefi'thret.  Francfurt,  1566, 
in-fol. 

(4)  De  la  carraque  d'Anne  de  Bretagne  à  Brest,  pourvue  de  cinq  nouveaux 
mâts.  20  juin  1507  [Revue  des  sociétés  savantes  (1875,  2°  semestre), 
p.  426). 

(5)  20  avril  1506  (B.    IN'.,  Pièces   orig.  2386,  doss.    Primaudaye,   p.    12). 

(6)  B.  N.,  Franc.  5093,  fol.  163. 


80  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

imposait  à  chacun  de  ses  amiraux,  à  chaque  province 
maritime  et  à  «  aucunes  bonnes  villes  et  citez  "  de  son 
royaume,  la  construction  d'un  vaisseau  de  guerre  (l).  Il  y 
contribuait  au  besoin  :  c'est  ainsi  que  La  Trémoille,  amiral 
de  Guyenne  et  de  Bretagne,  fut  autorisé  à  prendre  dans 
les  forêts  domaniales  les  matériaux  a  d'une  nef  grande 
et  avantageuse  "  à  équiper  pour  le  service  du  roi  (2). 
Charles  d'Amboise,  promu  amiral  de  France  (3),  après 
entente  avec  Malet  de  Graville,  son  beau-père,  se  pourvut 
d'une  nef  (4),  an  même  titre  que  son  collègue. 

Le  Languedoc,  la  Provence  furent  taxés  à  deux  grosses 
galères  par  province  (5),  et  Gènes  à  quatre  carraques, 
équipées  uniformément  de  cent  vingt  hommes  (6).  Les 
bonnes  villes  du  Ponant,  à  l'exemple  des  ports  de  Bre- 
tagne (7),  mirent  en  chantier  de  gros  vaisseaux,  qui  ren- 
forcèrent la  division  des  carraques  construites  pour  la 
reine  Anne  el  qu'on  appelait  les  Nefs  de  Brest,  de  Morlaix, 
de  Bordeaux  et  de  La  Rochelle  (8).  Il  y  eut  la  Nef  de 
Dieppe  (9),  la  Nef  de  Rouen  (10),  la  Nef  d'Orléans  (11),   le 

(i)  Ordonnance  datée  de  Blois,  29  novembre  1507  (B.  N.,  Franc.  5093, 
fol.  277.  —  Spont,  p.  411,  note  3). 

(2)  B.  N.,  Franc.  5093,  fol.  45. 

(3)  24  septembre  1507  (Archives  nat.,  X'^  4850,  fol.  117,  120  v"j.  —  Il 
exerça  l'office  d'amiral  du  31  janvier  1508  au  10  novembre  1510. 

(4)  Montée  de  cent  matelots  (B.  N.,  Franc.  742,  fol.  16). 

(5)  B.  N.,  Franc.  23268,  fol.  28-36. 

(6)  Spo^T,  p.  412. 

(7)  Cf.  plus  haut,  à  la  date  de  1496  (p.  32). 

(8)  La  Nef  de  Brest,  achevée  le  22  décembre  1499  (Archives  de  la  Loire- 
Inférieure,  E  203)  ;  la  Grant  Nef  de  Morlaix,  dite  la  Maréchale  ou  la  Cor- 
delière, achevée  le  30  juin  1498  {Ibidem,  E  208);  la  Nef  de  La  Rochelle,  que 
la  reine  Ht  achever  en  octobre  1500  à  Tonnay-Chareute  [Ibidem,  E  19). 

(9)  Ou  la  Dieppoixc,  de  336  tonneaux. 

(lOj  Ou  la  Rouen,  de  700  tonneaux.  Quittance  de  son  capitaine,  Louis  de 
Bigars.  27  mars  1513  (Catalogue  de  la  Bibliothèque  de  feu  M.  Charles 
Lormier,  de  Rouen.  Paris,  Charavay,  1902,  in-8",  n"  1338). 

(J 1)  Ou  la  Françoise  d'Ch-le'ans,  de  453  tonneaux.  Quittance  de  Louis  de 
Bigars,  qui  la  commanda  avant  de  recevoir  le  commandement  de  la  Nef  de 
Rouen.  15  septembre   1512  (B.  N.,  Franc.  26113.  pièce  1121). 


EXPEDHIOiNS    DITALIE,  81 

Saint-Sauveur  de  La  Rochelle  (1),  d'un  tonnage  propor- 
tionné à  la  richesse  des  différentes  municipalités.  Si,  dans 
la  flotte  des  bonnes  villes,  la  capitale  n'eut  point  son 
pavillon,  c'est  que  son  bâtiment  aurait  été  trop  mesquin. 
Le  roi  avait  demandé  un  vaisseau  de  400  tonnes,  et  Paris 
n'accorda  de  fonds  que  pour  une  nef  de  capacité  moitié 
moindre  (2),  à  peine  aussi  grande  que  le  navire  auquel  était 
t;ixé  un  petit  port  comme  Harfleur  (3). 

Une  fois  organisée,  cette  imposante  marine  de  guerre 
eut  à  agir  contre  un  tout  autre  adversaire  que  l'empereur 
et  la  gouvernante  des  Pays-Bas.  La  conférence  internatio- 
nale de  Cambrai,  le  10  décembre  1508,  régla  les  litiges  du 
gouvernement  belge  avec  la  France  et  le  duc  Charles  de 
Gueldre  (4j,  en  même  temps  qu'elle  concertait  l'abaisse- 
ment de  la  puissance  vénitienne. 


IV 

GUERRE    CONTRE   VENISE 

Depuis  l'affaire  d'Otrante,  Louis  XII  avait  gardé  une 
sourde  irritation  contre  la  République  de  Venise.  ^  Il  ne 
vous  suffisait  donc  pas  d  avoir  perdu  mes  galères,  disait-il 
à  l'ambassadeur  Dandolo,  il  fallait  encore  que  vous  con- 
fisquiez mon  artillerie.  Est-ce  là  cette  alliance  tant  vantée"? 
N'en  parlons  plus,  pe?'  mio  honor,  et  que  l'on  n'en  parle 
plus  autour  de  moi  (5).  u 

(1)  Achevé  en  1509  (Amos  Bardot,  Histoire  de  La  Rochelle,  t.  I,  p.  475). 

(2)  Sainte-Foix,  Essai  sur  Paris,  t.  IV,  p.  30,  202. 

(3)  26  mars  1508  (E.  de  FrÉville,  Mémoire  sur  le  commerce  de  Rouen, 
t.  II,  p.  414). 

(4)  Cf.  la  notice  consacrée  à  Marguerite  d'Autriche  par  Le  Glay,  Corres- 
pondance de  l'empereur  Maximilien  I"...,  t.   II,  p.  434. 

(5)  Plaintes  de  Louis  XII  à  l'ambassadeur  de  Venise,  Dandolo.  Lvou, 
29  no>embre  1503  (Spost,  p.  40(5). 


82  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

On  n'en  parlait  plus,  mais  on  y  songeait  toujours,  et  la 
moindre  déconfiture  des  Vénitiens  était,  plusieurs  années 
plus  tard,  célébrée  avec  une  joie  féroce  :  <i  Le  capitaine 
Prégent  se  rit  de  vostre  meschief  (la  défaite  d'Agnadel), 
leur  disait-on,  en  récompense  du  tour  que  vous  luv  fistes 
quant  il  fut  constrainct  d  affondrer  ses  galères  (1).  » 

Tel  était  l'esprit  qui  dicta,  contre  Venise,  la  ligue  de 
Cambrai  (2)  :  le  roi  de  France,  le  pape,  le  roi  d'Aragon,  le 
duc  de  Ferrare,  s'unissaient  pour  combattre  1  orgueilleuse 
république. 

Le  7  juin  I5{)î).  notre  première  division  navale.  —  buit 
voiliers  marseillais  de  Stuart  dAlbanv,  —  s'ébranlait  : 
elle  était  suivie,  à  trois  jours  de  distance,  des  huit  {jalères 
et  brigantins  de  Bidoux  (3).  Jonction  faite  avec  les  contin- 
gents espagnols  de  Sicile  (4)  et  quatre  galères  pontificales, 
notre  flotte  devait  se  diriger  vers  la  belle  colonie  vénitienne 
de  Chypre.  Mais  la  mésintelligence  entre  des  alliés  aussi 
peu  faits  pour  s'entendre  empêcha  do  mener  à  bonne  fin 
l'entreprise.  L'abandon  spontané  des  dernières  places  que 
les  Vénitiens  possédaient  en  Fouille  comme  garantie  de 
leurs  prêts  aux  rois  de  Naples,  l'évacuation  de  Trani,  Mo- 
nopoli, Brindisi,  Otrantc  et  Gallipoli  désarnui  les  Espa- 
gnols. Notre  flotte,  trop  faible  désormais,  fit  retour  en  Pro- 
vence, laissant  deux  hardis  condottieri.  Frères  Bernardin 
de  Baux  et  Bérenger  de  Lionse,  s  aventurer  jusqu'à  Chypre 
avec  le  Saint-Pierre  et  le  Saint-François  :  si  la  destruction, 
aux  Salines  de   l'ile,  de   deux  bâtiments  sema  partout  la 


(1)  Ijvon,  12  août  1509  (Jean  Le  Maire  de  Hklges,  ll/uslrallmis  de 
Gaule  Belgique.  Paris,  1512,  in-fol.). 

(2)  10  décembre  1508. 

(3)  Valrelle,  B.  N.,  Franc  5072,  fol.  16  v"  :  Albany  avait  4  carra- 
ques,  3  barques  et  une  fuste,  Bidoux  4  galères.  2  jjalèrcs  liâtardes  et  2  bri- 
gantins. 

(4)  12  galères  de  laniiral  de  ISaples  Bernard  de  Viilamarin  et  10  vais- 
seaux de  l>iinas  de  Requcsens  (F .   Drno.  Ai-mada  espann/a,  t.  I,  p.  92). 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  83 


terreur   (1),    en    fait    d'opérations    navales,    ce    fut   tout. 

La  brillante  victoire  que  Louis  XII  avait  remportée  le 
14  mai,  près  d'Agnadel,  n'avait  point  eu,  sur  mer,  son  pen- 
dant. 

Et  pourtant,  la  flotte  vénitienne  éprouva,  de  notre  fait, 
un  de  ses  plus  sanglants  revers.  Elle  s'était  engagée  dans  le 
P6,  afin  de  seconder  les  opérations  des  troupes  de  la  Répu- 
blique contre  le  duc  de  Ferrare,  Alphonse  d'Esté,  notre 
allié.  Le  capitaine  général  Angelo  Trevisano  n'était  plus 
qu'à  onze  milles  de  Ferrare.  A  l'îlot  de  la  Polesella,il  avait 
jeté  un  pont  de  bateaux,  muni  de  redoutes,  par  lequel 
allait  déboucher  1  armée.  Ferrare  était  en  grand  danger. 
Ce  fut  un  cardinal  qui  la  sauva.  Trevisano  se  laissa  leurrer 
par  une  furieuse  attaque  des  troupes  franco-pontificales  et 
ducales  contre  la  tête  de  pont  :  il  n'aperçut  point  les  bat- 
teries qui  s'élevaient  sourdement  dans  la  nuit  aux  bords 
du  fleuve  et  que  le  cardinal  Hippolylc  d  Este  dissimulait 
derrière  des  troncs  d  arbres.  Et  le  lendemain,  22  décembre 
1509,  par  un  sombre  jour  d'hiver,  Trevisano  était  éveillé 
par  un  fracas  épouvantable.  Sous  une  grêle  de  boulets  qui 
s'abattait  sur  elle,  sa  capitane  s'effondrait;  quinze  galères 
sur  dix-huit,  trois  vaisseaux  sur  six  sombraient  ou  pre- 
naient feu,  le  pont  de  bateaux  disloqué  partait  à  la  dérive. 
Il  y  avait  deux  mille  morts,  trois  mille  prisoniiiers.  Une 
heure  de  bombardement  avait  décidé  de  la  guerre.  Et  il  se 
trouvait  parmi  les  vainqueurs  un  grand  poète  pour  chanter 
la  victoire  (2j . 


(1)  Novembre  1509  (Sanuto,  t.  IX,  col.  110.  —  Spoxï,  p.  413). 

(2)  Lodovico  Ariosto,  Orlaucio  ftuioso,  XL,  2.  —  Coelius  Calcagnincs, 
Commentai-,  de  Venetae  classis  expuqnatione .^d^sWca,  1544,  in-fol.,p.  484. 
—  A.  GuGUELMOïïi,  La  (jnerra  dei  pirati,  p.  75. 


84  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

V 

GUERRE   CONTRE   VENISE    ET    LE    SAINT-SIÈGE 

Par  une  de  ces  volte-face  habituelles  au  pavs  de  Mn- 
chiavel,  le  pape  Jules  II  nous  abandonna  après  la  victoire 
pour  se  joindre  aux  vaincus  (1).  Dans  le  moment  même  où 
il  implorait,  les  larmes  aux  yeux,  le  concours  de  nos  armes 
contre  les  pirates  barbaresques  f!2),  son  escadre,  jointe  à 
une  Hutte  vénitienne,  se  glissait  le  lonjj  de  la  Kivièrc  pour 
surprendre  Gênes. 

Prévenu  à  temps  par  notre  ambassadeur  à  Rome,  le  gou- 
verneur de  Gènes  rappela  en  toute  hâte  Prégent  de  Bidoux 
qui  avait  donné  dans  le  piège  et  quitté  le  port  ligure  avec 
toute  son  escadre,  pour  courir  sus  à  des  Barbaresques 
signalés  près  du  Monte-Argentaro  (3).  Fort  heureusement, 
la  dépêche  de  Rochechouart  le  toucha  en  Provence  comme 
il  embarquait  sur  six  galères  et  huit  brigantins  quatre  cents 
hommes  de  troupes.  Et  gouverneur  et  amiral,  en  neuf 
jours,  passèrent  une  rapide  inspection  de  toute  la  Rivière 
depuis  Vintimille.  ATexception  de  quelques  meneurs,  la  po- 
pulation leur  parut  calme  et  attachée  à  la  France  (4). 

Ce  fut  à  bord  de  la  flotte  de  Bidoux  qu'une  révolte  éclata, 
le   16  juin,  dans  la  gargate  de  Marseille  (5).   La  chiourme 

(1)  La  ligue  du  pape  avec  Venise  est  du  20  février  1510. 

(2)  Mai  1510  (B    N.,  Dupuy,  vol.  261,  fol.  42  v"). 

(3)  Lettre  de  Prégent  de  Hidoux.  17  mai  (B.  'S.,  Dupuy,  vol.  262, 
fol.  137). 

(4)  Lettre  de  François  Rochechouart,  sieur  de  Champdenicrs,  gouver- 
neur de  Gênes,  à  Alberto  Pio,  comte  de  Carpi,  ambassadeur  à  Rome.  Gênes, 
à  Alberto  Pio,  comte  de  Carpi,  ambassadeur  àRomc.  Gènes,  14  juin  (R.  dk 
Maulde  La  Clavière,  La  diplomatie  au  temps  de  Machiavel.  Paris,  1892, 
in-8»,  t.  II,  p.  462). 

(5)  Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  1232.  —  Rui-ff,  Histoire  de  Mar- 
seille, t.  II,  p.  348.  —  Spont,  p.  415. 


X^,;>^<,i-    S^C' 


LA     FLOTTli     FRANÇAISE     A     GÈNES     (1510) 

(B    N.,  Franc.    iO.360,   fol.  35   ;   manuscrit  t-vécutt;  cette  année-là  pour  le  jjouverneur  de  Gènes. j 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  85 

de  l Anguille^  envoyée  aux  vivres,  sauta  sur  le  comité  et  les 
soldats  de  garde  et  massacra  soixante-dix  hommes.  Avec 
quarante  Marseillais  seulement  et  un  petit  brigantin,  Pré- 
gent  mit  le  cap  sur  V Anguille  et  la  reprit  à  l'abordage.  Trois 
des  mutins  furent  écartelés  ou  pendus  pour  l'exemple. 

Au  lieu  de  porter  un  coup  droit  contre  Gènes,  les  capi- 
taines généraux  de  la  flotte  alliée,  Baldassare  de  Biassa  et 
Girolamo  Contarini,  dit  Grillo,  s'étaient  attardés  à  Chia- 
vari,  Rapallo,  Sestri.  Ce  fut  dans  la  journée  du  17  juillet 
1510  seulement  qu'ils  s'avisèrent  d'enlever  Gènes  par  une 
attaque  nocturne.  Confiants  dans  leurs  forces  navales 
qu'avaient  accrues  sept  cent  douze  hommes  des  troupes  de 
Marcantonio  Colonna,  ils  ne  redoutaient,  à  l'entrée  du 
port,  que  les  feux  du  fort  de  la  Lanterne.  Ils  comptaient 
sans  Prégent  de  Bidoux.  Dans  la  matinée  du  surlendemain, 
ils  eurent  connaissance  de  la  flotte  française,  qui  venait  à 
leur  rencontre  par  le  travers  de  Portofino. 

Sur  les  conseils  de  Biassa,  Contarini  jeta  l'ancre  dans 
une  petite  anse,  qu'on  appelait  alors  la  fosse  de  Villama- 
rino,  à  quelque  distance  à  l'est  de  Gênes  ;  un  bas-fond  cou- 
vrait leurs  quatorze  galères  (1)  contre  le  choc  d'une  flotte 
venant  du  large.  Prégent  de  Bidoux  les  délogea  pourtant 
de  cette  position  formidable.  Il  avançait  sur  trois  lignes  de 
cinq  à  six  bâtiments  chacune  :  des  barques  armées  à  l'avant 
d'une  pièce  de  trente,  puis  six  galères,  enfin  les  carraques 
en  remorque.  Les  barques,  lancées  en  tirailleurs,  ouvrirent 
le  feu  par-dessus  l'écueil;  leur  décharge  faite,  elles  étaient 
halées  en  arrière  au  moyen  d'un  long  filin  par  les  carra- 
ques et,  à  l'abri,  préparaient  une  nouvelle  bordée.  Conta- 
rini et  Biassa  tentèrent  contre  ces  moucherons,  qui  leur 


(1)  Selon  la  version  de  Francesco-Maria  délia  Rovere;  12  galères  et  deux 
brigantins,  suivant  Girolamo  Contarini,  qui  réduit  à  quinze  bâtiments  l'es- 
cadre de  Prégent,  au  lieu  des  dix-huit  relevés  par  Francesco-Maria  (Sancto, 
t.  XI,  col.  13-14). 


86  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

fracassaient  apostis  et  palementes,  une  attaque  de  flanc. 
Mais  ils  tombèrent  alors  sous  le  feu  violent  des  carraques, 
dont  les  longues  coulevrines  portaient  plus  loin  que  les 
gros  coursiers  de  leurs  galères  ;  les  boulets  de  cent  livres 
de  nos  doubles  canons  eurent  vite  fait  de  mettre  en  déroute 
toute  la  flotte  vénéto-pontificale.  Prégent  ne  lâcha  point 
les  vaincus  ;  il  les  pourchassa  jusqu'à  l'île  d'Elbe,  prenant 
position  à  Porto-Ferraio  tandis  qu'ils  s'arrêtaient  à  Porto- 
Longone.  Gontarini  recula  jusqu'à  Civita-Vecchia,  d'où  il 
alla  quêter  près  du  pape  un  réconfort,  lui  contant  inter 
pocula  sa  mésaventure  (1). 

Jules  II,  le  pape-soldat,  que  l'échec  n'avait  point  décou- 
ragé, renforça  l'escadre  d'une  galéasse  pontificale,  de  trois 
vaisseaux  de  Biscaie  et  de  cinq  galères  vénitiennes;  il  la 
bénit,  après  l'avoir  passée  en  revue  à  Ostie,  et  l'envoya  de 
nouveau  dans  la  Rivière,  malgré  les  observations  de  Gon- 
tarini. Il  comptait  que  les  Suisses,  descendant  de  leurs  mon- 
tagnes vers  Savone,  prendraient  Gênes  entre  deux  feux  (2). 

De  Porto-Venere,  où  il  s'était  mis  en  embuscade,  Pré- 
gent de  Bidoux  vit  passer  la  flotte  de  Gontarini,  en  route 
pour  le  nord.  Il  s'ébranla  à  sa  suite  et  ne  perdit  plus  le 
contact.  Selon  le  plan  concerté  avec  le  pape,  Gontarini  se 
rendit  aux  abords  de  Savone,  où  il  pensait  avoir  quelque 
nouvelle  des  Suisses.  Mais  dès  qu'il  relâcha  à  Vado  pour 
faire  de  l'eau,  Prégent  l'attaqua  et  le  mit  en  fuite,  le  5  sep- 
tembre. 

Pour  en  finir,  on  résolut  de  masser  sous  les  ordres  de 
Prégent  tous  les  garde-côtes  (3),  les  navires  de  garde  que 

(1)  Francesco-Maria  dei.la  Rovere,  Discorsi  militari.  Ferrara,  1583, 
in-12,  p.  30. — A.  Gdglielmotti,  t.  I,  p.  86.  —  Spont,  p.  416.  — 
Sanuto,  t.  XI,  col.  51. 

(2)  Bia{^io  Bijonaccorsi,  Diario  de  successi  pin  iinportanti  segiiiti  i)i 
Italia  et  particolarmciite  in  Fiorcnza  (1498-1512).  Fiorenza,  1568,  in-4°, 
p.    148-149.   GUGLIELMOTTI,   Pliati,    p.   92. 

(3)  Celte  année-là,  trente-neuf  bâtiments  furent  armés  en  puerre  :  6  galères. 


EXPEDITIONS    D'ITALIE.  87 

François  de  Rochechouart  conservait  à  Gênes,  et  les  quatre 
galères  marseillaises  de  François  Albertinelli  (1),  capitaine 
garde  de  l'arsenal  (2).  La  côte  provençale,  désormais 
dégarnie  de  vaisseaux,  fut  bordée  par  les  milices  qui  arri- 
vaient en  armes  de  la  montagne  et  de  la  plaine,  sur  la 
réquisition  du  gouverneur  (3). 

Rejeté  vers  AlPjenga,  Gontarini  était  des  plus  perplexes. 
Il  avait  appris  par  un  prisonnier  que  l'arrivée  des  sept  cents 
hommes  de  Filippino  Fieschi  mettait  la  ville  de  Gènes  à 
labri  d'un  coup  de  main  (4).  D'aller  ravager  la  Provence, 
il  ne  pouvait  être  question.  Le  l)ruit  courait  à  Albenga  que 
l'escadre  française  en  prenait  la  route.  En  se  repliant,  eu 
désespoir  de  cause,  sur  La  Spezia,  le  provéditeur  vénitien 
se  trouva  nez  à  nez  avec  Prégent  de  Bidoux.  La  rencontre 
eut  lieu  le  8  septembre,  à  douze  milles  de  Gênes  vers  Gapo 
di  Monte.  Gontarini  lança  à  l'attaque  son  collègue  Biassa 
avec  la  galéasse  pontificale,  une  autre  galère  bâtarde  et  les 
galères  Michiela,  Morosina,  Cornera  et  Ema^  bien  montées 
d'artillerie  :  à  l'est,  avec  les  dix  autres  galères  en  deux  divi- 
sions qui  formaient  le  croissant,  il  attendait,  pour  nous 
envelopper  ou  pour  donner  au  contraire  le  signal  de  la 
retraite,  l'issue  du  duel  d'artillerie. 

Prégent  opposa  à  la  division  Biassa  Bernardin  de  Baux; 
n'ayant  pas  encore  été  rejoint  par  la  division  Albertinelli, 
lui-même  se  porta  contre  le  provéditeur,  les  grands  voiliers 
à  la  remorque  de  ses  six  galères.   Il   avait   l'avantage  du 

16  galions,  4  grosses  barques  et  13  navires  (Compte  de  Moreict  du  Museau  : 
B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  184  v°). 

(1)  En  partance  le  16  septemb'e  1510  (Archives  des  Bouches-du-Rliône, 
B  2551,  fol.  144). 

(2)  Ofticc  qu'il  résigna  et  dont  fut  pourvu,  en  sa  place,  Renaido  Vento 
le  23  janvier  1516  (Archives  des  Bouches-du-Bhône,  B  26,  fol.  97  v°). 

(3)  Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B2551,  fol.  185. 

(4)  Lettre  de  Girolamo  Gontarini.  f^rès  d'Albenga,  6  septembre  (Sasuto, 
Diaiii,  t.  XI,  col.  427).  —  Lettre  de  Pier-Antonio  Falier.  Piombino. 
13  septembre  (Ibidem,  col.  433). 


88  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

nombre,  vinj^i-sept  bâtiments  fl),  mais  non  celui  des  évo- 
hitions  :  il  n'y  avait  pas  «  un  poil  de  vent  "  .  L'un  était  à  la 
discrétion  de  la  brise,  tandis  que  les  autres,  selon  sa  pitto- 
resque expression,  portaient  "  le  vent  en  couverte.  " 

Il  Et  vous  promectz  ma  foy,  continuait  Prégent,  que 
pour  ce  jour-la,  ils  ne  monstrèrent  point  qu'ilz  feussent 
Vénisiens,  car  je  promectz  à  Dieu  que  je  ne  viz  jamais  gens 
venir  en  meilleur  ordre,  ne  plus  hardiment  que  firent 
ceulx-là  (2).  1)  Mais  sous  le  tir  terrible  des  vaisseaux  de 
haut  bord,  particulièrement  du  galion  et  de  la  barge  de 
Bernardin  de  Baux,  de  la  nef  du  grand  maître  et  de  celle 
d'Yves  d'Alègre,  contre  lesquelles  les  bâtardes  concentraient 
leurs  feux,  les  galères  ennemies  n'osèrent  en  venir  à  l'abor- 
dage, et  après  trois  heures  de  combat,  où  il  se  tira  cinq 
cents  coups  de  canon,  elles  battirent  en  retraite,  la  Cor- 
nera et  la  Paiera  avec  des  avaries.  Après  avoir  enterré  ses 
morts  au  cap  de  Crau,  Gontarini  chercha  à  accoster  à  Porto- 
Venere  pour  se  rafraîchir;  mais  il  fut  repoussé  par  une 
furieuse  canonnade  de  quatre  carraques  qu'y  avait  déta- 
chées Prégent  (3).  A  Livourne,  il  fut  accueilli  pis  qu'il  ne 
l'eût  été  en  Turquie.  Bref,  mourant  de  soif  et  toujours  pour- 
suivis par  Prégent  qui  captura  quatre  navires  (4), les  Véni- 
tiens furent  cha'ssés  de  la  Rivière.  Après  une  dernière  et 
infructueuse  tentative  sur  Porto-Venere.  ils  s'en  retour- 
nèrent. La  tempête  fracassa  deux  de  leurs  galères  sur  les 
côtes  de  Galabre  et  rasa  les  autres  comme  des  pontons  (5). 

(i)  6  galères,  13  galions,  4  gros  vaisseaux  et  des  brigantins.  Lettres  du 
provéditeur  Contarini  (Piombino,  13  septembre)  et  de  Janus  di  Campo  Fre- 
goso  (Piombino,  12  septembre)  (Sanuto,  t.  XI,  col.  428-432). 

(2)  Lettre  de  Prégent  relatant  la  bataille.  En  galère,  «  Port-Vendres  » 
[Porto-Venere],  le  17  septembre  (Archives  des  Bouches-du-Rhone,  B  2551, 
fol.  139  :  Spoxt,  p.  418,  note). 

(3)  Ibidem. 

(4)  Compte  de  Morelet  du  IMuscau  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  184  v"). 

(5)  Gdichardin,  liv.  IX,  chap.  III    —  B    N.,  Dupuy,    vol.   262,  fol.    21. 


LA    SAINTE-LIGUE 


A  Michel-Ange  qui  lui  demandait  comment  il  désirait 
être  représenté,  Jules  II  avait  répondu  :  »  L'épée  à  la 
main.  "  Il  n'acceptait  point  l'échec  que  nous  lui  avions 
fait  subir  :  bientôt,  par  ses  soins,  une  ligue  qualifiée  de 
sainte  unit,  contre  nous,  pape,  empereur,  rois  d'Espagne  et 
d'Angleterre,  Vénitiens,  Suisses,  Florentins  et  Génois  (I). 
«  Depuis  que  la  France  est  France,  écrivait  un  agent  impé- 
rial, quelque  bonne  mine  qtie  Messieurs  les  Français 
tiennent  de  eulx  bien  deffendre,  ils  ne  furent  jamais  si 
étonnés  qu'ils  sont  à  présent,  car  ils  doubtent  merveil- 
leusement de  leur  destruction  complète  (2).  "  Contre  le 
Milanais,  les  coalisés  italiens  vont  concentrer  leurs  efforts, 
Henri  VIII  débarquer  à  Calais ,  Ferdinand  entrer  en 
Guyenne.  La  France  semble  condamnée;  et  partout,  elle 
sort  victorieuse  de  l'épreuve,  sans  autre  appui  effectif  que 
l'Ecosse  et  la  Gueldre,  sans  autre  soutien  moral  que  le 
Danemark. 


(1)  La  Sainte-Ligue  est  du  V  octobre  1511;  HenVi  VIII  y  entra  le  13  no- 
vembre. 

(2)  Ernest  Lavisse,  Histoire   rie   France,   t.   V,  par   M.    H.    Lemonmer, 
p.  98. 


90  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

I 

LA    DÉFENSE    DES    COTES    DU    PONANT 

Dès  1  instanl  que  rAiigleterre  et  TEspagne  entraient  en 
ligne,  le  théâtre  de  la  guerre  navale  se  déplaçait.  C  était 
sur  l'Océan  qu'il  était  urgent  et  de  »  merveilleux  proffit  " 
de  se  rendre  "  maistre  de  la  mer  (1).  »  Louis  XII  agit  en 
conséquence.  En  Bretagne,  le  grand  maître  et  le  capitaine 
de  Brest,  Gilles  de  Tissue  (2j ,  en  Normandie,  le  vice- 
amiral  René  de  Glermont,  en  Guyenne,  l'amiral  Louis  de 
La  Trémoille  et  le  vice-amiral  Regnault  de  Moussy  eurent 
ordre  de  tenir  parés  à  tout  événement  les  navires  de 
leurs  circonscriptions  et  d'organiser  la  défense  côtière  (3). 
Le  commandement  en  chef  des  forces  navales,  que  Louis 
de  la  Trémoille  revendiquait  (4),  fut  dévolu  au  subor- 
donné de  l'amiral  de  France,  René  de  Glermont  (5). 

Comme  il  importait  de  nous  concerter  avec  notre  allié, 
Jacques  IV  d'Ecosse,  et  surtout  de  stipendier  ses  troupes, 
on  lui  dépêcha  une  flottille  de  cinq  bâtiments  que  les 
Anglais  coulèrent  ou  prirent  au  passage  (6).  Une  petite 
division  écossaise,  qvii  ramenait  en  France  notre  ambassa- 

(i)  Lettre  de  l'amiral  Louis  de  La  Trémoille.  Rouen,  10  juin  1512 
(B.  N.,  Franc.  3925,  fol.  56  :  A.  Spont,  The  War  with  France  (1512- 
1514).  London,  1897,  in-8  ,  p.  21,  publication  of  the  Royal  Navy  records 
Society.) 

(2)  B.  N.,  Franc.  5501,  fol.  106. 

(3)  21  février  et  9  mars  1512  (E.  de  FrÉville,  Mémoire  sur  le  commerce 
de  Rouen,  t.  II,  p.  415.  —  Archives  municipales  de  Bayonnc.  Délibéra- 
tions :  registres  gascons.  Bayonnc,  t.  I  (1896),  p.  496). 

(4)  Lettre  du  10  juin,  citée. 

(5)  Suivant  patentes  du  2  juillet  (B.  N.,  Pièces  Orig.  784,  Glermont, 
p.  49  :  Spont,  p.  29). 

(6)  Lettre  de  Pierre  Martyr.  Burgos,  20  mai  (Martyr  d'Anguiera,  Episto- 
lae,  n°  486). 


LA    SAINTE-LIGLE.  91 

(leur,  Charles  de  Tocque  de  La  Motte,  eut  le  même  sort  : 
un  des  bâtiments  fut  capturé,  un  autre  parvint  ù  gagner  la 
Zélande,  le  troisième  s'enfuit  en  Danemark  avec  l'ambas- 
sadeur à  bord  (l.) 

Entre  les  deux  pays  alliés,  le  contact  fut  rétabli  à  tra- 
vers la  mer  d'Irlande  par  un  Aaillant  corsaire  malouin, 
Philippe  Roussel.  Sa  Itarque,  la  Pounie,  n'avait  que  cin- 
quante tonnes;  mais  des  formes  rases  et  sveltes  et  un 
accastillage  intentionnellement  surbaissé  pour  mieux  tirer 
à  fleur  d'eau,  en  faisaient  un  excellent  navire  de  course. 
Soit  en  Irlande,  soit  au  large  de  Kirkudbright,  elle  n'en- 
leva pas  moins  de  douze  bâtiments  richement  chargés,  dont 
la  vente  en  Ecosse  fit  la  fortune  de  l'équipage  et  permit  au 
capitaine  d'habiller  ses  marins  d'un  coquet  uniforme,  un 
peu  voyant  peut-être,  des  jaquettes  rouges  et  bleues  (2). 

Dans  la  croyance  que  les  escadres  anglaises  opéreraient 
trois  descentes,  à  Calais,  à  l'embouchure  de  la  Seine  et  à 
Fontarabie  (3),  la  côte  du  nord-est  était  soigneusement 
gardée;  quatre  grands  vaisseaux  faisaient  le  guet  au  large 
de  Honfleur  (4)  ;  et  un  bateau  blindé,  acquis  par  Bavonnc, 
servait  de  vigie  à  la  frontière  basque  (5).  La  grande  nef  la 
Coî^deliêre  enfin,  commandée  par  Portzmoguer,  courait  de 
fructueuses  bordées  au  large  du  cap  Finistère,  non  loin 
des  ports  de  Guipuscoa,  ovi  une  escadre  achevait  ses  prépa- 
titspour  rejoindre  les  Anglais  (6). 

Le  bruit  courut  à  Marseille  que  les  Anglais  avaient  noué 

(t)  Juillet  [Letters  and  papers  foreiqn  and  domestic  of  the  reiçn  of 
Henry  VIII,  by  J.  S.  Brewer.  London,  1862  et  suiv.,  in-8",  t.  I,  n°'  3326, 
3340,  dans  la  Collection  des  Calondar  of  State  papers). 

(1)  Record  Oflicc,  Chapter  House  book  83,  p.  76  :  Spont,  p.  42,  note  3, 
et  p.   198 

(3)  Lettre  de  La  Trémoille  du  10  juin,  citée. 

(4)  British  Muséum,  Caligula  El,  fol    108  :  Spoxt,  p.  xx,  note. 

(5)  Archives  de  Bayonne,  CC  340. 

(6)  Lettres  datées  de  Londres,  14  juillet  et  3  août  (Sà>CTO,  t.  XIV, 
col.  580,  596  :  Spont,  p.  38,  42). 


92  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

des  intelligences  avec  les  consuls  bordelais  :  quatre  bâti- 
ments étaient  déjà  arrivés  à  Bordeaux  avec  une  cargaison 
d'armes  dissimulées  sous  du  sel,  quand  une  femme,  par 
basard,  découvrit  et  révéla  la  supercherie:  la  rébellion  fut 
étouffée  avant  l'arrivée  de  la  flotte  britannique  (1).  Décon- 
tenancés par  les  sévères  mesures  de  défense  que  prit  le  duc 
de  Longueville,  les  Anglais  renoncèrent  à  un  coup  de  main 
sur  Bordeaux.  Un  de  leurs  espions  les  mieux  informés  opi- 
nait pour  un  tout  autre  plan  de  campagne  :  une  escadre 
légère  venant  avec  la  haute  mer  à  Honfleur,  y  brûlera  une 
centaine  de  bâtiments  encore  mal  armés;  sans  s'attarder 
dans  la  Haute-Normandie,  trop  fortement  occupée  par 
François  d'Angouléme.  elle  ralliera  en  mer  le  gros  de  la 
flotte  et  pillera  la  Basse-Normandie.  Une  course  rapide 
vers  La  Rochelle  la  mettra  vite  en  possession  de  ce  port, 
surtout  si  la  chaîne  n  est  pas  tendue.  La  dernière  étape 
sera  Fontarabie,  d'où  il  est  facile  de  ruiner  le  Labourd  et 
la  Guyenne    2) . 

Le  3  juin,  l'amiral  Ed\vard  Howard  quittait  lîle  de  Wight 
à  la  tête  de  vingt-deux  vaisseaux  de  guerre  et  trois  mille 
deux  cent  quatre-vingt-cinq  hommes  (3). 

Prenant  une  tout  autre  direction  que  l'itinéraire  tracé 
par  l'espion,  il  mouillait  dans  la  baie  de  Bertheaume;  ses 
colonnes  pillèrent  à  leur  aise  Le  Conquet,  Crozon  et  les 
villages  jusqu'à  Brest.  De  résistance,  point.  L'excommuni- 
cation lancée  par  le  pape  Jules  H  contre  Louis  XII  faisait 
effet  :  les  paysans  bretons  refusaient  de  marcher  contre  les 
alliés  du  pape.  "  Ce  n  est  pas  de  plein  gré,  c'est  de  force, 
disaient-ils,  que  nous  défendons  le  roi  de  France  contre 
Sa  Sainteté."  Ecœurés,  des  gentilshommes  prièrent  l'amiral 


(1)  Valbelle,  B.  n.,  Franc.  5072,  fol.  27  bis. 

(2)  British  Muséum,  Caligula  Ei,  toi.  108  :  Spont,  p.  xx,  note. 

(3)  Rôle  de   la  flotte   anglaise  d'Howard   (Record   ofHce,    Chapter  Honse 
booli  83  :  p.  3-13). 


LA    SAINTE-LIGUE.  93 

Howard  de  surseoir  à  ses  exécutions  barbares  :  «  Je  suis 
venu  faire  la  guerre  et  non  la  paix,  répondit  l'amiral.  Est- 
ce  à  des  gentilshommes  de  parler  de  paix  au  lieu  de  défendre 
par  les  armes  leurs  foyers?»  Et  entre  autres  manoirs,  il 
incendia  celui  d'un  capitaine  qui  allait  bientôt  se  dresser 
devant  lui,  je  veux  dire  Hervé  de  Portzmoguer. 

De  retour  à  Southampton  avec  de  nombreuses  prises,  il 
intercepta  les  vaisseaux  et  munitions  de  guerre  que  le  roi 
de  France  envoyait  à  son  allié,  le  duc  de  Gueldre  (1),  puis 
vingt-six  hourques  bien  armées  qui  allaient  prendre  une 
cargaison  de  sel  à  la  baie  de  Bourgneuf.  Des  Dunes, 
Howard  rebroussa  chemin  vers  l'Océan  (i),  afin  de  faire  sa 
jonction  avec  l'escadre  espagnole  de  Juan  de  Lezcano,  qui 
allait  quitter  le  15  août  les  ports  du  Guipuscoa,  faisant 
route  vers  la  Manche  («i).  Mais  auparavant,  il  se  rencontra 
avec  la  flotte  française,  qui  achevait  sa  concentration  à 
Brest. 


II 


"LA    CORDELIERE   "    ET    "    LE    REGENT" 

Dans  la  nuit  du  9  au  10  août  1512,  les  postes  d'observa- 
tions échelonnés  le  long  de  la  côte,  de  sept  eu  sept  lieues, 
de  Dinan  à  Brest  (4),  signalèrent  l'approche  d'une  grosse 
flotte  (5).  a  Prinsà  despourveu,  non  sov  donnant  garde  des 
Anglois  (6),  1)    nos   marins  levèrent  l'ancre  avec  une  telle 

(1)  Sanlto,  t.  XV,  col.  95  :  Spost,  p.  26,  xvu-xix. 

(2)  Sanuto,  t.  XIV.  col.  580  :  Spoint,  p.  37. 

(3)  Les  15  gros  vaisseaux  et  8  caravelles  de  Lezcano,  avec  5.000  hommes, 
arrivèrent  à  Southampton  le  S  septembre  (Sasuto,  t.  XV,  col.  227  :  Spont, 
p.  41). 

(4)  Depuis  le  lOjuin  (Dom  Morice,  Mémoires. . .  île  Brclacjue,  t.  III,  903). 
\p)  Sanutu,  t.  XV,  col.  227. 

(6)  Alain  Bouchart,  Chroniqueur  contemporain.    Les   Graiules  cioniques 


94  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

précipitation  que  Hervé  de  Portzmoguer,  capitaine  de  la 
Cordelière,  n'eut  même  pas  le  temps  de  débarquer  ses 
invités  (1),  entre  autres  de  nobles  dames  auxquelles  les 
hasards  de  la  guerre  réservaient  une  cruelle  surprise  (2). 
On  marchait  à  l'ennemi,  afin  de  ne  pas  se  laisser  enfermer 
dans  la  rade  de  Brest,  où  l'on  pouvaitcraindrc  une  attaque 
combinée  des  troupes  de  débarquement  et  de  la  flotte 
anglaise  (3). 

Enfin,  l'occasion  s'offrait  au  capitaine  l)reton  de  con- 
fondre ses  envieux.  Ne  l'avaicnt-ils  point  desservi  auprès 
de  sa  maîtresse  au  point  qu'en  1506,  lors  du  voyage  d'Anne 
de  Bretagne  à  travers  le  duché,  Portzmoguer  n'avait  pas 
osé  paraître  devant  elle.  Tandis  que  la  reine  visitait  Saint- 
Pol  de  Léon,  port  d'attache  habituel  dvi  capitaine,  celui-ci 
s  était  tenu  en  mer  avec  ses  vaisseaux.  Il  avait  fallu  que  la 
reine  prît  l'initiative  de  le  mander  près  d'elle,  à  Morlaix  : 


<Ie  Bretalqne,  éd.  II.  Le  Meignen.  !Xantcs,  Soc.  de»  Bibliophiles  bretons, 
1886,  in-4»,  fol.  274. 

(1)  Hervé  avait  comme  hôtes  les  parents  de  sa  femme,  les  Coatjunval, 
Hervé  son  beau-père,  Prégent  Coatmenech  et  François  Le  Baillif,  les  uns 
seigneurs  de  Coatjunval,  les  autres  simples  expectants  de  la  seigneurie.  Il  y 
avait  là  l'expectant  de  Quillimadec,  Maurice  Kérasker  et  Tanguy  Kerlez- 
roux,  et  d'autres  noms  bien  bretons,  Jean  le  Saint,  Christophe  de  l'isle, 
fiabriel  Brezal,  Olivier  et  Yvon  Nez,  Yvon  Kerdren,  Jean  Bouteville,  Man- 
dez Quiniou,  Jean  Tanguy,  N.  Dolo,  Yvon  Le  Digouris,  Guillaume  Marreo, 
Jean  Kermelec,  trois  cents  gentilshommes  {Bulletin  de  la  Société  archéolo- 
qique  du  Finistère,  t.  VIII,  p.  164).  —  T^es  Kcrlezroux  et  Coatmenech 
venaient  de  Plouvenez,  au  diocèse  du  Léon  (Bèforniation  de  la  noblesse  du 
diocèse  de  Léon,  1443  :  B.  N.,  Franc.  22320,  fol.  316). 

(2^  On  consultera,  avec  fruit,  sur  le  combat  de  la  Cordelière  et  du 
Réqent  :  Germain  Brice,  Chordigerae  navis  conflaqratio.  Lutetiae,  1513, 
in-4°  :  traduit  en  vers  français  par  Pierre  CnoQUP:,  héraut  d'Anne  de  Bre- 
tagne. —  J.\L,  Etude  pour  une  histoire  de  la  marine  française  :  Marie  I.a 
Cordelière  (xvi"  siècle),  extrait  des  Annales  maritimes  et  coloniales,  dé- 
cembre 1844.  Paris,  1845,  in-8''.  — J.\l,  L'JIeriwus  de  Germain  Brice;  Errata 
pour  Marie  La  Cordelière.  Paris,  21  mars  1845  (Annales  maritimes  et  colo- 
niales, t.  XC,  p.  717).  —  A.  Spont,  The  War  with  France  (1512-1513). 
London,  1897,  in-8",  XLVin-219  pages  (Publication  of  the  Navy  records 
Society). 

(3)  Lettre  de  Spinelly  à  Henri  VIII.  17  août  ^Spont,  p.  48). 


LA    SAINTE-LIGUE.  95 

dans  1  entrevue  qui  suivit,  en  présence  de  nombreux  sei- 
gneurs, Portzmoguer  se  justifia  si  bien  qu'il  conquit  l'affec- 
tion de  sa  maîtresse  et  que  le  commandement  de  la  Corde- 
lière et  des  nefs  ducales  lui  fut  donne  comme  à  un  des  plus 
loyaux  serviteurs  de  son  pays  (1). 

Howard  avait  louvoyé  toute  la  nuit  le  long  de  la  côte 
bretonne.  Vers  onze  heures  du  matin,  sa  galère  de  vigie 
découvrait  nos  vingt  et  un  vaisseaux  de  guerre  mouillés  en 
dehors  des  passes  du  goulet  de  Brest,  entre  la  pointe  de 
Saint-Mathieu  et  celle  de  Toulinguet,  à  trois  milles  au 
large.  Les  deux  flottes  étaient  sensiblement  égales  en 
unités  de  combat,  vingt  et  une  contre  vingt-cinq.  Mais  les 
vaisseaux  anglais,  plus  forts  de  tonnage  que  les  nôtres, 
étaient  accompagnés  de  vingt-six  hourques  flamandes  et 
de  transports  à  munitions,  (jui  dans  le  lointain  faisaient 
nombre  et  illusionnaient  sur  les  forces  réelles  de  l'en- 
nemi (2) . 

Jugeant  la  partie  trop  inégale,  nos  marins  virèrent  de 
bord  pour  rentrer  dans  le  goulet.  Les  Nefs  de  Bordeaux, 
d'Orléans,  de  Rouen,  les  barques  Mon'cet  et  Jea?i  Denis,  Petite 
Louise,  Rose,  Béthune,  Romaine,  Sibylle,  Foy,  Marie  de 
Clermont  et  presque  tous  les  bâtiments  français  ne  prirent 
aucune  part  à  l'action.  Seuls,  les  vaisseaux  de  premier 
rang  la  Louise  et  la  Cordelière,  couvraient  la  retraite  : 
à  leurs  côtés,  un  bâtiment  plus  petit,  la  Nef  de  Dieppe  on  la 
Dieppoise,  de  trois  cent  trente-six  tonneaux,  était  resté  fière- 
ment à  son  poste  de  combat.  La  grande  nef  Louise  battait 
pavillon  du  vice-amiral  René  de  Clermont. 

L'ennemi  n'était  plus  qu'à  deux  lieues.  Par  mer  hou- 
leuse et  vent  debout,  deux  navires,  forçant  de  voilure  pour 
nous  joindre,  prirent  une  avance  d'un  quart  de  lieue  sur  le 
reste  de  la  flotte  anglaise.  L'un  d'eux  arriva  à  portée  de 

(i)  ROUCIIART,  fol.   266. 

(2)  Jjettres  de  Piero  Lando  et  d'Antonio  Bavarin  (Spoxt,  p.  53,  61). 


96  HISTOIRE    DE    LA    MARIISE    FRAïsÇAlSE. 

canon  de  la  nef  amirale  de  France,  avant  qu  elle  eût  le 
temps  de  lever  l'ancre;  et  en  un  clin  d'œil,  il  l'accabla 
d'une  grêle  de  boulets,  lui  cassa  le  grand  mat  et  la  força  à 
se  sauver  au  milieu  des  roches.  Les  deux  amiraux  s'étaient 
trouvés  en  présence  :  1  amiral  HoAvard  n'avait  qu'un  bâti- 
ment de  cinq  cents  tonnes,  la  Mary  Rose,  et  quatre  cent 
onze  hommes  d'équipage  (Ij  ;  le  vice-amiral  de  Glermont 
avait  six  cents  hommes  sur  la  Louise  (2],  et  c'est  lui  qui 
avait  été  vaincu.  Il  perdit  toute  présence  d'esprit;  spec- 
tateur immobile  et  comme  désintéressé  du  combat  furieux 
que  livraient  ses  deux  derniers  vaisseaux,  il  ne  songeait 
qu'à  se  sauver. 

La  Mary  James,  capitaine  Thomas  Ughtred,  attaquait 
la  Cordelière.  En  cas  d'engagement  d  un  navire  léger  avec 
de  gros  vaisseaux,  la  règle  était  d'éviter  l'abordage  et  de 
profiter  de  son  agilité  pour  canonner  les  adversaires  "  en 
tous  jours  toupiant  autour  (3j .  G  est  ce  que  fit  la  Mary 
James,  qui  ne  jaugeait  que  quatre  cents  tonneaux.  Et  tout 
en  tournant  comme  une  "  toupie  »  autour  de  la  Cordelière, 
elle  lui  lâcha  une  bordée  de  six  gros  canons  courts  pointés 
très  bas,  presque  à  fleur  d'eau.  La  carraque  bretonne 
accusa  le  coup  par  des  craquements  sinistres  (4j  dans  la 
membrure.  Que  ce  fut  ou  non  le  but  d  Ughtred,  il  était 
parvenu  à  occuper  son  redoutable  adversaire  jusqu'à  l'ar- 
rivée du  gros  de  la  flotte  anglaise,  en  particulier  de  deux 
magnifiques  bâtiments,  le  Régent  et  le  Sonereign,  frères 
jumeaux,  de  mille  tonnes  chacun. 

Le  Sovereign,  qui  était  au  vent  de  la  Cordelière,  laissa 
porter  sur  elle  de  façon  à  heurter  de  l'avant  le  beaupré 
ennemi.   C'était   un    rude   combattant   que  Charles  Bran- 


(i)  Spont,  p.  4-5. 

(2)  Sponï,  p.  48,  n.  2  :  la  Louise  avait  790  tonnes. 

(3)  B.  N.,  Franc.   1244,  fol.  90. 

(4)  Lettre  du  Vénitien  l'iero  Lando  (Spom',  p.  (J2). 


LA   SAINTE-LIGUE.  97 

don,  plus  tard  duc  de  Suffolk,  le  futur  époux  de  la  veuve 
de  Louis  XII  :  et  il  avait  une  troupe  d'élite  de  soixaîite 
hommes  de  la  garde  royale,  commandés  par  Henry  Guilfort. 
Mais  Portzrnoguer  ne  leur  donna  pas  le  loisir  de  faire  leurs 
preuves.  Une  bordée  bien  dirigée  força  le  Sovereign  à 
laisser  arriver  et  à  quitter  le  champ  de  bataille  avec  un 
mât  cassé  (l).  Brandon  mit  cet  échec  sur  le  compte  d'une 
fausse  manœuvre  du  maître  d'équipage;  aveuglé  par  la 
fumée,  il  aurait  dépassé  la  carraque  (2). 

Du  Régent,  Thomas  Knyvet,  grand  écuyer  d'Angleterre, 
s'était  aperçu,  au  moment  où  il  s'apprêtait  à  aborder /a  Nef' 
de  Dieppe,  que  le  feu  terrible  des  Bretons  mettait  à  mal 
les  petits  bâtiments  de  l'escadre  (3).  Knyvet  vira  donc  de 
bord  pour  venir  à  la  rescousse.  Tandis  qu'il  manœuvrait 
pour  gagner  au  vent,  Portzrnoguer  se  jeta  sur  lui, 

Comme  le  chien  ensiiyt  toujours  le  liepvre 

El  qu'il  s'en  joue  quant  il  le  tient  aux  clens  (4). 

En  brusquant  l'attaque,  il  empêchait  le  Régent  àa  quitter 
sa  position  et  le  gardait  à  tribord  sous  le  vent  (5).  Et  ses 
pièces  recommencèrent  à  tonner  :  seize  pièces  de  gros 
calibre  (6)  lançaient  par  les  sabords  des  pierres  de  cent  à 
cent  vingt  livres,  tandis  qu'au  second  et  au  troisième  étage 
du  château  d'arrière  et  à  l'étage  de  l'avant,  une  nuée  de 
faucons,  fauconneaux,  scorpions,  crapaudeaux,  basilics, 
serpentins,  coulcvrines,  gros  vers  ou  autres  petites  pièces 


(1)  Polydorc  Virgile  (Jal,  Marie  la  Cordelière,  p.  76). 

(2)  HOUNSHED  (SpON'T,    p.  XXv) . 

(3)  Pierre  CnonrE,  vers  54-56  (Jal,  ibid.,  p.  74.) 

(4)  Jal,  ibid.,  p.  32,  n.  2. 

(5)  Lettre  d'Antonio  Bavarin,  écrite  d'après  le  rapport  du  pilote  de  la 
Cordelière,  qui  fut  sauvé  (Spo^t,  p.  55). 

(6)  Comme  on  le  voit  dans  la  miniature  représentant  le  combat  de  la 
Cordelière  et  du  Régent,  reproduite  en  chromolithographie  en  tête  de 
l'ouvrage  de  Spoxt  et  en  gravure  ci-contre. 


98  HISTOIRE   DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

crachaient  la  mitraille  dans  toutes  les  directions  (1).  La 
Cordelière  n'avait  que  50  canonniers  et  100  arquebusiers 
pour  tenir  tête  aux  100  canonniers  et  400  soldats  du  Régent, 
aux  batteries  de  la  Mary  James  et  d'une  troisième  nef  qui 
escortait  le  Régent  (2) . 

Néanmoins,  le  tir  des  Bretons  était  des  plus  meurtriers. 
Knyvet  fut  emporté  par  un  boulet  (3)  ;  John  Garew,  le 
second  capitaine,  était  blessé;  la  grande  nef  anglaise  avait 
un  mât  cassé  ;  Ughtred  comptait  un  tiers  de  son  équipage 
hors  de  combat,  une  trentaine  de  tués  et  soixante 
blessés  (4). 

Si  l'on  observait  encore  à  bord  de  la  Cordelière  le  règle- 
ment qu'elle  avait  reçu  durant  la  campagne  de  Mitylène,  il 
n'y  eut  d'engagés  pendant  la  canonnade  que  les  servants  de 
pièces.  Masqués  derrière  des  matelas  et  des  balles  de  laine, 
ils  tiraient  sous  un  treillis  de  cordages  disposé  en  forme  de 
voûte  au-dessus  du  pont,  afin  de  parer  les  projectiles 
lancés  des  hunes  et  des  gaillards.  Dans  l'entrepont,  marins 
et  soldats,  près  de  huit  cents,  et  trois  cents  gentilshommes, 
rangés  en  qviatre  compagnies  d'abordage  avec  autant  de 
sections  de  réserve,  attendaient  le  moment  d'agir  (5).  Leurs 
capitaines  étaient  «  Glaricho  » ,  Dolo,  Goaljunval,  beau- 
père  de  Portzmoguer,  et  le  sénéchal  de  Morlaix  (6). 

(i  Pour  l'heure  présente,  disait  le  savant  stratégiste  de 

(i)  B.N.,  Franc.  1244,  fol.  82.  La  description  de  l'artillerie  d'une  grosse 
nef,  que  donne  Philippe  de  Ravenstein,  s'applique  exactement  à  la  Corde- 
lière, qui  avait  bien  le  nombre  de  grosses  pièces  indiqué  par  lui. 

(2)  Pierre  Choque,  vers  125;  Polydore  Virgile  (Jal,  ibid.). 

(3)  Lettre  de  Wolsey  (Spost,  p.  50). 

(4)  Spont,  p.  61,  n.  2,  et  62. 

(5)  B.  N.,  Franc.  1244,  fol.  86. 

(6)  Lettres  de  Piero  Lando  et  d'Antonio  Bavarin  (Spont,  p.  54,  63)  : 
«  Mgr  Enores  de  Claricha,  Mgr  Simon  de  Loy,  Mgr  Vangel,  »  dit  le  second; 
«  El  S'  Gabriel  de  Chacho,  el  S'  Synion  de  la  Hay,  cl  S'  Cornangel,  le 
«  siniscalcho  di  Morles,  »  dit  le  premier.  De  Loy  et  Cornangel  sont  vrai- 
semblablement le  second,  Dolo  ou  Dolou,  et  le  S'  de  Coaljunval  des  docu- 
ments bretons  (Spoxt,  p.  54,  n.  5;  Cuoque,  vers  276). 


LA    SAINTE-LIGUE.  99 

Louis  XII,  Philippe  de  Ravenstein,  je  voys  plus  souvent  les 
navires  se  rendre  par  force  de  balre  devant  que  on  soit 
abordez  (1).  "  C'est  qu'il  n'avait  pas  vu  périr  la  Corde- 
lière. Criblée  de  boulets,  faisant  eau,  avec  cela  vieille  et 
usée,  —  car  une  quinzaine  d'années  (2),  c'est  la  vieillesse 
pour  un  vaisseau,  —  la  Cordelière  voulut  en  finir.  Elle  se 
jeta  sur  l'ennemi.  Je  ne  crois  pas,  malgré  l'aflirmation 
d'un  contemporain,  que  la  grande  nef  anglaise  fuyait  sous 
le  vent  «  comme  désespérée  et  jà  vaincue  et  mise  à  oul- 
trance  (3)  » .  C'est  même  une  question  de  savoir  laquelle 
des  deux  nefs  lança  la  première  les  grappins  d'abordage. 
Toujours  est-il  qu'une  fois  accrochées,  elles  ne  se  sépa- 
rèrent plus,  même  pour  mourir. 

Le  héraut  de  Bretagne  prête  à  son  compatriote  Portzmo- 
guer  une  énergique  allocution,  demandant  à  l'équipage  de 
se  sacrifier  pour  le  salut  de  la  France  et  pour  rhonncur  tie 
la  bonne  duchesse.  Et  l'équipage  se  sacrifia  :  le  sang  ruis- 
selait partout,  les  tillacs  étaient  jonchés  de  morts  et  de 
blessés,  quand,  cntin,  après  deux  heures  et  demie  d'une 
lutte  sanglante,  la  victoire  se  dessina  du  côté  des 
Anglais  (4).  Quatre  cents  hommes  bondirent  sur  la  Corde- 
lière (5),  ayant  à  leur  tète  Richard  Gyldeford,  maître 
armurier  du  roi  et  bailli  de  Winchelsea  (6). 

(i)  B.  N.,  Franc.  12^,  fol.  90. 

(2)  Construite  au  »  cay  de  Morlaix  »  par  Nicolas  Coetanleiu  pour 
22,5t2  livres,  9  sols,  2  deniers,  elle  fut  lancée  le  30  juin  1498  (Arch.  de  la 
Loire-Inférieure,  E  208  :  «  Bordereau  de  la  mise  faicte  pour  le  parachève- 
ment de  la  grant  nef  de  Mourlays,  appelée  la  MarcschaUe,  »  ou  Cordelière. 
—  Bulletin  de  la  Société  archéologifjue  du  Finistère,  t.  VIII,  p.  170). 

(3)  Pierre  Cuoquk,  vers  150  (Jal,  Marie  la  Cordelière,  p.  34).  Jal  a 
montré,  en  consultant  le  poème  latin  de  Germain  Brice,  qui  a  servi  de 
modèle  à  Choque,  que  les  feuillets  de  l'ouvrage  de  Choque  ont  été  interver- 
tis et  qu'il  faut  placer  les  vers  150  à  227  après  les  vers  228  à  288,  et  les 
vers  289  à  302  après  la  série  363  à  407  (Jal,  Annales  maritimes,  t.  XC 
(1845),  p.  725). 

(4)  Lettres  de  Ravarin  et  de  Wolsey  (Spont,  p.  51  et  53). 

(5)  Lettre  de  Lando  (Spont,  p.  62). 

(6)  11  avait  été  envoyé  avec  cent  soldats  sur  le  Réyent  (Spoxt,  p.  xxi,  n.  2). 


100  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Voyant  que  ses  gens  commençaient  à  plier,  Dolo,  prévôt 
ou  second  capitaine  de  la  Cordelière,  pour  leur  donner  du 
cœur,  leur  promit  du  secours.  Il  grimpa  dans  la  hune  de 
misaine,  en  se  hissant  à  la  force  du  poignet  aux  manœuvres 
courantes,  car  les  agrès  étaient  rompus  (1),  et  fit  pleuvoir 
sur  l'ennemi  une  grêle  de  projectiles;  Portzmoguer  montait 
en  même  temps  dans  la  grande  hune.  De  là,  il  put  se  con- 
vaincre que  son  pauvre  navire,  environné  de  toutes  parts, 
était  à  la  merci  des  Anglais.  Dans  le  lointain,  la  flotte 
française  restait  immohile.  Seule,  la  Dieppoise,  capitaine 
Rigault  de  Berquetot,  essayait  de  porter  secours  au  »  vail- 
lant et  vertueulx  "  Breton.  Mais  cernée  par  cinq  navires 
anglais,  dont  elle  soutint  l'attaque  durant  sept  heures 
entières,  elle  ne  devait  se  dégager  qu'à  la  nuit,  avec  le 
concours  de  quatre  navires  du  Croisic,  ayant  son  château 
d'avant  emporté,  son  gaillard  haché,  trente-deux  tués  et  de 
nombreux  blessés  (2). 

Tout  à  coup,  une  détonation  épouvantable  retentit;  la 
Cordelière  s'ouvrit  comme  un  volcan,  en  lançant  sur  le 
Régent  des  torrents  de  flammes.  La  sainte-barbe  venait  de 
sauter.  Un  marin  français  venait  d'y  mettre  le  feu,  aimant 
mieux  sauter  que  se  rendre  (3)  .  Des  douze  cent  cin- 
quante hommes  qui  étaient  à  bord,  le  feu  n'épargna  qu'une 
vingtaine  de  personnes,  le  pilote  entre  autres,  qui  furent 
faits  prisonniers  (4).  Martyrs  de  leur  dévouement,  Hervé  de 
Portzmoguer  et  tous  les  siens,  son  beau-père,  ses  parents, 
ses  officiers,  le  maître  d'équipage  Martin  le  Nault  (5) 
avaient  péri  par  le  feu   le  jour  de  saint  Laurent,  comme 

(1)  l^ierre  Choque,  vers  276,  284. 

(2)  Accusation  portée  par  Rigault  de  Berquetot  contre  le  vice-aniiral  de 
Clermont.  29  décembre  1515  (Spont,  p.  66;  cf.  aussi  p.  54). 

(3)  Lettre  de  Wolsey  (Spont,  p.  58). 

(4)  Spont,  p.  55.  Ce  furent  ces  gens-là  qui  donnèrent  le  relevé  de  l'équi- 
page, en  l'exagérant,  semble-t-il. 

(5)  Spont,  p.  54,  n.  5  :    »  Il  en  mourut  de  Bretons  envuon  500.  n 


La  Cordelière  et  le  Régent 

(B.   N.,  Franc.    1672,   fol.  9   \"  :  l'uiiiie  de  Diicc  un  la  Cordeliè>, 


LA    SAINTE-LIGUE.  101 

avait  péri,  martyr  de  la  foi,  saint  Laurent,  le  diacre  de 
l'Eglise  romaine.  II  n  est  point  démontré,  en  effet,  quoi 
qvi'en  dise  le  chroniqueur  breton  Alain  Bouchart,  que  l'in- 
trépide capitaine  Portzmoguer,  voyant  la  situation  déses- 
pérée, se  jeta  à  la  mer  tout  armé  et  coula  entraîné  par  le 
poids  de  son  armure  (1  ). 

«  Potins  niori  (jiiani  fœdari!  »  Plutôt  la  mort  que  la 
soudlure!  Les  Bretons  étaient  restés  fidèles  à  leur  devise,  à 
l'hermine  sans  tache  de  leur  pavillon  :  ils  s'ensevelissaient 
dans  les  fleurs  de  lis  et  dans  les  blanches  hermines.  Et  ils 
mouraient  vengés.  Le  Régent,  accroché  à  l'épave  incandes- 
cente, léché  par  des  tourltillons  de  flammes,  brûlait  comme 
un  fétu.  C'est  à  peine  si  une  soi.xantaine  d  hommes,  sur  les 
sept  cents  de  l'équipage,  purent  se  sauver  à  la  nage  dans 
les  deu.x  navires  les  plus  proches  (2).  Trois  canonniers  sur 
cent  échappèrent  fîV).  Par  là,  jugez  du  reste.  Quand  la 
flamme  cessa  de  grésiller,  les  carcasses  des  deux  vaisseaux 
descendirent  ensemble  dans  l'abîme,  côte  à  côte. 

L'amiral  Howard  jura  de  ne  pas  se  présenter  devant  le 
roi  avant  d'avoir  vengé  la  mort  du  vaillant  chevalier 
Thomas  Knyvet  (4).  Le  13  aoiit,  il  débarquait  à  terre  et 
réussissait  à  incendier  vingt-sept  petits  bâtiments  :  il  en 
emmenait  cinq  autres  avec  huit  cents  prisonniers  (5).  Il 
avait  tenu  son  serment. 

Le  vice-amiral  Picné  de  Glermont  n'était  pas  de  même 


(1)  Jal,  Marie  la  Cordelière,  p.  78,  et  Dictionn.  critique,  art.  Portzmo- 
guer.  —  Alain  Bouchart,  fol.  274.  —  Spont,  p.  xxv,  n.  2.  —  L'un  des 
rares  survivants,  Olivier  le  Mercier;  de  Brest,  obtint  franchise  d'impôts  et 
de  charges  publiques.  La  pension,  il  faut  l'avouer,  était  maigre  pour  vingt 
années  de  nobles  et  loyaux  services  et  pour  action  d'éclat  sur  la  Cordelière. 
Amljoise,  juin  iôlô  [Catalogue  des  actes  de  François  I",  t.  I,  p.  51). 

(2)  60  d'après  Woisey  (Spot,  p.  58),  120  d'après  Bavarin  (ihid.,  p.  53), 
180  suivant  Lando  (ihid.,  p.  62). 

(3)  Spot,  p.  63,  n.  2. 

(4)  Lettre  de  Woisey  (Spoxt,  p.  50). 

(5)  Spont,  p    63. 


102  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

trempe.  Il  n'avait  que  trop  montré  sa  pusillanimité  (1). 
Le  capitaine  Rigault  de  Bei'quetot  accusa  formellement 
son  chef  de  s'être  enfui  lâchement  et  d'avoir  par  là  causé 
la  défaite;  il  offrit  de  faire  la  preuve  tant  par  les  marins 
et  les  gens  de  la  côte  que  »  par  les  adversaires  et  ennemis 
qui  y  estoient  »,  au  besoin  par  un  duel  judiciaire  (2). 
L'enquête  eut  lieu,  et  si  Rigault  fut  révoqué  pour  son  acte 
d'indiscipline  (3),  le  vice-amiral  fut  destitué  (4)  :  tous  les 
capitaines  avaient  déposé  contre  lui. 

Mais  qu'était-il  besoin  d'offrir  à  l'étranger  le  moven  de 
s'immiscer  dans  nos  affaires  privées  et  de  perpétuer  ies 
dissensions  intestines?  Sollicitée  par  Rigault,  l'intervention 
étrangère  eut  lieu,  mais  non  toutefois  sur  le  lerrain  où  on 
la  conviait.  Elle  resta  dans  le  domaine  littéraire,  et  un  litté- 
rateur servit  déjuge  en  dernier  ressort.  Voici  comment. 

Dans  l'entourage  de  la  reine  Anne,  on  s'occupait  d'élever 
des  autels  à  la  n  vertu  "  du  vaillant  Breton.  Le  secrétaire 
de  la  reine,  Germain  Brice,  écrivit  un  poème  latin,  Cliordi- 
gerae  novis  conflagralio,  farci  de  prosopopées  mythologiques 
et  de  boursouflures  emphatiques  :  c'est  là  tout  son  mérite. 
Un  pensionnaire  du  roi,  plus  tard  légat  pontifical, 
Jérôme  Aléandre,  en  écrivit  la  préface  f5)  ;  et  le  héraut  de 
Bretagne  Pierre  Choque,  qui  avait  jadis  fait  la  campagne 
de  Mitylcne  sur  la  Cordelière,  mit  le  poème  en  vers  fran- 
çais (6) . 

(1)  A.  BoucuAP.T,  fol.  274. 

(2)  29  décembre  1512  (Spont,  p.  66). 

(3)  La  Dieppoise  fut  confiée  à  Chanoy,  qui  couiinandait,  durant  la 
bataille,  la  ISef  de  Bordeaux  (Archives  de  Nantes,  EE  222).  Clermont 
rentra  toutefois  en  grâce  :  il  exerçait  les  fonctions  de  vice-aniiral  à  l'avène- 
ment de  François  1"  (B.  N.,P'ranç.  5500,  fol.  270).  Quant  à  Tligaultde  Ber- 
quetot,  il  continua  d'armer  pour  son  compte.  Le  18  août  1517,  il  vendait 
au  roi  sa  nef  l'Henniiie,  de  500  tonneaux,  pour  la  somme  de  15000  livres 
(B.  N.,  Pièces  orig.,  vol.  307,  doss.  Berquetot,  p.  2). 

(4)  29  mai  1514  (Spont,  p.  67,  n.   1). 

(5)  Sous  forme  de  lettre  à  Germain  Brice. 

(6)  Publié  par  Jal  dans  Marie  la  Cordelière,  tirage  à  part,  p.  24. 


LA    SAINTE-LIGUE.  103 

Il  s'y  trouvait  certaines  appréciations  un  peu  vives  contre 
la  politique  anglaise,  entre  autres  le  reproche  de  félonie. 
Le  chancelier  de  TÉchiquier  en  prit  ombrage.  C'était  Tho- 
mas Morus.  Il  riposta  par  quelques  épigrammes,  flèches 
inoffensives,  qui  blessèrent  pourtant  l'amour-propre  du 
latiniste.  Germain  Brice  exhala  sa  fureur  dans  l'Aiiti-Morus, 
lourde  compilation  de  toutes  les  fautes  contre  la  prosodie 
et  le  goût  qui  avaient  pu  échapper  au  chancelier  (l).  Les 
humanistes,  à  cette  époque,  n'entendaient  pas  raillerie  sur 
le  chapitre  du  style.  Morus  quitta  donc  les  graves  affaires 
de  l'État  pour  écraser  son  adversaire  d'une  verve  hautaine 
autant  que  pédante  (^) .  Et  comme  il  n'y  avait  pas  de  raison 
pour  que  le  litige  prit  fin,  le  chancelier  anglais  soumit  à 
l'arbitrage  d'un  neutre,  Erasme  (3),  l'objet  de  la  scanda- 
leuse querelle.  On  ne  dit  pas  que  Brice  accepta  l'arbi- 
trage :  toutefois  il  cessa  ses  invectives.  Voilà  comment  des 
écrivains  férus  damour-propre  crurent  honorer  des  héros. 

«  Lovai  Breton!  que  nul  son  nom  s'efface  (-4)  !  »  Le  cri  du 
héraut  de  Bretagne  a  traversé  les  temps.  iVujourd'hui,  un 
de  nos  croiseurs  porte  le  nom  de  l'héroïque  capitaine  de 
la  Cordelière;  mais  pourquoi  l'a-t-on  défiguré  en  Primau- 
guet?  De  Portzmogucr  (en  breton  «  la  porte  de  la 
muraille»)  en  Plouarzel,  au  haut  d'un  petit  plateau  qui 
domine  l'anse  du  même  nom,  on  voit  au  large  jusqu'à 
Molène.  C'est  là  que  fut  le  berceau  du  capitaine. 

La  forme  Primauguet,  à  la  vérité,  est  des  plus  anciennes, 
puisque,  quelques  mois  après  le  glorieux  combat,  on  le 
trouve  sous  la  plume  du  grand  marin  qui  allait  venger  les 


(1)  L'ouvrage  parut  en  1519. 

(2)  Thomas  Morus,  Genncmo  Brixio  salutem,  1520.  Cf.,  sur  toute  cette 
querelle,  Jal,  l'Heiveiis  de  Germain  Briee  [Annales  maritimes,  t.  XC,  p.  278 
et  suiv  ). 

(3)  Thomas  Morus  D.  Erasmo,  dans  les  Œuvres  de  Thomas  MoRus, 
Bâle,  1563,   in-V,  p.  429;  J.a,  l'Herveus,  p.  729. 

(4)  Jal,  Marie  la  Cordelière,  p.  49. 


104  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Bretons  sur  le  lieu  même  de  la  bataille,  aux  u  croyx  Pri- 
moguet "  (1),  sans  doute  près  des  croix  qui  rappelaient  sur 
la  plage  les  héroïques  trépas. 


III 


COMBAT    NAVAL    DES    BLANCS-S ABLON  S 
AUX    "   CROYX    PRIMOGCET   » 

Ce  grand  marin  n'était  pas  René  de  Clermont.  Sorti  un 
moment  de  Brest  avec  quarante-sept  navires  pour  courir 
des  bordées  contre  la  flotte  anglaise,  il  avait  promptement 
regagné  son  refuge,  en  apprenant  sans  doute  la  jonction  de 
Lezcano  et  d'Howard  {"2) .  Le  vengeur  attendu  était  Prégent 
de  Bidoux,  qui  arrivait  du  Levant  avec  six  galères  (3). 

Au  printemps  de  1513,  quand  les  opérations  navales 
recommencèrent,  la  situation  politique  était  complètement 
modifiée  en  notre  faveur.  Les  traités  des  23  mars  et  1"  avril 
1513  nous  débarrassaient  de  deux  redoutables  adversaires, 
Venise  et  l'Espagne,  tandis  que  l'Ecosse  nous  promettait 
une  vigoureuse  diversion-  en  Angleterre  et  l'envoi  de  sa 
flotte  (4).  Exclusivement  dirigés  contre  l'xVngleteri'c,  nos 
armements  purent  donc  être  des  plus  imposants.  Un  espion 
anglais,  qui  parcourut  nos  cotes  au  mois  de  mars,  compta 

(i)  I^cttre   de  Prégent  de  Bidoux.    Le   Conquet,    28    avril    1513   (Spoxt, 

(2)  Lettre  de  W.  Kiiiglit  à  Wolsey.  —  Saint-Sébastien,  4  octobre  1512 
(Ellis,  Original  Lettcrs,  2''  séries,  t.  I,  p.  202).  Notre  Hotte  désarma  à 
cette  époque.  Le  13  octobre,  le  Saint-Sauveur  était  remis  à  la  ville  de  La 
Rochelle  ;  la  ville  avait  refusé  de  prêter  ses  canons  pour  remplacer  l'artille- 
rie perdue  dans  la  Curdelicre  (Anios  IUrbot,  Histoire  de  La  Rochelle^  t.  I, 
p.  475). 

(3)  Lettre  de  P.  IMaityr.  Logrono,  28  scplendjre  1512  (Epislolue,  n"  500  : 
Spoxt,  p,  58). 

(4)  Lettres  de  Spinelly  à  Henri  VIII.  Blois,  25  février  15 13  (Spont, 
p.  75). 


LA    SAINTE-LIGUE.  105 

vingt-neuf  vaisseaux  de  guerre  en  Normandie,  trente-trois 
autres  et  dix  galères  à  Brest,  où  l'on  attendait  encore  une 
vingtaine  de  navires  de  guerre  (1),  précisément  les  bâti- 
ments normands. 

Ceux-ci  s'ébranlèrent  sous  le  commandement  du  vice- 
amiral  de  Bretagne,  Guyon  le  Roi,  sieur  Du  Ghillou,  preuve 
évidente  que  les  marins  normands  n'avaient  plus  confiance 
dans  leur  vice-amiral,  Clermont.  Forte  de  quinze  ou  seize 
voiles,  elle  jeta  l'ancre,  le  2G  mars,  près  de  Guernesey,  où 
elle  devait  être  rejointe  par  la  flotte  bretonne,  qui  avait 
appareillé  à  Bi-est  ce  jour-là  (i2) .  Bon  et  compatissant  pour 
les  insulaires  de  Guernesey  etd'Aurigny,  auxquels  il  donna 
des  lettres  de  sauvegarde,  Du  Ghillou  répondit  fièrement 
au  capitaine  du  châleau  de  Guernesey  qui  l'avait  envoyé 
menacer  :  »  8i  j'avoye  le  temps  de  povoir  demourer, . . .  vous 
m  auriez  si  près  de  vous  que  vous  n  v  auriez  nul  prof- 
fict  (3) .  ). 

L'objectif  de  l'expédition  française  n'était  point  en  effet 
la  conquête  des  îles  anglo-normandes,  mais  la  prise  dun  port 
anglais,  Plymoutli  ou  Falmouth  (i).  Dès  le  13  mars,  Pré- 
gent  de  Bidoux,  (juittaut  a  la  Ghamljre  de  Brest  "  à  la 
tète  de  six  galères  et  quatre  briganlins,  était  parti  recon- 
naître la  cote  anglaise  (5).  Sa  réputation  l'avait  précédé.  A 
l'ambassadeur  d'Angleterre,  qui  déclarait  sans  appel  les 
sentences  d'excommunication  pontificales  :  «  Moi,  j'en 
appellerai  à  Pierre-Jean,  pirate  et  apostat,  capitaine  des 

(1)  Lettre  de  Spinelly.  Malincs,  21  mars  (Spom',  p.  90). 

(2)  I^ettrede  l^ierrede  llohan.  Brest,  26  mars  (B.  N.,  Dupiiy  261,  fol.  16  : 
Spost,  p.  98).  —  Le  27  mars,  l'escadre  normande  arrivait  à  Brest  et  lyouis 
de  Bigars  remettait  la  Rouen  au.v  officiers  de  la  reine  {Catalotpie. .  Lormicr. 
Paris,  Charavay,  1902,  n»  1338). 

(3)  26  mars  (British  Muséum,  Caligula  E  t,  fui.  131.  —  B.  N.,  ms.  lat. 
ITOO'*.,  fol.  254.  —  Si'ONT,  p.  99). 

(4)  Lettre  de  Middelbourg.  20  niixvs  (Lettos  and  papcrs. . .  of  Henry  VIII, 
éd.  Brkwer,  t.  1,  3814.  —  Spost,  p.  xxxii,  n.  2). 

(5)  B.  N.,  Dupuy  261,  fol.  16. 


106  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

galères    de    France,  »  avait    répliqué    le    roi   d'Ecosse  (1). 

Nos  projets  d'attaque  se  trouvèrent  ruinés  par  la  brusque 
arrivée  de  la  flotte  de  l'amiral  l£dA\ard  Howard  à  Ply- 
mouth  dans  les  premiers  d'avril  (:2) .  Howard  avait  vingt- 
quatre  vaisseaux  de  guerre  et  six  mille  quatre  cent  quatre- 
vingts  hommes,  chaque  vaisseau  llanqué  d'un  transport 
de  vivres  (3). 

Prégent  était  de  retour  dans  la  rivière  de  Portrieux, 
quand  une  lettre  du  vice-amiral  Du  Ghillou,  qui  s'était 
replié  sur  Brest,  lui  aj)prit  l'approche  de  la  flotte  ennemie. 
Il  relïroussa  aussitôt  chemin  vers  Brest.  Mais  déjà  les  An- 
glais, embossés  devant  Saint-Mathieu  depuis  le  1 1  avril,  lui 
barraient  la  route.  Laissant  à  l'Aber-vrac'h  son  escadre, 
Prégent  monta  à  cheval  et  se  rendit  à  Berlheaulmc  trouver 
le  grand  maître  de  Bretagne.  Il  avait  besoin  de  rameurs  de 
rechange  et  de  «  gens  de  cap  "  .  Des  marins  bretons,  au 
nombre  de  deux  cents,  et  des  soldais  tirés  de  l'escadre  du 
vice-amiral  comblèrent  ses  vides.  Avec  ces  renforts,  il 
reprit  la  mer  à  l'Aber-vrac'h,  afin  de  pénétrer  dans  le  gou- 
let en  forçant  le  blocus. 

Découvert  par  six  navires  éclaireurs  (il,  qui  donnèrent 
l'alarme,  il  était  le  22  avril  a  au  Croyx  Primoguet  » ,  dans  la 
baie  des  Blancs-Sablons,  quand  une  cinquantaine  de  bâti- 
ments apparurent  au  vent.  Il  dut  à  une  saute  de  brise  de 
n'être  pas  enveloppé  par  eux.  Bien  mieux,  aux  rares  navires 
qui  passèrent  à  portée  de  pique,  il  envoya  bordées  sur  bor- 
dées,   et   sans   subir   d'autre  perte   que    celle    d  un    petit 

(i)  Lettre  d'Henri  VIII.  Londres,  2  avril  (Sam;to,  t.  XVI,  col.  199  : 
Spo>t,  p.  125). 

(2)  Howard  date  une  de  ses  lettres  de  Plvniouth.  5  avril  (Ei.i.is,  3''  séries, 
t.  I,  p.  196  :  Spoxj,  p.  103). 

(3)  Liste  de  la  Hotte  d'Howard  en  mars  1513  (Spont,  p.  79-88). 

(4)  Le  liaptlsle  d'Harwich  (62  lioiiuiies  d'équijjagc),  le  l'Itonias  de  Hull 
(76  hommes),  la  barque  de  la  Gabiiclle  (68  hommes),  la  barque  amirale 
(68  hommes),  2  ou  3  bateaux.  Lettre  d'Edward  Howard  à  Henri  Vlll. 
Saint-Mathieu,  17  avril  (Spont,  p.  127). 


LA    SAINTE-LIOUE.  107 

brigantin,  il  coula  un  vaisseau,  deux  bateaux  chargés 
d'hommes  et  força  la  Lesse  Barke  de  Stephen  Bull  à  laisser 
arriver,  avec  sept  boulets  dans  ses  œuvres  vives  (1). 

Howard  se  trouvait  entre  deux  feux  .  Il  avait  essaye 
auparavant  d'attaquer  la  Hotte  du  vice- amiral  Du  Chllloii 
sous  les  murs  de  Brest.  Mais  comme  il  s'avançait  en  ordre 
de  bataille  dans  le  goulet,  le  vaisseau  du  prince  Arlhur 
Plantagenct  s'était  échoue  sur  un  écucil,  et  lIo^\ard,  faute 
depilote,  avaitdù  regagner  la  baie  de  Bertheaulme.  Du  Cliil- 
lou  s'était  fortifié  à  la  hâte  sous  le  château  de  Brest,  en  pla- 
çant en  avant  de  sa  flotte  vingt-quatre  grandes  hourques 
qui  devaient,  avec  le  flol,  dériver  tout  en  flammes  sur  la 
flotte  anglaise  en  cas  d'une  nouvelle  attaque  (2). 

En  présence  de  cette  résistance,  1  amiral  Howard  décida 
de  débarquer  plusieurs  milliers  d'hommes  dans  la  presqu'île 
de  Kcrmorvan,  entre  les  Blancs-Sablons  et  Le  C()n(|uct, 
pour  prendre  à  revers  les  galères  de  Prégent.  Le  21  avril, 
les  troupes  de  débarquement  étaient  déjà  transbordées  sur 
les  légers  transports  à  munitions,  quand  on  leur  donna 
contre-ordre.  Un  autre  plan,  proposé  par  l'Espagnol  Alonso 
Cdiarran,  capitaine  d'une  carraquc,  avait  prévalu.  II  consis- 
tait à  attaquer  directement  les  galères  provençales,  pendant 
que  les  grands  vaisseaux,  retournant  mouiller  à  quatre 
milles  de  là,  devant  Saint-ÎNIathieu,  s'opposeraient  à  toute 
tentative  de  sortie  de  la  flotte  du  vice-amiral  Du  Chillou. 
Et  par  un  vrai  coup  de  tête,  l'amiral  Howard  se  plaça  lui- 
même,  avec  ses  principaux  capitaines  de  vaisseau,  Ferrers, 
Sherborne,  Gheyney,  Wallop,  Wiseman,Brown  etToley  (3), 

(1)  Lettre  de  l"'régent  de  Ridoux.  Le  Conquet,  28  avril  (SpOnt,  p.  134  et 
p.  xxxii,  n.  2).  —  Rapport  d'Echyngham  à  Wolsey.  Ilaiiiplon,  5  mai 
(Spom',  p.  146).  —  Lettre  d'Acciajuoli,  30  avril  (Stont,  p    140) 

(2)  HoLixsuED,  cité  par  Spokj',  p.  xxxv. 

(3)  Capitaines  des  grands  vaisseaux  Sorcrcùjii,  Grcat  Jja?-/,,  Crjsl,  Suiiclio 
de  Garra,  Ciistofer  Davy,  Peler  Pomcqarnet,  Sivcpstake  (Cf.  Spont,  p.  87, 
note  1).  —  Alain  Bouciiart,  foi.  274. 


108  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

à  la  télé  des  navires  légers  désifjués  pourl  attaque  des  galères. 
Mais  que  ne  peut  faire  le  dépit?  Howard,  après  avoir  réussi  à 
bloquer  notre  flotte,  aurait,  dit-on,  écritau  roi  d'Angleterre 
de  venir  cueillir  lui-même  le  triomphe.  En  cette  journée 
du  24  avril,  Echyngham,  qui  amenait  à  la  flotte  anglaise 
un  convoi  de  neuf  crayers  chargés  de  vivres,  lui  aurait  rap- 
porté cette  sèche  réponse  d  Henri  VHI  :  a  Faites  votre 
métier  (l).  »  Les  Anglais,  parait-il  (2),  s'étaient  moqués 
des  galères  de  Bidou.v  :  u  Ca,  des  araignées!  »  disaient-ils 
en  haussant  les  épaules.  Les  "  araignées  "  n'avaient  point 
que  de  longues  pattes;  1  ennemi  allait  faire  connaissance 
avec  leur  venin. 

Prégent  de  Bidoux,  aidé  par  le  grand  maître,  par  M.  de 
Tavarant  et  par  Du  Chastel,  avait  hâtivement  élevé  sur  les 
rocs  les  plus  avancés  de  la  côte  quelques  u  repères  "  garnis 
de  quatre  pièces  de  canon.  Et  l'on  sait  quelle  forteresse  natu- 
relle constitue,  à  l'extrémité  de  l'anse  des  Blancs-Sablons, 
la  pointe  de  Kermorvan.  Aussi,  le  25  avril,  la  roberge  la 
Rose,  qui  arrivait  en  tête  de  l'escadrille  ennemie,  filant  à 
grande  allure  vent  arrière,  fut-elle  accueillie  par  le  feu 
croisé  des  galères  et  des  batteries  de  terre,  de  trois  magni- 
fiques l)asilics  entre  autres,  enlevés  aux  Vénitiens  à  Agna- 
del,  dont  un  seul  coup  suffisaità  couler  un  navire  (3).  En 
un  instant,  la  /îo^e  perdit  cent  dix-neuf  hommes  sur  cent 
soixante-quinze.  L'amiral  Howard  était  néanmoins  parvenu 
à  sauter  sur  la  rambade  de  Prégent  avec  dix-sept  de  ses 
hommes,  quand  1  amarre  enroulée  autour  du  cabestan  de  la 
capitane  se  défit,  et  la  Rose  déborda.  «  lletournez  à  1  al)or- 
dage  !  à  l'abordage!  »  criait  Howard;  mais  les  piques  de 
nos  marins  le  clouaient  déjà  contre  le  garde-fou.  Et  on  vit 

(1)  IloLiNSiiEi),  reproduit  dans  Si'ont,  p.  xxxmii. 

(2)  Yai.iîelle,  B.  ^"  ,  Franc.  5072,  fol.  30. 

(3)  Prégent  les  avait  à  son  bord  (l^.  M.vrtyr,  Epislola  498,  3  sept.  1512). 
—  Prégent  était  énergiquement  secondé  par  le  patron  Dominique  Séguier, 
de  Marseille  (Ruffi,  Hist.  de  Marseille,  t.  II,  p.  349). 


LA    SAINTE-LIGUE.  109 

le  malheureux  tomber  par-dessus  bord,  après  avoirdétaché 
de  son  cou  son  sifflet  d'honneur,  qu'il  jeta  à  la  mer. 

En  vain,  la  roberge  le  Henry,  conduite  par  le  capitaine 
du  Sovereign,  Ferrcrs,  avait-elle  essavé  de  dégager  l'ami- 
ral; elle  avait  dû  reculer  à  son  tour,  avec  quarante-cinq 
hommes  hors  de  combat.  Trois  autres  bâtiments  chargèrent 
désespérément  notre  capitane  :  mais  Sherborne  et  Sidnev 
perdirent  dix  hommes  en  cherchant  à  en  briser  les  rames, 
Tolly  eut  trente-deux  tués  et  blessés,  Wiseman  n'avait  plus 
un  seul  des  siens  sain  et  sauf,  sans  que  pourtant  aucun 
d'eux,  non  plus  que  les  capitaines  de  la  Jenett  Purwyn,  de 
l'Elisabeth  de  Newcastle qI  des  autres  l)ateaux,  parvint  à  jeter 
le  grappin  sur  nos  galères. 

Les  assaillants  battirent  en  retraite  confus  et,  après  un 
court  conciliabule,  rallièrent  leur  flotte  devant  Saint- 
Mathieu.  Le  soir  même,  tous  les  navires  ennemis  dispa- 
raissaient au  large.  Le  lendemain  26  avril,  comme  Prégent, 
doublant  la  pointe  de  Kermorvan,  jetait  l'ancre  au  Con- 
quet,  on  vit  paraître  un  bâtiment  portant  le  pavillon  à 
croix  blanche  des  parlementaires  (1).  Les  capitaines  Ghevne, 
GoriiAvall  et  Wallop  venaient  s'enquérir  du  sort  de  leur 
amiral. 

«  Je  ne  1  ai  pas  parmi  mes  prisonniers,  répondit  Pré- 
gent, mais  un  des  hommes  qui  ont  envahi  ma  galère  avait 
un  écu  doré  :  ce  serait,  si  j'en  crois  mes  prisonniers,  votre 
amiral;  il  fut  précipité  par-dessus  bord  à  coups  de  pique.  " 
Pour  s'assurer  du  fait,  Prégent  donna  ordre  de  "  pescher 
les  mors  »  .  Le  i8,  on  lui  apporta  le  cadavre  de  l'amiral 
Howard.  Après  l'avoir  fait  embaumer,  Prégent  demanda 
au  roi  l'autorisation  d'en  garder  le  cœur  comme  trophée  (2) . 


(1)  Ainsi,  l'année  suivante,  la  Rochclaise,  commandée  par  Philippe 
Roussel,  arbore  en  approchant  du  Port-Blanc  un  étendard  carré,  marqué 
d'une  croix  blanche,   >'  que  signitie  asseurance  »    (Spost,  p.  198,  note), 

(2)  Prégent  de  Bidoux  nous  a  laissé  un  récit  très  vivant  de  1  action,  dans 


110  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    ERANÇAISE. 

A  la  reine  Anne,  il  envoya  le  sifflet  de  commandement  du 
vainqueur  de  Porlzmoguer,  en  retour  du  sifflet  qu'il  avait 
reçu  d'elle.  ^ladame  Claude,  fille  du  roi,  eut  en  présent  la 
dépouille  »  dudit  millort  »  ,  probablement  l'uniforme  de 
damas  vert  et  blanc  qu'Henri  VIII  donnait  à  ses  capi- 
taines (1).  Enfin,  pour  Louis  XII,  Prégent  fit  exécuter  un 
tal)lcau  représentant  le  lieu  du  combat.  J'espère,  ajou- 
tait-il, que  «  le  bon  recueil  qu'on  leur  a  fait  les  gardera 
que  une  auUre  fois  ne  seront  point  si  oulUecuidéz  (2)  n  . 

Il  ne  se  trompait  pas.  La  flolle  anglaise  était  retournée 
à  Plvmouth  complètement  démoralisée.  L'amiral  Thomas 
HoAvard,  qui  avait  succédé  à  son  frère,  disait  de  ses 
hommes  :  «  Jamais  on  no  vit  gens  plus  terrorisés  par  les 
galères  que  ne  le  sont  tous  les  maîtres  et  mariniers  ;  ils 
aimeraient  mieux  aller  en  purgatoire  que  de  retourner  à 
leur  métier  i>\) .  "  Aussi  Thomas  Howard  n'cssava-l-il  point 
de  réparer  l'échec  sul)i  en  Bretagne  (4). 

Pourqnoi  nous  ne  profitâmes  point  de  cette  inaction 
pour  prendre  l'offensive,  la  raison  en  était  dans  notre 
infériorité  numérique  sur  mer,  que  d'activés  négociations 
tendaient  à  faire  disparaître.  Charles  de  Tocquc  de  La 
Motte,  notre  ambassadeur  à  Edimbourg,  navait  cessé  de 
faire  le  va-et-vient  entre  la  France  et  la  Calédonie.  L'année 
précédente,  il  avait  coulé  en  roule  trois  vaisseaux  anglais 
et  amené  sept  prises  à  Leilb.  A  peine  de  retour  en  Norman- 
une  lettre  adressée  du  Conquet,  le  28  avril,  à  Floriinond  Robcrtet.  Elle  fut 
aussitôt  iinpriuu'c  et  répauduc  partout  sous  le  titre  :  Le  double  des  lettres 
envoyées  en  coml  jjki-  Précjcnt,  cupitaine  des  ^allées  du  Hoy  nostre  sire  en 
sou  armée  de  la  mer.  l\ouen  [1513],  petit  in-^-"  :  réimprimée  dans  SrojiT, 
p.  i34-i;39. 

(1)  T.cttre  d'Antonio  Bavarin.  Londres,  9  avril  i513  (Spoxt,  p.  109). 

(2)  Lettre  de  l^régent  de  Bidoux  à  Florimond  Robertet.  Le  Conquet, 
28  avril  1513  (Spont,  p.  137).  —  llapports  d'Echyngham  et  de  Thomas 
Howard  (Spoîst,  p.  148  et  156). 

(3)  Lettre  de  Thomas  Howard.  J^lymouth,  7  mai  (Spo^T,  p.  159). 

(4)  Lettre  de  Thomas  Howard  à  Wolsey.  Hampton,  5  juin  (Spont, 
p.  167). 


LA   SAINTE-LIGUE.  111 

die,  cet  homme  énergique  reprenait  la  mer  par  un  temps 
des  plus  rudes,  le  12  novembre,  et  avec  un  seul  bâtiment, 
la  Petite-Louise  d'Adenet  Legendre.  Et  sans  doute,  les  mu- 
nitions qu'il  apportait  aux  Écossais,  des  centaines  de  bou- 
lets de  fer  et  quinze  milliers  de  poudre,  sans  parler  des 
u  poinçons  de  vin  de  Beaune  »  (l),  ne  furent-elles  point 
sans  influence  sur  le  renouvellement  du  pacte  d'alliance, 
le  29  novembre  (2). 

C'est  de  ce  pacte  que  La  Motte  vint  réclamer  l'exécution, 
en  mai  1513,  à  la  tête  d'une  escadrille,  ta  Petite-Louise,  le 
Sacre  et  la  Lévriève,  qui  partirent  de  Brest  et  passèrent  par 
la  mer  d'Irlande  {}i).  Simultanément,  tant  il  était  urgent 
de  presser  le  départ  de  la  flotte  écossaise,  le  corsaire  calé- 
donien Robert  Barton  quittait  Ilarfleur  pour  aller  la  quérir. 
C'était  un  redoutable  marin  que  Barton.  Pour  se  venger 
de  la  prise  injuste  de  ses  bâtiments  par  l'amiral  Edward 
Howard,  il  avait  pris  fait  et  cause  pour  nous,  avant  même 
que  le  roi  Jacques  IV  se  fût  déclaré  notre  allié,  et  après 
avoir  capturé  treize  bâtiments  britanniques,  il  était  A^enu 
se  faire  construire  à  Harfleur  un  superbe  vaisseau,  le  Lion, 
que  montaient  trois  cents  hommes  (4). 

Prié  de  tenir  ses  engagements,  Jacques  IV  s'en  acquitta 
royalement.  Tandis  qu'il  envahissait  l'x^ngleterre  à  la  tête 
d'une  grosse  armée,  toute  sa  flotte  appareillait  le  26  juillet 
pour  nous  porter  secours.  Les  amiraux  comte  d'Arran  et 
James  Gordon  de  Lettcrfury,  pilotés  par  le  Malouin  Rouxel, 
amenèrent  à  Brest  trois  mille  hommes  et  vingt-cinq  bàti- 


(1)  Contrat  passé  avec  Lcgendrc  pour  le  passage  de  La  Motte.  Rouen, 
1"  novembre  1512  (B.  N,,  Franc.  20977,  fol.  206  :  Spont,  p.  68,  70). 

(2)  John  Lesi.ey,  De  origine,  nioribns  et  rébus  qestis  Scotorum  libri 
(leticm.  liomae,  1578,  petit  in-V,  p.  358. 

(3)  Déposition  du  pilote  de  la  Petite-Louise,  llouxel  (llecoid  OfHce, 
Chapter  hanse  book  83,  p.  67  :  Spoxt,  p.  169,  note  2).  —  I.a  Motte  arriva 
le   14  mai  en  Ecosse  et  repartit  le  29  (Lesley,  p.  358). 

(k)  Spo.nt,  p.  93  :  Lesley,  p.  355,  357. 


112  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

ments,  dont  trois  vaisseaux  de  premier  rang,  le  Great-Mi- 
chael,  la  Margaret  et  le  James  (1).  Vainement,  dans  la 
croyance  qu  ils  franchiraient  le  pas  de  Calais,  l'amiral 
Thomas  Howard  les  avait  guettés  du  côté  des  Dunes  avec 
une  flotte  bien  supérieure,  cinquante-quatre  vaisseaux  et 
dix  mille  hommes  (2).  Il  n'intercepta  que  deux  grands  bâti- 
ments, l'un  danois,  l'autre  écossais,  envoyés  à  notre  se- 
cours (3). 

Jacques  IV  nous  rendait  un  double  service.  Par  sa  diver- 
sion en  Angleterre,  il  enrayait  l'invasion  de  la  France,  que 
dirigeait  en  personne  Henri  VIII.  Et  l'appoint  de  sa  flotte 
nous  permettait  de  prendre  l'offensive.  Rejointe  à  Brest 
par  sept  vaisseaux  bretons  (4),  l'escadre  écossaise  rallia 
en  rade  de  Villerville,  près  Ilonfleur,  l'escadre  normande 
du  vice-amiral  Du  Ghillou  (5).  Toutes  les  divisions  navales 
eurent  leurs  équipages  renforcés;  Bidoux  reçut  cent  arque- 
busiers gascons  (6)  ;  James  Gordon,  bien  monté  pourtant 
en    équipages    (7),   se    vit    allouer   en   supplément  quatre 

(i)  Lesley,  p.  359.  —  Epistolae  Jacobi  Qiiarti,  t.  I,  p.  214.  —  Exche- 
nuer  Rolls  of  Scotland,  t.  XIV,  p.  lxxvii.  —  Francisque  Michel,  les  Fran- 
çais enÉcosse,  t.  I,  p.  328. — Saxuto,  t.  XVI,  col.  585.  —  Spo>t,  p.  176. 

(2)  Cf.  la  liste  de  la  flotte  en  juillet  1513,  publiée  par  Spoxt,  p.  171. 

(3)  Lettre  de  Bavarin.  Londres,  3  septembre  (Sanuto,  t.  XVII,  col.  188). 

Lettre  de  Pierre  Martyr  d'Angiiikra.  Valladolid,  25  octobre  {Epistnlae, 

n"  529). 

(4)  Les  Nefs  de  Brest,  La  finclielle  et  Bordeaux,  et  quatre  sur  huit  des 
bâtiments  bretons  armés  l'année  précédente.  Lettres  de  Louis  XII  au  grand 
maître  de  Bretagne.  Août  (Spoxt,  p.  175).  —  Le  capitaine  de  la  Nef  de 
Bordeaux,  Pierre  Moraud  de  Trébilieuc,  reçoit  en  surcroit  7  pièces  de 
canon  et  9  hacquebutes  de  fonte  pour  servir  à  l'armée  de  mer.  Oitobre 
(De  La  Nicollikre,  La  marine  bretonne  an  wi''  siècle,  p.   105). 

(5)  Xa  L.ouise,  navire  amiral  dont  le  capitaine  de  pavillon  était  Louis  Le 
Brun  de  Sallenelles,  la  Trinité  d'Antoine  de  Conflans  (200  hommes),  le 
Tyran  d'Artus  de  Fatonville  (90  hommes),  la  Françoise  de  Jacques  d'Esti- 
mauville  (90  hommes),  etc.  (B.  N.,  Franc.  26114,  p.  46  :  Spont,  p.  177). 

(6)  Lettre  de  Joubert,  lieutenant  de  l'amiral  de  Guyenne,  au  roi.  La 
Bochelle,  20  juillet  (Spoxt,  p.  172). 

(7)  Bobert  Barton,  gentilhomme  écossais,  capitaine  du  LJon,  avait 
260  hommes;  Guillaume  Brochel ,  gentilhomme  écossais,  capitaine  de 
la  Juliane,   barque  de  120   tonneaux,    avait   120  Écossais,   etc.    Honfleur, 


LOUIS    DE     ROU AILLE 

(B.    N.,  Estampes  Oa    16,    fol.  4i.) 


LA    SAINTE-LIGUE.  113 

cents  Normands  (l)  ;  Du  Ghillou  enfin  accrut  son  escadre 
d'un  contingent  dieppois  (2). 

De  l'avis  du  vieil  amiral  de  Graville,  Irop  impotent  pour 
prendre  la  mer,  le  commandement  en  chef  de  la  Hotte  fut 
confié  au  grand  veneur  Louis  de  Rouville  f3).  C'était  bien 
de  chasse  en  effet  qu'il  s'agissait,  d'un  laisser-courre  sur  le 
roi  Henri  \  III,  tandis  qu'il  repasserait  le  pas  de  Calais, 
après  sa  brillante  expédition  contre  Thérouanne  et  Tour- 
nai (4).  Mais  le  grand  veneur  eut  mauvais  temps;  le  len- 
demain de  l'appareillage,  un  ouragan  terrible  dispersa  ses 
vaisseaux,  en  fracassa  plusieurs  et  força  les  autres  à  rega- 
gner l'aljn  des  ports  (5).  Quelques  semaines  plus  tard,  en 
novembre,  l'amiral  comte  d'iVrran  regagnait  l'Ecosse,  nous 
laissant  ses  trois  vaisseaux  de  ligne  (G). 

C'est  qu'un  terrible  malheur  venait  d'atteindre  nos  alliés. 
Le  9  septembre,  à  Flo^vden,  l'armée  écossaise  avait  été 
écrasée  par  le  comte  de  Surrey.  Dix  mille  hommes,  l'c'dite 
des  clans,  étaient  restés  sur  le  champ  de  bataille  :  le  roi 
Jacques  IV  avait  disparu  dans  la  mêlée,  et  jamais  plus 
on  ne  le  revit.  De  ce  sanglant  désastre,  nous  ressen- 
tîmes le  contre-coup  sous  forme  d'un  retour  offensif  des 
Anglais, 

A  peine  notre  flotte  avait-elle  désarmé,  à  peine  l'arrière- 
ban  avait-il  reçu  congé,  qu'un  signal    d'alarme  parut  au 

24  août  et  11  octobre  (Spoxt,  p.  178.  —  Rorély,  Histoire  du  Havre,  t.  I, 
p.  136). 

(1)  Lettres  de  Louis  XII.  Amiens,  23  septembre  (Spont,  p.  185). 

(2)  Composé  tics  nefs  Rose,  Françoise,  Sacre  et  Levrière,  manœnvrées 
par  180  matelots.  Mandement  du  grand  sénéclial  de  Normandie,  Louis  de 
Brézé.   HonHeur,  7  septembre  (Spoxt,  p.   180). 

(3)  17  septembre  (Archives  nat.,  K  79,  n"  13  :  Spoxt,  p.  183). 

(4)  Nous  avions  perdu  la  bataille  de  Guinegate  le  16  août,  la  ville  de 
Tournai  le  24  septembre. 

(5)  Alain  Bouchart,  Chroniques  de  Bretagne,  fol.  274.  —  Lettre  de  Ba- 
varin.  Londres,  6  décembre  (Saxuto,  t.  XVII,  col.  445). 

(6)  Lettre  de  Dacre  à  Henri  VIII.  Harbotill,  13  novembre  (Ellis,  Lel- 
ters...  1"  séries,  t.  I,  p.  73.  —  Spoxt,  p.  188). 


114  HISTOIRE    DF.    LA    MARINK    FRANÇAISE. 

foyer  de  guerre  du  Chef-de-Caux.  Des  vaisseaux  ennemis 
étaient  en  vue.  Incontinent,  le  lieutenant-général  Louis  de 
Rouville  monta  à  cheval  pour  repousser  toute  velléité  de 
débarquement.  Ses  guetteurs,  aux  ordres  du  ])àtard  de 
Brézé,  garnirent  le  rempart  de  la  Hève  auprès  de  la  tour  de 
Grâce,  «  le  rempare  de  la  descente,  "  tandis  que  la  popula- 
tion accourait  de  toutes  parts  au  son  du  tocsin.  A  dix  heures 
du  soir,  sept  mille  hommes  étaient  prêts  à  rejeter  l'ennemi 
à  la  mer;  le  cas  échéant,  leur  nombre,  si  le  tocsin  avait 
partout  retenti,  aurait  pu  être  porté  à  vingt  mille.  Mais 
Fennemi,  devant  noire  déploiement  de  forces,  tourna  court 
et  regagna  la  haute  mer  (l). 

Le  printemps  venu,  Prégent  de  Bidoux,  quiavait  hiverné 
à  Dieppe,  rendit  aux  Anglais  leur  politesse.  On  lui  prêtait 
rintention  de  brûler  les  bâtiments  ennemis  en  pleine  rade 
de  Calais.  Il  fut  plus  modeste.  Une  nuit  d'avril  1514,  il 
rangea  les  côtes  du  Sussex  et  jeta  une  colonne  d'attaque 
contre  Brighton.  Mais  les  guetteurs  anglais  faisaient  aussi 
bonne  garde  que  les  nôtres.  Prégent  dut  battre  en  retraite 
sous  une  nuée  de  flèches,  dont  l'une  lui  troua  la  face.  Il 
tint  pour  un  miracle  d'avoir  échappé  à  la  mort  et  offrit  au 
retour,  comme  ex-voto,  à  Notre-Dame  de  Boulogne,  le 
masque  de  sa  figure  avec  la  flèche  qui  l'avait  frappé  {'-2). 

11  n'échappait  à  un  danger  que  pour  retomber  dans  un 
autre.  Le  vice-amiral  Thomas  Wyndham,  depuis  Douvres, 
le  suivait.  Comme  Prégent  s'avançait  avec  ses  dix  légers 
navires  sur  Calais,  Wyndham  chargea  Stephen  Bull  de  se 
glisser  derrière  lui  avec  cinq  bâtiments  et  de  lui  couper 
la  retraite  vers  Boulogne  :  le  reste  de  l'escadre  anglaise, 
tenue  jusque-là  hors  de  vue,  surgirait  tout  à  coup.  Mais 

(1)  Lettre  de  Louis  de  l\ouville  au  grand  sénéclial.  Ilartlcur,  21  noveuibie 
[1513]  (B.  N.,  Franc.  2963,  fol.  117).  —  Cf.  la  liste  des  dix-sept  vaisseaux 
anglais  qui  restèrent  en  croisière  de  novembre  1513  à  avril  1514  (Spont, 
p.  185,  note  1). 

(2)  SpONT,  p.    XLV. 


LA    SAINTE-LIGUE.  115 

le  vieux  routier,  flairant  le  stratagème,  se  retira  aussitôt 
sous  les  remparts  de  Boulogne,  t]ue  défendait  La  Fayette. 

L'amiral  Thomas  IloAvard,  qui  arriva  sur  ces  entrefaites 
de  la  Tamise,  approuva  le  projet  de  son  vice-amiral;  et, 
formant  deux  détachements  de  dix  bâtiments  chacun  aux 
ordres  de  Henry  Sherborne  et  de  Wiseman,  il  les  envoya 
l'un  à  Touest,  l'autre  à  l'est  de  Boulogne,  pour  cerner  nos 
galères  ^lais  il  jugeait  impossible  de  s'en  emparer  de  vive 
force,  si  on  ne  lui  prêtait  six  mille  soldats  (l). 

Prégent  était  dans  cette  position  critique,  quand  des 
pourparlers  de  paix  s'engagèrent  entre  la  France  et  l'An- 
pleterre.  Ils  devaient  aboutir  au  traité  de  Londres,  le 
7  août  1514.  Inutile  désormais,  la  division  écossaise  qui 
avait  ét(''  affectée,  sous  le  commandement  de  Christophe  le 
Mignon,  dit  Ghanoy  (^),  à  la  garde  des  côtes  de  Bretagne, 
s'apprêtait  à  regagner  l'Ecosse,  quand  Louis  XII,  lui  don- 
nant contre-ordre,  la  retint  à  sa  disposition  {■\). 

xVclielé  pour  la  somme  de  quarante  mille  francs  fi),  le 
Great-Michel  ou  Saint-Michel,  bâtiment  splendide  de  six 
grosses  pièces  par  bande,  deux  basilics  en  poupe  et  un  en 
proue,  sans  compter  trois  cents  petites  pièces  tournantes 
on  en  l)atterie,  que  servaient  cent  vingt  artilleurs  et  cent 
matelots  (5),  remplaça  la  Cordelière  comme  navire  amiral 
de  la  Hotte  bretonne.  A  la  guerre  contre  l'i^ngleterre,  nous 
avions  gagné  de  cimenter  avec  lEcosse  une  amitié  sécu- 
laire. Lorsque  nos  alliés  curent  besoin  d'un  régent  comme 
mentor  du  jeune  Jacques  Y,  ce  fut  en  France  qu'ils  vinrent 

(1)  Lettre  de  l'aïuiral  Thomas  Howard  écrite  à  bord  de  la  Mary  Ro.te, 
en  rade  de  Douvres  le  27  mai,  à  sept  heures  de  nuit  (Spom',  p.  205). 

(2)  Par  commission  du  9  août  1514  (Archives  de  Nantes,  EE  222). 
Clianoy  commandait  la  Marqueiile  d'Ecosse,  la  Bieppoise,  la  Petite-Louisr 
et  le  St-Michel  d'Ecosse. 

(3)  Septembre  (B.  IS.,  Franc.  25720,  p.  34.). 

(4.)  2  avril  1514  (Eplstolae  Jacohi  Quarti,  t.  I,  p.  214). 
(5)    J.    Leyoex,    Preliniinarj  publication    à   la   Complaynl   of  Scollaml, 
p.   119  :  reproduit  par  Jai.,  Archéologie  navale,  t.  II,  p.  287. 


116  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

chercher  John  Stuart  d'Albany  (1);  et  plus  d'une  fois 
encore,  leurs  corsaires  nous  empruntèrent,  pour  courir  sus 
aux  Anglais,  des  hommes  et  notre  pavillon  (2) . 

Durant  les  règnes  de  Charles  YIII  et  Louis  XII,  nos  des- 
tinées maritimes  avaient  dépendu  d'un  homme  que  son 
mauvais  état  de  santé  avait  éloigné  de  l'action  et  qui  pour- 
tant mérite  de  passer  à  l'histoire.  L'amiral  Malet  de  Gra- 
ville  avait  eu  la  fermeté,  bien  rare,  de  tenir  tête  aux  caliales 
de  la  Cour,  qu'il  fût  question  des  projets  d'expédition  en 
Italie  ou  de  la  réintégration  du  vice-amiral  Louis  de  Cler- 
mont,  destitué  comme  indigne.  Il  avait  avancé  les  frais 
d'armement  de  ses  deux  vaisseaux  en  1494.  Et  en  juillet 
1512,  en  mai  1513,  il  prêta  de  quoi  armer  deux  flottes 
contre  l'invasion  anglaise.  A  l'heure  même  où  il  aidicvait 
de  verser  au  roi  l'avance,  énorme  pour  l'époque,  de 
80,000  livres,  l'amiral,  aussi  scrupuleux  que  patriote,  ins- 
crivait dans  son  testament  qu'il  en  faisait  donation  à  l'État 
pour  il  le  soulaigement  du  povre  peuple  "  .  Et  ce  n'est  que 
justice,  ajoutait  Graville,  tant  «  a  esté  la  chose  publique 
chargée  de  mes  gros  estas,  grands  dons  et  profis  (3)  d  . 


IV 


UN    SIEGE    DE    DEUX   ANS.  —  LA  DEFENSE  DE  LA  MAUVOISINE 

De  l'autre  côlé  de  la  Erance,  une  poignée  d'hommes 
avaient  immol)ilisé  pendant  plus  de  deux  ans  la  flotte  des 

(1)  Qui  aborda  le  18  mai  1515  à  Duinbarton  avec  une  escadre  de  huit 
bâtiments  et  une  escorte  française  (Francisque  Michkl,  Les  Ecossais  en 
France,  t.  I,  p.  340). 

(2)  Janvier  1516  [Letters  and  papers...  of  Henry   VIII,  t.  Il,  n"  22). 

(3)  p. -M.  Pkrrkï,  Notice  hioqrapliique  sur  Louis  Malet  île  Graville, 
amiral  de  France  [144  ?-l 516).  Paris,  1889,  in-8",  p.  17T;  cf.  aussi 
p.  164,  204,  210). 


LA    SAINTE-LIGUE,  117 

coalisés  et  ajouté  à  notre  histoire  une  page  épique  (I).- 
Avant  que  la  guerre  éclatât,  avec  ce  sens  de  la  stratégie 
qu'on  retrouve  dans  ses  moindres  campagnes,  Prégent  de 
Bidoux  exposait  à  la  Cour  un  plan  audacieux,  qu'il  appelait 
la  politique  de  la  «  porte  ouverte  en  Italie  (2)  " .  Par  l'occu- 
pation de  Piombino,  qui  commande  le  canal  de  l'île  d'Elbe, 
il  pensait  jeter  le  désarroi  parmi  les  coalisés  du  midi,  quand 
Inisurrection  soudaine  de  Gènes  ruina  ses  projets.  Le 
23  juin  1512,  les  troupes  de  la  garnison  française,  pour- 
chassées dans  les  rues  par  les  partisans  de  Janus  de  Campo 
Fregoso,  gagnaient  péniblement  l'abri  du  Castclctto  et  de 
la  Mauvoisine.  En  vain  Grussol,  le  nouveau  gouverneur, 
tenta-l-il  une  immédiate  l'épression  en  quittant  Marseille 
avec  une  escadre  de  six  galères.  Force  lui  fut  de  recon- 
naître le  fait  accompli  et  de  virer  de  bord.  Le  drapeau 
fleurdelisé  ne  flottait  plus  que  sur  deux  forts. 

Puis  il  disparut  du  Gasteletto.  Le  capitaine  d'une  escadre 
de  secours  partie  le  28  juillet  de  Marseille  le  chercha 
vainement  des  yeux.  La  place  venait  d'être  livrée,  et  par 
qui,  grand  Dieu!  par  un  parent  de  Bidoux!  Treize  mille 
ducats  avaient  été  le  denier  de  Judas.  Quelques  mois  plus 
tard,  la  hache  du  bourreau  s'abattait  sur  le  traître,  auquel 
un  homme  costumé  en  Génois  tendait  par  dérision  une 
bourse. 

Restait  la  Mauvoisine  de  Godefa,  Elle  avait  pour  gou- 


(1)  "  Registre  des  lettres  escriptes  au  Roy  par  Mons.  de  Hodetot,  con- 
seiller et  cluuiibellan  duclit  s''',  ayant  pour  luy  la  charge  de  son  chasteau- 
neuf  de  Godefa  lez  Genncs  "  (1507-1514),  B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  159. 
—  «  Histoire  journalière  d'Honoré  de  Valbelle,  »  en  provençal  (1423- 
1539),  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  58-41.  —  Bartholomaeus  Senarega,  De 
rébus  Genuensibiis  comme ntaria  (1488-1514),  dans  Mcratori,  Scriptores 
rcrum  italicarum,  t.  XXIV,  col.  616-634.  —  Agostino  Giustimano,  Cas- 
tr(jatissbin  nuiiali...  di  Genova,  Qeno\A,  1537,  in-fol.,  fol.  268-272.  — 
Uberto  Folieta,  Hisloriae  Genuensis  libri  XII  ( —  1528).  Genuae,  1585, 
in-fol.,  fol.  293-296. 

(2)  Prégent  à  Robertet.  Gènes,  25  janvier  1512  (B.  N.,  Dupuy261,  fol.  11). 


lis  Histoire  de  la  marine  FRANÇAlsti. 

verneur  Guillaume  de  Houdetot  (1),  un  descendant  du 
héros  normand  qui  ramassait  les  débris  de  la  floLte  échappés 
au  désastre  de  l'Ecluse  ponr  les  ramener  au  feu.  Bon  sang 
ne  ment  point.  Houdetot  jura  de  conserver  la  place  ou  de 
s'ensevelir  sous  les  ruines.  Il  s'était  ravitaillé  tout  d'abord 
en  arrêtant,  avec  les  deux  barques  attachées  à  la  forteresse, 
les  transports  des  insurgés.  Mais  à  peine  l'escadre  de  Ber- 
nardin de  Baux  avait-elle  disparu  que  pointèrent  à  l'ho- 
rizon, le  19  août,  des  galères  de  blocus  détachées  des  Hottes 
vénitienne,  pontificale  et  napolitaine  (^) . 

En  France,  on  jugea  la  situation  désespérée;  Louis  XII 
ne  songeait  plus  qu'à  sauver  les  ballots  d'armures  mila- 
naises déposés  dans  la  tour.  Par  surcroit,  Prégcut  de 
Bidoux  avait  quitté  les  eaux  méditerranéennes,  et  le  grand 
homme  de  mer  était  remplacé  par  un  corsaire,  incapable 
de  diriger  les  évolutions  d'une  grosse  flotte  et  de  livrer 
une  bataille  rangée.  Avec  ce  dédain  que  l'on  a  pour  les 
causes  perdues,  Bcrnardni  de  Baux  ne  laissa  plus  s'aven- 
turer jusqu'à  la  forteresse  de  Godcfa  qu'un  seul  de  ses 
vaisseaux. 

Ah!  le  magnihquo  fait  d  aiiucs  (jui  fut  alors  accompli! 
Sous  le  feu  meurtrier  des  batteries  de  San-Pier  d'Arena  et 
du  môle,  à  travers  l'escadre  de  Itlocus  qui  n'avait  pas 
encore  pris  ses  quartiers  d'hiver,  intrépide,  Janot  le  Mar- 
seillais passa.  Et,  les  assiégés  ravitaillés  le  10  novembre,  il 
força  de  nouveau  le  blocus,  grâce  aux  munitions  que  Guil- 
laume de  Houdetot  avait  généreusement  partagées  avec 
lui.    On   sut  ainsi  qu  il    manquait    cinquante-neuf   pièces 

(1)  Nous  possédons  encore  des  revues  de  la  garnison  de  la  Mauvoisine  de 
Godefa  pour  les  années  1510  cl  1511.  Plus  d'un  Normand  tijjure  parmi  les 
50  hommes  d'armes  cl  les  100  archers  (H.  N.,  Franc.  25784,  fol.  129, 
145). 

(2)  Trois  galères  vénitiennes  de  Bragadin,  deux  galères  pontificales,  et, 
un  peu  plus  lard,  sept  galères  de  Villamarin  (vS.\NrTO,  t.  XIV,  col.  594,  636, 
et  t.  XV,  col.  135,  382). 


•a      = 


LA   SAINTE-LÎGUË,  119 

légères  pour  gg^rnir  les  murailles  de  la  Mauvoisine.  Mais  de 
cette  détresse,  personne  n'eut  cure. 

Les  Marseillais  étaient  trop  occupés  des  attraits  et  des 
profits  de  la  course  pour  jouer  le  rôle  ingrat  de  forceurs 
de  blocus.  Ils  préféraient  de  riches  aubaines,  comme  ce 
Joannes  Richaut  qui  ne  craignait  pas  de  se  glisser,  avec  un 
seul  vaisseau,  au  milieu  de  vingt  gros  navires  marchands 
mouillés  sous  une  escorte  à  Porto-Ferraio  :  ses  batteries 
soudain  démasquées  jetaient  l'effroi  parmi  les  équipages,  et 
il  amarinait  sans  coup  férir  les  trois  plus  grands  bâtiments 
chargés  de  butin  (l). 

Nous  possédons  encore  comme  journal  du  siège  la  cor- 
respondance du  gouverneur  :  dans  cette  œuvre  d'une  gran- 
deur tragique,  on  ne  relève  ni  lassitude  ni  découragement. 
Et  pourtant!...  Les  provisions  vite  s'épuisèrent  :  le  lard 
venu  en  été  s'était  corrompu.  La  carne  maigre  et  dure, 
apportée  par  le  capitaine  Janot,  vers  la  Chandeleur,  tira 
à  sa  fin.  La  maladie  s'abattit  sur  la  garnison  et  en  coucha 
bas  un  tiers,  une  centaine  d'hommes  :  maladie  étrange,  à 
forme  cpidémique,  bien  qu'elle  eût  des  allures  de  néphrite 
et  qui,  en  trois  mois,  conduisait  au  tombeau.  Lancées  par 
deux  trébuchets  dans  1  enceinte,  des  charognes,  des  déchets 
infects  pouvaient  provoquer  une  autre  épidémie.  Et  un 
blocus  étroit  ("2)  empêchait  d'introduire  dans  la  place  tout 
vivre  frais,  tout  remède,  même  un  médecin. 

Depuis  trois  mois  sans  nouvelles,  le  Père  du  peuple  s'in- 
quiéta et,  malgré  de  multiples  préoccupations,  ce  fut  le  roi 
qui,  le  premier,  songea  aux  valeureux  assiégés.  Ordre  fut 
donné  à  Bernardin  de  Baux  de  leur  porter  secours. 

(1)  Valrellk,  fol.  3i  v".  —  Deu.v  autres  escadrilles  de  quatre  bâtiments 
chacune  faisaient  des  prises  dans  le  golfe  du  Lion  (Sanuto,  t.  XIV,  col.  580, 
597). 

(2)  Les  croiseurs  génois  surveillaient  nos  armements,  à  tel  point  que 
Pierre  de  Laval  fut  chargé  de  défendre  avec  un  galion  le  littoral  d'Aiguës» 
Mortes.  Mars  1513  (B.  N.,  Franc.  29255,  dossier  Saint-Paulet,  p.  2). 


120  IIISTOIRF,   DE    LA    ÏMARINE   FRANÇAISE. 

Le  16  mars  1513,  un  navire  solitaire  jelail  lancrc  à  une 
portée  d'arbalète  de  (iodefa,  après  éehan^e  de  vigoureuses 
bordées  avec  la  Hotte  en  croisière.  Du  rivap^e,  le  doye  cons- 
terné contemplait  le  va-et-vient  du  ravitaillement  qui 
détruisait  tous  les  fruils  il  un  lonjj  sièjjje,  quand  se  ilctiiclia 
du  rivage  une  des  quatre  grosses  nefs  du  blocus.  Un  jeune 
homme  venait  de  demander  la  permission  d'attaquer,  à  la 
tète  d'un  groupe  de  volontaires.  .La  popidation  se  précipita 
dans  les  églises,  et  des  prières  publiques  se  dirent  partout 
pour  le  succès  de  Manuele  Cavallo.  Sous  une  grêle  de  pro- 
jectiles qui  frappa  nombre  de  ses  marins,  entre  autres 
André  Doria,  Cavallo  se  jeta,  avec  vent  en  poupe,  entre  la 
barge  et  la  forteresse,  brisant  la  remorque  qui  les  i^eliait. 
Cristol  Esclavon,  capitaine  de  la  barge  française,  avait 
cent  soi.xante  hommes  à  bord,  les  quarante  autres  avaient 
gagné  la  forteresse.  11  soutint  un  corps  à  corps  désespéré 
contre  les  volontaires  de  Cavallo,  jusqu'à  ce  qu  il  n'eût  plus 
que  trente-deu.\  hommes  debout  ;  alors,  Ksclavon.  se  jetant 
par-dessus  bord,  tenta  de  gagner  à  la  juige  la  Mauvoisine, 
mais  il  fut  saisi  par  le  jeune  l»enedello  Giustiniano.  et  le 
brave  soldat  vaincu  prit,  menottes  au.\  inams,  le  chemin  du 
palais  ducal,  où  on  l'e-N-hiba  comme  un  trophée  (1)-.. 
lirusqucment,  la  situation  se  modilia,  l*"l  le  renforcement 
de  lescadre  de  blocus,  d  abord  de  six  galions,  puis  d'autres 
bâtiments  qui  la  portèrent  au  chiffre  formidable  de  qua- 
rante-cinq voiles,  trahit  l'anxiété  des  Génois. 

JjOuis  XII  avait  promis  à  Guillaume  de  lloudctot  de  le 
dégager.  Une  armée  et  une  flotte  accouraicntà  son  secours. 

Trivulze  et  La  TréinolUe  franchissaient  les  monts.  Sans 
les  attendre,  nos  partisans,  les  Adorno,  dévalant  par  la  val- 
lée de  la  Polcevera,  tombaient  sur  les  assiégeants  retran- 
chés dans  l'abbaye  de  Saint-Bénigne,  enlevaient  les  battc- 

(1)  GiusTiMANo,  pi.  268.  —  Sknarkca,  col.  G20.  — Foi.iicta,  fol.  294.  — 
V.\LBELLE,  fol.  32.  —  B.  N.,  Nouv.  acq.  franr.  159,  fol.  38, 


LA    SAINTE-LIGUE.  121 

ries  et  balayaient  les  troupes  du  doge  accourues  à  la 
rescousse.  Antoniotto  Adorno,  sans  désemparer,  se  faisait 
proclamer  gouverneur  de  Gênes  au  nom  du  roi  de  France. 

La  veille,  le  2:5  mai  15i:î,  la  flotte  française,  partie  de 
Marseille,  avait  été  signalée  du  côté  de  Final.  Le  lieutenant 
de  Provence,  Claude  Durre,  sieur  du  Puy-Saint-Martin, 
amenait  toutes  les  forces  navales  de  la  province  (1),  les 
divisions  Bernardin  de  Bau.\,  Charles  de  Forbin  et  Servicn, 
jusqu  au  contingent  du  seigneur  de  Monaco  (2).  Il  n  avait 
pourtant  que  trente-trois  bâtiments  à  opposer  aux  qua- 
rante-cinq de  Niccolo  Doria.  Les  deux  flottes  coururent  un 
moment  à  contrebord  à  portée  de  canon,  avant  que  Doria 
se  résignât  à  battre  en  retraite  vers  La  Spczia.  Pressé  de 
pourvoir  au  besoin  des  assiégés,  Saint-Martin  se  dirigea  en 
droite  ligne,  le  23  mai,  vers  Godefa. 

Il  ne  se  décida  à  donner  la  chasse  à  son  adversaire  qu'a- 
près Féchcc  d  une  tentative  de  conciliation.  Les  messagers 
envoyés  aux  marins  de  Doria  pour  leur  conseiller  de  se  sou- 
mettre furent  éconduits  sans  même  être  écoutés.  G  est  que 
le  chef  des  insurgés,  le  doge  Janus  de  Campo  Frcgoso,  était 
sur  la  flotte,  où  il  avait  mis  ses  derniers  espoirs.  Et  il  ne  fut 
pas  déçu.  Deux  de  nos  galères,  la  Sainte-Claire  et  la  Sainte- 
Lucie,  imprudemment  lancées  à  lapoursuited'un  brigantm, 
tombèrent  le  3  juin  dans  une  embuscade  (3)  :  l'une,  armée 
par  la  ville  de  Fréjus,  fut  réduite  à  séchouer;  l'autre,  sous 
Ténergiquc  direction  du  châtelain  de  La  Napoule,  soutint 
un  violent  combatcontre  les  galèi'es  génoises,  qui  l'avaient 
cernée,  et  perdit  la  plus  grande  partie  de  ses  gens  avant 
de  succomber;  il  n'échappa,  de  tout  l'équipage,  que  trois 
hommes.  Démuni  de  deux  de  ses  meilleurs  vaisseaux,  Saint- 

(1)  9  galères,  k  galions  et  20  autres  navires,  armés  à  Marseille  et  à  Ville- 
franche  (Extrait  du  compte  de  PhilbertBabou,  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  185). 

(2)  Un  galion,  trois  caravelles  et  quelques  hrigantins.  Valbelle  (fol.  33) 
donne  une  liste  détaillée  de  l'escadre. 

(3j  Archives  des  Bouchcs-du-llhône,  B  1232,  fol.  11  v»,  23. 


122  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRAiXÇAlSE. 

Martin  se  replia  piteusement  sous  les  murs  de  la  Mauvoi- 
sine  de  Godcfa.  Il  suffît  de  l'apparition  do  vingt-huit  bâti- 
ments ennemis  à  l'autre  extrémité  du  port  de  Gênes,  à 
l'embouchure  du  Bisagno,  pour  précipiter  sa  retraite  vers 
Marseille.  Aussi  triomphant  avait  été  le  départ,  aussi 
lamentable  fut  le  retour,  sous  les  huées  de  la  populace  et 
les  malédictions  des  veuves  et  des  orphelins. 

Jamais  l'influence  de  la  suprématie  navale  sur  la  marche 
des  événements  ne  fut  plus  saisissante.  Notre  escadre  dis- 
parue, le  K)  juin,  lesAdorno  s  enfuirent  de  Gènes;  un  nou- 
veau doge  y  fit  son  entrée;  Trivulze  était  défait  dans  le 
nord,  son  armée  en  pleine  déroute.  Après  une  éphémère 
délivrance,  les  assiégés  de  Godcfa  vovaicnt  s  effondrer  leurs 
espoirs,  et  le  cercle  de  fer  du  blocus  de  nouveau  se  refer- 
mait sur  eu.x. 

E.vaspérés  d'une  résistance  qui  ne  leur  laissait  ni  sécurité 
ni  repos,  les  Génois  s'acharnèrent  contre  la  forteresse.  Un 
architecte  proposa  de  la  faire  sauter.  Un  de  ces  pontons 
qu'on  employait  au  transport  des  énormes  blocs  du  môle 
fut  transformé  en  machine  infernale,  garni  de  biarres  de  fer, 
matelassé  et  blindé  à  l'épreuve  des  boulets.  Dans  la  nuit 
du  27  septembre,  son  constructeur,  des  officiers  de  marine, 
une  centaine  de  soldats  d'élite,  embarqués  à  bord,  appro- 
chèrent silencieusement  de  Godefa.  Quelques  brasses 
encore,  et  les  mines  seraient  sous  les  remparts,  quand  le 
canon  tonna.  Nos  sentinelles  avaient  donné  1  alarme;  cl, 
malgré  son  blindage,  la  machine  infernale,  éventrée,  s'en- 
fonça dans  1  abime  (1). 

Les  assiégeants  dressèrent  de  nouvelles  batteries  à  la 
gorge  du  promontoire,  renforcèrent  de  cent  cavaliers  les 
troupes  de  siège  et  de  nouveaux  croiseurs  la  flotte  de  blo- 
cus, afin  d'intercepter  les  moindres  communications  de  la 

(i)  Sexarega,  col.  627.  —  B.  ]S.,  Nouv.  acq.  fram;.  159,  fol.  14,  15. 


f       LA    SAIME-LIGUE.  123 

garnison  avec  Le  dehors.  Du  poste  d'observation  du  cap  de 
Monte,  à  quinze  milles  dans  Test,  des  j^alères  étaient  prêtes 
à  fondre  sur  tout  navire  suspect  (Ij . 

Guillaume  de  Houdetot  connut  ce  supplice  nouveau  et 
intolérable  de  l'absence  de  nouvelles.  Des  mois  passèrent. 
De  France,  il  ne  voyait  rien  venir  :  trois  paires  de  lettres 
royales  à  son  adresse  étaient  tombées  entre  les  mains  de 
rennemi.  Le  -4  décembre,  dans  une  touchante  épître,  le 
gouverneur  suppliait  la  reine  d'exposer  à  son  auguste  épou.v 
la  situation  navrante  des  assiégés.  Par  une  dernière  fata- 
lité, quand  la  supplique  parvint  à  la  Cour,  Anne  de  Bre- 
tagne était  à  l'agonie.  Deux  galions  sous  pavillon  français, 
ceux  de  François  Albertinelli  et  Raphaël  Rostan  (2), 
avaient  un  instant  voltigé  à  Ihorizon;  mais  ils  s'étaient 
évanouis,  dès  que  l'escadre  de  blocus  les  eut  découverts. 
Et  l'héroïque  Houdetot  de  railler  l'excessive  prudence  du 
capitaine  Bernardin  :  "  Espère-t-il  donc  arriver  invisible  : 
qu  il  quitte  ce  souci!  » 

Une  lettre  royale  du  2  mars  lôl^  parvint  pourtant  à 
Godefa.  Elle  demandait  confidentiellement  combien  de 
temps  la  place  pourrait  encore  tenir,  en  poussant  les  choses 
a  à  l'extrémité  "  .  Le  nombre  de  mois  et  de  jours  devait 
être  indiqué  par  cette  phrase  conventionnelle  :  <;  Sire,  il  v 
a  aujourduy  (  )  ans  et  (  )  mois  (3j  que  me  promistes 
ung  office.  "  —  «  Sire,  il  y  a  deux  ans  et  demy  qu'il  vous 
pleut  me  promettre  ung  office,  »  répondit,  le  19  mars,  Guil- 
laume de  Houdetot.  Deux  mois  et  demi  !  telle  était  donc  la 
limite  suprême  qu'il  crovait  pouvoir  assigner  à  la  résis- 
tance. Louis  XH  le  pria  de  lui  accorder  un  mois  de  plus, 
un  mois  de  grâce.  Le  gouverneur  assembla  ses  hommes  qui 

(i)  S^;^AH^;GA,  col.  632. 

(2)  Que  faisait  armer  Claude  Durrc  à  ^Marseille,  le  6  février  1514  (Archives 
des  Bouches-du-Rhône,  B  2551,  fol.  326). 

(3)  Les  ans  devaient  indiquer  les  mois,  et  les  mois  les  jours  (B.  N.,  Nouv. 
acq.  franc.  159,  fol.  40  v°). 


124  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

tous,  d Une  comniuiie  voix,  accédèrent  au  désir  royal.  Ils 
prolongeraient  la  lutte  jusqu'à  la  fin  de  juillet. 

Cette  belle  réponse  fut  expédiée  dans  le  langage  conven- 
tionnel précédemment  adopté  et  non  suivant  le  chiffre  con- 
tenu dans  la  missive  royale  du  20  avril.  La  missive  était 
parvenue  à  destina  lion  dans  un  tel  état  qu'il  y  avait  lieu  de 
craindre  que  rennemi  n'en  eût  pris  connaissance.  On  com- 
prendra par  un  simple  fait  la  grandeur  du  sacrifice  con- 
senti par  les  assiégés  :  la  misère  les  contraignait  à  vivre 
dans  le  costume  d'Adam,   u  tous  nuds  (1).  " 

Grâce  à  l'énergie  d'un  patron  de  Villefranchc,  ils  purent 
tenir,  et  au  delà,  leur  promesse.  Le  -4  mai  1514,  une  bar- 
que filait  droit  sur  l'entrée  du  port  de  Gênes.  Aux  brigan- 
tins  de  garde,  Paul  Corse  répondit  qu'il  portait  en  ville  du 
blé  :  on  l'escorta  jusqu'au  môle...  Soudain,  sous  une  brise 
légère,  Corse,  faisant  une  embardée  à  bâbord,  se  jetait  à  la 
côte  sous  les  canons  de  la  Mauvoisiiie.  Aux  vaillants  défen- 
seurs, il  apportait  de  la  poudre  et  des  balles,  deux  cents 
émines  de  blé  et,  comme  bois  de  chauffage,  la  carcasse 
même  de  son  bateau. 

Pour  l'adroit  forccur  de  blocus,  Houdetot  réclama  une 
éclatante  récompense,  afin  de  lui  susciter  des  émules.  Il  en 
était  besoin  :  les  audaces,  à  la  longue,  s'usaient.  Un  disait 
couramment  en  Provence  que  la  Mauvoisine  justifiait  son 
nom  tant  pour  les  Français  que  pour  les  Génois.  Le 
sophisme  dont  se  couvrait  alors  la  peur  était  le  respect 
du  principe  des  nationalités  :  «  Gênes  aux  Génois,  l'Italie 
aux  Italiens,  la  France  aux  Français;  les  monts  fout  les 
nations,  »  tel  était  le  dicton  populaire  recueilli  par  le 
chroniqueur  contemporain  Valbelle.  Axiome  respectable, 
certes,  mais  non  quand  il  masque  une  lâcheté. 

A   l'aide   des  Provençaux,   Louis    XII    manda    des  Nor- 

(i)  Lettre  de  Houdetot,  7  mai  i5i4(B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  159,  fol.  43). 


LA    SAIiNTE-LIGUE.  125 

mands.  Loin  des  regards  inquisiteurs  des  espions  génois, 
dans  un  petit  port  à  Tcmbouchure  de  la  Seine,  un  navire 
de  1-40  tonnes  embarquait  vivres  et  munitions;  et,  le 
20  avril,  la  Trinité  de  Honfleur  appareillait  pour  la  forte- 
resse de  Godefa  (1).  Mais  l'aventure  de  Paul  Corse  avait  eu 
le  fâcheux  résultat  de  provoquer  un  redoublement  de  sur- 
veillance des  Génois  :  dix-neuf  vaisseaux  de  guerre,  sans 
compter  les  avisos,  ne  laissaient  entrer  au  port  aiu-un 
bâtiment,  si  minuscule  fût-il,  sans  lui  faire  subir  plusieurs 
visites.  Et  la  Trinité,  impuissante  à  forcer  le  blocus,  dut 
rebrousser  chemin  vers  Aigues-Mortcs. 

Les  assiégés  étaient  à  la  dernière  limite  de  la  soufirance. 
Au  roi,  au  grand  sénéchal  de  Normandie,  au  général  du 
Languedoc,  Guillaume  de  Houdetot  réclamait  d'urgence 
l'envoi  d'une  flotte  de  secours.  Le  seul  intérêt  de  la  patrie 
le  guidait,  et  il  le  disait  en  de  beaux  termes,  qui  furent 
prophétiques  :  "  Si  vous  aviez  veu  la  place,  je  ne  croy  pas 
que  vous  fussiez  d'oppinion  que  ledit  seigneur  roi  la  lais- 
sast  perdre.  Par  le  moyen  d'icelle,  ledit  seigneur  peult 
tenir  toute  l'Ytallie  en  sujection.  Et  s  il  advient  qu'il  la 
perde,  je  ne  crovs  pas  que  jamaiz  la  recoeuvre  {"!).  » 

L'appel  fut  vain.  Bernardin  de  Baux  ne  s'ébranla  pas. 
Pour  recommencer  le  grand  effort  naval  de  l'année  précé- 
dente, il  attendait  quelqu'un. 

La  famine  n'attendit  plus.  Une  femme,  longtemps  leur 
compagne  d'infortune,  porta  aux  assiégés  le  rameau  d'oli- 
vier. Ils  quitteraient  la  place,  vies  et  bagues  sauves,  que 
dis-je?  En  Normand  habile,  Houdetot  fit  supporter  à  l'en- 
nemi tous  les    frais  du    siège  :  il  exigea  de  la  banque  de 

(i)  Récit  de  sa  navigation,  du  20  avril  à  décembre  t5iV,  dans  la  quit- 
tance délivrée  par  Jean  I^e  Danois  et  Jean  de  I^a  Chesnaie,  ses  proprié- 
taires. 12  septembre  1515  (B.  N.,  Pièce:!  Orig.,  vol.  737,  doss,  de  La  Ches- 
naye  16852,  n°  3). 

(2)  Lettres  de  Houdetot,  7  mai  1514  (B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  159, 
fol.  43  v"). 


1-26  IIISTOIRF-    DK    LA    INIARINE    FRANÇAISE. 

SaiiiL-Gcoi-gcs  23,000  écus,  arréi^ages  de  la  solde  que  ses 
soldats  ne  touchaient  plus  depviis  longtemps  de  la  France. 
Pour  lui,  il  refusa  noblement  de  rien  prendre  :  a  Le  roi 
de  France  est  assez  riche  pour  me  récompenser.  "  La  capi- 
tulation portait  que  la  forteresse  serait  rendue  le  2G  août, 
si  d'ici  là  aucun  secours  n'avait  paru. 

Le  IH  août,  le  drapeau  français  se  déploya  à  l'horizon. 
Bernardin  de  Baux  élait  au  large  avec  deux  galères,  dont  il 
avait  dissimulé  au\  espions  .génois  la  deslmalion,  par  une 
feinte  du  coté  du  Languedoc.  L'Anguille,  lancée  de  l'avant, 
approcha  de  Godefa  :  mais  à  la  vue  des  nombreux  bâti- 
ments de  blocus,  le  patron  Julien  Ycart,  sentant  défaillir 
son  courage,  liattitcn  rctraile. 

Dès  lors,  les  destinées  s'accomplirent.  Le  26  août,  au 
matin,  après  deux  ans  et  sept  jours  de  siège,  la  garnison 
évacua  la  forteresse  ;  et  soldats,  marins,  hommes  d'armes, 
deux  cents  hommes  environ,  furent  transportés  à  Nice. 
Quelques  jours  après,  sous  les  ordres  des  deux  frères  de 
Houdetot,  Guillaume  et  Robert,  ils  défdaiont  triomphale- 
ment dans  les  rues  de  Marseille  (I). 

Déjà,  la  tour  Mauvoisine,  la  forteresse  de  Godefa,  n'exis- 
tait plus.  Elle  avait  été  rasée  do  fond  en  coml)le.  Gènes  res- 
pirait enfin.  Les  citoyens  se  croyaient  libres.  Jamais  ils 
n'avaient  élé  plus  proches  d'un  nouveau  vasselage. 

Iloudolot  avait  succombé  :  et  voici  que  le  sauveur 
attendu  arrivail  du  Ponant,  après  avoir  vengé  Portzmo- 
guer  et  ht  Cordelière.  Pour  délivrer  la  tour  de  Godefa, 
Louis  XII  avait  mobilisé  toute  la  flotte  du  Levant,  dix-huit 
galères  et  galions,  avec  Préj;ent  et  Bernardin,  que  devaient 
appuver  j>ar  terre  liuil   mille  lans(|ucnels  (2).  Le  17  août, 

(i)  Vai.iiki.lk. 

(2)  I^cttres  de  PandolHni,  ambassadeur  de  Toscane  en  France.  Poissy, 
21l-  juillet  et  9  août  (Abel  DES.TAni)iNS,  Néfjoci niions  (lipl<rinali</iies  de  la 
Fiaiict'  Kvcc  1(1  Toscane,  t.  II,  p.  6V7,  653,  dans  la  (k)llection  des  docu- 
ments inéditsj. 


f  LA    SAINTK-LIUUE.  127 

Prégeiit  de  Bidoux  signalait  son  passage  à  Valence  par  la 
capture  d'une  carraquc  génoise,  l<i  Cattanea  ou  la  Negro- 
nasso,  \\\n  des  plus  grands  vaisseaux  du  temps.  André 
Doria,  pensant  lui  couper  la  route,  vint  embosser  aux 
îles,  en  vue  de  Marseille,  des  forces  doubles  des  nôtres.  Il 
eut  avis  que  la  carraquc,  encadrée  des  barges  marseillaises 
de  François  Albertinelli  et  Raphaël  Roslan,  était  non  loin 
de  là.  vers  le  grau  dAigues-Mortes.  Comme  il  prononçait 
une  attaque  enveloppante  à  la  tète  de  treize  galères  et  bri- 
gantins,  une  fuste  légère  se  jeta  intrépidement  à  travers 
ses  lignes,  et,  non  sans  perdre  plusieurs  hommes,  se  rangea 
aux  cotés  de  nos  trois  vaisseaux.  Le  brave  qui  s'était  ainsi 
troué  un  passajje  était  le  héros  de  (^odefa,  le  capitaine 
Janot  (1).  Le  combat,  si  inégal  qu'il  fût,  dura  une  demi- 
journée  et  se  termina  par  la  déroute  de  la  Hotte  génoise, 
dont  la  moitié  alla  se  fracasser,  par  la  tempête,  en  Cata- 
logne. 

Le  21  septembre,  l'escadrille  victorieuse,  qu'avaient  ral- 
liée les  quatre  galères  de  Bidoux,  entrait  dans  le  port  de 
Marseille  au  bruit  des  salves  d'artillerie  et  des  vivats  (2). 

La  division  de  Frère  Bernardin,  qui  s'y  trouvait  déjà, 
venait  d'échapper  à  un  désastre.  On  avait  démasqué  à 
temps  un  agent  du  doge  de  Gènes,  matelot  sur  la  barge  la 
Messlnoise,  avant  (ju'il  eut  fait  usage  dune  poudre  diabo- 
lique qui  brillait  sur  l'eau.  Contre  une  promesse  de 
mille  ducats,  le  traître  avait  promis  au  doge  d'Incendier 
toute  la  division  (3) . 

L'avortement  de  cette  criminelle  entreprise  fut  suivi  de 

(1)  VALnp:LLK,  fol.  38  v".  —  Archives  des  Rouches-du-Ilhône,  V>  J232, 
fol.  43.  _  GiusïiNiANO,  fol.  27t.  —  Selon  Sasiio  (t.  XIX,  col.  195,  225), 
la  flotte  génoise  aurait  même  été  plus  forte  :  elle  aurait  compris  9  {jalùres, 
3  fustcs  et  7  brigantins. 

(2)  Vai.beli.k,  fol.  38  v". 

(3)  Archives  des  Bouches-du-lUiûne,  H  1232,  fol.  39.  —  Le  traître  fut 
e-\écuté  le  28  septembre  (Ruffi,  Histoire  de  Maiseil/e,  t.  II,  p.  350). 


1-28  HISTOIRE    UE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

récrasement  de  la  flotte  génoise,  épuisée  par  le  blocus.  A 
peine  eut-il  pris  quelque  repos,  que  Présent  remit  à  la 
voile,  le  27  septembre,  à  la  tête  de  douze  bâtiments  légers. 
Non  loin  de  Gènes,  il  cerna  huit  galions  réfugiés  dans  le 
port  de  Varrazzc.  Débarquant  une  colonne  (ralta([uo,  il 
investit  la  ville,  que  l'artillerie  de  la  flotte  bombarda  vigou- 
reusement; les  galions  génois  ne  tardèrent  pas  à  prendre 
feu;  mais  telle  fut  la  fureur  des  halîitants  à  ce  spectacle, 
qu'ils  jetèrent  dans  les  épaves  incandescentes  ceux  de  nos 
soldats  isolés  qu'ils  purent  prendre.  Leur  cruauté  n'empê- 
cha pas  leur  défaite. 

Faute  de  la  suprématie  navale,  nous  avions  perdu  la 
Mauvoisine  ;  faute  de  cette  même  suprématie,  (Jênes  perdit 
à  nouveau  l'indépendance,  etle  doge  du!  s  iiuniilier  devant 
le  roi. 


LE   NOUVEAU   MONDE 


LE   VOYAGE    DE    "   L'ESPOIR   »    ES    INDES    MÉRIDIONALES 
ET    OCCIDENTALES 

Quelle  impression  produisit  en  France  la  découverte 
sensationnelle  de  Christophe  Colomb?  Aucune  chronique 
ne  nous  l'apprend.  Mais  quoi  de  plus  éloquent  que  cet 
incident  de  roule,  relevé  par  Las  Cases?  Lors  de  son  troi- 
sième voyage  en  Amérique,  en  mai  LiOT,  Colomb  dut  cher- 
cher à  Madère  un  abri  contre  des  corsaires  français  agui- 
chés par  les  richesses  des  Terres  Nouvelles. 

Les  plus  habiles  de  nos  pilotes  —  c'est  le  cosmographe 
Garcie-Ferrande  qui  décerne  aux  Honfleurais  ce  titre  — 
se  procurèrent  un  manuscrit  de  Marco  Polo  (1),  et  en  con- 
fièrent la  garde  à  Téchevin  de  leur  confrérie  (2).  L'échevin 

(1)  Le  propre  manuscrit  du  roi  Charles  V.  Maintenant  à  Stockholm,  le 
manuscrit  porte  la  signature  de  Symon  du  Solier,  de  Honfleur  (L.  Delisle, 
compte  rendu  du  Livre  île  Ma?To  Polo.  Fac-similé'  d'un  manuscrit  du 
xiv''  siècle.  Stockholm,  1882,  in-V",  dans  la  Bihliothérine  de  l'Ecole  des 
chartes,  t.  XLIII,  p.  228). 

(2)  Svmon  du  Solier  était  échevin  en  1489  (Cli.  et  P.  hnv.knD,  Documents 
relatifs  a  la  marine  normande  et  à  ses  armements  aux  xvi*  et  xviii^  siècles 
pour  le  Canada,  l'Afrique,  les  Antilles,  le  Brésil  et  les  Indes.  Rouen,  1889, 
in-8",  p.  kk). 

m.  9 


130  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

était  Fami  de  Malet  de  Graville,  dont  il  hébergeait  l'artil- 
lerie navale  (1) . 

Du  manuscrit  corporatif,  l'amiral  de  Graville  se  hâta  de 
tirer  copie  (2),  tant  les  récits  du  îameux  Million  sur  TEx- 
tréme-Orient  redevenaient  d'actualité.  N'était-ce  point  à 
la  lecture  de  Marco  Polo  que  Colomh  devait  les  illusions 
de  son  premier  voyage,  quand  il  prit  Cuba  pour  la  terre  de 
Quinsay,  résidence  du  grand  Khan,  et  les  Azitillcs  pour  les 
îles  des  Épiées,  dont  l'une,  entre  sept  mille  autres,  était 
habitée  par  des  Amazones  (3). 

Et  voici  justement  qu'il  en  était  question  dans  un  conte 
fantastique  adressé  à  l'un  des  capitaines  inscrits  sur  les 
listes  de  la  confrérie  honfleuraise,  Jean  de  Porcon  (4). 
Par  leurs  allusions  à  l'île  des  Amazones  et  aux  îles  innom- 
brables avoisinant  le  royaume  du  Prêtre-Jehan,  n  les  Nou- 
vel/es admirables,  lesquelles  ont  envoyées  les  patrons  des 
gallées  transportées  du  vent  es  parties  des  Indes  (5),  » 
semblent  un  écho  de  la  découverte  colombienne,  dont  elles 
seraient  contemporaines  (<)) .  L'écho  ne  retentit  point  dana 
le  vide. 

Honfleur  fut  alors  pour  nos  marins  ce  que  fut  Lisbonne, 


(t)  Symon  du  Solier  logeait  dans  son  cellier  l'artillerie  de  Ift  nef  amirale 
Louise  (Archives  du  Havre,  EE  79), 

(2)  Actuellement  B.  N.,  JMouv.  acq.  franc.  J880. 

(3)  Navarrete,  Coleccion  de  viajes  y  desciihrimientos  que  liifieron  pov 
mar  lo.i  Espaùoles  desde  fuies  del  sifjlo  XV.  Madrid,  1825-1837,  in-4",  t.  II, 
p.  58. 

(4)  Depuis  1494.  En  J501,  après  la  mort  de  Porcon,  durant  la  campagne 
de  Mitylène,  sa  veuve,  Cardine,  le  remplaça  sur  les  rôles  de  la  Confrérie 
(Registre  de  la  Confrérie  Notre-Dame,  ù  Honfleur). 

(5)  Musée  Condé  à  Chantilly,  Imprimé  IV  B.  60  :  cf.  suprù,  t.  II, 
p.  396. 

(6)  Un  exemplaire  des  JSntii'el/cs  (tdmirablcs  est  en  effet  conservé  à  la 
bibliothèque  publique  de  Nantes,  dans  un  lot  d'opuscules  de  la  fin  du 
xv'^  siècle.  Et  l'estampe  gravée  au  verso  du  titre  est  la  même  que  celle  des 
Bulletins  de  l'Armée  d'Italie,  en  1494  (Cf.  Rhuset,  Manuel  du  libraire, 
t.  IV,  col.  118).  —  Cf.  également  Ferdinand  Dems,  Le  monde  enchanté, 
cosmographie  et  histoire  naturelle  du  moyen  âge.  Pai'is,  1843,  in-32. 


LE    NOUVEAU    MONDE.  131 

ce  que  fut  Séville  pour  les  conquistadors,  le  port  d'où  Ton 
cherchait  à  gagner  les  Indes  par  TOrient  et  TOccident.  Le 
Honfleurais  Jean  Denys  (1),  en  1506,  piloté  par  Gamart  de 
Rouen,  donnait  son  nom  au  havre  de  Terre-Neuve  qu'on 
a  depuis  appelé  Rognouse  (:2).  Et  en  1508,  un  transfuge  de 
la  confrérie  Notre-Dame  (3),  Jean  Ango,  le  père,  envoyait 
dans  les  parages  américains  lo Pensée  du  capitaine  Thomas 
Aubert  (4) . 

L'un  et  l'autre  n'avaient  fait  que  suivre  les  traces  de 
Gortc-Real.  Mais  leurs  compatriotes  devancèrent  sans  doute 
Cabrai.  Quand  les  Portugais  arrivèrent  au  Brésil  en  1500, 
les  indigènes  leur  firent  comprendre  que  d'autres  étrangers, 
habillés  de  même,  étaient  déjà  venus,  mais  qu'ils  avaient 
généralement  la  barbe  rousse.  Les  Portugais  en  conclurent 
que  c'étaient  des  Français  (5).  Ils  ne  se  trompaient  point. 
Tous  les  témoignages  concordent  à  cet  égard  :  des  arma- 
teurs de  Sain t-Pol -de-Léon  revendiquent  énergiquement, 
en  1528,  leur  titre  de  premiers  occupants  dans  la  partie 
nord  du  Brésil  (G).  Au  même  titre  que  les  Bretons,  les  Nor- 
mands «maintiennent  avoir  premiers  descouvert  ces  terres 
et  d'ancienneté  trafiqué  avec  les  sauvages  du  Brésil  contre 

(i)  Dont  l'un  des  vaisseaux  revenait,  en  1492,  richement  chargé  de 
Messine  et  de  Naples  (B.  N.,  Franc.  15540,  fol.  132  :  Spo:^t,  [m  marine 
française  sous  Charles   VIII  (1483-1493),  tirage  à  part,  n.  43). 

(2)  Un  armateur  rouennais,  en  1544,  laissa  des  barques  «  en  la  terre 
neufvc  au  havre  de  Jehan  Denys,  dicte  Rongnouse  «  (B.  N.,  Franc.  24269, 
fol.  55).  —  G.-B.  PiAMU.sio,  Eaceolta  délie  nnvigatinni  et  i'ia(/f/i.  Venezia, 
1565,  t.  III,  fol.  423.  —  II.  II.XRiiissE,  Jean  et.  Sébastien  Cabot.  Paris, 
1882,  in-8",  p.  249,  273. 

(3)  Ango,  inscrit  sur  les  registres  de  la  confrc'rie  de  Ilondeur  jusqu'en 
1506,  cessa,  cette  année-là,  de  payer  sa  cotisation  :  en  1518,  on  le  men- 
tionnait comme  absent  depuis  douze  ans  («  Registre  des  deniers  deubz  à  la 
confrairie  fondée  on  l'église  Notre-Dame  de  HonHeur»  :  Cf.  BnK.\RD,  p.  44). 

(4)  Ramusio,  passage  cité. 

(5)  Copia  des  Neweii  Zeytung  auss  Pressilig  land,  à  Dresde  :  Relation 
allemande  des  débuts  du  xvi"  siècle  (P.  Gaffarel,  Histoire  du  Brésil  fran- 
çais au  xvi°  siècle.  Paris,  1878,  in-8%  p.  25). 

(6)  Lisbonne,  Archives  de  la  Torre  do  Tombo,  Corpo  chronolor'im  p.  I, 
liasse  41,  doc.  80. 


J32  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

la  rivière  de  Saint-François,  au  lieu  qu'on  a  depuis  appelé 
Fort  Real.  »  S'ils  n'eurent,  comme  le  leur  reproche  l'histo- 
rien des  Tî-ois  Mondes,  «  ny  l'esprit,  ny  discrétion  de  laisser 
un  seul  escrit  public  pour  asseurance  de  leurs  desseins  (l)  "  , 
c'est  quils  étaient  évincés  d'avance.  Le  monde  à  découvrir 
avait  été  partagé  entre  Espagnols  et  Portugais,  au  lende- 
main de  la  découverte  de  Colomb,  et  à  empiéter  sur  les 
co-partageants,  on  s'exposait  aux  foudres  pontificales.  En 
traçant  la  fameuse  ligne  de  démarcation  qui  passait  à  cent 
lieues  à  l'ouest  des  Açores,  Alexandre  VI  avait  frappé  d'ex- 
communication, le  6  mai  1  493,  tout  étranger  qui  s'aventu- 
rait dans  les  concessions  hispano-lusitaniennes. 

Un  hasard  seul  nous  a  conservé  la  preuve  que  "  Diep- 
pois,  Malouinois  et  autres  Normands  et  Bretons  "  allaient 
au  Brésil  "  d'empuis  aucunes  années  "  avant  1503.  Pour 
échapper  aux  droits  d'aubaine  dont  on  prétendait  la  frapper 
comme  issue  d'un  étranger,  une  famille  Paulmier  allégua 
que  cet  ancêtre,  un  sauvage,  n'était  point  un  oubain,  mais 
un  otage  gardé  contre  la  foi  des  engagements.  Et  elle  pro- 
duisit, à  l'appui  de  son  assertion,  la  relation  de  voyage  du 
vaisseau  [Espoir... 

Les  denrées  exotiques  rapportées  des  Indes  Orientales 
par  Vasco  de  Gama,  Cabrai  et  Nova  (2)  avaient  allumé  les 
convoitises  de  commerçants  honfleurais  de  passage  à  Lis- 
bonne. Une  mûre  enquête  leur  apprit  quelle  large  marge 
de  bénéfices  laissait  la  vente  du  poivre,  de  la  cannelle,  de 
la  noix  muscade,  du  camphre  et  de  l'indigo,  quand  on 
allait  s'approvisionner  à  Cochin  (3).  De  retour  à  Honfleur, 

(1)La  PopeliniÈre,  Les  trois  Mondes.  Paris,  1582,  in-8",  livre  III,  p.  21. 

(2)  De  retour  à  Lisbonne  les  29  août  1499,  23  juin  1501  et  11  sep- 
tembre 1502. 

(3)  Cf.  la  liste  des  denrées  achetées  à  Cochin  par  un  facteur  italien,  lors 
du  second  voyage  de  Gama.  30  mars  1503  (D'  Franz  Hummerich,  Vasco  da 
Gama  nnd  die  Entdedaing  des  Seewegs  nach  Ostindien.  Munchen,  1898, 
in-8»,  p.  200). 


LE   NOUVEAU   MONDE.  133 

Binot  Paulmierdc  Gonneville  (1)  et  ses  compagnons  n'eurent 
pas  de  peine  à  trouver  des  commanditaires  disposés  à  tenter 
eux  aussi  la  fortune  (2).  Le  petit  bâtiment  de  cent  vingt 
tonneaux  qu'ils  équipèrent  pour  l'Inde  avait  comme  Dieu- 
conduit  VEspoir. 

Dans  un  bâtiment  aussi  faible,  comment  put-on  embar- 
quer soixante  hommes,  des  vivres  pour  deux  ans,  des  objets 
de  troc  par  milliers,  des  verroteries  par  quintaux,  des  toiles, 
des  pièces  de  drap  et  de  velours  par  centaines?  Mystère  de 
l'arrimage!  L'Espoir  appareilla  le  24  juin  1503,  après  une 
communion  générale  de  l'équipage  dans  l'église  de  Hon- 
lleur.  Pour  une  traversée  aussi  nouvelle  et  aussi  longue, 
deux  des  armateurs,  Andrieu  de  La  Marc  et  Antoine  Thiéry, 
avaient  été  adjoints  comme  conseils  au  capitaine  de  Gon- 
neville; et  deux  Portugais,  qui  avaient  été  à  Calicul,  Bas- 
liao  Moura  et  Diogo  Gohinto,  aidaient  de  leurs  souvenirs 
le   "  bon  vieux  routier  »  de  mer  Colin  Vasseur  (3). 

La  route  relevée  dans  les  instructions  nautiques  de 
Yasco  de  Gama,  était  de  gouverner  au  sud  à  partir  de  San- 
tiago du  Cap  Vert,  en  prenant,  à  la  rencontre  des  vents 
alises,  la  bordée  du  sud-ouest  pour  courir  bàbord-amures, 
tant  que  le  vent  refuserait;  on  tombait  alors  dans  la  région 
où  le  bâtiment  avait  en  plein  le  cap  de  Bonne-Espérance 

(1)  BnK.vno,  Notes  sur  la  famille  du  capitaine  Goitiierille.  Rouen, 
1885,  in-8". 

(2)  Etienne  et  Antoine  dits  Ttiiéry,  Andrieu  de  La  Mare,  Batiste  Bour- 
geoz,  Thomas  Athinai,  Jean  Carrey,  de  Honfleur. 

(3)  Nous  connaissons  l'expédition  de  l'Espoir  :  i"  par  la  "  Déclaration  du 
voyage  du  capitaine  Gonneville  et  ses  compagnons  es  Indes  »  devant  «  les 
gens  tenants  l'admirauté...  à  Rouen  »  (Bibl.  de  l'Arsenal,  manuscrit  H.  F. 
24  ter,  publié  par  M.  d'Avezac,  Relation  authentique  du  voyage  du  capi' 
taine  de  Gonneville.  Paris,  t869,  in-8");  —  2"  par  une  relation  abrégée 
servant  de  rapport  de  nier,  conservée  au  xviii"=  siècle  encore  dans  les  archives 
du  baron  de  Gonneville  (publiée  par  Margry,  Les  navigations  françaises  et 
la  révolution  maritime  du  xi\^  siècle.  Paris,  1867,  in-8",  p.  159-162).  Cette 
relation  abrégée  fut  envoyée,  dès  1659,  à  André  Du  Chesne,  historiographe 
du  roi,  par  l'abbé  Pauluiicr,  descendant  du  sauvage  Essomericq  (B.  N., 
Collection  De  Camps  124,  fol.  109-114). 


124  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

et  chances  de  vent  pour  le  doubler.  C'est  ainsi  que  Pedral- 
varez  Cabrai  avait  rencontré  fortuitement  le  Brésil,  c'est 
ainsi  que  l'Espoir  doubla  le  cap  Saint-Au{^ustin.  La  ligne 
coupée  le  12  septembre,  V Espoir  tira  pendant  deux  mois 
vers  le  sud.  Le  9  novembre,  la  rencontre  de  longs  roseaux 
flottants  semblait  annoncer  le  voisinage  du  cap  de  Bonne- 
Espérance,  lorsqu'une  tempête  d'une  extrême  violence 
emporta  le  bâtiment  à  la  dérive.  A  l'ouragan,  succédèrent 
les  calmes  meurtriers,  aux  pluies  fétides,  de  la  région  si 
connue  de  nos  marins  sous  le  nom  de  Pot-au-Noir. 

Des  oiseaux  venaient  du  sud  et  y  retournaient,  indice 
d'une  terre  prochaine.  Tournant  le  dos  à  1  Inde  orientale, 
on  parvint  en  effet,  le  5  janvier  ISO^,  en  vue  d  un  conti- 
nent; le  lendemain,  l'Espoir  s  engageait  dans  une  rivière 
(i  quasiment  comme  »  1  Orne.  La  terre  était  habitée.  On 
apercevait  des  hameaux  d'une  cinquantaine  de  cabanes  et 
plus;  fermées,  comme  les  étables  normandes,  d'un  loquet 
de  bois  sur  une  porte  en  treillis,  ces  cabanes,  en  tissu 
d'herbes,  avaient  comme  mobilier  des  nattes  et  de  la  vais- 
selle en  bois  enduit  d'argile.  Les  indigènes,  uniformément 
vêtus  de  manteaux  courts  en  peaux  ou  plumasseries, 
comme  les  Bohèmes,  et  d  un  tablier  descendant  jusqu  à 
mi-jambe  chez  les  femmes,  portaient  de  longs  cheveux 
ballants,  sous  des  tortils  d  herbes  ou  de  plumes  aux  cou- 
leurs vives.  Des  flèches  dont  un  os  aiguisé  formait  la  pointe, 
et  des  épieus  en  bois  dur  constituaient  tout  leur  arsenal. 

C  étaient  de  bons  vivants  et  une  race  hospitalière  que 
les  Carijos  du  rio  San-Francisco-do-Sul,  les  Indiens  de  la 
partie  méridionale  du  Brésil  avec  lesquels  on  a  identifié 
les  hôtes  de  l'Espoir  (1).  a  Quand  les  chrestiens  eussent 
esté  anges  descenduz  du  ciel,  ils  n'eussent  pu  estre  mieux 
chéris  par  ces  pauvres  Indiens.  »  Nos  Normands  restèrent 

(J)  iJ'AvEZAC,  p.  72-77. 


LE   NOUVEAU    MONDE.  135 

six  mois  dans  ces  u  Indes  méridionalles  "  ,  tant  pour  se 
refaire  que  pour  radouber  leur  Ijàtinient.  Le  jour  de 
Pâques,  ils  plantèrent  solennellement  une  croix  de  trente- 
cinq  pieds  de  haut,  où  étaient  gravés  les  noms  du  pape, 
du  roi,  de  l'amiral  de  Graville  et  de  tout  l'équipage,  jus- 
qu'au dernier  des  pages.  Au  revers,  un  distique  latin,  "  un 
deuzain  numbral,  n  renfermait  sous  forme  de  chrono- 
gramme la  date  de  1  érection  : 

hIG  saCba  paLMarIVs  posVIt  gokIVILLa  bInotVs 
greX  soCIVs  parIter  nkVstraqVe  progekIes  (1). 

L'auteur  de  ce  rébus,  le  docte  Nicolle  Le  Febvre,  dressa 
la  cartographie  de  la  région,  en  l'agrémentant  d'une 
foule  de  dessins,  tandis  que  l'équipage  recueillait  des 
pelleteries,  des  racines  à  teindre  et  autres  curiosités  du 
pavs.  Emerveillé  de  nos  miroirs,  plus  ébahi  encore  que  le 
papier  pût  parler  et  le  boulet  voler,  le  roi  Arosca  voulut 
que  son  fils  fût  initié  aux  mystères  de  la  civilisation  ;  le 
jeune  Essomericq,  accompagné  de  Namoa  comme  mentor, 
devint  un  passager  de  VEspoir^  sous  la  promesse  qu'on  le 
ramènerait  au  bout  de  vingt  lunes.  Et  le  3  juillet,  comblé 
de  présents,  salué  dun  «  grand  cry  d  par  les  sauvages, 
Gonneville  prit  congé  de  son  hôte. 

Le  voyage  de  retour,  car  les  matelots  refusèrent  d'aller 
plus  loin,  fut  lamentable.  «  Entachez  de  fièvre  maligne  »  , 
le  chirurgien  du  bord,  l'Indien  Namoa  et  deux  autres  per- 
sonnes moururent.  Essomericq  tomba  gravement  malade, 
au  point  que  le  capitaine,  le  jugeant  perdu,  le  baptisa  et 
lui  donna  son  nom.  La  maladie  provenait  des  eaux 
puantes,  qui  servaient  de  boisson.  Il  fallait  à  tout  prix 
trouver  une  aiguade.   "  Or,  passez  le  Tropique  Capricorne, 

(i)  u  II  y  a,  de  compte  fait,  dans  ces  deux  vers,  un  M,  trois  C,  trois  L,  un 
X,  sept  V  et  neuf  I,  soit  1000  -\-  300  +  150  -f  10  +  35  -|-  9  =  1504  » 
(D'AvEZAc,  p.  79). 


136  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

hauteur  prise,  trouvoieat  estre  plus  éloignez  de  l'Affrique 
que  du  pays  des  Indes  occidcntallcs,  oii,  d  empuis  aucunes 
années  en  çà,  les  Dicppois  et  les  Maloùinois  et  autres  Nor- 
mands et  Bretons  vont  quérir  du  bois  à  teindre  en  rouge, 
cotons,  guenons  et  perroquets.  Si  que,  le  vent  d'est,  qu'ils 
ont  remerché  régné  coustumièrenient  entre  ledit  Tropicque 
et  cil  du  Cancre,  les  y  poussant,  fut  d'unanimité  délibéré 
d'aller  quérir  cettuy  pays,  affin  estout  de  se  charger  des 
susdites  marchandises,  pour  rescaper  les  frays  et  voyage.  » 

Les  Indes  occidentales,  où  ils  touchèrent  le  10  octobre, 
étaient  encore  le  Brésil,  mais  une  région  toute  différente 
de  la  première  tant  par  la  latitude,  tout  à  fait  septentrio- 
nale, que  par  le  caractère  des  habitants.  "  Nuds  comme 
venants  du  ventre  de  la  mère,  ébarbéz,  my-tondus,  "  tatoués 
de  noir,  les  lèvres  trouées  et  garnies  de  pierres  de  jade, 
et,  pour  tout  dire,  anthropophages,  les  ïupinambas  (1) 
tuèrent  ou  blessèrent  tous  les  hommes  envoyés  à  Taiguade, 
entre  autres  »  M.  Nicole  Le  Febvre,  le  plus  clerc  de  la 
navire,  qui,  par  curiosité  dont  il  estoit  plein,  s'estoit  des- 
cendu à  terre.  » 

On  atterrit  cent  lieues  plus  loin,  à  Bahia,  où  une  relâche 
de  trois  mois  permit  d'embarquer  une  riche  cargaison. 
(i  Huit  jours  après  le  débouc|uement  »  du  départ,  le 
1"  janvier  1505,  on  avait  en  vue  «  un  islct  inhabité,  cou- 
vert de  bois  verdoyants,  d'où  sortoient  des  milliasses 
d'oiseau.Y,  gros  en  plumes  »  ,  pour  venir  se  percher  sur  les 
agrès.  L'islet,  si  bien  caractérisé  par  ses  innombrables 
vols  de  caracuras,  avait  depuis  un  an  un  propriétaire,  qui 
lui  avait  donné  son  nom  :  c'était  l'ile  Fernam  de 
Noronha  (2). 

Cinq  semaines  plus  tard,  nos  voyageurs  revoyaient 
l'étoile  du   nord,  mais  pour  retomber  bientôt  dans   l'im- 

(i)  Selon  l'identification  de  d'Avezac,  p.  83. 
(2)  D'AvKZAG,  p.  83. 


LE    NOUVEAtJ    MONDE.  137 

meiise  prairie  de  varechs  glauques  à  vésicules  rondes, 
qu'on  appelle  la  mer  des  Sargasses.  Le  9  mars,  ils  se  ravi- 
taillaient à  Fayal,  dans  les  Açores;  ils  se  radoubaient  en 
Irlande  ;  et,  près  de  toucher  au  port,  »  au  seuil  de  Thoslel  "  , 
le  7  mai  1505,  ils  faisaient  la  fâcheuse  rencontre  du  pirate 
EdAvard  Blounl,  de  Plymouth.  Ils  se  défendaient  vaillam- 
ment, lorsque  surgit  un  autre  forban,  le  Breton  Maurice 
Fortin,  jusque-là  masqué  ilcrrière  Jersey  ou  Guernesey. 
Gonneville  prit  le  parti  de  jeter  l Espoir  à  la  côte,  ayant 
perdu  seize  hommes  dans  l'engagement.  Trente  et  un  sur- 
vivants, dont  le  jeune  Indien,  gagnèrent  cnlin,  le  !20  mai, 
Honfleur.  Et  c'esl  par  une  [)lainte  en  forme,  baillée  en  jus- 
tice, que  nous  connaissons  leur  aventureuse  entreprise  et 
leur  déconvenue. 

La  campagne  de  l'Espoir  n'eut  pas  de  lendemain.  Son 
désastre  découragea  nos  marchands.  Vers  l'Inde  orientale, 
ne  s'aventurèrent  plus  (juc  des  corsaires  hardis,  loi  Mon- 
dragon,  ce  brave  sans  doute  qui  se  si.;;iuilait  sur  Li  Réale 
au.K  cotés  du  vaillant  Mordret  (l). 

Au  moment  où  Tristan  da  Gunha  ralliait,  dans  le  canal 
de  Mozambique,  les  seize  vaisseaux  emmenés  le  G  mars 
150G  de  Lisbonne,  surgit  comme  un  démon  Pierre  de 
Mondragon,  dont  le  bâtiment  de  Job  Queimado  en  un  ins- 
tant devint  la  proie.  Au  retour  de  Mondragon  en  Europe, 
les  coups  de  main  succèdent  aux  coups  de  main.  Une  sur- 
prise nocturne,  en  novembre  1508,  le  rend  maître  du  plus 
beau  des  bâtiments  à  l'ancre  dans  la  baie  de  Cadix  :  un 
peu  plus  tard,  au  cap  Saint-Vincent,  une  carraque  portu- 
gaise lui  livre  la  riche  cargaison  d'épices  et  de  soies  qu'elle 
rapporte  de  Calicut.  Le  roi  de  Portugal,  le  roi  d'Espagne 

(1)  En  1503  (Jean  d'AuTON,  Cluoniquea,  éd.  de  Maulde  La  Clavière, 
t.  III,  p.  238).  —  Gonneville  continua  pourtant  à  s'intéresser  aux  décou- 
vertes géographiques,  si  c'est  bien  lui  le  propriétaire  d'une  Gcofjraphia  de 
SiHABO?;.  éditée  à  Paris  en  1512  (Catalogue  de  la  hihlioflièatie. . .  Jérôme 
Pichon.  Paris,  1898,  in-8°,  3"  part.,  p.   1). 


138  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

s'émeuvent.  L'un  lui  fail  clonnci"  la  chasse  (1),  l'autre  le 
poursuit  de  ses  mandats  d'arrêt  jusque  dans  les  ports  de 
Bayonnc  el  Saint-Jean-de-Luz  (2),  cependant  que  l'heu- 
reux capteur  écoule  son  hutln  à  Pampelune  (3). 

Où  la  probité  commerciale  échouait,  le  vol  triomphait 
impuni  :  Gonneville  ruiné  et  Mondragon  enrichi,  c'était 
une  leçon  d'une  moralité  fâcheuse  pour  nos  armateurs,  au 
début  de  nos  navigations  au  long  cours. 


II 


TERRE-NEUVE 

Vers  l'Amérique  du  Nord  au  contraire,  s'établit,  dès  les 
premières  années  du  xvi'  siècle,  un  courant  de  navigations 
qui  devait  résister  à  toutes  les  vicissitudes  de  la  politique 
et  à  l'action  des  siècles.  On  ne  sait  point  exactement  de 
quelle  année  datent  nos  premiers  voyages  à  Terre-Neuve. 
Ramusio  nous  a  conservé  deux  dates,  150G  et  1508,  pour 
les  voyages  de  Denys  et  d'Aubert  (4).  ^Fais  quelle  perspec- 
tive autrement  séduisante  nous  ouvre  cette  déposition  des 
pécheurs  de  Bréhat  et  de  Paimpol,  en  1514,  qu'ils  payaient 
depuis  soixante  ans  la  dime  sur  les  poissons  péchés  «  tant 
en  la  coste  de  Bretaigne,  la  Terre-Neufvc,  Islande  que 
ailleurs  (5).  »   Les  Bi'etons  furent  si  bien  les  premiers  dé- 


(ij  Instructions  du  roi  de  Portugal  D.  Manuel  à  Joao  Serrao  pour  s'em- 
parer des  navires  capturés  par  Mondragon.  14  décembre  1508  (Alguiis 
(locumentos  do  aicliivo  nacional  da  Torie  do  Tombo.  Lisboa,  1892,  in-fol., 
p.  206). 

(2)  Cédulcs  de  Ferdinand  le  Catholique,  29  décembre  1508  et  5  février 
1509  (F.  DuRO,  Armada  espafwla,  t.   I,  p.  59,  399). 

(3)  Cédule  de  Ferdinand,  11  mai  1509  (F.  Duno,  t.  I,  p.  400). 

(4)  Cf.  le  paragraphe  ci-dessus. 

(5)  Cf.  suprh,  t.  II,  p.  399. 


LE    NOUVEAU    MONDE.  130 

lenteurs  du  «  secret  de  Terre-Neuve  » ,  que  la  mère  de 
Charles-Quint,  en  1511,  ne  permetlaità  l'explorateur  Agra- 
monte  d'aller  vers  l'île  des  Morues  que  sovis  la  conduite  de 
deux  pilotes  Armoricains  (1),  et  que  les  premières  caries  du 
xvr  siècle  donnent  aux  régions  septentrionales  de  l'i^mè- 
rique  le  nom  de  Terre  des  Bretons.  Nous  ne  connaissons, 
pour  l'instant,  aucun  voyage  de  lerreneuviers  bretons  qui 
soit  antérieur  à  1510  :  cette  année-là  (2j,  la  Jaajuette^  du 
petit  port  de  Dahouët  dans  la  baie  de  Saint-Brieuc,  venait 
écouler  à  Rouen  le  poisson  péché  "  es  parties  de  la  Terre- 
Neufve  " . 

Dans  cette  même  ville  de  Rouen,  elle  avait  été  précédée, 
peu  de  mois  auparavant,  par  des  indigènes  américains,  dont 
la  singulière  odyssée  donne  à  penser  qu'ils  se  préoccupaient 
de  savoir  d'où  venaient  les  Faces  Pâles.  Au  large  de  l'An- 
gleterre, un  de  nos  bâtiments  fit  la  rencontre  d'un  canot 
d'osier  couvert  d'écorce,  que  montaient  sept  hommes  aux 
faces  larges  et  bronzées,  couturées  de  stigmates,  comme  si 
des  veines  livides  eussent  dessiné  leurs  mâchoires.  Des 
vêlements  bariolés  en  cuir  de  phoque,  une  coiffure  multi- 
colore de  paille  qu  on  eût  dite  formée  de  sept  oreilles, 
achevaient  de  donner  un  aspect  effravant  à  ces  sauvages 
qui  se  nourrissaient  de  chair  crue  et  qui  buvaient  du  sang 
en  guise  de  boisson.  vSix  d'entre  eux  succombèrent  dès  leur 
arrivée  en  Normandie;  le  septième  fut  envoyé  à  la  Cour  de 
Louis  XII  comme  objet  de  curiosité  (3). 

Que. Tean  Cabot  ait  arboré,  dès  1497, le  drapeau  britannique 

(i)  Navaurkte,  Coleccion  de  uiajes,  t.  III,  doc.  31,  32. 

(2)  A.  DE  La  Borderie,  Les  Bretons  u  Terre  Neiifve  en  1510,  clans  les 
Annales  de  Bretagne,  t.   IX,  p.  436. 

(3)  La  Cour  était  alors  à  «  Aulereos  »  =  Orléans  ?  (Pietro  Bejiro, 
Hisloria  Veneziana,  cap.  t:LXV;  passage  publié  dans  la  Raccolta  di  do- 
eumenti  e  studi  pubblicati  dalla  II.  commissione  Colombiana.  Roma,  18!)3, 
in-4",  part.  III,  vol.  II,  p.  377.  —  Euserii  Caesariessis,  Chronicon  eum 
additionibus  Prosperi  et  Mathiae  Palmerii.  Parisiis,  1518  :  Gakfarei-,  His- 
toire du  Brésil  français,  p.  58). 


140  HISTOIRE   DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

à  Terre-Neuve,  ou  que  1  Azorëen  Gaspar  Gorte-Real  en  ait 
été  le  premier  explorateur  (l),  prise  de  possession  et  explo- 
ration furent  si  illusoires  que  le  souvenir  de  l'une  s  effaça 
presque  complètement  en  Angleterre  et  que  l'on  ne  trouve 
trace  de  l'autre  que  dans  la  nomenclature  portugaise  de  la 
presqu'île  d'Avallon,  partie  infime  de  Terre-Neuve.  Vers 
1517,  l'auteur  d'un  intermède  anglais,  d'un  Interlude,  gé- 
missait sur  l'indifférence  de  ses  compatriotes  devant  l'acti- 
vité de  nos  pécheurs,  dont  la  moisson  faisait  annuellement 
la  charge  pleine  de  phis  de  cent  navires  (2).  Dans  le  seul 
port  de  Saint-Jean,  un  autre  Anglais  avait  le  chagrin  de  con- 
stater, dès  15iî7,  la  présence  de  onze  navires  normands  (3j . 
C'est  dire  que  les  pêcheries  de  Terre-Neuve  devinrent, 
dès  le  déhut,  une  industrie  nationale  et  d'un  si  gros  profit 
que  les  moines  de  Beauport,  en  1514,  le  curé  de  La 
Hougue  (4),  en  15:20,  prenaient  soin  de  spécifier  à  leurs 
ouailles  que  les  morues  d'outre-mer  étaient  soumises  à  la 
dime.  Jaloux  du  développement  de  cette  hranche  de  notre 
commerce  maritime,  Anglais  et  Espagnols  à  l'envi  s'effor- 
cèrent de  la  détruire.  Ils  n'y  parvinrent  jamais.  Et  telle 
escadre  britannique  apprit  à  ses  dépens  combien  il  était 
dangereux  de  se  heurter  à  nos  terreneuviers  honfleurais  et 
dieppois  (5)  ou  à  nos  terre-neuvas  bretons. 


(1)  «Sur  ces  découvertes,  voyez  les  ouvrages  de  Henry  HAnnissK,  Jean  et 
Sébastien  Cahot.  l'aris,  1882,  in-8"  ;  —  Les  Corle-Real  et  leurs  voyaqes  au 
nouveau  monde.  Paris,  1883,  in-8";  —  The  Discovery  of  Noith  America. 
Paris,  1892,  in-4". 

(2)  Henry  Harrisse,  Décourcrte  et  évolution  <-artofpt/plu/pte  de  Terre- 
Neuve  et  des  pays  circoiivoisins  [1 197-1501-1769).  Paris-London,  1900, 
in-4°,  p.  IV. 

(3)  Pdrchas,  His  Pilqriniaqc.  London,  1625,  in-fol.,  t.  V,  p.  822  :  le 
voyageur  Anglais  était  John  Rut. 

(4)  Bibliothèque  du  ministère  de  la  marine,  Recueil  des  Ordonnances, 
édits,  etc.,  formé  par  le  bureau  des  Classes,  t.  I. 

(5)  En  1523  (Letters  and  papers...  of  Henry  VIII,  éd.  Hrkwkr,  t.  IV, 
1''  partie,  n'"  83,  091). 


FRANÇOIS   P'' 

LA  FRANGE  CONTRE  L'ISLAM 


De  la  conllagration  générale  entre  les  nations  chrétiennes, 
l'Islam  avait  profité  pour  gagner  du  terrain.  Ce  n'était  plus 
au  seuil  de  l'Adriatique  qu'il  était  besoin  d'enrayer  ses 
progrès.  Sous  l'énergique  impulsion  du  sultan  Sélim,  la 
domination  turque  s'étendait  le  long  des  côtes  de  Syrie, 
atteignait  1  Egypte  et,  par  ses  postes  avancés  dans  les  Etats 
barbaresques,  s'installait  dans  le  bassin  occidental  de  la 
mer  Intérieure  (1). 

Contre  cette  invasion  effrayante,  une  coalition  des  nations 
chrétiennes  s'imposait,  une  croisade  nouvelle  était  néces- 
saire. Le  vainqueur  de  ^larignan  (2)  y  vit  l'occasion  de 
glaner  d'autres  lauriers  :  a  Ma  vraye  et  naturelle  inclina- 
cion,  disait-il,  est,  sans  fiction  ne  dissimulacion,  d'em- 
ployer ma  force  et  jeunesse  à  faire  la  guerre  pour  l'onneur 
et  révérence  de  Dieu  nostre  Saulveur  contre  les  ennemys 
de  sa  foy.  "  Et,  après  entente  avec  la  papauté  (3),  Fran- 
çois I"  se  fit  le  promoteur  d'une  paix  universelle,  qui  serait 
le  prélude  de  la  croisade  (4). 

(1)  J.  DE  tlAMiMEn,  Histoire  de  l'einpiio  ottoman,  trad.  ttellcrt,  t.  IV, 
j».   177. 

(2)  François  I^venait  de  battre  les  Suisses  à  Marignan,  le  14  septembre  1515. 

(3)  A  l'entrevue  de  Bologne,  décembre  1515. 

(4)  Lettre  de  François  I"  au  roi  de  Navarre.  Bologne,  14  décembre  1515 


14t>  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Quelques  jours  après  son  entrevue  avec  le  pape,  en  jan- 
vier 1516,  il  était  à  Marseille.  Après  les  joyeux  ébats  d'une 
naumachie  où  personne  n'excellait  comme  lui  à  lancer  des 
oranges,  il  passa  soigneusement  en  revue  ses  arsenaux, 
vieux  et  neufs,  et  sa  flotte  de  guerre,  en  prévision  des  cam- 
pagnes prochaines  :  il  n'avait  pas  voulu  d'autre  guide, 
durant  toute  sa  visite,  que  Prégent  de  Bidoux  (1),  bien  que 
chacun  des  arsenaux  eût  été  pourvu  par  lui  d  un  capitaine- 
gardien  (:2),  et  que  Bidoux  ne  fût  que  le  lieutenant-général 
de  l'amiral  René  de  Savoie  (3).  Chacun  fut  récompensé 
selon  ses  mérites,  et  frère  Bernardin  de  Baux  reçut  en  don, 
à  Marseille,  le  Jardin  du  roi  (à). 


BARBEROUSSE 

Un  redoutable  adversaire  ne  nous  laissa  point  le  loisir 
de  dresser  nos  plans  d'attaque.  Il  prenait  l'offensive.  Cons- 
cient, comme  Prégent  de  Bidoux,  de  l'importance  straté- 
gique de  Piombino,  le  fils  d'un  renégat  albanais  et  de  la 
veuve  d'un  prêtre  grec  postait  près  de  là  ses  trente  navires 
de  guerre;  et,  au  printemps  de  1516,  les  Génois  avaient  à 
déplorer  la  perte  de  dix  gros  vaisseaux,  les  autres  nations 
une  foule  de  petits  bâtiments  (5). 

Les  aventures  d'Haroudj,  dit  Barberousse,  tenaient  du 

(CiiARRiKRE,    Négociations   fie    la    France    dans  le    Levant    (Collection     îles 
docunients  inédits).  Paris,  i848,  in-8",  t.  I,  p.  cxxix). 

(1)  V.VLDELi.K,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  47  v°. 

(2)  Jeannot  de  Fieux  pour  l'arsenal  neuf  (6  février  15i5).  Renaldo  Vento 
pour  le  vieil  arsenal  (23  janvier  1516)  (Archives  des  Bouches-du-lUiône, 
H  25,  fol.  271,  et  B  26.  fol.  97  v"). 

(3)  Provisions  du  20  février  1515  (B.  N..  Clairandjault  825,  fol.    114  v"). 

(4)  2t  octobre  J515  (Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  25,  fol.  314). 

(5)  V.\I.REI.LK,   fol.  48. 


T,A   FRANGE   CONTRE    L'ISLAM  U3 

prodige.  Forçat  sur  une  galère  des  chevaliers  de  Rhodes, 
il  s'évade  à  la  nage  :  timonier  d'un  corsaire  turc,  il  s'empare 
du  commandement,  après  avoir  ahattu  le  capitaine  d'un 
coup  de  hache  ;  prisonnier  de  Vettori,  commandant  deux 
galères  pontificales  qui  ont  enveloppé  son  petit  hrigantin, 
il  éventre  un  officier,  ameute  ses  hommes  déjà  captifs  et 
massacre  les  vainqueurs.  Son  hôte,  le  roi  de  Tunis,  con- 
voitait Bougie,  occupée  depuis  1510  par  une  garnison  espa- 
gnole. Une  première  attaque  d'Haroudj,  avec  cinq  vais- 
seaux, échoua  et  coûta  au  corsaire  un  hras,  qu'il  remplaça 
par  un  hras  d'argent.  Une  seconde  expédition,  en  1515, 
avec  des  forces  douhles  et  le  concours  du  cheik  arabe  Ben- 
cl-Cadi,  eût  peut-être  réussi,  sans  la  brusque  arrivée  de 
l'escadre  de  Machin  de  Rcnteria;  Haroudj  n'eut  d'autre 
ressource,  pour  échapper  aux  Espagnols,  que  de  fuir  en 
brûlant  ses  vaisseaux.  A  quelques  mois  de  là,  il  était  ins- 
tallé à  Alger  à  la  place  du  cheik  Eutemv,  et,  sa  flotte 
reconstituée,  il  s'emparait  de  Cherchell  (1). 

Dès  l'annonce  que  le  redoutable  manchot  était  dans  le 
canal  de  Piombino,  Prégent  de  Bidoux  s'était  mis  en 
chasse  (!2j.  Aux  instances  du  pape  (3),  le  glorieux  amiral 
du  Levant  avait  dû  céder  le  commandement  suprême  à  un 
Génois,  l'archevêque  de  Salerne,  Federigo  Fregoso,  qui  ame- 
nait un  contingent  double  du  nôtre  (4),  y  compris  les  galères 

(i)  Cii.  nK  RoïAUER,  Ifistoilc  d  Alger  cl  de  la  piraterie  des  Turcs  dans 
la  Méditerranée  a  dater  du  \\i'  siècle.  Paris,  1841,  in-S",  t.   I,  p.  50. 

(2)  Il  quitta  Marseille  le  12  juin  J516  avec  ses  4  jjaières,  les  2  et  le 
{jalion  de  Bernardin  de  Baux,  les  2  galions  de  Scrvien  et  la  fuste  de  Janot 
(Vamielle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  49  v"). 

(3)  Lettre  de  Léon  X  à  Présent.  25  juin  1516  (A.  Gcclielmotti.  La 
querra  dei  pirati,  t.  I,  p.  J  46.  —  Archives  de  Gênes,  Jtieersorum,  2  juil- 
let 1516).  —  A.  Spont,  Les  galères  royales  dans  la  Méditerranée  de  1496 
à  1518,  dans  la  Revue  des  i/uestions  historiques,  t.  LVIII  (1895),  p.  427. 
—  ZuniT.\,  t.  VI,  lib.  8  del  Rey  D.  Fernando.  —  De  rehus  Francisci 
Ximenei,  lib.   VI,  fol.   182. 

(4)  24  navires,  selon  Agostino  Giu.stim.\xo  (Annali  di  Genoa,  fol,  272), 
15  galères  et  12  brigantins,  selon  Valbelle  (B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  50). 


144  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

pontificales  de  Vettori  et  de  Biassa.  Signalés  du  côté  de  la 
Sicile  par  Tenlèvement  d'un  convoi,  les  Turcs  furent  suivis 
à  la  piste  et  surpris  à  l'ancre  dans  la  magnifique  rade  de 
Bizerte,  appelée,  en  raison  de  sa  forme,  la  rade  de  la  Cou^ 
pôle  (1).  Sans  Tesprit  de  rapine  des  équipages  qui  s'achar- 
nèrent au  pillage  des  bâtiments  à  demi  désarmés  et  des 
magasins,  c'en  était  fait  des  pirates  :  quinze  galères  et 
autant  de  fustes  étaient  détruites.  Les  Turcs  eurent  le  temps 
de  se  ressaisir  :  et  nos  marins,  menacés  à  leur  tour  dans 
l'étroit  goulet,  durent  se  replier  rapidement  en  emmenant 
les  captifs  délivrés,  mais  en  laissant  deux  fustes  et  trois 
brigantins,  avec  une  perte  de  deux  cents  hommes.  La 
reprise,  sous  la  Goulette,  d'une  galère  génoise  précédem- 
ment perdue,  fut  une  maigre  compensation  à  un  échec  dont 
on  faisait  retomber  tout  le  poids  sur  l'archevêque  Fregoso. 
Le  plus  affecté  fut  néanmoins  Prégent  de  Bidoux,  qui 
revint  à  Marseille  malade  de  chagrin  (2)  et  faillit  mourir  de 
mélancolie.  Les  forces  d'Haroudj  Barberousse  restaient 
intactes  :  bien  mieux,  le  30  septembre,  il  couchait  bas  la 
moitié  d'un  corps  d'armée  espagnol  qui  venait  le  déloger 
d'Alger  :  Diego  de  Vera  perdit  ce  jour-là  trois  mille  quatre 
cents  hommes  (3). 

La  veille,  une  autre  escadre  avait  quitté  Marseille  à  des- 
tination des  côtes  barbaresques.  Le  Basque  espagnol  Pedro 
de  Roncal,  plus  connu  sous  le  nom  de  Pero  Navarro,  rele- 
vait le  gant  que  Prégent  laissait  tomber  de  décourage- 
ment. 

Ingénieur,  général,  marin,  vainqueur  à  Géphalonie  de 
la  garnison  turque,  à  Gérignoles  de  l'armée  française,  à 
iNaples  de  nos  garnisons  du  Gastel  Nuovo  et  du  château  de 
rOEuf,  dont  il  avait  fait  sauter  les  remparts,  Navarro  avait 

(i)  I,Éo>-  l'Africain,  éd.  Schefer,  t.   III,  p.   125,  note. 

(2)  8  septembre  (Vai.bki.lk,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  50). 

(3)  Cn.   DE  ROTALIKR,   t.    I,   p.   50. 


P  E  R  O     N  A  \'  A  l\  Il  O 

^r.  DuRi).  Armada  esimnota,  t.  I.  p.  90.) 


LA    FRANCE   CONTRE    L'ISLAM.  145 

mis  le  sceau  à  sa  réputation  par  ses  campagnes  d'Afrique. 
Aux  pirates  mauresques  chassés  de  Grenade  il  avait  donné 
le  coup  de  grâce  par  la  prise  d'Oran,  en  1508,  et,  en  1510, 
de  Bougie,  ville  semi-orientale,  semi-italienne,  suzeraine 
d'Alger.  Il  matait  les  Algériens  par  la  construction  du 
Penon  de  Vêlez  sur  une  roche  voisine  de  leur  côte.  Tripoli, 
la  même  année,  était  enlevé  d'assaut.  Et  Navarro  n'eût 
compté  que  d'éclatants  succès,  s'il  n'avait  eu  le  malheur 
de  tomber  dans  un  repaire  de  pirates,  à  l'île  de  Djcrbah. 
C'était  en  aoiit;  ses  troupes,  mourant  de  soif,  furent  mas- 
sacrées. L'an  d'après,  en  151 1,  il  laissait  cinq  cents  hommes 
et  dix  vaisseaux  dans  une  attaque  contre  les  îles  Kerkennah. 
Prisonniers  de  nos  troupes  à  la  bataille  de  Ravenne,  il  ne 
dut  sa  délivrance  qu'à  la  générosit(''  de  François  P"",  et  la 
reconnaissance  l'attacha  à  son  libérateur. 

Trois  ans  de  prison  n'avaient  qu'avivé  son  désir  d'une 
revanche  contre  les  pirates  de  la  côte  tunisienne,  sauf  à 
reprendre,  avec  des  aventuriers  gascons  et  génois,  la  cam- 
pagne inaugurée  sous  le  pavillon  espagnol.  Aux  dix  bâti- 
ments de  guerre  (l)  emmenés  de  Marseille  le  il)  septembre 
1516,  Navarro  joignit,  en  cours  de  route,  un  galion  cons- 
truit pour  son  compte  à  Toulon  et  des  navires  de  Savone  et 
de  Gènes.  Mais  la  saison  trop  tardive  le  contraignit  à  se 
défaire  des  galères  de  frère  Bernardin,  incapables  d'af- 
fronter les  rigueurs  des  tempêtes  automnales.  L'une  d'elles 
ne  revint  point  au  port  :  la  chiourme  révoltée,  après  mas- 
sacre des  hoîievogli  de  l'équipage,  était  partie  à  l'aventure. 
Un  avitre  bâtiment  léger,  la  fuste  de  Narbonnc,  sombra 
corps  et  biens;  et  le  reste  de  la  flotte  poussé  par  les  vents 
sur  l'îlot  désert  de  Lampedouse,  à  l'ouest  de  Malte,  ne  put 
parvenir  à  destination.  Les  équipages  grelottaient,  les  sol- 
dats  mouraient  de  faim.   Force  fut  d'abandonner  l'entre- 

(l)  5  vaisseaux,  2  galères  de  Frère  Bernardin,  2  galions,  1  fuste  et  des 
brigantins. 

m.  10 


146  HISTOIIIK    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE, 

prise  :  aux  alentours  du  l"  janvier,  l'expédition  décimée 
sans  combat  al)ordait  à  Nice  (1). 

Navarro  s'associa,  pour  une  campagne  nouvelle,  un  com- 
pagnon d'infortune,  Diego  de  Vera,  mais  sans  parvenir  à 
entraîner  l'amiral  du  Levant.  Prégent  de  Bidoux  préféra 
renoncer  au  voyage  (2)  plutôt  que  de  partager  avec  Na- 
varro (3)  le  commandement. 

Le  plan  de  campagne  était  de  déloger  les  Turcs  d'une 
ville  forte  de  la  côte  tunisienne,  dont  l'arsenal  aux  longues 
galeries  voûtées  était  jadis  assez  vaste  pour  contenir  deux 
cents  bâtiments.  En  septembre  1517,  Navarro  parut  devant 
El-Mehdiah  à  la  tète  de  vingt-trois  vaisseaux  (4),  et,  après 
un  vigoureux  bombardement,  lança  deux  mille  cinq  cents 
hommes  à  l'assaut.  Mais  Français  et  Espagnols  se  battirent 
à  qui  hisserait  son  drapeau  au  lieu  de  la  bannière  pontifi- 
cale cjui  couvrait  l'entreprise.  A  la  faveur  de  ce  désarroi, 
les  Turcs  ouvraient  sur  la  flotte  un  feu  violent,  coulaient 
un  de  nos  bâtiments,  en  démâtaient  un  second,  si  bien  que 
Navarro  dut  battre  en  retraite  pour  aller  se  réparer  à  Keli- 
bia,  au  sud  du  cap  Bon  (5). 

La  discorde  croissante  qui  se  manifestait  entre  Français 
et  Espagnols  amena,  de  part  et  d'autre,  en  isolant  leurs 
attaques  contre  les  infidèles,  de  retentissants  échecs  ;  ces 
gens,  que  le  drapeau  du  Christ  avait  un  moment  réunis, 
s'observaient  avec  défiance.  Sur  Navarro  planait  le  soupçon 

(1)  Valhelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  51. 

(2)  British  Muséum,  Caligula  E  I,  fol.  113;  Archives  de  Montpellier, 
EE  1503-1527,  à  la  date  du  2  juin  1517  :  Spo>t,  p.  427. 

(3)  Auquel  François  I"  avait  alloué  4000  livres  pour  aller  «  à  l'en- 
contre  des  Infidèles  »  {^Catalogue  de  M.  de  Courcellea,  vente  par  Leblanc, 
1834,  p.  60). 

(4)  11  vaisseaux  de  Navarro,  2  de  Centurione,  1  galion  et  1  caravelle 
avec  1500  soldats,  4  barges  espagnoles  de  Diego  de  Vera  avec  1000  hommes. 
Août  1517  (Sanuto,  t.  XXV,  col.  18,  109).  —  Navarro  avait  quitté  Mar- 
seille le  29  juin  (B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  53  v"). 

(5)  Sanuto,  t.  XXV,  col.  109.  —  Léon  l'Africain,  éd.  Schefer,  t.  III, 
p.  160. 


LA    FRANGE    CONTRE    L'ISLAM.  147 

de  machiner  quelque  insurrection  en  Sicile  (1)  ;  le  vice-roi 
de  Sardaigne  avait  ordre  de  ne  lui  fournir  des  vivres  que 
contre  paiement  et  encore  si  nos  gens  ne  commettaient 
aucun  dommage  (2).  Bref,  en  1518,  chacun  opéra  à  part. 
Navarro,  avec  quinze  voiles  seulement,  deux  mille  fantas- 
sins et  une  centaine  de  bourgeois  de  Trapani  qu'il  avait 
embarqués  en  route,  gouverna  droit  sur  Monastir,  à  quelque 
distance  d'El-Mehdiah  (3).  Mais  les  musulmans,  accourus 
en  foule,  bordaient  la  côte.  Et  force  fut  à  Navarro  de  virer 
de  bord  sans  avoir  rien  fait,  sans  avoir  même  saisi  les 
bâtiments  chrétiens  qui  faisaient  la  contrebande  de  guerre 
avec  les  infidèles.  Dépité  par  son  échec,  il  refusa  de  se 
joindre  à  re.vpédition  que  Ugo  de  Moncada  préparait  en 
Sicile  (4)  :  et  Moncada,  à  son  tour,  malgré  ses  trente-huit 
galères  et  vaisseaux  de  ligne,  malgré  ses  cinq  mille  hommes 
de  troupes,  éprouvait,  le  2i  août,  devant  Alger,  un  désastre 
épouvantable  :  vingt-six  de  ses  bâtiments,  par  l'ouragan,  se 
brisèrent  comme  du  verre  sur  le  cap  Caxine.  Un  millier 
d'hommes  à  peine  échappèrent  (5). 

Ces  désastres  eurent  la  plus  fâcheuse  répercussion.  En 
1519,  les  corsaires  algériens  et  tunisiens,  enhardis  par  nos 
échecs,  vinrent  croiser  aux  îles  d'Hyères  avec  vingt-cinq 
bâtiments.  Trois  vaisseaux  bien  armés,  qui  arrivaient  du 
Ponant,  furent  enveloppés  par  eux  et,  après  une  résistance 
acharnée,  après  l'extermination  presque  entière  des  équi- 
pages, ils  furent  amarinés.  Une  grosse  carraque  génoise 
seule  parvint  à  échapper  et  à  se  replier,  non  sans  pertes  et 
avaries,  sur  Marseille.  Pour  terroriser  les  populations,  les 
pirates  débarquèrent  deux  des  rares  survivants    de  leurs 

(1)  De  rehits  Franciaci  Ximenii,  lib.  VI,  fol.   J82. 

(2)  Lettre  de  Charles,  roi  d'Espagne.  6  janvier  1518  (Coleccion  de  doc. 
ined.  para  la  hist.  de  Espana,  t.  XXVI,  p.  35). 

(3)  Mai  1518  (Sanuto,  t.  XXV,  col.  211,  443,  466,  522,  571). 

(4)  De  HiMMER,  t.  IV,  p.  355. 

(5)  Ch.  DE  RoTALiER,  Histoire  d'Ah/er,  t.  I,  p.  130. 


148  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

prises,  le  poing  coupé,  les  oreilles  arrachées,  une  croix 
sanglante  tracée  sur  la  tête,  en  répétant  aux  victimes  : 
(i  Allez  vers  vos  rois  chrétiens,  et  dites-leur  :  voici  la  croi- 
sade que  vous  avez;  fait  crier  (l)-  » 


II 


LES    DERNIERS   JOURS    DE    RHODES 

C'était  en  effet  l'instant  où  le  projet  d'une  croisade  géné- 
rale prenait  corps.  Le  traité  de  Camhrai  du  11  mars  1517 
entre  le  roi  de  France,  l'empereur  et  le  roi  d'Espagne,  la 
proclamation  d'une  trêve  quinquennale  entre  tous  les 
princes  chrétiens,  en  avaient  été  le  prélude. 

Le  roi  de  France  comptait  frapper  droit  au  cœur  l'em- 
pire turc  :  par  Brindes,  il  passerait  en  Grèce  avec  une 
armée  franco-italienne  de  soixante-deux  mille  hommes,  et, 
de  concert  avec  les  trouj)es  impériales,  hongroises  et  polo- 
naises, refoulerait  les  Turcs  vers  la  mer;  là,  les  flottes  des 
États  maritimes,  Portugal,  Espagne,  Angleterre,  leur  cou- 
peraient la  retraite  (2j .  Le  plan  de  campagne  de  l'empe- 
reur Maximilien,  —  car  tous  les  princes  chrétiens  avaient 
été  appelés  à  donner  leur  avis,  —  différait  peu  du  nôtre.  Il 
précisait  le  point  de  jonction  de  l'armée  française  avec 
l'armée  impériale,  qui,  toutes  deux  réunies  en  1520,  vien- 
draient bloquer  Gonstantinople,  cernée  d'autre  part  parles 
flottes  chrétiennes.  L'empereur  conseillait,  comme  action 
préliminaire,  de  chasser  les  Turcs  de  leurs  repaires  des  côtes 
barba  resqu  es  en  sou  tenant  contre  eux  les  princes  maures  (3). 

(1)  Valbelle,  B.  N.,  Franc;    5072,  fol.  56  v°. 

(2)  Ainboise,  16  décembre  15J7  (Ch.\rrière,  Néijociations  de  la  Fiance 
dans  le  Levant,  t.   I,  p.  44). 

(3)  Cet  avis  consultatif  fut  transmis,  le  4  mars  1518,  par  le  pape  Léon  X 
à  François  I"  (CiiARniÈRE,  t.  I,  p.  47). 


LA   FRANCE   CONTRE    L'ISLaM.  Î4Ï} 

C'est  à  quoi  précisément  s'employait  Navarro.  Un  autre 
de  nos  capitaines,  Christophe  Le  Mignon,  dit  Chanoy,  eut 
ordre  d'aller  en  éclaireur  étudier  les  armements  des  Turcs, 
tandis  que  Prégent  de  Bidoux,  réclamé  par  le  grand  maître 
de  Rhodes  Carreto  (l),  recevait  congé  de  mettre  au  service 
de  l'ordre  sa  "  bonne  pratique  et  sçavoir  » ,  et  quelques 
bâtiments  de  guerre.  Contre  les  infidèles,  "  baillcroy  tout 
ce  que  ay  sur  la  mer  Méditerranée  (2),»  avait  déclaré  Fran- 
çois I".  Il  tenait  parole.  Défrayé  de  tout  (3),  l'illustre  Pré- 
gent  de  Bidoux  partit  avec  les  divisions  Servien  (4)  et  Mi- 
gnon (5),  en  tout  si.x  bâtiments  (6),  qui  appareillèrent  le 
17  avril  1518  (7).  Dès  son  arrivée  à  Rhodes,  il  fut  chargé, 
avec  le  titre  de  bailli  des  îles  de  Cos,  Saria  et  Calymno  (8), 
de  la  défense  des  avant-postes  ;  bientôt,  on  apprenait  que 
Bidoux  avait  surpris,  à  la  tête  de  la  division  Servien  et  des 
galères  de  l'Ordre,  un  port  de  Grèce  où  les  Turcs  fabri- 
quaient les  apparaux  de  leur  flotte  ;  il  avait  culbuté  la 
garde,  forte  de  deux  mille  janissaires,  et  détruit  l'ar- 
senal (9). 

L'ancien  commandant  de  l'escadre  de  Bretagne  (10),  Cha- 
noy, cherchait  de  son  côté,  selon  les  instructions  royales,  à 

(i)  Lettre  de  Carreto  à  François  I".  17  mai  1517  [Revue  des  documents 
historitjuex,  t.   IV  (1876),  p.   1). 

(2)  Ainboisc,  16  décembre  1517  (CnAiiniKnE,  t.  I,  p.  44l. 

(3)  Prégent  de  Bidoux  reçoit  6000  livres  pour  frais  de  voyajje  avec  plu- 
sieurs galions  et  un  briganlin.  22  janvier  1518  (Arch.  nat.,  K  81,  n.  25). 

(4)  Deux  galions  et  un  brigantin  de  Servien  (Valbellk,  B.  N.,  Franc, 
5072,  fol.  54  v"). 

(5)  La  Bonne-AveiUnre,  appartenant  à  Laurent  de  ^lédicis,  duc  d'Urbin 
(B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  6658,  fol.  3),  navire  de  deux  cents  tonneaux 
(B.  N.,  Clairambault  326,  fol.  555),  et  le  Jésus-Maria  (B.  N.,  Franc. 
19882,  fol.  178). 

(6)  (Jui  passent  le  2  juin  à  Syracuse  (Sanlto,  t.  XXV,  col.  465,  472). 

(7)  Vai.belle,  b.  in.,  Franc.  5072,  fol.  54  v". 

(8)  A.  Spont,  Les  çjalèrcs  royales  dans  la  Mc'dilerranrc  de  1496  à  1518, 
dans  la  Revue  des  questions  historiques,  t.   LVIII  (1895),  p.  427. 

(9)  Valbellk,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  56. 

(10)  Le  2  janvier  1518,  il  commandait  encore  dans  le  Ponant  la  Diep- 
poise  (B.  IS.,  Pièces  orig.,  vol.  669,  doss.  Chaaoy,  p.  4). 


150  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

«  entendre  des  affaires  du  Turc,  luy  faire  la  guerre  et  tout 
Tennuy  et  dommaige  »  possibles.  Il  battit  TArchipel  ;  mais 
faute  d'action  mémorable  à  signaler,  durant  dix  mois,  il 
jugea  superflu  de  donner  au  roi  de  ses  nouvelles.  En  jan- 
vier 151Î),  il  était  posté  au  cap  Salamone,  à  l'extrémité 
orientale  de  la  Crète,  et  guettait  les  convois  qui  allaient  de 
Gonstantinople  en  Egvpte,  quand  furent  signalés  dans  le 
sud  de  gros  vaisseaux  de  guerre,  u  quatre  des  plus  braves 
navires  qu  on  ayt  guères  veu  de  Turquie;  "  il  lit  immédia- 
tement sonner  le  branle-bas  et  alla  jeter  1  ancre  à  une 
demi-lieue  de  l'escadre  ennemie,  qui  arrivait  d'Alexandrie. 
Il  n'avait  qu'un  bâtiment  de  deux  cents  tonnes,  là  Bonne- 
Aventure,  et  la  nef  Jésus-Maria. 

Les  Turcs,  au  nombre  de  sept  à  buit  cents,  étaient  deux 
fois  plus  nombreux  que  nos  gens  ;  ils  avaient  des  vaisseaux 
d'un  tonnage  double  ou  triple,  sortis  depuis  peu  des  chan- 
tiers de  Gallipoli,  sauf  leur  navire  amiral,  que  le  sultan 
venait  d'acheter  aux  constructeurs  si  renommés  de  Ra- 
gusc  (1);  enfin,  comme  Cbanoy  le  reconnut  vite,  leurs 
pièces  étaient  admirablement  servies  :  «  Il  n  y  a  navires  au 
monde,  disait-il,  qui  voysent  myeulx  en  ordre  d'artillerie 
que  ceux  du  Turc.  » 

Leur  escadre  fonçait  sur  nous,  l'amiral  en  tète,  ouvrant 
un  feu  violent  de  ses  espingoles.  Plusieurs  hommes  furent 
atteints  à  bord  de  la  Bonn e- Aventure  ;  mais  Chanoy  ripos- 
tait à  son  tour  avec  vigueur.  Après  sept  heures  d'une  lutte 
acharnée,  il  finit  par  remporter  une  victoire  complète. 
L  amirale  ennemie  était  coulée  à  fond,  corps  et  biens,  à 
part  vingt-cinq  hommes  qui  se  sauvèrent  sur  lune  des  bar- 
ques du  bord.  Dans  les  flancs  de  lépave,  il  y  avait  malheu- 


(i)  JjC»  Ragusaint.,  I  année  s-uivanle,  furenl  les  premier»  a  féliciter  .Soli- 
man de  son  avènement,  et,  pour  obtenir  la  confirmation  de  leurs  privi- 
lèges, ils  lui  offrirent  de  riches  tissus  d  oi'  et  d  argent  (De  Hammer,  llisloire 
de  l'empire  ottoman,  t.  V,  p.  10). 


LA    FRANCE   CONTRE    LISLAM.  151 

reusement  un  trésor  considérable,  le  tribut  de  l'Egypte  que 
quatre  notables  du  Caire  portaient  à  Constantinople.  Le 
second  vaisseau  turc  était  la  proie  des  flammes  ;  du  troi- 
sième, le  capitaine  Vidal  s'était  rendu  maiti'e;  quant  au 
quatrième  bâtiment,  une  fort  belle  galéasse,  il  fut  amariné 
par  Ghanov.  La  victoire  ne  nous  coûtait  que  douze  tués  et 
un  certain  nombre  de  blessés. 

Pour  laisser  reposer  son  monde,  Chanoy  vint  relâcher  au 
port  d  Agosta,  en  Sicile,  d'où  il  adressa,  le  G  février  1519, 
une  relation  du  combat  au  duc  d'Urbin,  propriétaire  de  la 
Bonne-Aventure,  avec  prière  d  en  aviser  le  roi  et  l'amiral. 
Puis  il  s  acquittait  de  sa  mission  en  révélant  l'importance 
des  armements  qui  s  effectuaient  sur  l'ordre  du  sultan 
Sélim.  Depuis  Ibivcr,  une  quantité  de  munitions  cl  d  ap- 
paraux s'amassaient  à  Chio,  Nègrepont  et  Mitylène.  En 
dehors  de  ces  avant-postes,  on  formait  au  port  de  la  Valona, 
en  Epire,  un  grand  camp  retranché  pour  abriter  la  plus 
grosse  flotte  turque  qu  on  eût  jamais  vue  :  cent  cinquante 
galères  subtiles  et  légères,  quatre-vingts  galères  plus 
lourdes,  dites  bâtardes,  cinquante  galéasses,  cent  palan- 
dres  de  transport  et  trente  nefs  de  guerre  (1),  dotées  d'une 
artillerie  bien  supérieure  à  celle  des  marines  chrétiennes. 
Tous  les  bâtiments  latins  qui  se  dirigeaient  vers  Constanti- 
nople étaient  arrêtés,  parce  que  le  sultan  avait  besoin  de 
leurs  marins^,  surtout  de  leurs  pilotes.  Les  pilotes  turcs, 
pour  la  plupart  originaires  de  la  mer  Noire,  connaissaient 
mal  le  bassin  de  la  Méditerranée,  on  peut  s  en  convaincre 
par  la  carte  marine  exécutée  cette  année-là  à  Gallipoli  par 
un  capitaine  de  la  marine  ottomane  (2). 

(i)  Cent  galères,  "Mnjjt  iustes,  Aingt  et  une  barge*,  trois  autre»  plus 
grandes,  six  à  sept  brigantins  et  cent  galères  en  achèvement,  selon  l'estime 
de  l'ambassadeur  vénitien  à  Constantinople,  18  avril  1519  (Dk  liA.MMKi!, 
Histoire  de  l'empire  ottoman,  t.  IV,  p.  354,  n.  1), 

(2)  B.  N.,  Suppl.  turc  220,  œuvre  du  raïs  Piri-ibn-el-Hadjdj  Moha- 
med (Blochex,    Contribution    à   l'étude   de   la    cartographie  chez  les   Mu- 


l52  HISTOIRE    DE    LÀ    MARÏNE   FRANÇAISE. 

Chanoy  ne  parlait  point  du  but  de  ces  armements  ;  mais 
on  savait  qu'ils  étaient  dirigés  contre  les  chevaliers  de 
Rhodes. 

La  lettre  du  capitaine  Chanoy  (1),  avec  le  gentilhomme 
qui  en  devait  faire  le  commentaire,  arrivait  à  destination 
un  mois  après,  soit  le  0  mars  1519,  juste  à  point  pour 
donner  une  base  solide  à  la  candidature  de  François  T""  à 
la  pourpre  impériale.  L'empereur  Maximilien  venait  de 
mourir  (:2),  et  le  roi  de  France  briguait  sa  succession.  Il 
s'était  fait  duprojet  de  croisade  contre  les  Turcs  une  plate- 
forme électorale;  il  écrivait  au  pape,  le  11  février,  qu'il 
se  chargeait  d'enrayer  leui'S  incursions  maritimes;  il  avait 
mandé  Pero  Navarro  à  Paris  (3),  et  les  électeurs  étaient 
avertis,  au  moment  où  de  leurs  votes  allait  sortir  un  empe- 
reur, que  la  flotte  française,  forte  de  vingt  galères,  de  plu- 
sieurs vaisseaux  et  de  quatre  mille  hommes,  commençait  à 
purger  le  littoral  de  la  mer  Tyrrhénienne  des  pirates  bar- 
baresques  (4).  A  vrai  dire,  Navarro  avait  l'ordre  secret  de 
se  tenir  à  la  disposition  de  Lautrec,  gouverneur  du  Mila- 
nais, pour  parer  aux  »  entreprises  qui  se  dressaient  delà 
les  monts  »   (5). 

En  même  temps,  François  1"  répandait  le  bruit  que  son 
compétiteur  traitait  avec  les  Turcs,  à  l'insu  du  pape  (G). 
Malgré  ces  insinuations  et  ces  promesses,  Charles,  roi  d'Es- 

mihnaiis   :    Exilait    du    Bulletin    de    i Académie    d'Uippoiie,    n.    29.   Bône, 
1898,  gr.  in-8",  p.  20). 

(1)  »  Escript  en  la  Bonne  Adventure  vostre  nef,  à  Augouste  en  Cecille,  le 
sixième  jour  de  febvrier.  A  Mgr  le  duc  d  Urbin  "  (B.  N.,  Nouv.  acq.  franc. 
6658,  fol.  3). 

(2)  11  janvier  1519. 

{?))  En  janvier  (Sam  ro,  t.  XKVl,  col.  o(i5).  * 

(4)  Belcarils,  Berum  Gallicarmn  conunenlaria,  lib.  XVI,  p.  47-V;  Char- 
niKRK,  t.  1,  p.  79. 

(5)  Instructions  secrètes  du  roi  à  Navarro.  7  mai  (B.  N.,  Franc.  3021, 
fol.  76). 

(6)  Lettre  de  François  I"  à  Bonnivet,  25  avril  1519  (Spont,  p.  478,  n.  4, 
et  B.  N.,  Franc.  5761,  fol.  83). 


LA    FRANCE   CONTRE    L'ISLaM.  153 

pagne,  qui  se  gardait  d'user  près  des  électeurs  d'arguments 
aussi  spéculatifs,  fut  proclamé  empereur. 

Au  lieu  de  se  croire  dégagé  de  ses  promesses  électorales 
par  le  fait  même  de  son  échec,  le  prétendant  malheureux 
à  l'empire  fut  le  seul  prince  à  s'émouvoir  du  danger  couru 
par  les  Hospitaliers  (Ij.  Dès  qu'il  appi'it  que  l'attaque  de 
Rhodes  était  imminente  f2),  il  arma  en  toute  diligence  une 
forte  escadre,  dont  il  remit  »  la  superintendence  ",1e 
20  juin  152t),  au  capitaine  Chanoy,  avec  ordre  de  protéger 
l'île  contre  toute  insulte  (3j.  Le  nouveau  lieutenant  géné- 
ral disposait,  selon  l'expression  d'un  contemporain,  d'un 
vrai  a  trésor  »  ,  neuf  vaisseaux  de  ligne,  encadrés  par  une 
division  légère  de  quatre  galères  et  de  brigantins  (4) .  En 
fait  de  marins,  il  avait  la  fine  "fleur"  des  Marseillais,  le 
héros  de  Godefa,  Janol,  auquel  fut  confiée  la  Bonne-Aven- 
ture, et  son  compagnon  d'armes  au  glorieux  combat  naval 
d'Aigues-Mortes,  Raphaël  Rostan,  qui  s'était  révélé  ingé- 
nieur en  transformant  en  jjaléasses  deux  galères  (5).  A  eux 
s'était  joint  le  fameux  Chapperon,  sire  de  Queue-de-Vache, 
brave  et  chevalei'esque,  mais  superstitieux  au  point  de 
pi'cndre  pour  la  tête  blonde  d'un  camarade  défunt  les 
algues  qui  flottaient  dans  le  sillage  de  sa  nef  (6). 

La  division  des  galères  avait  un  nouveau  chef  :  Chanoy 

(1)  Lettre  de  François  1^''  au  grand  maître  de  l'ordre.  Blois,  18  no- 
vembre i5t9  (B.  ]\\,  Franc.  5761.  fol.  210). 

(2)  Abbé  DK  Vemot,  t.  III,  p.  189. 

(3)  Lettres  de  provision  de  Chanoy  (B.  IN.,  Frane.  5500,  fol.  30V.  — 
Rui-Fi,  Histoire  de  Marseille,  nouv.  éd.,  t.  II,  p.  361). 

(4)  Vaisseaux  :  deu.x:  galions  de  Servien,  nef  de  Saint-Trognon,  nef  et 
caravelle  du  lieutenant-général,  bargot,  gros  galion  napolitain,  nefs  Grande- 
Maistresse  de  700  tonnes  et  Bonne- Aventure.  Galères  :  Sainte-Marie,  capi- 
tanc,  Cnlhcrinetlc,  deux  autres  galères  et  deux  brigantins.  Le  départ  eut 
lieu  le  24  août  1520  de  Marseille  (Valdkllk,  B.  N,,  Franc.  5072,  fol.  61. 
—  B.  N.,  Franc.  5086,  fol.  161.  —  Samto,  t.  XXIX,  col.  486  :  police  de 
la  Hotte  française.  —  B.  N.,  Clairambault  326,  fol.  555). 

(5)  Selon  contrat  du  13  juin  1519  avec  le  roi  [Catalogue  des  actes  de 
François  I",  t.  I,  p.   187). 

(6)  Jean  d'Auton,  éd.  de  Maulde,  t.  IV.  p.  389,  411. 


154  HISTOIRE    DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

avait  destitué  de  son  comniandcment  F'rère  Bernardin  de 
Baux  (Ij,  pour  en  investir  Bertrand  d'Ornesan,  baron  de 
Saint-Blancard.  Saint-Blancard  avait  une  fonction  de 
second  d'autant  plus  importante  que  chacune  de  ses  ga- 
lères avait  embarqué  une  centaine  d'hommes  des  capi- 
taines de  Saint-Privas,  Gascon,  «de  Otombre,  Beligorgno" 
et  Yillebon  qui  devait  s  illustrer,  trois  ans  plus  tard,  près 
de  Thérouanne,  dans  un  combat  de  cavalerie  contre  les 
Impériaux  (2).  La  mésintelligence  qui  ne  tarda  point  à 
éclater  entre  les  deux  chefs  de  la  flotte  causa  le  plus  grave 
préjudice  au  succès  de  l'expédition. 

Au  début  de  septembre,  Chanovse  trouvait  au  mouillage 
de  l'ile  de  la  Favignana.  Après  avoir  attendu  un  moment 
iSavarro,  qui  s'obstinait  dans  ses  attaques  infructueuses 
contre  les  ports  barbaresques,  Ghanoy  fit  route  vers  le 
Levant.  On  avait  agité  la  question  de  savoir  s'il  ne  ferait 
pas,  au  cours  de  la  traversée,  quelque  démonstration  contre 
Alexandrie,  Tripoli  et  Beyrouth  (3j.  En  vain,  les  Vénitiens 
avaient-ils  supplié  François  I"  de  ne  pas  déchaîner  une 
guerre  maritime  contre  les  Turcs  (4j.  Le  roi  avait  passé 
outre. 

Mais  à  peine  Ghanov  se  trouvait-il  dans  les  eaux  de 
llhodes  que  la  mort  de  Sélim,  le  :22  septembre  1520,  sembla 
écarter  pour  un  temps  l'orage  prêt  à  fondre  sur  l'île.  La 
mission  de  nos  marins  devenait  inutile.  Toutefois,  par 
amour-propre,  Chanoy  ne  voulut  point  s'en  retourner  sans 
avoir  accompli  quelque  exploit. 

Le  9  octobre,  à  l'aube,  le  capitaine  des  galères  vénitiennes 
({ui  faisaient  annuellement  le  voyage  de  Beyrouth  était  à 
l'ancre  dans  ce   port,  quand  on  signala  quinze  voiles  de 

(1)  VALiiKLLh.  B.  1\.,  Fran.;.  5072,  fol.  60. 

(2)  Martin  Du  Bellat,  Mémoires,  éd.  Michauil  et  Poujoulat,  1"  série, 
t.  V,  p.  170. 

(3)  Sam-ïo,  t.  XXIX,  col.  206,  2J3,  283. 

(4)  Ibidem,  col.  320. 


LA    FRANCE   CONTRE   L'ISLAM.  155 

nationalité  suspecte.  Une  {jondole,  envoyée  à  la  décou- 
verte, fit  brusquement  demi-tour;  les  matelots  vénitiens 
revinrent,  pâles  d'épouvante,  en  disant  que  Tescadre  était 
turque  et  qu'elle  avait  détaché  un  brigantin  à  leur  pour- 
suite. Antonio  Marzello  prit  immédiatement  ses  dispositions 
de  combat  pour  vendre  chèrement  sa  vie,  car  son  escadrille 
était  trop  faible  pour  remporter  la  victoire.  Sur  ces  entre- 
faites, le  brigantin  arriva  à  portée  de  la  voix;  les  Vénitiens 
apprirent  avec  stupéfaction  que  l'escadre  était  fran(;aisc  et 
qu'elle  venait  saccager  Beyrouth.  «  Vous  n'avez  rien  à 
craindre  pour  les  effets  de  vos  compatriotes,  ajoutait  le 
commandantfrançais,  mais  vous  aurez  à  seconder  l'attaque.» 

Avec  leur  duplicité  habiluclle,  les  Vénitiens,  loin  de 
souscrire  à  ces  propositions,  s'empressèrent  de  mander  à 
terre  que  la  flotte  en  vue  était  française,  qu'elle  venait 
livrer  bataille,  qu'on  eut  à  se  mettre  en  défense,  que  l'es- 
cadre vénitienne  ferait  de  son  mieux  pour  seconder  les 
habitants.  «  Chiens,  vous  êtes  tous  d'accord,  répliquèrent 
les  musulmans,  vous  avez  voulu  nous  tromper  en  disant 
que  c'étaient  des  vaisseaux  turcs.  "  Mais,  grâce  à  l'avis 
des  Vénitiens,  ils  eurent  le  temps  de  faire  leurs  préparatifs. 
Une  trahison  semblable  avait  failliamener,  un  siècleaupa- 
ravant,  l'échec  de  Boucicaut  devant  cette  même  ville  (1). 

Beyrouth  était  ou  allait  être  occupée  par  les  troupes  du 
gouverneur  de  Syrie,  Ghazali,  qui  refusait  de  reconnaître 
le  nouveau  sultan.  Il  avait  levé  des  troupes  et  cherchait  à 
secouer  le  joug  des  Turcs  (2j.  C'était  donc  une  maladresse 
de  l'affaiblir.  Au  lieu  de  faire  valoir  cette  raison  politique, 
Marzello  envoya  supplier  le  capitaine  de  la  flotte  française, 
dont  le  pavillon  battait  à  la  corne  d'un  des  galions,  de  dif- 
férer l'attaque  jusqu'au  lendemain;  la  relâche  de  Tesca- 

(i)  Cil.  UE  La  Roncikre,  HisLoire  de  la  marine  française,  t.   II,  p.   V^i. 
(2)  Dk  Hammer,  t.  V,  p.  11.  Il  fui  écrase  sous  les   murs  de  Damas  par 
l'armée  ottouiaue  le  27  janvier  1521. 


156  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

drille  vénitienne  n'expirait  que  ce  jour-là,  et  nombre  de 
ses  gens,  encore  à  terre,  seraient  massacrés  en  cas  d'at- 
taque. Chanoy  était  en  train  de  s'armer,  quand  les  envoyés 
de  Marzello  lui  exposèrent  cette  requête  :  «  Quoi  qu'il 
arrive,  répondit-il,  je  prendrai  terre,  j'entends  déjeuner  à 
Beyrouth;  sur  ma  tête,  soyez  sûrs  que  tous  les  vôtres,  ainsi 
que  leurs  biens,  seront  sauvegardés;  si  les  Maures  et  les 
Turcs  leur  faisaient  le  moindre  outrage,  ils  seraient  cruel- 
lement châtiés;  qu'on  ne  me  parle  plus  d  autre  chose; 
mandez-le  à  votre  patron.  »  Et  déjà  l'escadre  française, 
remorquée  par  ses  galères  subtiles,  s'approchait  de  terre 
en  ordre  de  bataille;  sous  la  protection  d'une  violente 
canonnade  qui  sifflait  par  dessus  les  poupes  de  l'escadre 
vénitienne,  les  barques  des  navires  commencèrent  à  mettre 
du  monde  à  terre.  Pour  accélérer  le  débarquement,  Chanoy 
envoya  demandera  Marzello  les  chaloupes  des  galères  et  de 
la  nave  vénitiennes  :  Marzello  refusa  encore.  Heureusement, 
le  tir  des  défenseurs  de  la  tour  du  port,  très  défectueux,  n'at- 
teignait pas  nos  gens.  Près  de  huit  cents  hommes  d'armes 
avaient  débarqué  sur  une  petite  plage,  sans  attendre  les 
arquebusiers,  sous  le  commandement  de  Chanoy  et  des 
deux  frères  de  Saint-Privas  (1).  Ils  se  mirent  à  courir  vers 
Beyrouth  à  la  débandade,  se  disputant  tous  1  honneur  d'être 
les  premiers  à  entrer  dans  la  place.  La  route  qui  y  menait 
était  fort  étroite.  Les  INIaures,  bien  qu'au  nombre  de  plu- 
sieurs milliers,  laissaient  les  nôtres  s'y  engager  à  fond;  ils 
feignaient  même  de  fuir  pour  les  attirer  plus  loin,  en  se 
dispersant  parmi  les  oliviers  pour  échapper  au  feu  des 
galères. 

Ils  avaient  préalablement  masqué  une  partie  de  leurs 
forces  derrière  la  colline  qui  domine  à  l'ouest  la  place,  en 
particulier  une  centaine  d  excellents  archers  druses,  venus 

(i)  Rapport  de  Raphaël  Rostan  (6  janvier  1521)  dans  Valiilllk,  B.  N., 
Franc.  5072,  fol.  61  v°. 


LA    FRANCE    CON-TRE   L'ISLAM.  157 

avec  leur  aga  visiter,  comme  il  était  de  coutume,  l'escadre 
vénitienne.  Les  Français,  soudain  pris  à  revers  et  accaltlés 
de  flèches,  commencèrent  à  battre  en  retraite;  puis  la 
retraite  se  changea  en  déroute.  D'énormes  blocs  de  pierre 
roulaient  sur  eux  du  haut  de  la  colline;  les  malheureux, 
aveuglés  par  le  soleil,  n'avaient  d'autre  espoir  que  du  côté 
de  la  mer;  ils  s'y  jetaient  avec  leurs  pesantes  armures, 
cherchant  à  gagner  le  brigantin  et  trois  barques  demeurés 
près  du  rivage.  Saint-Blancard,  que  le  patron  de  galéasse 
Rostan  accuse  formellement  de  ne  pas  avoir  fait  son  devoir, 
et  qui  était  en  dissentiment  avec  son  chef,  aggrava  le  dé- 
sastre en  se  tenant  au  large  avec  ses  galères.  En  une  heure 
et  demie,  tout  était  fini  :  nous  avions  perdu  cjuatre  cent 
quatre-vingt-quatre  hommes.  Le  capitaine  général  Ghanoy 
était  du  nombre.  Trois  cent  trois  des  nôtres  furent  déca- 
pités, et  leurs  têtes,  promenées  au  bout  des  lances,  avec  tle 
grands  cris,  par  les  vainqueurs,  furent  ensuite  fichées  aux 
créneaux  des  remparts  de  Beyrouth  qui  regardaient  la  mer. 
Si  Ghanoy  avait  eu  seulement  cent  escopettes,  disait  un 
témoin  du  combat,  il  aurait  remporté  la  victoire,  mais  il 
les  avait  laissées  à  bord.  Son  lieutenant,  le  baron  de  Saint- 
Blancard,  prit  aussitôt  le  commandement,  et  le  soir  même, 
à  onze  heures,  dans  les  ténèbres,  nos  marins  levèrent  l'an- 
cre dans  le  plus  grand  silence,  "  tels  que  des  chartreux,» 
afin  d'aller  se  réparer  aux  salines  de  Chypre  (1). 

Avisé  du  désastre  par  le  retour  de  llostan  et  des  voi- 
liers (2),  François  I''  dépécha  un  neveu  de  Prégent  de 
Bidoux,    Lartigue,  pour    ramener   les    galères    (3).    Saint- 

(i)  Lettres  d'Antonio  Marzello,  capitaine  des  galères  de  Beyroutli  (Bey- 
routh, 13  octobre  1520),  de  Zuan  Nadal,  patron  d'une  des  galères,  et  de 
Zacaria  Loredan,  provéditeur  de  (Chypre  (Faniagouste,  15  octobre)  Sa:suto, 
Diarii,  t.  XXIX,  col.  427,  432,  483). 

(2)  Qui  étaient  à  Marseille  le  6  janvier  1521  (Valbkllk,  B.  N.,  Franc, 
5072,  fol.  61  v"). 

(3)  SANno,  t.  XXIX,  col.  514. 


158  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Blancard,  en  effet,  n'avait  point  voulu  revenir  sous  la  honte 
d'un  échec.  Après  un  hivernage  à  Rhodes,  ses  quatre 
galères  et  ses  deux  brigantins  radoubés,  il  se  mit  en  cam- 
pagne le  dimanche  de  Pâques  fleuries  (24  mars  1521)  :  à 
Kos  ou  Lango,  il  prit  langue  avec  Bidoux  et  rallia  à  Calymno 
trois  galères  de  la  Religion.  Des  escadres  turques  revenaient 
avec  les  troupes  qui  avaient  dompté  les  insurgés  de  Syrie; 
et  un  corsaire  redoutable,  Kara-Mahmoud,  l'incendiaire 
de  Pouzzoles  et  de  Reggio,  battait  l'Archipel  avec  trois 
galères  et  onze  fustes;  Saint-Blancard  s'attacha  à  sa  pour- 
suite. Un  mois  et  demi  durant,  par  la  tempête,  de  nuit, 
masquant  les  feux,  il  le  chercha.  Kara-Mahmoud,  apprit-on 
d'un  grip,  avait  gagné  Constantinople  avec  deux  prises 
espagnoles.  En  tirant  d'Andria  vers  Schyros,  nos  marins 
aperçurent  pourtant  sept  des  meilleurs  bâtiments  du  cor- 
saire ;  aussitôt,  d'attaquer.  Une  galère  et  les  deux  plus 
grosses  fustes,  après  une  lutte  meurtrière  où  il  ne  resta 
debout  que  quatre-vingt-dix  Turcs,  tombèrent  entre  les 
mains  de  Saint-Blancard  (1).  Mais  Kara-Mahmoud  échappa; 
l'an  d'après,  il  prenait  sa  revanche  en  embarquant,  après 
le  siège  de  Rhodes,  le  sultan  victorieux  (2). 

Après  la  victoire,  Saint-Blancard  prit  congé  de  l'amiral 
de  Rhodes,  qui  lui  fit  présent,  pour  ses  chiourmcs,  de  tous 
les  prisonniers  turcs.  Cependant,  un  courrier  du  roi,  Filippo 
Pallavicini,  battait  aussi  l'Archipel,  à  la  recherche  de  l'es- 
cadre française,  afin  de  presser  son  retour  en  Provence  : 
en  passant  à  Kos,  il  avait  remis  à  Bidoux  une  dépêche  le 
mandantégalementen  France.  Saint-Blancard  ne  fut  atteint 

(1)  Lettre  de  Prégent  de  Bidoux  à  François  I".  Narangier  en  l'isle  de 
Lango  (Kos),  7  et  8  mai  1521  (B.  N.,  Franc.  2963,  fol.  38;  Clairauibault, 
318,  fol.  58).  —  Lettre  de  [Saint-Blancard]  à  l'ambassadeur  de  France  à 
Venise.  Corfou,  22  mai  (B.  N.,  Franc.  3087,  fol.  42).  —  Avis  de  Milan, 
22  janvier,  et  Palerme,  6  mars  1521  (S.otto,  t.  XXIX,  col.  596  :  et 
t.   XXX,  col.  36). 

(2)  De  Hammei»,  t.  V,  p.  42. 


LA    FRANCE   CONTRE    L'ISLAM.  159 

qu'à    Ghio    par   les    lettres    royales;   il  obéit   aussitôt   (l). 

Mais,  inquiet  de  l'accueil  qui  lui  serait  réservé,  il  s'arrêta 
à  Villefranche,  dans  le  territoire  du  duc  de  Savoie,  atten- 
dant de  la  Cour  des  lettres  de  sûreté.  Ses  craintes  étaient 
sans  fondement  :  si  le  roi  rappelait  son  escadre,  c'est  qu'il 
était  urgent  de  parer  à  la  défense  de  nos  côtes;  la  guerre 
avec  Charles-Quint  venait  d'éclater.  Une  grande  nef  napo- 
litaine, appartenant  au  vice-roi  Ranionde  Cardona,  passait 
au  large;  Saint-Blancard  l'enleva.  Ce  fut,  devant  l'opinion 
publique,  sa  rançon,  que  dis-je!  l'occasion  d'une  entrée 
triomphale  dans  le  port  de  Marseille,  le  :2i  août  1521  (2). 
Le  désastre  de  Beyrouth  ne  lui  était  plus  compté,  et  comme 
Saint-Blancard  avait  eu  l'indélicatesse  de  vider  le  coffre- 
fort  de  son  chef,  ce  fut  une  pauvre  orpheline,  la  fille  de 
Chanoy,  qui  paya  de  sa  fortune  le  déficit  relevé  dans  le  bud- 
get de  l'expédition  (3). 

Dans  la  situation  critique  que  nous  créait  la  guerre  avec 
l'Empereur,  plus  n'était  question  de  porter  secours  à  la 
petite  phalange  perdue  au  milieu  de  l'Islam,  ni  de  donner 
au  nouveau  grand  maître  Philippe  de  Villiers  de  l'Isle- 
Adam  (4)  l'escorte  promise,  onze  vaisseaux  de  Pero 
Navarro  (5)  ou  même  les  belles  barges  de  Frère  Bernardin 
de  Baux,  la  Bravouse  et  la  Messinoise,  qui  pouvaient  porter 
chacune  quatre  cents  combattants  (6).  Quand  Frère  Bernar- 
din reçut,  le  24  juillet,  ordre  de  ne  point  appareiller  pour 
Rhodes,  mais  d'aller  «  endommaiger  »  les  ennemis  du  roi, 
une  violente  lutte  s'éleva  dans  l'àme  du  chevalier  de  Rhodes 

(1)  Lettres  de  Bidoux  et  Saint-Blancard  citées.  Dès  le  18  novembre  1519, 
par  une  lettre  adressée  au  grand  maître,  François  I"^  réclamait  Bidoux 
(B.  N.,  Franc.  5761,  fol.  210). 

(2)  Valbklle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  65. 

(3)  Elle  avait  vu  vendre  tous  les  biens  paternels  en  Provence,  quand  le 
roi  se  décida  à  lui  faire  grâce  (B.  N.,  Franc.  5080,  fol.  161). 

(4)  Nommé  grand  maître  le  12  janvier  1521. 

(5)  S.\MiTo,  t.  XXVI,  col.  459,  et  t.  XXXIV,  col.  250. 

(6)  B.  N.,  Clairambault,  vol.  326,  fol.  555. 


KiO  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

entre  ses  devoirs  de  religieux  et  ceux  de  patriote;  le  roi 
son  souverain,  le  grand  maître  son  supérieur  se  dispu- 
taient ses  services.  «  Si  m'en  failloit  aller  sans  luy  et  me 
survenoit  quelque  inconvénient,  que  Dieu  ne  vuelhe,  écri- 
vait L'Isle-x\dam  à  François  h'%  chasctin  diroit  que  c'est 
pour  estre  pnrty  mal  accompaigné  de  France  (1) .  "  Il  partit 
pourtant  seul,  avec  sa  carraque  et  quelques  petits  hrigan- 
tins.  "  Et  vous  promectz  ma  foy,  soupirait  Bernardin,  que 
suis  esté  mal  contant  que  je  ne  l'ay  accompaigné  jusques  en 
Rt)ddes;  et  n'a  tenu  à  mov,  et  av  faict  ce  que  l'on  m'a  com- 
mandé (2).  »  Savait-il  que  le  grand-maitre  était  guetté  par 
un  corsaire  fameux,  Curtogli,  qui  allait  recevoir,  l'année 
même,  le  bâton  d'amiral  de  la  flotte  turque. 

Villiers  de  L'Isle-Adam  parvint  pourtant  à  bon  port;  on 
l'apprit  par  une  lettre  de  détresse,  adressée  au  roi  comme 
à  II  celluy  en  qui  est  toute  nostre  espérance  (3)  »  .  Bientôt, 
arriva  une  dépêche  plus  pressante  encore,  apportée  par 
Frère  Claude  Villiers  d'Ancienville  :  elle  demandait  d'ur- 
j'jCnce  des  secours.  Le  brigantin  de  Villiers  avait  quitté 
Rhodes  le  18  juin  152:2  (4).  Le  20,  paraissait  la  flotte  de 
Curtogli.  Curtogli  avait  dix  mille  soldats  de  marine,  le 
double  de  la  {jarnison  de  Rhodes  (5).  Il  attendit  néanmoins, 
pour  ouvrir  le  siège,  l'arrivée  de  Soliman  II  et  d'une  cen- 
taine de  mille  hommes,  qui   s'acheminaient  vers  la  vaste 

(i)  Marseille,  30  juillet  (CiiAnniÈiiK,  t.  I,  p.  87). 

(2)  Lettre  de  Bernardin  de  Baux  à  Bobcrtet.  Lyon,  27  di'ccnihre  (R.  N., 
Franc.  3050,  fol.  100).  —  Bernardin  avait  cinq  cents  hoiuuics  de  guerre  à 
bord  de  son  galion,  de  sa  barge  et  de  son  brigantin.  Lettre  de  B.  de  Baux 
au  roi.  Marseille,  3i  juillet  (B.  N.,  Franc.  2933,  fol.  133). 

(3)  28  octobre  1521  (CuAnRiKn>:,  t.  I,  p.  89). 

(4)  «  Journal  du  siège  de  la  noble  cité  de  Rodes,...  escrit  pai*  Frère 
Jacques,  bastard  dk  Botinnox.  1523  «  (B.  N.,  Franc.  16165,  fol.  35  v"  ; 
imprimé  dans  l'édition  in-4"  de  l'abbé  dk  Vkrtot,  Histoire  de  Malte,  t.  II, 
p.  626). 

(5)  ÏEnciKn,  Mémoire  sur  la  prise  de  la  ville  et  de  l'ile  de  Rhodes, 
eu  1522,  pur  Soliman  II,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  inscrip- 
tions, t.  XXV,  p.  733. 


RHODES 

(B.  N.,   Latin  0067,   fol.    18  ;   manuscrit  offert  à  l>ienf  d'Aubusson.) 


LA    FRANCE    EN    ORIENT  161 

baie  de  Marmarls,  dont  lamphithéàtre  de  hautes  mon- 
tagnes s'ouvre  presque  en  face  de  Rhodes  (1). 

Je  n'ai  pas  à  relater  ce  siège  mémorable  si  souvent  décrit, 
mais  à  montrer  comment  les  héroïques  défenseurs  mou- 
raient, les  regards  tournés  vers  la  France.  Pi'égent  de  Bidoux 
était  des  leurs.  Après  avoir  repoussé  de  l'ile  de  Lango 
l'avant-garde  de  la  flotte  turque,  il  s'était  fait  jour  au  tra- 
vers des  vaisseaux  ennemis,  pour  venir  se  jeter,  le  10  juil- 
let, dans  la  ville  de  Rhodes.  L'allégresse  avait  été  géné- 
rale de  voir  apparaître  ainsi  un  »  homme  de  sa  nature  des 
plus  vigilans  qvi'on  face  (2).  i»  Toujours  aux  postes  les  plus 
exposés,  notrevaillant  amiral  du  Levant  conduisitla  défense 
avec  une  extrême  bravoure,  jusqu'à  se  faire  blesser  eu 
repoussant  un  assaut  (3). 

En  dépit  du  blocus,  le  grand  maître  dépêchait  vers  Fran- 
çois I''  exprès  sur  exprès,  son  secrétaire  Nicolas  Husson, 
puis  Jean  de  Bresolz,  pour  presser  l'envoi  de  renforts  (4). 
Il  y  comptait.  Le  roi  avait  donné  pouvoir  au  chevalier 
Claude  d'Ancienville  de  réquisitionner  tous  les  vaisseaux 
de  Provence.  Mais  l'amiral-gouverneur  René  de  Savoie 
refusa  de  laisser  dégarnir  la  côte  (5),  au  moment  où  il  avait 
à  faire  face  à  la  flotte  impériale  (0). 

Le  13  novembre,  le  grand  maître  de  Villiers  tenta  une 
suprême  démarche  (7).  Résumant  en  quelques  mots  les 
péripéties  du  siège,  neuf  assauts,  cinquante  mille  Turcs 

(1)  Soliman  débarque  le  28  juillet  à  Rhodes  (De  Hasimï;r,    t.   V,  p.  29). 

(2)  Jacques  DE  Bourbon  (B.  N.,  Franc.  16165,  fol.  42  v»). 

(3)  Veivtot,  t.  III,  p.  254-. 

(4)  Nicolas  Husson  partit  le  28  août;  la  fuste  de  Jean  de  Bresolz,  de 
retour  dans  la  nuit  du  6  octobre,  repartit  le  10  pour  presser  l'arrivée  des 
renforts  (Jacques  de  Bourdon,  fol.  57,  81). 

(5)  Ibidem,  fol.  36. 

(6)  Cf.  plus  bas  le  chapitre  :  Rivalité  de  François  I"  et  de  Charles-Quint. 
—  Sanuto,  t.  XXXIII,  col.  280.  —  F.  Ddro,  Armada  cspanola,  t.  I, 
p.  132. 

(7)  Lettre  à  son  neveu  La  Rochepot-Montmorency.  Rhodes,  13  no- 
vembre 1522  (CHARRIÈRK,  t.  I,   p.   cxxxi). 

m.  II 


J62  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

hors  de  combat,  rëncrgique  Aucillard  concluait  :  "  Si  peu 
de  secours  qui  vînt  donner  sur  eulx,  seroient  tanstost  tous 
desconfiz.  Somme  contrainctz  envoyer  derechef  devers  le 
roy,  principal  protecteur  de  la  foy-  Toute  nostre  espérance 
est  audit  seigneur,  et  sans  son  avde,  somme  en  évident 
péril.  » 

Le  faible  secours  demandé  était  déjà  parti  de  France, 
quand  la  lettre  de  L'Isle-Adam  arriva.  Deux  grandes  car- 
raques  avaient  quitté  Marseille  avec  une  cargaison  consi- 
dérable de  munitions  à  destination  de  lihodes.  Par  malheur, 
les  Génois  mirent  l'embargo  sur  elles,  en  nantissement  de 
leur  grosse  nef  Negrona,  capturée  par  la  flotte  fi-an- 
çaise  (1).  Quand  on  obtint  main-levée  de  l'embargo,  la 
saison  était  fort  avancée,  et,  des  deux  carraques  battues 
par  la  tempête,  l'une  sombra  à  la  hauteur  de  Monaco, 
l'autre  échoua  en  Sardaigne.  Le  grand  maître  n'avait  plus 
aucun  secours  à  attendre. 

Rhodes  succomba  dans  la  matinée  de  Noël,  au  moment 
où  le  pape  Adrien  IV  célébrait  la  messe  dans  l'église  Saint- 
Pierre  (2).  Après  que  la  voix  du  muezzin  eût  retenti  du 
haut  du  clocher  de  l'église  Saint-Jean,  Philippe  de  Villiers 
de  L'Isle-Adam  s  embarqua,  avec  ses  derniers  chevaliers, 
pour  la  Crète  et  l'Europe  (3).  Les  expéditions  françaises 
envoyées  pour  la  défense  de  l'île  étaient  si  bien  oubliées, 
que,  dans  une  lettre  au  |)ape  Adrien  VI,  François  I"  se  vit 
obligé  de  remettre  les  choses  au  point.  Rappelant  que  ses 
«1  services,  depuis  quelque  temps  en  çà,  ont  esté  mal 
reconnuz  » ,  que  la  France  a  été  le  seul  pays  à  persévérer 
dans  ses  projets  de  croisade,  le  roi  engageait  l'ancien  pré- 
cepteur de  Charles-Quint  à  se  souvenir  que  le  Saint-Siège 
s'était  toujours  fait  de  la  maison  de  France  un  «  bouclier  » 

(1)  Calendar  of  State  papers.. .  Spaiii,  t.  H,  p.  507. 

(2)  Vertot,  t.  III,  p.  276. 

(3)  De  Hammer,  t.  V,  p.  42. 


LA    FRANCE    EN    ORIENT  H!3 


contre  Tempire  (1) .  Il  était  bon  prophète.  Moins  de  quatre  ans 
après,  le  pape  était  assiégé  dans  Rome  par  les  troupes  impé- 
riales. Mais  non  plus  que  pour  sauver  Rhodes,  Fintervention 
de  François  I""  ne  se  trouva  efficace  pour  sauver  Rome. 

Des  moindres  détails  du  mémorable  siège,  le  roi  fut 
informé  par  Prégent  de  Bidoux,  messager  du  grand  maître 
et  porteur  d  importantes  dépêches  (2).  L'Isle-Adam  cher- 
chait pour  son  Ordre  un  asile.  Il  est  fâcheux  de  dire  que 
ce  fut  à  Tempereur  qu'il  dut  Malte.  Fidèle  à  l'infortune, 
Prégent  suivit  dans  l'exil  le  grand  maître,  dont  il  comman- 
dait les  derniers  vaisseau.x.  Moins  de  deux  ans  après, 
c'était  à  un  autre  exilé,  à  François  l"  emmené  prisonnier 
en  Espagne,  qu'il  portait  des  paroles  de  consolation.  Puis 
ce  fut  le  pape  qui  fit  appel  à  son  dévouement.  Pour 
échapper  au.x  brutales  atteintes  des  Impériaux  et  parer  à 
un  nouveau  sac  de  Rome,  Clément  YIl  songeait  à  gagner 
Nice  sur  les  galères  des  Hospitaliers  f3). 

Prégent  de  Bidou.x  quitta  Marseille  pour  le  quérir  :  ce 
fut  sa  dernière  croisière;  il  allait  mourir  en  preux  cheva- 
lier, face  à  l'ennemi,  face  au  croissant.  En  août  1528,  il 
rencontrait  par  le  travers  des  îles  de  Marseille  une  galiote 
turque,  qu  il  n'hésita  point  à  attaquer.  Après  un  Combal 
acharné,  la  victoire  tourna  de  son  coté.  Les  raïs  furent 
pendus  et  quatre-vingt-seize  Turcs  mis  à  la  chaîne,  au  lieu 
et  place  de  cent  cinquante  esclaves  chrétiens,  qui  furent 
délivrés.  Mais  Prégent  avait  été  frappé  à  mort  durant  le 
combat  :  il  exhala,  en  débarquant  à  Nice,  le  dernier  soupir, 
avec  la  joie  suprême  d'avoir  sacrifié  pour  ses  frères  sa  vie  (4). 


(i)  Lettre  de  François  I"  au  pape  Adrien   VI.    Mai   1523  (Cabinet  histc 
ricjue,  t.  XIII,  1"^"  part.,  p.  62). 

(2)  Lettre    du    grand    inaitre    L'IsIe-Adam.    Civita-Vecchia,    août    152l> 
(B.  N.,  Franc.  3012,  fol.  51). 

(3)  Juin  1528  (Vauîelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  122  v"). 

(k)  Août  1528  (Valbeli.k,  fol.  124.  —  Ruffi,  Histoire  de  Marseille,  t.  Il, 
p.  350). 


RIVALITE 

DE  FRANÇOIS  I"  ET  DE  CHARLES-QUINT 
PREMIÈRE    GUERRE 


I 

EIN    QUÊTE    D'ALLIANCES 

Lors  de  sa  candidature  à  FEmpire,  François  I"  avait  été 
traité  par  d'aucuns  comme  un  vulgaire  intrigant,  dont  la 
politique  donnait  prise  aux  plus  désobligeants  commen- 
taires. C'est  un  prince  si  avide  de  gloire,  déclarait  un  des 
électeurs,  qu'il  va  chercher  dans  les  glaces  du  nord  de 
stériles  lauriei'S  (Ij.  Or,  loin  d'y  aller  de  son  propre  mou- 
vement, il  avait  cédé  à  un  sentiment  désintéresse.  Chris- 
tiern  II  avait  fait  appel  à  notre  amitié  séculaire  pour  le 
Danemark  et  demandé  notre  appui  contre  Steen  Sture,  qui 
le  tenait  en  échec  dans  ses  Etats  de  Suède.  Le  plénipoten- 
tiaire chai'gé  de  la  réponse  trouva  Christiern  en  partance 
pour  la  Suède  à  la  tète  d'une  flotte  puissante,  bien  montée 
et  bien  armée,  telle  qu'on  devait  l'attendre  d'un  souverain 
entendu  en  fait  de  marine.  Si  la  marine  était  bonne, 
l'armée  manquait  de  discipline;  autant  l'une  pouvait  nous 

(i)  Discours  de  l'archevêque  de  Mayence  à  la  diète  de  Francfort.  Juin 
15i9  (Gaillard,  Histoire  de  François  I".  Paris,    18i9,  in-8»,  t.    I,   p.  283). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CH  ARLESQ  U  l  N  T.     163 

rendre  des  services,  autant  la  seconde  avait  besoin  des 
nôtres,  et,  dans  l'espèce,  des  quatre  mille  fantassins  dont 
nous  offrions  le  concours.  Pour  sceller  ce  bon  échange  de 
procédés,  un  projet  d'alliance  offensive  et  défensive  fut 
présenté  au  roi  de  Danemark.  Curieux  de  savoir  quel 
ennemi  nous  visions,  —  les  Anjjlais  sans  doute?  —  Chris- 
tiern  hocha  la  tête  en  apprenant  que  nous  n'avions  avec 
eux  que  trêve  ou  «  paix  gardée  "  .  —  "  En  telle  paix,  dit-il, 
il  n'y  a  guère  d'amour  (1).  »  Elle  subsista  néanmoins.  Tant 
par  suite  de  l'intervention  de  l'empereur  Maximilien  que 
par  une  orientation  nouvelle  de  notre  politique  avec  l'An- 
gleterre, le  traité  d'alliance  (2)  ne  fut  pas  signé.  Mais, 
pour  le  Danemark,  il  porta  ses  fruits  :  le  corps  expédition- 
naire de  Suède,  fixé  d'abord  à  quatre  mille  hommes  (3), 
fut  seulement  réduit  à  un  régiment  de  mille  soldats 
d'élite,  commandés  par  le  Picard  Saint-Blimont,  le  Gascon 
Arnaud  de  Pardaillan,  baron  de  Gondrin,  les  capitaines 
La  Lande,  Piéfou,  Cosseins.  Ils  quittèrent  les  côtes  nor- 
mandes à  bord  de  l'escadre  du  prince  Gaston  de  Bré/.é,  fils 
du  grand  sénéchal  (4),  dont  le  pavillon  flottait  sur  la 
Princesse,  magnifique  nef  capable  de  porter  sept  cents 
hommes  (5) . 

Les  troupes  débarquées  en  Suède  dans  l'été  de  1519, 
nos  marins  (6)  reprirent  sans  congé  la  route  de  France  et 
se  crurent  autorisés  à  dévaliser  les  navires  de  Lubeck,  par 


(1)  Relation  de  François  de  Bordeaux  adressée  à  François  \".  Copenhague, 
24  juin  [t518]  (B.  N.,  Franc.  15966,  fol.  208). 

(2)  En  date  du  20  novembre  1518  {Ordonnances  des  rois  de  France. 
Rèqne  de  François  I",  t.  II,  n°  158). 

(3)  Lettres  de  François  I"  (B.  N.,  Franc.  5500,  fol.  316). 

(4)  Martin  Dtr  Bellay,  Mémoires,  dans  la  collection  Michaud  et  Pou- 
joulat,  1"=  série,  t.  V,  p.  130. 

(5)  R.  N.,  Clairambault  326,  fol.  555. 

(6)  Les  capitaines  de  navires  Janot  de  Salingand,  Antoine  Dumisnil,  de 
Hontleur,  etc.  (Stephano  de  Merval,  Documents  relatifs  à  la  fondation  du 
Havre.  Rouen,  1875,  in-8",  p.  175.  —  Arctiives  nat.,  K  82,  n"  4). 


166  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

le  fait  que  les  Hanséates  soutenaient  les  rebelles  (l).  Que 
dis-je?  Ils  pillèrent  même  les  Danois,  si  bien  que  Brézé, 
leur  chef,  fut  retenu  comme  caution  à  Copenhague  jusqu'à 
plein  clddommaffement  des  parties  lésées.  François  I", 
indigné  de  ces  pirateries,  manda  au  vice-amiral  d'en  faire 
prompte  justice  (i2) . 

Mais  la  brillante  conduite  de  nos  troupes  effaça  cette 
fâcheuse  impression.  Elle  valut,  le  19  janvier  1520,  au 
général  Otto  Krumpen,la  victoire  de  Bogesund,  qui  décida 
du  sort  de  la  Suède  et  amena,  le  7  mars,  la  soumission  des 
dissidents.  Dans  une  autre  rencontre,  à  Zyveden,  nos 
soldats,  cernés  sur  un  lac  glacé  par  les  Suédois  qui  se 
jouèrent  d'inexpérimentés  patineurs,  furent  taillés  en 
pièces.  Les  Danois  n'avaient  pas  soutenu,  cette  fois,  leurs 
alliés.  Bref,  c'est  à  peine  si  la  moitié  du  corps  expédition- 
naire regagna  la  France  par  la  voie  de  l'Ecosse  (3). 

En  paix  gai^dée,  il  n'y  a  guère  d'amour,  observait  fine- 
ment Ghristiern  de  nos  relations  avec  l'Angleterre.  Pour- 
tant, notre  politique,  tout  d'abord  anglophobe,  changea  à 
l'apparition  d'un  nouvel  adversaire,  et  François  I"  fit  tout 
pour  améliorer  nos  rapports  avec  nos  voisins.  A  la  pirate- 
rie, cause  de  froissements  perpétuels  entre  les  deux  pays, 
il  mit  un  frein  en  défendant  à  tout  autre  officier  que  l'ami- 
ral de  s'occuper  des  armements  (4),  en  exigeant  le  dépôt 
par  l'armaleur  d'une  caution  préalable  et  en  rendant  res- 
ponsables le  maître  d'équipage  et  ses  «  compagnons  de  quar- 
tier (5)  i>  .  L'entente  du  4  octobre  1518  avec  l'Angleterre, 


(1)  I.,cttiede  François  I"  à  Du  Cliillou.  28  septembre  1519  (S.  de  Merval, 
p.  179). 

(2)  Lettre  de   Ghristiern    II   à   François   l".  Copenhague,   6  février   1520 
(B.  N.,  Franc.  15966,  fol.  224). 

(3)  Martin  nr  Bei.l.w,  Mémoires. 

(4)  B.  N.,  Franc.  5500.  fol.  163. 

(5)  Ordonnances   pour   les   amirautés   de   Guyenne   et  de   France.  Juillet 
1517  (B.J\.,  Franc.   2832,   fol.    266;    Franc.  11969,    fol.    187).   L'ordon- 


RIVALITÉ    DIÎ    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     1G7 

donnant  à  cette  réglementation  un  caractère  international, 
fixa  la  caution  à  la  valeur  du  navire  équipé  en  guerre  (l). 

Ces  préliminaires  posés,  François  I"  tâcha  de  se  faire 
un  ami  et  allié  du  roi  d'Angleterre.  Ce  fut  l'objet  de 
l'entrevue  à  laquelle  il  convia  Henri  VIII  en  juin  1520- 
EUe  eut  lieu  entre  Calais  et  Guines,  au  camp  du  Drap 
d'Or.  Henry  YIII  arriva  en  France  sur  t Henry-Grâce-à- 
Dieu,  escorté  des  Great-bark^  Less-Bark,  Kateryne-Plesaiince 
et  Mary-and-John  (2) .  De  la  magnificence  de  ces  vaisseaux 
aux  lourdes  voiles  de  drap  d'or  ou  de  toile  peinte  chargée 
d  arabesques,  aux  flammes  d'or,  aux  pavesadcs  multico- 
lores, un  tableau  d  Holbein  nous  a  conservé  le  souvenir 
précis  (3).  Une  chaude  réception  attendait  les  Anglais- 
François  I"  crut  gagner  ainsi  l'affection  de  Henri  Vllf  :  il 
le  blessa  dans  son  amour-propre,  soit  aux  joutes,  où  il  fut 
vainqueur,  soit  par  le  déploiement  d  un  faste  inouï.  L'al- 
liance qu'il  pensait  tenir  s'évanouit  le  10  juillet  suivant; 
l'entrevue  de  Gravelines  avec  Charles-Quint  fit  pendant  au 
camp  du  Drap  d'Or.  Entre  les  deux  rivaux,  entre  le  roi  et 
l'empereur,  Henri  YIII  prétendit  s  ériger  en  arbitre  et, 
dans  la  lutte  qui  se  préparait  sourdement,  se  prononcer 
contre  1  agresseur. 

D'être  agresseur,  dès  lors,   chacune  des  parties  en  pré- 

nance  pour  l'amirauté  de  France  est  accompagnée  du  commentaire  du  par- 
lement de  Rouen.  C'était,  à  vrai  dire,  un  renouvellement  et  une  extension 
de  l'accord  conclu  avec  1  Angleterre  les  2V  mai  1497  et  lli-  juillet  1498 
{Ordonnances,  t.  XXI,  p.  58). 

(1)  «  Tractatus  pro  depredationibus  marltiuiis  restituendis.  »  Londres, 
4  octobre  1518  (Archives  nat.,  J  920,  p.  18).  —  Édit  notifiant  le  dispositif 
du  traité.  Janvier  1519,  n.  st.  (Librairie  Clouzot  à  Niort.  Catalogue  de  1903). 

(2)  Oppexukim,  a  History  of  the  Administration  of  thc  Royal  Navy 
and  marchant  shippinq  in  relation  to  thc  Navy.  London,  1896,  in-8", 
t.  I  (1509-1660),  p.  57! 

(3)  De  ce  tableau,  le  musée  de  Versailles  possède  une  copie.  La  gravure, 
qu'en  a  faite  Bazire,  a  été  souvent  reproduite  (Jal,  Glossaire  nautique, 
p.  1055.  —  Harris  Nicholas,  History  of  the  Royal  Navy,  t.  IL  gravure  en 
tête  du  volume,  etc.  —  J.  Guauxock,  History  of  marine  architecture. 
London,  1801,  in-4%  t.  II,  p.  32). 


168  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

sencc  s'évcrlua  à  écarter  le  soupçon,  tout  en  poussant  ses 
préparatifs.  «  M.  du  Ghillou,  écrivait  François  I"  à  un 
vice-amiral,  je  désire  bien  entendre  quels  navires  il  y  a  en 
Normandie,  en  sorte  que  nos  voisins  entendent  que  vous  ne 
dormez  point  et  que  vous  ne  serez  pris  au  despouiveu  (1).  » 
Et  un  recensement  général  des  navires  de  gvierre  normands 
et  bretons,  au  cas  où  n  il  plairoit  au  Roy  très  chrestien  de 
faire  une  armée  royalle  pour  aller  contre  ses  ennemys  " , 
permit  de  constater  la  présence  de  vingt-six  vaisseaux 
ronds,  capables  de  porter  plus  de  dix  mille  hommes  (4). 
Il  ne  manquait,  pour  constituer  l'armée  navale,  qu'une 
demi-douzaine  de  ces  galions  propres  à  tout  faire,  battre 
à  fleur  d'eau,  raser  la  côte  ennemie,  remorquer  les  grosses 
nefs  pour  doubler  une  pointe;  de  ces  canonnières,  éclai- 
reurs  et  remorqueurs  tout  à  la  fois,  qu'il  était  si  facile  de 
se  procurer  dans  le  Levant  (3). 

Au  lieu  de  s'aborder  à  visage  découvert,  les  deux  adver- 
saires masquèrent  leur  mutuelle  agression,  l'un  en  prê- 
tant appui  aux  bannis  génois  et  lombards,  l'autre  en 
secondant  les  prétentions  de  Henri  d'Albret  sur  la  Navarre 
espagnole  et  en  lançant  dans  les  Pays-Bas  Robert  de  La 
Marck.  Leur  échec  fut  égal.  En  juin  15!21,  André  de  Foix, 
seigneur  de  Lesparre,  un  instant  maître  de  Pampelune, 
était  battu  et  rejeté  en  France.  Bonnivet,  il  est  vrai,  répa- 
rait cette  défaite  en  investissant  tout  à  coup  Fontarabie, 

(1)  Lettre  de  François  I'"'  à  Du  Chillou.  12  décembre  1520  (Stcphano  de 
Merval,  Documents  relatifs  a  la  fondation  du  Havre,  p.  199). 

(2)  Nefs  Grande-Françoise  (1500  tonneaux  de  port,  autant  d'houimes), 
Grande  nef  d'Ecosse  (1000  t.),  Grant-Lojse  (800),  Princesse  (700),  Xefs 
de  Rouen  (700),  La  Rochelle  (600)  et  Orléans  (500),  Marquerile  d'Ecosse 
(450),  Hermine  (400),  Jacques  d'Ecosse  (350),  Pensée  (140),  nef  de  Parent 
(300),  Christophe  (160),  barques  Daulphine  (140),  vice-atnirale  (90),  trois 
nefs  de  Groix  (300  tonneaux  chacune),  Petite-Lojse  (150),  nef  de  Mailly 
(150),  trois  nefs  de  Penmarch  et  Pouldavid  (240  tonneaux  chacune),  Bonnc- 
Adventiire  «  qui  fut  au  capitaine  Chavouay  »  ,  sic  pour  Chanoy  (200). 

(3)  Inventaire  de  peu  postérieur  à  la  mort  de  Chanoy,  soit  à  1520 
(B.  N.,  Clalrambaull  326,  fol.  555). 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"  ET    DE    CHARLES-QUINT.     169 

que  sa  forte  assiette  entre  la  mer,  la  rivière  d'Hendaye  et 
les  montagnes  faisait  passer  pour  imprenable  (1).  L'escadre 
de  Bretagne,  dont  le  pavillon  amiral  flottait  sur  la  Grande 
nef  d Ecosse,  devait  seconder  les  travaux  du  siège,  en  inter- 
ceptant toutes  relations  des  assiégés  avec  Pasage  et  Saint- 
Sébastien.  Las  d'attendre  le  vice-amiral  Lartigue  (2),  Bon- 
nivet  donna  l'assaut  et  emporta  la  place  (3). 

Les  impériaux,  de  leur  côté,  s'étaient  flattés  d'enlever 
Gènes  par  escalade,  avec  le  concours  des  bannis  génois  du 
parti  des  Adorno  et  de  huit  cents  hommes  embarqués  à 
Gaète.  Mais  dès  que  parurent  à  l'entrée  du  môle,  comme 
naissait  l'aube  du  28  juin,  les  sept  galères  et  les  quatre 
brigantins  de  Paolo  Vcttori,  la  carraque  de  garde  ouvrit 
sur  eux  un  feu  si  vif  qu'il  leur  fallut  battre  en  retraite 
dans  la  direction  de  Recco  (4).  Nous  restions  maîtres  de 
Gênes,  dans  l'instant  où  Lcscun  repoussait  sur  les  terres 
de  l'Eglise  les  partisans  de  Francesco  Sforza. 

Le  malheureux  roi  de  France,  dans  l'alliance  contractée 
avec  Léon  X,  s'était  laissé  duper.  Le  pape  avait  prêté  aux 
exilés  lombards  de  l'argent  et  ses  galères  aux  bannis  génois. 
Il  signait  un  traité  secret  d'alliance  avec  l'empereur  (5) ,  qui 
recevait  l'investiture  du  royaume  de  Naples.  Par  la  faute 
du  pape,  la  flotte  que  François  I"  destinait  à  la  défense  de 
Rhodes   (6)   était  retenue  pour  la  garde  de  nos  côtes;  et 

(1)  Lettre  de  Bonnivet.  Camp  devant  Fontarabie,  9  octobre  1521  (B.  N., 
Clairainbault  321,  fol.  153). 

(2j  Qui  avait,  dès  le  mois  de  juillet,  armé  quatre  grands  vaisseaux  du  roi 
à  Brest  (B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  102).  —  Lartigue  fut  rejoint  par  six  vais- 
seaux et  six  barques  que  le  gouverneur,  Guy  de  Laval,  avait  armés  au 
Blavet,  et  par  un  contingent  de  l'amirauté  de  Guyenne.  Lettre  de  Guy  de 
Laval.  Au  Blavet,  26  août  (B.  N.,  Franc.  2971,  fol.  134). 

(3)  Belcariu.s,  liv.  XVI,  c.  37. 

(4)  Lettre  de  Battista  Fregoso  au  roi.  28  juin  (B.  N.,  Franc.  2961,  fol.  12). 
—  Lettre  d'Ottaviano  Fregoso  à  Robertet.  Gênes,  28juin(B.N.,  Franc.  2933, 
fol.  178). 

(5)  8  mai  1521. 

(6)  Les  onze  vaisseaux  de  Navarro  (S.\xrTO,  t.  XXXIV,  col.  250). 


170  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

après  une  croisière  fructueuse  aux  Baléares  (Ij,  Frère  Ber- 
nardin de  Baux  massait  ses  dix-neuf  bâtiments  dans  le 
golfe  de  La  Spezia.  tant  pour  couvrir  Gênes  que  pour 
menacer  Gaète  et  Naples  (:2) . 

Tour  à  tour  allaient  tomber  devant  la  froide  réalité  les 
illusions  généreuses  du  roi-chevalier.  Crédule,  il  eut  con- 
fiance dans  les  négociations  qui  s'ouvrirent  à  Calais,  le 
4  août  1521,  sous  le  patronage  de  l'Angleterre;  il  eut  foi 
dans  le  rôle  d'arbitre  et  de  justicier  que  s'attribuait 
Henri  YIII  ;  la  partialité  du  cardinal  Wolsey,  qui  repré- 
sentait son  maître,  éclata  pourtant  dès  le  début,  quoi  que 
fît  le  chancelier  Duprat  pour  éviter  de  donner  prise  à  la 
malveillance  britannique.  Dès  l'annonce  que  l'embargo 
avait  été  mis  sur  les  navires  normands  pour  passer  d'ur- 
gence en  Ecosse  le  régent  Stuart  dAlbany  (3),  Duprat 
n'envoyait-il  pas  au  roi  cette  remontrance  sévère  :  Quelle 
imprudence!  Si  les  Anglais  viennent  à  le  savoir,  ils  se 
déclareront  contre  nous  (4). 

L'opinion  britannique,  hélas!  était  faite.  Sept  jours  avant 
l'ouverture  de  la  conférence  de  la  paix,  Henri  YHI  parlait 
d'aviser  avec  l'empereur  «  aux  moyens  de  détruire  la  flotte 
du  roi  très  chrétien  "  par  une  de  ces  surprises  perfides  qui 
trouvent  l'adversaire  désarmé  (5).  François  I"  eut  vent  que 

(1)  Le  25  août,  Bernardin  de  Baux  croisait  dans  les  mers  de  Majorque  et 
Iviça  et  faisait  des  prises  qu  il  ramenait  à  Toulon  pour  ravitailler  les  quatre 
galères  de  Doria.  Lettre  de  Bernardin  de  Baux  à  Robertet.  Lyon,  27  dé- 
cembre (B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  100). 

(2)  Lettre  de  Naples,  2  novembre  (Saxt-to,  t.  XXXII,  col.  151). 

(3)  Lettre  de  François  I'''  au  vice-amiral  Du  Chillou.  16  juillet  1521  (Sté- 
phane DE  Merval,  Documents  relatifs  a  la  fondation  du  Havre,  p.  200). 
—  Le  duc  d'Albanv  arriva  en  Ecosse  le  30  octobre  sur  trois  vaisseaux, 
normands  (Lctters  and  papers...  of  Heniy  VIII,  éd.  Brewer,  t.  IV. 
n°  1595) 

(4)  B.  N.,  Clairambault  318,  p.  36. 

(5)  Lettre  de  Richard  Paco  à  Wolsey  (28  juillet)  et  de  Wolsey  à 
Henry  VIII  (4  août).  {^State  papers  during  the  reiqn  of  Henry  the  Eighth. 
London,  1830,  in-8%  t.  I,  p.  23,  31). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    i"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     171 

le  coup  ctait  dirigé  contre  le  Havre-de-Grâce  et  contre  l'es- 
cadre qui  v  stationnait.  Il  y  fit  mener  des  canons  de  Rouen  (1), 
tandis  que  le  vice-amiral  Du  Ghillou  organisait  un  service 
de  navires  éclaireurs  pour  prévenir  à  temps  les  cinq  cents 
cavaliers  et  les  quatre  mille  piétons  de  la  garde-côte  lo- 
cale (2).  La  surprise  n'eut  pas  lieu.  Ré,  Belle-Isle,  le  Croi- 
sic,  Ouessant  échappèrent  également  à  l'attaque  d'un  an- 
cien dominicain,  qui  avait  un  moment  commandé  les  galères 
pontificales,  Pedro  de  Bobadilla  (3).  Une  tempête  jeta  ses 
vaisseaux  sur  les  côtes  de  fer  de  la  presqu'île  armoricaine  : 
du  sien,  personne  n  échappa  à  la  mort  (4). 

La  conférence  de  Calais  se  dénoua  sans  amener  la  paix, 
tout  au  contraire.  Au  lendemain  de  son  échec,  l'empereur, 
le  pape,  le  roi  d'Angleterre  s'unissaient  contre  la  France  et 
s'engageaient,  par  le  traité  secret  du  24  novembre,  à  nous 
attaquer  simultanément  par  les  Pyrénées,  les  Alpes  et  la 
Picardie.  La  curée  de  la  France  était  fixée  au  mois  de  mars 
L523  (5).  Le  29  mai  L")22,  Henri  YIII  nous  déclarait  la 
guerre,  à  la  suite  d'une  entrevue  avec  Charles-Quint,  qui 
avait  passé  de  sa  personne  à  Douvres  sur  la  flotte  de  l'ami- 
ral Ugo  de  Moncada  et  du  rentmaître  de  Zélande  Adolf 
Harduick  (6). 


(i)  Lettres  de  François  I"  aux  échevins  de  Rouen.  15  septembre  (BorÉly, 
Histoire  du  Havre.  Le  Havre,  1880,  in-8",  t.   I,  p.  474). 

(2)  Haifleur,  3  octobre  (B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  74). 

(3)  Avis  d'Espagne  (B.  IN.,  Franc.  3897,  fol.  217)  :  l'escadre,  armée  à 
Pasages,  comprenait  neuf  grosses  nefs,  dix  pinasses  et  1500  hommes  de 
guerre. 

(4)  P,  Martir  de  Asgleri.\,  Opus  Episfolannu,  epist.  758. 

(5)  Lk  Glay,  Négociations  (liptoinatif/nes  entre  la  France  et  l'Autriche. 
Paris,  1845,  in-4°  (Coll.  des  doc.  inédits)  t.  II,  p.  585. 

(6)  Mai  1522.  Les  comptes  d'armement  de  cette  flotte  se  trouvent  à  la 
B.  N,,  Franc.  2809. 


172  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

II 
LA    PATRIE   EN    DANGER 

La  patrie  était  en  danger!  Aux  bonnes  villes,  le  roi 
demanda  des  volontaires  (I),  au  cierge  des  subsides  (2), 
aux  armateurs  leurs  bâtiments  prêts  à  tout  effort  qu'il 
serait  besoin  :  »  Le  temps  est  tel  qu'il  faut  pour  que  cha- 
cun s'esvertue  à  faire  service  et  garder  son  pavs  :  quand 
Dieu  nous  aura  donne  une  bonne  paix,  le  roy  n'oul)licra 
ses  bons  serviteurs  (3)  " . 

Ah!  l'admirable  pays  que  la  France!  Dès  qu'eut  retenti 
aux  frontières  maritimes  le  tocsin  d'alarme,  tous  se  levèrent. 
A  Dieppe,  un  armateur  dont  j'aurai  l'occasion  de  retracer 
l'histoire,  Ango,  et  son  gendre,  de  Bures,  firent  des  prépa- 
ratifs si  grands,  que  la  princesse  Marguerite  de  Navarre 
les  félicitait  avec  chaleur  de  servir  «  merveilleusement  fort 
le  roy  sur  le  faict  de  la  marine  et  guerre  de  mer,  le  tout  à 
leurs  propres  coûts  et  despens  »  (4).  Pareillement  agirent 
les  armateurs  roucnnais;  sous  la  direction  du  vicomte  mu- 
nicipal, Alonce  de  Giville,  ils  équipèrent  pour  la  défense 
du  rovaume  (5)  toute  une  escadre,  où  l'un  d'eux,  Jacques 

(1)  1500  volontaires  à  Paris,  1000  à  Rouen,  d'autres  à  Bayonne,  que 
sais-je.  Lettre  du  roi  aux  Bayonnais.  3  février  1522  (^Archives  municipales 
de  Bayonne,  Registres  gascons,  t.  I,  p.  341). 

(2)  Douze  cent  mille  livres.  24  juillet  1523  (B.  N.,  Franc.  25720, 
fol.  235).  —  Une  aide  avait  été  déjà  levée  sur  le  clergé  breton  pour  la  mise 
en  état  de  défense  des  ports  de  Bretagne.  14  janvier  1523  (Archives  nal., 
J.  939,  n'Ô). 

(3)  Lettre  chiffrée  adressée  au  roi  (B.  N.,  Clairainbault  322,  fol.  317). 

(4)  1526  (GÉxiN,  Recueil  de  lettres  inédites  de  Marguerite  dWngoulènie, 
j-eine  de  Navarre.   Paris,     1841,  in-8'). 

(5)  François  l"  fait  verser  20000  livres  à  Alonce  de  Giville  et  à  ses 
co-armateurs  pour  les  navires  équipés  en  1524,  afin  de  défendre  le  royaume 
(Catalogue  des  actes  de  François  I",  t.  VIT,  p.  745). 


RIVALITÉ    DE    FRAINÇOIS    1"  ET    DE    CHARLES-QUINT.     173 

de  Civille,  s'illustra  (Ij.  Au  Havre-de-Grâce,  directement 
menacé  par  les  croisières  ennemies,  tous  s'étaient  mués  en 
corsaires,  depuis  le  vice-amiral  Du  Ghillou,  jusqu'à  «  Tar- 
chitecteur  "  du  port,  Michel  Féré,  jusqu'à  des  gentils- 
hommes, comme  d'Estimauville  et  Cardin  d'Esqueville- 
Bléville  (2),  et  nous  verrons  ailleurs  quels  furent  leurs 
exploits  sous  le  commandement  du  capitaine  Jean 
Fleury  (3) . 

Car  c'était  par  escadrilles  légères  qu'opéraient  nos  cor- 
saires. Avec  sept  petits  bâtiments  seulement,  caravelles  ou 
chaloupes,  les  marins  Du  Croisic,  commandés  par  Guil- 
laume Le  Béquet,  n'avaient  pas  craint  de  stationner  au 
large  du  cap  Finisterre,  où  leurs  attaques  à  l'abordage, 
poignard  à  la  main,  étaient  irrésistibles,  mais  effroyables  : 
de  leurs  prisonniers,  «  ils  pendaient  les  aucuns  par  les  gé- 
nitoires,  baillaient  ribaudes  par  la  teste  aux  autres,  leur 
faisant  sortir  par  les  bouches  et  oreilles  grant  effusion  de 
sang  (4)  1)  .  Terrible  façon  d'agir  qu'un  amiral  appelait 
galamment  une  manière  de  «  gaigner  son  advovne  »    (5). 

Pour  diriger  le  magnifique  élan  patriotique  de  nos 
marins,  un  chef  manquait.  L'amiral  Gouffier  de  Bonnivet 
n'était  qu'un  courtisan,  le  vice-amiral  de  Bretagne  un  spé- 
cimen du  népotisme,  qui  a  toujours  sévi  en  France.  Cons- 
cient de  son  insuffisance,  Pierre  de  Bidoux,  sieur  de  Lar- 
tigue,  réclamait  instamment  le  rappel  de  son  oncle,  le 
fameux  Prégent  (0),  qui  eût  sans  doute  sauvé  la  situation, 

(i)  GossELix,  Documents  autheiitir/ues  et  inédits  pour  servir  à  l' histoire 
lie  la  marine  normande  et  du  commerce  rouennais  pendant  les  xvi°  et 
wn"  siè<-les.  Rouen,  1876,  in-S",  p.  74. 

(2)  Ibidem,  p.  71. 

(3)  Cf.  le  chapitre  Anijo  et  la  liberté  des  mers. 

(4)  Lettres  patentes  de  François  I"  (B.  N.,  Franc.  5086,  fol.  143). 

(5)  Lettre  de  l'amiral  Chabot  à  Alain  de  Guengat.  12  juin  1527  (Du 
CnKST  LE  Villeneuve,  Alain  de  Guenqat,  vice-amiral  de  Bretagne,  dans  le 
Bull-  de  la  Soc.  archéol.  du  Finistère  (1897)  p.  173). 

(6)LeUre  de  Larti<;ue.  Brest,  16juiilct   1521]  (B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  102). 


174  HISTOIRE    UE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

mais  que  retenait  à  la  défense  de  Rhodes  son  devoir  de 
chevalier.  Vainement,  François  I"  Tavait  réclamé  au  grand 
maître  de  l'Ordre,  en  ajoutant  galamment  toutefois  cette 
clause,  "  si  vous  et  vostre  dite  religion  se  povoient  passer  « 
de  lui  (Ij.  Plus  capable  que  son  collègue,  sans  avoir  Ten- 
vergure  d'un  grand  homme  de  guerre,  le  vicc-amiral  Guyon 
Le  Roy,  sieur  Du  Chillou  et  ancien  capitaine  du  Groisic  (2), 
nous  avait  dotés,  sur  la  Manche,  d'une  base  d'opérations 
navales,  conçue  selon  les  derniers  perfectionnements  des 
ports  méditeri'anéens  (3). 

Le  1"  mars  1517,  un  rassemblement  insolite  avait  eu 
lieu  dans  un  terrain  marécageux  voisin  du  Chef  de  C-aux. 
Tout  ce  que  la  région  comptait  d'officiers  royaux  ou  muni- 
cipaux, de  capitaines  de  navires  et  de  maîtres-maçons 
avait  répondu  à  la  convocation  du  vice-amiral  Du  Chillou. 
Le  baptême  auquel  ils  étaient  conviés  était  celui  d'un  nou- 
veau port,  depuis  longtemps  réclamé  par  nos  marins  (4), 
dans  la  patte  d'oie  que  forment,  à  travers  les  atterrisse- 
ments  de  la  mer,  les  méandres  de  la  Seine.  Sous  les  yeux, 
et  avec  l'avis  des  assistants,  fut  tracé  et  jalonné  par  des 
pieux  le  périmètre  du  port,  ainsi  que  le  canal  qui  devait  y 
déverser  les  eaux  de  la  rivière  de  Harfleur  fa).  Les  travaux 
de  maçonnerie,  mis  le  surlendemain  en  adjudication,  de- 
vaient être  achevés  en  cinq  mois.  Ils  durèrent  six  ans.  La 
construction  d'un  port  de  guerre  revenait  alors  à  quatre 

(i)  Lettre  au  grand  mailic.  18  novembre  1519  (B.  JN.,  Franc.  5761, 
fol.  210). 

(2)  Il  était  capitaine  du  Croisic  en  1496  (B.  IN.,  Franc.  8310, 
fol.  235  V"). 

(3)  Nommé,  le  7  février  1517,  commissaire  général  pour  la  construction 
du  nouveau  port,  l'amiral  Bonnivet  avait  passé  la  main,  dès  le  12,  à  son 
vice-amiral. 

(4)  Déclaration  de  maître  iSicole  Karadas  aux  Etats  de  Normandie, 
9  mai  1515  (Ed.  BorÉly,  Oriqinc  et  fondation  de  la  ville  du  Havre,  dans 
la  Revue  historique,  t.  XIV  (1880),  p.  299). 

(5)  Stephano  de  Merval,  Bocunicnts   relatifs   à   la  fondation   du   Havre, 

p.  25. 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.      175 

cent  mille  francs  :  encore  le  vice-amiral  de  Bretagne  offrait- 
il  de  prouver  qu'on  en  avait  volé  cent  mille  (1).  De 
Franciscopolis,  l'usage  ne  retint  point  le  nom  de  baptême 
—  bien  que  le  parrain  fût  le  roi  —  mais  consacra  le  nom 
populaire  de  Havre-de-Gràce,  tiré  du  vocable  d'une  cha- 
pelle voisine.  Avant  même  que  «  l'architecteur  »  Michel 
Féré,  de  Honfleur,  eût  achevé  avec  une  a  ingénieuse 
solercie  (2)  »  les  deux  môles  et  leurs  bastions,  les  jetées 
intérieures,  les  bassins  et  les  épis  sur  la  mer,  le  Havre-de- 
Grâce  abrita  tel  quel  notre  escadre  de  la  Manche  (3). 

Ancrés  jusque-là  dans  la  rade  de  Villerville  près  de  Hon- 
fleur, nos  grands  vaisseaux  y  fatiguaient  tellement  par  la 
tourmente  que  la  Louise,  bâtiment  amiral,  abordée  succes- 
sivement par  la  Nef  de  Bordeaux  et  par  La  Grande  Nef 
d'Ecosse,  avait  eu  quatre  de  ses  canons  d'avant  brisés  (4). 
Les  vaisseaux  continuèrent  à  être  entretenus  par  leurs  capi- 
taines, moyennant  une  indemnité  annuelle  de  trente-cinq 
sols  par  tonneau  (5).  Mais  plusieurs  capitaines  s'étant 
plaints  d'être  lésés  dans  leurs  gages,  parce  que  le  tonnage 
de  leurs  bâtiments  était  supérieur  à  l'estimation  des  comp- 
tables, l'amiral  Gouffier  de  Bonnivet  fit  procéder  à  une 
revision  de  la  jauge  pour  toute  la  flotte  royale  (6). 

(1)  Ernest  DE  FrÉville,  Mémoire  sur  le  commerce  maritime  de  Rouen, 
t.  II,  p.  408. 

(2)  B.  N.,  Franc.  5692,  fol.  5,  138.  —  Henri  Steix,  Michel  Féré,  créa- 
teur du  port  du  Havre.  Paris,  1905,  iu-8",  extrait  de  la  Revue  des  études 
historicjues. 

(3)  Estimation  de  la  dépense  à  faire  pour  amener  la  Granl-Loyse  et  la 
ne(  Princesse  au  Havre-de-Gràce  (Archives  du  Havre,  EE  79). 

(4)  «  L'inventère...  de  lagrant  nef  nommée  la  Lojse.  »  18  novembre  1516 
(Archives  du  Havre,  EE  79). 

(5)  Louis  de  Bigars,  capitaine  et  garde  de  la  nef  royale  Françoise  d'Or- 
léans, de  450  tonneaux  de  port,  reçoit  792  livres,  15  sols,  pour  ses  gages 
Il  au  feur  de  xxxv  sols  tournois  pour  chascun  tonneau,  dont  ladite  nef  a 
esté  trouvée  de  port.  »  2  janvier  1518  (B.  N.,  Pièces  orig.  340,  doss.  Bigars, 
P-  38). 

(6)  Lettre  de  l'amiral  au  vice-amiral  Guvon  Le  Hoy.  seigneur  Du  Chillou. 
8  mai  1518  (Archives  du  Havre,  EE  78). 


176  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRAXÇAISE. 

L'escadre  du  Havre  s'était  accrue  de  plusieurs  vaisseaux 
nevifs,  achetés  par  le  roi,  l'amiral  et  le  vice-amiral  (l)  ;  et 
dans  le  chantier  tout  proche  de  Leure  (2),  s'achevait  le 
plus  fort  bâtiment  que  notre  marine  de  guerre  eût  encore 
possédé,  "  la  plus  triomphante  chose  que  jamaiz  marinier 
vit  (3),»  la  grande  neî  Françoise,  de  quinze  cents  tonneaux 
de  port  et  deux  mille  hommes  de  contenance  (4). 

Une  aussi  belle  proie  ne  tenta  point  les  Anglais.  Sur 
une  dépêche  du  gouverneur  de  Guernesey,  que  les  îles 
anglo-normandes  étaient  sous  le  coup  d'une  attaque  du 
vice-amiral  Lartigue,  l'amiral  Thomas  Howard  quitta  pré- 
cipitamment les  Dunes  à  la  tête  d'une  division  anglo-espa- 
gnole et  prit  la  direction  de  l'archipel.  Une  tentative  contre 
Cherbourg  (5),  après  débarquement  devant  Urville-Hague, 
n'eut  aucun  succès.  En  Bretagne,  l'attaque  fut  plus  heu- 
reuse :  Saint-Pol-de-Léon  fut  insulté,  quatorze  vaisseaux 
et  de  nombreux  bateaux  brûlés  (6j,  Morlaix  surpris  et 
incendié  le  1"  juillet,  comme  la  population  était  à  la  foire 
de  Noyai.  Mais  partout,  après  un  moment  d'une  surprise 
bien  naturelle  devant  l'apparition  de  deux  cents  voiles,  le 
peuple  se  reprenait  et  faisait  "  si  grande  et  vertueuse  résis- 

(i)  L'amiral  avait  acheté  la  nef  Saiiit-Françoii  et  le  vice-amiral  la  nef 
Saint-Laurent,  toutes  deux  à  Michel  Féré.  19  mars  et  20  octobre  1517 
(Stephano  de  Mkrval,  p.  8,  note  1.)  —  Le  roi  avait  acheté  la  nef  l'Her- 
mine, payée  15000  livres  à  Rij^ault  de  Berquetot.  Rouen,  18  août  1517 
(B.  N.,  Pièces  orig.,vol.  307,  dossier  Berquetot,  p.  2),  et /a  fiarie  (Archives 
du  Havre,  EE  78). 

(2)  2875  livres  sont  versés  pour  le  parachèvement  de  la  Françoise, 
28  février  1521  (B.  N.,  Franc.  25720,  fol.  167). 

(3)  B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  76. 

(4)  B.  IS.,  Clairambault  326,  fol.  555.  —  Cf.  supra  (t.  II,  p.  473)  la 
description  de  la  Grande-Françoise  d'après  Guillaume  de  Marceilles. 

[h)  Letters  and  papers...  of  Henry  VIII,  éd.  Brewer,  t.  III,  n"  2296, 
2329,  2357.  —  G.  Dupokt,  Histoire  du  Cotenlin  et  de  ses  îles,  t.  III, 
p.  230. 

(6)  Lettre  de  Marguerite  de  Navarre.  23  juin  1522  [Calendar  of  letters, 
despatches  and  State  papers  relatin  q  la  the  ncgotiations  between  En  gland 
and  Spain,  prescrved  at  Simancas,  éd.  Bergenrotu  and  Gavaxgos.  Londres, 
1868,  in-8",  t.  II,  p.  466). 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT,     ni 

tance  »  que  jamais  les  ennemys  «  n'eurent  la  hardiesse  de 
demeurer  (1)  ». 

Force  dintcrrompre  sa  croisière  pour  aller  reconduire  à 
Santander  l'empereur  Charles-Quint,  l'amiral  anglais  laissa 
en  observation  devant  Dieppe  et  le  Havre  lescadre  de  Lezr 
cano.  Il  était  persuadé  que  deux  mille  aventuriers,  en 
partie  écossais,  qui  s'étaient  embarqués  dans  ces  deux 
ports  sur  une  vingtaine  de  bâtiments,  allaient  se  jeter  sur 
Jersey  et  Guernesey  (2).  Leur  destination  était  tout  autre. 

En  Ecosse,  la  guerre  était  engagée  (3).  Placé  dans  l'al- 
ternative d'entraîner  son  pays  dans  les  périls  d'un  conflit 
ou  d'abandonner  la  France,  le  régent  John  d'Albany  n'avait 
point  hésité,  malgré  les  murmures  de  son  peuple,  qui  se 
plaignait  de  ne  se  battre  que  pour  autrui  (4).  Il  nous 
demandait  seulement,  aux  termes  du  traité  de  Rouen,  l'ap- 
point de  deux  mille  deux  cents  hommes  (5). 

Le  duc  d'Albany  avait  la  foi  robuste  des  utopistes.  Il 
voyait  l'Angleterre  en  feu;  notre  hôte,  Richard  de  La  Pôle, 
duc  de  Suffolk,  relèverait  l'étendard  de  la  Rose-Blanche,  et 
deux  ennemis,  le  Danemark  et  la  Hanse,  feraient  la  paix 
pour  unir  leurs  forces  navales  sous  le  drapeau  du  prétenr 
dant  britannique  (6).  Séduite  par  un  programme  basé  sur 
la   mobilité    humaine,    notre  diplomatie   agit  en  ce   sens, 


(1)  Lettres  de  François  I"  relatant  la  campagne  navale  des  Anglais 
(B.  N.,  Franc.  25720,  fol.  2i3). 

(2)  Calend'ar...  Henry  VIII,  t.  III,  n°  2434  :  il  août.  —  Clowks,  The 
royal  Navy,  t.  I,  p.  458.  —  Les  vaisseaux  royaux,  alors  stationnés  à 
Dieppe  et  au  Havre,  étaient  les  nefs  Grande-Louise,  Princesse,  Nef  d'Or- 
léans, Ermine,  Pensée,  Barbe  et  la  barque  Dauphine  (Stepliano  de  Mkrval, 
p.  205). 

(3)  Lettre  de  John  d'Albany  à  François  I".  5  février  1522  (Alexandre 
Teuleï,  Relations  polilic/ues  de  la  France  et  de  l'Espagne  avec  l'Ecosse  au 
XVI'  siècle.  Paris,  1863,  in-8°,  t.  I,  p.  29). 

(4)  Lettre  du  même.  17  avril  (Ibidem,  p.  33). 

(5)  Traité  de  Rouen  entre  la  France  et  l'Ecosse.  26  août  1517  [Ibidem, 
p.  5). 

(6)  Lettre  du  duc  d'Albany.  17  avril  [Ibidem,  p.  34).  . 

in.  12 


nS  HISTOIRE  DE    LA    MARINE    FRANÇAISE, 

mais  en  vain.  Le  Danemark  ne  nous  montrait  aucune 
reconnaissance,  la  Hanse  aucun  désir  de  se  faire  rembourser 
de  créances  anglaises.  Le  duc  Frédéric  de  Schleswig-Hol- 
stein  lui-même,  prié  de  faire  honneur  au  traité  d'alliance 
qui  le  liait  à  nous  fl),  ne  mit  à  la  disposition  du  duc  de 
Suffolk  ni  ports  ni  flotte  de  guerre  (2). 

Il  n'était  pas  jusqu'aux  Ecossais  qui  menaçaient  de  nous 
lâcher.  Les  secours  promis  de  France  n'arrivaient  pas. 
Leur  retard,  motivé  par  les  croisières  britanniques,  inquiéta 
tellement  le  régent,  qu'il  n'hésita  point  à  s'embarquer  le 
L4  octobre  1522  pour  venir  les  quérir. 

L'escadre  normande  était  pai'alysée  par  la  croisière  de 
Lezcano.  L'escadre  bretonne  chargée  de  pourvoir  au  ravi- 
taillement de  Fontarabie  était  en  panne  à  La  Rochelle. 
Pour  faire  déloger  de  là  le  vice-amiral  Lartigue  (3),  le  roi 
dut  envoyer  en  diligence  son  valet  de  chambre,  avec  ordre 
de  ne  point  quitter  la  ville  que  l'escadre  ne  fut  en  mer  (4). 
El  comme  Lartigue  ne  se  sentait  pas  en  forces  pour  aller  de 
l'avant,  il  fallut  que  les  capitaines  de  vaisseau  Antoine  de 
Conflans  et  Bertrand  de  Thillv,  dit  Lespargne,  vinssent  le 
renforcer  avec  une  cinquantaine  de  pinasses  de  Guyenne  (5). 


(1)  Traité  du  19  mai  1518  (Arcliivcs  nat.  J,  Qdô^,  n°  2,  publié  dans  le 
Recueil  des  actes  de  François  I" ,  t.  II,  n"  158). 

(2)  Instructions  de  François  \"  à  Thierry  van  Rend,  envoyé  en  Hol- 
tein  (23  juin  1522).  Le  Ilolstein  aurait  servi  à  Richard  de  La  Pôle  de  base 
d'opérations  navales  (Archives  nat.,  J  995''). 

(3)  Capitaine  de  la  Grande  nef  d'Ecosse,  il  avait  reçu  charge  de  con- 
duire les  navires  armés  en  Bretagne,  dont  les  capitaines  lui  devaient  obéis- 
sance comme  aux  amirau.v  de  France  et  de  Bretagne.  Fontainebleau, 
14  mars  1522  (^Catalogue  de  livres,  pièces  historiques...  vendus  le 
31  mais  1884,  par  A.  Voisin.  Paris,  n°  201.)  Entre  autres  navires,  la 
Bonne-Aventure  et  le  Jésus-Maria  étaient  sous  ses  ordres  (B.  N.,  Franc. 
19822,  fol.  178). 

(4)  Mémoire  de  François  I"  à  son  valet  de  chambre  Feau.  30  novembre 
(B.  N.,  Clairambault  323,  fol.  145). 

(5)  Mandement  du  roi  aux  deux  capitaines  d'arrêter  à  La  Rochelle,  aux 
Sables  d'Olonne,  etc.,  40  ou  50  pinasses  du  port  de  50  tonneaux.  20  dé- 
cembre (Dépôt  des  cartes  et  plans  de  la  marine  87^,  t.  1,  n.  16). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    C  H  AR  LESQ  U  I  NT.     179 

"Toute  l'Europe  se  ligue  contre  moi,  disait  fièrement  le 
vainqueur  de  Marignan  (l)  ;  eh  bien!  je  ferai  face  à  toute 
l'Europe.  Je  ne  crains  point  l'empereur  :  il  n'a  pas  d'ar- 
gent; —  ni  le  roi  d'Angleterre  :  ma  frontière  de  Picardie 
est  fortifiée;  —  ni  les  Flamands  :  ce  sont  de  mauvaises 
troupes.  — Pourritalie,  c'est  mon  affaire,  et  je  m'en  charge 
moi-même.  " 

De  tous  ses  adversaires,  le  plus  redoutable  était 
Henri  VIII;  mais  Henri  YIII  le  redoutait.  Le  long  des  côtes 
méridionales  de  l'Angleterre,  un  cordon  de  vingt-cinq  mille 
soldats,  éclairés  par  la  flotte  de  l'amiral  Howard,  se  tenait 
prêt  à  repousser  l'attaque  de  Richard  de  La  Foie  et  des 
derniers  partisans  de  la  Rose-Blanche;  une  autre  armée, 
dirigée  contre  l'Ecosse,  repousserait  l'agression  du  duc 
d'Albany  et,  conjointement  avec  une  escadre  de  quatre 
mille  combattants,  envelopperait  Edimbourg.  Henri  VIII 
ne  comptait  envahir  la  France  qu'après  s'être  mis  lui- 
même  à  l'abri  de  nos  coups  (2). 

Il  avait  percé  à  jour  notre  plan  de  campagne,  qui  était, 
avec  le  concours  de  Richard  de  La  Foie  (3)  et  du  duc  d'Al- 
bany, de  tenter  la  conquête  de  l'Angleterre  par  trois  points 
à  la  fois,  sans  parler  des  iles  anglo-normandes  (4).  Et  nous 
étions  en  mesure  de  la  mener  à  bien.  Fasses  en  revue  par 
l'amiral  de  Bonnivet,  les  gens  des  côtes,  de  Dieppe  au 
Havre  seulement,  pouvaient  fournir  seize  mille  combat- 
tants (5)  ;  et  déjà  le  vice-amiral,  le  capitaine  de  Conflans 
et   le    contrôleur   de    la    marine    dressaient    un   devis    des 

(1)  Registres  du  Parlement  cités  par  Mignet,  t.  I,  p.  360-361. 

(2)  Dépêche  de  Louis  de  Praet  à  Cliarles-Quint.  20  janvier  1523 
(Archives  impériales  de  Vienne  :  Mignkt,  t.  I,  p.  388). 

(3)  Mandement  de  François  I".  11  juillet  1523  (B.  N,  Franc.  25720, 
fol.  233). 

(4)  Lettre  du  bailli  de  Jersev,  Lemprière.  1"  février  1523  (Dupont  His- 
toire (la  Cotentin,  t.   III,  p.  234). 

(5)  Lettre  de  Bonnivet  à  Alontmorency.  Dieppie,  16  février  1523  (B.  N., 
Clairambault  323,  fol.  243). 


180  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE, 

vivres  à  embarquer  pour  vingt  mille  hommes  (1).  Comme 
tous  les  devis  d'entrepreneurs,  il  péchait  par  l'exagération. 

IjC  corps  expéditionnaire  d'Ecosse,  rassemblé  à  Brest, 
comprit  cinq  mille  fantassins,  cent  gens  d'armes  et  six 
cents  chevaux,  avec  un  parc  d'artillerie.  Dirigé  par  le  duc 
d'Albany  en  personne,  que  Jean  de  Langeac  accompagnait 
à  titre  de  commissaire  royal  (2),  il  prit  passage  à  bord  de 
quatre-vingt-sept  bâtiments,  commandés  par  le  vice-amiral 
Lartigue  :  Lartigue  avait  pour  second  Vidal  de  Plantade, 
ancien  receveur  de  Pézenas  (3),  qui  avait  mué  sa  recette 
pour  la  capitainerie  générale  des  galions  d'Ecosse  (4).  La 
traversée  par  le  canal  de  Saint-Georges  se  fit  sans  encombre, 
le  capitaine  Anthony  Poyntz  n'ayant  qu'une  faible  escadre 
à  nous  opposer.  On  débarqua,  le  24  septembre,  à  Dumbar- 
ton,  près  d'un  roc  escarpé  assez  semblable  au  mont  Saint- 
Michel,  où  les  sauvages  highlanders  ralliaient  d  habitude 
les  clans  de  la  plaine.  On  les  trouva  un  peu  plus  loin,  à 
GlascoAv.  Escorté  par  eux,  notre  vice-amiral  conduisit  jus- 
qu'à Edimbourg  la  colonne  française  donnée  au  duc  d'Al- 
bany; puis  il  reprit  la  route  de  la  Bretagne  (5). 

Dès  le  printemps,  nous  avions  tenté  de  faire  passer  en 
Ecosse  des  secours  et  de&nouvclles.  Mais  le  grand  vaisseau 
qui  les  portait  se  heurta,  le  11  juin,  à  l'escadre  du  vice- 
amiral  Henry  Sherborne,  en  croisière  dans  la  mer  du  Nord. 
Il  se  défendit  vaillamment  et  ne  se  rendit  qu'après  avoir 
perdu   trois  cents  hommes.  Il  avait  infligé  à    l'ennemi   de 

(1)  Le  Havre,  3  avril  (Borély,  Histoire  du  Havre,  t.   I.  p.  475). 

(2)  B.  N.,  Dupuy  486,  fol.  191.  —  Franc    5500,  fol.   17()  v°. 

(3)  En  1520  (H.  iN.,  Pièces  orig.,  vol.   2296,  dossier  Plantade,  pièce  2). 

(4)  Certificat  de  chargement  de  divers  navires  menés  à  Brest  pour  le 
ravitaillement  de  la  liotte  du  duc  d'Albany.  Le  Havre,  27  août  1523  (Ste- 
pliano  i)K  Meuval,  p.  214). 

(5)  Mémoire  de  l'ancien  vice-amiral  Lartigue,  relatant  ses  campagnes. 
1543  (Letters  and  Papers...  of  Henry  VIII,  éd.  Brkwer,  t.  XVIII, 
2"  partie,  n°  541.  —  Francisque  Miguel,  Les  licossais  en  France  :  les 
Français  en  Ecosse,  t.  I,  p.  377). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"    ET    DE   CHARLES-QUINT.     181 

sanglantes  pertes;  durant  l'action,  Sherborne  ayant  été 
emporté  par  un  boulet,  le  capitaine  Christofer  Coo  avait 
dû  le  remplacera  la  tète  de  l'escadre  (1).  En  août,  douze 
autres  de  nos  bâtiments,  au  moment  de  franchir  le  pas  de 
Calais  avec  l'archevêque  de  Glascow  et  lavant-garde  du 
duc  d'Albany,  furent  rejetés  sur  Dieppe  et  Boulogne  par 
une  escadre  triple,  aux  ordres  du  vice-amiral  William 
Fitzwilliam.  Une  colonne  de  débarquement  de  quinze 
cents  hommes,  aux  ordres  des  capitaines  Brian,  Hopton  et 
et  Cary,  marcha  sur  le  Tréport,  que  la  flotte  investit. 
Repoussée,  elle  réussit  à  incendier  les  faubourgs  et  la  flot- 
tille en  rade,  ainsi  que  trois  vaisseaux  de  guerre  (2) . 

Fitzwilliam  balayait  ainsi  le  détroit,  afin  de  permettre 
à  l'armée  de  Brandon,  duc  de  Suffolk  et  l)eau-frère  de 
Henri  VIII,  de  traverser  en  toute  sécurité  le  pas  de  Calais. 
Nous  inquiétions  si  bien  jusque-là  les  communications  de 
l'ennemi,  que  les  bateaux  porteurs  de  dépêches  n'échap- 
paient à  nos  perquisitions  qu'en  immergeant,  au  bout  d'un 
fila  plomb,  leurs  plis  (3).  Pour  entraver  la  descente  des  An- 
glais, François  I"  avait  tenté  d'obstruer  le  chenal  de  Calais 
>en  y  faisant  couler  une  grosse  nef  chargée  de  pierres  (4). 
Suffolk  n'en  réussit  pas  moins  à  débarquer  ses  quinze  mille 
soldats  et  ses  gens  d'armes,  que  rejoignit,  le  4  septembre, 
la  cavalerie  impériale  de  Florent  dEgmont,  comte  de  Buren. 

Le  programme  de  la  coalition  s'accomplissait  de  point 
en  point.  La  France  était  envahie,  submergée  par  toutes 
ses  frontières,  la  Picardie,  la  Bresse,  les  Pyrénées.  Al'inté- 

(i)  Lettre  du  cardinal  Wolsey  à  Sampson.  31  août  1523  (Slate  papen; 
durinq  the  reign  of  Henry  the  Eiqhlk.  London,  t.  VI  (1849),  in-4", 
p.  172).  —  Coo  succéda  le  11  juin  à  Sherborne  [Lctlers  and  Papers...  of 
Henry  Mil,  t.  IV,  1^"^  partie,  n°*  83,  691). 

(2)  Lettre  de  Wolsty  du  31  août,  citée.  —  Leslik,  De  rebns  festis  Sco- 
torum,  t.  IX,  p.  406.  —  Clowes,    The  royal  Navy,  t.  I,  p.  459 

(3)  B.  N.,  DHpuy484,  foL  107. 

(4)  En  mai  (Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  François  I",  éd.  La- 
lanne,  p.  167j. 


1X2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

rieur,  éclatai L  la  trahison  du  chef  de  Tarmce;  le  connétable 
Charles  de  Bourbon  passait  à  l'ennemi.  La  capitale,  faute 
de  troupes  de  couverture,  était  à  la  merci  d'un  coup  de 
main.  Tout  semblait  perdu...  Tout  fut  sauvé.  L'armée 
anglaise,  attardée  devant  les  lignes  de  la  Somme,  dut  réin- 
tégrer Calais  à  la  fin  de  novembre  (1).  Bayonne  brisa  le 
torrent  de  l'invasion  espagnole,  grâce  à  la  résistance 
acharnée  de  Lautrec  {2).  Le  connétable  félon  était  en  fuite, 
les  coalisés  partout  en  retraite. 

En  Ecosse,  l'armée  indigène,  secondée  par  notre  contin- 
gent, avaitpassc  la  Tweed;  nos  troupes  avaient  déjà  donné 
l'assaut  à  la  forteresse  de  Wark,  quand  l'inondation  et 
l'arrivée  des  Anglais,  le  4  novembre,  les  obligèrent  à  rétro- 
grader. Sur  l'ordre  du  parlement  d'Edimbourg,  qui  crai- 
gnait la  dépense,  elles  durent  se  rembarquer  au  plus  rude 
de  l'hiver.  Quatre  ou  cinq  cents  hommes  allèrent  échouer 
et  périr  aux  Hébrides  (3j,  Langeac  et  Richard  de  Pellevé 
rapatrièrent  le  reste  (4). 

La  campagne  de  1523  avait  usé  les  efforts  des  Anglais. 
Elle  avait  été  stérile;  la  guerre  était  ruineuse;  Henri  VHI 
s  en  désintéressa.  Aux  grandes  opérations  navales  succéda 
la  guerre  de  course,  dans  laquelle  nos  marins  excellaient. 
Tel,  Jean  Leduc,  capitaine  de  la  Pensée  de  Dieppe,  enlevait 
après  un  sanglant  combat  le  navire  flamand  Saint-Jacques, 
dont  la  cargaison  de  boulets  et  de  canons  servit  à  compléter 
les  défenses  de  Rouen  (5).  Tel  autre,  Jeannot  de  Salingand, 
un  des  capitaines  de  l'expédition  de  Suède,  s'illustrait  par 


(1)  State  pajjers,  t.  VI,  p.  201. 

(2)  Dd  Bellat. 

(3)  Thorpe,  Caleudars  of  State  papers,  t.  I,  p.  15,  n°  -36.  — Francisque 
Michel,  Les  Écossais  en  France,  t.   I,  p.  377,  382. 

(4)  Commission  à  Richard  de  Pellevé  de  ramener  en  France  trois  cents 
hommes  de  guerre  envoyés  pour  la  protection  de  l'Ecosse.  21  novembre 
1523  {Cat.  fies  actes  de  François  I",  t.  VII,  p.  117). 

(5)  GossEUK,  Documents...  sur  la  marine  normande,  p.   74. 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"  ET    DE   CHARLES-QUINT.    1 8S 

certain  exploit  «au  droit  deCallaysi) ,  où  il  perdait  son  vais- 
seau, mais  gagnait  l'admiration  du  roi  (l).  Des  combats 
acharnés  se  livraient  dans  le  Pas-de-Calais  entre  les  Diep- 
pois  et  Tescadre  anglaise  du  Nord,  dont  le  commandant, 
Christofer  Coo,  essayait  de  couper  nos  communications 
avec  TEcosse.  Attaqués  par  lui,  deux  croiseurs,  la  Galère 
de  Dieppe  et  la  Alarie  de  Honfleur,  succombèrent  sous  le 
nombre.  Une  escadrille  de  terreneuviers,  au  contraire,  lui 
échappa,  à  quatre  bâtiments  près  :  c'était  encore  un  vais- 
seau dieppois,  le  Gynffon,  qui  s'était  sacrifié  pour  sauverle 
convoi;  il  avait  broyé  l'avant  du  navire  amiral  le  William 
d  York,  qui  coula  aussitôt;  et  avant  de  se  rendre,  il  avait 
semé  la  mort  dans  les  rangs  anglais  par  vine  pluie  de  feux 
d'artifices  (2j. 

L'heureuse  époque  pour  les  corsaires!  Une  proclamation 

de    l'amiral    leur   apprit   qu  ils   pouvaient  courir  sus  aux 

u  Vénitiens,  Romains,  Espaignols,  Flamens  et  autres  sub- 

jetz  du  roi  catholicque,  Millanoys,  Genevoys,  Florentins, 

Siennoys  et  Pisans,  et  pareillement  aux  Anglex  (3)  »  . 

Il  y  avait  tant  d'adversaires  et  si  peu  de  neutres  que  nos 
corsaires  commirent  plus  d'une  fois  des  méprises.  C'est 
ainsi  qu  Edouard,  u  comte  de  Frise  en  Orient,  »  s'adressait 
«  à  la  cité,  justice  et  peuple  de  Dieppe  "  pour  réclamer  la 
restitution  de  deux  bâtiments  capturés  dans  la  merde  Hol- 
lande (4). 

Le  vice-amiral  Du  Chillou,  à  bord  de  la  Grande-Louise, 
surveillait    la    sortie    des    trois    galéasses   vénitiennes    de 

(1)  Mandement  de  François  I",  25  mars  1524  (Catalogue  des  actes  de 
François  1%  t.  VII,  p.  120). 

(2)  Lettcrs  and  papers...  of  Henry  VIII,  t.  IV,  1"^"  p.,  n"  691  et  83. 
L'escadre  anglaise  du  nord  comprenait  seize  bâtiments. 

(3)  Lettre  de  l'amiral  de  Bonnivet  au  vice-amiral  Du  Chillou.  Lyon, 
8  août  1524  (Stephano  de  Merval,  Documents  relatif  s  à  l'histoire  du  Havre, 
p.  230). 

(4)  Par  Guillaume  PoUet,  maitre  de  la  Michclle  de  Dieppe.  1526  (B.  N., 
Moreau  736,  fol.  104). 


184  IIISTOIIIE    DE    LA   MAIIINE    FRANÇAISE. 

Flandre,  que  le  roi  crAnjjletcrrc  avait  relcnucs  raiinée  pré- 
cédente à  Porlsmoulh,  pour  les  incorporer  dans  sa  Hotte.  Il 
ne  put  les  atteindre  et  sa  nef  ellc-mcrne,  au  retour  au  Havre, 
périt,  incendiée,  sur  le  poulier  du  sud  (1) .  La  car  jjaison  des 
galéasscs,  (|ue  les  Vénitiens  avaient  transbordée  à  bord  du 
vaisseau  anglais  Tous-les-Saints,  tomba  toutefois  entre  nos 
mains  :  elle  fut  capturée  par  les  marins  du  Croisic  (2). 

L'activité  déployée  par  les  corsaires  normands  pour  pro- 
téger nos  côtes  donna  le  loisir  au  capitaine  Bertrand  de 
Thilly  et  au  mailre  charpentierGuyon  Goborel  de  radouber 
l'escadre  royale  du  Havre,  fort  éprouvée  par  la  précédente 
campagne  (3).  Cette  activité  ne  se  bornait  j)oint  à  des  croi- 
sières dans  la  Manche  ou  dans  la  mer  du  Nord,  à  des 
courses  fructueuses  sur  les  côtes  du  Norfolk  et  du  Suffolk  (4)  ; 
elle  s'étendait  à  l'Océan,  où  les  Normands  retrouvaient 
comme  compagnons  d'armes  les  liayonnais  Jean  de  llau- 
lanne,  Pés  de  la  Lande,  etc.  (5),  sans  parler  des  Bretons. 
Une  escadre,  dont  le  navire  amiral,  le  Lc'nti,  appartenait  à 
Jean  Ango,  enlevait,  dans  les  pjirages  de  lielle-lslc,  une 
carraque  espagnole,  qui  fut  remorquée,  coulant  bas,  dans 
la  baie  de  Noirmoutiers. 

Quelques  mois  plus  tard,  en  décembre  L525,  trcnte-ciiKj 
bâtiments  qui  allaient  charger  du  sel  à  Brouage  étaient 
attaqués,  sur  les  côtes  de  Bretagne,  par  treize  vaisseaux  de 

(1)  BonÉLY,  Histoire  du  Havre,  t.  1,  p.  477.  — B.  N.,  l'^aiu;.  21513,  p.  1097. 

(2)  MandciiK-nl  <lc  François  V'  aux  conseillers  de  Urclagnc  (13.  N., 
Franc,:.  5500,  fol.  330  v"). 

(3)  Allocation  de  15000  livres  pour  le  radoub  de  la  Grande-Françoise, 
la  Princesse,  l'Hermine,  la  Barbe,  la  Grande-Normande,  la  l'ctilc-Nor- 
mande  au  llavrc-de-(îrâce.  Camp  devant  Pavic,  23  novend>re  1524  (H.  N., 
rièces  orig.,  vol,  2845,  doss.  Tilly,  p.   23-27.  —  PVanc.  21513,  p.  1097). 

(4)  Six  ou  sept  de  nos  petits  bâtiments,  d'une  soixantaine  de  tonnes  au 
plus,  enlevaient  des  navires  sur  la  côte  du  Norfolk  et  du  Suffolk.  4  avril 
1525  {Letlers...  of  Henry   VJJf,  t.  IV,  1'"  p.,  n"  1241), 

(5)  Armement  en  course  de  la  Marie  de  liayonne  et  autres  vaisseaux. 
Bayonne,  29  avril,  11  juillet  1524  (.■l?'(7i('('r,9  (/f  /tajonne,  lie<iislres  qaseons, 
t.  II,  p.  396,  400). 


RIVALITE   DE    FBANÇOIS    I"  ET    DE   CHARLES-QUINT.     1S5 

guerre  espagnols.  Le  navire  d'escorte  était  un  léger  bâti- 
ment de  quatre-vingt-dix  tonneaux,  la  Pensée,  commandé 
par  les  Dieppois  Pierre  Durand  et  Guilbert  Guérey.  Huit 
heures  durant,  il  tint  Tennemi  en  échec,  et,  par  son  sacri- 
fice, permit  à  la  flottille  de  gagner  Tabri  du  golfe  du  Mor- 
bihan. Encore  n'aurait-il  pas  succombé  sans  la  lâche  défec- 
tion de  la  Pie  et  de  la  Catherine,  commandées  parles  frères 
Ghefdostel  ;  elles  se  dérobèrent  sans  combattre.  Ango  dépê- 
cha au  secours  de  la  flotte  en  détresse  la  Salamandre,  le 
Sacre,  le  Dragon  et  la  Dauphinc,  qui  mirent  l'ennemi  en 
fuite,  en  lui  enlevant  deux  bâtiments  (11. 

L'initiative  privée  tenait  lieu  de  la  prévoyance  gouverne- 
mentale dans  un  des  moments  les  plus  tragiques  de  notre 
histoire.  La  France  n'avait  plus  son  roi,  la  marine  plus 
d'amiraux.  Le  connétable  avait  passé  à  l'ennemi  :  et  le 
bruit  courait  que  les  gouverneurs  de  Normandie  et  de  Bre- 
tagne feraient  de  même,  en  remettant  Rouen  et  Brest  à  la 
flotte  anglaise  (2). 


III 

l'invasion    de    la    PROVENCE 

Dans  le  sud,  la  situation  s'était  aggravée  d'année  en 
année,  de  mois  en  mois,  d'heure  en  heure.  Un  moment, 
nous  avions  songé  à  l'invasion  de  la  Toscane,  avec  le  con- 
cours des  Soderini  de  Florence,  des  Baglioni  de  Pérouse  et 
du  duc  d'Urbin.  Et  Renzo  da  Ceri  aurait  vu  ouvrir  devant 
nos  troupes  les  portes  de  Florence,  si  la  conspiration  n'avait 
échoué    (3).  Non  seulement   la   Toscane    nous   demeurait 

(1)  Parlement  de  Rouen,    17  juillet  1526  (Gosskun,  p.  74). 

(2)  Lettre  de  Martelli,  14  octobre  1524  [Gioruale  storico  tlcqli  archivi 
toscani,  t.  III,  p.  232). 

(3)  H.  Hacvette,  Lui^i  Alanuuini.  Paris,  1903,  in-8»,  p.  33. 


186  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

close;  mais  la  défaite  de  Lautrec  à  la  Bicocca,  le  27  avril 
152:2,  nous  coûtait  le  Milanais. 

Le  contre-coup  s'en  fit  ressentir  sur  la  côte  ligurienne. 
L'armée  victorieuse  de  Prospero  Colonna  descendit  vers 
Gênes,  que  la  flotte  napolitaine  de  Hernando  de  Andrada, 
Requesens  et  Icart  investit  par  mer  (1).  Deux  jours  avant 
le  blocus,  un  vaisseau  marchand  de  Rouen,  l'un  des  meil- 
leurs voiliers  de  l'époque,  alors  mouillé  à  Savone,  avait  été 
mandé  d'urgence  par  Des  Forges,  capitaine  de  la  petite 
garnison  du  Castelleto  :  il  avait  à  bord  une  cargaison  con- 
sidérable de  fer  et  de  plomb  (2)  ;  et  facteurs,  matelots, 
serviteurs,  débarquant  leur  artillerie  et  leurs  munitions, 
patriotiquement  s'improvisèrent  soldats  (3). 

De  Marseille,  une  grosse  flotte  (4)  arrivait  au  secours  de 
la  place,  sous  les  ordres  de  l'amiral  comte  de  Tende  et  de 
Pero  Navarro,  lieutenant  général  de  l'armée  de  mer  (5). 
L'avant-garde,  forte  de  quatre  galères,  pénétra,  le  29  mai 
1522,  dans  le  port  de  Gênes;  elle  amenait,  avec  Pero  Na- 
varro et  André  Doria,  huit  cents  hommes.  Le  lendemain, 
avant  que  le  gros  de  notre  escadre,  retardé  à  Ville- 
franche  par  un  ouragan,  fut  en  vue  (0),  Golonna  fit  donner 
l'assaut  au  cri  de  "Empire  et  doge  Adorno!  "  Les  lans- 
quenets entrent  par  la   brèche   :  en  vain,  Navarro,  sur  la 


(1)  Martin  Garcia  Ckrkckda,  Tratado  de  las  campanas  del  Emperador, 
publié  en  1873  par  la  Societlad  de  bibliôtilos  espajjnoles.  —  F.  Ddro,  t.  I, 
p.  131. 

(2)  60000  livres  de  fer,  12000  de  plomb.  Il  appartenait  au  Rouennais 
Bonshons  et  avait  été  affrété  pour  la  Savoie  par  le  bâtard  de  Savoie  (Gos- 
SELIN,  p.   71). 

(3)  B,  N.,  Franc.  5086,  fol.  143. 

(4)  10  galères,  4  galions,  14  navires  et  13  barques  (Compte  de  Ragueneau, 
trésorier  de  la  marine  :  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  186).  —  La  nef  Sainte- 
Catherine  était  armée  en  hâte  à  Toulon  (Abbé  Albaxès,  dans  la  Revue  des 
Sociétés  savantes,  6"  série,  t.  VII,  p.  433). 

(5)  Suivant  commission  du  19  juin  1521  (Ministère  de  la  guerre,  vieilles 
archives,  vol.  12,  pièce  5). 

(6)  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  186. 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     187 

place  d'armes,  essaie-t-il  de  les  contenir  :  il  est  pris  et  se 
rend  à  Juan  de  Urbino,  qui  jadis  servit  sous  ses  ordres. 
Fregoso  est  saisi  dans  son  lit.  La  ville  est  à  Tennemi.  Sous 
le  feu  du  môle  et  de  la  lanterne,  les  galères  de  Doria  appa- 
reillent pour  ne  pas  subir  le  même  sort  et  se  fraient  un 
passage  à  travers  Tescadre  espagnole,  accrue  de  neuf 
galères  génoises!  Une  seule  succomba.  L'amiral  de  Tende 
n'était  plus  qu  à  une  dislance  de  quarante  milles!  (1). 

La  perte  de  Gênes  acheva  de  ruiner  notre  influence  en 
Italie.  Successivement,  le  duc  Francesco  Sforza,  la  répu- 
blique de  Venise  (2),  le  nouveau  pape  Adrien  VII  (3)  nous 
abandonnent  pour  entrer  dans  la  coalition.  Gênes,  Flo- 
rence, Sienne,  Lucques  suivent  et  forment  une  confédéra- 
tion, dont  le  but  est  d'empêcher  le  retour  de  l'étranger  en 
Lombardie  (ij.  Aux  portes  même  de  la  Provence  s'ourdit 
une  intrigue  pour  placer  Monaco  sous  le  protectorat  impé- 
rial, quand  le  rival  héréditaire  des  Grimaldi,  André  Doria, 
en  a  connaissance,  au  retour  d'une  croisière,  où  il  a  tenté 
d'enlever  le  marquis  de  Pescara,  envoyé  comme  lieutenant- 
général  à  INaples  (5).  Il  appareille  le  22  août  1523  et  va  se 
poster  à  La  Turbie.  Longtemps,  il  attend.  Le  prince 
Luciano  Grimaldi  a  été  frappé  par  ses  affidés;  mais  les 
assassins  ont  pris  la  fuite  en  oubliant  d'allumer  les  signaux 
convenus  avec  l'escadre;  et  c'est  ce  qui  empêcha  Doria  de 
planter  sur  Monaco  notre  pavillon  (Gj . 

On  avait  proposé  au  roi  de  faire  passer  dans  la  Méditer- 
ranée la  Grande-Fra?içoise  et  la  demi-douzaine  de  barges 

(i)  Lettre  de  Gènes,  30  mai  1522  (Sancto,  t.  XXXIII,  col.  280). 

(2)  28  juin  1523. 

(3)  3  août  1523. 

(4)  Migsp:t,  Rivalilé  de  François  I"  et  de  Cliailes-Qiiint,  t.  I,  p.  359, 
478  n.  1    :   chiffres  de    la  contribution  que  devait  payer  chaque  coalisé. 

(5)  Lettre  de  Lyon,  28  juillet  {^Gioruale  stoiico  degli  archivi  toscani, 
t.  III,  p.  186). 

(6)  Gustave  Saige,  Le  protectorat  espa(jnol  à  Monaco.  Monaco,  1885, 
p.  81.  —  Edouard  Petit,  André  Doria.  Paris,  1887,  in-8",  p.  48. 


188  HISTOIRE   DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

royales  qui  stationnaient  au  Havre  et  à  Dieppe.  «  Elles 
feront  plus  d'ennuy  aux  ennemys,  disait-on,  que  quatre 
cens  hommes  d'armes  et  six  mil  hommes  de  pied.  Ladite 
grantnef  tiendra  toute  la  mer  méditeranne  en  subgection. 
Il  n'y  aura  carracques,  bai'ches  ne  autres  vaisseaulx  des 
ennemys  qui  ne  se  treuvent  bien  empeschez  d'aller  par 
mer;  et  en  ce  temps  d'esté,  en  ung  mois  de  beau  temps,  on 
peult  tournoyer  la  Cicille,  venir  devant  Naples  et  resjouyr 
les  amys  de  France.  Ladite  grant  nef  sera  ung  boullevert 
flottant  qui  gardera  Nysse  et  saulvera  la  Prouvence  (1).  » 
L'avis  donné  au  roi  ne  fut  point  entendu.  Et  pourtant,  il  y 
allait  du  salut  de  la  Provence  ! 

Dès  le  mois  de  septembre  1523,  les  Génois  projetaient 
de  s'emparer  de  Marseille,  dont  ils  expédiaient  un  plan  à 
l'empereur  (2).  Mandé  d'urgence,  le  capitaine  général  de 
la  flotte  napolitaine,  Ugo  de  Moncada,  vint  leur  apporter 
le  renfort  de  la  division  Portondo  et,  avec  dix-sept  galères, 
s'embusqua  aux  Pomègues.  Il  pensait  anéantir  d'un  seul 
coup  nos  forces  navales,  tout  au  moins  nos  dix  galères. 
Mais  les  intempéries  du  mois  de  décembre  déjouèrent  son 
dessein  et  le  forcèrent  à  regagner  Gênes  (3),  non  sans 
subir,  devant  Toulon,  l'attaque  victorieuse  du  baron  de 
Saint-Blancard,  qui  lui  enleva  quatre  voiliers  et  une 
fuste  (A).  Cette  reconnaissance  dans  les  eaux  de  Marseille 
fut  le  signe  avant-coureur  de  l'invasion. 

Avec  l'esprit  de  rage  qui  caractérise  les  traîtres  et  les 
renégats,   le  connétable    Charles  de   Bourbon   s'acharnait 


(1)  B.  N.,  Franc.  2963,  fol.  iti. 

(2)  Lettre  de  Lope  de  Soria  à  Charles-Quint.  Gênes,  11  septembre  1523 
(Coleccion  de  doctimentos  incditos  para  la  lustoiia  de  Espana.  Madrid, 
1854,  in-8",  t.  XXIV,  p.  321  :  Appendice  à  la  Vida  de  el  famoso  caballero 
Don  Hugo  de  Moncada,  por  Gaspard  de  Bak(;.\). 

(3)  Lettres  de  Lope  de  Soria  à  l'empereur.  Gênes,  16  décembre  1523  et 
8  janvier  1524  (Ibidem,  p.  336-338). 

(4)  Compte  de  Ragueneau  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  186). 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     189 

contre  la  mère  patrie.  Refoulant  Tamiral  de  Bonnivet  du 
Milanais,  après  l'avoir  l)attu  à  Biagrasso  et  au  passage  de 
la  Scsia,  il  franchit  les  Alpes.  En  juin  1524,  il  entrait  en 
Provence  à  la  tête  de  vingt-cinq  mille  Impériaux,  que  sou- 
tenaient di.x-sept  galères  et  trois  carraques  de  Moncada. 
Le  plan  de  ^loncada,  à  son  départ  de  Gênes,  le  16  juin, 
était  de  se  saisir,  à  Yillefranche,  des  deux  grandes  nefs 
des  Hospitaliers  et  d'un  galion  de  Pei^o  Navarro,  car  sa 
flotte  manquait  de  vaisseaux  de  ligne  (1). 

Il  fut  dérouté  par  l'offensive  d'un  adversaire  résolu, 
Antoine  de  La  Fayette.  Nommé  lieutenant-général  de  notre 
armée  de  mer  (2),  au  vif  mécontentement  du  baron  de 
Saint-Blancard  (3),  La  Fayette  n'était  point  un  marin 
novice  (4),  non  plus  que  ses  lieutenants,  Saint-Blancard, 
Doria  et  de  Baux.  S'il  n'avait  que  dix  galères  contre  les  dix- 
sept  de  Moncada,  il  avait  plus  de  voiliers  (5),  et  un  glorieux 
fait  d'armes  accompli  quelques  semaines  auparavant  en 
Sicile  les  avait  dotés  d'une  nombreuse  artillerie.  Quatre  de 
nos  galions  avaient  surpris  à  Sciarra,  près  des  ruines  de  Séli- 
nonte,  tout  un  convoi  et  l'avaient  délesté  de  tous  ses  canons, 
ramenant  de  plus  comme  trophée  à  Marseille  une  superbe 
carraque  génoise  ((>) .  La  Favette  avait  appareillé  presque 
en  même  temps  que  Moncada  pour  lui  barrer  la  route. 

(1)  Lettre  de  Lope  de  Soria  à  Gharlcs-Quint.  Gènes,  15  juin  (^Colcc- 
cion...  de  Espaiïa,  t.  XXIV,  p.  371). 

(2)  Le  4  juin  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  187). 

(3)  Avis  du  marquis  de  Pescara.  19  juillet  (^Coleccioii...  de  Espafia, 
t.  XXIV,  p.  385). 

(V)  Il  était  lieutenant-général  de  l'arnice  de  mer  sous  René  de  Savoie  dès 
le  20  février  1515  (B.  N.,  Clairambault  825,  fol.  114  v"). 

(5)  10  galères,  6  galiottes,  le  grand  galion  Braue,  4  carraques  et  12  autres 
navires,  commandés  par  Jean  de  Cépède  ou  Lacépède,  Raphaël  Rostan, 
Michel  de  Pontevès,  Léonard  Vento,  Ogier  Bouquin,  Claude  Monelli,  Adam 
Rondolin,  lliérosme  Conté,  Jean  de  Careto,  Jacques  David  (Ruffi,  Histoire 
de  Marseille,  éd.  de  1642,  p.  205). 

(6)  Lettres  de  Moncada  et  Lope  de  Soria.  8  et  6  avril  1524  [Colcccion... 
de  Espana,  t.  XXIV,  p.  348,  350,  359).  L'un  des  quatre  galions  était  lui- 
même  une  prise  :  il  avait  appartenu  au  vice-roi  Ramon  de  Gardona. 


190  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Le  4  juillet,  vin  brigantin  apparut  en  vue  de  Monaco, 
fuyant  à  toute  vitesse  devant  les  galères  d'André  Doria.  La 
flotte  impériale  se  tint  coi  au  mouillage,  dans  Tignorance 
que  l'un  des  partisans  les  plus  dévoués  de  l'empereur,  Phi- 
libert de  Ghalon,  prince  d'Orange,  était  à  bord  avec  une 
suite  de  gentilshommes  espagnols  et  franc-comtois  (1). 
Avant  de  tomber  au  pouvoir  de  son  adversaire,  le  prince 
eut  le  temps  de  jeter  à  la  mer,  lestées  d'un  boulet,  les 
instructions  qvi'il  apportait  d'Espagne  (2). 

Charles  de  Bourbon,  après  avoir  franchi  le  Var,  s'établit 
au  camp  de  Saint-Laurent,  sur  le  bord  de  la  mer,  afin 
d'attendre  le  parc  de  siège  que  transportait  sa  flotte.  Au 
moment  où  les  dix-sept  galères  et  les  carra(jucs  de  Ugo  de 
Moncada  procédaient  au  déchargement,  le  7  juillet,  la 
flotte  française  fondit  sur  elles  et  les  mit  en  déroute  dans 
la  direction  de  Nice.  Trois  des  galères  impériales  se  virent 
couper  la  retraite  et,  au  moment  d'être  enveloppées,  se 
jetèrent  à  la  côte,  où  les  équipages  s'enfuirent.  «  Sauvons 
l'honneur  du  camp  et  de  l'empereur,  "  cria  Bourbon,  en 
montant  avec  ses  arquebusiers  dans  l'une  d'elles  :  le  capi- 
taine général  marquis  de  Pescara  et  Beaurain,  le  familier 
de  Charles-Quint,  imitèrent  son  exemple  (3)  ;  et  sous  la 
canonnade  intense  de  notre  flotte,  qui  coucha  bas  deux 
cents  soldats  espagnols  et  tua  le  cheval  du  connétable  (4, 
ils  parvinrent  à  sauver  la  cargaison  des  navires  échoués, 
mais  non  les  galères  elles-mêmes,  qui  furent  coulées 
à  fond.  Le  lendemain,  comme  Moncada  renouvelait  sur  la 
plage  de  Nice  la   tentative  de   déchargement  manquée   à 

(1)  Ulysse  Robert,  Pliilibert  de  Clialon,  prince  d'Orange,  vice-roi  de 
Naples  (18  mars  1502-3  août  1530).   Paris,  1902,  in-8",  p.  54. 

(2)  Juan  DE  Ozs.vYO,  Batalla  de  Pavia  dans  la  Coleccion  de  docianentos 
ineditos  para  la  historia  de  Espana,  t.  IX,  p.  415. 

(3)  Lettres  de  Bourbon  et  Beaurain.  10  juillet  (Archives  impériales  de 
Vienne  :  extrait  dans  Mignkx,  t.  I,  p.  518,  note  1). 

(4)  Y.\LBELLE,  dans  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  76. 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     191 

Antibes,  La  Fayette  accourut  encore  sur  lui  et  le  força  de 
rétrograder  sur  Monaco  (1). 

Que  nous  eûmes  alors  à  nous  repentir  de  l'cchec  subi 
l'année  précédente  devant  cette  place  !  Moncada  y  trouva 
le  salut,  car,  de  son  aveu,  nous  étions  maîtres  de  la  mer  et 
nous  aurions  changé  sa  retraite  en  déroute.  La  Fayette 
avait  pris  position  à  Villefranche  :  de  sa  nef  amirale, 
Sainte-Marie-Bonavenlure,  dite  communément  la  Grande- 
Maîtresse  i'!2),  il  envova  sommer  Agostino  Grimaldi  de  se 
déclarer  ami  ou  ennemi.  «  Tout  navire  dans  mes  eaux  est 
sous  ma  protection,  »  répondit  évasivement  le  régent  de  la 
seigneurie  monégasque.  Le  1;2  juillet,  les  deux  flottes  fail- 
lirent en  venir  aux  mains  :  l'escadre  ennemie  sortit  au-devant 
d'un  grand  vaisseau  qui  amenait  d'Espagne  deux  cent  cin- 
quante soldats;  si  nos  galères  n'avaient  perdu  du  temps 
à  remorquer  nos  galions,  le  vaisseau  était  enlevé. 

Dans  la  nuit  du  14  au  15  juillet,  Moncada  s'esquiva 
sourdement,  en  laissant  trois  vaisseaux  et  deux  cents 
hommes  à  la  garde  de  Monaco,  et  rentra  en  communica- 
tion avec  le  connétable  de  Bourbon.  Il  intercepta  près  des 
îles  d'Hyères  la  Petite-Maîtresse,  détachée  en  estafette  par 
notre  lieutenant-amiral;  mais  l'apparition  de  La  Fayette, 
qui  le  serrait  de  près,  ne  lui  laissa  le  temps  que  de  brûler 
sa  prise  (3)  et  le  força  ensuite  à  regagner  Monaco  (4).  Si  la 
flotte  ennemie  était  tenue  en  échec,  l'armée  d'invasion 
poursuivait  sans  répit  sa  marche.  Antibes,  Fréjus,  Hyères 

(i)  Rapport  de  Moncada  à  Charles-Quint.  Monaco,  14  juillet  (Coleccion 
fie  docinncntos  ineditos  para  la  historia  de  Espana,  t.  XXIV,  p.  389). 

(2)  Elle  jaugeait  700  tonnes  et  fut  prisée  20609  livres,  6  sols.  26  no- 
vembre 1525  (B.  N.,  Clairambault  325,  fol.  9397.  —  J.4L,  Glossaire  nau- 
tique, p.  1318,  art.  Sarsie).  Elle  fut  achetée  30,000  livres  (Archives  Nat., 
X"  8621,  fol.  208). 

(3)  Lettre  de  Moncada  à  Charles-Quint.  Iles  d'Hyères,  18  juillet  (^Colec- 
cion... de  Espana,  t.  XXIV,  p.  383j. 

(4)  D'où  Moncada  dépeignait  à  l'empereur  sa  détresse  et  réclamait 
d'urgence  l'envoi  de  vaisseaux  de  ligne.  29  juillet  [Ibidem,  p.  395). 


19-2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRAIKÇAISE. 

avalent  succombe  tour  à  tour.  La  Fayette  espérait  sauver 
Toulon,  en  s'embossant  dans  le  port.  Il  lui  fallut  bientôt 
rétrograder  sur  Marseille,  menacée  désormais.  Le  5  août, 
ses  galères  venaient  coopérer  à  la  défense,  en  prenant  leur 
poste  de  combat  sous  la  tour  Saint-Jean  (1)  :  les  quatorze 
voiliers,  en  grande  rade,  restaient  parés  à  secourir  le  port 
de  Toulon  (2),  dont  devix  capitaines  de  vaisseau,  Jean  de 
Lacépède  et  Bonlface  de  Pontevès,  avaient  mission  de 
défendre  la  tour  (3j.  Mais  cette  ville  n'opposa  point  de 
résistance  aux  Impériaux  :  elle  se  rendit,  le  20  août,  à  la 
première  sommation  d  Adrien  de  Croy,  commandant  de 
corps  d'armée  (4).  De  l'artillerie  de  forteresse  qu'elle  con- 
tenait, l'ennemi  allait  se  servir  contre  Marseille. 

Le  13  août,  lavant-garde  espagnole  avait  paru  devant  la 
vieille  cité  pbocéenne;  le  19,  le  connétable  de  Bourbon  en 
commençait  les  approches.  Contre  un  Français,  la  France 
était  défendue  par  l'Italie  :  par  mer  Doria,  par  terre 
Renzo  Orsini  da  Cerl.  Quatre  mille  hommes  de  Renzo  et 
Philippe  Chabot  étaient  venus  se  joindre  aux  neuf  mille 
volontaires  marseillais,  et  trente  et  un  bâtiments  de  guerre, 
que  Moncada  n'osait  affronter  (5),  en  assurant  le  ravitail- 
lement de  Marseille,  rendaient  l'investissement  illusoire. 

Ils  coopérèrent  activement,  du  reste,  à  la  défense.  Le 
14  août,  quatre  cenls  hommes  de  troupes  de  débarque- 
ment avaient   tenté   d'entraver   le   passage    de    l'artillerie 


(1)  Vai.rklli:,  B.  N.,  Franc;.  5072,  fol.  78  v».  —  S.isuTO,  t.  XXXVI, 
col.  540,  608. 

(2^  En  particulier,  la  carraque  Sainte-Catherine ,  commandée  par  Michel 
Chausscblanche,  qui  croisait  depuis  six  mois  entre  Toulon  et  Pomègue 
(Quittance  du  16  juillet  :  Archives  de  la  Côte-d'Or,  B.  1833,  fol.  99),  et  la 
division  de  Barthélémy  Dupuis,  dit  Servien,  deux  galions,  une  barque  et  un 
brigantin  (Archives  INat.,  J  961*,  n"  61). 

(3)  Lettre  de  La  Fayette  aux  Toulonnais.  1"  août  (Archives  de  Toulon, 
BB  46,  fol.  146). 

(4)  MiGNET,  t.  I,  p.  529  :  Crov   avait  un  détachement  de  4200  hommes. 

(5)  Sasuïo,  t.  XXXVI,  col.  557. 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     193 

ennemie  :  mais  leur  généreux  dessein  échoua,  par  suite 
du  mistral  qui  les  priva  de  l'appui  des  galères  (1).  Plus 
tard,  le  connétable  dut  installer  une  batterie  sur  une  hau- 
teur pour  couvrir  son  flanc  que,  de  la  plage  d'Arenc,  nos 
bâtiments  prenaient  d'enfilade  ["2).  Le  17  septembre,  ils 
amenaient  aux  assiégés  quinze  cents  hommes  de  Martigues 
et  d'Arles  (3).  Nos  marins  avaient  même  formé  le  projet  de 
tenter  une  diversion,  en  tombant  à  l'improviste  sur  Gênes; 
d'une  ville  dégarnie  de  troupes,  ils  se  seraient  vite  empa- 
rés avec  le  concours  des  Fregoso  et  du  marquis  de  Sa- 
luées (4). 

Mais  il  ne  fut  point  besoin  de  cette  contre-attaque  pour 
dégager  Marseille.  Menacé  par  les  troupes  que  le  roi  ame- 
nait, Charles  de  Bourbon  leva  honteusement  le  siège  de 
cette  ville  le  2-4  septembre  (5),  sans  attendre  les  renforts 
mandés  de  Catalogne  (6). 

Le  30  septembre,  quand  la  retraite  de  l'armée  espagnole 
ne  fit  plus  de  doute,  une  division  de  neuf  galères  et  galions, 
avec  d'autres  légers  navires,  fut  dépêchée  du  côté  de  Tou- 
lon pour  tomber  sur  l'ennemi  qui  embarquait  en  hâte  son 
parc  de  siège  et  son  butin.  Pourchassé  par  terre  et  par  mer, 
il  fut  mené,  l'épée  dans  les  reins,  jusqu'à  Monaco,  dont  le 
seigneur  l'accueillit  et  le  protégea  contre  l'attaque  de  nos 
galères  (7). 

(1)  Valbelle,  fol.  79. 

(2)  Lettre  de  R.  Pace  à  Wolsey.  31  août  (Migxet,  t.  I,  p.  527). 

(3)  Lettre  de  Robert  Stuart.  La  tour  du  Guet,  19  septeiubre  (Aiiné- 
Champollion-Figeac,  Captivité  du  roi  François  I",  p.  10,  note  1.  —  Val 
BELLE,  fol.  84-  v°.  —  RuFFi,  éd.  1642,  p.  205.  —  Lettre  de  Charles  de 
Lanoy.  Ostie,  11  septembre  (Caleudar  of  State  papcrs  :  Spain,  t.  II, 
p.  657). 

(4)  Des  prisonniers  français  révélèrent  ce  dessein  au  vice-  roi  de  Naples. 
Lettre  de  Marco-Antonio  Venier.  Pizzighetone,  14  septembre  (Saxuto, 
t.  XXXVI,  col.  608). 

(5)  B.  N.,  Franc.  14368,  fol.  97. 

(6)  MiGXET,  t.  I,  p.  543. 

(7)  Valbelle,  p.   90,  92.  —  Archives  de  Toulon,   BB  46,  fol.   153  :  le 

"I.  13 


194  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Quelques  bâtiments  à  peine  étaient  restés  garder  la  côte 
provençale.  Gomme  iine  grande  carraque  génoise  passait  en 
vue  de  Marseille  le  jour  de  la  Toussaint,  ce  fut  un  corsaire 
normand,  Cardin  d'Esqueville-Bléville,  un  des  rudes  com- 
pagnons de  Jean  Fleury,  qui  l'attaqua  à  la  tête  de  deux 
bâtiments.  Le  combat  fut  terrible  :  la  carraque  fut  incen- 
diée; le  vaisseau  de  Bléville  périt  également  dans  les 
flammes;  une  dizaine  d'hommes  — pas  davantage  —  échap- 
pèrent à  la  mort  (1). 

Sur  la  flotte  de  La  Fayette,  avaient  embarqué  l'un  des 
défenseurs  de  Marseille,  Renzo  da  Ceri  (2),  et  les  Fregoso, 
Nicolo  et  Federico,  archevêque  de  Salerne.  Le  8  décembre, 
une  partie  des  réfugiés  génois  rentraient  dans  leurs  foyers; 
notre  flotte  s'emparait  sans  combat  de  Savone,  les  huit  cents 
hommes  de  la  garnison  avaient  fui  (3);  Moncada,  rompant 
sans  cesse  devant  La  Fayette,  s'était  replié  sur  Gènes,  tandis 
que  le  connétable  fuyait,  avec  trois  bâtiments,  devant 
quatre  vaisseaux  marseillais  (4). 

Renforcé  par  les  voiliers  de  Bartolomeo  Fieschi  délie 
Jndie,  Moncada  reprenait  la  supériorité  numérique  sur  son 
adversaire,  qu'il  pensait  écraser  sous  l'attaque  de  vingt-cinq 
vaisseaux  de  ligne  et  de  vingt  et  une  galères  ou  brigautins, 
La  Fayette  l'attendait,  retranché  dans  le  port  de  Vado,  à 
portée  de  Savone.  Une  chaîne  flottante,  formée  d'antennes 
et  de  poutres,  barrait  l'entrée  du  port,  que  balayait  le  feu 
de  bastions  hâtivement  construits  et  de  vingt-trois  ])âti- 
ments  ronds  rangés  en  ordre  de  bataille  (5). 

14  octobre,  des  vivres  sont  envoyés  de  Toulon,  que  l'ennemi  avait  évacuée, 
à  Villefranche,.où  l'escadre  française  était  au  mouillage. 

(1)  Cal.  of  State  papers,  Lettcrs...  of  Henry  VIII,  t.  IV,  i''  part.,  n°  789. 

(2)  Déposition  de  Guillaume  du  Bellay  au  procès  du  connétable. 

(3)  Sakuto,  t.  XXXVII,  col.  298,  326. 

(4)  Partis  de  Marseille  le  17  janvier.  Lettre  de  Buondclmonti  et  Ala- 
manni.  Marseille,  20  janvier  1525  (Gininale  stnrico  cleç/li  archivi  tosraiii, 
t.  III,  p.  213). 

(5)  Lettres  de  Lope  de  Soria  et  de   Moncada  à   Charles-Quint.   Gênes, 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     195 

Dans  la  nuit  du  28  janvier  1525,  Moncada  s'ébranla  avec 
tous  ses  bâtiments  à  rames  et  trois  mille  hommes  de  troupes  : 
il  leur  avait  consenti  une  avance  de  quinze  jours  de  solde, 
à  la  condition  de  livrer  combat  à  la  flotte  française.  Son 
plan  était  de  recouvrer  Varazze,  puis  Savone,  d'écraser  nos 
forces  navales  à  Vado  et  de  nous  chasser  de  la  Rivière  (1). 

Nous  venions  de  jeter  quinze  cents  hommes  à  Varazze, 
lorsque  la  flotte  de  Moncada,  le  29  janvier,  commença  à 
l)ombarder  la  ville  que  nos  trois  mille  soldats,  préalable- 
ment débarqués,  isolaient  de  Savone.  Au  bruit  du  canon, 
les  bâtiments  de  La  Fayette  et  Doria  accoururent  de  Vado 
et,  par  un  feu  très  vif,  jetèrent  la  panique  parmi  les  assié- 
geants. Le  chef  d'escadre  Portondo,  en  tenant  un  moment 
tête  à  notre  flotte,  parvint  à  sauver  une  partie  des  fuyards; 
le  reste,  Génois  et  Espagnols,  foudrovés  par  nos  vaisseaux, 
sabrés  par  la  garnison  que  commandait  Giocante  di  Gasa- 
bianca,  gagnaient  en  pleine  déroute  la  montagne.  Mais  si.x 
cents  hommes,  le  capitaine  général  Ugo  de  Moncada,  le 
colonel  génois  Gesare  Gaetano,  Cesare  Golonna,  Barto- 
lomeo  Spinola,  les  deux  Adorno,  Donato  di  Sarzana  et 
sept  autres  capitaines,  demeuraient  prisonniers  (2).  Mon- 
cada fut  transporté  sans  aucune  blessure  à  bord  des  galères 
de  Saint-Blancard. 

Sans  désemparer,  La  Fayette  et  Doria  tentèrent  un  coup 
de  main  sur  Gênes,  que  la  flotte  espagnole,  privée  de  chef, 
ne  couvrait  plus.  Tandis  qu'un  trompette  du  marquis  de 
Saluées  sommait  le  doge  de  rendre  la  place   (3),  tous  les 

15  et  27  janvier   1525   {Coleccion...   de  Espana,   t.   XXIV,   p.    419,   421). 

(1)  Lettre  de  Lope  de  Soria.  Gênes,  28  janvier  [Ibidem,  p.  435). 

(2)  Gaspar  de  Baeça,  Vida  de  Don  Hugo  de  Moncada,  dans  la  Coleccion 
de  docinnentos.. .  de  Espana,  t.  XXIV,  p.  56.  —  Lettres  de  Lope  de  Soria 
à  Charles-Quint.  Gênes,  30  janvier  et  13  février  (Ibidem,  p.  435,  440).  - — • 
Antonio  Doni.\,  Compendio  délie  cose  di  sua  notitia  et  memotie  occorse  al 
mondo  nel  tempo  deli  iniperatore  Carlo  Quinto.  Genova,  1571,  in-4°, 
p.  16. 

(3)  Lettre  de   Lope  de  Soria.  2  février  (Coleccion...,  t.    XXIV,  p.  438). 


19G  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

vaisseaux  de  guerre  en  rade,  la  capitane  génoise,  de  vingt- 
six  pièces  de  canon,  deux  carraques  et  deux  fustes,  étaient 
capturés  (1).  Un  seul  parvint  à  s'échapper.  Canonnée  pen- 
dant toute  la  journée  du  30  janvier,  la  ville,  dans  Faffole- 
ment  de  cette  surprise,  faillit  se  rendre.  La  crainte  seule 
d'être  attaqués  à  revers  par  la  flotte  vaincue,  plus  forte 
malgré  tout  que  la  leur,  décida  Doria  et  son  chef  à 
reprendre,  le  3  février,  la  route  de  Savone  (:2). 


IV 


APRES    PAVIE 

«Au  prix  d'un  peu  de  fatigue,  affermissons  à  jamais  le 
repos  de  la  France  "  (3),  disait  François  I"  en  franchissant 
les  monts  pour  achever  la  déroute  de  l'armée  impériale  (4). 
Mais  Pavie  brisa  le  flot  de  l'invasion  française,  comme 
Marseille  avait  arrêté  net  le  torrent  espagnol.  Seulement, 
le  roi  de  France,  en  laissant  échapper  l'occasion  d'écraser 
sous  les  murs  de  Marseille  les  débris  de  l'armée  impériale, 
avait  donné  à  l'ennemi  une  leçon  qui  ne  fut  pas  perdue  : 
pris  lui-même  à  revers,  il  fut  taillé  en  pièces  sous  les  murs 
de  Pavie.  La  journée  du  24  février  1525  fut  un  des  plus 
grands  désastres  de  notre  histoire  :  l'armée  perdit  ses  chefs, 
la  marine  ses  deux  amiraux,  Bounivet  et  La  Trémoille, 
touchés  par  le  vent  de  la  mort.  François  I",  malgré  des  pro- 

(1)  Compte  de  Ragucneau   (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.   187). 

(2)  Sanuto,  t.  XXXVII,  col.  523,  526,  539,  557,  574.  —  Agostino  Gius- 
TisiANO,  Annali  di  Genou.  Genoa,  1537,  in-fol.,  fol.  278.  —  Lettre  du 
neveu  d'André  Doria  au  roi  de  France  (Modènc,  Scliede  INeri,  Cartei/(/io 
deqli  ambasciatori  ducali,  Venczia,  5  febbraio  1525). 

(3)  Captivité  du  roi  François  I",  p.  117, 

(4)  Octobre  1524. 


RIVALITE    DE    FRA>ÇOIS    I"  ET    DE   CH ARLES-QUIXT.     107 

diges  de  valeur,  tomba  prisonnier  :   «  Tout  est  perdu,  fors 
l'honneur!  »  écrivait-il  à  sa  mère. 

Tout?  Le  royal  prisonnier  se  prenait  pourtant  à  espérer 
encore.  Deux  mois  auparavant,  un  de  ses  corps  d'armée, 
cinq  mille  fantassins  et  cinq  cents  hommes  d'armes,  avait 
pris  la  route  de  Naplcs,  par  Sienne  et  Lucques  :  et  il  espé- 
rait pour  leurs  chefs,  John  Stuart  d'Albany  et  Renzo  da 
Geri,  un  retour  de  la  fortune.  A  la  nouvelle  que  l'expédi- 
tion retournait  en  France  :  «Est-il  possible?"  gémit-il  avec 
accablement  (1).  Il  était,  non  point  possible,  mais  inéluc- 
table, que  la  défaite  de  Pavie  entraînât  la  retraite  de  notre 
avant-garde. 

En  allant  la  quérir  avec  toute  leur  flotte  (2)  à  Livourne  et 
Porto  San-Stcfano,  La  Fayette  et  le  vice-amiral  de  Saint- 
Blancard  trouvèrent  1  occasion  de  battre  une  escadre  bar- 
baresquc.  qui  perdit  neuf  bàlimcnts  coulés  ou  capturés  '3). 
Le  1"'  avril,  Stuart  d'Albany  était  de  retour  à  Toulon  avec 
la  cavalerie  et  une  partie  des  troupes.  Une  deuxième  divi- 
sion navale,  à  quelques  jours  de  là,  ramenait  Renzo  da 
Geri  et  l'arrière-garde. 

Nos  troupes  évanouies,  disparues  du  territoire  italien, 
restait  notre  marine,  devant  laquelle  tremblait  le  vain- 
queur (4).  Des  cachots  de  Pizzighetone,  François  I"  trouva 
le  moyen  de  mander  que  sa  dernière  chance  de  salut  repo- 
sait en  elle  : 

(i  Madame,  écrivait-il  à  sa  mère  (5),  je  m'an  irois  lendy 
pour  m'en  aler  à  Naples.  Et  pour  tant,  s'yl  est  posyble, 

(1)  MiGNET,  t.  II,  p.  93. 

(2)  14  galères,  10  navires  et  10  galions,  selon  Saxuto  :  ce  qui  corres- 
pond assez  au  chiffre  des  armements  relevés  dans  le  compte  du  trésorier 
Ragueneau,  16  galères,  4  brigantins,  15  navires,  8  galions  et  2  barques 
(B.  N.,  Franc.,  17329,  fol.  187). 

(3)  Saxdto,  t.  XXXVIII,  col.  99,  105,  135,  155,  168.  —  Valbelle,  p.  95. 
—  I)es.Jardiks,  Nécjociatious  de  la   France   avec  la    Toscane,  t.   II,  p.  800. 

(4)  Sanuïo,  t.  XXXVin,  col.  374. 

(5)  Aimé  CnàMPOi.Liox-FiGEAC,   Captivité  du  roi  François  F",  p.  180. 


198  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

pourvoyessy  par  mer;  car  nous  n'arons  que  quatorze  ga- 
lères pour  nous  mener,  et  myle  et  houygt  sans  Espagnoys 
pour  les  fournir:  mèz  se  seront  tous  Icus  aquehcutyers.  An 
tout,  il  n'y  a  que  dylygense.  Car,  si  elle  est  fête,  j'é  espé- 
rance que  bientoust  pourcs  revoyr  votre  très  humble  et 
très  obéyssant  fylz. 

François.  » 

Ce  suprême  appel  fut  entendu  :  une  grosse  flotte  s'ap- 
prêta à  prendre  le  large.  Et,  comme,  à  la  suite  de  sa  rude 
campagne,  l'énergique  La  Fayette  venait  d'amener  son 
pavillon  (1),  le  soin  d'enlever  le  royal  prisonnier  fut  confié 
à  un  de  ses  compagnons  d'enfance  et  d'infortune,  le  grand 
maître  Anne  de  Montmorency  (2),  qui  avait  été  échangé 
contre  le  capitaine  général  Ugo  de  Moncada.  On  ne  savait 
si  François  I"  serait  dirigé  de  Gênes  sur  Naples  ou  sur 
l'Espagne  (3).  Trois  de  nos  navires  éclaireurs,  pour  le 
savoir,  un  soir  de  mai,  se  glissèrent  jusqu'au  fort  de  la  Lan- 
terne, dans  le  port  de  Gênes,  puis  disparurent,  sans  que  la 
galère  de  garde  pût  les  saisir.  Puis  Montmorency  partit 
lui-même  en  reconnaissance  depuis  Bordighera,  où  deux 
galères  du  vice-amiral  de  Saint-Blancard  l'avaient  déposé. 
André  Dorla  restait  en  ol)servation  par  le  travers  de  Sa- 
vone,  attendantque  Saint-Blancard  vînt  le  rallier  le  l"juin 
avec  tous  les  ])âtiments  en  rade  de  Marseille  (4). 

Ce  jour-là,  le  1"  juin,  les  galères  et  les  troupes  d'Alarcon 
quittèrent  Gênes,  emmenant  le  roval  captif  et  son  geôlier. 

(1)  Le  30  avril  (Archives  nat.,  X'»  8621,  fol.    199  v"). 

(2)  vSuivant  commission  de  la  rdj^jentc  ilatéc  de  Ijyon,  23  mai  (Dccuesne, 
Histoire  cjénéalociiquc  de  la  inaison  de  Monlinorenvy.  Preuves,  t.  II, 
p.  276).  —  Francis  Dkcrue,  Anne  de  Montmorency,  grand  inaîlre  et  con- 
netahle  de  France.  Paris,  1885,  in-8",  p.  55. 

(3)  Lettre  de  l'un  des  partants,  le  poète  florentin  Luigi  Alainanni,  Tou- 
lon,  18  mai  (H.  IIauvktte,  Luiiji  Alamanni,  p.  57). 

(4)  De  plus,  trente  bâtiments  barbarcsqucs  attendaient  an  passage  le 
royal  prisonnier  (Sajjuto,  1.  XXXVIII,  col.  374,  375.  —  Champoluon- 
FlCEAC,   p.    18J). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"  ET    DE   CHARLES-QUINT.     190 

Elles  faisaient  escale  le  2  à  Poiiofiiio  el  là  s'attardaient  en 
une  longue  relâche.  Le  jour  même  de  leur  arrivée  dans  ce 
petit  port,  le  maréchal  de  Montmorency  était  parti  pour  la 
Provence,  avec  un  sauf-conduit  de  Lanoy  (1).  Un  coup 
de  théâtre  venait  de  se  produire.  François  I"  avait  écarté 
lui-même  sa  dernière  chance  de  salut.  Au  lieu  de  courir 
l'aventure  d'une  8an{j;lante  mêlée  qui  l'eut  délivré,  il 
affranchissait  son  geôlier  de  toute  crainte  (2),  en  livrant 
six  de  ses  galères  comme  otages  durant  la  traversée.  Dès 
que  le  maréchal  les  eut  ramenées,  le  8  juin,  avec  le  concours 
de  Filippino  Doria,  Saint-Blancard  et  Bernardin  de  Baux, 
elles  furent  occupées  par  les  troupes  espagnoles,  sous 
condition  d'être  relâchées  dès  l'arrivée  en  Espagne  (3). 
Car  c'est  là  qu'on  se  rendait  :  le  vaincu,  aussi  chevale- 
resque qu'imprévoyant,  «  mesurant  le  cœur  de  rempereur 
comme  le  sien  (i)  »  ,  espérait  en  la  miséricorde  impériale, 
autant  qu'il  redoutait  pour  sa  santé  le  climat  napolitain  (5). 
«  Sur  l'cure,  fut  tourné  le  nez  des  gallères  ''  vers  le 
nord-ouest.  On  fit  escale  non  loin  de  Monaco  (6).  Puis,  les 
lignes  montueuses  de  la  Provence  s'estompèrent  à  l'horizon, 
et  le  19  juin  au  crépuscule,  le  royal  prisonnier  mettait  le 
pied  sur  le  déharcadère  préparé  pour  le  recevoir  dans  le 
port  de  Barcelone.  Derrière  les  galères  espagnoles  sous 
grand  pavois  et  en  ordre  triomphal,  aux  yeux  étonnés 
d'une  population  fiévreuse  d'enthousiasme,  parurent  dans 


(1)  Sauf-conduit  également  valable  pour  les  six  galères  qu'il  devait 
ramener  de  Marseille  ou  Toulon.  Portotino,  2  juin  1525  (B.  N.,  Franc. 
3037,  fol.  45). 

(2)  Lettre  de  Lanoy  à  l'empereur,  10  juin  (Migxkt,  t.  II,  p.  107). 

(3)  Accord  entre  Lanoy  et  Montmorency.  Portofino,  8  juin  (Ciiampol- 
tiox-FicEAC,  p.  212.)  —  "  Les  gestes  de...  Anne  de  Montmorency  » 
(B.  N.,  Dupuy  80,  fol.  29). 

(4)  Créance  du  trésorier  Babou  (B.  N.,  Franc.  16590,  fol.  372  v"). 

(5)  Lettre  de  John  Russel,  16  mai  (Mioeï,  t.  II,  p.  105). 

(6)  Lettre  de  La  Barre  à  la  duchesse  d'Angoulême.  "<  De  devant  Tage, 
près  Monègue  »  ,  10  juin  (CuAMPor.i.iox-FiGKAC,  p.  214). 


203  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

une  morne  attitude  nos  six  galères  :  en  grand  deuil  depuis 
la  mort  de  la  reine  Claude,  pavillon  en  berne,  tendelet, 
bannières  et  palementes  en  noir,  elles  s'éloignèrent  triste- 
ment vers  la  France,  dès  que  leur  maîti'e  eût  débarqué  sur 
la  terre  d'exil  (1).  La  vengeance  leur  était  interdite,  l'ar- 
mistice sur  mer  étant  prolongé  (2). 

Que  dis-je!  nos  adversaires,  loin 'de  les  craindre,  comp- 
taient les  asservir.  Pour  préserver  sa  flotte  des  convoitises 
impériales,  le  royal  prisonnier  déploya  de  vrais  talents  de 
diplomate,  tel  d'imaginer,  à  l'heure  de  quitter  ses  galères, 
une  campagne  urgente  contre  les  Turcs,  dont  serait  chargé, 
en  qualité  de  lieutenant-général,  Pero  Navarro  (3).  Et  l'on 
vit  ce  spectacle  extraordinaire,  un  souverain  déprécier 
devant  l'ennemi  sa  propre  marine,  à  seule  lin,  ajoutons-le, 
de  ne  point  en  prêter  le  concours.  —  Mes  galères?  en 
mauvais  état,  déclarait  François  I"  aux  Espagnols.  Les 
autres  navires?  ils  appartiennent  à  un  chevalier  de  Rhodes, 
Bernardin  de  Baux.  Les  galéasses  et  autres  fustes  de 
Doria,  voilà  «  ma  plus  grosse  force  (4)  » .  L'aveu  était 
dépouillé  d  artifice;  il  ne  tomba  point  dans  l'oreille  d'un 
sourd.  Mais  quelles  touchantes  marques  de  sollicitude 
pour  sa  flotte  n'avait  pas  ce  roi,  dont  la  liberté  n'était 
plus,  dont  la  couronne  elle-même  était  en  péril! 

Bourbon,  le  traître  connétable,  avait  offert  à  Henri  VIII 
la  couronne  de  France;  l'Anglais  avait  accepté;  il  la  cein- 
drait à  Paris,  avant  d  accompagner  l'empereur  à  Rome  (5). 

(1)  Archives  d'Aragon,  Dielarîî  triciuii,  journal  catalan  écrit  à  Barce- 
lone (Extrait  fait  par  Tastu,  imprimé  par  A.  Jal,  Arc.héolo(]ie  navale,  t.  I, 
p.  4-81.)  —  Les  galères  étaient  de  retour  le  21  juin  à  Toulon  (Valbelle, 
R.  N.,  Franc.  5072,  fol.  95  v"). 

(2)  Du  14  juillet  au  15  septembre  (B.  N.,  Clairambanlt  324,  fol,  314). 

(3)  Provisions  du  19  juin  1525  (R.  N.,  Moreau  1340.  fol.  333). 

(4)  Instructions  à  Philippe  de  Chabot,  son  plénipotentiaire.  Juillet  1525 

(CuAMPOLLIOX-FlGEAC,    p.    246). 

(5)  Instructions  de  Henri  VIII  à  ses  ambassadeurs  près  de  l'empereur. 
26  mars  1525  (Mignet,  t.  II,  p.  75). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"  ET    DE    CHARLES-QUINT.    201 

V 

LA    LIGUE    DE    COGNAC 

Une  femme  jadis  s  était  dressée  en  face  de  l'Anglais 
triomphant  :  une  femme  fut  encore  la  libératrice  du  terri- 
toire, dont  elle  sauva  rinté.;;rité  par  une  énergique  résis- 
tance aux  impérieuses  demandes  des  vainqueurs.  Par  vin 
traité  habile,  elle  désarma  Henri  VIII  (1)  ;  et  des  liens 
formés  par  une  ingénieuse  diplomatie  paralysèrent  bientôt 
Tempereur.  Non  contente  d'assurer  la  défense  du  royaume, 
de  pourvoir  à  la  protection  des  frontières,  de  solliciter  de 
Soliman  II  une  diversion  en  Autriche,  la  régente  Louise 
de  Savoie  préparait  à  son  fils  une  éclatante  revanche. 

La  même  ardeur  patriotique  qui  avait  jeté  nos  corsaires 
du  Ponant  contre  les  Anglais  et  les  Espagnols,  avait  fait 
des  prodiges  sur  les  bords  de  la  Méditerranée.  Elle  avait 
improvisé  des  chantiers  à  Marseille  pour  fabriquer  les 
galères  que  jadis  Ton  commandait  à  Gênes  (;2).  Yice-amiral 
et  capitaines,  Saint-Blancard,  Doria,  Rostan  et  Baux, 
avaient  construit  chacun  une  division  (3),  si  bien  qu'au 
lendemain  du  bilan  pessimiste  dressé  par  François  L", 
notre  flotte  du  Levant  s'était  accrue  de  quatorze  galères 
neuves  (4),  que  renforcèrent  l'escadre  du  vice-amiral  de 
Bretagne  Lartigue  (5)  et  les  corsaires  normands  du  fameux 
Jean  Fleury  (G). 

(i)  30  août  1525. 

(2)  VALiiELLE,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  99  v". 

(3)  Les  premiers  construisirent  quatre  galères  chacun,  le  dernier  tteux. 

(4)  Dont  les  nouveaux  chefs  de  division  furent  Antoine  Doria,  Magdalon 
d'Ornesan,  frère  de  Saint-Blancard,  et  Maurice  de  .lonas  (B.  N.,  Franc. 
5502,  fol.  5  v",  31  v°;  Nouv.  acq.  franc.  1483,  p.  49). 

(5)  Trois  galions  et  les  nefs  Jacfjucs  et  linnaveutxire  (B.  N.,  Franc. 
14368,  fol.  72  V",  107  v".  182    —  Saxcïo,  t.  XLI,  col.  184). 

(6)  B.  N.,  Clairambaull  1225,  fol.  143. 


■201  histoiiîp:  de  la  maium:  française. 

Quand  François  I",  libéré  par  le  traité  de  Madrid  (1), 
eut  repassé  la  Bidassoa,  Tobjet  de  cette  concentration  de 
nos  forces  navales  apparut  soudain.  Par  une  étroite  alliance 
signée  à  Cognac  (:2),  le  roi,  le  pape,  le  duc  de  Milan, 
Venise  et  Florence  s'engageaient  à  délivrer  l'Italie  de  l'op- 
pression impériale.  Douze  de  nos  galères  devaient  être 
prêtes  à  porter  secours  aux  confédérés  sur  quelque  point 
que  ce  fût  de  la  cote  italienne.  Une  armée  française  de 
douze  mille  hommes  pénétrerait  par  les  montajjnes  dans  le 
Milanais,  que  les  troupes  pontificales  du  duc  de  La  Rovère 
prendraient  à  revers  par  lAdda.  Aux  escadres  alliées,  était 
réservé  le  soin  de  chasser  de  Gênes  et  Naples  les  garnisons 
espagnoles. 

Une  diversion  iiuitlenduc  faillit  bouleverser  ces  combi- 
naisons. Au  début  de  jnin  1526,  trente-six  bâtiments  bar- 
baresqucs  arrivaient  aux  iles  d  Hvères  et  pénétraient  dans 
la  gargate  de  Marseille,  où  ils  causaient  beaucoup  de 
dégâts.  Repoussés  d'Aigues-Mortes  par  le  capitaine  Palais, 
de  Maguelonne  par  les  bour^^eois  de  Montpellier,  les  cor- 
saires de  Sinan  le  Juif  l'cfoulèrent  jusqu'aux  portes  d'Agde 
la  petite  troupe  qui  défendait  la  côte.  Ce  jour-là,  le  20  juin, 
leurs  trois  colonnes  d'attaque,  fortes  chacune  de  cinq  cents 
hommes,  eussent  remporté  un  succès,  sans  l'arrivée  oppor- 
tune du  lieutenant  royal  Pierre  de  Clermont,  qui  les  rejeta 
à  la  mer  (3).  Quelques  jours  plus  tard,  Sinan  le  Juif  man- 
quait de  peu  un  audacieux  coup  de  main  sur  Barcelone. 

Ce  fut  André  Doria  qui  châtia  le  lieutenant  de  Barbe- 
rousse.   N'ayant  cjue  onze    galères   et   deux   brigantins,  il 


(1)  14  janvier  t526. 

(2)  22  mai  1526  :  la  lijjuo  fut  publiée  le  8  juillet.  —  Cf.  G.  JACorKTù?;, 
La  politique  extérieure  de  Louise  de  Savoie  (1525-1526 .)  Paris,  1892, 
in-S",  dans  la  Bibliothèque  de  l'école  des  Hautes-Etudes. 

(3)  Lettres  de  Pierre  de  Cleraiont.  8  juin,  22  juin,  il  juillet  (B.  N., 
Frane.  3073,  fol.  49  v"  :  Clairambault  326,  fol.  201"%  207,   215.  —  V.u.- 

BKI.I.K,    fol.    104  v"). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     203 

n'hésiî.a  pas  à  lui  livrer  combat  dans  le  canal  de  Piombmo. 
Dans  une  furieuse  attaque  où  il  ne  s'épargna  point,  non 
plus  que  ses  neveux  Lazarino  et  Filippino,  qui  furent 
comme  lui  blessés,  André  Doria  détruisit  ou  captura  onze 
bâtiments  ennemis  et  mit  les  autres  en  fuite.  Lui-même 
n'avait  perdu  que  la  Donzella  et  une  galère  de  Rhodes, 
coulées  toutes  deux  (1).  11  était  alors  au  service  du  pape, 
qui  avait  pris  à  la  solde  du  trésor  pontifical  les  huit 
galères  et  les  deux  brigantins  du  hardi  condottiere  (2). 

A  quel  sentiment  avait-il  obéi  en  abandonnant  notre 
drapeau,  sinon  au  dépit  de  passer  en  sous-ordre  de  Pcro 
INavarro  (3)?  C'est  au  transfuge  espagnol,  relaxé  des 
cachots  du  Castel  Nuovo  à  la  suite  du  traite  de  Madrid  (-4), 
que  François  I"  avait  confié  le  commandement  en  chef  de 
la  flotte  confédérée  (5).  Non  plus  qu  André  Doria,  son  com- 
patriote Fregoso  n'entendait  relever  d'un  chef  hiérarchique 
autre  que  le  roi  :  et  alléguant  les  grands  souvenirs  laissés  à 
Gènes  par  une  longue  série  d'aïeux,  il  eût  voulu  prendre  la 
direction  des  opérations  navales;  en  cela,  il  n'avait  d'autre 
mobile  que  l'honneur,  protestait-il,  et  non  son  intérêt  (6). 

Pareilles  dissensions  intestines,  non  moins  que  les 
divergences  de  vues  entre  les  alliés,  expliquent  les  vicissi- 
tudes fcâcheuses  de  la  campagne.  Avec  une  partie  seule- 
ment de  nos  forces  navales  (7),  seize  galères,  deux  galions 
et  quatre  brigantins,   Navarro  avait  occupé    Savone  sans 

(i)  Valrkli.e,  fol.  104  V». 

(2)  GcGUELMOTTi,  Gucna  (Ici  pirati,  t.  I,  p.  243,  276. 

(3)  Sanuto,  Biarii,  t.  XLII,  col.  109. 

(4)  Coleccion  de  documentos  inedilos  parala  hixloria  de  Espana,  t.  XXV, 

p.  343. 

(5)  9  juin  1526  (R.  N.,  Clairambault,  vol.  825,  fol.  114). 

(6)  Lettres  de  Fregoso.  Lyon,  25  et  31  juillet;  Marseille,  8  août  1526 
(H.  N.,  Franc.  3012,  fol.  92,  121,  125). 

(7)  Cette  année-là,  nous  n'eûmes  pas  moins  de  52  vaisseaux  armés  dans 
la  Méditerranée  :  14  navires,  8  galions,  4  carraques,  17  galères,  3  fustes, 
2  grosses  barques,  4  brigantins  (Extrait  du  compte  de  Ragueneau,  R.  IN., 
Franc.  17329,  fol.  188). 


'204  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

coup  férir,  le  IG  août  (1).  D'autre  part,  treize  galères  du 
provcditeur  vénitien  Luigi  Armer  et  huit  autres  du  capi- 
taine pontifical  André  Doria  n'eurent  point  de  peine  à 
prendre  les  forteresses  de  La  Spezia,  Porto-Venere  et  Por- 
tofino  :  pour  ce  faire,  elles  avaient  à  bord  quatre  mille 
fantassins  de  Médicis.  Toutes  les  escadres  réunies  tirèrent 
vers  Gènes,  au  nombre  de  cinquante-six  bâtiments  :  mais 
faute  de  ces  vaisseaux  fortement accastillés,  qu'on  appelait 
des  galères  bâtardes,  elles  ne  purent  riposter,  le  2  sep- 
tembre, aux  grosses  pièces  du  môle.  Une  seconde  démons- 
tration, le  9,  eut  le  même  insuccès.  Les  chefs  d'escadre  et 
Frcgoso  convinrent  unanimement  que,  sans  l'appoint  de 
quatre  mille  fantassins  de  l'armée  de  la  Ligue,  il  serait 
impossible  d'enlever  les  fortifications  toutes  nouvelles  du 
célèbre  Martinengo  (2). 

Le  blocus  à  distance  fut  décidé  :  les  Français  l'exerce- 
raient de  Savone,  les  Italiens  de  Portofino.  En  peu  de 
temps,  les  assiégés  éprouvèrent  pour  un  million  de  dom- 
mage et  se  virent  enlever  deux  convois  de  ravitaillement  ; 
l'un  arrivait  de  Sicile  sous  escorte  d'un  vaisseau  de 
guerre  (3)  ;  l'autre,  formé  des  cuvraques  Ferrara  et  Boscaina 
et  de  quatre  transports,  fut  enlevé  en  Corse,  près  de  Saint- 
Florent,  par  un  détachement  de  huit  galères  (4).  Navrés 
de  la  ruine  de  leurs  compatriotes,  ni  Fregoso  ni  Doria  n'en 
voulaient  plus  être  témoins   :   l'un  parlait  de  se  retirer  à 


(i)  Lettre  de  l'abbé  de  Nagera  à  Charles-Quint.  Milan,  27  août  (Coleccioii 
de  ilocinncntos  incditos  paia  la  historia  de  Eapana,  t.  XXVI,  p.  62). 

(2)  Lettres  d'Armer  et  Navarro  (Saxito,  t.  XLII,  col.  556,  566,  580, 
586,  624).  —  Lettre  de  Fregoso.  Savone,  18  septembre  (B.  N.,  Franc. 
3038,  fol.  89).  —  Valiîellk,  fol.  105  v".  —  Manfroxi,  Sloria  délia  marina 
italiaiia,  p.  268. 

(3)  Coleccion  de  dociiiticitlos  iiiedilos  para  la  historia  de  Espafia, 
t.  XXVI,  p.  59,  63. 

(4)  Compte  de  Ragucneau  (R.  N.,  Franc.  17329,  fol.  188).  —  A.  Grsn- 
NiANO,  Annali  di  Geiion,  fol.  288  v".  . —  P.  Jovk,  trad.  Sauvage  (1570) 
t.  II,  p.  67. 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"  ET    DE   CHARLES-QUINT.     205 

Nice  (1)  ;  l'autre  se  fit  rappeler  par  le  pape,  qui  venait  de 
signer  une  courte  trêve  avec  l'empereur  (2).  Atterre  des 
succès  des  Impériaux  à  Gênes  et  devant  Sienne,  désap- 
pointé par  la  mollesse  de  nos  opérations  et  par  le  refus  de 
Henri  VIII  d'adhérer  à  la  ligue,  Clément  VII  avait  écouté 
les  propositions  de  Moncada  (3). 

Les  Génois  profitèrent  de  cette  défection  pour  prendre  l'of- 
fensive contre  Portofino.  Mais  leurs  troupes,  malgré  l'habi- 
leté de  Martinengo,  leurchef,  durent  battre  en  retraite  avec 
de  loui'des  pertes  (-4).  Il  était  même  question  de  reprendre 
contre  Gênes  une  attaque  combinée  de  la  flotte  et  d'un  corps 
d'armée  du  provéditeur  Pesaro  (5),  quand  une  grave  nou- 
velle vint  jeter  le  désarroi  parmi  les  chefs.  Une  flotte  espa- 
gnole s'armait  à  Carthagène  pour  secourir  les  Génois. 

Navarro  proposa  d'aller  la  brûler.  Armer,  par  une  saison 
aussi  avancée,  jugea  le  projet  impraticable.  André  Doria, 
après  une  courte  absence,  sembla  revenir  tout  exprès  pour 
appuyerson  collègue.  En  dépit  deleurs  remontrances  contre 
un  émiettement  de  la  flotte,  qui  compromettait  l'issue  de 
la  campagne,  Navarro  ne  laissa  en  croisière  de  blocus  que 
la  division  d'Armeretparlit  pour  Marseille  avec  son  escadre, 
accrue  de  quatre  galères  (G) .  Cette  fugue  parut  aux  alliés 
une  façon  d'abandonner  la  guerre,  alors  qu'en  réalité 
Navarro  avait  reçu  de  François  I"  l'ordre  formel  de  barrer, 
coûte  que  coûte,  le  passage  aux  Espagnols  (7). 


(1)  B.  N.,  Franc.  3038,  fol.  89. 

(2)  21  septembre  (Sanuïo,  t.  XLIII,  col.  15,  31). 

(3)  Sur  les  négociations  diplomatiques  qui  furent  engagées  soit  entre  les 
divers  alliés,  soit  avec  l'empereur,  on  lira  avec  fruit  V.-L.  BocnniLLY, 
Giiillauiite  Du  Bellay,  seigneur  de  Lanqey  (1491-1543).  Paris,  1905, 
in-S",  p.  26;  et  la  première  défection  de  Clément  VII,  dans  le  Bulletin 
italien  (1901),  p.  213. 

(4)  Lettre  d'Armer.  4  octobre  (SixuïO,  t.  XLIII,  col.  65). 

(5)  Sancto,  t.  XLIII,  col.  193. 

(6)  Ibidem,  col.  143.  —  Masfrom,  p.  269. 

(7)  Lettre  de  François  I"  à'  Antoine  de  Villiers.  25  octobre  (B.N.,   Coll. 


206  HISTOIRE    I)K    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Il  venait  quérir,  avant  de  se  porter  contre  Garthagène, 
un  renfort  de  douze  gros  voiliers,  qu'il  était  «merveilleuse- 
ment marry  "  de  n'avoir  pas  depuis  longtemps  reçu  (1).  Et 
pourtant  le  commandant  de  la  nouvelle  escadre,  Antoine 
de  Villiers,  sieur  d'Ancienville,  non  plus  que  le  lieutenant- 
amiral  Claude  Durrc,  n'avaient  plaint  leur  peine  (2).  Mais 
comment  armer  promptemenl  une  flotte,  quand  il  fallait 
emprunter  une  douzaine  de  grosses  pièces  aux  châteaux 
royaux,  d'autres  canons  aux  municipalités  de  Lyon,  de 
i\îarseillo,  d'Aix  et  au  corsaire  Jean  Fleury,  des  canon- 
niers  au  maître  de  l'artillerie,  des  vaisseaux  aux  particu- 
liers (3)  !  Faute  de  trouver  prêts  ces  renforts  indispensables, 
Navarro  dut  renoncer  à  l'attaque  de  Garthagène  et,  le  3  no- 
vembre, retourner  au  blocus  de  Gènes  (i). 

Sur  ces  entrefaites,  arriva  la  nouvelle  que  l'escadre  espa- 
gnole tant  redoutée  avait  relâché,  le  11  novembre,  dans  le 
golfe  de  Saint-Florent  en  Gorse  pour  se  refaire  d'une  rude 
traversée.  Sur  trente-deux  vaisseaux,  deux  avaient  sombré 
dans  une  tempête  et  cinq  avaient  été  perdus  de  vue.  A  la 
tête  du  corps  expéditionnaire,  qui  ne  comptait  pas  moins 
de  quatre  mille  fantassins,  trois  cents  cavaliers  et  de  nom- 
breux canons,  étaient  placés  Hernando  de  Alarcon  et  le 
vice-roi  de  Naples  en  personne,  Carlos  de  Lanoy. 


Clairambault  1225,  fol.  14'i'),  —  Instruction  à  La  Ponimeraye  de  ce  qu'il 
aura  à  dire  de  la  part  du  roi  à  Pcro  jNavarro.  3  octobre  (B.  N.,  Franc.  5123, 
fol.  2.  —  BocnniLLY,  p.  32). 

(1)  Lettre  de  Navarro  à  Montmorency.  En  galère,  Savone,  28  septembre 
(B.  N.,  Clairambault  326,  fol.  581). 

(2)  Claude  Durre,  sieur  du  t'uy-Saint-Martin,  et  Villiers  avaient  commis- 
sion d'ordonner  les  dépenses  de  l'armée  de  mer  en  l'absence  de  Navarro. 
26  septembre  (x\rcliivcs  de  la  marine,  B**2,  fol.   1). 

(3)  L'escadre  comprenait,  entre  autres  vaisseau.x,  la  Grande-Maîtresse, 
la  Brave,  la  nef  des  trois  hunes,  et  la  Jhichesse,  achetée  à  Doria.  Lettre  de 
François  I"  à  Villiers.  26  septembre  (B.  N.,  Clairandiault  1225,  fol.  141. 
—  Valbp;llk,  fol.  107). 

(4)  Lettre  de  Bertran  Laurens,  garde  des  munitions  du  roi.  Marseille, 
^  novembre  (Archives  des  Bouches-du-llhône,  B  1260,  fol.  78). 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    G  M  ARLES-Q  U  I  N  T.    207 

Navarro  dépêcha  message  sur  message  à  ses  collègues 
demeures  à  leur  poste  de  IjIocus  à  Portofino.  Mais  il  ne 
s'ébranla,  pour  les  rejoindre,  qu'après  l'arrivée  à  Savone  de 
l'escadre  de  relève  marseillaise.  Laissant  aux  voiliers  de 
Villiers  le  soin  de  continuer  le  blocus,  il  n'emmena  que  les 
galères,  ce  qui  porta  la  flotte  de  choc  à  trente-cinq  voiles. 
Par  malheur,  plus  de  la  moitié  d'entre  elles  étaient  déta- 
chées au.x  vivres  à  Porto- Vcnere  avec  Armer,  quand  Navarro 
eut  avis,  par  un  brigantin  capturé  au  large  de  Portofino, 
que  la  flotte  espagnole  suivait.  Presque  aussitôt,  dans  la 
matinée  du  22  novembre,  trente  gros  vaisseau.x parurent  à  la 
hauteur  de  Sestri-Levantc ,  faisant  route  vers  Gènes. 
Navarro  n'avait  que  seize  galères,  dont  si.\  françaises,  les 
autres  vénitiennes  et  pontificales  par  moitié.  Malgré  son 
énorme  infériorité,  malgré  le  mauvais  temps,  il  donna 
l'ordre  d'attaquer,  et  gagnant  le  vent  une  heure  avant  le 
coucher  du  soleil,  il  entama  une  violente  canonnade  qui 
dura  jusqu'à  neuf  heures.  Armer,  qui  observait  de  loin  l'en- 
gagement, ne  s'y  mêla  point,  dans  le  but,  il  le  dit  lui-même, 
de  ne  point  compromettre  son  escadre. 

La  victoire  pourtant  se  dessinait  du  côté  des  alliés  (l).  Un 
vaisseau  espagnol,  criblé  de  boulets,  sombra  avec  son  équi- 
page et  les  trois  ou  quatre  cents  soldats  du  capitaine  8aa- 
vedra;des  galères  françaises  et  vénitiennes  qui  l'avaient 
cerné,  compagnons  de  guerre  et  soldats  sautaient  à  la  mer 
pour  ramasser  le  Jïutin  qui  surnageait  sur  le  lieu  du  sinistre. 
Trois  autres  grands  vaisseaux  soutenaient  le  choc  de  Navarro 
et  de  Doria,  pour  couvrir  la  retraite  de  leurs  conserves. 
Dans  la  nuit  noire,  la   Portonda,   qui    battait  pavillon  de 

(i)  Sur  la  bataille  de  Sestri  ou  Capo  di  Monte,  consulter  :  Saxuto, 
t.  XLIII,  col.  354,  382,  410,  426.  —  Agostino  Giustixiaxo,  Annali  di 
Genoa,  fol.  278.  —  Ubertus  Folikïa,  Genueiisiiim  Hisloriae,  lib.  12.  — 
Belcarius,  Ilerinn  Gallicarum  commentarius,  lib.  19.  —  F.  DuBo, 
Armada  Espanola,  t.  I,  p.  142.  —  Don  Martin  de  los  Héros,  Historia  del 
condc  Pedro  Navarro,  p.  348.   —  Mankrom,  p.   270.  —  Bourrilly,  p.  34. 


208  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

l'amiral  d'Alarcon,  était  le  point  de  mire  de  nos  coups. 
L'étendard  emporté  par  un  boulet  de  la  Réale,  les  agrès 
hachés,  à  demi  démâtée,  les  canons  hors  d'usage  et  trente 
boulets  dans  la  carcasse,  la  Portonda  finit  par  s'échapper 
vers  Calvi  ;  Villiers,  prévenu  peu  après,  dépécha  de  Savone 
deux  vaisseaux  pour  lui  donner  le  coup  de  grâce  (1).  Les 
autres  bâtiments  espagnols  s'étaient  éparpillés  dans  toutes 
les  directions.  Deux  d'entre  eux,  des  navires  basques, 
étaient  tombés  entre  nos  mains  (2)  :  un  troisième  s'échoua 
à  Monaco;  et  les  cinq  cents  hommes  qui  le  montaient, 
furent  anéantis  ou  capturés  jusqu'au  dernier  par  la  garni- 
son française  de  Savone,  tandisqu'ils  essayaientde  se  frayer 
lui  chemin  vers  le  Milanais. 

Mais  qu'était  ce  léger  succès  à  coté  de  la  réussite  du  plan 
espagnol?  Lanoy  était  parvenu  à  prendre  pied  en  territoire 
italien.  En  dépit  de  la  poursuite  de  la  flotte  alliée,  qui  dut 
chercher  à  Civita-Vecchia  un  abri  contre  la  tempête,  vingt 
vaisseaux  espagnols  débarquaient  quatre  mille  hommes 
environ  à  San-Stefano  dans  le  Siennois,  cinq  autres  por- 
taient leurs  renforts  dans  le  royaume  de  Naples,  à  Gaète. 
«  Chose  de  peu  de  compte,  si  l'on  avait  icy  affaire  à  gens 
qui  eussent  cueur  et  gentil  et  hardy,  —  écrivait  de  Rome 
Renzo  da  Ceri.  —  Mais  sont  presbtres  et  Florentins  pour 
tous  potaiges  (3).»  Le  pape  éperdu  donna  ordre,  en  effet, 
de  diriger  immédiatement  une  partie  de  la  flotte  sur  l'Arno 
pour  protéger  Florence,  et  il  manda  à  son  secours  le  reste 
des  navires,  galères  et  gros  vaisseaux.  Laissant  au  provédi- 
teur  vénitien  et  à  Saint-Blancard  le  soin  d'accomplir,  avec 
seize  galères,  la  première  de  ces  missions,  Navarro  alla 
quérir  à  Savone  les  dix-huit  voiliers  de  Villiers,  qui  venaient 
de  charger  cinq  mille  hommes.  Villiers  prit  la   mer;  mais 

(1)  S\NUTO,  t.  XLIII,  col.  496.  —  Decruï:,  Anne  de  Montmorency,  p.  89. 

(2)  Extrait  du  compte  de  Ragueneau  (B.  N.,  Franc.  i7329,  fol.  188). 

(3)  Rome,  29  novembre  (B.  N.,  Franc.  3009,  fol.  48). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     209 

la  tempête  avait  dispersé  ses  vaisseaux,  les  matelots  s'étaient 
mutinés  :  bref,  Navarro  dut  s'occuper  en  personne  de  trans- 
porter à  Livourne  les  troupes  commandées  par  Renzo  da 
Geri  (1). 

Les  craintes  de  Clément  VII  n'étaient  que  trop  fon- 
dées (2).  Du  nord,  l'armée  du  connétable  de  Bourbon  et 
de  Frvindsberg,  du  sud,  les  troupes  de  Moncada  et  des 
Colonna  convergeaient  vers  la  Ville  Eternelle.  Navarro,  qui 
s'obstinait  au  blocus  de  Gênes,  reçut  du  pape  l'ordre  pres- 
sant de  relourner  protéger  les  Florentins  contre  les  bandes 
féroces  de  Frundsberg  (;î).  Tout  l'espoir  du  Saint-Siège 
reposait  dans  l'armée  navale.  Et  le  capitaine  général, 
n'ayant  pas  d'argent,  n'avait  ni  ses  vaisseaux  en  état,  ni 
ses  équipages  au  complet  (4).  Il  ne  quitta  point  Savone  (5), 

Seules,  deux  de  nos  galères  et  la  division  d'André 
Doria  (6)  prirent  la  route  du  royaume  de  Naplcs,  oîi  les 
troupes  de  Rcnzo  da  Geri  tenaient  tête  au  vice-roi  espagnol 
et  le  mettaient  en  pleine  déroute  non  loin  de  Gaète.  Gette 
victoire  rendit  qucl(|uc  courage  au  pape,  déjà  tout  prêt  à 
traiter  avec  l'ennemi  :  il  manda  incontinent  à  André  Doria 
de  barrer  aux  fuyards  le  chemin  de  la  retraite  (7). 

A  Doria  s'attacha  un  prétendant  au    trône  de  Naples, 

(1)  Lettre  de  Saint-BIancard.  Savone,  23  décembre  (B.  N.,  Clairauibault, 
vol.  327,  fol  98).  —  Lettre  de  Ferez.  Rome,  15  décembre  (Cnleccion  de 
docinncntox  inedîtos. . .  de  Eapana,  t.  XXVI,  66). 

(2)  Sur  les  alternatives  de  crainte  et  d'espoir  du  pape,  et  ses  résolutions 
sans  cesse  changeantes,  lire  Boueuilly,  p.  33. 

(3)  Lettre  de  Navarro  au  roi  pour  lui  soumettre  la  demande  du  pape. 
Savone,  18  janvier  1527  (B.  N.,  Clairauibault,  vol.  326,  fol.  42,  copie; 
Franc.  3037,  fol.  15,  orig). 

(4)  Lettre  de  Renzo  à  Montmorency.  Rome,  17  février  (B.  N.,  Clairaui- 
bault, vol.  326,  fol.  67). 

(5)  François  \"  lui  mande  de  relever  l'escadre  des  voiliers  en  blocus. 
11  mai  (B.  N.,  Clairauibault,  vol.  1225,  fol.  145). 

(6)  Sasuto,  t.  XLIV,  col.  294. 

(7)  Lettre  datée  de  Rome,  6  février  (B.  N.,  Franc.  20487,  fol.  10).  Selon 
cette  lettre,  le  pape  était  prêt  à  livrer  aux  Espagnols  le  comte  de  Vaudémont 
et  tous  les  Français  alors  à  Rome. 


210  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Louis  de  Lorraine,  comte  de  Yaudcmont,  qui  tenait  ses 
droits  de  la  maison  de  Lorraine-Anjou.  Avec  eux,  s'embar- 
quèrent les  fameuses  bandes  noires  de  Jean  de  Médicis, 
dont  le  commandement  avait  passé  au  Pérugin  Orazio 
Baglionc. 

Contre  Pouzzoles,  leur  attaque  écboua.  Elle  réussit 
contre  Gastellamare,  de  l'autre  côté  du  golfe,  parce  qu'ils 
avaient  été  rejoints  dans  l'intervalle  par  le  pi^ovéditeur 
vénitien  da  ^lula,  successeur  d'Armer.  Cinq  cents  Napoli- 
tains arrivés  la  veille,  le  27  février  L527,  pour  défendre 
Gastellamare,  ne  purent  tenir  contre  le  bombardement  de 
la  flotte  et  le  mouvement  tournant  des  troupes  de  débai^- 
quement  qu'Orazio  Baglionc  amenait  par  la  montagne.  La 
conquête  fit  tache  d'huile.  Sorrente,  Vico,  Torre  del  Grèce 
envoyèrent  leurs  clefs. 

Le  6  mars  1527,  une  colonne  de  dix-sept  cents  hommes, 
soutenue  par  la  flotte,  marchait  sur  Naples;  après  une 
escarmouche  au  passage  du  rio  Sebeto  contre  Moncada  (1), 
elle  délogeait  les  Espagnols  du  faubourg  de  la  Maddalena 
et  avançait  jusqu'à  la  porte  du  Carminé.  Par  un  trompette, 
Yaudémont  envoya  sommer  la  garnison  de  capituler.  Mille 
hommes  de  plus,  et  il  était  maître  de  la  ville.  La  popula- 
tion resta  coi.  Le  canon  du  Castel  Nuovo  tenait  en  respect 
nos  galères.  Un  ouragan  s'annonçait.  Bref,  il  fallut  pour  la 
flotte  chercher  ailleurs  un  abri,  après  avoir  rembarqué  les 
troupes. 

A  Salerne,  Yaudémont  prit  sa  revanche,  le  17  mars,  en 
s'emparant  de  la  ville  sans  coup  férir.  Le  lendemain,  Orazio 
Baglionc,  laissé  à  la  garde  de  Salerne  avec  quatre  galères 
et  six  cents  fantassins,  foudroyait  les  trois  têtes  de  colonne 
d'une  armée  de  quinze  cents  hommes,  que  ^îoncada  et  le 

(i)  Baeça,  Vida  de  don  Hugo  de  Moncada,  p.  61.  —  Lettre  de  Vaudé- 
mont  au  roi  après  la  prise  de  Gastellamare  (B.  N.,  Clairanibault  326, 
fol.  5). 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     211 

prince  de  Salerne  amenaient  de  Naples.  Deux  cent  cin- 
quante soldats  restèrent  sur  le  terrain.  Le  reste  battit  en 
retraite  (1). 

Aux  rêves  ambitieux  de  Vaudémont,  le  pape  mit  un 
terme,  en  signant  la  trêve  du  25  mars  avec  le  vice-roi 
espagnol  et  en  rappelant  l'escadre  de  Doria.  Epouvanté  de 
la  marclie  sur  Rome  de  l'armée  de  Bourbon,  il  s'était  pré- 
cipitamment dégagé  de  la  ligue,  sans  pouvoir  se  soustraire 
pour  autant  au  ressentiment  des  Espagnols.  Le  connétable 
félon  refusa  de  reconnaître  le  pacte  signé  par  Lanoy.  Et 
le  0  mai,  à  deux  heures  du  matin,  il  donnait  l'assaut  à  la 
Ville  Eternelle.  En  vain,  les  arquebusiers  français  de  Renzo 
da  Ceri  et  Guillaume  Du  Bellay,  les  soldats  de  Baglione  oppo- 
sèrent-ils une  vive  résistance.  Le  pape  Clément  VII  tom- 
bait prisonnier,  Rome  était  mise  à  sac,  et  un  poète  data 
son  œuvre  :  «  Ex  Urbis  cadavere  (2).  "  André  Doria, 
qui  avait  inutilement  tenté  de  forcer  le  cordon  des  assié- 
geants (3),  reçut,  par  surcroit,  l'ordre  de  consigner  aux 
vainqueurs  le  port  de  Civita-Vecchia  (4).  Au  lieu  de  s'y 
soumellrc,  il  prit  la  route  de  la  France  :  le  Li  juillet,  ses 
huit  galères  et  ses  deux  brigantins  entraient  à  la  solde  du 
roi  (5).  Et  tout  de  suite,  Doria  se  signalait  par  une  action 
d'éclat  d'une  portée  considérable. 

A  la  prise  de  Rome,  les  Français  répondirent  par  un 
coup  de  tonnerre.  Gênes,  la  place  forte  des  Impériaux  en 


(1)  Sasuto,  t.  XLIV,  col.  143,  188,  234,  283.   -  Man-kront,  p.  273. 

(2j  Cf.,  sur  le  sac  de  Rome,  la  liste  des  sources  dans  Gughkl.'MOTti,  La 
Guerra  dci  piiatl,  t.  I,  p.  287,  et  Léon  Dokez,  Le  sac  de  Rome  (1527). 
Relation  inédite  de  Jean  Cave,  Orléanais.  Rome,  1896,  in-8°,  cf.  p.  74. 

(3)  Elocjio  htorico  d'Andréa  Doria.  Parme,  1781,  p.  245  :  E.  Pktit, 
André  Doria,  p.  60.  —  Bourrilly,  p.  44. 

(4)  Sascto,  t.  XLV,  col.  218.  —  GuGUKLMOTTr,  t.  I,  p.  289.  —  Man- 
FROxi,  p.  274. 

(5)  Ce  jour-là,  Doria  toucliait  une  avance  de  18450  livres  (B.  N.,  Franc. 
5502,  fol.  93).  —  Il  devait  recevoir  38000  ducats  par  an  (Ma>-fro>i, 
p.  274). 


212  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Italie,  fui  en  un  instant  cernée.  Lauti^ec,  avec  un  corps 
mixte  de  Français,  de  Vénitiens  et  de  bannis  génois;  André 
Doria,  avec  vingt-quatre  galères;  Charles  Du  Solier  de 
jVIorette,  qui  succéda  comme  capitaine  général  des  vingt- 
gcpt  vaisseaux  ronds  (1)  au  sieur  de  Villiers  (2),  combi- 
nèrent contre  elle  leurs  efforts.  Un  blocus  rigoureux 
réduisit  promptement  à  la  famine  les  assiégés  (^^). 

Sous  la  protection  de  trois  galères  espagnoles  et  de  cinq 
galères  génoises  qu'vin  bastion  élevé  à  l'entrée  du  port  épau- 
lait, un  important  convoi  de  blé  de  Sicile  attendait  à  Por- 
tofîno  un  instant  propice  pour  passer.  Doria  ne  lui  en  laissa 
pas  le  loisir.  Douze  cents  hommes  de  Filippino  et  Antonio 
Doria  barrèrent,  près  du  village  de  San-Michelc,  la  route 
qui  venait  de  Gènes  et  que  la  compagnie  d'escopettiers  de 
l'enseigne  Cicala,  postée  derrière  les  roches,  prenait  d'cn- 
fdade,  A  l'aube,  parurent  huit  cents  hommes,  expédiés  par 
le  doge  au  secours  de  Portofino.  Le  capitaine  de  la  garde 
palatine,  Agostino  Doria,  et  Agostino  Spinola,  qui  les  com- 
mandaient, délogent  les  escopettiers  de  Cicala,  les  rejettent 
en  désordre  sur  le  bataillon  des  Doria,  capturent  Filippino, 
mais,  au  moment  de  recueillir  les  fruils  de  leur  victoire, 
se  voient  subitement  rappelés  à  la  défense  de  Gènes.  Cette 
ville  était  serrée  de  près  par  les  troupes  de  Ccsare  Fregoso, 
détachées  de  l'armée  de  Lautrec. 

Avant  de  partir,  Spinola  avait  engagé  les  patrons  de  l'es- 
cadre bloquée  à  prendre  l'offensive  contre  une  flotte  démo- 
ralisée, pensait-il,  par  l'échec  des  compagnies  de  débar- 
quement (4).  La  brusque  attaque  d'André  Doria,  le  15  août, 

(ï)  12  navires,  3  carraqucs,  2  fastes,  6  barques  provençales  et  4  yalions 
normands,  selon  lettres  de  provision  du  30  mai  (B.  N.,  Franc.  17329, 
fol.  188  y"). 

(2)  Lettre  de  François  I"'  à  Villiers,  alors  à  Savone.  11  mai  (B,  N.,  Clai- 
rambault  1225,  fol.  145). 

(3)  1>.  JovE,  trad.  Sauvage  (1570),  t.  II,  p.  68. 

(4)  GcicnARDiN,  liv.  IV,  chap.  iv. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE    G  H  AR  LES-Q  UI  NT.     213 

déjoua  ce  projet.  Les  galères  adverses  cherchent  à  s'enfuir 
dans  la  direction  de  Ropallo  ;  mais,  au  bout  de  deux  milles 
les  forçats  jettent  leurs  rames  en  criant  :  »  Liberté!  "  La 
galère  de  Giuliano  de  La  Riva,  familier  du  doge,  une 
seconde  galère  génoise,  sept  autres  de  Sicile,  de  Gènes  et 
d'Espagne,  la  grande  carraque  de  Giustiniano,  avec  une 
riche  cargaison  en  provenance  de  Chio  et  du  Levant,  tout 
le  convoi,  trente-deux  bâtiments  tombaient  au  pouvoir  de 
Doria.  Seul,  le  bossu  Giustiniano,  l'un  des  meilleurs  marins 
de  la  République,  avait  échappé  avec  sa  Gobha  (1). 

La  victoire  de  Portofino  eut  un  effet  moral  immense.  Le 
19  août,  Gènes  était  attaquée  du  côté  de  vSan-Pier  d'Arena 
par  Fregoso  et  Laulrec.  De  la  grande  nef  Grimalda  encore 
en  chantier  et  transformée  en  bastion  de  fortune,  les  esco- 
pettiers  de  Gesare  Fregoso  foudroyent  les  troupes  de  Marti- 
nengo.  Le  grand  ingénieur  tombe  prisonnier.  Le  doge,  le 
podagre  Adorno,  à  cette  nouvelle,  s'affole,  relâche  Filip- 
pino  Doria  et  capitule,  alors  qu'une  flotte  espagnole  arrive 
de  Valence  à  son  secours  (2).  Il  fut  remplacé  par  un  gou- 
verneur français,  par  Trivulce. 


VI 

L'EXPÉDITION    DE    SARDAIGNE 

Une  action  d'éclat  aussi  retentissante  valut  à  André 
Doria  le  commandement  en  chef  de  la  flotte  du  Levant  (3), 

(1)  P.  Jovt,  trad.  Sauvage,  t  II,  p.  69.  Les  prises  comprenaient  une 
carraque,  8  navires,  2  fastes,  12  barques  et  9  galères  (Compte  de  Rague- 
neau  :  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.   188  v°.  —  Clairambault  326,  fol.  7). 

(2)  Lettre  de  Clermont-Castelnau  (B.  N.,  Clairambault  326,  fol.  423). 

(3)  Par  une  commission  royale,  en  date  du  7  septembre  1527,  qui  lui 
adjoignait  Antoine  de  La  Rochefoucauld,  sieur  de  Barbesieu.\,  pour  lieute- 
nant général  (B.  iS.,  Moreau  1340,  fol.  335.  —  Clairambault  825, 
fol.  114  V"). 


214  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

juste  compensation  des  offres  magnifiques  que  lui  avait 
faites  l'empereur  (l).  Et  comme  il  célébrait  son  mariage 
avec  Peretla  Uso  di  Mare  en  l'église  San-Matteo  de  Gènes, 
un  envové  du  roi  lui  remit,  en  guise  de  cadeau  de  noces, 
le  collier  de  Saint-Michel  (2). 

La  position  d'un  étranger  à  la  tête  de  la  flotte  française 
froissa  des  susceptibilités  que  Doria  n'essaya  point  du  reste 
de  ménager.  Pour  un  refus  d'embarquer  des  troupes  sur 
ses  deux  galères,  Frère  Bernardin  de  Baux  fut  relevé  de 
son  commandement  et  remplacé  par  Guillaume  Du  BcUav, 
le  porteur  du  collier  de  Saint-Michel.  Bernardin  alla  mourir 
de  chagrin  à  Marseille  (3),  léguant  au  grand  maître  Anne 
de  Montmorency  (4)  ses  vaisseaux  et  sa  vengeance.  Le  grand 
maître  eut,  pour  correspondant  attitré  sur  la  flotte,  un 
détracteur  acharné  de  Doria,  Jacques  Colin  l'humaniste, 
le  lecteur  du  roi. 

Gènes  enlevée,  François  I"  voulait  précipiter  les  coups. 
Renzo  da  Ceri,  rappelé  des  Etats  pontificaux,  eut  ordre  de 
prendre  à  Gènes  le  commandement  d'un  corps  expédition- 
naire de  six  mille  hommes  à  destination  du  royaume  de 
Naples  (5).  Il  irait  par  mer,  débarquerait  au  choix  dans  le 
rovaume  napolitain,  en  Sicileouen  Sardaigne.  lierait  même 
partie  avec  le  bey  de  Tunis,  qui  avait  jadis  promis  le  con- 
cours de  sa  flotte;  mais  surtout,  il  empêcherait  que  le  pape 
ne  fut  traîné  par  ses  geôliers  de  Gaète  en  Espagne,  tant 
on  redoutait  de  voir  céder  aux  exigences  impériales  la 
faiblesse  accoutumée  du  pauvre  captif. 

(1)  Et  que  Guillaume  du  Bellay  avait  combattues  (V.-L.  Bourrilly, 
Guillaume  du  Bellay,  seifj7ieur  de  Langey  (1491-1543),  p.  46). 

(2)  13  octobre  (Lettre  de  Jacques  Colin  à  Montuiorency.  12  octobre  : 
Chantilly,  Musée  Condé,  série  L,  vol.  V,  fol.  288  :  BounniLLY,  p.  50j. 

(3)  Agostino  GirsTisiAso,  Aiinali  dclla  republica  di  Genoa,  fol.  279  v". 

(4)  Et  à  Claude  Durre,  sieur  du  Puy-Saint-Martin.  Le  legs  fut  confirmé 
par  le  roi  en  mars  1528  (Archives  nat.,  K  1219). 

(5)  Minute  des  instructions  de  Renzo.  Compiègnc,  septembre  1527 
(B.  iS\,  Collection  Dupuy  040,  fol.  171). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"    ET    DE   CH  aRLES-Q  U  I  N  T,     215 

Des  instriiclions  aussi  élastiques  ne  constituaient  point 
un  plan  de  campagne.  C'était  à  Renzo  de  le  dresser,  mais 
sans  rien  empiéter  sur  les  pouvoirs  du  chef  de  Tarmée 
navale,  André  Doria  (1),  et  après  entente  préalable  avec  le 
général  de  l'armée  de  Lombardic,  Laulrec.  Odet  de  Foix, 
sieur  de  Lautrec,  devait  s'enfoncer  dans  la  Romagne,  en 
faisant  courir  le  bruit  qu'il  allait  droit  à  Rome  délivrer  le 
Saint-Père  (2j .  Pas  de  plan;  pas  d'unité  de  commande- 
ment, et  avec  cela,  pas  d'argent  :  le  corps  de  Renzo  serait 
entretenu  pour  moitié  par  des  prêts  consentis  par  les  capi- 
taines de  la  flotte  sur  la  valeur  de  leurs  prises;  Lautrec 
vivrait  sur  le  pays,  à  la  mode  tudcsque,  qui  arrivait  mieux 
à  ses  fins  par  la  rudesse  que  nous  par  notre  »  bénignité  »  . 

L'accueil  fait  par  Lautrec  aux  instructions  rovalcs  fut 
des  plus  froids.  Il  y  a  quarante  jours  que  l'expédition  aurait 
dû  partir,  écrivait-il  au  roi  :  en  jetant  le  trouble  dans  l'Italie 
méridionale,  elle  eût  forcé  l'armée  impériale  à  se  replier 
de  la  Romagne  sur  Naples,  et  rendu  la  couHance  aux  Flo- 
rentins et  au  pape.  La  saison  est  maintenant  bien  avancée 
pour  le  départ  des  galères,  dont  les  prises,  du  reste,  ne 
pourraient  couvrir  l'entretien  des  troupes  embarquées  (3). 

On  s  arrêta  en  délinitive  à  un  projet  de  conquête  de  la 
Sicile.  Selon  les  devis  de  Pero  Navarro,  cinq  à  six  mille 
hommes  suffisaient,  avec  quelque  cavalerie  et  un  parc  de 
siège.  Navarro  conseillait  l'emploi  de  grands  transports, 
capables  de  passer  chacun  sur  le  corps  d'une  douzaine  de 
navires  et  de  se  défendre  dans  un  port  par  leurs  propres 
movens  (4) . 

(1)  Instructions  à  Doria,  12  septembre  (B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  188  v"). 

(2)  Minute  des  instructions  de  Lautrec.  Couipiégne,  26  septembre  (//;<>/., 
fol.   176). 

(3)  Lettre  de  Lautrec  au  roi.  Camp  devant  Pavie,  10  octobre  1527 
(A.  Cu.\MPOLLiox-FiGEAi:,  Captivité  de  François  I",  p.  25] . 

(4)  «  Emprise  de  Cccille  selon  l'advis  et  oppinion  du  conte  Pedro 
Navarro  »  (B.  N.,  Franc.  3050.  fol.  58). 


216  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

Le  rccrutenieiit  du  corps  expéditionnaire  ne  se  fit  pas 
sans  peine.  Renzo  alla  jusqu'en  Toscane  quémander  des 
volontaires,  Guillaume  Du  Bellay  jusqu'à  1  armée  de  Lau- 
trec  devant  Pavie.  A  eux  seuls,  Guillaume  et  ses  frères 
Jacques  et  Nicolas  Icvcrcnl  une  compagnie  de  marins  et 
gcnlilshommes,  qu'ils  équipèrent  à  leurs  frais  (1).  Bref, 
quatre  mille  trois  cents  hommes  de  troupes  furent  rassem- 
blés, partie  à  Gênes,  partie  à  Livourne,  rendez-vous  général 
des  escadres,  partie  à  Piombino.  La  flotte  d'André  Doria 
et  du  provéditeur  Giovanni  Moro,  —  vingt  galères  de 
France  et  dix-huit  de  Venise,  —  s'était  ébranlée  les  1:2  et 
14  novembre  et  descendait  vers  le  sud,  quand  la  tempête 
la  força  à  rétrograder  vers  Livourne  et  à  y  stationner  une 
douzaine  de  jours. 

Alarmés  des  avaries,  des  maladies,  de  la  diminution  des 
vivres,  les  commandants  en  chef  et  leurs  lieutenants  tinrent 
conseil  (2).  Doria  opina  pour  une  descente  en  Sardaigne, 
d'une  conquête  plus  facile  que  la  Sicile  et  presque  aussi 
utile  qu  elle  pour  couper  les  communications  de  l'empereur 
avec  le  sud  de  l'Italie  :  la  mauvaise  saison,  la  disette  de 
vivres  étaient  des  raisons  majeures  pour  ne  pas  s'aventurer 
plus  loin.  En  vain  Renzo  da  Ceri,  soutenu  par  les  réfugiés 
siciliens  Gesare  Imperatori,  (jirolamo  di  Lcofantc,  Pietro 
Spalafuora  et  autres,  voiihut-il  conlmuer  vers  la  Sicile. 
Appuyé  par  son  collègue  vénitien,  André  Doria  ne  tint  pas 
compte  de  leurs  désirs. 

Après  escale  en  Corse,  à  Porto-Vecchio  et  Bonifacio,  le 
8  décembre,  il  débarqua  à  Castel-Sardo,  dans  le  golfe  de 
lAsinara,  les  troupes  de  son  neveu.  Filippino  Doria  marcha 
aussitôt   sur   la  forteresse   de    Castel-Genovese.    Repoussé 

(1)  B.  N.,  Franc.  3076,  fol.  28.  —  Bourrilly,  p.  51. 

(2)  Lettres  de  Guillaume  du  Bellay  (Livourne,  12  novembre  1527)  et 
Jacques  Colin  (Savone,  30  janvier  1528)  à  3Iontmorencv  (B.  N.,  Franc. 
3079,  fol.  109  :  Musée  Condé.  série  L,  vol.  V,  foi.  174. )  —  Saxvto, 
t.  XLYI,  col.  360,  54'1.  —  Bounnii-LY,  p.  52. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   Cil  ARLES-QUI N  T.     217 

malgré  l'appui  de  Rcnzo,  qui  avait  fait  sa  jonction  avec  lui, 
malgré  le  dévouement  de  Jacques  Du  Bellay,  colonel  de 
deux  mille  hommes,  qvii  se  fit  tuer,  malgré  le  concours  de 
la  flotte  qui  secondait  l'assaut  par  un  vigoureux  bombar- 
dement, Filippino  Doria  s  enfonça  dans  les  terres.  A  Sorso, 
il  enleva  sans  coup  férir  de  grands  approvisionnements  de 
blé,  sauvant  ainsi  de  la  famine  les  équipages  etles  troupes; 
mais  le  blé  cuil  en  guise  de  pain  provoqua  parmi  les  malheu- 
reux une  épidémie  de  scorbul.  Et  le  gouverneur  de  la  pro- 
vince venait  à  notre  rencontre  avec  une  petite  armée;  Filip- 
pino le  culbuta  et  entra  dans  Sassari.  Son  objectif  était 
évidemment  Alghero,  port  fortifié  sis  de  l'autre  côté  de  la 
presqu  ile  de  l'Asinara,  devant  lequel  la  flotte  d  André 
Doria  parut  subitement  après  avoir  contourné  la  pénin- 
sule. La  ville  était  trop  forte  pour  être  enlevée  d'un  coup 
de  main,  et  la  mortalité  parmi  les  marins  devenait 
effravante  (l).  A  Porto-del-Gonte,  l'escadre  vénitienne 
avait  une  moyenne  de  dix  décès  par  jour.  Les  troupes  de 
Renzo  à  Porto-Torrès  dans  le  golfe  du  débarquement,  et  la 
flotte  de  Doria,  qui  s  était  retirée  à  l'ilc  de  1  Asinara, 
n'étaient  pas  moins  éprouvées  malgré  le  soin  qu'on  avait 
pris  d'isoler  les  divers  contingents,  tant  à  cause  de  la  con- 
tagion de  la  peslc  (pie  pour  les  facilités  du  ravitaille- 
ment (2).  Le  mécontentement  grandissait  parmi  les  soldats, 
la  mésintelligence  entre  les  chefs. 

Sur  la  menace  des  deux  amiraux  d'abandonner  l'entre- 
prise, Renzo  et  Guillaume  Du  Bellay  décidèrent  de  con- 
server seize  galères  seulement  pour  la  garde  de  leurs  con- 
quêtes. Puis,  devant  la  recrudescence  de  la  peste,  il  fallut 
songer  à  la  retraite.  Renzo  eût  voulu  gagner  la  Sicile  après 

(1)  Compendio  d'A'S'ïoyiO  Doi\ia  dcllc  cose  di  sua  notitia,  p.  34-35.  — 
Vamîelle,  fol.  lit  v",  118.  —  Agoslino  Giustima>o,  fol.  279  v".  —  Lettre 
de  Guillaume  Du  Bellay.  De  l'Asinara,  13  janvier  1528  (B.  N.,  Franc. 
3079,  fol.  59). 

(2j  SA>t-TO,  t.  XI.VI,  col,  Ô39. 


218  IllSTOIRK    DK    LA    MARII\E    FRANÇAISK. 

5  être  ravitaille  à  Tunis,  où  Du  Bellay,  trois  ans  auparavant, 
avait  noué  des  intelligences  fl).  Mais  André  Doria,  plutôt 
que  de  se  confier  à  la  foi  punique  des  nouveaux  maîtres  de 
Cartilage,  préféra  virer  de  liord  vers  Livourne,  où  s'opéra, 
dans  les  premiers  jours  de  février  15;28,  la  dislocation  des 
flottes.  Tandis  qu'il  gagnait  Gênes,  Moro  l'Adriatique  et  Du 
Bellay  le  camp  de  Lautrcc,  à  la  frontière  du  royaume  de 
INaples  (2j,  le  baron  de  Saint-Blancard  ramenait  à  Mar- 
seille nos  quatorze  galères  (3),  au  moment  même  où  une 
escadre  de  renfort,  commandée  par  le  lieutenant  du  grand 
maître,  Christophe  de  Lubiano,  allait  partir  pour  la 
Sicile  [A). 

Les  navires  étaient  délalirés,  Renzo  furieux  de  son  échec, 
les  exilés  siciliens  déçus  dans  leurs  espérances  de  rapatrie- 
ment. De  tout,  Doria  fut  le  bouc  émissaire.  Et  comme  il 
était  absent,  il  fut  chargé  en  Cour  par  ses  subordonnés,  par 
le  capitaine  Jonas,  entre  autres,  porteur  du  rapport  officiel, 
et  par  les  correspondants  du  grand  maître  de  Montmorency  : 
Impériale?  un  incapable,  disait  Doria  ;  Jacques  Colin?  «un 
coquin  écervelé  »  ;  Maurice  de  Jonas?  u  un  présomptueux 
qui  jamais  n'a  voulu  obéir  (5)  » .  De  fait,  comme  pour  jus- 
tifier l'appréciation  du  grand  homme  de  mer,  Jonas  fut, 
par  la  suite,  privé  du  commandement  de  ses  galères  et  jeté 
à  la  Bastille,  une  prison  qui  avait  déjà  jiiscpi  à  Marseille  la 

(1)  Suivant  une  IcUie  de  ikui  tle  Franeois  1"',  Du  liellay  avait  été  depèclië 
Il  en  Thunis  et  Sicile,  ou  temps  qu'estions  ou  camp  devant  l'avie  »  (Boun- 
niLLY,  p.  14,  note  1). 

(2)  Lettres  de  Guillaume  Du  Bellay  et  Renzo  à  Moolnioreney.  Livourne, 

6  et  8  février  (B.  N.,  Franc.  20504,  fol.  86;  Franc.  3013,  fol.  146.  —  Borr,- 
niLLv,  p.  53). 

(3)  A  la  mi-février  (Valbelli;,  fol.  J18). 

(4)  Il  complétait  ses  chiourmes  le  9  février  en  vue  de  1  e.vpédition  de 
iSicile  (Archives  municipales  de  Toulouse,  ms.  153,  p.  275). 

(5)  Lettre  de  Doria  au  grand  maître.  Gènes,  24  mars  1528  (B.  N.,  Franc. 
3106,  fol.  68,  orig.  :  Clairambault  327,  fol.  251;  publiée  par  le  marquis 
Masslmiliano  Spinola,  Alli  délia  Sociela  ligure  di  storia  patria,  t.  IV, 
fasc.  IV  (1867),  p.  426). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     '210 

réputation  sinistre  de  ne  plus  rendre  ses  prisonniers  (1). 

Doria  n'était  plus  obéi  des  capitaines  français.  Huit 
lettres  de  lui  restèrent  sans  réponse.  Au  lieu  de  s'adresser 
à  son  chef,  Saint-Blancaixl  affecta  de  ne  soumettre  qu'au 
grand  maître  un  nouveau  plan  de  campagne,  qui  consis- 
tait à  surprendre  dans  le  port  de  Garthagènc  la  flotte  espa- 
gnole. Les  quinze  galères  royales  rejoindraient  ensuite  à 
Naples  les  flottes  d'André  Doria  et  des  Vénitiens  (i).  Un 
renseignement  que  lui  fit  passer  le  lieutenant  du  roi  en 
Languedoc,  fortifia  Saint-Blancard  dans  la  résolution  de 
faire  d'al)ord  campagne  en  Espagne.  Plusieurs  galères  se 
trouvaient,  désarmées  encore,  à  Palamos,  à  l'abri  d'un 
mauvais  château  ;  Saint-Blancard ,  estimant  aisé  de  les 
détruire  (3),  obtint  directement  de  la  Cour  l'autorisation 
d'exéculer  son  coup  de  main. 

Ce  plan  était  trop  logique  pour  ne  pas  avoir  l'approbation 
d'André  Doria.  Mais  le  général  des  galèi'cs,  ulcéré  déjà  à 
l'idée  que  bes  détracteurs  seuls  étaient  écoutés  du  roi  (4), 
fut  révolté,  quand  il  apprit  que,  sans  le  consulter,  lui,  un 
vieillard  à  barbe  blanche,  lui,  le  chef  de  1  armée  navale, 
on  avait  chargé  autrui  d'agir. 

a  Sire,  écrivait-il  en  offrant  sa  démission,  il  vous  a  pieu 
me  establir  vostrc  lieutenant  général  en  vostre  armée  de 
mer...  Et  mainlenant,  sire,  dictes  par  vostre  lettre  que  ne  me 
pourroys  trouver  en  ladite  emprise  de  Gathalongne  pour  la 
distance  d'icy  en  Prouvence.  Je  n'ay  jamais  trouvé  aucun 
voiage  difficile,  quant  y  a  eu  apparence  de   quelque  bon 


(1)  1534  (Valbelle,  fol.  177.)  —  Les  Marseillais  avaient,  du  reste, 
envoyé  une  plainte  formelle  au  roi  contre  les  attentats  commis  dans  leur 
ville  par  les  gens  de  Jonas  (B.  N.,  Franc.  3096,  fol.  35). 

(2)  Lettre  de  Saint-Blancard  au  grand  maître.  Marseille,  5  mars  (B.  N., 
Clairambault  326,  p.  87). 

(3)  Lettre  de  Clemiont-Lodève  au  grand  maitre,  24  mars  (B.  N.,  Clai- 
rambault 327,  fol.  252). 

(4)  Lettre  de  Doria  au  grand  maitre.  Gènes,  24  mars  :  citée. 


220  KISTOlllE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

effect. ..  Encorcs,  quant  cestuy  me  seroit  impossible  pour 
aucune  péremptoire  raison,  à  cause  de  l'auctorité  qu'il  vous 
a  pieu  me  donner  sur  voslre  armée,  povoys  avoir  notice  de 
cclluv  qui  auroit  charge  de  la  conduite  (1)  » .  Une  autre  (2) 
lettre,  adressée  à  François  I"  à  quelques  jours  de  là,  récla- 
mait instamment  la  liquidation  de  ses  gages  et  créances  — 
car  il  était  las  de  u  crier  comme  un  bélistrc"  pour  les  avoir 
—  et  la  nomination  d'un  nouveau  général  —  puisqu'on  le 
tenait  pour  «vieil  et  ancien"  et  son  service  pour  suspect. 

Son  plan  eût  été  de  punir  le  seigneur  de  Monaco  de  ses 
H  méchants  tours,  "  puis  de  tomber  sur  la  Hotte  espagnole 
à  destination  de  Naples.  A  défaut  de  l'escadre  entière,  il 
avait  réclamé  vainement  de  quatre  à  six  galères  pour  ren- 
forcer P'ilippino  Doria  dans  les  eaux  de  Naples,  avant  la 
jonction  de  quatre  galères  espagnoles  de  Sicile  avec  les  six 
de  garde  à  Naples  (3) . 


VII 


BATAILLE    DU    CAP    D'ORSO 

Au  retour  de  Sardaigne,  Filippino  Doria  avait  remporté 
succès  sur  succès.  11  était  resté  croiser  sur  les  côtes  des 
États  pontificaux  avec  sept  galères  de  son  oncle  et  une 
galère  d'Antonio  Doria,  afin  de  seconder  la  marche  et  les 
opérations  de  Lautrec.  Le  16  février  1528,  au  large  d'Ostie, 
une  douzaine  de  barques,  chargées  de  soieries,  de  draps  et 
de  linge  en  cent  cinquante  caisses,  vinrent  donner  au  mi- 
lieu de  son  escadre  :  c  étaient  les  dépouilles  de  la  Ville 
Éternelle  que  les  Impériaux  évacuaient  à  Naples  :  ils  en 

(1)  Lettre  de  Doria  au  roi.  7  avril  (H.  N.,  Dupuy,  vol.  453,  fol.  141,  orig.). 

(2)  Lettre  de  Doria  au  roi  13  avril  (B.  N.,  Franc.  3005,  fol.  32  :  publiée 
par  le  marquis  Spinola,  Alti  délia  Societa  tifjuie  (1867j,  p.  432). 

(3)  Lettres  des  24  mars  et  7  avril  citées. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     221 

furent  dépouillés  eux-mêmes.  Le  lendemain,  Franciotto 
Orsini  faisait  son  entrée  à  Rome,  libre  désormais,  aux  cris 
de  «  Franza,  Orso,  Chiesa!»  Et  le  mois  d'après,  à  l'an- 
nonce de  la  vicloire  de  Laulrec  à  Troia,  les  Romains  par- 
laient de  lui  élever  une  statue  et  un  arc  de  triomphe  au 
Capitole  (1).  Encore  tout  meurtri  de  sa  captivité.  Clé- 
ment YII  se  montra  beaucoup  plus  rései'vé  qu'eux,  atten- 
dant, pour  rentrer  dans  la  ligue,  que  la  victoire  se  tût  net- 
tement dessinée  en  notre  faveur  (2).  Filippino  Doria  ne  le 
fit  point  languir. 

En  dépit  des  stationnaires  espagnols,  il  semait  partout 
la  terreur.  Au  gouverneur  de  Procida,il  imposait  un  tribut 
en  nature,  aux  villes  de  Gastellamare  et  de  Sorrente,  à  l'ile 
de  Gapri,  une  capitulation  à  Icrmo;  il  inspirait  aux  habi- 
tants de  Pouzzoles  une  telle  épouvante  qu'on  s'attendait 
d'heure  en  heure  à  les  voir  capituler.  Dans  la  capitale, 
affamée  par  sa  croisière,  les  mutineries  succédaient  aux 
mutineries;  aucune  des  troupes  de  la  {jarnison.  Allemands, 
Espagnols  et  Italiens,  n'en  était  indemne  (îi) . 

Dans  le  golfe  de  Salerne,  station  excellente  pour  exercer 
à  distance  le  blocus  de  Naples,  Filippino  Doria  l)arrait  la 
route  aux  convois  de  Galabre  et  de  Sicile  et  guettait  le 
retour  de  l'escadre  vénitienne,  dont  l'entrée  en  ligne  per- 
mettrait à  Lautrec  de  serrer  de  plus  près  la  capitale.  Le 
vice-roi  Ugo  de  Moncada  et  Philibert  de  Ghalon,  chef 
de  l'armée  espagnole,  reconnurent  urgent  de  prévenir 
cette  jonction.  L'un  et  l'autre  auraient  voulu  commander 


(i)  H.  Omont,  Les  suites  du  sac  de  Borne  par  les  Inipe'riaux  et  la  cam- 
paqne  de  Lautrec  en  Ltalie  :  Journal  d'un  scrittore  de  la  pénilencerie  apos- 
tolifiue  [César  Grolier],  extrait  des  Mélanges  de  iEcole  de  Rome.  Rome, 
1896,  in-8",  p.  31. 

(2)  BOURRILLY,   p.  54. 

(3)  Lettre  de  Miguel  de  Aguoretta  à  Charles-Quint.  Château  de  l'OEuf  à 
Naples,  22  juillet  1528  (Colcccion  de  documentos  incditos  para  In  hisloria 
de  Espana,  t.  XXIV,  p.  502). 


222  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

rexpédition,  qui  fut  confiée,  pour  éviter  toute  rivalité,  au 
marquis  del  Vasto  et  au  {jobbo  Giustiniano.  Le  vice-roi 
s'embarqua  néanmoins  avec  eux.  Un  millier  de  vétérans 
espagnols  prirent  passage,  au  Pausilippe,  sur  les  galères 
Capitana,  Gohha,  Villamarina^  Perpignana^  Calahresa  et 
Secama,  quatre  fustes  et  autant  de  brigantins,  que  le  capi- 
taine Giustiniano  encadra  d'vme  vingtaine  de  frégates  et 
de  barques  de  pécbe  cbargées  de  soldats  :  véritable  tour  de 
bossu,  de  gobl)o,  qui  donnait  le  cliaujje  sur  la  force  de 
l'armée  navale.  Durant  un  moment  de  relàcbe  à  Gapri,  un 
ermite  portugais  harangua  les  soldats  dans  un  discours 
enflammé  (1)  :  mais  pour  qui  veut  surprendre  son  adver- 
saire, tout  retard  est  une  faute.  Et  Moncada  escomptait  le 
succès  d'une  surprise  contre  une  escadre,  dont  les  soldats 
allaient  coucher  chaque  nuit  à  terre. 

Filippino  Doria,  averti  soit  par  la  felouque  du  napolitain 
Agnese,  soit  par  une  galère  qui  revenait  de  la  corvée  des 
vivres  (2),  eut  le  temps  de  rassembler  presque  tous  les  élé- 
ments de  sa  flotte  (3)  et  d'embarfjuer  trois  ou  quatre  cents 
arquebusiers  du  capitaine  gascon  (yilbert  du  Groq,  écuyer 
d'écurie  du  roi,  que  lui  dépêcha  Lautrcc.  Une  heure  après, 
dans  la  journée  du  28  avril  1528,  l'ennemi  était  en  vue. 

Filippino  réunit  hâtivement  ses  oflicicrs  à  bord  de  son 
bâtiment  :  après  une  énergique  exhortation  à  comljattre 
comme  si  André  Doria  était  témoin  de  leurs  prouesses,  il 
assigna  à  chacun  d'eux  son  rôle...  Le  spectacle  qui  s'offrit 
soudain  à  Moncada  était  étrange.  Cinq  galères  et  deux 
brigantins,  jusque-là  masqués  parla  pointe  deConca,dans 
la  baie  dont  Amalfi  occupe  le  fond  et  une  montagne 
abrupte  les   bords,   se  présentaient  en  ordre  de   bataille, 

(1)  Ulysse  lloiîEnx,  PliUibrrt  de  Clialon,  prince  irOraïK/c,  p.   188. 

(2)  Gapei.lont,  Vita  del  principe  Andréa  Doria,  p.  hk.  —  Baeca,  Vida  de 
don  IIiKjo  de  Moncada,  p.  67. 

(3)  Qui  comprenait,  selon  le  compte  du  trésorier  Ragueneau,  8  galères, 
4  galions,  2  fustes  et  quelques  brigantins  (B.  N.,  Franc.    17329,  fol.   189). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     223 

cependant  que  trois  antres  fuyaient  à  toutes  rames  au  large 
du  capd'Orso,  à  rextrcnutc  sud  de  la  baie  (1). 

Les  cinq  galères  qui  venaient  au  combat,  étaient  la 
capitane  de  Filippino,  l(i  Pellegrina,  la  Donzella,  la  Sirena 
et  la  Fortiina.  Avant  que  les  canonniers  d'Alonso  d'Avalos, 
marquis  del  Vaste,  eussent  le  temps  de  pointer  leur  gros 
canon  de  coursie  et  de  s'envelopper  d'un  nuage  de  fumée, 
la  décbarge  de  Filippino  enfila  leur  galère.  Dans  les  rangs 
pressés  des  Espagnols,  lénornic  boulet  du  basilic  de  la 
proue  faucba  trente-deux  bommes,  après  avoir  fracassé  la 
ram])adc  :  à  l'arrière,  le  vice-roi  et  le  marquis  del  Vasto 
furent  couverts  de  débris  humains  et  souillés  du  sang  de 
Pietro  de  Cardona,  gentilbomnie  Sicilien,  et  de  l'Espagnol 
Gusman,  fort  plaisant  musicien  qui  s  était  cmljarqué  sur  la 
capitane  pour  son  ébat.  La  riposte  du  vice-roi  n'eut  pas  le 
même  succès.  Aveuglés  par  la  fumée,  les  canonniers  làcbèrcnt 
leur  bordée  par-dessus  nos  arquebusiers,  que  Filippino 
avait  eu  la  précaution  de  poster  derrière  les  pavesades  des 
apostis,  d'où  ils  tiraient  aussi  siii-ement  que  derrière  les 
créneaux  d'une  forteresse. 

(i)  Sur  la  bataille  du  cap  d'Orso,  de  la  Gava  ou  d'Amalfi,  voyez  comme 
sources  :  la  relation  d'un  des  acteurs  (Mémoires  de  la  vie  du  inaresclial  de 
VieilleviUe,  par  Cauloix,  liv.  I,  chap.  ix)  ;  la  lettre  de  Lautrec  au  roi. 
30  avril  (B.  N.,  Franc.  2993,  fol.  ii5,  copiée  dans  Clairambault  327, 
fol.  liiO);  — les  relations  de  Aguorretta  et  Perez.  30  avril,  etc.  (Coleccioii 
de  dociunentos  inedilos...  de  E.ipana,  t.  XXIV,  p.  496  et  502);  —  des 
lettres  écrites  de  Florence  et  Naplcs  au  duc  de  Modène.  li  et  23  mai 
(Archivio  di  Modena,  Schedc  Neri;  B.  X.,  Italien  300,  fol.  5)  ;  —  la  rela- 
tion de  P.  JovE  (trad.  Sauvage  (1570),  t.  II,  p.  47,  liv.  25),  lequel  en  tenait 
les  détails  de  Filippino  Doria  :  cf.  sa  lettre  du  l'^''  mai  au  pape  (Sanuto, 
t.  XLVI,  col.  (364);  —  (7IUSTIMAN0,  fol.  280:  —  Mémoires  historiques  de 
Patrizio  de  Rossi  sur  les  événements  politinues  d'Italie  (1523-1 530) 
[d'après  P.  Jove,  etc.]  traduits  par  Puy  de  Laiiastie.  Lvon,  1867,  in-8", 
p.  202;  —  les  deux  Vida  de  don  Hugo  de  Moncada,  par  VAncAS  Poxce  et 
Baeça; — GuiciiAnDis,  lib.  XIX,  fol.  331.  — Comme  historiens,  voyez  F.  Duro, 
t.  I,  p.  143;  —  JuiiiE^i  de  La  GraviÈre,  Doria  et  Barberousse,  p.  162;  — 
M.  RoRERT,  p.  188;  —  G,  Gavotti,  Baltaqlie  navali  délia  ftepublica  di 
Gcnova.  Appendice  alla  l'attira  nelle  grandi  Battaglie  navali.  lloma, 
J900,  in-8",  p.  127. 


224  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Tout  différent  était  le  sort  de  nos  deux  autres  galères. 
La  Pellegrina  et  la  Donzella.  enveloppées  par  le  gobbo 
Giustiniano,  par  Secames  et  Bernard  Villamarin  (l),  suc- 
combaient sous  les  efforts  combinés  des  soldats  espagnols 
que  Cesare  Fieramosca,  Garcia  ^lanrique,  gouverneur  de 
Gaète,  et  Francesco  de  Soria  menaient  à  Tabordage.  La 
Sirena  et  la  Fortima  élaient  mises  à  mal  par  la  Perpignana 
et  par /a  Calahj^esa  Oriana  (:2),  dirigée  par  un  descendant 
du  fameux  Roger  de  Loria,  quand  se  produisit  un  coup  de 
théâtre. 

Les  trois  galères  fugitives,  dont  le  soleil  faisait  miroiter 
les  Dieu-conduits  des  poupes,  un  Neptune  tout  doré,  un 
jNIaure  et  une  dame  en  grands  atours,  vrais  rébus  de  leurs 
noms,  viraient  de  bord  et  chargeaient  en  flanc  les  Espa- 
gnols. C'était  la  division  de  son  lieulcnant  Nicolo  Lomcl- 
lino  que  Filippino  Doria  avait  eu  l'ingéniosité  de  tenir  en 
réserve,  par  l'un  de  ces  stratagèmes  familiers  à  ses  ancêtres 
et  bien  connu  depuis  qu'il  avait  donné  à  Uberto  Doria  la 
victoire  de  la  Meloria. 

L'attaque  de  Lomellino  fut  irrésistible.  Prise  par  le 
travers,  la  capitane  espagnole  eut  le  gouvernail  broyé  par 
la  bordée  de  la  Mora,  la  proue  balayée  par  les  projectiles 
de  la  Signora,  le  mat  abattu  par  le  violent  choc  de  la  Net- 
tiina,  galère  patronne  de  Lomellino.  Le  bras  fracassé,  deux 
balles  dans  le  corps,  Moncada  tombe  pour  ne  plus  se 
relever,  a  Combattez,  frères,  la  victoire  est  vôtre  " ,  furent 
ses  dernières  paroles  (;i).  Le  chef  des  bombardiers,  Giro- 
lamo  de  Trani,  gît  à  ses  côtés;  l'étendard,  sept  fois,  change 
de  mains;  les  Espagnols  résistent  encore,  lorsque  Filippino 

(1)  C'est-à-dire  par  la  Gobba,  la  Seraïua  ou  Saiita-Iiarbara  et  la  Villa- 
mariua  ou  Santa-Andrca  (llelation  d'Aguoretta,  dans  la  Coleccioii...  de 
Espann,  t.  XXIV,  p.  506). 

(2)  Miguel  de  Aguorctta  attribue  pourtant  la  défaite  à  l'inaction  de  ces 
deux  galères. 

(3)  Ibidem. 


RIVALITE    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     225 

Doria,  pour  combler  les  vides  que  la  mort  creuse  parmi  ses 
soldats,  aux  forçats  de  ses  chiourmes  promet  la  liberté. 
Dès  lors,  ce  fut  pour  les  Espagnols  la  débâcle.  Assaillis 
furieusement  à  l'abordage  par  un  flot  de  Barbaresques 
mêlés  aux  soldats  français,  les  derniers  survivants  de  la 
capitane  se  rendent. 

Dégagées  par  une  nouvelle  charge  de  la  division  Lomel- 
lino,  la  Pellegrina  et  la  Donzella  se  tournent  furieusement 
contre  la  Go^^a  de  Giustiniano,  que  /a  Mora  accable  «d'une 
tempestede  boulets,  en  forme  de  gresle  (1)  ;  »  Giustiniano  le 
Gobbo  s'affaisse,  grièvement  blessé  à  la  cuisse;  un  boulet 
précipite  par-dessus  bord  Gesare  Fieramosca,  qui  commande 
les  soldats;  Baredo,  le  capitaine  des  arquebusiers,  reçoit 
trois  blessures.  La  Gohha  était  prise. 

Soutenus  par  deux  brigantins  et  par  deux  bateaux 
basques,  deux  galères  luttaient  encore.  Sur  la  Villamarina 
et  la  Sicama,  le  connétable  Ascanio  Colonna  et  son  frère 
Camillo  se  battaient  au  milieu  d'un  monceau  de  cadavres, 
les  bâtiments  coulant  bas,  les  rames  brisées,  le  feu  à  bord. 
Enfin,  après  quatre  heures  de  combat,  ils  durent  se  rendre 
à  Lomellino.  Les  deux  galères  sombrèrent  presque  aussitôt 
après.  Le  vice-roi  était  mort,  les  capitaines  généraux  étaient 
prisonniers,  et  avec  eux  le  connétable  du  royaume  de 
Naples,  les  princes  de  Salerne  et  de  Santa-Groce,  le  com- 
mandeur Ricardo,  le  patron  de  galère  Francès  Icart,  les 
capitaines  Marin  Daia,  du  régiment  de  Navarre,  Zambrone, 
Baredo,  Gaëtano,  Saluées,  Regnard  de  Montaves,  Serone, 
chancelier  du  sénat  napolitain  et  secrétaire  du  vice-roi, 
une  vingtaine  de  condottieri  (2). 

L'historien  Paul  Jove,  envoyé  en  parlementaire  par  les 

(i)  P.  Jove,  trad.  Sauvage  (éd.  1570). 

(2)  Selon  l'un  des  témoins  du  combat,  "  la  bastonnade»  coûta  à  i'ennemi 
sept  ou  huit  cents  arquebusiers  tués,  outre  les  prisonniers.  Lettre  de  Louis 
de  Lorraine,  camp  devant  Naples,  5  mai  (B.  N.,  Franc.  30J0,  fol.  46). 

m.  1  -, 


226  HISTOIRE   DE   LA   iMARINE    FRANÇAISE. 

dames  napolitaines,  inquiètes  du  sort  de  leurs  maris,  put 
■constater  l'étendue  du  désastre  :  quatre  galères,  deux  bri- 
pantins  pris  ou  coulés  et  quatorze  cents  hommes  hors  de 
combat,  alors  que  le  vainqueur  n  en  avait  pas  perdu  cinq 
cents.  Les  arquebusiers  gascons  de  Gilbert  du  Croq  avaient 
supporté  presque  tout  le  faix  de  la  bataille  :  de  quatre  cents, 
il  en  restait  debout  cinquante.  Des  cinquante  qu'on  lui 
avait  impartis  à  bord  de  la  galère  du  Corse  Napoleone  (1), 
le  capitaine  François  de  Scépeauxde  Vieilleville  n'en  avait 
plus  que  douze  autour  de  lui.  Avec  cette  poignée  d'hommes, 
il  grimpa  par  les  palementes  de  la  vogue  sur  la  Calahresa^ 
l'une  des  deux  galères  espagnoles  qui  n'avaient  point  encore 
succombé.  Il  refoulait  vers  la  poupe  les  lansquenets  de 
Conradino  Glornio,  lorsque  la  chiourme  de  la  Calahresa 
parvint  à  couper  les  grappins  d'abordage  et  à  prendre  le 
large,  de  concert  avec  la  Perpignana.  Les  vaincus  emme- 
naient prisonniers  Vieilleville  et  ses  derniers  compagnons. 
Ce  ne  fut  point  pour  longtemps. 

Les  officiers  de  la  Calahresa  2),  arrivés  les  premiers 
à  Naples,  le  capitaine  Francès  de  Loria,  entre  autres, 
furent  pendus  sur-le-champ  par  ordre  du  général  Philibert 
de  Ghalon.  Cette  vue  donna  à  réfléchir  au  capitaine  de  la 
Perpignana,  Orazio  de  Barletta.  Il  s'ouvrit  à  Yieilleville 
de  ses  inquiétvides  et  la  crainte  de  Philibert  de  Chalon  le 
rangea  sous  notre  pavillon.  Il  avait  déchiré  les  banderoles  et 
les  croix  rouges  de  ses  soldats,  effacé  les  aigles  et  la  devise 
impériale  dont  était  parsemée  la  Perpignana  ou  Nimpha- 
rella,  et  il  se  dirigeait  vers  le  camp  français,  lorsque  parui, 
le  29  avril,  une  galère  sous  pavillon  fleurdelisé.  Inquiet  du 
sort  de  Vieilleville,  son  ami  de  jeunesse  comme  page  à  la 


(1)  Et  que  Vieilleville  appelle  In  Re'(/ciite  dans  ses  Me'moires.  Je  ne  sais 
avec  laquelle  des  galères  de  Filippino  il  faut  lidcntifier. 

(2)  Et  que  Vieilleville  nomme   la    Moncadiitc,   comme   il   appelle  Nint- 
phaiella  la  Perpignana. 


RIVALITÉ   DE    FRANÇOIS    V  ET    DE    CHARLES-QUINT.     -22- 

Gour,  Filippino  Doria  envoyait  à  Naples  quérir  de  ses  nou- 
velles, après  l'avoir  cherché  vainement  parmi  les  cadavres 
flottant  sur  l'eau. 

Le  Corse  Napoleone  arrivait  svir  la  Perpignana  vent 
arrière  et  le  branle-bas  à  bord,  lorsqu'il  aperçut  avec  stupé- 
faction la  bannière  blanche  des  parlementaires  à  la  cime 
du  mât  et,  au  trinquet  d'avant,  Vieilleville  qui  lui  faisait 
des  signes  d'amitié,  tandis  que  les  marins  agitaient  leurs 
chapeaux,  en  criant  :  n  France!  France!  »  Napoleone  et 
Orazio,  désormais  compagnons  d'armes,  laissaient  reposer 
leurs  chiourmes  à  l'abri  d'une  montagne,  sans  doute  de 
Capri,  lorsqu'une  nouvelle  galère  fut  signalée  dans  la  par- 
tie du  nord,  venant  de  Naples.  C'était  la  Calabresa  ou  Mon- 
cadine  que  Philibert  de  Chalon  lançait  à  la  poursuite  de  sa 
compagne,  avec  un  nouvel  état-major  et  un  nouveau  capi- 
taine, Alfonso  Caraccioli,  frère  bâtard  du  prince  de  Melfi. 
Pour  la  seconde  fois,  les  Espagnols  donnèrentdans  un  piège. 

Sur  l'ordre  de  Vieilleville,  la  Perpignana,  la  voile  haute, 
prit  eu  x'cmorque  la  galère  de  Napoleone,  à  sec  de  voilure, 
comme  si  ce  fût  une  prise,  et  elle  gouverna  sur  la  Calabresa. 
Caraccioli,  abusé  par  le  stratagème,  arrivait  paisiblement 
à  la  rencontre  de  son  collègue  ;  deux  bordées  successives  le 
convainquirent  de  son  erreur.  Le  trinquet  abattu,  les  voiles 
déchirées,  il  ne  pouvait  plus  fuir.  II  baissa  pavillon  (1).  Le 
prisonnier  de  la  veille,  Vieilleville,  se  trouvait  à  la  tête 
d'une  division  de  trois  galères,  qu'il  ramena  triomphale- 
ment dans  le  golfe  de  Salerne.  Le  surlendemain  1"  mai,  le 
vaillant  Gilbert  du  Croq,  l'un  de  ceux  qui  avaient  le  plus 
contribué  au  gain  de  la  bataille,  mourait  devant  Naples  (2j. 

Les  Impériaux,  privés  de  flotte,  se  trouvaient  acculés 
dans  la  capitale  par  notre  escadi-e  et  par  l'armée  de  Lau- 

(1)  Mémoires  de  Vieilleville,  livre  I,  chap.  10  à  13. 

(2)  E.  RoTï,  Histoire  de  la  représentation  diplomaticjuc  de  la  France 
auprès  des  cantons  suisses,  t.  III. 


228  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

trec.  A  la  Fête-Dieu  (1),  seize  galères  vénitiennes  renfor- 
cèrent le  blocus  et  le  rendirent  si  étroit  que  le  prince 
d'Orange  écrivit  désespérément  à  l'empereur,  le  14  juin  : 
«  Il  y  a  dix  jours  que  nous  sommes  au  pain  et  à  l'eau...  Et 
ne  sçay  que  penser  comme  pourra  venir  vostre  secours 
par  mer,  s'il  ne  vient  merveilleusement  gros  (:2).  » 
Ce  ne  fut  point  de  l'empereur  que  vint  le  salut. 


yiii 

LES    LAURIERS    DE    LA    DÉFAITE 

Le  13  mai  au  soir,  Paris  apprenait  par  une  lettre  de 
Lautrec  le  résultat  de  la  bataille  navale  du  cap  d'Orso. 
Mais  pendant  que  le  parlement  <  en  forme  de  cœur  " , 
l'échevinage,  la  cour,  en  procession  somptueuse,  allaient 
chanter  à  Notre-Dame  un  Te  Deum  de  victoire  (3j,  les 
vaincus  récoltaient  les  lauriers  de  la  défaite. 

De  maladresses  en  maladresses,  de  froissements  en  frois- 
sements, nous  avions  fini  par  exaspérer  les  Doria.  Filip- 
pino  avait  reçu  de  Lautrec,  en  récompense,  les  villes  de 
Gastellamare  et  Vico  Equense,  mais  les  villes  seules,  sans 
leurs  châteaux-forts,  quelque  insistance  qu'il  mît  pour 
avoir  le  tout.  Vexé,  il  refusa  avi  généralissime  de  livrer  ses 
prisonniers  pour  une  promenade  triomphale,  qui  eût  été 
de  nature  à  impressionner  la  population  napolitaine  (4). 
Et  il  les  envoya  à  Gènes  devers  André  Doria. 

•      (1)11  juin. 

(2)  Laxz,  Corrcspondenz  des  Kaisers  Karl  F,  t.  I,  p.  270,  —  U.  Robert, 
p.  206. 

(3)  Registres  du  Parlement  :  cf.  un  extrait  à  la  B.  N.,  Clairambault  327, 
p.  1137.  — On  publia  un  court  récit  de  la  bataille  sous  le  titre  :  La  dcfairlc 
des  Espaignoz  et  priiise  du  port  de  Naples  par  Monsieur  de  Lautret  et  le 
conte  Philipin.  Petit  in-16. 

(4)  U.  Robert,  p.  192,  note  1  et  202. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.      229 

Le  gouverneur  de  Gênes,  à  son  tovir,  voulut  prendre 
livraison  des  captifs  pour  les  expédier  au  roi  (1).  Mais,  aux 
premiers  mots  de  Trivulce,  Doria  s'écria  qu'on  voulait  voler 
leur  rançon  comme  on  lui  avait  déjà  volé  celle  du  prince 
d'Orange  :  pauvre  gentilhomme  sans  rentes  ni  revenus, 
à  peine  défrayé  de  l'entretien  de  ses  rameurs,  c'était  lui 
pourtant  qui  avait  armé  à  ses  frais  les  quatre  brigantins 
dont  l'appoint  avait  assuré  la  victoire.  Il  voulait  de  l'ar- 
gent. Un  versement  de  quatorze  mille  écus  l'adoucit,  au 
point  de  lui  arracher  cette  protestation  de  fidélité,  la  der- 
nière, hélas!  «  Si  j'avais  biens  à  vendre,  je  les  mettrais  au 
service  du  roi  (2).  " 

Il  ne  se  doutait  point,  à  ce  moment,  de  la  mortification 
suprême  qu'on  lui  ménageait.  Averti  de  l'état  d'esprit 
d'André  Doria  par  des  confidences  que  Filippino,  son 
neveu,  ne  craignait  point  de  faire  à  l'ennemi  (3),  Lautrec 
avait  dépêché  un  émissaire  (4)  au  roi  pour  empêcher 
une  catastrophe.  Le  grand  marin,  que  Témissaire  avait 
vu  en  cours  de  route,  assurait  le  roi  de  sa  fidélité  et  pro- 
mettait de  le  servir  avec  douze  galères  (5),  pourvu  qu'on 
fît  droit  à  une  réclamation,  dont  la  solution  lui  eût  été 
plus  agréable  que  le  don  d'un  empire  :  la  remise  de  Savone 
aux  Génois  (6).  Mais  la  gabelle  de  Savone  avait  été  accordée 


(1)  Trivulce  au  grand  maître  Anne  de  Montmorency.  Gênes,  4  juin 
(B.  N.,  Clairambault  328,  fol.  10). 

(2)  Yzarnay,  qui  lui  avait  versé  ces  quatorze  mille  écus  et  promis  huit 
mille  autres,  avait  charge  de  demander  à  Renzo  da  Ceri  un  millier  de  sol- 
dats comme  troupes  d'embarquement.  C'est  de  l'argent  perdu,  observa 
André  Doria  :  il  y  a  trop  peu  d'hommes  pour  tenter  un  coup  de  main  en 
Sicile,  trop  pour  aller  en  mer,  faute  d'ennemis.  Lettre  d' Yzarnay  au  roi. 
Gênes,  4  juin  (B    N  ,  Clairambault  328,  fol.  10). 

(3)  Cf.  la  lettre  de  Philibert  de  Chalon  à  l'empereur  prédisant  la  défection 
d'André  Doria.  Naplcs,  14  juin  (U.  Robert,  p.  204). 

(4)  Guillaume  Du  Bellay. 

(5)  M.  Robert,  p.  204. 

(6)  Lettre  d'Yzarnav  au  roi.  Gênes,  4  juin  (B.  N.,  Clairambault  328, 
fol.  U). 


230  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

au  grand  maître  Anne  de  Montmorency;  et  le  favori  tout- 
puissant  sacrifia  à  ses  intérêts  la  fortune  de  la  France.  Il 
n'y  avait  plus  qu'une  faute  à  commettre;  elle  fut  commise, 
énorme  (1).  Le  grand  maître  eut  Thabileté  d'en  faire 
retomber  la  responsabilité  sur  le  chancelier  Duprat.  André 
Doria,  destitué,  fut  décrété  de  prise  de  corps  (2),  et  son 
successeur  dans  le  commandement  de  la  flotte  (3),  Antoine 
de  La  Rocbefoucauld-Barbesieux,  eut  mission  de  se  saisir 
de  lui. 

Il  n'en  est  point  question  de  façon  positive  dans  le  plan 
de  campagne  que  Barbesieux  soumettait  au  roi,  avant 
d'appareiller  avec  ses  quatorze  galères  (4).  Mais  que  de 
sous-entendus  et  dans  l'envoi  à  Gênes  de  cinq  cents  hommes 
que  devaient  suivre  "  sans  crierie  i>  d  autres  bandes,  et 
dans  cette  phrase  énigmatiquc  de  Barbesieux  :  uJe  resterai 
à  Gênes  avec  la  flotte  jusqu'à  ce  «  que  les  affcres  soient  en 
disposicion  de  pouvoir  envoyer  à  Monseigneur  de  Lautrec 
la  plus  grant  part  desdites  gallères  luy  porter  l'argent  et 
monicions.  » 

Dès  l'approche  de  Barbesieux,  André  Doria,  flairant  un 
piège,  appareilla  et  se  retira  àLerici,  à  l'entrée  du  golfe  de 
La  Spezia.  Au  baron  de  Saint-Blancard,  dépêché  par  l'ami- 
ral français  pour  lui  demander  une  entrevue  à  Gênes,  il 
répondit  par  une  fin  de  non-recevoir,  renvoya  au  roi  le  col- 
lier à  coquilles  d'or,  et,  abattant  le  pavillon  fleurdelisé 
pour  le  remplacer  par  le  drapeau  blanc,  il  déclara  qu'il 
reprenait  sa  liberté  d'action.  Filippino,  rappelé  d'urgence 
à  Lerici,  avec  l'ordre  exprès  d'éviter  la  rencontre  de  notre 
flotte,  abandonna,  le  4  juillet,  le  blocus  de  Naples,  qui  ne 
fut  plus  assuré  que  par  la  Régente,  la  Moncadine  et  la  Nini- 

(1)  U.  Robert,  p.  204. 

(2)  RuFFi,  Histoire  de  Marseille,  t.   II,  p.  352. 

(3)  i- juin  (B.  N.,  Clairambault  825,  fol.  114  v"). 

(4)  Aux  Poniôgues-lès-Marseillc,  en  galère,  6  juin  1528  (B.  N.,  Franc. 
20508,  fol.  112.  —  Valbelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  122  ^■"). 


RIVALITÉ    DK    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.      231 

pliarella,  les  galères  conquises  par  Vieillevillc  (1).  Le  9,  le 
condottiere  génois  entamait  les  négociations  qui  allaient 
faire  passer  au  service  impérial  toute  son  escadre  (2). 

Le  diplomate  qui  avait  su  amener  Doria  à  ce  revirement, 
en  exploitant  ses  ressentiments  contre  François  I"  et  sa 
passion  pour  wna  patrie  soi-disant  opprimée,  c'était  le 
vaincu  de  la  bataille  navale  du  cap  d'Orso.  Alonso  d'Ava- 
los,  marquis  del  Vasto  (3);  c  était  lui  qui  récollait  les  lau- 
riers de  la  défaite. 

En  retour  du  formidable  appoint  qui  lui  était  offert, 
l'empereur  traita  rovalcmenl  le  marin  génois  :  "  Quoy  qui 
me  doye  couster,  déclara-t-il,  je  n'y  veulx  riens  espar- 
gner  (4).  »  L'indépendance  de  Gènes,  la  restitution  de  Sa- 
vone  à  la  République,  lorsque  ces  villes  seraient  arrachées 
de  nos  mains,  la  liberté  du  commerce  maritime  pour  ses 
compatriotes,  une  solde  de  soixante  mille  écus  d  or  pour 
ses  galères,  le  titre  de  capitaine  général  de  la  mer,  avec  la 
cession  d'an  port  dans  le  royaume  de  Naples,  telles  furent 
les  conditions  fixées  par  le  condottiere  et  ratitiées  par  l'em- 
pereur (5).  Et  ce  n'était  pas  trop  cher  payer  la  maîtrise  de 
la  mer. 

(i)  Mémoires  de  Vieillcville,  livre  I,  chap.  14.  —  Sigomus,  De  vita  et 
7-ebns  (jestis  Andreae  Auriae,' Melphiac  priiicipis,  libri  duo,  fol.  29. — Gui- 
cuARDiN,  iiv.  XIX,  fol.  340.  —  U.  Robert,  p.  216. 

(2)  Lettre  de  Ferez  à  Charles-Quint  (Bergexrotii  et  Pascual  de  Gayangos, 
Calendar  of  letters,  despalchcs  and  State  papers  relalincj  to  the  nef/oliations 
hetween  Eiiglaiid  and  jSpnin,  t.   III,  p.  739). 

(3)  Gayangos,  p.  740. 

(4)  Lettre  de  Charles-Quint  au  prince   d'Orange.    19  juillet  (LT.    Robert, 

(5)  Convention  de  Madrid.   10  août  (Gaya>gos,  p.  765). 


232  HISTOIRE   DE    LA    MARIEE    FRANÇAISE. 

IX 

CHASSÉS    D'ITALIE 

Le  départ  de  Filippino  Doria  avait  relâché  le  blocus  de 
Naples.  En  dépit  et  même  à  la  vue  de  Tescadre  vénitienne, 
une  vingtaine  de  frégates  ravitaillèrent  les  assiégés  (1). 
Barbesieux  ne  parut  dans  le  golfe  que  le  17  juillet,  s'étant 
attardé  à  battre  la  citadelle  de  Civita-Vecchia,  dite  la  Ro- 
quette, afin  d'en  déloger  les  Espagnols  et  de  la  restituer  au 
pape  (2).  Il  amenait  àLautrec  les  compagnies  du  prince  de 
Navarre,  frère  du  roi  Henri,  mais  non  point  les  six  mille 
aventuriers  réclamés  par  le  général,  sans  préjudice  de  douze 
mille  Suisses  et  lansquenets  qui  eussent  pris  à  revers, 
dans  les  plaines  du  nord,  les  renforts  ennemis  venus  d'Al- 
lemagne (3). 

-  Le  débarquement  s  opéra  à  Pontelicciardo,  à  une  petite 
distance  de  Naples  vers  Test.  Il  faillit  être  entravé  par  une 
sortie  des  Espagnols  que  commandait  Fernand  de  Gon- 
zagvie.  Si  Lautrec  n'avait  eu  la  précaution  d'envoyer  au- 
devant  des  nouveaux  venus  les  bandes  noires  de  Pepoli  et 
la  cavalerie  de  Valerio  Orsini,  l'affaire,  engagée  le  19  juil- 
let, eût  été  désastrevise  pour  nous  (4). 

Lavitrec  était  toujours  devant  Naples  :  mais  la  fortune 
avait  totalement  changé  de  camp.  De  désespérée  qu'elle 
était  pour  les  assiégés  en  juin,  elle  était  devenue  désespé- 

(1)  Lettre  adressée  au  légat  Salviati.  -V  août  (Letteic  dei  priucipi,  t.  Il, 
fol.  112  v°.  —  MicxET,  t.  II,  p.  438,  n»  1). 

(2)  Lettre  de  Pierre  de  Clerniont  à  Montmorency.  2  août  (B.  N.,  Clai- 
rambault  328,  fol.  140). 

(3)  Lettre  de  Lautrec.  Camp  devant  Naples,  27  mai  1528  (B.  N.,  Franc. 
2993,  fol.  81). 

(4)  U.  RonERT,  p.  216. 


RIVALITÉ   DE   FRANÇOIS    I"  ET    DE   CH ARLES-QUI>'T.     233 

rce  pour  les  assiégeants.  Sur  une  armée  inaccoutumée  aux 
chaleurs  torrides  et  débilitée  par  le  climat,  un  fléau  faisait 
rage  :  la  peste.  De  vingt-cinq  mille,  nos  effectifs  tombèrent 
àquatre  mille  hommes.  Lautrec  fut  emporté  par  la  maladie 
le  16  août.  Le  marquis  de  Saluées,  son  successeur,  leva  le 
siège  dans  la  nuit  du  29  août  et  tenta  de  gagner  Aversa 
avec  les  débris  de  1  armée.  Il  y  réussit,  mais  pour  capituler 
presque  aussitôt.  Pero  Navarro,  tombé  prisonnier  de  Ten- 
nemi  en  cours  de  route,  acheva  sa  carrière  dans  les 
cachots  du  Castel  Nuovo  :  on  l'y  trouva  mort  un  matin  (1). 
Notre  domination  dans  le  royaume  de  Naples  s'effondrait 
d'un  seul  coup,  et  la  perte  de  la  suprématie  navale  rendit 
l'effondrement  irrémédiable.  Le  6  août,  André  Doria  était 
encore  dans  le  golfe  de  La  Spezia  :  il  assurait  Trivulce 
qu'il  n'attenterait  rien  contre  Gênes  au  préjudice  de  la 
France,  tant  qu'il  ne  serait  pas  à  la  solde  d'un  prince  (2). 
Quelques  jours  plus  tard,  la  convention  de  Madrid  signée, 
il  tombait  sur  les  derrières  de  la  flotte  franco-vénitienne  à 
Naples,  ravitaillait  la  ville,  s'installait  dans  l'ile  d'Ischia 
comme  dans  un  poste  d  observation,  et  enlevait  au  passage 
deux  de  nos  bâtiments  qui  portaient  les  chevaux  et  les 
bagages  de  Lautrec  et  du  comte  de  Yaudémont.  Il  avait 
dix-neuf  bâtiments,  dont  treize  galères,  tous  à  lui  ou  à  sa 
famille  (3),  La  dislocation  de  la  flotte  franco-vénitienne 
aux  îles  Ponza  lui  donnant  bientôt  sur  Barbesieux  la  supé- 
riorité numérique,  il  se  mit  à  la  chasse  de  son  ancien  lieu- 
tenant, qui  battait  en  retraite  vers  Gênes. 


(1)  Étranglé,  dit-on,  comme  déserteur  (Don  Martin  de  Los  Héros,  His- 
toria  del  conde  Pedro  Navarro,  dans  la  Coleccion  de  docianentos  ineditns 
para  la  historia  de  Espana,  t.  XXV,  p.  377.  —  P.  Jove,  liv.  26. 

(2)  Lettre  d'André  Doria  à  Trivulce,  gouverneur  de  Gênes.  Golfe  de  La 
Spezia,  6  août  (B.  N.,,Clairambault  328,  fol.  148). 

(3)  Lettres  de  Lope  de  Soria  (13  août)  et  de  Ferez  (26  aoilt  et  19  sep- 
tembre) dans  Gayangos,  p.  768,  776,  792.  —  Capelloki,  Vita  del  principe 
Andréa  Doria,  p.  39. 


2H-i  IlISTOrr.K    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Conscient  enfin  de  1  énorme  faute  qu'il  avait  commise, 
François  I"  envoyait  en  hâte  à  Gênes  cinq  cents  aventuriers, 
du  capitaine  Jonas  (H,  et  mandait  à  la  rescousse  Tescadre 
normande  du  vice-amiral  de  Bourrys  (2)  et  les  voiliers  mar- 
seillais de  Morette  et  de  Frère  Claude  dAncienville  (3j . 

Il  avait  même  tenté  de  regagner  Doria  :  Trivulce,  Saint- 
]*ol,  le  Pai'lement  et  jusqu'au  cardinal  d'York,  jusqu'au 
])ape,  s'v  étaient  cmplovés  (4).  Il  nétait  plus  temps. 
Barbesieux  était  parvenu  dans  un  état  lamentable  à  Gènes, 
ses  palementcs  brisées  au  cours  d'un  ouragan  qui  éclata 
par  le  travers  d'Ostie.  Faute  de  pouvoir  se  ravitailler,  il 
avait  détaché  vers  Savone  six  galères  en  corvée  aux  vivres,- 
gardant  les  neuf  autres  avec  lui,  quand  il  apprit  la  venue 
imminente  d  André  Doria.  Rappelées  d  urgence,  les  six 
galères  de  Saint-Blancard  tombèrent  au  milieu  de  la  flotte- 
de  Doria,  arrivée  à  Gênes  avant  l'aulne .  Deux  d  entre  elles 
réussirent  à  prendre  la  fuite  et  ramenèrent  Saint-Blancard 
à  Savone;  la  troisième  fut  enlevée  au  large  par  le  condot- 
tiere génois;  la  quatrième  ne  fut  prise  qu'après  l'exode  de 
son  équipage,  c|ui  gagna  la  plage  de  Cogoreta.  A  bord  des 
deux  dernières,  les  forçats  s  étaient  mutinés  ;  et  ce  fut  pour 
Doria  une  proie  nouvelle  (5).  Pour  comble  d'infortune, 
Saint-Blancard  venait  de  perdre  une  autre  galère,  la  ISègre, 
capturée  par  six  fustes  barbarescjues  (6),  et  sa  nef  la  Perle, 
dans  un  violent  comljat  livré  près  d'Alicante  au  corsaire 
Juan  Ferez  de  Ecnteria  f7j . 

Dans  le  nord  de  la  péninsule  comme  au  sud,  les  événe- 

(1)  9  aoùt(B.  N.,  Franc.  10406,  fol.  52). 

(2)  Fontainebleau,  11  août  (R.  N.,  Franc.  10406,  fol.  67  v"). 

(3)  Paris,  22  août  {Ibidem,  fol.  70\ 

(4)  P.  JovE,  trad.  Sauvage  (1570),  t.  74.  —  DncnuK.  Anne  tic  Montmo- 
rency, p.  115. 

(5)  Lettre    de    Saint-Blancard.  De   galère   devant    Savone,    11    septembre 
(B.  N.,  Franc.  3122,  fol.  81).  —  P.  Jove,  trad.  Sauvage  (1570),  t.  II,  p.  76. 

(6)  Par  le  travers  de  Bornies,  le  4  mai  1528  (Valbelle,  fol.  121  v°). 

(7)  Qui  reçut  comme  trophée  le  blason  de  Saint-Blancard.  Quarante-sept 


RIVALITÉ    DE    ^RA^ÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.      23.> 

nients  se  prccipitaieul.  Au  lendemain  de  la  défaite  de 
Saint-Blancard,  le  1:2  septembre,  Doria  se  présenta  dans  le 
port  de  Gênes  sous  pavillon  impérial,  sous  le  pavillon  que 
Filippino  avait  enlevé  à  Moncada.  La  population  se  souleva 
aux  cris  de  «  San-(Tiorgio!  LiJîertà!  "  des  que  les  troupes 
de  Filippino  Doria  et  Cristoforo  Pallavicini  eurent  débar- 
qué sur  les  quais.  Surpris  par  linsurrection,  le  maréchal 
Trivulce  n'eut  que  le  temps  de  gagner  le  Gastelleto  et  de 
s'v  barincader.  Barbesieux,  coupé  de  son  lieutenant,  pris 
entre  deux  feux,  appareilla  dans  la  nuit  sans  prendre  soin 
de  masquer  sa  retraite  et  échappa  à  la  poursuite  de  son 
adversaire;  dans  les  ténèbres,  on  ne  pouvait  se  rendn^ 
compte  de  sa  marche  qu'à  la  lueur  de  ses  salves  (1).  Sur  la 
place  publique,  aux  applaudissements  de  la  foule,  Dorui 
proclama  l'indépendance  de  sa  patrie  et  posa  les  bases 
d'un  gouvernement  électif,  qui  devait  subsister  près  de 
trois  siècles. 

Cependant,  l'escadre  de  renfort  que  Morette  apprêtait  à 
Marseille  poussait  ses  préparatifs  et  embarquait  deux  à  trois 
mille  Languedociens  recrutés  au  son  du  tambourin  (2).  Le 
grand  maître  des  Hospitaliers  avait  refusé  le  prêt  de  ses 
galères,  afin  de  ne  point  exposer  son  Ordre  à  une  entière 
destruction  :  la  Grande-Maistresse,  la  Lonielline,  la  Fleurie, 
la  Duchesse,  la  nef  de  Saint-Blancard  n'étaient  point  encore 
en  état  d'appareiller.  Et  Morette  allait  se  décider  à  gagner 
Savone  avec  la  seule  division  disponible,  une  douzaine  de 
bâtiments  et  un  millier  d'hommes    (3),  quand,  le   lo   scp- 


•les   marins   prisonniers   furent   envoyés   aux   galères    de    Sicile    (F.    Duro, 
Armada  espaTiola.  t.   I,  p.   J55,  note   I). 

(1)  Agostino  GiuSTixiANO,    Annali   di    Genoa,    fol.    28i.   —    Gayanoos, 
p.  824-825. 

(2)  Lettre   de    Pierre  de   (llorniont  à  Montmorency.  Narbonne,    13  sep- 
tembre (B.  IN.,  Clairambaull  328,  fol.  217). 

(3)  Deux  nefs  et  deux   galères   du  grand  maître  de  ^lontmorcncy,  deux 
galions  de  Servien,  trois  galères  d'Antonio  Doria,  une  nef,  une   fuste  et  un 


236  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

tem])rc,  arriva  dans  une  panique  folle  lescadre  de  Barbe-. 
sieux,  réduite  à  dix  galères  sur  quinze.  Oncques  »  ne  vis 
armée  en  si  grand  crainte  »,  déclarait  Morette.  A  peine  dans 
le  port,  les  marins  désertèrent  en  masse.  Morette  eût  voulu 
éviter  la  contagion  de  l'exemple  en  mettant  incontinent  à 
la  voile.  Barbesieux  l'en  détourna  et,  au  lieu  de  réorganiser 
la  flotte,  prit  la  poste  pour  la  Cour  (1). 

Malgré  la  désertion  d'Antonio  Doria  et  de  sa  division  (2), 
le  commandeur  de  Morette  se  jeta  dans  Savone.  A  peine  v 
était-il  que  parurent  devant  le  port  dix-sept  galères  d'An- 
dré Doria  soutenues,  du  côté  de  terre,  par  1  armée  de  Sini- 
baldo  Fieschi. 

Devant  la  haine  féroce  que  Gênes  avait  vouée  à  sa  rivale, 
jusqu'à  prononcer  contre  elle  le  Delenda  est  Carthago  f3), 
un  ordre  très  net  de  hasarder  toute  la  flotte  pour  dégager 
la  place  fut  expédié  à  Barbesieux  (4).  Il  devait  appareiller  en 
toute  diligence.  Le  corps  d'armée  de  François  de  Bourbon, 
comte  de  Saint-Pol,  l'appuierait.  Une  douzaine  dejours  plus 
tard,  Saint-Pol,  n  ayant  aucune  nouvelle  de  son  collègue, 
lui  écrivit  pour  le  presser  d'agir  (5) .  Et  Barbesieux,  un  favori 
qu'on  avait  comblé  de  dons  pour  lui  donner  du  cœur  (6  , 
eut  cette  réponse  lamentable  :  "Il  seroit  impossible  appro- 
cher le  port...  Que  ledit  seigneur  mande  les  gallères  de 
Yenize  venir  de  Corfou  se  joindre  à  nostre  armée  (7).  » 

brigantin  armés  par  le  frère  de  Morette  au   roi.    Marseille   (B.   N.,   Franc. 
3096,  fol.  4,  orig.  :  Clairambault  328,  fol.  374). 

(1)  Lettre  de  Morette  à  Montmorency.  Marseille,  30  septembre  (B.  N., 
Clairambault  328,  fol.  236). 

(2)  RcFFi,  Histoire  de  Murseille. 

(3)  GrERR.\zzi,  t.  I,  chap.  Y. 

(4)  Le  roi  "  me  cscript  nettement  que  je  bazarde  l'armée  '>  .  Lettre  de 
Barbesieux.  Lyon,  23  octobre  (B.  N.,  Clairambault  328,  fol.  279). 

(5)  Lettre  de  Saint-Pol  à  Barbesieux.  Valence,  18  octobre  (B.  N.,  Franc. 
3045,  fol.  9,  orig  ). 

(6)  On  lui  donna  une  pension  pour  ses  services  maritimes!!  (Archives 
nat.,  J  960',  n.  22). 

(7)  Lettre  de  Barbesieux  citée  du  23  octobre. 


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RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-Q  UIiNT.      237 

Pareille  lâcheté  porta  ses  fruits.  Morette  dut  capituler  le 
21  octobre  et  la  Garthage  de  Gênes  fut  détruite  pour  ne 
plus  se  relever  de  trois  siècles.  Le  port  de  Savone  fut 
comblé,  les  boulevards  aplanis,  les  bastions  de  Pero  Navarro 
jetés  bas.  «  Ainsi  l'on  coupe  les  nerfs  d'une  bête  sau- 
vage (1) .  '» 

Dans  une  suprême  tentative,  François  I"  avait  essayé  de 
désarmer  par  la  mansuétude  ses  "  très  chers  et  bien  améz 
les  citoyens  de  sa  bonne  ville  de  Gennes  » ,  en  leur  accor- 
dant toute  sûreté  pour  résider  et  trafiquer  à  Lyon  (:2).  Il 
était  trop  tard.  Le  28  octobre,  c'était  le  Castellcto  qui  suc- 
combait sous  leur  attaque.  En  vain,  François  de  Bourbon 
avait-il  tenté  de  lui  porter  secours  en  s'avançant  par  la 
montagne.  Il  n'avait  pu  aller  au-delà  des  faubourgs  de  San- 
Pier  d'Arena.  Et  Trivulce  sortait  de  la  citadelle  de  Gênes 
avec  armes  et  bagages. 

Une  semaine  plus  tard,  les  Provençaux  apprenaient  avec 
épouvante  que  Doria  était  sur  leurs  côtes,  à  telle  enseigne 
que  les  deux  galions  de  Servien,  une  nef  et  une  barge  tom- 
baient entre  ses  mains.  Il  avait  enlevé  la  tour  de  Saint- 
Tropez  (3)  ;  le  7  novembre,  Toulon  se  fortifiait  hâtivement 
à  son  approche  (4).  Ce  qui  mettait  en  danger  les  vaisseaux 
en  rade,  c'était  le  défaut  de  canonniers  à  bord  (5) .  L'amiral 
de  Barbesicux  eut  l'ordre  exprès  d'y  parer,  en  se  portant  à 
la  rencontre  de  l'ennemi  (6).  Il  quitta  donc  Marseille  à  lu 
tête  de  ses  deux  divisions  navales,  les  dix-huit  galères  et 

(i)  Petit,  André  Doria,  p.  126.  —  Compendio  «/'Antonio  Doru  dalle 
cose  di  sua  notitia,  p.  39. 

(2)  Ordonnance,  peut-être  aimplemcnt  projetée,  d'octobre  1528.  Elle  est. 
en  minute,  dans  B.  N.,  Franc.  3096,  fol.   133. 

(3)  Valbelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  127. 

(4)  Archives  du  Toulon,  BB  46,  fol.  259. 

(5)  Lettre  de  Claude  Durre  au  roi.  Ai.K,  26  août  (B.  N.,  Franc.  3045, 
fol.  93). 

(6)  Lettre  de  François  I"  à  l'amiral  de  Barbesieu.x.  27  novembre  (B.  N., 
Franc.  10406,  fol.  87  v°). 


238  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

brigantins  du  nouveau  lieutenant-général  des  galères  (1), 
Saint-Blancard,  et  les  voiliers  du  commandeur  de 
Moreltc  (2). 

A  Antibes,  il  apprit  que  Doria  s'était  replié  sur  Ville- 
franche,  puis  sur  Gênes.  Au  lieu  de  le  poursuivre,  il  jugea 
plus  prudent  de  réintégrer  Marseille  (3),  au  moment  où  les 
capitaines  Montjehan  et  Villecerccaux,  dans  un  raid  hardi 
à  travers  la  montagne,  s'emparaient  du  palais  Doria  aux 
portes  mêmes  de  Gênes  :  Doria  n'eut  que  le  temps  de  se 
sauver  par  une  poterne  de  derrière  (i). 

La  pusillanimité  de  Barbesieux  dépassant  les  bornes  per- 
mises, même  à  un  favori,  il  fut  remplacé,  à  la  tète  de  la 
flotte  provençale,  par  un  amiral  bien  connu  des  marins  du 
Levant,  La  Fayette.  Du  fond  de  l'Italie,  où  il  défendait, 
avec  l'appui  d'une  escadre  vénitienne  (5),  Barletta,  notre 
dernière  place,  Renzo  da  Ceri  mandait  au  grand  maître  les 
nouvelles  les  plus  alarmantes  pour  la  sécurité  de  la  Pro- 
vence. Doria  avait  des  intelligences  à  Saint-Honorat,  Dra- 
guignan  «  et  quasi  par  tout  le  payS"  ,  à  Marseille  et  Toulon, 
des  pratiques  étroites.  Toulon  était  facile  à  enlever,  Doria 
feindrait  une  attaque  contre  un  petit  port  et,  l'attention 
ainsi  occupée,  tomberait  à  l'improviste  sur  notre  port 
de  guerre.  Avoir  pied  en  Provence  et  paralyser  nos 
mouvements,  tel  était  le  vœu  de  lempereur,  tel  était  te 
plan  que  Doria  lui  avait  soumis  à  1  entrée  de  1  hiver  (6). 

(i)  10  octobre  (B.  N.,  Clairauihault  825,  fol.  114  v"). 

(2)  La  flotte  comprenait  13  galères,  1  fuste,  4  brigantins,  la  Grande- 
Maîtresse,  la  Brave  et  autres  voiliers  (Valhei.le,  fol.  128). 

(3)  Lettre  de  Morette  à  Montmorency.  Caignes,  24  décembre  (B.  ?s., 
Clairambault  328,  fol.  354). 

(4)  Lettre  de  Montjehan  à  Montmorency.  Alexandrie,  24  décembre 
(B.  N.,  Clairambault  328,  fol.  356). 

(5)  2  galéasses,  50  barques  et  une  batterie  de  douze  pièces.  Lettre  de 
l'évêque  d'Avranches  au  roi.  Venise,  13  octobre  (B.  N.,  Clairambault  328, 
fol.  201). 

(6)  Lettre  de  Renzo  au  grand  maître  de  Montmorency.  Rome,  23  mars  1529 
(B.  N.,  Clairambault  329,  fol.  84). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-Q  CINT.      239 

Or,  le  5  avril  1529,  Doria  mouillait  avec  quatorze  galères 
aux  îles  de  Marseille.  Quatre  galères,  soutenues  par  les 
batteries  urbaines,  sortirent  hors  du  phare  pour  le  canon- 
ner.  Le  lendemain,  Saint-Blancard  allait  renouveler 
l'attaque  à  la  tête  de  douze  galères,  une  nef  et  un  galion 
•armés  en  hâte,  quand,  le  malin  venu,  on  n'aperçut  plus  les 
ennemis;  ils  avaient  dérapé  au  premier  quart  nocturne  (1). 

Un  mois  plus  tard,  l'amiral  de  La  Fayette  arrivait 
prendre  possession  de  son  commandement  (2).  Son  plus 
grand  souci  fut  de  mettre  Marseille  et  Toulon  à  l'abri  d'un 
coup  de  main  :  Marseille,  par  la  construction  de  la  tour 
d'If,  où  les  espi'its  frondeurs  mirent  une  nouvelle  tour 
Mauvoisine  i'^),  Toulon,  par  une  revision  soigneuse  des 
fortifications  (4). 

L'assaillant,  que  l'on  redoutait,  était  Charles-Quint.  Il 
rassemblait  à  Palamos  trente-quatre  galères  et  quatre-vingts 
vaisseaux  de  transport,  onze  mille  fantassins  et  douze  cents 
cavaliers.  Il  allait  en  Italie  recevoir  du  pape  la  couronne 
impériale  et  l'investiture  du  royaume  de  Naples.  Dès  que  la 
flotte  s'ébranla,  le  28  juillet  152Î),  le  lieutenant  royal  en 
Languedoc  trembla  de  voir  insulter  nos  rivages  (5),  l'amiral 
de  La  Fayette  se  posta  à  la  tête  de  son  escadre  pour  sur- 
veiller les  mouvements  de  l'ennemi  (6).  Sur  ces  entrefaites, 
l'un  et  l'autre  apprirent  que  la  paix  venait  d'être  signée  le 
3  août,  à  Cambrai. 

Avant  de  se  résigner  à  la  paix,  François  I"  avait  joué  sa 
dernière  carte,   lalliance    anglaise,   et   il    avait   perdu.    Il 


(1)  Vai.bei.le,  fol.   130  v°. 

(2)  Il  arrivait  à  Marseille  le  9  mai  (Valbelle,  fol.   131  v°). 

(3)  Valbelle,  ibidem. 

(4)  Lettre  de  La  Favette    aux  Toulonnais.    24  juin  1529    (Archives  de 
Toulon,  BB  46,  fol.  284). 

(5)  Lettre  de    Pierre   de   Glermont  au   roi.    2   août    (B.    N.,   Nouv.    acq. 
franc;.  4965,  fol.  63  v"). 

(6)  Don  fait  en  conséquence  à  La  Fayette  (Archives  nat.,  J  962,  n°  99). 


240  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE 

demandait  à  Henri  VIII  une  coopération  effective,  l'appui 
de  sa  diplomatie  à  Rome  pour  former  une  Ligue  générale 
contre  l'empereur,  l'envoi  de  six  vaisseaux  de  guerre  pour 
opérer  sur  les  côtes  espagnoles,  de  concert  avec  quinze 
grands  bâtiments  de  notre  vice-amiral  :  trente  galères  et 
dix  vaisseaux  français  agiraient  simultanément  dans  la 
Méditerranée  (Ij.  La  réponse  avait  été  :  les  véritables  inté- 
rêts de  la  France  sont  de  conclure  la  paix,  même  à  des 
conditions  désavantageuses;  traitez  ['2).  Et  François  I'' 
avait  traité,  mais  à  quelles  conditions!  il  abandonnait 
l'Italie,  rendait  Asti,  Barletta,  ne  conservant  pas  un  mor- 
ceau de  terre,  pas  un  allié  dans  la  péninsule. 


X 

AU    SERVICE    DE    L'EMPEREUR 

Que  dis-je?  Il  offrait  à  l'empereur  et  à  Dona  une  satis- 
faction d'un  genre  plus  raffiné  que  la  victoire,  en  mettant 
à  leurs  ordres  ses  propres  marins  et  le  meilleur  de  sa 
flotte,  douze  galères,  quatre  galions,  quatre  grandes 
nefs  (3).  Charles-Quint,  malgré  1  apparat  de  ses  forces 
navales,  n'avait  que  trop  besoin  de  notre  concours  contre 
les  Barbaresqvies.  Il  allait  se  voir  enlever  toute  une  divi- 
sion, les  huit  galères  de  Portondo,  par  Chasse-Diable,  lieu- 
tenant de  Barberousse  (4)  ;  et  ses  troupes  avaient  déjà  été 
chassées  de  la  forteresse  du  Penon  de  Yelez,  d'où  elles  sur- 


(1)  Instructions    données    à   Guillaume    Du    Bellay-Langey.    Mars    1529 
(BouRRiLLV,  p.  66).  — Décrue,  Anne  de  Montmorency,  p.  104. 

(2)  Instructions  de  Wolsey  à  Gardiner,   etc.  6  avril   (Bourrilly,  p.  69). 
(S)  Aux  termes  du  traité  de  Cambrai. 

(4j  Près  de  l'ile  de  Formcnlera  aux  Baléares,  le  25  octobre  1529  (il/emor. 
hist.  esp.,  t.  VI,  p.  50'(). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.      241 

veillaient  les  corsaires  algériens  (1).  Tout  retard  dans  la 
répression  des  pirates  barbaresques  eût  compromis  les 
communications  de  l'Espagne  avec  1  Italie.  Doria  fut 
chargé  d'y  mettre  ordre,  au  moment  où  Chasse-Diable  et 
Barberousse,  qui  à  Cherchell,  qui  à  Alger,  apprêtaient  une 
e.vpédition  contre  Cadix. 

Il  quitta  Gênes  au  mois  de  mai  1530  avec  une  flotte 
franco-impériale  de  vingt-neuf  galères  :  treize  d'entre  elles 
lui  avaient  été  consignées  par  Saint-Blancard  {"2).  Sur  l'avis 
que  Chasse-Diable  s'était  replié  des  Baléares  sur  l'Afrique, 
il  fondit  à  l'improviste  sur  Cherchell,  brûla  neuf  galiotes 
et  délivra  sept  cents  chrétiens  enfermés  dans  les  cachots 
souterrains.  Mais  les  trois  compagnies  de  Giorgio  Palla- 
vicini,  surprises  dans  la  débandade  du  pillage  par  la  gar- 
nison du  fort  et  par  les  Arabes  de  la  plaine,  laissèrent  aux 
mains  de  l'ennemi  leur  chef,  quatre-vingts  prisonniers  et  de 
nombreux  tués  et  blessés  (3). 

C'était  en  définitive  un  échec,  et  Doria  n'entendait  point 
finir  là-dessus  la  campagne.  Doublant  donc  sa  flotte  à  Ali- 
cante,  il  revint  provoquer  Barberousse  à  la  tête  de  soixante 
voiles  latines  et  douze  vaisseaux  ronds  f-4).  Mais  le  corsaire 
ne  répondit  point  à  son  défi,  et  Alger  était  une  position 
trop  formidable  pour  être  enlevée  d'assaut.  Force  fat  donc 
de  retourner  ù  Gènes.  C'est  là  que  Saint-Blancard  ctYilliers 
le  Jeune  vinrent  reprendre  livraison  de  nos  galères,  mais 
en  quel  état!  Si  a  fraquassées  »   qu'il  était  presque  impos- 

(i)  Défendu  par  Diego  de  Vargas,  la  forteresse  fut  enlevée  par  Barbe- 
rousse le  21  mai  1529  (F.  Duro,  Armada  espanola,  t.   I,  p    158). 

(2)  Valbelle,  fol.  135  v",  136,  140.  —  P.  Jove,  trad.  Sauvage  (1570), 
t.  II,  p.  104  :  il  donne  à  Chasse-Diable  le  nom  de  Halicot  et  le  dit  origi- 
naire de  Caramanic. 

(3)  Letire  de  Claude  Durre,  contenant  les  détails  transmis  par  un  de  nos 
marins,  Érasme  Galyen,  22  juin  (B.  N.,  Franc.  3096,  fol.  20)  — SiGOSitJS, 
lib.  II,  cap.  VII. 

(4)  Lettre  de  Saint-Blancard.  qui  tenait  ces  renseignements  d'un  galion 
arrivé  d'Afrique.  Lyon,  17  août  (B.  N.,  Franc.  3007,  fol.   77) 

III.  16 


242  HISTOIRE    DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

sible  de  les  radouber  et  si  dénuées  de  vivres  que  notre 
pénéral  des  galères  dut  engager  sa  vaisselle  pour  donner 
du  pain  aux  équipages  (1). 

(i)  Valbelle,  fol.  140  :  Saint-BIancard  partit  le  25  septembre  de  Mar- 
seille. C'est  à  l'année  1530  et  non  à  1525  que  se  rapporte  la  lettre  de  Saint- 
Blancard  du  18  octobre,  publiée  par  Champollion-Figeac,  Captivité  de 
François  I",  p.  381. 


ANGO 

LA  LIBERTÉ  DES  MERS 


En  présence  crévénements  lourds  de  menaces  pour  notre 
avenir,  expansion  coloniale  de  nos  voisins,  partage  du 
Nouveau  Monde  et  monopole  commercial  que  nos  rivaux 
s'attribuent  aux  Indes,  si  vous  cherchez  en  France  une 
idée  directrice  en  fait  de  politique  maritime,  n'allez  pas  à 
la  cour  de  François  l",  mais  à  Dieppe.  Là,  est  un  homme 
d'une  rare  initiative,  le  chef  ou  l'inspirateur  d'une  pléiade 
de  gens  de  mer  énergiques  et  instruits,  qui,  de  ses  deniers, 
armera  des  escadres  pour  couvrir  notre  littoral  en  danger, 
enlèvera  aux  Espagnols  les  trésors  accumulés  au  Mexique 
par  les  rois  aztèques,  et,  revendiquant  avec  opiniâtreté  la 
liberté  des  mers,  cherchera  par  quatre  routes  différentes  le 
chemin  des  Moluques,  d'où  les  Portugais  voulaient  n<^us 
évincer.  Une  légende,  bien  voisine  de  l'histoire,  lui  prête 
des  proportions  fantastiques.  Pour  soutenir  l'honneur  du 
pavillon  outragé,  il  aurait  organisé  avec  ses  seuls  vaisseaux 
le  blocus  de  Lisbonne  et  forcé  le  roi  de  Portugal,  qui 
s'était  montré  d'une  rare  arrogance  vis-à-vis  de  François  I", 
à  faire  des  excuses  à  un  simple  Français. 

Ce   grand    homme   s'appelait  Jean   Ango  (1).  De   taille 

(1)  Sur  Ango,  voyez  :  Paul  Gaffabel,  Jean  Ango,  dans  le  Bulletin  de  la 
Société   normande    de   géographie,    t.    XI    (1889),    p.    172-191,    234-267, 


244  HISTOIRE   DE   LA   MARINE   FRANÇAISE. 

moyenne,  barbe  et  cheveux  blonds,  joues  vermeilles,  nez 
aquilin,  front  haut  et  tête  grosse  (1),  Ango  l'armateur  était 
un  vrai  Protée.  Grènetier  et  contrôleur  du  magasin  à  sel, 
conseiller  du  corps  de  ville,  receveur  du  temporel  pour 
l'archevêqvie  de  Rouen,  vicomte  et  capitaine  de  Dieppe  au 
nom  du  roi,  lieutenant  de  l'amiral  de  France  (2),  agent 
civil,  municipal,  ecclésiastique,  militaire  et  maritime  à  la 
fois,  il  résumait  en  sa  personne  presque  toute  l'adminis- 
tration du  temps. 


LA    RENAISSANCE    FLORENTINE   A    DIEPPE 

Grand  seigneur  avec  cela,  il  s'était  fait  construire  près 
des  quais  un  hôtel  aux  boiseries  scvilptées  et  dorées,  orné 
de  bas-reliefs  et  garni  de  terrasses  à  l'italienne,  d'où  la 
vue  embrassait  d  un  côté  la  rade,  de  l'autre  la  vallée  jus- 
qu'au château  d'Arqués.  Il  l'avait  appelé  la  Pensée,  en  sou- 
venir peut-être  d  un  navire  de  son  père,  le  premier  navire 
français  qui  ait  abordé  dans  l'Amérique  du   nord  (3).  Et 

297-315.  —  Alexis  Martin,  Jea)i  Ango,  armaleur  dicppnis.  Paris,  1884, 
iii-8".  —  MAncRY,  les  navigations  françaises  du  xiv''  au  xvT'  siècle.  Paris, 
1867,  in-8°.  —  Eugène  Guémn,  Ancjo  et  ses  pilotes.  Paris,  1901,  in-S".  — 
Fernando  Paliia,  .4  carta  de  mai'ca  de  Joâo  Ango.  Lisboa,  1882,  in-8"  : 
trad.  par  R.  Francisque-Michel,  La  lettre  de  marque  de  Jean  Ango,  dans 
le  Bull,  de  la  Soc.  normande  de  géographie  (1889),  p.  31i-5-381. 

(1)  D'après  un  tableau  qui  existait,  en  1760  encore,  au  manoir  de  Varen- 
geville  (GuiBERT,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  de  la  ville  de  Dieppe, 
t.  I,  p.  40). 

(2)  Receveur  de  la  vicomte  de  Dieppe  en  1512,  vicomte  en  1521,  con- 
seiller de  ville  en  1527,  capitaine  en  1534  et  lieutenant  de  l'amiral  en  1536 
au  plus  tard,  Ango  était  encoi'e  seigneur  de  la  Rivière  à  Offranville,  de  Ger- 
ponville,  etc.  (A.  Hellot,  Jean  Ango  et  sa  famille,  d'après  de  nouveaux 
documents.  Publié  dans  VEclaireur  de  Dieppe.  Mai  1890.  Et  Dieppe, 
A.  Dely,  pièce  in-8°). 

(3)  En    1508    (Ramusio,    Raccolta   délie    navigazioui    e    viaggi.    Venise, 


LA    LIBERTÉ    DES    MERS.  245 

cette  demeure  princière  méritait  son  nom  :  elle  abritait 
une  intelligence  aussi  éprise  du  beau,  des  arts  et  des 
lettres  que  des  plus  hautes  spéculations  commerciales. 

A  quelques  lieues  de  Dieppe,  au  village  de  Varengeville, 
Ango  avait  élevé  une  maison  de  campagne  sur  un  vaste 
plateau.  Excellent  observatoire  d'où  l'on  découvre,  au  delà 
des  bruvères  et  des  ravins  boisés,  un  immense  horizon  sur 
les  flots,  le  manoir  existe  encore,  tandis  que  la  Pensée  a  été 
détruite  par  les  Anglais  lors  du  bombardement  de  1694. 
Avec  ses  mosaïques  de  grès  et  de  silex,  les  médaillons  de 
ses  frises,  ses  fresques  et  sa  loggia,  le  manoir  de  Varenge- 
ville donne  l'illusion,  sous  le  ciel  gris  de  Normandie,  d'un 
palais  florentin. 

Dès  qu'on  en  franchissait  le  seuil  et  qu'on  entrait  dans 
une  galerie  à  arcades  dont  la  forme  et  le  sujet  même  des 
fresques  rappelaient  les  Loges  de  Raphaél,  l'illusion  aug- 
mentait encore  (1).  Autour  du  riche  armateur,  se  pres- 
saient, artistes,  pilotes  ou  marchands,  des  compatriotes  de 
Dante,  que  des  révolutions  intestines  avaient  chassés  de 
leur  patrie.  Tandis  que  deux  nobles  florentins,  dont  les 
noms  avaient  été  illustrés  par  un  saint  (2)  et  par  un  gonfa- 
lonier  assez  ferme  pour  refuser  d'adhérer  à  une  ligue 
contre  la  France  (3),  Corsini  et  Soderini,  s'établissaient 
comme  capitaines  de  galions  à   La  Rochelle  (4),  d'autres 

1606,  in-4",  t.  III,  p.  433.)  — Cf.  la  description  de  la  maison  d'Ango  dans 
ViTET,  Histoire  de  Dieppe,  t.  II,  p.  419. 

(1)  On  trouvera  une  vue  de  ce  manoir  dans  GuÉxin  (p.  2)  et  une  des- 
cription des  fresques  dans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes  (t.  XIX, 
p.  110). 

(2)  Corsini,  au  xiV^  siècle. 

(3)  Soderini,  en  1512.  —  C'est  à  lui  qu'Améric  Vespuce  adressait, 
en  1504,  le  récit  de  son  voyage  transatlantique  (Baxdini,  Vita  e  lettere  di 
Atneriqo  Vespiicci.  Firenze,  1745,  in-4",  p.  25). 

(4)  «Sires  Françoys  de  Soderine  et  Thomas  Coursun,  cappitaines  de  gallyon, 
<le  Saint-Jehan  de  Florence,  à  présens  demeurans  à  la  Rochelle.  »  Acte  du 
25  avril  1548,  passé  à  La  Rochelle  (Georges  Musset,  Historiens  de  la 
Rochelle.  La  Rochelle,  1892,  in-4",  p.  22). 


246  HISTOIRE   DE  LA    MARINE    FRANÇAISE. 

fuorusciti  élisaient  domicile  à  Dieppe  et  à  Rouen  :  tels, 
Giovanni  et  Girolamo  Verrazzano,  Alderotto  Brunelleschi, 
Pietro,  Zanobi,  Mario  et  Alessandro  Rucellaï  et  trois  petits- 
neveux  du  célèbre  —  ou  du  prétendu  —  inspirateur  de 
Christophe  Colomb,  Toscanelli  (I). 

Brunelleschi!  Quelle  évocation  de  Florence  dans  ce  seul 
nom!  C'est  Sainte-Marie  des  Fleurs  avec  sa  mosaïque  de 
marbre  et  sa  coupole  gigantesque,  c'est  le  palais  Pitti, 
c'est  aussi  la  citadelle  de  Pise,  ce  sont  toutes  les  œuvres 
de  l'admirable  architecte  Filippo  Brunelleschi,  qui,  des 
ruines  des  thermes  et  des  temples,  avait  ressuscité  en  les 
rajeunissant  les  procédés  de  l'antiquité. 

Et  les  Rucellaï!  Petits-fils  d'une  Strozzi  et  neveux  par 
leur  mère  de  Laurent  le  Magnifique,  ils  avaient  suivi  la 
fortune  des  Médicis,  que  la  popvdace  avait  expulsés  pour 
avoir  montré  trop  de  complaisance  envers  Charles  VIII, 
lors  de  l'invasion  de  l'Italie.  L'un  des  Rucellaï,  un  poète, 
devait  trouver  asile  près  de  son  cousin,  le  pape  Léon  X. 
Les  autres,  établis  banquiers  et  armateurs  à  Rouen  sous  le 
nom  francisé  de  Rousselay  (2),  furent  de  vrais  mécènes  pour 
leurs  compatriotes;  ils  gardaient  dans  leur  cœur  le  sou- 
venir de  leur  patrie  et  surtout  de  ce  palais  magnifique,  de 
ces  jardins  restés  célèbres  sous  le  nom  d'Orti  Oricellarii, 
où  l'ombre  épaisse  d'une  végétation  luxuriante  abritait  les 
graves  discussions  de  l'Académie  platonicienne,  au  milieu 
des  statues  et  des  stèles  antiques  (3).  Et  nous  verrons  quel 

(1)  Ces  Toscanelli  étaient  établis  négociants  à  Dieppe  entre  1545  et 
1549,  avant  la  mort  d'Ango  (Uzielli,  Toscanelli.  Firenze,  janvier  1893, 
p.  39). 

(2)  Pietro  Rucellaï  ou  Pierre  de  Rousselay,  marchand  de  Rouen,  cau- 
tionne Giovanni  Verrazzano,  qui,  à  son  tour,  le  11  mai  1526,  institue 
Zanobis  de  Rousselay  pour  l'un  de  ses  procureurs  (GuÉnin,  p.  77-78).  — 
Mario  et  Alessandro  Rucellaï  cautionnent  Girolamo  Fer,  de  Savone,  qui 
avait  promis  de  radouber  la  Grande-Françoise,  et,  à  son  défaut,  ils  feront 
achever  le  travail.  1535  (B.  N.,  Franc.   15632,  n»  668). 

(3)  L.  Passebim,  Genealogia  e  storia  délia  famiglia  Rucellaï.  Florence, 


LA    LIBERTE   DES    MERS.  247 

tribut  leur  ami  Verrazzano  payera  à  ces  souvenirs,  dans  la 
nomenclature  dont  il  se  servira  lors  de  son  exploration  des 
côtes  américaines. 

Ainsi  s  épanouissait  à  Dieppe  la  Renaissance  italienne. 
Les  capitaines  et  les  pilotes  d'Ango  y  prenaient  largement 
part,  l'un  d'eux  surtout,  le  plus  grand  navigateur  du  temps, 
qui  se  reposait  de  ses  voyages  et  de  la  construction  de 
globes,  de  mappemondes  et  de  cartes  marines,  en  tradui- 
sant Catalina.  Dans  sa  dédicace  à  Ango,  ce  modeste  savant, 
Jean  Parmentier,  s'excusait  d'avoir  délaissé  la  rhétorique, 
sans  doute  pour  la  poésie,  car  il  remporta  pendant  dix 
ans  (1),  aux  Palinods  de  Rouen  et  aux  Puys  de  l'Assomp- 
tion de  Dieppe,  des  chapeaux  et  des  couronnes  d'or, 
seconds  et  premiers  prix  de  ces  concours  poétiques  (2), 
auxquels  Marot  ne  dédaignait  pas  de  prendre  part. 

Aux  mâles  accents  de  sa  Muse,  vous  jugerez  combien 
était  solidement  trempé  le  capitaine  qui  quittait  ses  jeunes 
enfants  pour  affronter  le  climat  meurtrier  de  l'océan 
Indien  : 

Diray-je,  avec  Horace  ou  Juvénal, 
Que  aux  Indes  vavs  pour  fuir  povreté  ! 
Cest  argument  est  faul.x  et  anormal. 
Sur  quel  propos  suis-je  donc  arresté 
Quand  j'av  conceu  voyage  si  pesant? 
Comme  Françoys  qui  premier  entreprit 
De  parvenir  à  terre  si  lointaine  ; 
Tu  l'entrepris  à  la  gloire  du  roy 
Pour  faire  honneur  au  pays  et  à  toy(3). 

1861,  in-8".  —  L,  PASSKRiKr,  Degli  orti  Oricellarii.  Florence,  1854,  in-8". 
—  Marcotti,  Un  inercantc  fwrentino  e  la  sua  famiglia  nel  secolo  XV 
(Giovanni  Rucellai).  Florence,  1881,  in-8".  —  H.  Hauvette,  Un  exile  floren- 
tin à  la  cour  (le  France  an  xvi"  siècle.  Luigi  Alamanni.  Paris,  1903,  in-8°, 

p.  13. 

(1)  Lauréat  des  palinods  de  Rouen  en  1517,  1518  et  1527,  il  gagnait  le 
chapeau  aux  Puys  de  Dieppe  en  1520  et  la  couronne  en  1527  (Asseline, 
Antiquités  de  la  ville  de  Dieppe,  t.  I,  p.  188). 

(2)  Ses  poésies  se  trouvent  à  la  B.  N.,  dans  le  ms.  Français  1528.  — 
L'Histoire  Catilinaire  a  été  imprimée  en  1528.  Paris,  in-4''. 

(3)  GtJÉNiN,  p.  122. 


248  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Durant  la  traversée,  Parmentier  soutenait  le  moral  de 
ses  marins  en  faisant  appel  aux  sentiments  les  plus  élevés 
de  la  nature  humaine.  Son  magnifique  poème  sur  les  mer- 
veilles de  Dieu  et  la  dignité  de  Thomme  (1)  était,  dans  les 
ombres  grandissantes  de  la  nuit  des  tropiques,  comme  une 
prière,  une  invocation  pieusement  murmurée  par  le  chef 
de  ces  aventuriers  dont  plusieurs  avaient  déjà  succombé 
et  gisaient,  les  uns  dans  la  terre  de  Madagascar,  dont  ils 
avaient  ainsi  les  premiers  pris  éternelle  possession;  les 
autres,  un  boulet  aux  pieds,  dans  les  profondeurs  des 
océans  (2). 

Les  marins  d'Ango  étaient  pieux.  Lui-même  donnait 
l'exemple.  Sur  les  murs  du  manoir  de  Varengeville,  on 
déchiffre  encore,  au-dessous  de  la  sphère  qu'il  avait  choisie 
pour  emblème,  la  phrase  du  psalmiste  dont  il  avait  fait  sa 
devise  :  Spes  mea,  Deiis,  a  juventute  mea  (3) .  Ancien  con- 
frère de  la  confrérie  de  la  Charité  à  Ronfleur  (4),  il  parta- 
geait la  dévotion  des  marins  bretons  à  saint  Yves  de  Tré- 
guier,  auquel  il  avait  dédié  une  chapelle  (5).  On  lui  doit 
aussi  sans  doute  le  curieux  bas-relief  de  l'église  Saint- 
Jacques  de  Dieppe,  où  sont  représentés,  dans  des  scènes 
d'une  naïveté  touchante,  les  sauvages  des  pays  fréquentés 
par  ses  vaisseaux  (6).  Un  autre  ex-voto  du  même  genre 
commémore,  j'en  suis  persuadé,  le  plus  beau  coup  de 
main  qui  ait  été  exécuté  sur  mer  par  les  corsaires  d'Ango. 


(1)  Traité  en  forme  d'exhortation  contenant  les  merveilles  de  Dieu  et  la 
dignité'  de  l'homme,  publiée  par  Schefer,  à  la  suite  du  Discours  de  la 
navigation  de  Jean  et  Baoul  Parmentier.  Paris,  1883,  in-8°. 

(2)  GuÉNiN,  p.   125. 

(3)  FÉRET,  Histoire  des  bains  de  Dieppe.  Dieppe,  1856,  in-8°,  p.  101. 

(4)  Cf.  supra,  p.  131,  n.  3. 

(5)  En  1535  (AssELisE,  t.  I,  p.  112). 

(6)  Cf.  la  gravure  dans  GuÉnin,  p.  169. 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  249 

II 
LA   CONQUÊTE    DES    TRÉSORS    DU    MEXIQUE 

En  1523,  Cortès  envoyait  en  Espagne,  comme  primeur 
de  sa  conquête,  les  richesses  du  palais  de  Guatimozin  :  des 
masques  en  mosaïque  de  pierres  fines,  avec  des  oreilles 
d'or  et  un  râtelier  d'ivoire,  des  joyaux,  une  fine  émeraude 
de  la  grandeur  d'une  paume,  de  la  vaisselle  d'or  et  d'ar- 
gent où  étaient  gravées  des  figures  d'animaux,  des  idoles 
et  des  sarbacanes  en  métaux  précieux,  des  mitres,  des 
ornements  d'autel,  une  coulevrine  tout  en  argent,  des 
vêtements  en  plumes  si  artistement  travaillés  que  les 
étoffes  de  soie  et  d'or  pouvaient  à  peine  leur  être  com- 
parées; enfin,  des  milliers  de  larges  plaques  d'or  en  forme 
de  disques  (Ij. 

Ces  trésors  partirent  de  la  Vera-Cruz  sur  l'escadre  de 
Mendoza,  sous  la  garde  des  meilleurs  lieutenants  de  Cortès  : 
Alonso  d'Avila  et  Antonio  de  Quinones.  Il  y  avait,  à  bord, 
des  jaguars.  Une  nuit  que  la  cage  s'était  entrouverte,  un 
des  jaguars  s'échappa  et  se  rua  sur  l'équipage  espagnol, 
tuant  ou  blessant  dix  hommes.  Après  s'en  être  débarrassés, 
les  matelots  lardèrent  de  dards  son  compagnon,  de  peur 
d'une  nouvelle  attaque.  Décimé  par  cet  accident,  l'équi- 
page espagnol,  en  arrivant  aux  Açores,  se  trouva  tout  à 
coup  en  présence  du  capitaine  de  la  flotte  d'Ango;  Jean 
Fleury  barrait  la  route  à  la  tête  de  trois  nefs  et  cinq  galions, 
dont  le  bâtiment  amiral,  le  Dieppe,  était  de  trois  cents  ton- 
neaux.   Outre    ses    équipages,    Fleury    avait    deux    cents 

(1)  Lettre  de  Valladolid,  10  juillet  1523  (Sanuto,  Diarii,  t.  XXXIV, 
col.  188  v°).  —  Herreba,  3°  décade,  liv.  III.  —  Lettres  de  Fernand 
Cortès  à  Charles-Quint,  trad.  D.  Charnay.  Paris,  1896,  in-S",  p.  227. 


250  HISTOIRE    DE   LA   MARINE    FRANÇAISE. 

hommes  de  la  garnison  de  Fontarabic  (Ij.  Il  ne  perdit  plus 
de  vue  ses  adversaires,  qui  s'étaient  réfugiés  à  Tile  Sainte- 
Marie;  et  quand  les  trois  caravelles  de  Domingo  Alonso 
vinrent  d  Espagne  pour  sauver  les  trésors  du  Mexique, 
leur  livra  une  poursuite  acharnée.  Rejointes  à  quelques 
lieues  du  cap  Saint-Vincent,  presque  en  vue  du  port  de 
salut,  deux  d'entre  elles  succombèrent  après  un  sanglant 
combat,  laissant  tomber  entre  les  mains  du  vainqueur  le 
rapport  de  la  conquête  du  Mexique  et  les  émissaires  de 
Cortès,  l'un  d'eux,  Quinones,  mortellement  atteint  {'2). 

L'affaire  eut  un  retentissement  considérable;  l'empereur 
attacha  une  telle  importance  aux  riches  «  accoustremens 
de  plumes  venuz  des  Indes  »  ,  éventails  de  plumes  montés 
en  or,  heaumes  à  plumets  à  tête  diabolique,  corsets  et 
manteaux  d  apparat,  souliers  cousus  d'or,  qu'il  en  fit  pré- 
sent à  la  gouvernante  des  Pays-Bas,  Marguerite  d'Au- 
triche (3),  laquelle  en  rétrocéda  au  duc  de  Lorraine. 

Dans  1  église  de  Yillequier,  en  Normandie,  un  superbe 
vitrail,  daté  de  l'année  même  de  ce  drame,  1523,  repré- 
sente le  combat  naval  d'un  grand  vaisseau,  orné,  en  proue, 
d'une  salamandre  et,  sur  les  bordages,  de  pavois  fleurde- 
lisés, contre  deux  navires  impériaux  plus  petits.  Ce  magni- 
fique ex-voto  de  modestes  mariniers,  dont  les  noms  sont 
consignés  au  bas  du  vitrail  (41,  laisse  supposer  que  leur 

(1)  Liste  de  la  Hotte  de  Fleury,  d'après  un  document  de  1523  (H.  C. 
MuRPHY,  The  voyage  of  Verrazzano.  New-York,  1875,  in-8",  p.  165.  — 
Gaffarel,  Jean  Flewy,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  normande  de  géo- 
graphie (1902).  p.  182). 

(2)  Lettre  d' Alonso  d'Avila,  prisonnier.  La  Rochelle,  17  juin  1523 
(Ramusio,  Raccolta  délie  navigazioni  e  viaggi,  t.  lU,  p.  294).  —  P.  Martyr 
d'Anghiera,  Opiis  epistolaruni,  éd.  1530,  cp.  778,  782.  —  F.  Dcro, 
t.  I,  p.  202.  —  Raccolta  di  docnmenti  e  stiidi  pubblicali  dalla  R.  Com- 
missionc  Colombiana.  Roma,   1892,  in-4°,  part.   III,  vol.  II,  p.  68). 

(3)  Le  20  août  1523,  à  Bruxelles  (B.  N.,  Collection  des  V^  Colbert  128, 
fol.  L  :  publié  par  H.  Micuelant,  Compte  rendu  de  la  commission  royale 
d'histoire  (Bruxelles),  3"^  série,  t.  XII  (1870),  p.  5). 

(4). '<  Jehan   Busquet,   dit  Deleau,   marinier...,   Jacques  Ruault,    Robert 


m^'' 


^m^B   h4Ê^u   hM^b 


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VERRIÈRE     UE     VILLEQUIER     (1523' 


LA   LIBERTE    DES    MERS.  251 

part  de  prises  avait  été  considérable,  et  pour  moi,  le 
vitrail  représente  la  conquête  des  trésors  du  Mexique.  De 
l'autre  côté  de  la  Seine,  presque  en  face  de  Villequier, 
l'église  de  Vattevillc  contient  un  autre  ex-voto  d'un  des 
heureux  corsaires.  C'est  encore  une  verrière,  sur  laquelle 
est  peint  le  vaisseau  la  Romaine^  commandé  par  Billes  (1), 
lieutenant  et  compalriote  de  Jean  Fleurv.  Car  Fleury  était 
de  Vatteville  et,  dans  le  courant  du  xvr  siècle,  ses  descen- 
dants et  ses  parents  y  soutinrent  dignement,  comme  capi- 
taines de  navires,  l'honneur  du  nom  (2). 

De  toutes  les  escadres  organisées  ou  partiellement  équi- 
pées par  l'armateur  Ango  pour  la  défense  du  territoire,  la 
garde  dupas  de  Calais, les  communicationsavecrÉcosse  (3), 
l'escorte  des  terreneuviers  ou  des  convois  de  Brouage,  la 
flotte  de  Jean  Fleury  eut  le  rôle  le  plus  brillant.  Depuis  que 
la  guerre  avait  éclaté  avec  1  Espagne,  Fleury  se  tenait  en 
embuscade  avec  Michel  Féré,  Silvestre  Billes,  capitaine  de 
la  Romaine,  Jean  Fain,  capitaine  de  la  Marie  de  Dieppe, 
Guyon  d'Estimauville  et  Cardin  d'Esqueville-Bléville,  capi- 
taines de  la  Fleur-de-Lis  et  de  la  Cigogne  (4),  Nicolas  de 
Croismarc  (5)  et  autres  Normands,  aux  abords  de  Cadix,  des 
Canaries  ou  des  Açores,  sur  la  route  des  riches  galions  des 
Indes.  En  1522,  il  en  avait  enlevé  sept,  dont  l'escadre  de 
Manrique,  dépêchée  à  sa  poursuite,  n'avait  pu  reprendre 

Busquet  et  Jehan  Breton  le  Jeune  »  (Abbé  Cochet,  Les  Eglises  de  iar- 
rondissement  d'Yvetot.  Paris.  1852,  in-8",  p.  91). 

(1)  1521  (Abbé  Cochet,  p.  135). 

(2)  GdÉnin,  p.  18,  note  5. 

(3)  Cf.  le  chapitre  ci-dessus  :  «  La  patrie  en  danger  »  .  Dès  1521,  c'était 
Ango  qui  organisait  le  passage  du  duc  d'Albany  en  Ecosse  (B.  N.,  Clairam- 
bault  30,  p.  5231  :  publié  par  E.  de  Fréville,  Mémoire  sur  le  commerce 
maritime  de  Rouen,  t.  II,  p.  428). 

(4)  Qui  capturèrent,  en  1522,  plusieurs  bâtiments  (Gosselin,  Docu- 
ments authentiques  et  inédits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  marine  nor- 
mande, p.  74). 

(5)  Nicolas  «  de  Croismare,  estant  soubz  la  charge  du  cappitaine  Jehan 
Fleury  »  (Archives  du  Havre,  EE  85) 


2yî  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

que  deux,  après  un  vif  combat  à  la  hautevir  dvi  cap  Saint- 
Vincent  (l). 

On  peut  juger  de  Timportance  de  ces  prises  par  ce  fait 
qu'une  seule  d'entre  elles  contenait  cinq  grands  quintaux 
d'or  fin,  deux  quintaux  de  perles,  trois  coffres  pleins  de 
lingots  d'or,  sans  compter  six  ou  sept  livres  d'or  par  matelot, 
des  cuirs  de  boeufs  sauvages,  des  «  casses  de  fistures  et 
autres  singulières  marchandises  (2)  »  :  n'oublions  point  les 
cartes  des  navires  espagnols,  dont  nos  corsaires  enten- 
daient se  servir  pour  se  familiariser  avec  la  navigation  des 
Antilles.  Mais  à  peine  le  capitaine  Jean  Fain,  commandant 
la  Marie  de  Dieppe,  avait-il  fait  cette  riche  capture  qu'il  fut 
investi  par  quatre  «  arbatroisses  "  de  course  portugaises  et 
capturé  lui-même. 

C'était  une  inique  violation  de  neutralité.  Mais  les  Por- 
tugais n'en  avaient  cure.  «  Qu'on  pende  tous  les  Français  !  » 
criait  le  peuple  de  Lisbonne  sur  le  passage  des  prisonniers, 
qu'on  emmenait  vers  les  prisons,  la  corde  au  cou  et  des 
entraves  aux  jambes.  «  Qu'on  les  pende!  »  ordonna  le  roi 
Joâo.  Il  se  passa  à  ce  moment  un  fait  extraordinaire,  dont 
un  de  nos  marchands  fut  témoin  :  »  Ungviel  baron  d'icelluy 
pays  se  meist  à  genoulx  devant  le  Roy  son  maistre  :  lequel 
dist  qu'ilz  n'avoient  deser^^-  la  mort  :  ilz  n'avoient  prinz 
riens  qui  appartinst  aux  Portugalloys.  Alors,  ledit  Roy 
commanda  l'exécution  desdits  Françoys  estre  différée.  » 
Un  supplice  plus  cruel  encore  leur  était  réservé  :  les  pri- 
sonniers seraient  morts  de  faim,  si  le  brave  Thomas  Durant, 
de  Rouen,  jusqu'à  l'heure  de  son  départ,  jusqu'au  dimanche 
des  Rameaux  de  l'an  1522,  ne  leur  avait   «  donné  à  boire, 

(1)  P.  Martyr  d'Anghiera,  Opus  epistolarum,  ep.  771.  —  F.  Duro,  t,  I, 
p.  422. 

(2)  Lettres  de  marque  délivrées  en  conséquence  par  l'amiral  de  Bonni- 
vet.  Paris,  3  septembre  1522  (B.  N.,  Moreau  736  :  publie  par  E.  de  Fré- 
viLLE,  Mémoire  sur  le  commerce  de  Rouen,  t.  I,  p.  430.  —  P.  Martyr, 
epistolae  771,  774). 


LA   LIBERTE    DES    MERS.  253 

et  à  manger  en  faveur  de  charité  (1).  »  L'intrusion  des  Por- 
tugais dans  notre  guerre  de  course  les  exposa  à  de  terribles 
représailles,  d'autant  qu'ils  eurent  le  malheur  d'arrêter  dans 
les  mêmes  conditions  un  vaisseau  armé  conjointement  par 
l'amiral  et  le  vice-amiral  de  France,  le  Christophe  (2).  De 
tous  ces  méfaits,  Jean  Fleury  se  chargea  de  tirer  vengeance  : 
c'est  par  les  doléances  portugaises,  que  nous  connaissons  ses 
multiples  croisières  sur  les  côtes  d'Afrique  et  d'Espagne  (3) , 
où  il  acquit  tant  de  renommée  que  François  I"  ne  dédai- 
gnait point  de  correspondre  directement  avec  lui  (4). 

En  15:26,  Fleury,  venu  renforcer  la  flotte  du  Levant, 
hiverna  en  Provence  pour  espalmcr  sa  nef,  prêtant  même, 
durant  sa  relâche,  toute  son  artillerie  au  lieutenant-général 
Navarro.  Au  printemps  de  1527,  il  reprit  le  commande- 
ment de  la  flotte  de  guerre  d'Ango.  Mais  à  son  embuscade 
habituelle  du  cap  Saint-Vincent,  il  commit  la  faute  de 
disperser  ses  cinq  vaisseaux,  dans  l'ignorance  que  deux 
escadres  étaient  acharnées  à  sa  poursuite.  Surpris  par  six 
navires  basques  du  vieux  capitaine  Martin  Pérez  de  Irizar, 
il  ouvrit  sur  eux,  de  ses  vingt  pièces  de  canon  (5),  un  feu 

(1)  Déposition  de  Tliomas  Durant,  maître  d'une  nef  de  lloucn,  etde  Sal- 
daijjne,  devant  le  vice-amiral  Du  Chiliou.  Honfleur,  6  mai  1522  (Archives 
du  Havre,  EE  83).  —  Sur  les  "  arbatroisses  »  ,  voyez  Jal,  Glossaire  nautique, 
art.  Albetoca. 

(2)  Parti  en  août  1522  de  Honfleur  sous  le  commandement  du  capitaine 
Gilles  Desfossés,  le  Christophe  avait  fait  des  prises  sur  les  Anglais  et  les 
Espagnols  pour  cinquante  mille  écus  d'or,  quand  il  fut  pris  par  les  Portu- 
gais. Réclamation  d'indemnité  formulée  par  Guyon  Le  Roy.  IV  juillet  1527 
(Archives  du  Havre,  EE  83). 

(3)  Enquête  portugaise  publiée  par  Gukmx.  —  Cf.  P.  G-vifirel,  Jean 
Fleury,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  normande  de  georjraphie.  Rouen, 
1902,  in-8",  p  182.  —  Le  2  mai  1525,  à  Roscoff,  JXicolas  de  Croismare, 
étant  sous  la  charge  du  capitaine  Jean  Fleury,  dépose  que  Elcury  a  capturé 
par  le  travers  de  Cadix  le  navire  génois  Jean-Baptiste  et  qu'il  est  chargé  de 
le  vendre  (Archives  du  Havre,  EE  85). 

(4)  Lettres  de  François  I''.  26  septembre  et  20  octobre  1526  (B.  N.,  Clai- 
rambault  1225,  fol.  141,  143). 

(5)  Etat  de  la  flotte  de  Fleury  (Murpiiy,  The  voyage  of  Verrazzano, 
p.  165). 


254  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

terrible,  qui  troua  leurs  voiles,  hacha  leurs  gailUards  et 
emporta  quatre-vingt-sept  hommes.  Mais,  accablé  par  le 
nombre,  de  ses  trois  cents  hommes  la  moitié  étant  hors  de 
combat,  Jean  Fleury  se  rendit  avec  ses  lieutenants,  un 
docteur  en  décret  de  la  Faculté  de  Paris  nommé  de  La 
Sale,  un  écuver  tourangeau,  un  gentilhomme  vénitien  (1) 
et  ses  officiers  mariniers,  tous  originaires  de  Ronfleur  (2). 

Il  savait  si  bien  le  prix  qu'on  attachait  à  sa  capture 
qu  il  offrit  trente  mille  ducats  pour  sa  rançon.  Sur  ces 
entrefaites,  le  chef  d'escadre  portugais  Pero  Botelho,  éga- 
lement lancé  à  sa  poursuite  et  déjà  maître  de  la  nef  Chris- 
tophe (3),  arriva  et  offrit  de  racheter  dix  mille  ducats  le 
fameux  capitaine.  Les  Basques  résistèrent  à  la  tentation 
et,  partageant  leurs  maigres  vivres  avec  les  prisonniers, 
allèrent  vers  Charles-Quint.  L'empereur  n'avait  pas  par- 
donné la  capture  du  trésor  des  Aztèques  :  il  eut  la  jouis- 
sance de  faire  supplicier  le  redoutable  corsaire,  le  13  oc- 
tobre 1527,  à  Golmenar  de  Arenas,  près  de  Tolède,  tandis 
qu'il  donnait  comme  blason  au  vainqueur  le  pavillon  de 
son  prisonnier  i  4).  Billes,  le  lieutenant  de  Fleury,  échappa, 
car  il  fut  anoltli  plus  tard  pour  ses  services  à  la  mer  (5). 

Ango  avait  triomphé  trop  tôt.  L'année  même,  sur  un 
thème  fourni  par  Parmentier  et  qui  était  une  pièce  de 
théâtre  ou  moralité,  intitulée  les  Biens^  avait  défilé,  sous 
les  veux  émerveillés   d'une    foule    accourue  à   Dieppe  de 

(1)  "  Musiiir  de  T^a  Sala;  Musiur  Juan  de  Monsicris,  nalural  de  Tureno  ; 
Musiur  de  Londo,  natural  de  Vinecia;  musiur  de  Lane  ;  musiur  Vipar, 
natural  de  Drumar;  musiur  Fasan  ».  T^ettre  du  licencié  Giles  à  Charles- 
Quinl  publiée  par  GrÉxiN,  p.  244,  et  dans  la  Bciccolta...  Colombiaua, 
Farte  V,  vol.  II,  p.  246. 

(2)  "  Jehan  Bon,  Michel  d'Estrehan,  Guillot  Avisse,  Kobcrt  Ilélyot, 
Ilohin  Le  Bride,  INicolas  Le  Gascon  et  Robin  Sanson  «  .  Lettre  de  Fran- 
çois I"  réclamant  leur  liberté,  25  avril  1531  (Archives  nat.,  K  1483,  n"  73). 

(3)  Archives  du  Havre,  EE  83. 

(4)  Gtjésis,  p.  245.  —  F.  Duro,  t.  I,  p.  206.  —  D'Andrada,  Cronica  do 
dom  Joâo  o  III.  Lisboa,  1613,  p.  l,  c.  m. 

(5)  Juillet  1540  (Arch.  nat..  JJ  254,  n"  443). 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  255 

Paris,  d'Ahbeville  et  de  plus  loin  encore,  une  partie  du 
butin  d'Ango  (1).  Les  Vertus  étaient  en  robes  de  soie 
bordées  de  pelleteries,  Samson  en  tunique  d'argent,  Tubal 
avec  la  simarre  d'un  mandarin  chinois,  Hercule  sous  une 
peau  de  lion  en  soie  jaune;  Alexandre  le  Grand,  vêtu  de 
velours  cramoisi,  galonné  d'or,  était  porté  sur  un  drap  d'or 
par  huit  nègres,  sous  un  dais  en  plumasseries  indiennes; 
son  trône  était  fait  de  lames  d'or  massives  taillées  en  forme 
de  serpents.  Caparaçons  et  housses  des  chevaux,  livrée  des 
laquais,  tout  se  trouvait  à  l'avenant,  en  velours,  en  satin, 
en  draps  de  soie  et  d'or. 


III 

A    LA    RECHERCHE    DES    INDES    DU    CATMAY. —  VERRAZZANO 

Par  ce  déploiement  de  richesses  inouïes  qui  rappelait  le 
faste  royal  du  camp  du  Drap  d'Or,  on  se  rend  compte  de  la 
révolution  économique  que  la  découverte  du  Nouveau 
Monde  était  en  voie  d'amener  dans  les  conditions  de  la  vie. 
u  Auparavant,  disait  le  maréchal  de  Tavannes,  le  vin  estoit 
à  un  liard  la  pinte,  la  journée  de  trois  sols;  maintenant,  la 
despense  est  dix  fois  doublée.  Pour  v  pourveoir,  falloit 
acquérir  la  supériorité  de  la  mer  et  prendre  sa  part  des 
Indes  par  force,  ou  défendre  l'or  et  faire  monnoye  de  fer 
au  moulin,  telle  qu'elle  ne  se  pût  imiter  et  traHqucr  par 
eschange.  Le  fer  vainc  l'or  (2).  d 

Le  fer  vainc  l'or,  certes,  mais  de  tout  autre  façon  :  les 
corsaires  d'Ango  avaient  montré  comment.  Quant  à  prendre 
leur  part  des  Indes,  les  armateurs  normands  y  rêvaient. 

(i)  ASSELIXE,  t.  I,  p.  22V  :  GuÉMX,  p.   113. 

(2)  Tavannes,  Mémoires,  dans  la  collection  Michaud  et  Poujoulat, 
l'"^  série,  t.  VIII,  p.  82. 


25G  HISTOIRE   DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Quatre  routes,  croyait-on,  conduisaient  aux  îles  des  épices  : 
les  unes  par  le  cap  de  Bonne-Espérance  et  le  détroit  de 
Magellan,  les  autres  par  le  nord  de  l'Europe  et  de  l'Asie, 
par  le  nord  du  continent  nouveau  (1).  Elles  furent  toutes 
tentées  par  les  pilotes  d'Ango. 

L'idée  de  se  rendre  en  Chine  par  l'océan  boréal  agitait 
déjà  bien  des  esprits  (2),  tels  que  le  Vénitien  Cabot,  le 
découvreur  du  Labrador,  qui  comptait  dans  l'entourage 
d'Ango  plusieurs  compatriotes.  Nous  savons,  par  l'auteur 
de  Pantagruel^  que  le  pilote  Jamet  Brayer,  —  pseudonyme 
de  Jacques  Cartier,  dont  le  père  s'appelait  Jamet,  —  s'ins- 
pira d'un  homme  atteint  de  la  manie  des  voyages  (Xéno- 
manes),  quand  il  songea  à  contourner  le  pôle,  »  l'aisseuil 
septentrional,  »  au  lieu  de  franchir,  comme  les  Portugais, 
"  la  ceinture  ardente  »  de  la  terre  (3).  Et  si  un  écrivain 
récent,  versé  dans  les  questions  rabelaisiennes,  n'avait 
démontré  de  façon  péremptoire  que  "  le  traverseur  des 
voies  périlleuses  "  était  Jean  Alfonse  de  Saintonge  (4),  on 
eût  été  tenté  d'identifier  Xénomanes  avec  un  explorateur 
célèbre  qui  eut  des  rapports  avec  Ango,  Giovanni  Verraz- 
zano. 

Sur  la  patrie  de  Verrazzano,  on  n'a  jamais  élevé  le 
moindre  doute.  C'était  un  gentilhomme  florentin.  Mais 
plus  d'un  historien  (5)    l'a  confondu  avec  un  autre  capi- 

(1)  «  Tlie  booke  made  by  the  right  worshipful  Master  llobert  Thorne,  in 
tbe  yeerc  1527,  in  Sivill,  to  D"^  Lev,  lord  ambassadeur  for  king  Henri  the 
Eight  »  (Richard  Harluyt,  Divers  voyages  touching  the  discovery  of  Aine- 
rica.  London,  1850,  in-8",  p.  33  :  works  issued  by  the  Hakluyt  Society). 

(2)  Sophus  RuGE,  Geschichte  des  Zeitalters  der  Entdeckunqen.  Berlin, 
1881,  in-8",  p.  499. 

(3)  Rabelais,  Pantagruel,  liv.  IV,  chap.  1. 

(4)  Abel  liEFRAXC,  Les  navigations  de  Pantagruel.  Etude  sur  la  géogra- 
phie rabelaisienne .  Paris,  1905,  in-8°,  p.  73. 

(5)  H.  C.  MunpuY,  The  voyage  of  Verrazzano  :  A  chapter  in  the  early 
history  of  maritime  discovery  in  America.  New-York,  1875,  in-8°.  — 
L.  Hugues,  Giovanni  Verrazzano,  dans  la  Raccolla  di  docunienti  e  studi 
vubblicati  dalla  R.  Comniissione  Colonibiana,  Parte  V,  vol.   II,  p.  222.  — 


LA   LIBKRTK    DES    :MERS.  257 

taine  d'Ango,  avec  Fleury,  appelé  dans  les  textes  espagnols 
Florin  ;  Florin  n'aurait  été  qu'une  épithcte,  synonyme  de 
Florentin  ;  prénoms  identiques,  carrière  analogue,  même 
armateur,  disparition  ou  mort  vers  la  même  époque,  tout 
aidait  si  bien  à  la  confusion  qu'il  a  fallu  une  critique  très 
serrée  (1)  pour  démontrer  que  le  toscan  Giovanni  Ver- 
razzano  n'avait  rien  de  commun  avec  le  normand  Jean 
Fleury,  des  environs  du  Havre. 

Plus  que  tous  autres,  les  Italiens,  ruinés  par  le  dépla- 
cement de  l'axe  commercial  du  monde,  qui  abandonnait  le 
bassin  de  la  Méditerranée  depuis  les  récentes  découvertes, 
cherchaient,  en  gens  avisés,  à  évincer  leurs  rivaux.  L'un 
d'eux,  le  génois  Paolo  Centurione,  avait  imaginé  une  voie 
commerciale  plus  courte  que  le  périple  africain  pour 
amener  en  Europe  les  épices  de  l'Inde  :  l'Indus,  la  Cas- 
pienne et  le  Volga,  Moscou  et  Riga  sur  la  Baltique.  Le 
grand-duc  de  Moscovie,  Vasili  IV,  auquel  il  avait  été 
soumettre  son  plan  (2),  n'y  donna  point  de  suite.  —  De 
ces  Centurione,  on  ne  saurait  trop  admirer  l'audacieuse 
initiative;  un  hasard  les  mit  en  relations  avec  Verrazzano. 

Gaspar  Centurione  allait  aux  Indes  recueillir  la  succes- 
sion de  son  frère  Matteo,  avec  un  matériel  complet  de  raf- 
fineur,  briques  pour  le  moulin  à  sucre,  engins  pour  l'affi- 
nage, formes  pour  couler  le  sucre,  fil  pour  le  lier,  et  jus- 
qu'à des  barils  de  clous  pour  les  caisses  d'emballage.  Sur 

Desimoxi,  Giovanni  Verrazzano,  dans  les  Atti  délia  Socielà  lifjurc  di  slo- 
ria  patria,  t.  XV  (1881),  p.  52. 

(1)  P.  Peragallo,  Intorno  alla  supposta  identita  di  Giovanni  Verrazzano 
col  corsare  francese  Giovanni  Florin,  dans  les  Meniorie  délia  Socictà  geo- 
grafica  italiana,  t.  VII  (1897),  part.  I,  p.  165.  — G.  Gravier,  Les  voyages  , 
de  Giovanni  Verrazzano  sur  les  côtes  d'Amérique  en  1524-1 528 .  llouen, 
1898,  in-8  ,  p.  20-24.  —  P.  Gaffarel,  Jean  Fleury,  dans  le  Bull,  de  la 
Soc.  normande  de  geogr.  (1902). 

(2)  Du  temps  du  pape  Léon  X  (Bergeron,  Traite'  des  Tartares 
(1634),  p.  178  :  d'après  la  Moscovia  Pauli  Jovii,  publiée  en  appendice  de 
la  Descriptio  Britanniac,  Scotiae,  Hyberniae  et  Orchadum.  Venetiis,  1548, 
in-4°). 

m.  17 


258  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

ces  entrefaites,  la  guerre  contre  Gênes  éclata  :  la  barge  du 
vice-amiral  Du  Chillou  rencontra  le  Saint-Antoine  dePadoiie 
qui  fut  amené  au  Havre  et  confisqué.  Le  Parlement  donna 
tort  au  vice-amiral,  et  Centurione,  relâché  le  27  mars  1523, 
ne  profita  de  sa  liberté  qvie  pour  devenir  bourgeois  de 
Rouen  et  mander  près  de  lui  ses  neveux  Vicenzo  et  Giro- 
lamo  di  Negro  (1). 

C'était  le  moment  où  Giovanni  Verrazzano  organisait  à 
Rouen  son  voyage  de  découverte  vers  "  les  Indes  en  Ca- 
thaye,  "  où  l'annonce  de  l'expédition  provoquait,  parmi 
ses  compatriotes  établis  en  France,  un  vif  émoi.  L'initia- 
tive n'en  revenait  point  à  Ango,  comme  on  l'a  pensé,  non 
plus  qu'aux  armateurs  normands. 

Il  est  une  ville  de  France,  une  ville  continentale  poux'- 
tant,  qui  a  toujours  su  s'intéresser  à  nos  expéditions  colo- 
niales. C'est  Lyon.  L'industrie  de  la  soie  lui  a  donné  la 
préoccupation  constante  des  affaires  d'Extréme-Oricnt.  Et 
de  même  que,  de  nos  jours,  un  syndicat  lyonnais  organi- 
sait un  vovage  d'étudçs  industrielles  et  commerciales  en 
Gbinc,  de  même  en  1523,  ce  fut  un  syndicat  lyonnais  de 
commerçants  en  soieries  qui  fournit  à  Verrazzano  les 
moyens  de  gagner  le  Cathay.  Les  premiers  bailleurs  de 
fonds  furent  des  banquiers  florcnlins  de  Lyon,  Guilclmo 
Nazy,  Roberto  Albizzi  (2),  Giuliano  Buonaccorsi,  Antonio 
Gondi,  plus  tard  receveur  à  Lyon  de  l'impôt  sur  les  draps 
de  soie  (3),  et  Tomassino  Guadagni,  banquier  riche  de 
trois  cent  mille  écus,  dont  le  crédit   était  proverbial  (4),  à 

(1)  GossELiK,  Documents...  sur  lu  marine  noi-mande,  p.  37,  77.  —  Il 
n'est  pas  inutile  de  rappeler  que  d'autres  Génois,  les  Adorno,  s'étaient 
établis  planteurs  de  cannes  à  sucre  à  Baliia  et  Saint-Vincent  au  Brésil 
(SouTHEY,   llistory  of  Brasil,  t.  I,  p.  182,  287). 

(2)  «  Robert  Albisse,  nicrchant  demeurant  à  Lyon,  »  avança  des  fonds 
pour  la  rançon  du  duc  de  Lontjueville.  Quittance  du  2  juillet  1516  (B.  N., 
Nouv.  acq.  franc.  7973,  fol.   131). 

(3)  1534  (Archives  nat.,  J  961',  p.  61). 

(4)  u  Dedans  Gennes,   ung  marchant   forestier  [forestirrc  =  (étranger], 


LA    LIRERTE    DES    MERS.  259 

telle  enseigne  que  Tannée  précédente,  c'était  près  de  Gua- 
dagni  et  de  ses  collègues  que  le  roi  avait  contracté  un  em- 
prunt pour  subvenir  à  la  défense  du  rovaume  (Ij.  De 
Guadagni,  une  médaille  frappée  Tannée  même  de  l'expédi- 
tion de  Verrazzano,  représente  les  traits  de  profil,  avec  une 
toque  sur  la  tète  et  une  l'obe  à  plis  sur  le  corps  ["2).  Ni  les 
uns,  ni  les  autres  ne  nous  gardaient  rancune  de  l'incarcé- 
ration dont  ils  avaient  été  victimes  en  15:21,  à  la  suite  de 
la  défection  de  leur  compatriote,  le  pape  Léon  X  (;i)  : 
tous  avaient  juré  (4)  que  leur  intention  a  cstoit  de  vivre 
et  mourir  en  la  subgcction  et  protection  dudit  seigneur»  le 
roi  (5).  On  leur  avait  accordé  créance  :  et  ils  tinrent  parole. 
]  Guadagni  et  cinq  de  ses  collègues  constitvièreut  donc 
avec  Verrazzano  lui  syndicat  d  exploration,  auquel  s'adjoi- 
gnirent, par  contrats  successifs,  les  Le  Buaticr,  beaux-frères 
de  Guadagni,  dont  Tun  était  receveur  des  droits  payés  pour 
l'entrée  des  draps  de  soie  à  Lyon,  Antoine  de  Martignv, 
autre  Lyonnais  (6),  et  maître  Cvpriano  Relia,  principal  du 


ayant  crédit  ooiiiuie  ung  banquier,  nommé  Thomas  Gazaigne,  estant  riche 
et  ayant  le  crédit  de  troys  cens  mil  escuz  »  ne  saurait  "  trouver  vingt  cinq 
ou  trente  mil  escuz  comptants  sur  sa  lettre  de  change  à  usure  »  .  1525 
(Sébastien  Moreau,  i«  priiise  et  délivrance  du  roy,  dans  CiMnKR  et  Dasjoc, 
Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France,  1™  série,  II,  p.  302). 

(1)  Lyon,  7  avril  1522  ;  Guadagni  prêta  22000  écus,  Zanobi  Bartulini, 
25000,  Lorenzo  et  Filippo  Strozzi,  31000,  les  frères  Albizzi,  etc.  (Archives 
nat.,  J  964-,  n.  31). 

(2)  Le  comte  DE  CiiARPix-Fi;rGKROLLEs,  Les  Florentins  à  Ljon.  Lvon, 
1893,  8",  p.  93. 

(3)  Qui  avait  conclu  un  traité  d'alliance  avec  l'empereur  le  8   mai  1521. 

(4)  Cf.  les  signatures  de  tous  les  changeurs  llorentins  établis  à  Lvon  en 
1521,  en  particulici-  de  Guadagni,  Buonaccorsi,  Nazv,  Albizzi  et  Gondi  (B. 
]\.,  Franc.  2961,  fol.   104). 

(5)  Requête  du  consul  et  des  marchands  florentins  demeurant  à  Lvon. 
Lyon,  15  juillet  [1521]  [Ihidem,  fol.  103). 

(6)  Jehan  Le  Buatier,  le  receveur,  participait  à  l'expédition  pour  200  écus 
d'or  soleil,  Françoys  Le  Buatier  pour  300,  Martigny  pour  100,  sauf  à  tou- 
cher sur  les  prohts  une  u  cotte  part  "  proportionnelle  à  leurs  mises  de 
«  parsonnyer.  'i  23  mars  1523,  n.  st.  (  l^ièce  copiée  par  M.  Ch.  de  Robil- 
lard  de  Beaurepairc,  au  tabellionnage  de  llouenj. 


260  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

collège  des  Lombards  ù  Paris  (1).  Parmi  les  volontaires, 
s  enrôla  un  Brunelleschi  ["2).  Nous  ne  savons  rien  d'autre 
des  préparatifs  de  Icxpédition,  sauf  que  les  agents  portu- 
gais cherchèrent  à  Tentravcr  en  fomentant  des  dissensions 
parmi  les  équipages  (3),  et  que  Fun  des  commanditaires, 
Giuliano  Buonaccorsi,  vint  au  Havre  assister  à  1  appareil- 
lage en  juin  1523.  De  Lyon  également,  d'autres  Florentins, 
exilés  depuis  leur  conspiration  conti'c  Jules  de  Médicis, 
Zanobi  Buondelmonti,  Luigi  Alamanni  et  Giovambatista 
délia  Palla,  étaient  venus  saluer  les  partants  (4).  "  En 
allant  vers  le  Cathay,  par  l'est,  l'explorateur  avait  promis  à 
François  I"  la  découverte  de  royaumes  différents  des  pays 
rencontrés  par  les  Portugais  (5).  « 

Avec  quatre  vaisseaux,  Yerrazzano  tenta  donc  le  pas- 
sage du  nord-est,  par  delà  cette  Moscovie  dont  Centu- 
rione  avait  pu  lui  apprendre  limmense  étendue.  A  la  suite 
d'une  violente  tempête  subie  dans  les  mers  boréales,  il  dut 
fuir,  chassé  par  l'ouragan  et  gagna  avec  deux  bâtiments 
seulement  la  Bretagne.  Après  s  être  refait,  il  courut  les 
cotes  d'Espagne;  puis  laissant  le  navire  d'Ango,  la  Nor- 
mande, il  continua  son  voyage  avec  un  seul  vaisseau  et 
cinquante  hommes  d  équipage.  La  Dauphine  était  com- 
mandée par  le  capitaine  Antoine  de  Gonilans.  Auteur  d'un 


(i)  Contrat  du  26  mars  1523  (tabellionnagc  de  Rouen). 

(2)  Lettre  de  Fernando  Carli.  Lyon,  h  août  1524  [Ruccolla  di  documenti 
e  studi  publicati  dalla  R.  Cominissionc  Colombiaiia,  Part.  III,  vol.  II, 
p.  343).  —  Cette  lettre  donne  quelques  détails  sur  le  voyage  de  Verrazzano. 

(3)  Lettre  de  l'ambassadeur  portugais  .loào  de  Silveira.  25  avril  1523 
[Raccolta...  Colombiann,  Part.  V,  vol.  II,  p.  224,  245). 

(4)  G.  Gu.\STi,  Docinucnti  délia  coiu/iiua  falta  contra  il  cardinale  Gin- 
lio  de'  Medici  nel  1522,  dans  le  Ginrnalc  slorico  de(]li  archiri  toscani, 
Fircnze,  1859,  8",  t.  III,  p.  122,  187,  203;  à  la  date  "du  28  juillet  1523, 
Alamanni  et  Buondelmonti  filaient  de  retour  à  Lvon,  mais  depuis  peu 
(p.  187). 

(5)  IjCttre  de  Carli,  et  Francisco  d'Axdiiada,  Cronica  do  muyto  alto  c 
muyto  podcroso  Roy  destes  Reynos  de  Portugal  D.  Joào  a  III  destc  nome. 
Lisboa,  1613.  in-8\  Part.  I,  fol.  14. 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  261 


routier  de  la  Manche  (1)  et  d'un  manuel  pour  la  marine 
de  guerre  (2),  Conflans  représentait  l'ancienne  marine, 
où  l'on  ne  connaissait  guère,  pour  naviguer,  que  la  bous- 
sole. Il  s'effaça  devant  Yerrazzano,  cosmographe  de  la  nou- 
velle école,  féru  de  Ptolcmée  (3). 

Le  17  janvier  1524,  d'un  rocher  désert  proche  de  Madère 
où  elle  avait  achevé  son  arrimage,  (a  Dauphine  s'élançait  à 
travers  l'Océan  (4).  Au  bout  de  vingt-cinq  jours,  elle  par- 
venait en  vue  d'une  côte  basse,  éclairée  de  feux  innombra- 
bles. C'étaient  les  feux  de  bivouac  des  sauvages.  Des  plages 
de  sable  fin,  coupées  de  collines  boisées  qui  marquaient 
des  bras  de  mer,  faisaient  songer  aux  forêts  criméennes. 
Mais  de  terre,  arrivait  un  souffle  eml)aumé  des  parfums  des 
plantes  innombrables  de  la  végétation  tropicale,  au  milieu 
desquelles  gazouillaient,  comme  dans  une  volière,  une 
multitude  d'oiseaux  d'espèces  inconnues.  Pays  enchanteur, 
éden  de  l'Occident,  où  les  Espagnols  avaient  cru  trouver  la 
fontaine  de  Jouvence  et  où  ils  pensaient  voir  sur  le  sol  des 
traînées  d'or  :  c'était  la  Floride  enfin,  que  Verrazzano 
décrivait  ainsi,  la  Floride  découverte  par  Ponce  de  Léon, 
en  1512,  le  jour  de  Pâques  fleuries,  d'oîi  son  nom. 

La  cote  filait  à  l'ouest.  Cent  cinquante  lieues  plus  loin, 
la  Dauphine  pénétrait,  par  un  grand  fleuve  bordé  de  col- 


(i)  Compose  en  1522  (B.  N..  Franc.  1748). 

(2)  <•  I^es  Faiz  de  la  marine  et  navigaiges  »  (R.  N.,  Franc.  742  :  publié 
par  A.  Jai.,  Docinnents  iiiédils  siii-  l'histoire  de  la  marine  au  xvi^  siècle. 
Paris,  1842,  in-S",  p.  34  :  extrait  des  Annales  maritimes  et  coloniales). 

(3)  Contlans  reçut  ses  gages  de  capitaine  de  la  Dauphine  à  Dieppe  le 
26  décembre  1524  pour  le  premier  semestre,  qui  correspondait  à  la  durée 
de  l'expédition  (R.  N.,  Clairambault  154,  p.  4015). 

(4)  La  relation  de  Verrazzano,  datée  de  Dieppe  le  8  juillet  1524,  était  en 
français.  Il  n'en  existe  plus  que  deux  traductions  italiennes,  l'une  dans 
IVtMDSio  (éd.  155G),  t.  III,  p.  420,  l'autre  dans  la  lîaccolla...  Colombiana, 
Part.  III,  vol.  II,  p.  332,  ou  VArchivio  storico  italiano  (1853),  App.  XXVIII. 
—  La  relation  a  été  publiée  en  anglais  par  Uicliard  H.4kluyt,  Divers 
voyages  touchincf  the  discovcry  of  America,  éd.  John  Winter  Jones.  Lon- 
don,  1850,  in-8'',  p.  55. 


•262  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

lines,  clans  une  région  qui  est  maintenanl  le  New-Jersey. 
Elle  doubla  une  île  d'une  ressemblance  frappante  avec  File 
de  Rbodes,  qui  fut  appelée  Louise  en  l'honneur  de  la  mère 
du  roi.  Dans  une  rade,  le  petit  navire  fut  environné  par  une 
vingtaine  de  canots  de  sauvages,  Indiens  d'une  race  superbe  ; 
leurs  caciques  avaient  grand  air,  drapés  dans  leurs  peaux 
de  cerf,  et  les  femmes,  par  leur  coiffure,  rappelaient  à 
Verrazzano  les  modes  féminines  de  l'Egypte  et  de  la  Syrie. 

Il  n'est  guère  possible  de  croire,  —  malgré  l'affirmation 
qu  en  donne  un  mémoire  de  la  fin  du  xvr  siècle  (I),  — que 
Verrazzano  laissa  un  fortin  et  quelques  hommes  à  l'embou- 
chure de  la  rivière  de  Norombègue  :  à  peine  pourrait-on 
admettre  qu'il  planta  le  long  de  la  côte,  en  guise  de  padrons, 
des  colonnes  de  marbres  fleurdelisées.  Ouant  à  retracer 
son  itinéraire  d'après  les  vagues  données  de  son  récit; 
quant  à  dire,  comme  la  fait  l'éditeur  Wintcr  Jones,  qu'il 
toucha  successivement  aux  endroits  aujourd'hui  appelés 
Charleslon,  Long  Bav,  Raleigh  Bav,  Claudia  Island,  Narra- 
gansct  Bay,  Portsmouth  et  Penobscot  Bay,  c'est  à  quoi  on 
ne  peut  songer. 

Le  6  mai,  la  Dauphine  avait  remonté  au  nord,  jusqu'à  la 
terre  découverte  par  les  Bretons.  Parvenue  au  50°  de  lati- 
tude septentrionale,  dans  un  archipel  assez  semblable  aux 
îles  dalmates,  elle  tourna  court  et,  les  vivres  touchant  à 
leur  fin,  vira  de  bord  vers  Dieppe.  C'est  de  là  que  Ver- 
razzano, le  8  juillet,  adressait  au  roi  le  compte  i-endu  de 
son  voyage,  mais  en  termes  si  vagues,  avec  des  réminis- 
cences si  déplacées,  qu'on  a  révoqué  en  doute  la  réalité  de 
son  expédition  (2) . 

Fort  heureusement,  on  en  trouve  une  confirmation  écla- 


(1)  E.  N.,  Franc.  17329,  fol.  454. 

(2)  MrnPHY,  ouv.  cité;  etBccKixGiiAM  9>y\vsi\,An  Jiiquiry  into  tlie  aulhen- 
ticity  of  documents  concerninq  n  discovery  in  Norlh  America,  claimed  to 
hâve  heen  niade  by  Veirazano.  New- York,  1864,  in-4". 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  263 

tante,  en  même  temps  (ju'un  précieux  commentaire  dans 
une  série  de  cartes  italiennes  dont  Tune  signée  de  son 
frère  Girolamo  et  datée  de  1529,  dit  positivement  de  la 
(i  Gallia  nova  »  qu'elle  fut  découverte  cinq  ans  auparavant 
par  Verrazzano.  Toutes  ces  cartes  trahissent  par  leur 
nomenclature  la  patrie  d'origine  et  la  patrie  d'adoption 
du  découvreur  :  le  long  d'un  littoral  américain  désigné 
sous  le  nom  de  Francisca  ou  Nova  Gallia,  Yalle  Umbrosa, 
rAnnunziata,  la  Certosa  évoquent  les  souvenirs  de  Flo- 
rence, souvenirs  si  doux  que  le  paradis  terrestre  du  Nou- 
veau Monde  est  encadré  de  San  Miniato  et  de  1  Orto  de 
Rucelav.  Ces  noms  alternent  avec  Diepa,  Anaflor  (Honfleur), 
Longavilla,  Anguileme,  Normanvilla,  de  même  que  l'île 
Luisa  et  Boniveto,  du  nom  de  la  reine-mère  et  de  l'amiral, 
font  pendant  aux  lies  Baduaria  et  Armelines  (1). 

Les  cartes  Yerrazzaniennes  portent  des  noms  de  saints, 
dont  lexamen  nous  amène  à  une  singulière  conclusion.  Il 
était  d'usage  de  suivre  le  calendrier  dans  le  baptême  des 
sinuosités  de  la  côte  :  on  imposait  à  tel  point  saillant  le 
parrainage  du  saint  du  jour.  Gomme  les  caps  de  la  côte 
américaine,  du  sud  au  nord,  sont  dédiés  à  S.  Maria, 
S.  Margarita  (fêtée  le  20  juillet),  S.  Lodovico  (25  août), 
S.  Joani  (29  août),  S.  Francesco  (4-  octobre),  S.  Georgi,  il 
y  a  lieu  de  se  demander  si  ces  cartes  n'ont  pas  été  dressées 
lors  d'un  autre  voyage  de  Verrazzano,  accompli  en  été  et 
non  au  printemps  (2). 

(i)  Cartes  de  Vesconte  di  Maggiolo  (Gênes,  20  décembre  1527  :  repro- 
duite dans  l'Atlas  zu  Kretsciimer,  Entdeckunq  Amerikas  :  herausgegeben 
von  der  Gesellschaft  fiir  Erdkunde  zu  Berlin.  1882),  de  Girolamo  Verrazzano 
(1529),  à  la  Propagande,  d'Agnese  (1536),  —  Globe  d'Ulpius  (1542),  à  la 
société  historique  de  New-York, — cartes  ptoléméennes  de  Gastaldo  (1548  et 
1561),  dans  Ramusio,  t.  III  (L.  Hugues,  dans  la  Raccolta...  Colombiana, 
Part.  V,  vol.  II,  p.  240).  —  Cf.  sur  celte  question,  l'important  ouvrage  de 
Henry  Harrisse,  The  discovery  of  North  Ameiica.  Paris,  1892,  in-4", 
p.  216,  539. 

(2)  La  carte  de  Girolamo  Verrazzano  porte  en  outre  :  Vendomo,  Navarro, 


264-  HISTOIRK    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Verrazzano,  en  effet,  était  loin  de  s'être  laissé  décourager 
par  son  échec.  Dans  un  post-scriptum  annexé  à  sa  lettre  du 
8  juillet  15124  et  daté  également  du  bord  de  la  Dauphùie,  il 
se  promettait,  avec  l'aide  du  roi,  de  renouveler  sa  tentative. 
Des  considérations  cosmographiques  qu'il  y  développait, 
on  peut  conclure  qu'il  avait  repris  son  projet  primitif  de 
contourner  la  Norvège  et  la  Russie,  nommément  citées,  et 
de  parvenir  en  Chine  par  le  nord-est  (1). 

Il  n'eut  point,  cette  fois,  pour  commanditaires  les  mar- 
chands de  soieries  lyonnais,  mais  des  commerçants  qui 
appartenaient  aussi  à  des  centres  de  foires,  où  affluaient 
les  marchands  et  les  nouvelles  du  monde  entier. 

L'année  même,  en  1524,  Alonce  de  Civille,  vicomte  de 
Rouen,  dont  le  nom  seul  était  une  sauvegarde  pour  nos 
marchands  contre  les  vexations  portugaises  (2),  et  Simon 
le  Gras,  marchand  de  ïroyes  en  Champagne,  équipaient 
quatre  navires  «pour  l'entreprinse  d'un  voiage  en  certaines 
ysles  incongneues  es  parties  des  Indes,  soubcz  la  charge  de 
Jean  Barrassone,  auquel  le  roy  avoit  donné  povoir  et  per- 
mission de  faire  ledit  voiage  "  .  L'expédition  allait  appa- 
reiller, lorsque  survint  de  la  Cour  un  contre-ordre  :  la 
patrie  était  en  danger,  et  c'est  très  vraisemblablement  pour 
cette  raison  que  Jean  Ango,  tout  occupé  à  défendre  l'entrée 
du  pas  de  Calais,  n'avait  pas  pris  part  aux  armements; 
l'ennemi  rôdait  le  long  des  côtes  picardes  et  normandes; 
l'escadre  de  "  Barrassonne  " ,  —  ai-jc  besoin  de  dire  qu'il 
s'agit  de  Verrazzano?  —  fut  arrêtée  pour  lui  tenir  tête  (3). 

Orlean,    Tolonvilla    (Tourlaville,    dans    la    Manche),    le   figle    de   Navarra, 
S.  Germano  (H.  Harrisse,  Discovery,  p.  220). 

(1)  Raccolta...   Colombiana,  Part.  III,  vol.  II,  p.  341. 

(2)  Déposition  de  Thomas  Durant.  Ilondcur,  1522  (Archives  du  Havre, 
EE  83). 

(3)  Payement  aux  deux  armateurs  de  10000  livres,  complément  des 
20000  livres  à  eux  promises  pour  les  rembourser  de  leurs  frais  d'arme- 
ment des  quatre  navires  de  «  feu  Jean  Barrassonne.  »  Mai  1538  (Archives 
nat.,  J  962'*,   n.  36).  —  Cette  créance  de   20000  livres  avait  été  tirée  sur 


LA   LIBERTE    DES    MERS.  265 

Dès  que  la  paix  avec  rAnglelerre  laissa  quelque  sécurité 
à  nos  marins  ponanlais,  Ango  patronna  de  nouveau  l'ex- 
plora teur.  Il  forma,  avec  Chabot,  le  nouvel  amiral,  Pietro 
de  Spinola  on  Despinollcs,  d'une  riche  famille  génoise,  et 
le  général  des  finances  de  Normandie  Prudhommc,  aux- 
quels s'adjoignit  Adam  Godefroy,  bourgeois  de  Rouen,  une 
société  en  commandite  au  capital  de  vingt  mille  livres  (1), 
semblable  à  celle  d'Alonce  de  Civille  et  de  Simon  le  Gras  : 
l'expédition  comprenait  également  quatre  navires,  deux 
galions  de  l'amiral,  une  nef  d'Ango,  la  barque  de  Fécamp  de 
Godefroy  (2).  Verrazzano  avait  une  foi  robuste  dans  l'asser- 
tion des  Anciens  que  1  océan  Atlantique  et  l'océan  Indien 
étaient  une  même  mer,  sans  interposition  de  terre.  L'obs- 
tacle de  ce  continent  sans  fin,  qui  se  dressait  tout  à  coup 
en  travers  de  sa  route,  ne  lavait  pas  rebuté;  il  espérait  dé- 
couvrir quelque  fissure  dans  cette  masse  pour  pénétrer 
dans  l'océan  Oriental  et  arriver  aux  îles  des  Epiées,  le 
détroit  dont  la  carte  de  ^Martin  de  Béhaim  avait  fait  pressen- 
tir l'existence  à  Magellan  (3  . 

Le  11  mai  1526,  Verrazzano  mit  ordre  à  ses  affaires  en 
donnant  procuration,  pour  le  remplacer  en  son  absence,  à 
son  frère  Girolamo  et  à  Zanobi  de  Rucellaï  ou  Rousselav, 
qui  l'avait  cautionné.  Nous  ne  savons  rien  de  son  explora- 
tion du  continent  américain  :  mais  si  Ion  observe  qu'elle 
ne  commença  point  avant  juin  et  que  1  onomastique  des 


le  Trésor  pour  "  Allonce  de  Civille  et  ses  compagnons  marchans...  pour 
certains  navires  et  vivres  qu'ilz  baillèrent  au  llov  en  l'année  mil  V"^  XXIIII  » 
(1524)  (Archives  nat.,  J  961'',  n"  32.  — Cataloque  des  actes  de  François  I"', 
t.  VIII,  p.  2tl,  et  t.  VII,  p.  745). 

(1)  Projet  de  contrat  non  daté,  mais  postérieur  au  23  mars  1526,  date  de 
la  nomination  de  Chabot  comme  amiral  (B.  X..  Moreau  770,  fol.  60, 
pièce  16;  publiée  par  E.  de  FrÉville,  t.  II,  p.  432;  L.  HrccES,  p.  245; 
Marcrv,  les  jSaviqations  françaises  du  xiv'^  au  xvi'  siècle,  p.  194). 

(2)  Godefrov  adjoint  sa  barque  à  l'escadrille  par  acte  du  12  mai  1526 
(GossELix,  p.  157). 

(3)  Pic.\FEXTA,  dansB.  X,,  Franc.  24224,  fol.  14  v°. 


266  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

cartes  se  rapporte  à  un  voyage  accompli  en  été,  on  demeure 
convaincu  que  Texpédition  de  15i2G  suivit  le  même  itiné- 
raire que  la  précédente  et  que  la  cartographie  nous  en  a 
conservé  le  souvenir.  La  mention  de  l'Orto  de  Rucelav  était, 
pour  Verrazzano,  une  façon  de  marquer  sa  reconnaissance 
à  l'égard  de  son  bienfaiteur.  Un  autre  vocable,  lile  Maiolla 
Zenovese,  est  1  indice  que  le  fameux  cartographe  génois 
Vesconte  Maggiolo,  auteur  depuis  une  vingtaine  d'années 
d'une  foule  d'atlas,  était  adjoint  à  l'expédition.  Or,  ses 
cartes  de  1524  et  1525  ne  vont  point  au  delà  de  l'île  Florès 
et  du  Brésil  (1).  Celle  de  1527,  au  contraire,  marque  un 
progrès  considérable  dans  ses  connaissances  et  contient  tout 
le  Nouveau-Monde,  depuis  le  Labrador  jusqu'au  détroit  de 
Magellan.  C'est  dans  l'intervalle  qu'avait  eu  lieu  la 
deuxième  exploration  de  Verrazzano.  Ainsi  se  trouve  con- 
firmée l'assertion  d'Hakluyt,  que  l'explorateur  s'était  rendu 
plusieurs  fois  aux  côtes  de  l'Amérique  du  Nord,  pour  trou- 
ver une  voie  d'accès  au  Pacifique,  ce  détroit  imaginaire 
qu'un  portulan  de  1536  représente  sous  la  rubrique  «  el 
viazo  de  Fransa  f2j  »  . 

Sur  ces  entrefaites,  un  compagnon  de  Magellan,  Anto- 
nio Pigafetta,  dédiait  à  la  régente  Louise  de  Savoie  la  rela- 
tion du  premier  voyage  autour  du  monde,  accompli  de 
1519  à  1522  (3).  Il  révélait  une  nouvelle  route  pour  aller 
aux  Moluques;  la  fissure  cherchée  par  Verrazzano  était  au 
sud  du  continent  américain;  et  Magellan  lui  avait  donné 
son  nom.  C'est  par  là  que  Sébastien  Cabot  comptait  faire 
route,  en  1525,  A'ers  le  pays  de  Tarsis  et  d'Ophir,  vers  le 

(1)  UziELLi  et  Amat  di  Sak  Filippo,  t.  11,  Mappamondi...  iUiliani.  Roma, 
1882,  in-8",  p.  lli,  112. 

(2)  IIarrisse,  Jean  et  Sébastien  Cabot,  t.  I,  p.  191. 

(3)  Le  Parisien  Antoine  Facre  en  publia  aussitôt  un  extrait  sous  le  titre  : 
Le  Voyage  et  navigation  faict  par  les  Espagnole  es  isles  des  MoUiicfjuea- 
Paris,  Simon  de  Colines,  s.  d.,  in-8°;  et  en  appendice,  Aucuns  mots  des 
peuples  de  liste  de  Brésil, 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  267 

Cathay  oriental  et  Gipangu,  tous  ces  royaumes  légendaires, 
d'où  il  pensait  revenir  avec  une  cargaison  d'or,  de  pierres 
précieuses,  de  perles,  de  soie  et  d'épices  (1). 

Quand  Yerrazzano  reprit  la  mer  au  printemps  de  1528 
avec  cinq  vaisseaux,  il  suivit  certainement  les  traces  de 
Magellan.  Il  entra  dans  un  vaste  estuaire  que  Christovào 
Jacques  venait  de  découvrir  au  sud  du  Brésil,  le  rio  de  la 
Plata.  Il  comptait  aller  plus  loin;  mais  il  eut  le  malheur  de 
tomber,  lors  d'une  reconnaissance,  dans  une  embuscade 
de  sauvages,  et  fut  dévoré  à  la  vue  des  équipages  demeurés 
à  bord  (2j. 


IV 

L'EXPÉDITION    DES    PARMENTIER    A    SUMATRA 

Nous  n  avions  pas  attendu  1  issue  des  explorations  de  Yer- 
razzano pour  expérimenter  la  dernière  route  qui  conduisit 
aux  jNIoluques.  Ce  ne  fut  point  sans  peine.  Nos  armateurs 
se  heurtaient  non  seulement  à  un  parti  pris  des  Portugais 
de  tenir  secret  cet  itinéraire,  en  ne  laissant  point  vendre  de 
cartes  à  l'étranger  (;î),  mais  encore  à  une  inquisition  per- 
manente instituée  dans  nos  ports  par  les  agents  de  la  cour 
de  Lisbonne.   Ces  agents  prenaient  copie,  avant  le  départ 

(1)  Madrid,  4  mars  1525  (Madrid,  Academia  de  la  Historia,  Registro  del 
conscjo  de  Indiax,  fol.   13). 

(2)  L.  Hugues,  p.  250  :  Guknin,  p.  80  :  B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  9386, 
fol.  78,  83.  —  PiAMusiO,  Discorso  sopra  la  terra  fenna  dell'  Indie  Occiden- 
tali,  dans  son  t.  III,  fol.  417.  —  La  catastrophe  se  serait,  au  contraire, 
passée  à  Coro,  dans  le  Venezuela,  selon  Ovikdo,  Historia  gênerai,  lib.  XXV, 
cap.  VII,  t.  II,  p.  291. 

(3)  Les  cartes  marquant  les  pays  au  sud  du  Congo  {Ordenaçôcs  Maniieli- 
nas,  liv.  V,  tit.  78,  p.  2,  et  tit.  88,  p.  11).  — En  1524,  le  bateau  llainhart 
de  la  Salamandre  enleva  une  nef  portugaise  venant  de  Calicut  et  l'amena 
au  Havre.  L'inventaire  de  la  prise,  qui  détaille  jusqu'à  des  éventails,  ne 
mentionne  pas  de  cartes  (Archives  du  Havre,  Efî  85). 


26S  HISTOIRE   DE    LA    MAUINE    FRANÇAISE. 

des  navires,  des  chartes-parties  qui  pouvaient  léser  le 
monstrueux  monopole  commercial  que  le  Portugal  s'arro- 
geait aux  Indes,  au  Brésil  et  aux  cotes  occidentales  de 
l'Afrique,  et  ils  faisaient  en  sorte  d'entraver,  par  voie 
diplomatique,  nos  expéditions  lointaines. 

Les  Normands,  jouant  au  plus  lin  avec  ces  limiers,  leur 
donnaient  le  change.  En  1527,  par  exemple,  la  Marie-de- 
Bon-Secoiirs,  de  llouen,  autrement  nommée  le  Grand- 
Anglais,  était  censée  partir  pour  l'ile  8an-Tomé  ou  le 
Manicongo,  aux  termes  du  contrat  passé  par  devant  les 
tabellions  de  Honlieur,  entre  les  matelots  et  leur  maître 
d'équipage,  Jean  Breulhy  de  Funay.  Seul,  le  capitaine 
pilote,  Estavào  Diaz,  de  Brigas,  savait  où  elle  allait. 

Quand  on  eut  doublé  le  cap  de  Bonne-Espérance, 
hiverné  à  Quiloa,  dans  le  Zanzibar,  il  révéla  enfin  à  l'équi- 
page stupéfait  le  but  de  l'expédition,  qui  était  Diu,  sur  la 
côte  de  Cambaye.  Le  25  mai  1528,  la  Marie-de-Bon-Secours 
arrivait  en  vue  du  port  hindou.  Malheureusement,  le 
sultan  de  Diu  était  en  guerre  avec  les  Portugais,  qui  avaient 
insulté  sa  capitale  1  année  précédente.  A  peine  Diaz  eut-il 
débarqué  pour  traiter  à  terre,  qu  il  fut  jeté  en  prison,  mal- 
gré le  sauf-conduit  délivré  par  le  sultan,  et  le  vaisseau 
l'ouennais  fut  confisqué. 

Le  sultan  se  rendit  promptcment  compte  qu  il  n'avait 
pas  affaire  à  des  ennemis,  mais  plutôt  à  des  auxiliaires 
éventuels.  Il  fît  offrir  à  ses  prisonniers,  particulièrement 
aux  bombardiers,  de  grandes  richesses,  s'ils  voulaient  apos- 
tasier  et  entrer  à  son  service.  «  Avec  ceste  quenailhe,  nous 
ne  voulons  point  estre  plus  grans  que  nous  sommes,  répon- 
dirent trente-six  de  ces  pauvres  gens  au  capitaine  Diaz, 
devenu  le  familier  du  sultan,  car  nous  aymons  myeulx 
vivre  en  povi'eté  avec  nos  frères  chresthicns,  que  de  estre 
grans  signeurs  avec  les  ennemys  de  la  foy.  » 

Et  de  la  montagne  de  Champaner  où  ils  étaient  captifs 


LA   LIP.ERTÉ    DES    iMERS.  269 

du  «  grand  chien  bahador  »,  ils  trouvèrent  moyen  de 
mander  au  vice-roi  portugais  de  l'Inde  leur  triste  situation 
par  un  message  d'vme  noblesse  de  sentiment  et  d'une  déli- 
catesse de  touche  admirable.  «  Plaise  à  Vostc  Hautese, 
disaient-ils,  de  tourner  vostre  douche  face  et  de  regarder 
de  vostre  œil  de  pityé  et  de  miséricorde  vers  les  povres 
chresthiens,  lesquelz  vous  demandent  pardon;  c'est  une 
vertu  plus  divine  que  humaine  que  de  pardonner,  car  Dieu 
le  Créateur,  c'est  sa  propyété  que  de  pardonner  aux  povres 
pécheurs,  quant  ilz  luy  demandent  miséricorde  (Ij.  » 

Les  malheureux!  ils  ignoraient  les  tortures  effroyables 
qu'infligeaient  à  leurs  compatriotes  les  Portugais  du  Brésil! 
La  miséricorde  n'était  point  dans  la  politique  des  gens  de 
Lisbonne  :  nous  ne  voyons  point  qu'il  ait  été  donné  suite  à 
la  supplique  des  héroïques  prisonniers,  sauf  que  la  Mai'ie- 
de-Bon-Sccours,  reprise  sans  doute  par  les  vaisseaux  de 
Menescs,  fut  incorporée  dans  la  flotte  portujjaise. 

La  Marie-de-Bon-Secours  faisait  partie  d'une  escadrille 
de  trois  vaisseaux  armés  à  Dieppe  pour  les  Indes,  et  dont 
l'un  reçut  le  meilleur  accueil  à  Madagascar.  C'est  dans 
l'une  des  baies  de  la  côte  orientale  de  l'île  que  nous  liâmes 
commerce  pour  la  première  fois  avec  les  Malgaches.  Un 
des  matelots  dieppois,  laissé  à  terre,  v  séjourna  pendant 
quatre  ans  (2). 

Ces  voyages  clandestins  dans  l'océan  Indien  expliquent 
comment  Jean  Ango  put  se  procurer  un  drogman  français 
versé  dans  la  langue  malaise  quand  il  organisa  une  expédi- 
tion pour  les  Moluques.  Formée  de  la  Pensée  et  du  Sacre, 
l'expédition   était   commandée    par  Jean    Parmenlier ,    le 

(1)  Supplique  de  36  marins  de  la  Maiie-de-Bon-Sccours  au  gouverneur 
de  l'Inde  (Lisbonne,  archives  de  la  Torre  do  Tombo,  Papeis  cla  Casa  de 
S.  Lourençn,  t.  I,  fol.  407;  publiée  par  Socsa  Viterbo,  Trabalhos  nauticos 
dos  Portugiiczes  nos  seculos  XVI  e  XVII.  Parte  I,  Marinliaria.  Lisboa, 
1898,  in-4",  p.  84). 

(2)  CoRREA,  Lemlas  do  India,  t.  III,  p.  238-241  et  225. 


270  HISTOIRE    UE    LA    :\IARINE    FRANÇAISE. 

délicat  lettré  que  nous  avons  vu  et  qui  s'était  déjà  distingué 
par  l'exploration  du  Brésil  et  des  côtes  de  Guinée.  Jean,  à 
bord  de  la  Pensée,  son  frère  Raoul,  à  bord  du  S(fC}x\  quit- 
tèrent Dieppe  le  ^8  mars  15:29,  jour  de  Pâques.  Le  journal 
de  leur  voyage,  aussi  intéressant  pour  l'itinéraire  suivi  que 
pour  les  mœui's  du  temps,  nous  a  été  conservé  par  l'un  des 
astronomes  embarques,  Pierre  Crignon  (1). 

Sous  la  date  du  11  mai,  nous  trouvons  pour  la  première 
fois  la  mention  de  ce  fameux  baptême  de  la  ligne,  dont 
la  tradition,  avec  les  variantes  fournies  par  l'imagination 
des  matelots,  devait  se  transmettre  de  siècle  en  siècle.  Cin- 
quante marins  reçurent  laccoladcdc  chevaliers  au  passage 
de  l'équateur;  et  pour  solenniser  la  fête,  on  chanta,  avec 
accompagnement  musical,  la  messe  de  Salue,  sancta  parens. 

Les  nouveaux  chevaliers  firent  bonne  contenance  devant 
les  effrovables  tourmentes  qui  éclatent  aux  abords  du  cap 
des  Tempêtes  et  qu'en  termes  enjoués  Pierre  Grignon  décrit 
ainsi  :  «  Le  Dieu  Eolus,  accompagné  de  Favonius  et 
d'Affricus  Libo,  célébroient  les  noces  de  Thétis,  fort  déli- 
bérez de  bien  faire  danser.  » 

Le  29  mai,  par  IV  1'  de  latitude,  on  avait  découvert  une 
île  montueusc  qui  fut  appelée  la  France,  mais  qui  malheu- 
reusement avait  déjà  reçu  des  Portugais  un  nom.  C  était 
Tile  de  l'Ascension  ("I).  Deux  mois  après,  le  li  juillet, 
Madagascar  était  en  vue.  L'île  nous  fut  inhospitalière;  trois 
marins,  entraînés  dans  les  bois  par  la  promesse  trompeuse 
de  gingembi'c,  que  les  insulaires  appelaient  chclou,  furent 
massacrés.  Comme  le  sable  semblait  parsemé  d'écailles  ou 
limures  d'or  et  d'arjjent,  on   le  fit  passer  par  la  cendre.  On 

(1)  Le  Discours  de  la  navicjalion  de  Jean  et  Raoul  Paiiiiculiev  a  été  im- 
primé, d'après  deux  rédactions  différentes,  l'une,  plus  longue,  par  Sciiefer 
dans  le  Recueil  de  vova{jes  et  de  dociinienls  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
géographie  (Paris,  188-5,  8");  l'autre  plus  courte,  par  Maughy,  ào.ns\a.  Société 
normande  de  Géographie  (J883j. 

(2)  La  Trinité,  selon  MAncnY,  p.   180,  n°  1,  et  p.  336. 


LA   LIBERTE    DES    MERS.  271 

trouva  un  grain  ou  deux  d'argent  fin,  ce  qui  était  trop  peu 
pour  valoir  la  peine  de  s'arrêter  à  Madagascar. 

Une  semaine  après,  les  îles  Stériles,  que  des  bancs  pro- 
longent jusqu'au  cap  Saint-André  sur  la  côte  madécasse, 
furent  l)aptisées,  à  cause  de  ces  dangereuses  approches, 
les  iles  de  Crainte;  elles  étaient  au  nombre  de  sept  :  l'île 
Majeure,  la  plus  proche  de  terre,  puis  l'Enchainée ,  la 
Boquillone,  l'Utile,  l'ile  Saint-Pierre,  l'Andouille  et 
l'Aventurée,  au  large. 

A  peine  nos  gens  étaient-ils  sortis  de  ces  dangereuses 
passes,  qu'ils  se  trouvèrent  en  présence  d'un  phénomène 
terrifiant,  u  Aucune  pièce  de  la  nue  descendente  vers  l'ho- 
rizon de  la  mer  en  manière  d'une  chausse  à  vpocras,  la 
pointe  en  bas,  se  allongeoit  longue  et  gresle,  tenant  tous- 
jours  à  la  maistresse  nue  ;  nos  gens  eurent  peur,  craignant 
que  ce  ne  fussent  puchos  ou  tiffons  :  mais  cela  ne  fit  aucune 
chose.  Et  aussi  cens,  qui  ont  vu  des  puchos  disent  qu'ils  se 
forment  autrement,  la  pointe  en  liaidt etle  large  en  la  mer; 
lapointeestcrochueetse  tient  en  suspens,  en  attirant  l'eau.  " 

Le  10  août,  l'escadrille  faisait  aljjuade  aux  Comores,  pro- 
bablement à  Anjouan,  «  isie  assez  semblable  à  lisle  de 
Madère  en  grandeur  et  en  façon  u  . 

Le  ;20  septembre,  elle  traversait  un  autre  archipel  de 
sept  îles,  dans  l'une  desquelles  Jean  Parmentier  reçut  le 
plus  chaud  accueil  du  «  grand  archiprestre  ",  qui  voulait 
lui  baiser  les  mains  et  s'agenouiller  devant  lui.  «  En  ceste 
isle,  avoit  ung  temple  ou  mosquée,  de  façon  assez  antique 
et  magistralement  composé  de  pierre,  en  espécial  une 
closture  de  huchcrie,  de  mouleures  d  antiques,  les  meil- 
leures qu'il  veist  jamois,  avec  balustres  mignonement 
tournez,  sv  que  le  menusier  de  nostre  nef  s'esbahissoit  de 
voir  si  bon  ouvrage.  En  ce  temple,  avoit  des  .;;alleries  tout 
autour,  et  au  bout  ung  lieu  secret  closde  hucherie,  comme 
ung   scnictii7)i  sanJorum.  Le  capilaine    le    fit  ouvrir  pour 


2-2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

veoir  ce  qui  cstoit  dedans  et  pour  savoir  s'il  n'y  avoit  nulles 
idoles,  mais  il  n'y  en  apercent  qu'une,  faicte  de  coque  de 
noix  de  palmes.  » 

L'archiprétre,  quelque  brahmane  sans  doute,  avait  Jjeau- 
coupvu.  Appelé  à  trancher  un  débat  entre  Jean  Parmen- 
tier  et  le  pilote  portugais  du  Sacre^  qui  se  croyait  aux  Mal- 
dives, il  répondit  que  les  Maldives  étaient  à  deux  cents 
lieues  dans  le  nord  et  que  l'ile  s'appelait  Moluque  :  c'est 
actuellement  l'ile  Phowa-Moloku.  De  phis,  il  montra  au 
capitaine  en  quelles  aires  de  vent{i;isaient  la  Perse,  Ormuz, 
Calicut,  Geylan,  Malacca  et  Sumatra. 

Le  14  octobre,  continue  le  Journal  de  Crignon,  «  nous 
eusmes  tout  plain  d'indices  de  terre,  car  ung  tiercelet  de 
faucon,  qui  s'estoit  tenu  en  nostre  nef  douze  ou  quinze 
jours,  nous  laissa  :  par  quoy  nous  estimions  qu'il  avoit  veu 
terre.  Et  prisme  unjj  martelet,  et  un  hauchecul  vint  à 
notre  bord  »  . 

La  terre  était  proche  en  effet.  Après  avoir  rangé  les  îles 
de  Tanah-Ballalî,  Tanah-Massa  et  Poulo-Pini,  qui  furent 
baptisées  Louise,  Marguerite  et  Parmentière,  en  l'honneur 
de  la  reine-mère,  de  la  princesse  Marguerite  d'Alençon  et 
des  capitaines,  l'escadrille  arrivaitleSl  octobre  à  Sumatra, 
terme  de  son  voyage,  et  jetait  l'ancre  dans  la  radedeTicou. 
Le  drogman,  Jean  Masson,  descendant  le  premier  à  terre, 
expliqua  que  les  vaisseaux  étaient  fiançais  et  venaient 
échanger  de  bonnes  marchandises  contre  du  poivre. 

Admis,  dès  lors,  à  offrir  leurs  présents  au  sultan  Megilica 
Raga ,  les  Parmentier  débarquèrent  en  habits  de  gala  et 
conclurent  avec  lui  une  alliance  aux  cris  mille  fois  répétés 
par  la  foule  de  "France,  Ticou  !  Ticou,  France!  »  Il  parait 
qu'un  indigène,  un  «  orancaïe  "  ,  avait  prédit,  deux  mois  à 
l'avance,  l'arrivée  de  nos  vaisseaux;  interrogé  parle  drog- 
man sur  la  façon  dont  il  l'avait  su,  cet  homme  répondit 
«  (lu'il  l'avoit  veu  au  ciel  ;>  .  Serait-ce  là  un  de  ces  phéno- 


LA    LIBERTE   DES    MERS.  273 

mènes  de  mira^je,  si  fréquents  dans  l'océan  Indien,  qui 
permirent  à  un  halùtant  de  l'Ile  de  France  d'annoncer  l'es- 
cadre de  Suffren  longtemps  avant  son  arrivée?  Ou  n'était- 
ce  qu'une  flatterie  de  gens  aussi  fins  que  fourbes? 

Très  prévenu  contre  la  moi'alité  des  Malais,  Jean  Par- 
nienticr  avait  eu  la  précavition  de  fortifier  le  magasin 
établi  à  terre,  près  des  petites  paillottes  closes  de  roseaux 
et  natté'es  de  jonc.  Gomme  il  parvenait  à  écouler  difficile- 
ment sa  pacotille  de  miroirs,  coins  de  fer,  patenôtres  de 
verre  et  os  teints,  il  prit  le  parti,  au  bout  de  deux  semaines, 
de  décider  le  départ.  Mais,  en  présence  de  ses  préparatifs, 
la  populace  s'ameuta,  craignant  pour  les  otages  malais 
envoyés  à  bord  pour  toute  la  durée  de  son  séjour.  Tam- 
bour battant,  fifre  et  trompette  sonnant,  mècbes  allumées, 
nos  gens  durent  se  frayer  un  passage  à  travers  une  petite 
armée  de  cinq  cents  bommes,  porteurs  de  pertuisanes  et  de 
kriss.  Comme  une  partie  des  otages  s'étaient  enfuis  en 
volant  le  grand  canot  de  la  Pensée,  Parmentier  fit  exécuter 
leurs  compagnons  en  vue  de  Ticou. 

A  peine  l'escadrille  avait-elle  levé  l'ancre,  le  27  no- 
vembre, que  les  deux  Parmentier  tombaient  malades  de 
la  fièvre  tvphoïde,  dont  ils  attribuaient  avec  raison  la 
cause  aux  mauvaises  eaux  potables  de  Ticou.  Ils  mou- 
rurent, l'un  après  l'aulre,  à  quelques  jours  de  distance. 
Après  le  décès  de  leurs  capitaines,  les  matelots,  consultés 
par  les  astronomes  et  les  maîtres  d'équipage,  votèrent 
sur  la  conduite  à  tenir.  Bien  qu  une  dizaine  d'hommes 
eussent  opiné  pour  aller  à  Java,  les  autres  se  disant  prêts 
à  aller  partout  où  l'on  voudrait,  on  parvint  à  renouer  des 
relations  commerciales  avec  les  indigènes  de  Sumatra.  Et,  le 
22  janvier  1530,  leur  cargaison  complète,  les  deux  vaisseaux 
quittaient  la  rade  d'Indapoure  pour  retourner  en  France. 

Outre  des  épices  et  autres  précieuses  marchandises, 
l'expédition  rapportait  de  vagues  notions  sur  l'Australie,  sur 
ni.  18 


274  HISTOIRE    DE   LA    ^lARKNE    FRANÇAISE. 

Jave-la-Grande,  qui  "  tient  ù  la  terre  australle  »  et  dont  on 
relève  la  trace  dans  la  cartographie  dieppoise  contempo- 
raine (1). 


V 


A    LA    RECHERCHE    DES    ILES    MOLUQUES 
PAR   LE   DÉTROIT    DE    MAGELLAN 

Ces  notions  allaient-elles  se  préciser?  Un  nouveau  voyage 
s'organisait,  en  1531,  aux  frais  d'Ango,  du  vice-amiral  de 
Moy,  de  Tancien  régent  de  l'Ecosse,  Stuart  d'Albany,  et  du 
seigneur  gascon  de  Montbrun,  pour  reconnaître  la  route 
suivie  par  Magellan.  Et  c'est  à  l'un  des  pilotes  même  de 
Magellan,  Leone  Pancaldo,  de  Savone,  le  pilote  de  la  Tri- 
nitad^  que  Tarmateur  dieppois  s'adressait  pour  conduire 
l'expédition  nouvelle.  La  promesse  d'une  rente  de  trois 
cents  livres,  au  nom  du  roi,  avait  de  quoi  tenter  (2)...  Pan- 
caldo accepta.  Il  vint  à  Paris. 

Comme  il  avait  dresse  jadis  un  routier  du  célèbre  voyage 
de  circumnavigation,  il  n'eut  aucune  peine  à  fournir  un 
devis  du  chemin  qu'il  comptait  suivre  :  «Après  avoir  passé 
le  détroit  de  Magellan,  écrivait-il  plus  tard,  je  devais  aller 
aux  iles  de  Banda  charger  des  noix  muscades  et  du  macis; 
j'aurais  touché  à  Timor  pour  prendre  un  peu  de  santal,  et 
je  serais  revenu  par  le  cap  de  Bonne-Espérance,  sans 
qu'avicun  bâtiment  portugais  parvint  à  me  capturer.  En 
effet,  j'aurais  doublé  le  cap  à  la  fin  de  novembre,  et  comme 

(1)  La  Coxmoqraphie,  par  Jean  Fonteneau,  dit  Alfonse,  éd.  Musset 
(1904),  p.  189.  —  A.  Rainaud,  le  Continent  austral  (Paris,  1893,  in-8", 
p.  288  et  suiv.)  :  graphiques  de  Jave-Ia-Grande  d'après  la  carte  du  Dau- 
phin et  les  cartes  de  Roze  (1542)  et  Guillaume  Le  Testa  (1556). 

(2)  Lettre  de  Gaspar  Palha  au  roi  de  Portugal.  Paris,  l'^"'  mai  1531  (Pera- 
CALi.o,  Sussidi  docianentari  ver  iina  monoqrafia  su  Léon  Pancaldo,  dans  la 
Raccolta...  Colombiana,  Part.  V,  vol.  II,  p.  292). 


LA   LIBERTE    DES    MERS.  275 

les  vaissseaiix  portugais  ne  quittent  l'Inde  qu'en  janvier, 
je  ne  les  aurais  pas  rencontrés  (1).  w 

Il  ne  tenait  point  à  retomber  dans  les  chaînes  de  ceux 
qui  l'avaient  indignement  dépouillé,  lorsqu'il  revenait  avec 
le  dernier  vaisseau  de  Magellan  (2) .  Et  pourtant,  malgré  son 
aversion  pour  les  Portugais,  il  se  laissa  circonvenir  par 
eux  :  il  regagna  Savone  et,  movcnnant  mille  six  cents  ducats, 
s'engagea,  par  un  traité  en  bonne  forme,  à  ne  plus  faire  de 
cartes  nautiques  et  à  ne  plus  naviguer  sans  l'autorisation  du 
roi  de  Portugal  (3).  Par  ce  coup  de  maître  de  l'agent  Palha, 
nous  étions  complètement  désemparés;  mais  l'armateur 
dieppois  n'était  pas  homme  à  accepter  ainsi  une  défaite. 

Une  lutte  acharnée  s'engageait  entre  la  compagnie  qu'il 
dirigeait  et  la  police  secrète  à  la  solde  du  roi  de  Portugal. 
G  est  par  les  rapports  de  ces  policiers  que  nous  savons  les 
péripéties  de  la  lutte,  dont  l'enjeu  était,  pour  nous,  la 
découverte  de  la  route  des  Moluques  et,  pour  les  Portugais, 
le  maintien  de  leur  monopole.  Un  Giovanni  Francesco 
Venezeano,  autrement  dit  le  Vénitien,  auquel  les  Normands 
avaient  offert  le  commandement  général  de  l'expédition, 
refusa,  ne  voulant  pas  emmener  en  un  si  dangereux  vovage 
des  gens  avec  qui  il  ne  s'entendait  pas;  il  promettait  toute- 
fois de  débarquer,  à  son  retour  des  Moluques,  toutes  ses 
épiceries  à  Rouen,  et  d'emmener  à  son  second  voyage,  lors- 
qu'il saurait  la  route,  des  vaisseaux  normands.  Jusque-là, 
il  avait  besoin,  lui  aussi,  pour  conduire  ses  trois  carraques 
vénitiennes  armées  dans  la  Marche  d'Ancône,  des  bons 
offices  de  Pancaldo.  Mais  en  vain  se  rendit-il  à   .Savone  : 

(1)  Lettre  de   Pancaldo  au  roi  de  Portugal.  Savone,  3  octobre  1531  ^Pera- 

GALLO,    p.    303). 

(2)  Lettre  de  Pancaldo  à  Charles-Quint,  datée  de  la  prison  de  Mozam- 
bique, 20  octobre  1525  (Peragallo,  p.  284). 

(3)  En  1535,  il  partit  néanmoins  pour  les  Moluques  avec  deux  vaisseaux 
Italiens,  mais  il  périt  au  rio  de  la  Plata  (Amat  di  sais:  Filippo,  Biografia  clci 
viagijiatori  italiani.  Iloma,  1882,  in-8",  t.  I,  p.  265). 


276  HISTOir.E    DE   LA    MARINK   FRANÇAISE. 

le  pilote,    soi-disant   en   pèlerinage,    fnt    introuvable    (1). 

La  chasse  aux  pilotes  continuait.  Fort  inquiète  de  la 
capacité  du  célèbre  cosmograpbe  Jean  Alfonse,  la  Cour 
de  Lisbonne,  affectant  de  le  considérer  comme  un  Portu- 
gais fugitif,  alors  qu'il  était  natif  des  Sables  d'Olonne  et 
s'appelait  de  son  vrai  nom  Jean  Fonteneau  f:2),  eut  l'impu- 
dence de  lui  offrir  une  lettre  de  pardon  pour  le  rapatrier 
en  Portugal  (3).  Alfonse  ne  se  laissa  point  suborner  : 
mais  il  ne  pouvait  point  être  d'un  grand  secours  pour  con- 
duire une  flotte  aux  ^loluques,  dont  il  ignorait  la  route,  sa 
Cosmographie  en  témoigne. 

A  Séville,  un  informateur,  du  nom  de  Martin  Ferreira, 
nous  renseignait  sur  les  navigations  de  ses  compatriotes 
portugais.  Mais  une  lettre  qu'il  écrivait  à  un  de  ses  parents 
à  Lisbonne  pour  demander  une  carte  marine,  ayant  été 
interceptée,  le  roi  de  Portugal  pria  la  cour  d'Espagne  de 
le  faire  arrêter  (4) . 

A  Anvers,  le  vicomte  de  Dieppe  avait  engagé  un  autre 
marin  de  la  même  nation,  Pero  Fernandez,  condamné  par 
contumace  à  la  rélégation  en  Afrique,  qui  connaissait  la 
route  des  Indes  :  une  de  ses  cartes  en  fait  foi  (5).  Cette 
fois,  les  policiers  portugais,  après  avoir  songé  à  enlever 
Fernandez.  reculèrent  par  peur  de  1  opinion.  «  Il  nous 
parut,  dit  ingénument  1  un  d'eux,  qu'en  ce  pavs  lil)re, 
nous  ne  pouvions  rien  faire  par  force,  qui  n  eût  du  reten- 
tissement et  ne  nous  mit  dans  de  grands  embarras  (6).  » 


(1)  Lettre  de  Gaspar  Palha.  Paris,  1"  mai  1531  (Per\g.\Ù.o,  p.  296). 

(2)  MussKT,    Jean    Fonteneau,   dit   Alfnnsc   dr  Saintnnge.     Paris,    1896, 
11-8°,  extrait  du  Jhtll.  de  qéoqrapttie  hixtnrltpic  (1895j. 

(3)  Vabxu.\gex,  Jiist.  du  Brésil,  p.  45. 

('<•)  Lettre  de  Joào  III,  roi   de  Portugal.    13   mars   1532   (SorSA  Vitkbdo, 
Trnbalhos  nauticos  dos  Povtiiquezes.  Lisboa,  1898,  in-V",  p.   llo). 

(5)  Carte  de  l'Atlantique.    1528  (Victor  Hamzscii   und   Ludwig  SciniiDJ, 
Kartof/j-aphisehe  Denkmiiler  (1903),  Blatt  1.) 

(6)  Lettre  de    Pero  Mascarenhas.   Anvers,  17  janvier  1532  (S.    Viterbo, 
p.   103). 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  277 

Ango  était  parvenu  à  ses  fins.  En  dépit  ties  agents  portu- 
gais, une  nouvelle  expédition  partit  de  Dieppe  en  1531. 
L'annaliste  Desmarquets,  assez  sujet  à  eaution  malheureu- 
sement, est  seul  à  en  rendre  compte  flj.  Selon  lui,  elle  se 
rendit  en  Chine.  Un  ambassadeur  de  François  I",  le  sieur 
(le  Valois,  cjui  nous  est  connu  d'ailleurs  pour  avoir  mené 
an  corps  de  troupes  auxiliaires  en  Danemark  (2),  avait  pris 
passage  à  bord  :  il  Ht  présent  à  Tempereur  de  Chine  (?) 
d'une  batterie  de  quatre  pièces  de  fonte,  ce  qui  lui  valut 
une  chaleureuse  réception.  Et  les  vaisseaux  dieppois  purent 
échanger  leurs  marchandises  contre  des  porcelaines,  du 
ihé  et  des  denrées  exotiques,  qu'ils  rapportèrent  en  France. 

Rien  ne  vient  à  l'appui  du  récit  tic  Desmarquets  :  rien, 
ni  comptes,  ni  chroniques,  ne  porte  la  moindre  trace  de 
relations  quelcon(jues  avec  le  Céleste  Empire.  Ce  n'est 
point  à  dire  pourtant  que  la  Cour  de  ^France  demeurait 
indifférente  aux  choses  d'Extrémc-Oricnt,  L'initiativ( 
il  Ango  avait  porté  ses  fruits.  A  llnstar  de  l'armateur  diep- 
pois, François  F'  avait  attache;  à  sa  personne  un  carto- 
graphe lusitanien,  fort  u  expert  en  la  marine  !)  :  il  l'avait 
fait  venir  de  l'orlugal  avec  femme  et  enfants,  afin  de 
l'avoir  toujours  près  de  lui.  Sous  le  nom  de  «  Jean  Pachet, 
portugais  1!  ,  consigne  dans  les  comptes  de  l'épargne  (3),  il 
n'est  point  malaisé  de  reconnaître  le  Joào  Pacheco,  com- 
mandeur de  l'Ordre  d'Alcantara,  qui  offrait,  peu  de  temps 
auparavant,  ses  services  à  Charles-Oulnl.  Et  nous  savons, 
parle  mémoire  présenté  à  cette  occasion  le  '2  tiécembre  1535 
et  notifié  par  1  empereur  le  9  juillet  1530,  que  Pacheco 
projetait  d'aller  à  la  découverte  tles  ilcs  des  Epices,  en 
partant  des  côtes  de  la  Nouvelle-h^spague,  (jue  baigne  le 

(i)  Afémoires  c/iiono/oi/ùjims  pour  servira  l  liislvlrc  de  Dieppe  et  ù  celle 
fie  la  navi<]atioii  fninçaisc,  I,   I,  p.  113, 

(2)  AS.SKLIXE. 

(3)  1539  (Archives  nat.,  .1  962'*,  n"   11  :    Catulviuc  des  actes  de  Fran- 
çois /",  t.  VIII,  p.  189,  2()3j. 


278  HISTOIRE   DE   LA   MARINE   FRANÇAISE. 

Pacifique  (l) .  Comme  les  comptes  de  l'épargne  ne  men- 
tionnent que  durant  un  seul  exercice  le  nom  de  «  Pachet» , 
j'imagine  que  les  agents  portugais  avaient  encore  trouvé 
le  moyen  d'empêcher  son  projet  d  aboutir. 


VI 


NOTRE    PREMIERE   COLONIE.  —   L'ILE    SAINT-ALEXIS, 
AU    BRÉSIL 

Pour  se  rendre  compte  de  la  tension  de  nos  rapports 
avec  le  Portugal,  il  faut  revenir  de  quelques  années  en 
ari'ière. 

Lors  de  l'entrée  solennelle  de  François  I"  à  Bordeavix, 
en  avril  15i6,  comme  1  ambassadeur  portugais  affectait, 
conti-airement  au  protocole,  de  marcher  de  front  avec 
l'ambassadeur  impérial,  le  grand  maître  des  cérémonies  le 
fit  jeter  hors  du  cortège  par  quatre  hallebardiers  :  a  Eh 
quoi!  s'écria  François  I",  un  diplomate  apothicaire  vou- 
drait précéder  le  représentant  du  roi  d'Angleterre!  Vrai- 
ment, il  fera  mieux  d  aller  à  Calicut  et  dy  donner  des  lois 
au  commerce  des  épices,  car  ici  il  n'en  donnera  pas  (2) .  » 
Du  jour  où  les  Portugais  avaient  violé  la  neutralité,  en  1522, 
une  guerre  sourde  se  livrait  entre  les  deux  pays.  Le  roi  de 
Portugal  mandait  à  ses  capitaines,  sous  peine  de  mort,  de 
couler  tous  les  navires  français  qui  seraient  rencontrés  aux 

(1)  Madrid,  Academia  de  la  Ilistoria,  Reqisiro  del  couse jo  de  Indias 
D  95,  fol.  278.  «  Para  ir  desde  las  costas  del  niar  del  Sur  de  Nueva  Espaiïa 
al  descubrimiento  de  las  islas  y  tierra  firme  donde  hallasc  especeria  ».  — 
Dès  le  24  février  1526,  Joào  Pacheco,  Portugais,  obtenait  de  l'empereur 
mission  d'aller  à  la  découverte  dans  le  Pacifique  (^Coleccion  de  documeiUos 
de  Indias,  t.  XXII,  p.  245). 

(2)  J.\(;quetox,  La  polilùjue  exte'rieurc  de  Louise  de  Savoie  (1525-1526). 
Paris;  1892,  in-8%  p.  271  (Fascicule  88  de  la  Bibliolbèque  de  l'École  des 
hautes  études). 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  279 

Indes  (I)  ;  et  il  lançait  une  escadre  à  la  poursuite  des  cor- 
saires d'Ango.  La  France  riposta  en  fermant  aux  bâtiments 
portugais  chargés  d'épices  l'accès  du  Pas-de-Calais  :  c'était 
la  mission  spéciale  de  la  croisière  des  quinze  cents  marins, 
aux  deux  tiers  français,  que  Henri  VIII  et  François  I" 
s'étaient  engagés,  par  le  traité  du  30  avril  1527,  à  entre- 
tenir dans  le  détroit  (2). 

Les  relations,  dès  lors,  s'envenimèrent  de  jour  en  jour. 
En  octobre  I5i26  encore,  trois  de  nos  vaisseaux,  qui  se 
trouvaient  dans  le  rio  San-Francisco  au  Brésil,  firent  bon 
accueil  au  San-Gahriel^  de  la  division  Garcia  de  Loaysa, 
lui  envoyèrent  une  chaloupe  pour  le  piloter  dans  le  fleuve 
et  lui  prêtèrent  des  calfats  pour  le  radouber.  Une  rixe  entre 
matelots  bouleversa  tout  :  le  San-Gabriel  dut  s'enfuir  sous 
une  pluie  de  balles,  et  le  capitaine  Rodrigo  d'Acunha 
demeura  prisonnier.  Quelques  mois  plus  tard,  un  de  ces 
trois  bâtiments,  le  Leynon  de  Saint-Pol-de-Léon  (3),  et 
deux  autres  navires  bretons  (4),  qui  chargeaient  du  bois 
de  teinture  dans  la  baie  de  Tous-les-Sainls,  furent  cernés 
soudain  par  quatre  caravelles  de  Christovao  Jacques  et 
coulés  à  coups  de  canon.  Des  matelots  survivants,  les  uns 
furent  pendus,  les  autres,  enterrés  jusqu'aux  épaules,  ser- 
virent de  cibles  aux  arquebuses  portugaises. 

Telle  la  Sibylle,  par  une  ironie  atroce,  faisait  enterrer 
vifs  les  esclaves  gaulois  pour  conjurer  l'occupation  de 
Rome  par  nos  ancêtres;  tels  les  Portugais  répondaient,  en 
creusant   une    tombe,    aux    marins    bretons   qui    revendi- 

(i)  Cf.  la  protestation  du  baron  de  Saint-Blancard  (GrÉxix,  p.  258). 

(2)  B.  N.,  Clairambault,  vol.  326,  fol.  139. 

(3)  Varmiages,  Hist.  do  Brazil,  t.  I,  p.  130,  443.  —  Navarretk,  Viajes, 
t.  V,  p.  172,  236,  323. 

(4)  Les  bâtiments  appartenaient  à  Yvon  de  Crétugar,  François  Guerret, 
Mathurin  Tourneniouche,  Jean  Bureau  et  Jean  Janiet.  Lettres  de  Fran- 
çois I"  au  roi  de  Portugal.  6  sept.  1528  (Torre  do  Tombo,  Corpo  Chrono- 
logico,  P.  I,  liasse  41,  doc.  30.  —  Coll.  de  documenios  ineditos  de  Indias, 
t.  XLII,  p.  545). 


280  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

quaient  ënergiqucment  leur  titre  de  découvreurs  et  pre- 
miers occupants  de  toute  une  région  du  Brésil  (1) ,  »  Quoique 
les  Portugais  soient  le  peuple  le  plus  petit  du  monde, 
s'écriait  un  pilote  d  Ango  dans  un  superbe  élan  d'éloquence, 
le  monde  ne  leur  semble  pas  assez  grand  pour  satisfaire 
leur  cupidité.  Il  faut  qu'ils  aient  bu  de  la  poussière  du 
cœur  du  roi  Alexandre,  pour  montrer  une  ambition  si  dé- 
mesurée. Ils  croient  tenir  dans  une  seule  main  ce  qu'ils  ne 
pourraient  embrasser  avec  toutes  les  deux  :  il  semble  que 
Dieu  ne  fit  que  pour  eux  les  mers  et  la  terre,  et  que  les 
autres  nations  ne  sont  pas  dignes  de  naviguer.  Certaine- 
ment, s'il  était  en  leur  pouvoir  de  fermer  les  mers  depuis 
le  cap  Finistère  jusqu  en  Islande,  il  y  a  longtemps  qu'ils 
l'auraient  fait  (2).  •' 

Contre  cette  outrecuidance  qui  ne  connaissait  plus  de 
bornes,  François  P'  protesta,  assez  mollement  il  est  vrai, 
en  revendiquant  pour  ses  marins  la  liberté  de  naviguer.  Et 
il  affirmait  le  principe  de  la  liberté  des  mers  dans  cette 
belle  formule  :  »  Le  fait  de  trafic  et  échange  de  marchan- 
dises est  de  tous  les  droits  un  des  plus  natuiels  et  des  plus 
autorisés  (3).  "  Mais  il  est  des  gens  pour  lesquels  le  droit, 
sans  la  force,  n'est  rien.  Les  Portugais  nous  le  montrèrent 
t^ur  l'heure. 

En  décembre  1530,  le  baron  de  Saint-Blancard,  général 
des  galères,  envovait  au  Brésil  la  Pèlerine,  commandée  par 
Dupcret  et  montée  de  cent  vingt  hommes,  pour  établir  un 
comptoir  sur  la  côte  américaine.  Arrivé  à  Pernambouc, 
Jean  Dupéret  prit  terre,  en  dépit  d'une  violente  attaque 
des  Indiens,  excités  et  conduits  par  les  Portugais.  Il  cons- 
truisit un  fort  près  de  là,  dans  Tile  Saint- Alexis,  où  il  s'éta- 

(1)  Plainte  des  armateius  de  Saint-Pol  «le  Léon  au  loi  (Ibidem  :  Copie  et 
traduction  dans  le  ma.  B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  9380,  fol.  82). 

(2)  [Crigxon],  désigné  sous  ce  nom  :  »  Un  grand  capitaine  de  nier  fran«;ais» 
(Ramusio,  t.  III,  p.  352). 

(3)  Lettres  du  6  septembre  1528  déjà  citées. 


LE    BRÉSIL     (vers     1520) 

(Carte    portugaise  :    B.    N.,    Ge    DD   683.) 


I 


I 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  -281 

Itlit  avec  S0L\antc-dix  hommes  pour  poursuivre  ses  opéra- 
tions commerciales,  tandis  que  la  Pèlerine  retournait  en 
France  avec  du  bois  de  Brésil,  des  quintaux  de  coton,  du 
minerai  d'or,  des  graines,  des  peaux  de  léopards  et  six 
cents  perroquets,  sachant  qvielques  mots  de  français,  de 
ces  perroquets  et  de  ces  sagouins  qui  s'ébattaient  déjà 
dans  la  villa  de  1  amiral  de  France  à  Aspremont  (1). 

Elle  était  parvenue  sans  encombre  jusqu'à  Malaga, 
qiiand  son  nouveau  capitaine,  Debarrau,  commit  l'impru- 
dence d'accepter  l'escorte  de  dix  caravelles  portugaises. 
Mandé,  le  15  août  1531.  à  l»ord  de  la  capitane  d'Antonio 
Gorrea,  sous  prétexte  de  conseil  de  guerre  à  tenir,  Debarrau 
fut  chargé  de  fers  et  son  navire  confisqué  {"l] .  Informé  par 
cette  capture  de  la  fondation  du  comptoir  brésilien,  le  roi 
de  Portugal  envoya  aussit»')!,  pour  le  détruire,  lescadre  de 
Lope  de  Sousa.  Sousa  rencontra,  près  du  cap  Saint-Au- 
gustin, un  navire  français  qui  se  jeta  à  la  cote,  puis  quatre 
autres  qui  durent  se  rendre  prisonniers.  La  petite  garnison 
de  l'ile  Saint- Alexis  se  trouva  bloquée  à  la  fois  par  l'escadre 
portugaise  et  par  les  indigènes  soulevés. 

Après  dix-huit  jour.'^  de  siège,  en  décembre  1531,  le  sieur 
de  La  Motte,  qui  avait  remplacé  Dupéret,  probablement  ce 
M.  de  La  Motte  parti  de  Bretagne  en  mai  précédent  avec 
quatre  vaisseaux  des  seigneurs  de  Chàteaubriant  et  de 
Laval  (3),  capitula  sous  promesse  d'être  transporté  en  ter- 


(1)  liCttre  de  l'amiral  Chabot  au  vice-amiral  Alain  de  (Tiiengat.  12  juin 
1527  (Du  CiiKST  DE  Vii.LENKuvE,  Alain  (le  Giicn(jat,  dans  Bull,  de  la  Soc. 
du  Finistère  (1897),  p.  174). 

(2)  La  protestation  de  Kcrlrand  d'Ornesan,  baron  de  Saint-BIancard, 
conservée  au.x  Archives  nationales,  a  été  puliliéc  bien  des  fois  (GcÉxi>', 
p.  256.  —  Gakkarel,  Histoire  du  Brésil  français,  p.  87j.  —  Cf.  aussi  la 
relation  portugaise  de  Martini  Affonso  de  Souza.  28  septembre  1532(SA?iTA- 
KEM,  Oiiadro  elenicnlar,  t.  III.  p.  247.  —  Diario  de  Lopk  de  Sousa.  Lisboa, 
1840,"in-8»). 

(3)  Lettre  de  Gaspar  Pallia.  Paris,  1'^  mal  1531  (PëRAGALLo,  dans  la  Rac- 
colta...  Colombiana,  V.  V,  t.  II,  p.  271). 


282  HISTOIUE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

riloirc  ami.  Le  chef  d'escadre  Lopez  jura  et,  le  tour  joué, 
pendit  le  commandant  français  et  vingt  de  ses  hommes, 
gardant  toutefois  deux  prisonniers  vivants  pour  le  festin 
de  ses  amis  les  sauvages,  auxquels  il  les  livra.  Avise  de 
cette  infamie,  Saint-Blancard  se  fit  justice  lui-même,  en 
enlevant,  avec  cinq  de  ses  galères,  le  premier  vaisseau 
portugais  qu'il  rencontra  (1). 

Ango  avait  eu  également  à  souffrir  des  mauvais  procédés 
des  Portugais.  Mais,  moins  houillant  que  le  capitaine  des 
galères  provençales,  il  employa  les  voies  légales  pour  faire 
rendre  gorge  aux  voleurs,  en  demandant  des  lettres  de 
marque.  Ces  lettres  de  marque  ne  furent  point  faciles  à 
obtenir,  et  l'armateur  dieppois  eut  besoin  de  mettre  en 
œuvre  toute  sa  diplomatie  pour  être  autorisé  à  courir  sus 
aux  Portugais. 

Il  commença  par  intéresser  à  son  sort  le  vice-amii'al 
Charles  du  Bec,  sieur  de  Bourry,  en  l'associant  à  ses  arme- 
ments et  au  profit  qui  résulterait  des  prises  (2).  Puis  il  se 
rendit  à  la  Cour  avec  une  lettre  de  recommandation  que  la 
princesse  Marguerite  de  Navarre  adressait  au  chancelier  (3) . 
C'était  le  chancelier  qui  expédiait  les  lettres  de  marque; 
l'amiral  leur  donnait  force  exécutoire.  Le  cadeau  d'un 
magnifique  diamant  disposa  favorablement  l'amiral  Cha- 
bot, et,  le  12  mars  1531,  Ango  obtenait  enfin  l'autorisation 
de  pourchasser  les  Portugais  (4).  Outre  ses  navires,  il  pou- 


(!)  En  juillet  1532  (Guénix,  p.  261).  —  IlERnEn.v,  Décad.  II,  liv.  x, 
cap.v  .  —  Vascoxcellos,  t.  I,  p.  100). 

(2)  Par  acte  du  27  août  1529,  l'armateur  et  le  vice-amiral  s'engagent 
envers  les  Morel  à  poursuivre  la  restitution  de  la  Marie,  en  obtenant  des 
lettres  de  marque.  Ils  partageront  les  bcnélices  (GuÉsis,  p.  86).  —  Cf.  sur 
ce  qui  suit,  Fernando  Palua,  A  caria  de  marca  de  Joâo  Ango.  Lisboa, 
1882,  in-8". 

(3)  Lettre  datée  du  18  juin  1530  (Gukmn,  p.  89.  —  Gosseus,  Doc.  pour 
servir  a  l'hist.  de  la  marine  normande,  p.  23). 

(4)  Archives  de  la  Torre  do  Touibo,  Corpo  chronoloyico,  P.  I,  liasse  1, 
doc.  19  :  publ.  par  GuÉms,  p.  249. 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  28S 

vait  (rentrée  de  jeu  iiicltre  en  mer  dix-huit  autres  vaisseaux 
que  les  armateurs  tenaient  à  sa  disposition;  qvielques  mois 
après,  sa  flotte  atteignait  le  chiffre  imposant  d'une  tren- 
taine de  navires.  Il  était  question  d'en  envoyer  seize  dans 
les  eaux  de  Madère  (1). 

Alors  commença  une  lutte  épique  entre  nos  armateurs, 
syndiqués  pour  défendre  la  liberté  des  mers,  et  les  deux 
monarques  intéressés  à  supprimer  cette  base  fondamentale 
du  droit  des  gens,  Jean  III  et  Charles-Quint.  Car  le  roi  de 
Portugal,  acculé  à  une  situation  sans  issue  pour  son 
amour-propre,  à  une  guerre  ruineuse  pour  son  commerce 
maritime  ou  à  l'humiliation  de  négocier  avec  un  simple 
citoven  français,  implora  l'intervention  du  puissant  empe- 
reur. Charles-Quint  vint  à  son  aide;  et,  par  des  lettres 
pressantes  et  impérieuses  que  portait  un  plénipotentiaire 
extraordinaire,  il  réclama  la  révocation  des  lettres  de 
représailles  données  à  Ango  ["2). 

Ango  était  retourné  à.  la  Cour  défendre  son  droit.  En 
Normand  habile,  il  opposa  réclamation  à  réclamation, 
demandant  à  l'empereur  la  mise  en  liberté  des  compa- 
gnons du  corsaire  Jean  Fleury  (3).  Quelques  jours  après, 
le  M)  juin,  l'ordre  de  délivrance  était  signé  par  Charles- 
Quint.  Cette  première  victoire  diplomatique  fut  presque 
aussitôt  suivie,  pour  Ango,  d'une  seconde.  Le  Conseil 
roval,  loin  de  se  laisser  intimider  par  l'intervention  impé- 
riale, refusait  de  révoquer  les  lettres  de  marque. 

En  même  temps,  par  un  véritable  coup  de  théâtre,  dix 
vaisseaux  dieppois,  qu'on  disait  armés  pour  aller  saccager 
la  Havane  et  Nombre  de  Dios  (4j,  trompant  la  surveillance 

(i)  Lettre  de  D.  Antonio  de  Atai'de,  ambassadeur  portugais.  18  août 
1531  (Torre  do  Touibo,  Corpo  clironoloqico,  P.  I,  liasse  47,  doc.  37). 

(2)  Lettres  de  Charles-Quint,  mai,  15  juin,  9  juillet  (Guénin,  p.  97  etsuiv.). 

(3)  Lettres  de  François  I"^  citées  plus  haut.  27  avril  1531  (Archives  nat., 
K  1483,  n"  73  :  fonds  de  Simancas). 

(4)  13  vaisseaux  et  3.000    hommes,    disait-on.    Monzon,   4  sept.    1531 


284  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

de  la  ])olice  portujiaise,  apparaissaient  tout  à  coup  dans 
les  eaux  de  Fayal,  rendez-vous  habituel  des  convois  porlu- 
fjais  qui  revenaient  des  Indes.  A  cette  nouvelle,  Jean  III, 
qui  avait  mandé  jusque-là  à  son  ambassadeur  de  tem- 
poriser, sans  laisser  entrevoir  à  la  partie  adverse  son  vil' 
désir  de  traiter,  expédia  un  courrier  à  Paris,  avec  ordre  de 
doubler  les  postes,  pour  en  finir  le  plus  rapidement  pos- 
sible (I). 

Don  Antonio  de  Ataïde,  1  ambassadeur,  trouva  un  allié 
inattendu.  Au  lieu  de  s  adresser  directemenl  à  Jean  Ango, 
il  négocia  avec  l'amiral  Brion-Chabot,  et,  dans  le  mystère, 
à  linsu  de  Tempereur  et  du  roi  de  France,  lui  remit  un 
pot-de-vin  de  10,000  écus  et  une  tapi.^^serie  de  grande 
valeur  \'2).  Cette  ténébreuse  machination  eut  un  résultai 
immédiat.  Ango,  trahi  par  son  protecteur,  par  son  ancien 
associé,  consentit  à  se  dessaisir  de  sa  lettre  de  marque 
pour  60,000  ducats  (3). 

Le  spectacle  grandiose  d  un  simple  armateur  tenant  té(o 
à  une  nation  donna  lieu  à  une  légende  que  les  chroni- 
queurs (lieppois  se  sont  transmise  de  siècle  en  siècle  en 
ramplifîant  :  la  légende  du  blocus  de  Lisbonne  par  la 
flotte  d'Ango,  éclatante  vengeance  d  un  outrage  fait  au 
pavillon  français.  Aux  ambassadeurs  portugais  venus  pour 
se  plaindre,  François  I"  aurait  répondu  :  »  (^e  n'est  pas 
moi  qui  vous  fais  la  jfuerre,  mais  Ango:  arrangez-vous 
avec  lui    i  .  » 


(Coleccion  de  doc.  ined.  de  las  ant'ujuas  posesiones   c^jji.uolas  de  Aincricu, 
i"=  série,  t.  XLII.  p.  44). 

(1)  F.  Palha,  p.  97,  doc.  X  à  XIX.  —  G.^if.vull,  Jcua  Ango,  dans  le 
Bull,  de  la  Soc.  nonnande  de  géoqr.  (1889),  p.  311. 

(2)  Procès  de  Chabot  (H.  N.,  Franc.  3873,  fol.  9  v  ). 

(3)  F.  Palha.  A  carta  de  inarca  de  Joûo  Ango  :  trad.  par  1\.  FnAsciSQri:- 
MiCUEL,  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  nonnande  de  qeoijr.  (1889),  p.  380. 

(4)  AssKLiNE,  Antiquités  de  Dieppe,  t.  I,  p.  240.  —  <li:iuEi\r,  Mémoires 
pour...  Dieppe,  t.  I,  p.  40.  — Dksmaroikjs,  Mémoires  chronologiques,  t.  I, 
p.  108. 


LA    LIBERTK    DES    MERS.  285 

La  vénalité  de  Tamiral  de  France  avait  eu,  par  malheur, 
une  conséquence  désastreuse  pour  notre  marine,  pour 
notre  commerce,  pour  l'expansion  même  de  la  France.  En 
août  1531,  Chabot  reconnut  les  prétentions  exorbitantes 
des  Portugais  eL  de  sa  propre  autorité,  interdit  toute  navi- 
jjation  vers  leuis  colonies  :  le  Brésil,  la  Guinée  et  les 
Indes.  A  Rouen,  à  Honfleur,  il  mit  l'embargo  sur  les 
navires  en  partance,  que  lui  signalaient  les  espions  de 
létranger  (1).  Les  Normands  étaient  furieux  de  perdre,  en 
un  moment,  le  fruit  de  leurs  efforts  :  telle  était  leur  exas- 
pération, qu'un  des  policiers  dont  j'ai  parlé  écrivait  de 
Rouen  :  u  Si  on  me  savait  Portugais  circulant  ici,  on  me 
tuei'ait  (:2j .  " 

Les  armateurs  normands  avaient  envoyé  une  délégation 
à  la  Cour,  afin  de  faire  lever  l'embargo.  Ils  obtinrent  gain 
de  cause,  mais  à  la  condition  de  ne  point  fréquenter  les 
possessions  portugaises  et  de  ne  point  dépasser  les  îles  du 
Cap-Vert!  Esprit  indécis,  François  I",  pour  ne  point  désa- 
vouer son  amiral,  qu'il  croyait  fidèle,  abandonnait  la  thèse 
(h-  la  liberté  des  mers  qu'il  avait  lui-même  proclamée. 
Mais,  par  une  sorte  de  honte,  il  hésita  pendant  plusieurs 
années  à  contresigner  l'interdiction  formulée  par  1  amiral. 

C'est  que  Chabot  rencontrait,  parmi  les  armateurs  nor- 
mands et  surtout  chez  Ango,  qui  rêvait  de  donner  à  la 
France  un  empire  colonial  au  Brésil,  une  très  vive  résis- 
tance. «  Si  le  roi  voulait  lâcher  la  bride  aux  négociants 
français,  écrivait  un  pilote  d'Ango,  en  moins  de  quatre  ou 
cinq  ans  ceux-ci  lui  auraient  conquis  1  amitié  et  assuré 
l'obéissance  des    indigènes  brésiliens,   sans    autres  armes 

(1)  Embargo  .sui-  V  navires  de  Honfleur  et  6  de  Rouen  en  partance  pour 
la  Guinée  et  le  Brésil.  ^Novembre  1531  (Torre  do  Tombo,  Corpo  clnoiwlo- 
(/ico,  P.  I,  liasse  49,  doc.  33.  —  Archives  de  Ilouen,  A  13,  fol.  153  v°.  — 
GuKsix,  p.  198). 

(2)  Rapport  daté  de  Rouen,  27  sept.  1531  (Torre  do  Toinbo,  Coipo  chro- 
twlogico,  P.  I,  liasse  47,  doc.  61). 


286  HISTOIRE    DE    LA    MARINK    FRANÇAISE. 

que  la  persuasion  et  les  bons  procédés  (1).  "  Et  en  dépit 
de  la  défense  réitérée  (2)  de  l'amiral,  l'armateur  dieppois 
continua  imperturbablement  ses  armements  pour  les  côtes 
du  Brésil  et  de  la  Guinée. 

Démontés  par  cet  aplomb,  les  agents  portugais  étaient 
assez  perplexes  sur  la  ligne  de  conduite  à  suivre  :  «  Ache- 
tons quatre  des  navires  d'Ango,  c'est  le  seul  moyen  de 
supprimer  une  concurrence  gênante,  "  disait  l'un  d'eux. 
—  «  Coulez-les  à  leur  arrivée  dans  nos  possessions,  écri- 
vait un  autre;  pas  un  marchand  ne  voudra  plus  armer 
pour  cette  destination,  si  on  ne  voit  rien  revenir;  que  les 
navires  reviennent  sains  et  saufs,  au  contraire,  notre  trafic 
en  poivre  de  Malaguette  est  perdu  (3).  " 

La  Cour  de  Lisbonne  n'était  que  trop  portée  à  écouter 
les  conseils  violents  :  la  dernière  opinion  prévalut  près 
d'elle.  Quand  la  nef  d'Ango  la  Michelle,  après  avoir 
embarqué  en  Guinée  du  poivre,  du  musc,  des  défenses 
d'éléphants  et  une  petite  ménagerie,  toucha  au  Brésil,  au 
havre  d'  «  Aster  n,  povir  achever  sa  cargaison,  elle  fut 
cernée  par  une  escadre  portugaise  et  capturée  après  un 
vif  combat.  Le  même  sort  attendait  deux  autres  vaisseaux 
d'Ango,  l'un  de  300  tonneaux,  l'autre  de  70,  l'Alouette  et  la 
Musette^  qui  furent  attaqués  dans  le  golfe  de  Guinée,  le 
27  octobre  1532.  L  Alouette  parvint  à  se  dégager;  mais  elle 
ne  réussit  pointa  atterrir  au- Brésil  et  dut  battre  en  retraite, 
trouée  par  les  boulets,  devant  une  seconde  flotte  lusita- 
nienne (4). 


(1)  [CniGXON],  dans  Ramusio,  t.   III,  p.  352. 

(2)  28  juin  1532  (Torre  do  Tombo,  Co?po  chronologico,  P.  I,  liasse  57, 
doc.  4). 

(3)  Lettre  de  Gaspard  Vaz.  19  octobre  1531  (Torre  do  TomI)o,  Corpo 
chionologico,  P.  I,  liasse  47,  doc.  75.  —  Gukmx,  p.  197j.  —  Lettre  du 
docteur  Gouvea,  18  nov.  1531  Çlhideni). 

(4)  Lettres  de  marque   de  François  I"  relatant  ces   faits.    3   février   1544 
Publiées  par  M.  Guknix,  p.  149;. 


LA    LIBERTÉ    DES    MERS.  287 

Sommé  de  rendre  justice  à  Tarmateur  dieppois,  le  roi  de 
Portugal  ne  répondit  que  par  des  "  dissimulations  et  lon- 
gueurs équippolans  à  ung  reffus  "  ,  observait  plus  tard 
François  I"  (1).  C'était  apprécier  admirablement  la  diplo- 
matie portugaise,  dont  l'un  des  représentants  les  plus 
autorisés  avait  érigé  en  principe  que,  "  dans  les  rapports 
avec  les  Français,  pkis  on  peut  remettre  et  dissimuler, 
plus  cela  peut  être  utile  (2)  »  . 

Et  de  fait,  elle  avait  mis  l'armateur  normand  en  fâcheuse 
posture.  Ango  ne  se  trouvait  point  seulement  aux  prises 
avec  les  flottes  de  guerre  portugaises;  il  avait  maille  à  par- 
tir avec  l'amirauté,  pour  avoir  contrevenu  à  l'ordonnance 
qui  défendait  toute  navigation  au  delà  de  l'arcbipel  du 
Cap-Vert.  Contre  l'amiral,  il  eut  recours  au  connétable  :  à 
l'arbitraire,  il  opposa  le  droit  des  gens,  disant  (jiie  ses 
vaisseaux  revenaient  d'un  lieu  «  où  onsqvies  chrestien 
n'estoit  ancores  allé  (3)  !  n 


VU 

UNE    RASE    NAVALE   AU    MAROC 

Il  fit  mieux.  Et  ce  fut  porter  aux  Portugais  un  coup  droit 
que  de  lier  partie  avec  leurs  ennemis  héréditaires,  les  ché- 
rifs  marocains,  pour  obtenir  un  point  d'appui  sur  la  côte 
maghrébine. 

Au  lendemain  des  attentats  contre  les  navires  d'Ango,  le 
18  février  1533,  le  roi  faisait  verser  dix  mille  livres  à 
l'amiral,  avec  ordre  d'expédier  une  escadre  en  pays  barba- 

(1)  Lettres  de  marque  citées  {Ihidcin.  —  GuÉMX,  p.  151). 

(2)  Lettre  de  Gaspar  Vaz.  19  octobre  1531  (GuÉ.mn,  p.  197,  analyse  ; 
B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  9386,  copie). 

(3)  Requête  adressée,  en  1534,  au  connétable  de  Montmorency  {Vente  de 
la  collection  David.  Paris,  1856.  —  Guémn,  p.  199). 


288  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

rcsqucs  (Ij.  L'escadre,  réduite  à  la  seule  galéasse  Saint- 
Pieire^  de  vingt-huit  canons,  embarqua  comme  ambassa- 
deur un  vieux  routier  des  guerres  d'Italie,  ancien  colonel 
d'aventuriers  franco-gascons  (i),  et  comme  capitaine  de 
vaisseau  un  des  Savonais  venus  au  Havre  diriger  nos  cons- 
tructions navales.  Faute  de  déterminer  nettement  la  situa- 
tion respective  du  colonel  l*ierre  de  Piton  et  du  capitaine 
IJattista  Auxilia,  qui,  étant  de  grade  égal,  pouvaient  se 
croire  égaux,  François  I"  fut  la  cause  premièi'C  d'un  drame 
poignant. 

Les  présents  qu'ils  emportaient  pour  le  souverain  du 
Maghreb  (3)  étaient  «  choses  exquises  :  monstres  dorées, 
petites  orloges  sonnantes  les  heures,  estuictz  dorez  de 
peignes  d'ivoire,  javelines  du  Brésil,  les  ferlz  dorez  et 
enrichis  de  perles.  " 

Le  voyage  fut  des  plus  orageux  (i).  Entre  les  deux  chefs, 
la  rivalité  éclata  dès  qu'on  fut  en  mer.  Parti  le  25  mai  de 
Honfleur,  le  Saiiit-Piei're  passait  par  le  travers  du  cap  Finis- 
terre  en  Espagne  quand  la  vigie  signala  deux  voiles  qui 
venaient  du  sud,  a  de  Candve  "  ,  déclare  dans  son  rapport 
le  colonel  Piton,  assez  peu  familiarisé  avec  la  géographie 

(1)  R.  N.,  Franc.  15628,  n"  461.  —  Mille  livres  furent  en  sus  versées  à 
l'iton  pour  son  voyage  à  Fez  et  pour  l'achat  d'aniuiaux  exotiques,  i"  avril 
1533  (B.  N.,  Franc.  15629,  fol.  29). 

(2)  Il  était  »  colonne!  des  atlvanturiers  "  ,  ou  u  chevalier,  chef  et  cappi- 
taine  général  de  mil  hommes  de  guerre  à  pic,  advanturiers  francois  et  gas- 
cons, estans  soubs  quatre  cappitaines  particuliers  et  quatre  enseignes.  » 
Quittance  de  Piton  en  date  du  26  avril  1529  ;^B.  iN\.  Pièces  orig.,  vol.  2292, 
doss.  de  Piton,  p.  2). 

(3)  I^a  liste  en  a  été  conservée  (B.  IN'.,  Moreau  770,  fol.  30). 

(4)  Le  voyage  du  Maroc  nous  est  connu  par  la  relation  que  Piton  écri- 
vit, moribond,  durant  la  traversée  de  retour  à  Bavona  de  Mior,  près  de 
Vigo,  en  septembre  1533  (B.  N.,  Moreau  737,  fol.  72,  orig.),  et  par  la 
délation  du  déserteur  Auxilia,  qui  révéla  tout  aux  Portugais  et  dont  l'in- 
terrogatoire, en  portuf^ais,  est  conservé  aux  Archives  nationales  K  1483, 
p.  87.  —  Ces  pièces  m'ont  fourni  le  sujetd'un  article  :  La  Piemicre  mission 
française  au  Maroc,  paru  dans  le  Correspondant  du  25  juin  1901.  Elles 
ont  été  publiées  par  le  comte  II.  dk  Castiuks,  les  Sources  inédites  de  l'Iiis- 
toirc  du  Maroc.  Paris,  1905,  gr.  in-8",  t.  I,  1"^  partie,  p.   1. 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  289 

pour  confondre  Candie  avec  Cadix.  On  avait  eu  avis,  en 
cours  de  route,  que  des  croiseurs  portujTais  guettaient  la 
galéasse.  Les  deux  voiles  suspectes  arrivaient  effectivement 
en  droite  ligne  sur  elle;  on  pouvait  distinguer  à  leur  bord 
les  préparatifs  d'un  branle-bas. 

Au  lieu  de  se  mettre  en  état  de  défense,  Auxilia  vint, 
blême  de  terreur,  trouver  l'ambassadeur  et  proposa  de 
prendre  la  fuite,  disant  «  qu'on  lui  gasteroit  son  navire  " 
par  un  combat.  Pour  toute  réponse.  Piton  prit  le  capitaine 
par  les  épaules  et  le  poussa  hors  du  gaillard  d'arrière,  qui 
était  le  poste  du  commandant.  Puis  comme  l'escadrille  sus- 
pecte se  rapprochait  de  façon  à  le  cerner,  il  cria  :  «  Qui 
vive?  "  A  vrai  dire,  il  n'était  rien  moins  que  rassuré  sur 
l'issue  de  l'affaire  :  des  cent  quarante  hommes  de  l'équi- 
page, une  quinzaine  à  peine  étaient  de  vieux  loups  de  mer 
à  toute  épreuve,  le  reste  se  composait  «  de  jeunes  garsons 
à  trente  solz.  "  La  situation  devenait  critique,  quand  de 
l'autre  bord,  une  voix  amie  répondit  :  "  Anglais!  "  Et  ce 
fut,  au  lieu  de  boulets,  des  saints  qui  de  part  et  d'autre 
s'échangèrent. 

Près  d'Arsile,  Auxilia  vira  de  bord  sous  prétexte  d'éviter 
un  écueil  :  d'écueil,  il  n'était  point  trace  sur  la  carte 
marine;  le  prudent  capitaine  avait  simplement  esquivé 
ainsi  la  rencontre  d'une  caravelle  portugaise.  Arrivé  à 
Larache,  tandis  que  l'ambassadeur  s'apprêtait  à  gagner 
le  camp  royal,  le  Savonais,  toujours  couard,  le  dénigra  par 
derrière.  Piton  le  sut,  s'emporta  et  souffleta  le  misé- 
rable. 

Le  bouillant  colonel  d'aventuriers  reprenait  en  lui  le 
dessus  sur  l'ambassadeur.  Ne  parlait-il  pas  d'enlever,  avec 
quatre  cents  arquebusiers,  la  smalah  royale  et,  avec  sept 
mille  hommes,  de  conquérir  le  royaume  de  Fez.  Ces  consi- 
dérations stratégiques  ne  l'empéchèreiit  pas  de  mener  à 
bonne  fin  sa  mission  :  il  obtint,  par  un  firman  d'Ahmed- 
"i.  i:) 


290  HISTOIRK   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

el-Oatés  (1),  des  points  de  relâche  au  Maroc  pour  nos  vais- 
seaux, quels  qu'ils  fussent,  "  soit  marchand,  soit  navire  de 
guerre,  soit  corsère  » . 

Rendons  toutefois  justice  au  véritable  promoteur  de  la 
mission  diplomatique.  Durant  Fhiver  de  l'année  précédente, 
un  chevalier  portugais,  prisonnier  de  guerre  à  Fez,  avait 
vu  arriver  dans  cette  ville  devix  Français,  qui  semblaient 
faire  métier  d'acheter  des  plumes  d'autruche.  Ils  prépa- 
raient les  voies  à  nos  plénipotentiaires,  et,  en  1533,  l'un 
d'eux,  Hamon  de  Molon,  revenait  avec  Piton. 

Le  retour  en  France  fut  tragique.  Le  capitaine  Auxilia 
avait  déserté  et  passé  aux  Portugais  :  six  de  leui's  caravelles 
étaient  embusquées  sur  notre  route;  la  peste  était  à  bord 
du  Saint-Pierre.  Il  parvint  néanmoins  à  bon  port,  rappor- 
tant la  relation  que  le  colonel,  moribond,  avait  écrite  en 
cours  de  route  et  les  présents  d'Ahmed-el-Oatés,  un  haras, 
des  lions,  des  lévriers  et  des  autruches  (;2).  L'amiral  Chabot 
commit  une  nouvelle  monstruosité  :  le  déserteur,  le  traître 
fut  récompensé  (3),  tandis  que  le  serviteur  de  Piton,  dépo- 
sitaire des  secrets  de  son  maître,  était  incarcéré  (4). 


VIII 

LA    COURSE   déchaînée 

Mais  en  dépit  de  l'amiral,  les  Portugais  furent  châtiés, 
peut-être  parce  qu'ils  avaient  cru  le  grand  maître  Montmo- 

(1)  21  de  mohairem  940-13  août  1533  (Ministère  des  affaires  étrangères, 
Maroc,  I,  fol.  6  :  comte  de  Castries,  p.  8). 

(2)  Qui  furent   logés   à    l'hôtel   des   Tournelles,   à   Paris    (B.    N.,    Franc. 
15629,  n°367). 

(3)  Le  27  janvier  1531l',  Auxilia  touchait  225  livres  pour  avoir  conduit  au 
Maroc  le  feu  capitaine  Piton  (B.  N.,  Franc.   15629,  n°  562). 

(4)  Il  s'appelait  Le  Normant.  Lettre  du   vice-amiral  de   La  Meilleraye  à 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  291 

rency  et  le  chancelier  Du  Prat  accessibles  comme  l'amiral 
à  la  vénalité  (1).  Dans  les  leltrcs  de  marque  qu'il  délivra 
contre  eux  en  novembre  1533,  François  I"  affirmait,  une 
fois  de  plus,  la  liberté  pour  tous  "  de  naviguer  sur  la  mer 
commune  (2)  v  .  C'était  la  thèse  des  armateurs  normands  : 
deux  d'entre  eux,  Guillaume  d'Agincourt  et  Simon  Huet, 
avaient  déjà  armé  trois  ou  quatre  navires  pour  l'Afrique  et 
l'Amérique  du  Sud  (3).  Le  roi  lui-même  donna  l'exemple 
en  dépéchant  au  Brésil  le  galion  le  Saint-Philippe.  A  la 
curiosité  qu'il  nourrissait  pour  les  bêtes  exotiques  et  que 
le  vice-amiral  de  La  Meilleraye,  par  exemple,  savait  satis- 
faire en  lui  offrant  un  mouton  des  Indes  (4),  se  joignait, 
pour  le  malheureux  avarié,  un  urgent  besoin  de  certain 
baume  des  forêts  américaines.  Je  ne  vois  pas  d'autre  objet 
aux  missions  secrètes  et  répétées  du  capitaine  Jean  Bel- 
langer  de  Discrets  au  Brésil,  suivies  chaque  fois  d'un 
retour  à  Paris  avec  sa  cargaison  de  bois  (5).  Lors  d'un 
séjour  à  La  Rochelle,  le  roi  acquit  de  corsaires  nor- 
mands leur  butin  et,  entre  autres,  du  «  gayat  ou  palme 
saincte  "   [iî). 

Chabot,  une  fois  de  plus,  vint  à  la  rescousse  des  Portu- 
gais, avec  d'autant  plus  d'autorité  que  la  renonciation  du 

l'amiral  Chabot.  La  Meilleraye,  10  décembre  lôSo  (B.  N.,  Moreau 
774,  fol.  312). 

(1)  Joào  III,  en  1533,  envoyait  Bernardini  de  ïavora  en  France  avec  la 
mission  secrète  d'offrir  4,000  cruzades  par  an  à  l'amiral,  au  grand  maitre  et 
au  chancelier  pour  mettre  obstacle  à  de  nouvelles  lettres  de  marque 
(Pauia  :  11.  Fhascisque-Michel,  p.  380). 

(2)  B.  N.,  Franc.  5503,  fol.  65. 

(3)  B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  41  :  procès  de  Chabot.  Ils  durent  s'obliger, 
le  19  mai  1533,  à  remettre  à  l'amiral  tout  le  brésil  qu'ils  rapporteraient 
(ISAMBERT,  Recueil  des  anciennes  lois  françaises,  t.  XII,  p.  726). 

(4)  Vers  1538  [Catalogue  des  archives  de  M.  le  baron  de  Joursanvault, 
t.  I,  p.  152). 

(5)  Biserets  était  de  retour  du  Brésil  en  mai  1534  (^Catalogue  des  actes 
de  François  I",  t.  VII,  p.  773),  en  février  1539  (Archives  nat.,  J  962, 
p.  16,  n°  17  :  B.  N.,  Clairambault  1215,  fol.  73). 

(6)  1"  janvier  1543  (^Cronique  du  roj  Françoys  T",  éd.  Guiffrey,  p.  421). 


292  HISTOIRE    DE   LA   MARINE   FRANÇAISE. 

roi  de  Navarre  à  l'office  d'amiral  de  Guyenne  (l)  étendait 
les  limites  de  son  ressort  à  toutes  nos  côtes  du  Ponant.  De 
nouveaux  pots-de-vin  de  quinze  et  seize  mille  écus  verses 
par  le  Portugal,  la  promesse  d'une  pension  annuelle  de 
quatre  mille  cruzades  (2)  lui  avaient  donné  une  éloquence 
communicative,  qui  finit  par  convaincre  le  roi  :  il  obtint  la 
sanction  d'une  politique  néfaste.  Toute  attaque  contre  les 
navires  portugais  venant  des  Indes  fut  prohibée,  nos  cor- 
saires punis  comme  pirates  (3).  Puis,  les  navigations  aux 
possessions  portugaises  d'outre-mer  furent  elles-mêmes 
interdites  par  des  patentes  qu'il  fallut  renouveler  de 
semestre  en  semestre,  —  en  mai  et  août  1537  (-4),  en  sep- 
tembre et  décembre  1538  (5),  en  janvier  1539  (6),  — 
tant  les  Etats  de  Normandie,  le  parlement  et  la  municipa- 
lité de  Rouen  opposaient  de  résistance  aux  injonctions 
royales. 

Les  Portugais,  de  leur  côté,  pensèrent  nous  intimider 
par  l'appréhension  d'horribles  supplices.  Voici  quelles 
tortures  ils  imaginèrent  pour  l'équipage  du  Petit-Lion  de 
Dieppe,  capturé  aux  Açores  en  1537.  Aux  officiers,  ils 
firent  subir  la  cale  humide,  c'est-à-dire  la  chute  du  haut 
des  mats  dans  la  mer,  puis  l'estrapade  et  enfin  le  garrot, 
mais  quel  garrot!  Un  nœud  coulant  garni  de  clous  ser- 
rait la  tête  avec  une  telle  violence  que  les  yeux  sortaient 

(1)  En  faveur  de  Chabot.  11  février  1533  (B.  N.,  Franc.  15628,  fol.  106). 

(2)  Palua,   Carta  de  vun-ca. 

(3)  Lettres-patentes  du  26  août.  1536  (Archives  de  Lisbonne,  Torre  do 
Torabo,  Corpo  chtouoloqico,  Part.  I,  liasse  57,  doc.  94). 

(4)  British  Muséum,  nis.  Cotton,  Nero  B  1,  fol.  69,  J02. 

(5)  22  décembre  1538  (Gaffauel,  Jean  Ançjo,  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  normande  de  géographie  (1889),  p.  250). 

(6)  Mandement  au  parlement  de  Rouen  contenant  lesdites  défenses. 
25  janvier  1539  [Catalogue  des  actes  de  François  J'%  t.  YIII,  p.  681).  — 
Une  liste  de  ces  patentes,  avec  renvoi  aux  «  éthicquettes  «  qu'elles  portaient 
«  aux  garderobbes  des  chartres  de  France  >> ,  fut  adressée  au  chancelier  par 
Nicot,  notre  ambassadeur  en  Portugal,  le  12  décembre  1559.  Nicot  en 
poursuivait  la  révocation  (B.  N,,  N.  acq.  franc.  6638,  fol.  82). 


LA   LIBERTÉ    DES    MERS.  293 

des  orbites.  Les  victimes  une.  fois  jetées  dans  la  cale  avec 
l'équipage,  les  panneaux  du  tillac  furent  cloués  et  le  Petit- 
Lion  fut  criblé  de  boulets  jusqu'à  ce  qu'il  disparût  dans 
l'abîme  (1) , 

Chabot,  de  son  côté,  fentaitde  faire  respecter  les  étranges 
prohibitions  obtenues  de  la  faiblesse  royale.  Mais  l'hypo- 
crite ne  pouvait  calmer  la  fureur  que  soulevait  son  étrange 
condescendance  pour  les  prétentions  portugaises;  on  peut 
en  jnger  par  un  incident  survenu  au  Croisic.  Deux  cor- 
saires de  l'endroit,  les  frères  Vian,  plus  connus  des  marins 
sous  les  sobriquets  de  Pradict  et  Turegal,  avaient  été  con- 
damnés pour  pirateries  contre  des  Portugais.  Quand  vin- 
l'ent  les  exempts,  la  population  du  Croisic  se  souleva  en 
masse  :  pour  que  force  restât  à  la  loi,  il  fallut  mobiliser 
les  sénéchaux  de  Guérande  et  de  Nantes,  des  conseillers 
du  Parlement,  au  besoin  même  le  gouverneur  de  la  pro- 
vince (2). 

Avec  les  Portugais,  avaient  lié  partie  les  Espagnols;  ils 
tâchaient,  eux  aussi,  de  nous  interdire  l'accès  des  Indes, 
soit  en  refusant  de  relaxer  ceux  de  nos  compatriotes  qui 
connaissaient  les  parages  américains  (3),  soit  en  arrêtant 
les  pilotes,  Juan  Sanchez  de  Biscaie,  par  exemple,  qui 
offraient  de  passer  à  notre  service  (4).  Mais  quelle  digue 
résiste  à  des  appétits  déchaînés  par  l'espoir  de  fabuleux 
prolits  !  A  bord  d'une  seule  prise  en  provenance  d'Amérique, 
nos  corsaires  n'avaient-ils  pas  trouvé  la  somme,  énorme 
pour  l'époque,  de  cent  mille  douros   (5),  deux  cent  mille 

(1)  Lettres  de  marque  relatant  le  supplice.  14  juillet  ISii  (GuÉxin, 
p.  236). 

(2)  Lettres  de  François  I",  29  février  1540  (B.  N.,  Franc.  5503,  fol.  161- 
162). 

(3)  Lettres  de  Cliarles-Quint,  28  juin  1536  (Archives  de  Scville,  Coiisejn 
(le  Iiidiax,  est.  143,  cajon  3,  legajo  11  :  Communication  de  M.  Biggar). 

(4)  Séville,  11  décembre  1537  (^Coleccion  de  dociimeiitos  incditos...  de 
las  antiçfuas  posesiones  e.ipaiwlas  de  Amei-ica,  t.  XLII,  p.  535). 

(5)  1536  (F.  DuRO,  Armada  espahola,  t.  I,  p.  246). 


204  HISTOIRE    DE   LA   MARINE   FRANÇAISE. 

écus  (1)  !  Et  l'on  vit,  en  décembre  1536,  près  de  La  Havane, 
ce  spectacle  étrange  :  une  petite  pa tache  française,  canonnée 
pendant  trois  jours  par  trois  vaisseaux  espagnols,  prendre 
l'offensive  et  détruire  ou  capturer  tous  ses  adversaires  (2). 
Vingt-huit  hommes  avec  huit  pièces  de  canon,  tel  était 
l'armement  d'un  de  ces  petits  navires,  la  Ferronnière  de 
Dieppe,  qui  ne  craignait  pas  de  s'aventurer  avec  des  bâti- 
ments plus  minuscules  encore,  la  Bonne- Aventure ^  de  Ircnte- 
cinq  tonneaux,  et  la  Docline,  sur  la  route  des  galions  du 
Pérou  (3). 

Cette  année-là,  en  1537,  nos  corsaires s'étaientrassemblés 
en  escadres  pour  tomber  sus  aux  convois  des  Indes.  Comme 
il  y  avait  parmi  eux  de  nom])reux  navires  dieppois,  on 
peut  légitimement  attribuer  au  grand  armateur  Ango  le 
plan  de  la  campagne,  la  formation  des  croiseurs  en  une 
longue  chaîne  depuis  le  cap  Saint-Vincent  jusqu'aux 
Antilles.  L'arrière-garde  surveillait  les  abords  de  Séville,et 
telle  était  la  barbarie  de  l'époque  que  nos  marins  coupaient 
le  nez  à  leurs  prisonniers,  en  criant  ironiquement  :  "  Eter- 
nuez  l'or  (•4)  !  "  Le  gros  de  la  flotte,  une  douzaine  de  navires, 
lance  à  la  poursuite  du  général  Nunez,  qui  était  parti  en 
février  pour  Saint-Domingue,  lui  enlevait  au  large  des 
Canaries,  neuf  bâtiments.  D'autres  voiles,  le  Petù-Lioupar 
exemple,  étaient  en  embuscade  plus  loin,  aux  Açores  :  et 
l'on  ne  savait,  aux  Antilles  et  dans  les  colonies  de  terre 


(1)  Martin  Du  Bellay,  Mémoires,  dans  la  collection  Michaud  et  Pou- 
joulat,  1"  série,  t.  V,  p.  436. 

(2)  Coleccion  de  clocinnciitos  incdilos...  de  America,  2*^  série,  t.  IV, 
p.  426. 

(3)  Ces  trois  petits  bâtiments  enlevèrent  en  1537  deux  vaisseaux  espagnols 
revenant  du  I^érou,  c'est-à-dire  de  l'Amérique  centrale,  charges  de  lingots 
d'or  (GossEUX,  Documents  pour...  l'histoire  de  la  marine  normande, 
p.  80). 

(4)  F.  DuRO,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  426.  —  11  fallut  armer,  on  1537, 
quatre  garde-côtes  espagnols  pour  défendre  les  rivages  des  Asturies  contre 
nos  pirates  (Coleccion  de  Simancas  à  Simancas,  arliculo  3,  n"  69). 


LA   LIBERTÉ   DES    MERS.  295 

ferme,  où  porteraient  nos  coups.  La  terreur  y  était  à  son 
comble  :  tel  croyait  le  Honduras  menacé  d'une  attaque  (1). 
De  Saint-Domingue,  tel  autre  écrivait  à  l'empereur  qu'une 
expédition  française  de  sept  nefs  et  deux  galiotes  se  diri- 
geait contre  le  port,  lieu  de  rendez-vous,  cette  année-là, 
des  convois  du  Nouveau  Monde.  Aussi  quelle  ne  fut  pas 
l'épouvante  des  insulaires  à  l'apparition  d'une  escadre! 
Rassemblés  en  un  instant  par  le  tocsin,  cent  soixante-dix 
cavaliers  et  cinq  cents  piétons  accoururent  sur  le  rivage... 
L'escadre  suspecte  enfin  hissa  ses  couleurs  :  au  lieu  de 
l'ennemi  redouté,  c'était  le  capitaine  Perea  avec  des  ren- 
forts. 

Miguel  Perea,  à  la  tête  de  trois  vaisseaux,  venait  de 
livrer  bataille  à  une  escadre  française  qui  avait  capturé 
deux  galions  des  Indes.  Le  combat,  long  et  sanglant,  s'était 
terminé  par  la  mort  de  l'amiral  français,  que  les  textes  espa- 
gnols appellent  »  M.  May  Get,  senor  de  Roubost.  »  Deux 
de  nos  bâtiments,  en  sus  des  prises,  étaient  tombés  au  pou- 
voir de  Perea  (2). 

Alarmés  malgré  tout,  les  insulaires  des  Antilles  récla- 
maient l'établissement  d'une  croisière  permanente  de  trois 
caravelles  blindées  (3). 

Les  exploits  de  cent  cinquante  Gascons,  avec  une  simple 
nef  et  vine  patachc  de  Rayonne,  ne  la  justifiaient  que  trop. 
Depuis  le  mois  d'octobre  1537,  les  Gascons  semaient  la 
terreur  d'île  en  île.  La  Yaguana,  Puerto  Hermoso,  Ocoa, 
non  loin  de  Saint-Domingue,  La  Havane  avaient  été  suc- 
cessivement  saccagés  par   eux.   Seul,    San-German,    dans 

(1)  Lettre  de  Diego  Garcia,  de  Celis  de  Honduras,  3  mai  1537  (Archives 
des  Indes  à  Séville,  Patronato  real,  est.  2,  cajon  5,  1/22;  Catalogo,  t.  II, 
p.  5  :  communication  de  M.  Biggar). 

(2)  F.  DuRO,  Armada  espaùola,  t.  I,  p.  207. 

(3)  Lettre  de  Diego  de  Caballero  à  Charles-Quint.  Saint-Domingue, 
20  décembre  1537  [Coleccion  de  documentas  inédites...  de  America, 
t.  XLII,  p.  152). 


296  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

l'île  de  Porlo-Rico,  opposa  aux  quatre-vingts  hommes  qui 
débarquèrent,  une  énergique  résistance.  Santiago  de  Cuba 
ne  fut  sauvé,  le  -4  avril  1538,  que  parla  valeur  du  capitaine 
de  la  Madalena ^  Diego  Pérez,  de  Séville,  qui  barra  la  route 
aux  assaillants;  puis,  embusqué  au  milieu  des  arbustes  du 
môle  pour  se  garer  des  boulets,  Pérez  joignit  son  feu  à 
celui  d'une  batterie  de  deux  pièces  qui  défendait  l'étroit 
goulet.  Après  un  vigoureux  duel  d'artillerie,  les  Gascons  à 
minuit  abandonnèrent  l'attaque  (1). 

A  ces  hauts  faits,  la  trêve  de  Nice,  en  1538,  mit  un  terme, 
et  l'on  ne  vit  que  de  loin  en  loin  paraître  aux  Antilles 
quelque  corsaire  attardé  (2). 


IX 

MARE  APERTUM  —  MARE  CLAUSUM 

Mais  le  corsaire  pouvait-il  se  muer,  aux  Indes,  en  paci- 
fique marchand?  La  question  restait  en  svispens.  Du 
principe  de  la  liberté  des  mers  ou  de  la  thèse  hispano- 
portugaise  du  monopole  commercial,  on  ne  savait  qui 
l'emporterait  à  la  Gourde  France,  chacune  des  théories  en 
présence  ayant  ses  partisans;  la  lutte  entre  eux  finit  de 
façon  poignante.  Les  adversaires  étaient,  sauf  un,  les 
mêmes  :  l'ambassadeur  de  Portugal  et  le  syndicat  des 
armateurs  rouennais;  Ango,  que  sa  charge  nouvelle  de 
lieutenant  de  l'amiral  (3)  empêchait  d'agir  contre  son  chef. 


(1)  DtJCÉnÉ,  les  Corsaires  bayonnais,  p.  346. —  Coleccioii  de  docunientos 
incditos...  de  America,  2'' série,  t.  III,  p.   23,  et  i""  série,  l.  XLII,  p.  152. 

(2)  En  1539,  un  corsaire  français  est  capture  à  La  Havane;  en  1540,  un 
autre  corsaire  saccage  San-Gernian  (Collection  Muîïoz  à  Madrid,  t.  82, 
fol.  142  v°,  149). 

(3)  FIkllot,  Jean  Ango  cl  sa  famille,  p.  5. 


LA   LIBERTÉ    DES    MERS.  297 

ne  dirigeait  plus  le  combat,  tout  en  restant  associé  aux 
revendications  de  ses  collègues. 

Déjà,  l'ambassadeur  triomphait.  Une  supplique  du  syn- 
dicat, soutenue  par  tous  les  marchands  de  Rouen,  avait 
échoué  (l)  :  les  prohibitions  royales  d'aller  au  Brésil  et  en 
Guinée  n'avaient  été  que  plus  dures  et  plus  formelles  (:2), 
quand  se  prodviisit  un  coup  de  théâtre.  L'amiral  Chabot 
était  arrêté  pour  ses  concussions,  les  machinations  de 
l'agent  portugais  percées  à  jour  et  les  rôles  renversés  ins- 
tantanément. Le  13  novembre  1540,  la  défense  d'aller  au 
Brésil  et  à  la  côte  de  Malaguette  était  rapportée,  el  ce,  à  la 
requête  des  marchands  (3),  spécifiait  la  novivelle  ordon- 
nance. Et  l'on  vit  neuf  bâtiments  rouennais,  dès  la  saison 
prochaine,  prendre  la  route  jadis  prohibée  (4)  ;  tel  d'entre 
eux,  au  retour,  s'ouvrait  en  Italie  et  ailleurs  un  débouché 
pour  sa  cargaison  de  bois  de  Ijrésil  (5),  qui  s  échangeait  à 
Civita-Yecchia  contre  de  l'alun,  à  Majorque  et  Toulon 
contre  des  huiles. 

Tout  le  mécanisme  économique  des  armements  du  temps 
nous  est  révélé  dans  le  mémoire  où  le  capitaine  Jean  Den- 
nebault,  en  sollicitant  un  congé  de  «  navigation  par  la  mer 
Indicque  " ,  notait  les  relâches  ou  «  bancques  "  de  son 
voyage  (6).  Au  port  de  Manicongue,  au  Congo,  il  comptait 
se  rendre  en  droite  ligne,  sans  atterrir  à  la  côte  de  Mala- 
guette ou  aux  abords  de  la  forteresse  portugaise  d'El  Mina 

(1)  Archives  de  Rouen,  A  14,  fol.  285  v". 

(2)  Elles  furent  signifiées  au  Parlement  de  Rouen  le  25  janvier  1539 
(Archives  nat.,  H  1779,  fol.  319). 

(3)  B.  N.,  Collection  des  \''=  Colhert,  vol.  292,  fol.  70. 

(4)  Les  navires  Pcrriue,  Madeleine,  Espérance,  François,  Marie,  Fleurie,  ^ 
Bonne- Adventure,  Marie  et  I.ojse  armés  à  Rouen  pour  le  Brésil  et  la  , 
Guinée.  1541  (Gossklin,  Documents  pour...  la   marine  normande,  p.  143). 

(5)  Il  sombra  près  de  Brindes  à  son  second  voyage  en  1542  (Naples, 
Archivio  Farnese,  fasc.  712.  Communication  de  M.  Biggar). 

(6)  Mémoire  du  xvi''  siècle,  antérieur  à  la  fondation  de  la  France  Antarc- 
tique (1555)  (B.  N.,  coll.  Moreau  841,  fol.  128). 


298  HISTOIRE    DK    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

Tandis  que  les  nègres  de  la  côte  de  TOr  prisaient  la  quin- 
caillerie, les  naturels  du  Congo  préféraient  la  mercerie,  les 
bonnets,  les  chemises  et  les  draps  rouges,  en  échange  de 
leur  poivre  long  et  des  défenses  d  éléphant.  On  n'allait  plus 
à  Madagascar  s'approvisionner  de  gingembre,  tant  les 
insulaires  étaient  a  de  maulvaise  conversation  d  . 

Du  Congo,  on  —  Dennebault  dans  l'espèce  —  gagnait  le 
Brésil.  A  l'excellente  rade  du  cap  Frio,  les  marins  n'avaient 
point  à  redouter  les  brumes,  et  les  vaisseaux  les  vers.  Le 
cèdre  rouge  odorant,  les  bois  d'ébène,  les  pelleteries  y 
formaient  les  éléments  d'une  riche  cargaison,  qu'on  pou- 
vait compléter,  à  dix  lieues  de  là,  au  port  «  des  Espates  » 
avec  des  sagouins,  du  poivre  et  de  1  or,  si  toutefois  les  sau- 
vages à  pied  de  grue  étaient  abordables.  Dennebault  pen- 
sait aller  plus  loin,  et,  avant  de  regagner  Honfleur  ou  le 
Havre,  charger  à  la  baie  de  Tous-les-Saints  de  1  acajou  et 
du  coton,  des  animaux  exotiques  enfin  dans  le  pays  des 
Tapicouroux,  non  loin  des  terribles  et  intraitaldes  Canni- 
bales. 

A  travers  tous  nos  ports  de  l'Océan,  il  y  avait  comme  un 
frisson  d'allégresse,  un  joyeux  élan  des  navigateurs  vers  les 
terres  nouvelles.  On  armait  partout,  à  Bordeaux  et  à  La 
Rochelle  pour  la  Guinée,  au  Croisic  pour  une  terre  mysté- 
rieuse d'où  les  marins  avaient  déjà  rapporté  des  barres  d'or. 
S'il  n'y  avait  que  deux  navires  équipés  au  Croisic,  et  trois 
en  Guyenne,  Saint-Malo  en  armait  treize,  et  Honfleur  quatre 
pour  la  même  destination  :  le  Canada.  C'était  l'expédition 
de  Jacques  Cartier.  D'autres  marchands  bretons,  associés 
aux  gentilshommes  du  pays,  projetaient  de  fonder  une 
colonie  au  rio  de  la  Plata  et  au  Brésil  :  leurs  quatre  bâti- 
ments devaient  quitter  Morlaix,  Brest  et  Quimper-Gorenlin 
aux  Pâques  fleuries  de  l'an  1541.  Quinze  nefs  dieppoises, 
armées  par  Ango,  étaient  déjà  parties  pour  les  mêmes 
régions;  cinq  autres  allaient  suivre  avec  une  mission  de 


LA   LIBERTE    DES    MERS,  299 

découverte.  Un  grand  pilote,  embarqué  depuis  trois  ans 
avec  la  flotte  espagnole  des  Indes,  devait  passer  à  notre 
service;  et  on  n'attendait  que  le  retour  de  ce  Jean- 
Alexandre,  comme  l'appelaient  les  marins  de  Saint-Pol-de- 
Lion,  pour  lui  confier  le  soin  de  diriger  les  explora- 
teurs (1). 

Sur  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale,  on  lit  la 
signature  :  Jean  Cordier,  —  une  date  :  1544,  —  un  nom  de 
lieu  :  Ilouen.  Ouvrez;  vous  trouverez  toutes  les  notions 
nécessaires  pour  commercer  aux  côtes  d  Afrique  et  d'Amé- 
rique :  un  portulan,  un  dictionnaire  français-brésilien,  un 
dictionnaire  français-guinéen,  une  table  des  marées  et  une 
recetle  pour  la  peinture  des  cartes  marines  (2).  C'était 
l'ap^enda  d'un  membre  du  syndicat  roviennais  qui  commer- 
çait avec  le  Brésil. 

Cordier,  non  plus  que  ses  collègues,  Jean  de  Quinlana- 
doine,  Berthélemy  Laissclay,  Guillaume  et  Pierre  Du  Mou- 
chcl,  Philippe  de  La  Ville,  Joseph  ïasserye,  ne  s'étaient 
endormis  sur  les  lauriers  de  leur  victoire.  Sachant  les 
menées  de  l'ambassadeur  portugais  à  la  Cour,  ils  man- 
dèrent un  délégué  près  du  roi  (3).  François  I"  était  en 
lïutte  aux  plus  étranges  sollicitations  :  comme  prix  de  nou- 
velles prohibitions  d'aller  au  Brésil  et  aux  Indes,  un  cardi- 
nal portugais  n'offrait-il  pas  de  faire  transférer  d'Anvers  à 
Rouen  et  Paris  l'entrepôt  des  épices  :  en  cas  de  refus  du 
roi,  perçait  la  menace  de  mettre  entre  les  mains  de  1  Em- 
pereur tout  le  trafic  portugais  (4). 


(1)  Rapport  de  l'espion  Pedro  de  Santiago  à  l'empereur  Charles-Quint, 
8  avril  1541  (Archives  nat.,  K  1485,  B*  :  Simancas,  Estaclo  Castilln,  leg.  51, 
fol.  17;î). 

(2)  B.  N.,  Français  24269. 

(3)  21  mai  1541  (Archives  de  Rouen,  registre  des  délibérations  de  l'Hôtel 
de  Ville  A  14,  p.  mi). 

(4)  Lettre  de  Pellicier,  ambassadeur  à  Venise,  au  roi.  18  décendjrc  1541 
(B.  N.,  Clairambault  570). 


300  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Ce  n'était  point  vaine  jactance.  Charles-Quint  suivait 
avec  inquiétxide  nos  armements  :  il  en  était  si  furieux  qu  il 
avait  ordonné  à  ses  marins  de  jeter  sans  merci  nos  équi- 
pages par  dessus  bord  (1).  Et,  à  la  suite  d'une  grave  délibé- 
ration du  conseil  des  Indes,  il  avait  lancé  sur  les  traces  de 
Jacques  Cartier  la  caravelle  d'Ares  de  Sea,  pilotée  par  un 
Portugais  (:2).  A  l'empereur,  qui  eût  voulu  obtenir  une 
abdication  complète  de  nos  droits,  que  dis-je,  du  simple 
droit  des  gens,  François  I""  sut  parler  en  roi.  Aux  rodo- 
montades du  grand  commandeur  d'Alcantara,  il  répliquait: 
(I  Est-ce  déclarer  la  guerre  et  contrevenir  à  mon  amitié 
avec  Sa  Majesté  que  d'envoyer  là-bas  mes  navires?  Le  soleil 
luit  pour  moi  comme  pour  les  autres;  je  voudrais  bien  voir 
la  clause  du  testament  d'Adam  qui  m'exclut  du  partage  du 
monde  (3) .  " 

Malgré  ces  déclarations  pacifiques,  le  gouvernement 
impérial  prit  des  mesures  préventives,  en  portant  à  quinze 
cents  hommes  les  équipages  de  la  flotte  qui  partit  en  oc- 
tobre 1541  pour  La  Havane  (4).  Des  compagnies  d'arque- 
busiers, embarquées  en  même  temps,  allaient  tenir  garni- 
son aux  points  les  plus  menacés  :  Nombre  de  Dios,  San 
Juan  de  Porto-Rico,  Saint-Domingue,  La  Havane,  et  au 
bastion  armé  de  quatre  pièces  qui  depuis  peu  défendait 
le  chenal  de  Santiago  de  Cuba.  L'attaque  de  quelques-uns 
de  nos  bâtiments  contre  Curaçao  et  Maracaïbo  dérouta  les 


(1)  Charles-Quint  au  cardinalde  Tolède,  11-13  novembre  1540  (Archives 
de  Simancas,  Estado  Porluqal,  legajo  372,  fol.  6.  Communication  de 
M.  Biggar). 

(2)  José  Torihio  M?;dixa,  Una  expedicinii  espanoln  a  la  ticna  de  los  ba- 
callaos  en  1541.  Santiago  de  Chile,  1896,  petit  in-8".  —  Brr.KiXGHAM-SMiTii, 
Colcccion  de  varias  documciHos  para  la  hisloria  de  la  Florida.  Madrid, 
1857,  in-4°,  t.  I,  p.  107,  109.  —  F.  Duno,  Arca  de  Noé.  Madrid,  1881, 
in-8°,  p.  316. 

(3)  Le  cardinal  de  Tolède  à  l'empereur,  27  janvier  1541  (Archives  de 
Séville,  Estado  Castilla,  legajo  53,  fol.  333). 

(4)  F.  Ddro,  Armada  expahola,  t.   I,  p.  429. 


LA    LIBERTE    DES    MERS.  301 

prévisions  espagnoles  (1).  Et  même  en  vue  de  Porto-Rico, 
une  misérable  patache,  montée  de  trente-cinq  hommes, 
enlevait  une  caravelle,  en  coulait  une  autre  à  Tîle  Mona  et 
s'emparait  à  Portete  d'une  cargaison  de  perles  (2). 

Ce  fut  bien  autre  chose  l'an  d'après,  quand  la  guerre  fut 
déclarée  à  l'Espagne.  On  revit,  en  septembre  1542,  les  for- 
mations d'attaque  adoptées  auparavant  :  une  division  de 
corsaires  en  croisière  au  cap  Saint-Vincent  cueillant  à  une 
lieue  de  Cadix  les  arrivages  du  Mexique  (3)  ;  une  autre  aux 
Açores  et  aux  Canaries,  la  troisième  aux  Antilles  (4).  Les 
corsaires  isolés  ou  en  groupe  infime  succombèrent;  l'un, 
aux  Canaries,  avec  une  nef  et  trois  pataches,  ne  put  soute- 
nir l'attaque  de  Juan  Lopez  de  Isasti  et  du  convoi  des  Indes  ; 
il  fut  pris  avec  soixante-dix  des  siens;  un  autre,  enveloppé 
par  les  garde-côtes  de  Saint-Domingue,  laissa  entre  les 
mains  dcGinès  de  Carriôn  deux  bâtiments  sur  trois  et  qua- 
rante hommes  (5). 

Mais  l'intérêt  de  la  campagne  n'était  point  là.  Le  gros  de 
nos  forces,  loin  de  se  hasarder  dans  les  grandes  Antilles, 
qu'on  savait  bien  défendues,  longeait  les  côtes  du  Vene- 
zuela, explorées  précédemment.  Nos  corsaires  étaient  huit 
cents,  Bayonnais  pour  la  plupart,  en  cinq  nefs  et  une 
patache,  pilotés  par  Juan  Alvarez  de  Séville.  En  juillet,  ils 
brûlaient  le  bourg  de  Gubagua,  dans  l'île  Margarita.  Puis, 
le  16,  cinq  cents  d'entre  eux  pénétraient,  sans  avoir  été 
signalés,  dans  le  port  de  Santa-Marta,  dépouillaient  les 
habitants,  pillaient  les  églises,  brûlaient  les  maisons  etvio- 

(1)  Lettre  du  gouverneur  de  Venezuela  à  Charles-Quint,  18  décembre  1541 
(DucÉnK,  les  Corsaires  bayonnais,  p.  S^Ô). 

(2)  Madrid,  coll.  Munoz,  t.  82,  fol.  213  v». 

(3)  Elle  enleva  seize  bâtiments,  dont  la  cargaison  était  évaluée  à 
50000  ducats  (Madrid,  coll.  Munoz,  t.  82,  fol.  41). 

(4)  Dix-huit  bâtiments  français,  au  dire  de  Luis  Sarmiento,  avaient  pris 
la  route  du  Mexique.  17  septembre  1542  (Séville,  Archives  des  Indes,  Real 
vatronato,  est.  2,  cajon  5,  Icgajo  1/22,  p.  14,  15). 

(5)  Madrid,  coll.  Mufioz,  t.  83,  fol.  97  v°,  etc. 


302  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

laient  les  sépultures  qu'ils  supposaient  remplies  de  bijoux. 
Trois  cents  autres,  le  24  juillet,  enlevaient  d'assaut  Gartha- 
gène  et  plantaient  sur  la  grande  place  les  trois  bannières 
de  leurs  chefs.  Ceux-là  eurent  trente-cinq  mille  pesos  de 
butin.  Mis  en  goût  par  le  succès,  les  mêmes  marins  revinrent 
en  1544  renouveler  leurs  exploits.  Le  13  octobre,  ils  atta- 
quaient Santa-Maria  de  los  Remedios  :  ils  ne  purent  enlever 
que  les  cinq  navires  en  rade  :  la  résistance  obstinée  des  habi- 
tants durant  une  semaine  eut  cette  fois  raison  d'eux  (l), 

La  situation  des  marchands  et  des  colons  espagnols 
devenait  intolérable.  Nos  corsaires  n'avaient-ils  pas  l'au- 
dace de  bombarder  des  vaisseaux  dans  les  eaux  de  Cadix, 
comme  de  planter  leur  pavillon  sur  tel  port  qui  leur  plai- 
sait, des  Canaries  au  Nouveau  Monde!  »  Trois  ou  quatre 
navires  français  sont  les  maîtres  de  la  mer  du  Mexique  tout 
autant  que  l'empereur  est  le  maître  du  Guadalquivir  » , 
écrivait  terrifie  Alonso  de  Sovisa.  Et  un  autre  hidalgo  ne 
pouvait  comprendre  «  qu'il  se  trouvât  en  France  un  voleur 
de  grand  chemin  assez  osé  pour  passer  aux  Indes  avec  une 
insignifiante  troupe  de  quarante  hommes  ».  Pas  même! 
Vingt  hommes  seulement  pénétraient  le  7  avril  1547  dans 
le  goulet  de  Santiago  pour  enlever  une  caravelle.  Et  seize 
autres  se  faisaient  prendre  cinq  mois  plus  tard,  tandis  qu'ils 
bombardaient  Santa-Marta  (2). 

Aux  préliminaires  de  la  paix,  Charles-Quint  essaya  de  se 
délivrer  de  ce  cauchemar.  S'il  n'obtint,  au  traité  de  Crépy, 
aucune  sanction  de  son  monopole  commercial,  il  renouvela 
avec  succès  sa  demande  l'an  d'après,  au  moment  des  em- 
barras de  notre  guerre  avec  l'Angleterre  (3).  A  la  »  prière", 

(i)  Collection  Mufioz,  t.  83,  fol.  J05,  208,  231,  236;  t.  84,  fol.  70.  — 
F.  DuRO,  Armada  cspanola,  t.  I,  p.  430-433. 

(2)  Lettre  du  licencié  Chaves.  Santiago  de  Cuba,  31  mai  1547  (F.  Ddro, 
t.  I,  p.  435).  —  Lettre  de  Luis  Pardo  à  l'empereur.  Rio  del  Hacha,  no- 
vembre 1548  {Ibidem,  p.  436). 

(3)  Instructions  de  Charles-Quint  à  son  ambassadeur  en   France,  Saint- 


LA    LIBERTÉ    DES    MERS.  303 

et  quelle  prière!  de  son  u  bon  frère  "  lempereur,  Fran- 
çois I"  ne  pvU  rien  refuser;  il  dut  interdire  à  ses  sujets 
d'aller  au  Pérou,  aux  îles  et  autres  possessions  espagnoles 
d'outre-mer  (1). 

Restaient  les  territoires  dévokis  au  Portugal.  Le  22  avril 

1546,  une  flotte  de  vingt-huit  navires  quittait  Le  Havre  à 
destination  du  Brésil.  Un  des  vaisseau.v;  de  l'escorte,  l(( 
Marguerite,  de  cent  trente  hommes  d'équipage,  eut  le 
malheur  de  s'échouer,  le  12  mai,  à  l'embouchure  du  Gua- 
dalquivir  et  le  malheur  plus  grand  encore  d'avoir  pour 
capitaine  Alljert  lioslan,  un  des  corsaires  qui  avaient  causé 
tant  de  mal  au.v  Espagnols  par  leur  croisière  du  cap  Saint- 
Vincent.  La  Marguerite  aysLii  comme  lest  un  tas  de  boulets; 
on  arracha  au  pilote  l'aveu  prétendu  que  la  flotte  allait 
exercer  la  piraterie  aux  Indes  (2).  Bref,  le  vaisseau  fut  con- 
fisqué en  dépit  des  réclamations  de  l'amiral  d'Annebault, 
son  propriétaire,  et  du  roi  de  France  (3),  cependant  que 
des  navires  portugais  étaient  détachés  à  la  poursuite  de 
notre  escadre,  au  Brésil  (4). 

Il  y  avait  un  dernier  coup  à  porter  à  notre  commerce 
maritime  et  au  principe  tutclaire  de  la  liberté  des  mers. 
Henri  II,  dès  son  avènement,  s'en  chargea.  Le  20  octobre 

1547,  il  défendit  à  ses  sujets  »  d'aller  aux  navigations  du 

Mauris.  Non  seulement  il  demandait  d'interdire  à  quatre  vaisseaux,  armés 
à  La  llochelle  et  au  liavi'C,  le  voyage  aux  Indes,  mais  il  lui  ordonnait  de 
«  bailler  toujours  toute  l'assistance  possible  aux  affaires  du  roy  de  Portugal  "  , 
Mai  15V5  (B,  N.,  Franc.  7i22,  p.  78,  230). 

(i)  I-.ettre  de  François  \"  au  duc  d'Etampes,  gouverneur  de  Bretagne. 
5  août  i545  (B.  N.,  collection  des  V  Colbert,  vol.  292,  fol.  19  v°.) — 
Dans  une  autre  lettre,  non  datée,  adressée  au  sire  de  Fosseux,  il  l'avise  que 
les  Espagnols  se  plaignent  de  cinq  prises  faites  par  des  corsaires  rouennais 
à  Ténériffe  (Archives  nal.,  K   1484,  n°  3). 

(2)  Archives  nat.,  K  1486,  n"  42. 

(3)  Lettre  de  François  1"  à  Charles-Quint,  27  septembre  1546  (Ibidem, 
n°  64). 

(4)  L'Allemand  Hans  Staden  était  à  bord  de  l'un  d'eux.  1547  (Hans 
Stades,  Wnrhaftiqc  hisloria  eiiier  Lamhchaft  (1er  Wildeu.  Marburg,  1557, 
in-4",  chap.  I,  p.  41). 


304  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

roy  de  Portugal,  comme  à  nulles  terres  découvertes  par  les 
Portugallois  (1).  "  Le  10  septembre  1546,  il  prohibait  toute 
importation  d'épices  autrement  que  par  Rouen  (2).  Gharles- 
Quint  avait  vécu  assez  pour  voir  le  triomphe  de  sa  doc- 
trine :  <i  Quant  aux  Indes,  disait-il  dans  ses  recommanda- 
tions à  son  fils,  vous  devez  avoir  toujours  Toeil  à  l'envoi  de 
quelque  expédition  clandestine  des  Français.  Quoiqu'ils 
aient  souvent  entrepris  d'y  aller,  on  a  vu  que  leurs  flottes 
n'ont  pas  duré.  Quand  on  leur  résiste,  ils  abandonnent  la 
partie.  " 

Amputée  de  tout  droit  à  la  navigation  hauturière,  dans 
un  état  lamentable,  la  liberté  des  mers  restait  pourtant  le 
principe  fondamental  de  notre  politique.  Une  singulière 
mésaventure  en  fournit  la  démonstration.  Cavalli,  l'ambas- 
sadeur de  Venise,  poursuivait  devant  le  conseil  privé  la 
restitution  de  deux  navires  capturés  par  notre  flotte.  Con- 
sultation juridique  d'un  docteur  en  droit  de  Paris,  preuve 
matérielle,  par  la  marque  des  tonneaux,  que  la  cargaison 
appartenait  à  des  neutres,  il  n'avait  rien  négligé;  et  il  fut 
débouté.  Il  ignorait,  le  malheureux,  qu'un  traité  passé  par 
son  prédécesseur  avec  François  I"  garantissait  la  liberté  de 
la  navigation  sur  l'Océan.  »  Ah  !  si  nous  avions  produit  ce 
titre-là!  s'écriait-il  plus  tard;  mais  je  ne  le  connaissais 
pas  (3) .  " 

Etait-ce  remords?  Etait-ce  revirement  de  son  instable 
politique?  François  I"  essaya  de  faire  sanctionner  par  l'em- 
pereur ces  mêmes  libertés.  Un  projet  de  réglementation 
internationale  du  droit  de  visite,  en  date  du  14  mars  1546, 
inscrivait,  en  tête  des  articles,  le  droit  pour  tout  navire 

(1)  Registre  du  Conseil  privé  (B.  N.,  Franc.   18153). 

(2)  Gafi-ahel,  Jean  Anqo,  dans  le  Bulletin  de  la  Sncicfe  normande  de 
géoqraphie  (1889),  p.  313. 

(3)  Relation  de  Marino  Cavalli.  1546  (Tommaseo,  Relations  des  ambassa- 
deurs vénitiens,  t.  I,  p.  318  et  suiv.,  dans  la  Collection  des  documents 
inédits). 


LA  Lir.EItTK    DES    MERS.  305 

marchand,  sous  pavillon  français  ou  impérial,  de  trafiquer 
dans  les  territoires  de  la  partie  adverse,  sauf  à  exhiber  ses 
connaissements,  dès  qu'il  serait  hélé  par  un  vaisseau  de 
guerre  (1).  Mais  Gharlcs-Quint  ne  se  laissa  point  fléchir. 
Le  syslème  prohibitif  ne  fut  point  entamé. 


X 

LES    DERNIERS   JOURS    D'ANGO 

L'empereur  avait  triomphé  de  l'armateur,  la  force  bru- 
tale et  la  ruse  du  bon  sens  et  du  droit.  D'autres  soucis 
préoccupaient  le  vieil  apôtre  de  la  liberté  des  mers.  Dans 
un  suprême  effort  qui  couronna  sa  carrière,  Ango  prenait, 
en  1544,  la  direction  des  opérations  navales  contre  l'An- 
gleterre (2)  et  organisait,  en  15  45,  la  plus  grosse  e-xpédi' 
tion  que  la  France  ait  faite  au  seizième  siècle  : 

«  Ce  fust  luy,  luy  seul  qui  fist  armer 
La  grande  Hotte  expresse  mise  sur  mer 
Pour  faire  voir  à  l'orgueiul  d'Angleterre 
Que  Françovs  estoit  roy  et  sur  mer  et  sur  terre  (3).  » 

Ruiné  par  des  avances  énormes  que  la  pénurie  du  trésor 
royal  empêchait  de  rembourser,  en  butte  à  la  jalousie  que 
son  faste  et  peut-être  sa  hauteur  avaient  suscitée,  Ango 
acheva  tristement  ses  jours  en  1551  au  château  de  Dieppe, 
dispulant  jusqu'à  sa  dernière  heure  les  débris  de  sa  for- 
ttuie  à  d  impitoyables  créanciers.  Il  eût  même  été  jeté  en 
prison,  si,  plus  heureux  que  Jacques  Cœur,  il  n'avait  été 

(i)  Projet  daté  de  RamljouiDet,  14  mars  1546,  n.  st.  [B.  N.,  Franc. 
17329,  fol.  482). 

(2)  Mai  1544  [Calemlar  of  State  papcrs,   Spanish,  t.  VII,  p.  174). 

(3)  Quatrain  composé  par  un  poète  dieppois  (Vitet,  Histoire  de  Dieppe, 
p.  454).  —  Cf.  ci-dessous  la  relation  de  la  campagne. 

m.  20 


306  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

sauve  par  rintcrveiition  du  roi  (1).  Et  pendant  plus  d'un 
demi-siècle,  on  n'entendit  retentir  le  nom  du  patriote,  qui 
avait  engagé  sa  fortune  pour  soutenir  l'honneur  du  drapeau 
et  donner  à  la  France  un  empire  colonial,  que  dans  les 
audiences  judiciaires  où  sa  mémoire  était  traînée  dans  la 
bouc  (:2)  ! 

«  Le  palais  d'Ango  a  été  brûlé,  son  tombeau  (3)  n'est 
peut-être  pas  le  sien;  de  son  manoir  de  Varengeville,  il  n'a 
été  conservé  que  d'informes  débris  :  les  contemporains 
n'ont  donné  que  les  traits  épai's  de  sa  biographie,  enfin 
l'oublieuse  postérité  a  défiguré  comme  à  plaisir  la  physio- 
nomie et  les  actions  de  ce  Médicis  normand,  de  cet  autre 
Jacques  Cœur  qui  survécut  lui  aussi  à  sa  fortune  et  eut  à 
regretter  d'avoir  vécu  ti'op  tard  (4) .  » 

Pendant  plus  d'un  demi-siècle  —  la  durée  du  procès  pos- 
thume d'Ango,  — l'occlusion  que  les  bénéficiaires  de  la  bulle 
d'Alexandre  VI  étaient  parvenus  à  maintenir,  pèsera  sur 
nos  tentatives  d'expansion  coloniale  et  provoquera,  parmi 
nos  marins,  une  irritation  dont  le  catholicisme  sera  par 
ricochet  la  victime  et  dont  profitera  la  réforme. 


(1)  En  1549  (Registre  (lu  conseil,  B.  N.,  Franc.  18153). 

(2)  GuÉMN,  Ango  et  ses  pilotes. 

(3)  Le  tombeau  exploré  en  1859  par  l'abbé  Cochet. 

(4)  Conclusion  de  Gaffarel,  dans  son  article  sur  Jean  Anyo. 


JACQUES    CARTIER 

LA  DÉCOUVERTE  DU  CANADA 


Après  Ango,  Cartier  ;  après  TarmaLeur  normand,  le  pilote 
breton.  Qui  tenterait,  à  la  manière  de  Plutarquc,  un  paral- 
lèle de  leurs  deux  vies,  aboutirait  à  cette  conclusion  décon- 
certante pour  la  philosophie  de  Thistoire.  Avec  une  intelli- 
gence supérieure,  de  puissants  moyens  d'action,  la  com- 
préhension la  plus  nette  de  la  révolution  économique  opé- 
rée par  la  découverte  de  l'Amérique,  l'armateur  fonda  sur 
le  sable  et  ne  laissa  rien  après  lui...  que  des  dettes  :  cepen- 
dant que  Fhumble  pilote  malouin,  malgré  son  ignorance, 
nous  dotait  d'un  continent,  parce  qu'il  léguait  aux  siens 
son  exemple  et  cette  chose  sacrée  en  Bretagne,  la  tradi- 
tion. 


PREMIER   VOYAGE   :    LABRADOR    ET    BAIE    DES    CHALEURS 

Faut-il  attribuer  à  un  incident  de  voyage  l'idée  première 
de  la  colonisation  du  Ganada?En  revenant  des  pêcheries  de 
Terre-Neuve,  en  1526,  le  breton  Nicolas  Don  aborda  par 
hasard  une  côte,  où  il  fit  ample  provision  de  joyaux  et  de 


308  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

colliers  d'or  :  et  comme  la  terre  se  trouvait  dans  la  démar- 
cation espagnole,  honnêtement,  Don  et  ses  trente  marins 
offrirent  à  Charles-Quint  le  quart  de  leurs  profits,  sauf  à 
être  reconnus,  sous  le  hon  plaisir  impérial,  seigneurs  du 
territoire  (1). 

Il  ne  fallait  pas  davantage  pour  ramener  Tattention  vers 
la  Fraticiscane  imparfaitement  explorée  par  Verrazzano  et 
par  le  portugais  Esteban  Gomez,  qui  le  suivit  de  près  (2). 
Un  nouveau  voyage  de  découverte  fut  donc  organisé  en 
France,  aux  frais  du  Trésor,  pour  "  certaines  ysles  et  pays 
où  l'on  dit  qu'il  se  doibt  trouver  grant  quantité  d'or  (3)  »  . 

Chose  étrange,  malgré  l'appât  de  l'or,  on  ne  trouva  pas 
soixante  volontaires,  tant,  par  leurs  sourdes  menées,  des 
personnages  (4)  qu'on  peut  soupçonner  d'être  des  agents 
portugais,  avaient  pris  soin  de  dégoûter  du  voyage  les 
maîtres  de  navires,  jusqu'à  les  faire  "  caicher  d  .  Il  fallut 
mettre  l'embargo  sur  les  navires  malouins  jusqu'au  départ 
de  l'expédition. 

Il  s'agissait  de  pousser  une  pointe  vers  "  les  Terres 
Neufves  »,  au  delà  de  la  Franciscane  (5),  en  traversant  "  le 
destroict  de  la  bave  des  Chasteaulx  » . 

L'explorateur,  le  Malouin  Jacques  Cartier,  était  peu 
connu  encore  ;  la  fréquentation  des   Portugais  l'avait  mis 

(1)  A.  de  llERnEnA,  Ilistoria  gênerai  de  los  Castcllanos  en  las  Islas  y 
tierra  fume  ciel  mar  Oceano.  Madrid,  1601,  in-fol.,  Décad.  III,  liv.  x, 
cap.  IX,  p.  369. 

(2)  En  1525  (OviKDO,  Sumario.  Tolède,  1526,  fol.  14.  —  Carte  de 
Ribeira,  1529). 

(3)  Aux  termes  de  la  lettre  du  12  mars  1534  mandant  au  trésorier  de  la 
marine  de  verser  à  Jacques  Cartier  une  subvention  de  6,000  livres  (B.  N., 
Franc.  15628,  n°  618). 

(4)  Saint-Malo,  19  mars  1534  (Pièce  publiée  par  Ramé,  à  la  suite  du 
Voyage  fait  par...  Jacques  Cartier,  Appcnd.,  p.  3). 

(5)  Voici  le  titre  du  voyage  de  Cartier  dans  Rainusio  :  "  Corne  messer 
Carlo  da  Mouy  {sic  pour  Cartier)  cavallier,  partito  con  due  navi  da  San 
Malô,  giunse  alla  Terra  Nuova,  detta  la  Fraiicese,  et  entrô  nel  porto  di 
Buona  vista  »  (Ramusio,  Raccolta  di  navigazioui  e  viaggi.  Venezia,  t.  III 
(1556),  fol,' 435). 


LA  DÉCOUVERTE  DU  CANADA.  309 

toutefois  à  même  d'être  interprète  pour  leur  langue  à 
Saint-Malo  (1),  fait  des  plus  importants  pour  un  naviga- 
teur, à  une  époque  où  les  meilleures  cartes  marines  étaient 
des  cartes  portugaises. 

Sans  nous  renseigner  aucunement  sur  les  préparatifs  de 
l'expédition,  le  récil  du  premier  voyage  de  Cartier  nous 
met  brusquementen  présence  des  partants,  le  20  avril  1534, 
au  moment  où,  ses  soixante  compagnons  ayant  prêté  ser- 
ment de  fidélité  entre  les  mains  du  vice-amiral  de  La  Meil- 
lei'aye,  le  Malouin  mita  la  voile  (2).  Ses  deux  petits  bâti- 
ments de  soixante  tonnes,  vingt  jours  après,  abordaient  au 
cap  de  Bonne-Viste  à  Terre-Neuve. 

Les  péclieurs  terreneuviers  avaient  pris  l'habitude  de  se 
ravitailler  en  gibier  dans  1  ile  des  Oiseaux,  —  aujourd'hui 
Funk  Island,  —  où  abondent,  en  fait  de  volatiles,  des 
godets  et  des  margaux.  Cartier  en  ramassa  par  tonnes, 
avant  de  continuer  sa  route  dans  le  détroit  de  Belle-Isle, 
qu  on  prenait  encore  pour  un  golfe,  le  golfe  des  Châteaux. 
Au  Labrador,  il  reconnut  des  havres,  dont  la  nomenclature 
empruntée  aux  parages  bretons,  Saint-Servan,  Brest,  Blanc- 
Sablon  ou  même  Jacques  Cartier,  ne  fut  pas  aussi  éphé- 
mère (3)  que  les  vocables  normands  et  florentins  de  Verraz- 
zano.  Cartier  eut  hâte  de  quitter  les  côtes  désolées  de  cette 
«  terre  de  Cayn  " ,  où  erraient,  vêtus  de  peaux  de  bêtes  et 
des  plumes  sur  la  tête,  des  sauvages. 

(i)  JoL'OM  DES  LoNGRAis,  Jaccfues  Cartier.  Documents  nouveaux .  Paris, 
J888,  in-S",  p.  57.  Cf.  aussi  la  p.  15  sur  les  voyages  au  Brésil. 

(2)  Le  premier  voyage  de  Cartier  a  été  publié  par  H.  Michelast  et 
A.  Ramé  :  Relation  originale  du  voyacje  de  Jacques  Cartier  au  Canada 
en  1534.  Paris,  1867,  in-S";  d'après  le  manuscrit  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  Moreau  841,  fol.  51,  —  et  par  les  mêmes,  Du  voyage  fait 
en  153-i  par  le  capitaine  Jac/jues  Cartier,  aux  Terres-Neuves  de  Cana- 
dus,  Norembercjue,  Hochclage,  Labrador  et  pays  adjacens,  dite  Nou-' 
velle  France,  l'aris,  18(55,  in-8°,  d'après  l'édition  de  1598  et  d'après 
Ramusio. 

(3)  Cf.  aux  archives  du  dépôt  hydrographique  la  Belle  Carte  rédigée  vers 
1682. 


310  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FTANÇAISE. 

Vers  le  sud,  il  rencontra  rarchipel  des  îles  de  la  Made- 
leine :  il  disait  de  Tune,  File  de  Bryon  ainsi  nommée  en 
l'honneur  de  l'amiral  de  France,  qu'vui  de  ses  arpents 
valait  11  mieulxque  toute  la  Terre-Neuve  »  .  L'enchantement 
continua,  lorsqu'il  s'enfonça  dans  la  baie  des  Chaleurs,  au 
milieu  des  effluves  embaumées  des  groseillers,  des  fram- 
boisiers et  des  rosiers  :  les  femmes  indigènes  étaient  si  con- 
fiantes qu'elles  venaient  caresser  les  bras  des  matelots,  en 
poussant  des  cris  de  joie.  Cap  Saint-Louis,  cap  de  Mont- 
morency, la  plupart  des  termes  dont  Cartier  usa  au  cours 
de  son  exploration  du  golfe  du  Saint-Laurent,  étaient  des 
réminiscences  de  son  pays  natal. 

Dans  la  baie  de  Gaspé,  près  de  l'embouchure  du  Saint- 
Laurent,  le  24'  juillet,  Cartier  planta  une  croix  de  trente 
pieds,  où  pendait  l'écusson  fleurdelisé  avec  la  légende  : 
Vive  le  roy  de  !■  range!  Drapé  dans  une  vieille  peau  d'ours 
noir,  un  chef  indien  protestait  en  embrassant  d'un  geste 
toute  la  région  à  l'entour,  qu'elle  était  à  lui  et  qu'on  ne 
pouvait  en  disposer  sans  son  congé.  A  ses  fils  Domagaya  et 
Taignoagny,  on  passa  ujie  livrée,  avec  bonnet  rouge  et 
chaînette  au  col  :  et  telle  est  sur  l'esprit  humain  la  puis- 
sance des  h<)ch(4s,  que  les  Indiens  cnchautés  devinrent  les 
compagnons  inséparables  de  nos  marins.  Ils  restèrent  à 
bord,  quand,  le  lendemain,  Cartier  quitta  leur  pays  (1).  Le 
5  septembre,  ils  débarquaient  avec  lui  à  Saint-Malo. 

(1)  M.  H.  IIaUrisse  a  reprcsenté  par  des  jjraphiqucs  l'ilinéraiic  de  Car- 
tier durant  ses  premiers  voyages  [Découverte  et  évolution  carlo graphique 
de  Terre-Neuve  et  des  pays  circonvoisins  (t497-150i-i769).  Paris-Londres, 
1900,  in-4%  p.  136). 


LA  DECOUVERTE  DU  CANADA.  311 

II 

SECOND    VOYAGE    :    CANADA    ET    HOCHELAGA 

L'expérience  était  concluante.  Le  31  octobre,  Cartier 
recevait  Tordre  de  poursuivre  son  exploration  en  empor- 
tant quinze  mois  de  vivres.  Son  récit  de  voyage  avait  eu 
assez  de  retentissement  à  la  Cour  pour  qu'un  éclianson  du 
Dauphin,  Claude  de  Pontbriant,  et  de  nobles  volontaires 
comme  Charles  de  La  Pommeraye,  tinssent  à  rhonncur  de 
participer  à  l'aventure. 

Bien  que  tous  les  bâtiments  malouins  (I)  fussent  encore 
consignés  au  port  jusqu'à  complet  recrutement  de  ses  effec- 
tifs (2),  Cartier  n'éprouva  aucune  peine  cette  fois  à  embau- 
cher cent  dix  hommes,  deux  fois  plus  qu'au  précédent 
voyage  (3).  Une  nef  de  cent  vingt  tonnes,  un  courlieu 
rapide  comme  ces  messagers  de  la  tempête  auxquels  le 
bâtiment  devait  son  nom,  un  galion  plus  léger  encore,  La 
Grande  et  la  Petite  Hermines,  tEmerillon,  telle  était  la  flot- 
tille qu'emmenaient  Cartier,  son  beau-frère  Macé  Jalo- 
bert  et  son  voisin  de  campagne  Guillaume  Le  Breton,  su^ur 
de  La  Bastille.  Celtes  aux  aspirations  mystiques,  ils  com- 
munièrent tous  avant  le  départ,  le  dimanche  de  la  Pente- 
côte, et  dans  le  chœur  de  la  cathédrale,  leur  évéque  les 
bénit  (4). 

(1)  3,000  livres  sont  versés  le  25  mars  1535  pour  i'arniemenl  des  vais- 
seaux de  Jacques  Cartici-,  niaitre  pilote  de  Bretagne  (B.  N.,  Franc.  15632, 
n"  571). 

(2)  Choix  de  navires  et  de  marins   pour   le  second  voyage.  3   mars  1535 

(Jo'ÛO.^   DES   Lo^GRAlS,    p.    21). 

(3)  Les  rôles  d'équipages  (Archives  de  Saint-Malo,  BB  4-83,  31  mars 
1535)  avec  des  notes  sur  chaque  marin,  ont  été  publiés  par  Jocox  des 
LONGRAIS,  p.   126. 

(4)  Brief  récit  et  succincte  nanalion  de  la  navigation  faite  en  1535  et 


312  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Rallié  le  26  juillet  à  Funk  Islancl  par  Jalobert  et  Le  Bre- 
ton, Cartier  découvrait  le  15  août  Anticosti,  qui  fut  baptisée 
lîle  de  l'Assomption  en  mémoire  de  la  fête  du  jour.  Il  entrait 
dans  le  Saint-Laurent. 

Ses  hôtes  d'autan  ne  l'avaient  pas  oul^lic.  Une  tradition 
encore  vivante  chez  les  Hurons  ou  Wyandotts,  consignée 
par  Dooyentate,  l'un  d'eux  (1),  dit  qu'une  bande  d'Indiens 
Delaware,  installée  sur  les  bords  du  .golfe,  avait  mission 
d'avertir  les  Hurons  de  notre  retour.  Un  jour,  les  vigies 
virent  de  grands  oiseaux,  au  ventre  brun  et  aux  ailes 
blanches,  fendre  les  eaux  du  golfe  et  avancer  vers  eux. 
De  leurs  flancs,  sortait  le  tonnerre.  C'étaient  les  vaisseaux 
de  Cartier. 

Les  Indiens,  avec  lesquels  les  Malouins  s'étaient  trouvés 
en  contact,  étaient  en  effet  des  Hurons.  La  preuve  en  a  été 
faite  par  M.  Biggar,  un  érudit  canadien  qui  prépare  avec 
une  patience  e(  un  soin  dignes  d'éloge  une  édition  des 
vovages  de  Cartier.  De  son  voyage,  le  pilote  malouin  avait 
rapporte  nu  jiclil  lexique,  dont  les  termes  se  sont  conservés 
presque  sans  aucun  changement  dans  la  langue  huronne. 
Il  avait  également  obtenu  de  ses  interprètes,  Domagaya  et 
Taignoagny,  des  renseignements  topographiques  sur  leur 
pays.  Du  Saint-Laurent,  disaient-ils,  deux  grands  royaumes 
bordaient  les  rives  :  le  Canada  et  l'Hochelaga. 

Le  Canada,  -—  "  le  village  "  en  huron,  selon  cette  figure 
de  rhétorique  qui  prend  la  partie  pour  le  tout,  —  avait 
pour  capitale  Stadaconé,  la  ville  que  les  x\lgonquins,  plus 


i53G  par  le  capitaine  Jacrjuex  Cartier  aux  îles  de  Canada,  Hochelar/af 
Saquenay  et  autres.  Paris,  1545,  in-8°  :  rééditée  par  D'Avezac.  l^aris, 
18(53,  in-8";  —  publiée  en  italien,  par  R.iMUSio,  t.  III  (1556),  p.  4V1  ;  — 
en  anglais,  par  Hakldyt,  Principal  Navigations.  London,  IGOO,  t.  III, 
p.  112. 

(1)  Orifjin  and  traditional  historj  of  thc  Wyandotts  and  shetchcs  ofother 
Indian  Tribes  of  North-America,  par  Peter  Dooyentate  CLAnuE.  Toronto, 
1870,  in-8",  p.  4. 


LA  DECOUVERTE  DU  CANADA.  313 

tard  maîtres  du  lerriloire,  appelaient  Québec  au  temps  de 
Champlain  (1),  mais  dont  le  nom  primitif  subsiste  encore 
parmi  les  tribus  baronnes  (2).  Près  de  là,  Cartier  jeta 
l'ancre,  le  1  i  septembre  15;i5,  dans  une  rivière  qui  fut 
appelée,  de  la  fête  du  jour,  Sainte-Croix.  Laissant  les  deux 
Hermines  à  1  abri  d  un  fort  au  confluent  de  la  rivière  (3), 
il  remonta  le  Saint-Laurent  avec  l'Emerillon  et  deux 
barques.  En  vain,  ses  interprèles,  de  connivence  avec 
Tagouhanna  du  Canada,  Donnaconna,  essayèrent-ils,  pour 
l'en  détourner,  d'impressionner  ses  marins  par  une  masca- 
rade ridicule,  par  l'apparition  en  barque  de  trois  sauvages, 
déguisés  en  diables  cornus,  qui  prédisaient  la  mort  aux 
étrangers  assez  téméraires  pour  s'aventurer  en  amont. 

Le  2  octobre,  Cartier  toucbait  à  une  bourgade  fortifiée 
et  garnie  de  palissades,  dont  la  population  délirant  d'allé- 
gresse faisait  ])leuvoir  dans  les  barques  une  manne  de 
gros  mil.  C'était  llocbclaga,  a  la  digue  des  castors».  On 
comprit  bientôt  les  motifs  de  cette  réception  entbousiastc. 
L'agoubanna,  perclus  de  rbumatismes,  se  fil  porter,  à  la 
tête  d'un  cortège  d  infirmes,  au-devant  des  blancs.  El  le 
Malouin,  transformé  en  tbaumalurge,  les  signa,  en  réci- 
tant l'Evangile  de  Saint-Jean,  In  principio  eral  Verburn^  et 
la  passion  du  Cbrist.  De  la  montagne  voisine,  qu'il  nomma 
Montréal,  dans  un  panorama  grandiose,  il  pvit  entrevoir  le 
pays  de  ses  rêves  :  les  Hurons,  touchant  la  chaine  d'argent 
de  son  sifflet  et  la  poignée  dorée  d'un  poignard,  firent  com- 
prendre par  signe  que  ces  métaux  se  trouvaient  dans  les 


(1)  ]N.  E.  DiONNE,  Jacques  Cartier.  Québec,  i889,  in-12,   p.  76  et  239. 

(2)  Qu'on  lise  la  charmante  adresse  du  chef  huron  de  Lorette,  près  de 
Québec,  au  prince  de  Galles.  «  Bien  des  lunes  ont  passe,  disait  Tsajjenhohi, 
depuis  le  jour  où  les  chefs  hurons  de  Lorette  ont  eu  l'honneur  de  saluer 
ici,  sur  le  promontoire  de  Stadaconé,  le  roi  ton  père  >'  190i  (Cf.  Joseph 
PoPK,  Le  voyaqe  royal  au  Canada  en  1901.  Ottawa,   1905,  in-8"). 

(3)  Du  Lairet  avec  la  rivière  Sainte-Croix  ou  Saint-Charles  (Dionke, 
p.  59). 


314  IIISTOSIIE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

montagnes  du  nord,  chez  de  méchants  guerriers,  armes  de 
pied  de  cap. 

De  retour  au  fort  Sainte-Croix,  qu'on  avait  entouré  de 
fossés  avecpont-levis  (l),le  11  octobre,  il  eut  à  se  prémunir 
par  une  .jjarde  vigilante  contre  les  desseins  de  Donnaconna 
et  des  interprètes.  Par  malheur,  une  épidémie  de  scorbut 
éclata  parmi  la  garnison  avec  une  telle  violence  qu'il  n'y 
eut  bientôt  plus  trois  hommes  en  état  de  combattre.  Vingt- 
cinq  hommes  avaient  succombé  :  Cartier,  presque  seid 
valide,  après  une  promesse  de  pèlerinage  à  Nolre-Dame-de- 
Rocamadour,  ne  savait  plus  à  quel  saint  se  vouer,  quand 
le  salut  lui  vint  des  sauvages.  Lors  d'une  des  sorties  con- 
tinuelles qu'il  faisait  pour  donner  le  change  sur  l'épui- 
sement de  la  garnison,  il  aperçut,  fort  et  dispos,  l'Indien 
Domagava  qui,  la  semaine  précédente,  aux  prises  avec 
le  scorbut,  était  une  sorte  de  cadavre  enflé  et  puant  : 
la  guérison  était  due  à  une  décoction  des  feuilles  de 
l'ameda  ou  épinette  blanche.  Six  jours  après,  nos  mori- 
bonds, traités  de  même,  étaient  svir  pied,  mieux  que  "  si 
tous  les  médecins  de  Louvain  ou  de  Montpellier  y  eus- 
sent esté  avec  toutes  les  drogues  de  Alexandrie  » .  Cepen- 
dant l'insolence  des  Indiens  augmentait.  La  chasse  aux 
cerfs  finie,  Stadaconé  s'emplissait  de  Tl lirons  aux  allures 
équivoques. 

Cartier,  frappant  un  grand  coup,  enleva  le  5  mai  153() 
Donnaconna,  ses  interprètes  infidèles  et  plusieurs  chefs 
hurons.  Le  lendemain,  il  reprenait  la  route  de  France,  lais- 
sant, comme  témoin  de  son  séjour,  une  grande  croix  aux 
armes  de  France  et  l'inscription  :  Francisgus  primis,  Dei 
GRACIA  Frangorum  REX,  REGNAT.  Trop  affaibli  pour  reformer 
trois  équipages,  il  abandonnait  1  un  de  ses  vaisseaux,  la 
Petite-Hermine,  dont  on  a  prétendu  découvrir  la  carcasse 

(1)  L't'tablisseiuent  foiul(?  par  Cartier  est  figure  dans  la  carte  de  Vallard. 
actuelleiacnt  à  Cheltenham,  dans  la  célèbre  collection  Phiiiipps. 


LA  DÉCOUVERTE  DU  CANADA.  315 

en  1843,  non  loin  de  l'ancienne  rivière  vSainte-Croix  :  Saint- 
Malo  a  reçu  une  partie  de  ce  trophée  (J). 

Le  16  juillet  1526,  après  une  absence  de  quatorze  mois, 
alors  qu'on  avait  perdu  toute  espérance  de  le  revoir,  Jacques 
Cartier  entrait  en  rade  de  Saint-Malo. 


111 


TBOISIEiME   VOYAGE,    CH  A  RI  ES  BOU  RG-RO  Y  A  L. 
LES    MINES    DU    SAGUENAY. 

Ainsi  se  trouvait  affirmée  notre  prise  de  possession  du 
Canada.  Il  était  temps.  Cartier  croisa  en  route  une  expédi- 
tion de  marchands  et  de  gentilshommes  anglais  (2),  qui 
vinrent  jeter  lancre  à  Funk  Island.  Malgré  le  pillage 
d'un  navire  français  et  de  ses  vivres,  la  famine  les  empêcha 
de  pousser  plus  avant  que  le  golfe  du  Saint-Laurent  et 
sauvegarda  notre  découverte. 

Une  erreur  géographique,  l'idée  que  le  Canada  formait 
<i  un  bout  de  l'Asie  du  i-oté  de  1  Occident"  ,  mais  une  saine 
appréciation  des  "  commoditéz  »  d  un  pays  facile  à  colo- 
niser, tel  était  le  bilan  de  l'exploration  de  Jacques  Cartier. 
Elle  ne  porta  ses  fruits  que  plusieurs  années  après,  lorsque 
François  L',  dégagé  de  la  guerre  avec  l'Espagne,  eut  des 
ressources  et  du  loisir  pour  envoyer  au  Canada,  au  Sague- 
nay  et  à  Hochelaga  u  des  colons  de  bonne  volonté  et  de 
touttes  qualitéz,  artz  et  industrie,  »    voire  même  une  cin- 


(1)  N.  E.  DlO>">E,  Elude  arrhcoloqiqiic.  Le  Fort  Jacques  Cartier  et  la 
Petite-Hermine.  Montréal,  1891,  in-8". 

(2)  La  Trinity  et  le  Million,  partis  d'xAngleterre  en  avril  1536  (The 
voyage  of  Master  LLare  and  diver  other  Gentleman  to  Newfoundland  and 
Cape  Briton,  in  tlie  year  1536,  dans  liAKLCYT,  Principal  Navigations, 
éd.  1600,  t.  III,  p.  129). 


316  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

quantaine  de  condamnés.  Le  17  octobre  1540,  Cartier 
recevait  commission  d'organiser  la  nouvelle  expédition 
avec  le  titre  de  capitaine  général  et  maître  pilote  (1),  et 
45000  livres  de  subvention. 

Malbeureusement,  les  sauvages  que  le  pilote  avait 
amenés  à  Saint-Malo  pour  les  faire  instruire  dans  la  reli- 
gion chrétienne  (:2),  étaient  morts,  à  l'exception  d'une 
fillette.  Tout  le  profit  qu'il  avait  retiré  de  leurs  entretiens, 
était  une  notion  erronée  des  mines  du  Saguenay,  qui  allait 
faire  dévier,  puis  échouer  notre  première  tentative  de 
colonisation.  Les  Français  se  trompent,  s'ils  croient  trouver 
là-bas  de  l'or,  disait  en  haussant  les  épaules  un  cardinal 
espagnol  :  sur  cette  côte  stérile,  il  n'y  a  d'autre  richesse 
qvie  la  pêche  (3).  Mais  sans  plus  approfondir,  François  I" 
prit  possession  du  Canada  par  les  lettres  patentes  du 
15  janvier  1511,  qui  subordonnaient  Cartier  au  vice-roi  de 
la  colonie. 

Le  a  lieutenant  général,  chef,  ducleur  et  cappitaine  de 
ladite  entreprise,  ensemble  de  tous  les  navires  et  vaisseaux 
de  mer  »  de  l'expédition,  était  un  gentilhomme  gascon, 
Jean-François  de  La  Rocque,  seigneur  de  Roberval  (4). 
Riche  propriétaire  foncier  à  un  âge  où  les  flatteries  donnent 
vite  le  vertige,  mécène  de  Clément  Marot,  qui  ne  craignait 
point  de  l'offusquer  en  étalant  devant  lui  les  mésaventures 
intimes  de  son  libertinage,  Roberval  n'avait  que  trop  ren- 
contré, à  la  Cour  comme  écuver  d'écurie,  à  l'armée  comme 
porte-enseigne,    les    occasions    d'ébrécher   sa    fortune.    Il 

(1)  Nouv.  acq.  fiant;.  9269,  fol.  5,  copie  :  Archives  de  la  Seine-Infé- 
rieure, Parlement,  reg,  criminel  de  15-39-1558,  fol.  6  v". 

(2)  l'^rançois  V'  fait  verser  50  écus  d'or  à  Jacques  Cartier  pour  leur  entre- 
tien. 22  septembre  1538  (B.  N.,  Latin  17059,  n'>  202). 

(3)  Lettre  du  cardinal  de  Tolède  à  l'empereur.  27  janvier  i5H  (Archives 
de  Simancas,  Eslado  Castilla,  lejjajo  53,  fol.  333). 

(4)  xVrchives  nat.,  U  75V,  fol.  57  :  HauriS-SK,  Notes  pour  servir  à  l'Iiis- 
loire,  à  la  bihlioipapliie  el  à  la  curloijraphic  de  lu  Nouuellc'France.  Paris, 
1872,  in-8",  p.  243. 


LA    DECOUVERTE    DU    CANADA.  31' 

comptait  la  réparer  au  Canada  (1).  Quelle  amère  désillu- 
sion l'attendait  ! 

Les  patentes  royales  lui  conféraient  les  pouvoirs  les  plus 
étendus  :  choix,  par  tout  le  royaume,  de  compagnons  de 
route  (2),  jusque  dans  les  prisons  (3).  Destitution  des  offi- 
ciers de  terre  ou  de  mer,  droit  de  haute  justice,  pouvoir 
enfin  de  «  mettre  en  la  main  du  roy  "  les  pays  étrangers.  Il 
fut  permis  aux  criminels  de  troquer  la  prison  pour  l'exil  au 
Canada,  moyennant  le  versement  préalable  du  prix  de  leur 
passage  et  de  leurs  frais  d'entretien  durant  deux  ans  (4). 
Envisagée  par  le  roi  comme  une  "  œuvre  pitoyable  et 
méritoire  " ,  qui  offrait  aux  malfaiteurs  un  moyen  de 
s'amender,  la  colonisation  eût  réussi,  s'il  y  avait  eu  beau- 
coup de  colons  comme  cette  héroïque  jeune  fille,  Mon- 
dyne  Boispye,  qui  se  fit  river  à  une  chaîne  de  forçats,  afin 
de  suivre  au  Canada  son  fiancé,  un  galeux  (5)  ! 

Malgré  la  diligence  de  ses  fondés  de  pouvoirs  près  des 
divers  parlements  (6),  les  chaînes  de  colons-condamnés 
n'étaient  point  toutes  au  rendez-vous  à  Saint-Malo  le 
10  avril;  un  mois  plus  tard,  il  en  arrivait  encore  (7).  Ni 
colons,  ni  artillerie  de  campagne!  lioberval  ne  pouvait 
partir  encore.  Seul,  Cartier  était  prêt.  Le  pèlerin  de  Roca- 
madour  avait  sollicité  du  pape  une  indulgence  (8)  et,  le 


(1)  Al)bé  E.  MORKL,  Jean-François  de  La  Roque,  seigneur  de  Robert'al, 
dans  le  Bull,  de  (jéogr.  liistor.  et  descriptive  (1892),  p.  273. 

(2)  Une  ordonnance  en  date  du  jour  de  sa  nomination,  15  janvier  1541, 
notifia  son  droit  de  recruter  par  tout  le  royaume  des  volontaires  (Archives 
nat.,  U  754,  fol.  53  :  Harrisse,  p.  258). 

(3)  Par  lettres  patentes  du  9  mars  (Archives  nat.,  U  754,  fol.  65). 

(4)  I^ettres  patentes  du  7  février  (Archives  du  château  de  Roberval  ; 
Abbé  MoRKL,  p.  280). 

(5)  François  Gav,  de  Saint-Léonard  près  Limoges  (Jocox  Df;s  LoscnAis, 
P-  20). 

(6)  Guillaume  de  3Iagdaillan,  son  beau-frère,  Paul  d'Auxilhon  et  Alonce 
de  Civille  (x\bbé  Morel,  p.  281.  —  Harrisse,  p.  254). 

(7)  JOUOX  DES  LOSGRAIS,    p.    29. 

(8)  Lettre  du  nonce  au  cardinal  Farnèse.   Paris,  2  novembre  1540  (xVr- 


318  HISTOIIIE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

jour  de  la  Saint- Yves,  mis  ordre  à  ses  affaires  par  un  testa- 
ment (1). 

Fournis  de  vivres  pour  deux  ans,  l'Hermine  et  le  vieil 
hmerillon,  dont  le  roi  lui  avait  fait  présent  (2),  le  Georges, 
le  Saint-Briac  (3),  et  un  cinquième  bâtiment  se  balançaient 
en  rade  de  Saint-Malo,  les  vergues  hautes,  attendant  le 
signal  du  départ.  Cartier  emmenait  comme  capitaines  ses 
beaux-frères  Macc  Jalobert  et  Guyon  de  Beauprest  (4)  et 
son  neveu  Etienne  Noël.  Un  ordre  vint  de  la  Cour,  man- 
dant de  mettre  incontinent  à  la  voile,  à  peine  d'encourir  le 
mécontentement  du  roi  (5) .  Iloberval  passa  donc  en  revue 
les  équipages,  gentilshommes,  soldats,  matelots,  et  laissa 
prendre  à  Jacques  Cartier  les  devants  le  23  mai  1541. 

La  ti^a versée  fut  rude.  L'eau  manqua.  On  dut  abreuver 
de  cidre  les  bestiaux,  chèvres  et  porcs  emmenés  pour  se 
reproduire  au  Canada.  Après  ralliement  au  havre  du  Car- 
pont  à  Terre-Neuve,  Tescadre,  entrant  dans  le  Saint-Lau- 
rent, atterrit  le  24  août  au  havre  de  Sainte-Croix.  Le  rem- 
plaçant de  Donnaconna  accueillit  chaleureusement  Cartier, 
d'avitant  que  la  nouvelle  de  la  mort  du  chef  indien  à  Saint- 
Malo  n'était  point  pour  lui  déplaire  :  il  passa  au  Malouin 
ses  bracelets  et  le  couronna  de  son  bandeau  de  cuir  orné  de 


chivio    tli    Stato    à    Naples,    Archivio    Farnese,     Numlalinn    di    Francia, 
fasc.  691  :  communication  de  M.,Biggar). 

(i)  19  mai  1541  (JoiJON  des  Longrais,  p.  39). 

(2)  Extraits  des  comptes  de  Cartier  publiés  par  IIaaiÉ,  Discours  du 
voyage...  i"  série  (Paris,  1865).  François  !"■  lui  avait  fait  don  de  l'Hermine 
le  10  mai  1537  (Archives  nat.,  J  962,  n»  10)  et  de  l Émerillon  le  17  oc- 
tobre 1540  (R.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  9269,  fol.  5,  copie). 

(3)  Archives  de  Simancas,  Eslado,  legajo  373,  fol.  42. 

(4)  Dio.NXE,  Jacques  Cartier,  p.  128. 

(5)  Nous  n'avons  qu'un  fragment  du  Troisième  voyage  des  découvertes 
faites  par  le  capitaine  Jacques  Cartier,  en  l'année  1540,  dans  les  pays 
de  Canada,  Hochelacja  et  Saijuenay,  publié,  en  anglais,  par  Hakldyt, 
Principal  Navigations  (London,  1600),  t.  III,  p.  232,  —  en  français 
par  la  Société  littéraire  et  historique  de  Québec,  Voyages  et  décou- 
vertes au  Canada  entre  les  années  1534  et  1542.  Québec,  1843,  in-8", 
p.  70. 


LA  DECOUVERTE  DU  CANADA.  310 

coquillages  en  lui  donnant  Taccolade.  Cartier  ne  fut  point 
en  reste  de  marques  d'amitié.  Il  ne  fixa  pourtantpoint  près 
de  Stadaconc  son  campement  d'hiver. 

A  quatre  lieues  en  amont,  dans  un  site  pittoresque  qui 
domine  également  le  Saint-Laurent  et  la  rivière  du  cap 
Rouge,  il  débarqua  son  artillerie  et  désarma  trois  vaisseaux 
dans  la  petite  rivière;  il  renvoya  Jalobert  et  Xoél,  avec  les 
deux  autres  (l),  aviser  François  l"  de  l'absence  de  Rober- 
val,  qui,  pensait-il,  avait  été  battu  par  la  tempête.  Char- 
lesbourg  Royal  —  ainsi  fut  baptisée  la  nouvelle  résidence, 
en  l'honneur  d'un  enfant  de  France,  Charles  d'Orléans  — 
comprenait  deux  forts,  l'un  au  bord  de  l'eau  pour  protéger 
l'escadrille,  l'autre  au  sommet  du  haut  promontoire  pour 
surveiller  l'horizon  :  vui  chemin  à  double  évolution  les 
relia.  Une  forêt  de  chênes  etd'érables,  bordée  sur  sa  lisière 
de  vignes  sauvages,  des  prés,  un  potager  qvic  l'on  forma, 
environnaient  les  forts.  Sur  le  bord  de  l'eau,  «  certaines 
feuilles  d'un  or  fin,  aussi  épaisse  que  l'ongle,  "  et  sur  le 
plateau,  des  «  diamans,  les  plus  beaux,  polis  et  aussi  mer- 
veilleusement taillés  qu'il  soit  possible  à  homme  de  voir,  » 
fournirent,  à  l'estime  du  capitaine,  une  riche  cargaison. 

Sa  base  d'opération  soigneusement  établie,  Cartier,  lais- 
sant la  garde  de  Charlesbourg  au  vicomte  de  Bcauprest, 
forma  une  colonne  pour  aller  explorer  la  route  du  Sague- 
nay  et  se  mettre  en  état,  le  printemps  venu,  d'y  accéder.  Il 
partit  le  7  septembre  avec  Martin  de  Paimpont  comme 
second.  Ses  deux  barques  relâchèrent  à  Ilochelay  (2),  dont 
l'agouhanna,  fort  obligeant  au  précédent  voyage,  fut  grati- 


(1)  Qui  firent  voile  le  2  septembre.  —  Dans  Pantagruel,  dont  M.  A.  Le- 
franc  a  identifié  les  navigations  avec  celles  de  Cartier,  il  y  a  un  lâcher  de 
pigeon  voyageur,  chargé  de  porter  au  port  de  départ  des  nouvelles  fraîches. 
Or,  par  une  curieuse  coïncidence,  c'est  dans  les  parages  de  Terre-Neuve 
que  nos  transatlantiques  effectuent  des  lâchers  de  pigeons  pour  la  France 
(LKFnANC,  Lea  naviqations  de  Paiitayruel,  p.  93). 

(2)  Actuellement  Port-Neuf. 


320  HISTOIRE    DE    LA    MARIiNE    FRANÇAISE. 

fié  d'un  manteau  écarlate,  garni  de  l)outons  d'élain  et  de 
grelots  :  deux  jouvenceaux  y  furent  laisses  pour  apprendre 
la  langue  indienne.  Devant  l'impossibilité  de  franchir  en 
barque  le  premier  rapide,  malgré  une  double  équipe  de 
rameurs,  Cartier,  sous  la  conduite  de  quatre  Indiens, 
remonta  les  berges  du  Saint-Laurent  jusqu'au  deuxième 
saut,  sans  doute  celui  de  Carillon  sur  l'Otta^va.  Au  moyen 
de  petits  bâtons  couchés  à  terre  et  coupés  de  branches  qui 
représentaient  les  sauts,  les  sauvages  de  l'endroit  montrè- 
rent qu'il  n'y  avait  plus  qu'un  rapide  à  franchir  avant  d'at- 
teindre le  royaume  de  Saguenay.  Faute  de  vivres,  Cartier 
dut  se  contenter  de  cette  description  et  retourna  en  arrière, 
non  sans  combler  ses  guides  de  menus  présents,  peignes, 
épingles  ou  hameçons. 

Un  document  d'une  importance  capitale,  que  nous  ne 
possédons  malheureusement  plus,  l'atlas  des  cartes  rédi- 
gées par  Jacques  Cartier,  au  cours  de  ses  campagnes,  fixait 
du  côté  de  ^Otta^va  le  mystérieux  but  de  ses  efforts:  nous 
en  avons  le  témoignage  dans  une  lettre  d'un  de  ses  neveux  : 

(i  J'ai  trouvé  dans  ladite  carte,  dit-il,  au-dessus  de  l'en 
droit  où  la  Rivière  se  partage  en  deux  (Saint-Laurent  et 
Ottawa),  au  milieu  des  deux  branches  de  ladite  Rivière  et 
quelque  peu  plus  proche  de  la  branche  qui  court  vers  le 
nord-ouest  (l'Ottawa),  les  mots  qui  suivent,  écrits  de  la 
main  de  Jacques  Cartier  :  »  Par  le  peuple  du  Canada  et  Hoche- 
laga,  il  est  dit  :  que  c'est  ici  oii  la  terre  de  Saguenay^  qu'elle 
est  riche  et  abonde  en  pierres  précieuses .  "  Un  autre  passage 
de  la  carte  ouvrait  ailleurs  de  brillantes  perspectives  d'ave- 
nir pour  la  colonie  de  la  Nouvelle  France.  A  cent  lieues 
dans  le  sud-ouest,  Jacques  Cartier  avait  inscrit  cette 
légende  «  Ici,  dans  ce  poys,  se  trouve  la  canelle  et  le  girojfle, 
que  dans  leur  langue  ils  appelent  canodilla  (I) .  » 

(t)  Lettre  de  Jacques  Noël,  neveu  de  Cartier,  à  Jean  Groote  ou  Grout. 
Saint-Malo   [15871.    La   carte  de  Jacques    Cartier   était,  à   ce    moment-là, 


LA    DECOUVERTE   DU    CANADA.  *21 

De  retour  à  Gharlesbourg  Royal,  Cartier  apprit  que  les 
Indiens  devenaient  hostiles,  qu'ils  ne  vendaient  plus  de 
poisson  au  fort.  Des  gens  envoyés  aux  nouvelles  à  Stada- 
coné  rapportèrent  que  les  sauvages  s'y  rassemblaient  en 
nombre  considérable.  Notre  pseudo-allié,  l'agouhanna  de 
Hochelay,  était  parmi  eux  et,  comme  les  autres  chefs,  com- 
plotait notre  perte.  Cartier,  à  tout  événement,  «  fit  mettre 
notre  fort  en  ordre...  »  Par  ces  mots,  à  l'instant  précis  où 
une  lutte  palpitante  va  s'engager  entre  des  milliers  de  sau- 
vages et  une  poignée  de  Français,  la  relation  du  troisième 
voyage  finit  brusquement.  La  suite  est  perdue. 


IV 

ROBERVAL.    FORT    DE    FRANCE-ROY. 
LILE   DE    LA    DEMOISELLE 

Cependant,  les  deux  vaisseaux  expédiés  en  France,  le 
Georges  et  le  Sainl-Briac,  avaient  abordé  à  Saint-Maio  le 
3  octobre  1541.  Sur  l'avenir  du  Canada  peuplé  de  nom- 
breuses bourgades,  sur  la  découverte  à  faire  d'une  grande 
mer  à  l'oviest  au-delà  des  sauts  du  Saint-Laurent,  le  capi- 
taine Jalobert  ne  tarissait  pas,  prenant  pour  étrange  confi- 
dent de  ses  pensées  un  espion  portugais.  A  vrai  dire,  il  eût 
été  en  peine  de  se  confier  à  Roberval  :  non  que  le  gouverneur 
du  Canada  fût  parti,  il  rôdait  le  long  des  côtes  de  Bretagne, 
voire  de  Saint-Malo;  mais  il  n'osait  entrer  au  port  (1) . 

entre  les  mains  de  Jan  Jocet  de  Greineur,  connëtaljle  de  Saint-Malo  f  Hak- 
hv^-v.  Principal  Navigations  (éd.  1600),  t.  III,  p.  2V2.  — Joltox  des  Los- 
GRAis,  Jacques  Cartier,  p.  147.)  —  jSous  ne  possédons  plus  deux  ouvrages 
de  Jean  de  Glainorgan,  capitaine  de  la  marine  du  Ponant  sous  François  \", 
où  il  était  question  du  Canada  :  un  atlas  de  cartes  marines  offert  à  Fran- 
çois I"'  et  un  Traité  sur  les  navigations  lointaines  et  la  construction  des 
navires  (Cf.  H.   Harrisse,   The  discovery  of  North  America,  p.  622). 

(1)  Lettre  écrite   de  Nantes^  le    12  novembre  1541,   à   l'ambassadeur  du 

ui.  21 


322  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Si  la  (Ictrcssc  est  mauvaise  conseillère,  il  est  parfois  pires 
eonseillers  qu'elle.  C'est  ce  qui  était  arrivé  à  Koberval. 
Pour  équiper  trois  petits  navires  à  Honfleur  (1),  lo  Lèche- 
fraye^  la  Valentiue  et  l'Amie,  vainement  avait-il  engagé  son 
vieux  manoir  en  ruines  de  Bacouel,  des  vignes,  des  cens  ; 
ne  disposant  plus  que  d'un  tiers  de  la  subvention  royale, 
soit  quinze  mille  livres,  il  avait  eu  recours  à  l'ancien  com- 
manditaire de  Vcrrazzano,  l'armateur  Alonce  de  Civille  (;2), 
et  à  un  banquier  lyonnais,  qui  le  poursuivait  de  ses  lettres 
de  créances  (3) . 

Dans  ces  conditions,  il  eut  le  malheur  de  rencontrer  à 
Honfleur  lancien  vice-amiral  Pierre  de  Bidoux,  sieur  de 
Lartigue  (4),  qui  n'avait  pas  encore  franchi  le  dernier  éche- 
lon de  la  dégradation,  n'étant  que  pirate,  avant  de  devenir, 
quelques  mois  plus  tard,  un  traître  (5).  Lartigue  enseigna 
au  malheureux,  traqué  par  ses  créanciers,  un  moyen  de 
faire  fortune,  qui  était  de  piller  amis  et  ennemis  :  embus- 
qués près  de  quelque  petit  port  breton,  de  Gamaret  par 
exemple,  ils  réalisèrent  ainsi  d'assez  jolis  bénéfices  (G),  jus- 
qu'au jour  où  l'association  se  disloqua. 

Le  jour  de  Noël  1541,   à  Landevennec,  comme  Lartigue 


Portugal  (Archives  de  .Siniancas,  Eslado,  lejajo  373,    fol.  42  ;  communica- 
tion de  M.  Biggar). 

(1)  La  Marie,  dite  la  Léchefrayc,  de  80  à  100  tonnes,  venue  en  mai  de 
Saint-Malo  ;  la  Valentihe,  de  92  tonnes;  la  Sainte-Anne  ou  l'Anne,  de 
80  tonnes,  frétées  le  19  juin  à  Honfleur  (Archives  du  château  de  lloberval  : 
Abbé  Mouki.,  p.  284). 

(2)  Auquel  il  dut  signer,  avant  de  quitter  Honfleur,  le  30  août  1541,  une 
reconnaissance  de  22164  livres  11  sols  7  deniers  (Abbc  Morel,  p.   287). 

(3)  En  mai,  à  Saint-Malo  (JoUox  ijks  Longrai.s,  p.  37). 

(4)  Lartigue  intervient  le  17  juin  au  contrat  d'acliat  de  la  Marie  (Abbé 
MoRKL,  p.  284). 

(5)  Cf.  ses  propositions  de  trahison  au  roi  d'Angleterre  en  1543  {Lellcrs 
find  papers...  of  Henry  VIII,  t.  XVIII,  1'^'  part.,  n"  125,  163,  648). 

(6)  Des  centaines  de  quintaux  de  fer  et  de  peaux  de  maroquin,  entre 
autres,  furent  pillées  par  eux.  Lettre  de  Marillac,  ambassadeur  à  Londres, 
22  février  1542  (Jean  K\ulek,  Correspondance  politique  de  MM.  de  Cas- 
tillon  et  de  Marillar,  p.  390). 


LA    DECOUVERTE   IJ  U    CANADA.  32» 

tirait  de  son  l)ord,  les  hommes  de  VAnne,  peu  soucieux  d'al- 
ler au  Canada,  désertèrent  en  masse  pour  le  suivre.  Il  y 
avait  là  des  bandits  qui  avaient  terrorisé,  avant  leur  départ, 
les  bailliages  normands  (1)  :  ils  n'avaient  cure  des  ordres 
du  capitaine  Paul  d'Auxilhon,  qui,  selon  les  instructions 
de  Roberval,  avait  consigné  tout  le  monde  à  bord  et  tentait 
mcmu  milùai-i de  se  faire  obéir.  Un  des  mutins,  Barbot,  bran- 
dit son  poignard,  en  criant  :  «  Par  le  sang  Dieu!  vous  ne 
tuerez  pas  les  gens.  »  Le  capitaine  l'éventra,  les  soldats 
dépéchèrent  deux  autres  rebelles  qui  couraient  aux  armes, 
et  Roberval  témoigna  sa  satisfaction  de  cette  énergique 
répression  en  absolvant  le  capitaine  (2). 

Lui-même  n'avait  que  trop  besoin  d'être  absous  :  l'opi- 
nion, la  Cour  (3),  s'émouvaient  de  ses  atermoiements  cou- 
pables. L'hiver  passa;  il  n'y  eut  plus  de  raison  de  différer 
le  départ.  Pour  guider  l'expédition,  un  pilote  s'était  offert. 
Il  naviguait  depuis  quarante  ans  (4)  ;  jamais  il  n'avait 
perdu  un  vaisseau;  il  avait  perfectionné  la  voilure  en  adap- 
tant au  grand  mat  le  perroquet,  qui,  de  lui,  rctini  en  cer- 
tains pays  le  nom  de  Jeannette  (5).  Tantôt  marchand,  tantôt 
corsaire,  capitaine  ou  pilote,  il  avait  saccagé  Porto-Rico  (6), 

(1)  Extraits  de  La  Tournelle,  25  janvier  1541  (B.  N.,  Nouv.   acq.  franc- 
9269,  fol.  11). 

(2)  Lettres  d'aliolition  pour  Paul  d'Auxilhon.  Fort  de  France  Roy,  au 
Canada,  9  septembre  1542  (liAnnissE,  p.  275  ;  lire  «  Lartiguc  "  au  lieu  de 
1'  Cartier  »,    "  /Mh»^"    au  lieu  de   «  Canne  ■•'). 

(3)  Lettres  du  chancelier  Poyet  au  Parlement  de  Rouen,  10  juillet  1541, 
et  de  Roberval  à  Poyet,  18  août  (Abbé  Morkl,  p.  287). 

(4)  Georges  Musset, /ea?j  Fonteneau,  dit  Alfoiise  de  Saintonqc,  capitaine- 
pilote  de  François  I".  Paris,  1896,  in-8°,  extrait  du  Bulletin  de  (jéographie 
historifjue  et  descriptive  (1895). 

(5)  Ibidem,  p.  11.  — Jai.,  Glossaire  nautique,  art.  Joanete,  portugais. 

«  Mais  le  mas  eslevë  eu  signe  de  son  nom 
Eslevera  tous  jours  dans  le  ciel  son  rcuoni,  » 

disait  d'Alfonse  le  poitevin  Roger  Maisonnier,  dans  un  sonnet  placé  en 
tète  des  Voyages  adventureux  d'Alfonse,  imprimés  par  Jean  de  Marnef. 
1559,  in-8°. 

(6)  Ainsi  qu'il  le  raconta  à  Thevet   :   il  gisait,  au  moment  de  son   récit, 


324  HISTOIRE    UE    LA   MARIME    FRANÇAISE. 

relâché  à  la  Bermude,  un  nid  à  corsaires,  el  reconnu  le 
continent  américain  par  les  42",  entre  la  Norembègue,  — 
où  il  plaçait  la  fantastique  cité  de  Gibola  aux  toitures  d'or 
et  d'argent,  —  et  la  Floride,  qu'il  se  faisait  fêle  d'explorer 
avec  un  petit  bâtiment  de  soixante-dix  tonnes  (1) .  Il  reve- 
nait de  Guinée  quand  Roberval  l'embaucha  (2) .  Sur  le 
Canada  où  il  se  rendait,  il  partageait  l'erreur  de  Cartier 
que  c'était  a  un  bout  de  l'Azie  » ,  attenant  à  la  Tar- 
tarie  (3)  :  mais  il  en  connaissait  bien  la  route,  ce  qui  était 
l'important.  Le  pilote,  1  ai-je  nommé,  c'était  le  célèbre 
Jean  Alfonse. 

Le  IG  avril  L542  enfin,  avec  un  an  de  retard,  l'escadrille 
de  Roberval  mit  à  la  voile  au  port  de  La  Rochelle.  A  bord 
des  trois  vaisseaux,  dont  les  principaux  officiers  étaient 
l'Auvergnat  Paul  Auxilhon  de  Saint-Nectaire  ou  de  Senne- 
terre,  l'enseigne  L'Espinay,  le  capitaine  Guinecourl,  Noire- 
Fontaine,  Dieu-Lamont,  Frotté,  La  Brosse,  La  Salle,  Fran- 
çois de  La  Mire  et  Royèze,  il  y  avait  deux  cents  personnes, 
hommes  et  femmes,  matelots  et  colons.  Le  8  juin,  la  flot- 
tille mouillait  au  havre  de  Saint-Jean,  à  Terre-Neuve  (4). 

...   Quelques  jours  plus  tard,  Jacques  Cartier  parut.  Il 

dans  les  prisons  de  Poitiers  par  exprès  commandement  du  roi  (Thkvkt, 
Grand  insulaire,  fol.  174  v").  —  Sur  Alfonse,  voyez  Pierre  Marcry,  les 
Navinatcurs  français  et  la  révolution  maritime  du  xiv"  au  wf  siècle.  Paris, 
1867,  in-8°;  et  Emile  Biais,  Etude  sur  le  capitaine  Alfonse,  d'après  le 
livre  de  M.  P.  Margry,  Bulletin  de  la  Soc.  arcliéol.  et  hisl.  de  la  Charente, 
¥  série,  t.  VI  (1868-1869),  p.  997. 

(1)  Jean  Alfokse,  Cosmographie,  B.  N.,  Franc.  676,  fol.  182,  éd.  Mus- 
set (Cf  infrà,  p.  332),  p.  496.  —  Cibola  était  bien  plus  au  sud.  En  1542, 
le  capitaine  .laramillo  s'y  était  rendu  de  Mexico  (Colcccion  para  la  historia 
de  la  Florida,  par  Buckinguam  Smith,  t.  I,  p.  154). 

(2)  Où  il  avait  conduit,  au  printemps  de  1541,  la /ja/-6e  f/t>  Ja/y/ (Musskt, 
Jean  Fontcncau,  p.  5). 

(3)  Cosmographie,  B.  N.,  Franc.  676,  fol.   182,  éd.  Musset,  p.  496. 

(4)  "  Le  voyage  de  Jean  François  de  La  Rogne,  chevalier,  sieur  de  Ro- 
berval, aux  pais  du  Canada,  Saguenay  et  Hochelaga,  avec  trois  navires  et 
deux  cens  personnes...  «  a  été  publié  en  anglais  par  Hakluyt;  en  fran- 
çais par  la  Société  littéraire  de  Québec,  Voyages  de  découvertes  au  Canada, 
p.  91. 


LA  DÉCOUVERTE  DU  CANADA.  325 

s'était  dérobé  aux  attaques  incessantes  des  sauvages,  qui 
rôdaient  continuellement  autour  de  Charlesbourg  Royal  et 
avaient  tué  trente-cinq  hommes  employés  à  construire  des 
habitations  ;  las  d'être  bloqué,  il  retournait  en  France  avec 
des  diamants  et  de  la  poudre  d'or;  de  cette  poudre,  Rober- 
val,  le  dimanche  suivant,  fit  l'épreuve  et  elle  fut  trouvée 
bonne.  Cartier  n'en  fut  que  plus  impatient  d  aller  mander 
à  la  Cour  sa  découverte  ;  au  lieu  de  rebrousser  chemin 
pour  guider  l'expédition  dans  le  Saint-Laurent,  dans  la 
nuit,  sans  prendre  congé,  il  mit  secrètement  à  la  voile. 

C  était  fort  imprudent.  A  sept  lieues  du  havre  Saint- 
.lean  péchaient  des  marins  de  Fontarabie,  qui  précipitam- 
ment rapportèrent  en  Espagne  l'annonce  que  le  Ma  louai 
revenait  avec  dix  barriques  d'or,  sept  d  argent,  sept  (juin- 
taux  de  perles  et  de  pierreries  (1).  Des  marins  basques  se 
mirent  en  embuscade  ;  et  Cartier,  tout  autant  que  nos 
pêcheurs,  ignorait  que,  depuis  le  10  juillet,  la  guerre  était 
déclarée  entre  la  France  et  l'Espagne.  Vingt-sept  de  nos 
bâtiments,  puis  quatre  autres,  venant,  disait-on,  de  tenter 
quelque  entreprise  vers  les  Indes  (2),  mais,  eu  réalité,  de 
pécher  sur  les  bancs  (3),  tombèrent  dans  l'embuscade. 
L'empressement  que  l'on  mit  à  en  informer  1  empereur 
montre  l'importance  qu'on  attachait  à  cette  attaque  ;  elle 
était  dirigée  contre  Jacques  Cartier,  à  telle  enseigne  qu'une 
enquête  eut  lieu,  le  23  septembre,  parmi  les  terreneuviers 
espagnols  qui  avaient  pu  le  rencontrer    i).  Mais  le   Ma- 

(1)  Enquête  du  23  septembre  1542  parmi  les  marins  de  Fontarabie  (Sé- 
ville,  Archivio  gênerai  de  Indias,  Patronato  real^  estante  2,  cajon  5, 
legajo  1/22,  n»  16). 

(2)  Charles-Quint  en  eut  avis  le  17  septembre  (Journal  des  uoyages  de 
C'Itarles-Qiiint,  publié  par  GACUAnD,  Collection  des  voya(/es  des  souverains 
des  Pays-Bas.  Bruxelles,  1874,  in-4»,  1.  II,  p.  216). 

(3)  Une  centaine  de  terreneuviers  furent  poursuivis  par  13  vaisseaux  de 
guerre  espagnols  jusque  sur  les  côtes  de  Hollande,  parait-il.  Septembre 
[Calendar  of  State  papers,  Spanisli,  Ifcniy   F/// (1542-1543),  p.  138). 

(4)  Enquête  citée  plus  haut,  note  1. 


326  HISTOIIIE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

louin  était  hors  d  atteinte,  à  l'abri  du  Vieux  Rocher  (  1   . 

Il  avait  échappé  à  rennemi.  Il  n'échappa  point  au  ridi- 
cule, qui,  en  France,  tue.  Son  or  n'était  que  du  cuivre,  si 
abondant  dans  la  région  des  lacs  canadiens,  et  ses  dia- 
mants que  de  petites  pierres  à  facettes  d'un  schiste  riche 
en  mica;  et  jaux  comme  un  diamant  de  Canada  passa 
bientôt  en  proverbe  (2) .  L'immense  désillusion  qui  en 
résulta  allait  enrayer  pendant  un  demi-siècle  la  colonisa- 
tion du  Canada. 

Après  le  départ  de  Cartier,  Roberval,  quittant  Terre- 
Neuve,  gouverna  sur  le  continent.  A  quelque  distance  du 
Labrador,  le  long  d'un  cap  élevé  qui  se  dressait  dans  une 
île,  le  vaisseau  piloté  par  Jean  Alfonse  (3)  jeta  l'ancre  et 
déposa  dans  une  petite  anse  deux  femmes,  avec  quelques 
vivres.  Un  gentilhomme,  ce  vovant,  prit  son  arquebuse, 
un  peu  de  linge,  et  débarqua  à  son  tour  dans  lile  des 
Démons  (4).  Sous  ces  apparences  banales,  voici  quel  sombre 
drame  se  déroulait  :  Roberval  avait  surpris  la  liaison  clan- 
destine d'une  sorte  de  cousine  qu'il  emmenait,  nommée 
Marguerite,  avec  un  de  ses  compagnons,  malgré  que  la 
vieille  servante  de  la  demoiselle  fît  sentinelle  durant  les 
entretiens  des  deux  amants.  Et  il  condamnait  la  coupable 
à  la  relégation  dans  cette  solitude  affreuse.  Mais,  en  vrai 
gentilhomme,  l'amant  avait  voidu  partager  le  sort  de  son 

(1)  Le  2i  octobre  1542,  à  Saint-Malo,  il  tenait  sur  les  fonts  un  enfani 
nouveau-né  (JoiJON  des  Lo>grais,  p.  178). 

(2)  Thevet,  Les  Singularités  de  la  France  antarctique .  l'aris,  1558, 
in-V,  chap.  lxxx. 

(3j  Les  détails  précis  qu'il  donne  sur  l'atterrage  de  lile  de  la  Demoiselle 
prouvent  en  effet  qu  il  y  aborda  (Cosmoqraphie,  B.  N..  Franc.  676, 
fol.  177  v").  La  partie  de  la  Cosmoqraphie  qui  concerne  le  Canada  a  été 
publiée  en  anglais  par  IlAKLrvT,  et  en  français  sous  le  titre  :  le  Routier 
(le  Jean  Alphonse  de  Xantoine,  premier  pilote  du  sieur  de  Roberval,  par 
la  Société  littéraire  et  historique  de  Québec,  Voyages  de  découverte  au 
Canada,  p.   80. 

(4)  Thevet,  Cosmoqraphie,  liv.  XXIII,  chap.  vi.  —  Margdkhitk  de 
r^AVARRE,  L'Heptaméron.  Paris,  1559,  in-4",  nouvelle  LXVII. 


LA  DÉCOUVERTE  DU  CANADA.  327 

amie,  telle  celle  paysanne  qui  avait  tenu  à  suivre  son 
fiancé,  si  criminel  fût-il,  au  Canada. 

Dans  les  cartes  du  temps,  1  île  ainsi  que  ses  voisines 
s'appellent  les  iles  de  la  Demoiselle. 

Au  Canada,  Robeival  choisit  pour  résidence  CharleS'- 
bourg  Roval,  qu  il  nomma  le  fort  de  France-Roy.  Sur  le 
Saint-Laurent  baptisé  également  du  nom  nouveau  de 
France-Prime,  le  fort  du  promontoire  comprenait  une 
grosse  tour  cl  un  corps  de  logis  de  cinquante  pieds  de 
façade,  avec  chambres,  grande  salle,  office,  four,  poêle-, 
cellier  et  moulin.  Au  pied  de  la  colline,  près  de  la  rivière 
du  Cap-Rouge,  les  provisions  étaient  entassées  dans  une 
tour  à  deu\  étages.  Elles  étaient  en  si  petite  quantité  qu'il 
fallut  rationner  dès  le  début  tout  le  monde.  Aussi,  le 
14  septembre,  Senneterrect  Guinecourt  eurent-ils  ordre  de 
reprendre  la  route  de  France  avec  lAnyie  et  le  galion 
roval  (Ij  pour  ramener  un  nouveau  convoi.  Alfonse  partit 
avec  eux. 

L'hiver  fut  terrible  à  la  petite  colonie.  Un  tiers  de  son 
effectif  fut  emporté  parle  scorbut.  Le  0  juin  I5i-îi  pourtant, 
lorsque  le  Heuve  fut  libre  de  glaces,  Roberval  se  mit  en 
route  pour  le  Saguenav,  naviguant  contre  le  courant  avec 
soixante-dix  personnes  à  bord  de  huit  barques.  Trente 
hommes,  laissés  à  la  {jarde  de  France- Roy  sous  les  ordres 
de  Royèze,  devaient  v  demeurer  jusqu  au  l"  juillet,  et  si 
Roberval  n'était  pas  de  retour  à  cette  date,  ils  regagne- 
raient la  France  sur  les  deux  barques  du  fort.  La  limite 
fut  portée  au  :22  juillet  par  une  lettre  de  Roberval,  confiée 
à  deux  gentilshommes,  Villeneuve  et  Talbot,  qui  ame- 
naient en  même  temps  un  peu  de  blé  pour  la  garnison. 
Des  éclopés  en  grand  nombre,  l'enseigne,  les  volontaires 
La  Brosse,  Frotté,  Longueval  avaient  abandonné  l'expédi- 

(1)  Depuis   longtemps  à  La   Rochelle   quand   Roberval    ordonna    de   les 
vendre,  le  11  septembre  1543  (Harrisse,  Notes...,  p.  276). 


328  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

tion  ;  une  barque  avait  sombré  avec  hviit  personnes;  mais, 
à  la  date  du  10  juin,  Roberval  poursuivait  toujours  sa 
marche  vers  le  Saguenay.  Qu'advint-il  par  la  suite?  Nous 
i  i{j;norons.  Les  derniers  feuillets  de  la  relation  de  vovaj^je 
sont  perdus. 

...  L'expédition  de  secours  arrivait  de  France  avec  Sen- 
neterre,  capitaine  de  deux  vaisseaux,  et  Cartier  comme 
pilote  (Ij.  Partie  d  Europe  en  juin  1543,  elle  était  de  retour 
huit  mois  après,  avec  Roberval  (2).  C'est  tout  ce  que  nous 
savons  de  cette  dernière  expédition.  La  liquidation  après 
faillite  de  1  entreprise  fut  pénible.  Roberval  dut  vendre 
l'Anne  et  les  objets  d'équipement  du  Galion  royal  à  la 
Rochelle,  pour  en  partager  le  prix  entre  ses  compagnons  (3) , 
Jacques  Cartier,  après  débat  avec  son  chef,  prouva,  par 
l'exposé  de  ses  comptes,  que,  loin  d'avoir  un  reliquat  à 
rendre  au  Trésor,  il  restait  créancier  du  roi  (4). 

Ail  Canada,  il  n'v  avait  plus  un  Français,  pas  même  la 
demoiselle,  qu  un  terreneuvier  breton  rapatria,  au  bout  de 
deux  ans  et  cinq  mois,  folle  de  terreur  depuis  qu'elle  se 
croyait  en  l)utte,  après  la  mort  de  sa  nourrice  et  de  son 
amant,  à  des  persécutions  diaboliques.  Cette  manie  de  la 
persécution  était  telle  qiie,  de  retour  à  Nontron  en  Péri- 
gord,  elle  se  cachait  de  Roberval  (5).  Le  terrible  justicier 
faillit  à  son  tour  périr  d  une  mort  épouvantable.  Il  était 
dans  le  grand  carracon  Philippe,  (jui  prit  feu  en  rade  du 
Havre,  en  juillet  1545,  au  moment  d'appareiller  en  tête  de 
l'immense  armada  française  assemblée  pour  l'invasion  de 
l'Angleterre.  Peu  de  personnes  échappèrent  au  sinistre  : 


(1)  Archives  nat.,  K  1232. 

(2)  Ramé,  1"  série  (1865),  p.  29.  —  JoLon  dk,^  Longuais,  p.  ôô.  — 
Archives  d'Ille-et-Vilaine,  registre  d'office  226,  i"  p.,  29  mai  1543;  un  des 
compagnons  de  Cartier  est  dit  au  Canada. 

(3)  11  septembre  1543  (Harrisse,  Notes...  p.  276). 

(4)  Ramé,  p.  24-32. 

(5)  Ileplaînéron,  nouvelle  LXVII. 


LA  DECOUVERTE  DU  CANADA.  329 

Roberval  fut  du  nombre;  il  fut  sauvé,  avec  cinq  hommes, 
par  un  de  ces  légers  navires  qu'on  appelait  des  flouins. 
Parmi  les  armes  qu  il  emportait  figuraient  a  sept  se- 
ringues » ,  destinées  vraisemblablement  à  projeter  du  feu 
grégeois,  ce  qui  était  une  façon  d'utiliser  pour  la  guerre  ses 
connaissances  minéralogiques  (1).  Trois  ans  plus  tard,  il 
obtenait  le  monopole  de  Texploitalion,  en  France,  de 
"  toutes  mynes,  mynières  et  sustances  terrestres,  tant  meta- 
licques  que  aultres  »  ,  or,  argent,  plomb  et  azur  ou  lapis- 
lazuli  (2).  Croirait-on  qu  avec  une  pareille  pierre  philoso- 
phale,  il  mourut  ruiné  en  I5G0? 

A  de  nombreux  baptêmes,  à  Saint-Malo,  on  vit,  jusqu  en 
1557,  assister  un  vieillard  vénérable,  mais  encore  alerte, 
aux  allures  de  loup  de  mer.  C'était  Jacques  Cartier.  Dans 
son  manoir  de  Limoïlou  (3),  véritable  observatoire  établi 
comme  celui  d'Ango  au  sommet  d'une  falaise,  ou  dans  sa 
maison  de  la  rue  de  Buhen,  non  loin  de  la  tour  Quiquen- 
grogne,  il  recevait  parfois  la  visite  de  personnages  illustres. 
Si  l'on  ajoute  foi  à  une  tradition  locale  d  antiquité  respec- 
table, llabelais  fut  l'un  de  ses  hôtes.  Il  vint  apprendre 
de  lui  il  les  termes  de  la  marine  et  du  pilotage  pour  en 
chamarrer  ses  bouffonesqucs  Lucianismes  et  impies  épi- 
curéismes  (4)  » , 

Certaine  journée  de  1550,  que  Sébastien  Cabot  et 
Bayarni,  un  Danois  qui  en  vingt-deux  ans  avait  fait  quatre 
voyages  à  Thulé,  se  trouvaient  réunis  chez  lui  et  devisaient 
de  leurs  voyages,  un  hâbleur  survint  qui  soutira  à  chacun 


(i)  Le  Havre,  18  juillet  1545  (Archives  de  Roberval  :  Abbé  Morel, 
p.  299). 

(2)  Lyon,  30  septembre  1548  (B.  I\.,  Franc.  5085,  fol.  271.  —Édits... 
sur  le  faiet,  ordre  et  police  des  mines  et  minières  de  France.  Paris,  1631, 
in-8".  —  MoBEL,  p.  294). 

(3)  llamé  en  a  donné  deux  vues,  p.  1,  65. 

(4)  .Jacques  Doremet,  De  l'antiquité  de  la  ville  et  cite'  d'Aleth,  1628. 
Réédition  Joiion  des  Longrais,  p.  50. 


3.Î0  HISTOIRE    DE    T,A  MARINE    FRANÇAISE. 

deux  quelque  chose  :  à  Bavarni,  une  description  de  Thulé; 
à  Cabot,  des  mémoires  sur  la  terre  de  Gorte-Real  et  les 
rivières  comprises  entre  le  cercle  arctique  et  le  golfe  des 
lies  du  Diable;  au  Malouin,  une  carte  de  l'île  de  TAssomp- 
lion  ou  d'Anticosti,  et  l'histoire  d'un  ours  rencontre  à 
Terre-Neuve,   i.  si  vieux  qu'il  en  estoit  blanc!  (Ij  " . 


V 


LA    MORT    DV    PILOTE   ALFONSE 

Non  plus  (juc  h  piidte  malouin,  Jean  Alfonse  ne  retourna 
au  Canada.  La  jjuerre  avec  l'Espagne  lui  offrait  de 
tout  aulres  perspectives  de  profit  que  l'exploitation  des 
faux  diamants;  e(  la  Collette  de  La  Rochelle,  après  une 
croisière  de  conserve  avec  la  Madeleine  de  Saint-Jean-de- 
Luz,  ramenait  en  décembre  1543  quatre  prises  armées  en 
.guerre  et  une  cargaison  de  sucre  de  Madère  f;2).  Avant  de 
repartir  en  course,  comme  par  un  pressentiment  de  la  des- 
tinée, Alfonse  éprouva  le  besoin  de  se  recueillir  et  de  con- 
signer par  écrit  les  observations  géographiques  qu'il  avait 
pu  rassembler  durant  sa  longue  carrière  maritime,  sauf 
qu'elles  semblent  trop,  en  certains  points,  un  plagiat 
delà  Surna  de  Geografia  d'Enciso  (3i.  Sa  Cosmographie^ 
terminée  le   24   mai    1541  à   La    Rochelle,   fut  son    testa- 


(i)  Thevkt,  Le  Grun.l  Insulaire  :  li.N.,  Franc.  15452,  fol.   15.  20,    I W. 

(2)  MrssET,  Jean  Fonicneau,  p.  6  :  il  était  à  La  Rochelle  dès  le  mois  de 
mai  précédent. 

(3)  Les  emprunts  faits  par  Alfonse  à  l'ouvrage  d'Enciso  ont  été  relevés^ 
par  II.\RRissK,  Découverte  et  évolution  cartographique  de  Terre-Neuve, 
p.  154-,  et  par  M.\rory,  dans  le  ms.  des  INouv.  acq.  franc,  de  la  B.  N. 
9385.  —  Voici  le  titre  de  l'ouvrage  de  Martin  Fernandez  de  Engi.so,  Suma 
de  qeoqrafin  qne  trat/i  de  lodas  tas  partidas  y  prnvineias  del  vuindo,  en 
especial  de  las  Indias.  Scvilla,  1519,  in-fol. 


LA    DEGOL'VERTK    DU    CANADA.  331 

mcnl  (1).  11  espérait,  par  cette  œuvre  suprême,  «  faire  ser- 
vice au  Roy,  "  car  il  trouvait  que  nous  nous  laissions 
dépouiller  dans  le  partage  du  monde. 

Passant  de  la  théorie  à  la  pratique,  il  lomha  sur  les 
Espagnols,  à  la  tête  de  laMarie  et  de  la  Louise  de  Guillaume 
Perle,  renforcées  par  un  navire  de  Ré  {"1).  Tous  les  vaisseaux 
étaient  armés  à  la  grosse  aventure,  c'est-à-dire  qu'on  ren- 
dait simplement  les  armes  aux  prêteurs,  si  la  campague 
était  sans  profit;  on  les  remboursait  au  double  de  leur 
valeur  en  cas  contraire.  Cette  fois,  la  fortune  fut  infidèle 
ù  l'aventureux  capitaine.  [*eu  après  son  départ,  la  paix 
entre  la  France  et  1  Espagne  fut  signée  le  18  septembre, 
Alfonse  n'en  était  point  averti. 

Par  le  travers  du  cap  Saint-Vincent,  il  venait  de  capturer 
une  douzaine  de  navires  basques  chargés  de  fer,  qiumd  lui 
de  nos  plus  redoutables  adversaires,  Menendez,  se  lança  à 
sa  poursuite,  reprit  cinq  bâtiments  basques;  après  vuie 
chasse  mouvementée,  il  attaqua  Alfonse  eu  pleiuc  rade  de 
La  Rochelle  et  le  blessa  mortellement  (3).  Sommé  de  venir 
s'expliquer  à  terre,  Menendez  exhiba  aux  échevins  de  La 
Rc»chelle  l'ordre  qu'il  avait  de  reprendre  les  vaisseaux  cap- 
turés depuis  la  signature  de  la  paix.  Il  obtint  que  les  prises 
fussent  placées  sous  séquestre. 

Jean  Alfonse  mort,  son  fils  Antoine  jura  de  le  venger.  11 
envova  défier  Menendez,  lavertissant  qu'il  prendrait  la  mer 
dans  deux  mois  avec  ses  trois  vaisseaux.  Le  défi  fut  relevé  : 
la  rencontre  eut  lieu  à  Ténériffe  :  et,  de  ce  nouveau  duel, 

(J)  Musset,  Jean  Fonteiieau,  p.  10.  —  La  Cosmoqraphie  existe  en  ori- 
ginal à  la  Bibliothèque  Nationale  sous  le  n"  676  du  fonds  français. 

(2)  Alfonse  était  encore  à  La  Rochelle  le  26  juin  (Mussp:t,  p.  7). 

(3)  Y  a-t-il  une  allusion  à  cela  dans  le  «  Sonnet  d'Alfonce  "  de  Roger 
Maisonnier  : 

«    Les  flols  soiil  les  malins  (|ui,  mesme  après  sa  mort, 
Le  vouidroient  assaillir  jusijue  dedans  le  port, 

(/.c?  voyages  adventurcux  du  capitaine  Jean  Alfonce,  préface). 


332  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Menendez,  avec  ses  deux  vaisseaux,  sortit  encore  vainqueur. 
Antoine  fut  tué  d'une  balle,  son  vaisseau  coulé,  les  deux 
autres  pris  (1).  Telle  est  une  version  espagnole  dont  il  esl 
impossible  de  contrôler  les  détails,  sinon  que  les  allusions 
d'un  contemporain  à  la  mort  violente  d'Alfonse  arrivant 
au  port  semblent  la  corroborer. 

"  L'assaillant  l'a  mis  en  tel  desroy, 

Que  rien  de  luy  ne  reste  plus  que  poudre.   • 

Sa  Cosmographie  était  tombée  entre  les  mains  d'un  pilote 
honfleurais,  1  un  de  ses  compa.gaons  probablement  lors  de 
l'expédition  de  Roberval.  Homme  "  povre  et  loïal  »,  — 
c'est  lui-même  qui  se  décerne  ce  brevet  d  honnêteté,  — 
Raulin  Le  Taillois.  dit  Sécalart  (2),  tenta,  par  des  grat- 
tages et  des  additions  frauduleuses,  de  se  faire  passer  pour 
l'un  des  auteurs  de  l'ouvrage  (3),  et  il  essaya  d'en  tirer 
parti...  en  Angleterre  (i).  Un  autre  Honfleurais,  Maugis 
Vumenot,  résuma  la  Cosmographie  sous  le  titre  :  les  Voyages 
aventureux  du  capitaitie  Jean  Al/once,  pour  le  compte  d  Un 
Piémontais. 

Tandis  que  d  ingrats  compagnons  ne  songeaient  qu  à 
faire  leur  profit  de  l'œuvre  d'Alfonse  el  même  à  <i  esteindre 
son  nom  1) ,  un  poète  le  rendit  immortel.  Il  recouvra  "Subti- 
lement» et  publia  les  Voyages  adventureux,  en  rendant  jus- 
tice  au   défunt.    >>  Remerciez  donc  ce  seigneur  de  Saint- 

(1)  B.\n(:iA,  Ensayo  vronologico  para  la  liixtoria  cjciicral  de  la  Florida. 
Madrid,  1723,  fol.  58. 

(2)  P.  et  Ch.  BrÉard,  IJocunientx  relatifs  à  la  marine   normande,   p.  V6. 

(3)  M.  Musset  (Jean  Fonleneau,  p.  9)  a  montré  comment  Sécalart  à 
lavé  le  ms.  676  à  divers  endroits  pour  ajouter  son  nom  à  côté  de  celui  d'Al- 
fonse, substituer  la  date  24  novembre  1545  à  24  mai  1544,  etc. 

(4)  D'  E.-T.  Hamv,  Jean  Boze,  dans  le  Bull,  de  ffeogr.  hist.  (1889),  n°  2, 
p.  11.  —  La  Cosmographie  d'Alfonse,  jusqu'ici  inédite,  vient  d'être  impri- 
mée par  M.  Musset  dans  \e  Reeueil  de  voyages  el  de  documents  pour  servir 
a  l'histoire  de  la  géographie.  Paris,  Leroux,  1904,  in-S".  M.  Musset 
attribue  à  tort  à  Alfonse  le  Biscorso  d'un  grand  capitano  di  mar  francese 
del  luoco  di  JJieppa,  publié  par  Ramusio.  Ce  discours  est  de  Crignon. 


LA  DECOUVERTE  DU  CANADA.  333 

Gelays,  —  c'était  le  poète,  —  d'un  tel  bien  par  luy  fait  à  la 
République,  "  ajoute,  en  manière  de  conclusion,  Thonnéte 
imprimeur  que  la  conduite  de  Sécalart  et  compaj^nie  avait 
révolté  (l). 

...  Tous  les  acteurs  de  la  découverte  du  Canada  avaient, 
lun  après  l'autre,  disparu.  Mais  l'un  deux,  à  son  lit  de 
mort,  avait  légué  son  œuvre  aux  siens  :  et  les  neveux,  les 
compatriotes  de  Jacques  Cartier,  restèrent  fidèles  aux  vo- 
lontés dernières  du  vieux  pilote.  Par  eux  fut  maintenu  le 
contact  avec  les  populations  canadiennes  (2)  ;  par  eux  nous 
fut  conservée  notre  première  colonie. 

(1)  Poitiers,  Jean  de  Marnef,   1559,  in-8". 

(2)  Cf.  le  baptême  à  Saint-Malo,  le  17  septembre  1553,  d'un    «  sauvaige 
des  parties  de  la  Terre-Neuve  «   (Joito>  de.s  Losgrais,  p.  76j. 


CROISADE   OU   ALLIANCE  TUROCE? 


VELLEITES    DE   CROISADE 

Ah!  rhabilc  politique  que  Gharles-Quint!  Après  nous 
avoir  battus,  il  nous  faisait  épouser  ses  querelles.  Et  non 
content  de  nous  enlever  l'empire  de  la  mer,  en  nous  ren- 
dant, après  Texpédition  de  Cherchell,  une  flotte  hors  de 
service,  il  nous  mettait  aux  prises  avec  son  adversaire,  qui 
prenait  le  clianjje  et  tombait  sur  nous.  Une  résistance 
acharnée,  en  juin  1530,  ne  put  sauver  la  Napoule  des 
attaques  de  quarante-huit  bâtiments  barbaresques  :  la  ville 
fut  prise  d'assaut;  la  forteresse  tenait  encore,  quand  l'ap- 
parition de  trois  A'aisseaux  vint  distraire  l'attention  des 
assiégeants.  L  un,  qui  alliait  porter  à  Doria  un  renfort  de 
cinq  cents  hommes,  ne  succomba  qu  après  un  sanglant 
combat,  bientôt  suivi  de  la  retraite  de  Barberousse  (1). 

Devant  la  perspective  d'un  retour  périodique  des  pirates, 
il  fallut  mettre  les  îles  d  Hyères  en  état  de  défense  et,  pour 
ce,  en  faire  don  au  baron  de  Saint-Blancard  (2)  ;  il  fallut 
pourvoir  la  tour  d'If  d  une  forte  garnison  et  d'une  frégatc- 

(i)  Valbelle,  B.  N.,  Franr.  5072,  fol.  138.  —  Archives  de  Toulon. 
HH  46,  fol.  310. 

(2)  Juillet  1531  (Areliivcs  nat.,  JJ  246,  n"  22\ 


CROISADE    01      ALLIANCE    TLKQIJE?  335 

aviso  1  ;  il  fallut  surtout  élaborer,  avec  toute  la  célérité 
possible,  un  vaste  programme  de  constructions  navales,  de 
nature  à  faire  face  à  une  nouvelle  attaque  de  Barl)erousse  : 
on  disait  que  le  redoutable  pirate  amènerait,  au  printemps 
de  1532,  cent  vingt  voiles  (2).  La  perception  d'une  taxe 
additionnelle  d'un  sou  par  livre,  en  sus  du  principal  de  la 
taille  3  ,  fournit  assez  de  ressources  pour  mettre  en  chan- 
tier, par  échelons  successifs,  douze  galères  et  quelques 
vaisseaux  en  Provence  (il,  sept  galeasses  et  galions  (5), 
puis  treize  autres  en  Normandie  f6).  François  I"  comptait, 
à  la  saison  prochaine,  disposer  de  soixante  bâtiments  de 
guerre,  la  plus  belle  flotte  de  la  chrétienté  (7).  En  atten- 
dant, il  parcourait  les  ports  du  Ponant,  Rouen,  Dieppe, 
Nantes,  afin  de  passer  en  revue  les  forces  navales  qu'il 
pourrait  immédiatement  expédier  contre  Barberousse.  La 
Grande-Fj^ançoise  en  devait  constituer  le  noyau.  Un  gen- 
tilhomme de  Savone,  Jérôme  ou  Girolamo  Fer,  estimait 
possible  de  la  conduire  à  Marseille  ou  à  Toulon  sans  autre 
équipage  que  cent  vingt  matelots,  en  la  gréant  comme  la 

(1)  A  la  disposition  de  Louis  Fournilinn,  capiiaini-  de  la  Tour  Archives 
nal.,  J  960\  n"  38,  et  J  96t^  n°  5}. 

(2)  Lettre  de  François  1"  au  Sacré-Collège,  lloui  n,  2  février  1532  (Cn.vr.- 
niiiRK,  Négociations  de  la  France  dans  le  Levant,  t.  I,  [>.   190;. 

(3)  B.  N.,  Franc.  25721,  pièce  383. 

(4)  Lettre  de  François  l"  citée.  —  92,250  livres  furent  dépensées  en 
1533-1534  pour  la  construction  de  ces  douze  galères  à  ^larscillc  (B.  ]N.. 
Franc.  15629,  n"  741;  Franc.  25721,  pièce  417  . 

(5)  En  1532,  la  flotte  royale  du  I^onant  s'accrut  de  sept  bâtiments  :  la 
galéasse  Saint-Jean  construite  à  Brest  et  jaugeant  300  tonneaux;  la  ga- 
léasse  Saint-Pierre,  de  200  tonneaux,  et  deux  galions  construits  au  Havre, 
une  galiotte  de  60  tonneaux  et  un  brigantin  de  40,  construits  à  l'ancien 
Olos-des-Galées  de  Rouen;  enfin  le  Saint-Philippe,  de  300  tonnes,  achett' 
il  Saint-Bonnet,  capitaine  de  Bayonne  (B.  }s..  Franc.  15628,  n"'  188-190. 
202,  44i  :  Collection  Moreau,  vol.  737.  p.  43.  —  Bibl.  du  iJépôt  des 
oartes  de  la  Marine,  87^,  n"  19). 

(6)  En  1535,  la  galéasse  Reale,  la  galère  iAr'xletrière  et  des  galions 
(B.  N.,  Franc.  15632,  n"' 570-573.  —  Archives  nal  ,  C  754,  fol.  36;. 

(7)  Lettre  de  Zuan  Antonio  Venier.  Venise,  28  juillet  1532  (Sa>dto, 
t.  LVI,  col.  800). 


33f>  HISTOIRK    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

plus  grosse  canaque  de  Gènes  (1).  Mais  en  dépit  de  ses 
promesses,  en  dépit  des  ressources  mises  à  sa  disposi- 
tion (2),  le  gentilhomme  ligure  ne  parvint  point  à  sortir  du 
Havre  de  Grâce  la  lourde  masse. 

Puis,  le  pape  ne  s'avisa-t-il  point  de  vouloir  confier  à 
André  ou  Filippino  Doria  le  commandement  de  la  flotte 
chrétienne,  et  cela  dans  le  moment  où  l'on  prêtait  aux 
déserteurs  génois  de  sinistres  desseins  contre  les  ports  de 
Provence  et  où  nous  songions  nous-mêmes  à  leur  enlever 
un  repaire  en  saisissant  Monaco  (3) . 

La  réponse  de  Montmorency  fut  que  «  telz  paillars  » 
méritaient  d'être  pendus  et  étranglés  (4),  et  qu'il  n'enten- 
dait point  hailler  la  charge  de  l'armée  de  mer  à  «  autre 
personnaige  "  que  Stuart  d'Alhanv.  Pour  avoir  de  son 
propre  chef  proposé  une  transaction,  qui  eût  été  de  substi- 
tuer le  grand  maître  de  Rhodes  au  duc  d'Albany,  notre 
secrétaire  d'ambassade  à  Rome  fut  vertement  rabroué. 
"  Par  ainsi,  si  vous  usiez  d'autre  dissimulacion,  lui  écrivait 
durement  Montmorency,  au  lieu  de  faire  le  fin,  seroit  faire 
le  sot  (5).  »  Nous  ne  voulions  pas  du  candidat  pontifical, 
quel  qu'il  fût,  parce  que  le  pape  avait  froissé  notre  amour- 
propre.  Il  avait  donné  le  pas  à  l'ambassadeur  impérial  sur 
le  nôtre,  «  grande  et  lourde  faulte,  quasi  impossible  à  rep- 
parer  fO)  » . 

(1)  Mémoire  en  italien  donnant  le  devis  des  frais  de  voyage  (B.  N., 
Franc.  4600,  fol.  190). 

(2)  30,000  livres,  selon  mandements  datés  de  Nantes,  25  août  1532,  et 
de  Marseille,  7  novembre  1533  (Archives  nat.,  J  962,  fol.  4,  156). 

(3)  ÏNeuf  de  nos  galères  rôdèrent  pendant  cinq  jours  autour  de  Monaco. 
Avis  du  19  juin  (Sasuto,  t.  LVI,  col.  457). 

(4)  Lettre  de  Montmorency  à  M.  d'Auxerre.  3  juillet  1532  (B.  N., 
Dupuy  547,  fol.  98,  103.  —  Francis  Déchue,  A)7ue  de  Montmorency, 
qrand-maître  et  connétable  de  France,  p.  188). 

(5)  Lettre  de  Montmorency  à  M.  d'Auxerre.  21  juillet  (B.  jX.,  Dupuy 
547,  fol.  108.  —  Décrue,  p.  189). 

(6)  Lettre  de  Montmorency  à  M.  d'Auxerre.  Dieppe,  19  janvier  1532 
(B.  N.,  Dupuy  44.  fol.  18.  —  Décrue,  p.  186). 


CROISADE   OU    ALLIANCE    TURQUE?  337 

Dans  l'évolution  de  notre  politique  vers  les  idées  de 
croisade,  des  concours  intéressés,  mais  inattendus  — 
venant  d'infidèles  et  d'hérétiques  —  s'offrirent  à  nous. 
Le  roi  de  Tunis,  que  gênait  le  voisinage  de  Barberousse, 
envoya  comme  tribut  d'amitié,  prémisse  d'une  alliance, 
des  couples  de  lions,  de  chameaux,  d'autruches  et  d'anti- 
lopes, qui  débarquèrent  à  Marseille  le  1:2  août  1531  (Ij. 
Quelques  mois  plus  tard,  un  autre  voisin  de  Barberousse, 
le  fils  du  roi  de  Tlemcen,  abordait  à  son  tour  en  France 
pour  se  faire  baptiser  (2). 

Pour  se  faire  absoudre,  un  troisième  souverain,  un 
prince  adultère  cité  à  comparaître  devant  le  tribunal  de  la 
Rote,  Henri  VIII,  avait  pris  François  I"  comme  médiateur. 
Les  négociations  avec  le  Saint-Siège  furent  pénibles  (3), 
bien  que  le  coupable  s'imposât  d'avance  une  pénitence 
onéreuse  : 

Le  Défenseur  de  la  Foi  promettait  au  Très  Chrétien  d'en- 
rayer les  "  dampnées  machinations  du  Turc  " ,  en  contri- 
buant pour  un  tiers  à  la  formation  d'une  armée  franco- 
anglaise  de  80,0(^0  croisés  (4).  C'était  le  moment  où 
François  1"  créait  ses  fameuses  légions  d'infanterie  sur  le 
modèle  des  légions  romaines.  Entre  les  deux  princes,  les 
relations  furent  encore  resserrées  par  un  traité  d'alliance, 
où  ils  s'assuraient  mutuellement  l'appui,  qui  de  500  lances, 
qui  de  5,000  archers,  mais  surtout  d'une  flotte  montée  de 
1,500  hommes  (5). 

On  comprend,  dans  ces  conditions,  quel  fut  l'émoi   du 


(1)  VALnELLE,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  146. 

(2)  2  mars  1533  (V.^lbelleJ  fol.  161  v"). 

(3)  Cf.  Décrue,  p.  182. 

(4)  Le  P.  A.  Hamy,  Entrevue  de  François  I"  avec  Henry  VIII  a  Bou- 
logne-sur-Mer  en  1532.  Paris,  1898,  in-8°,  p.  ce  :  traité  de  Calais,  28  oc- 
tobre 1532. 

(5)  Traités  des  30  avril  et  23  juin  1532  (Camuz.\t,  Meslanges  historiques, 
t.  II,  fol.  88). 

'"•  22 


338  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

vice-amiral  de  La  Meilleraye,  en  recevant  Tordre  de  fournir 
une  escorte  d'honneur  au  monarque  anglais,  qui  passait 
en  France.  Il  craignait  que  les  navires  royaux  tout  neufs 
Saint-Jean^  Saint-Pie.rre,  Saint-Philippe^  Grand  galion  de 
Touques^  et  deu.\  bâtiments  normands  parussent  bien 
Il  mécanicques  » ,  c'est-à-dire  bien  mesquins,  avec  leur 
jauge  maximum  de  trois  cents  tonnes  (Ij,  auprès  des 
magnifiques  nefs,  si  hautes  et  si  sveltes,  popularisées  par 
Holbein.  Et  ce  fut  pour  le  vice-amiral  un  soulagement 
d'apprendre  que  la  flotte  ne  serait  pas  de  la  fête.  Il  était 
décidé  qu'au  rebours  du  Camp  du  drap  d'Or,  l'entrevue 
de  Boulogne  aurait  lieu  avec  le  moins  d'apparat  pos- 
sible (2) . 

Henri  VIII  venait  cette  fois  en  quémandeur  et  non  plus 
en  arbitre.  Il  désirait  obtenir,  par  la  discrète  intercession 
du  roi  de  France,  une  sentence  de  divorce,  qui  lui  permît 
de  répudier  Catherine  d'Aragon  et  d'épouser  Anne  Boleyn. 
En  dépit  des  apparences,  la  mission  du  médiateur  était  de 
conséquence  extrême;  de  sa  réussite  ou  de  son  échec,  pou- 
vait résulter  une  croisade  ou  un  schisme... 


II 

L'ENTREVUE   DL    PAPE   ET    UU    ROI    A    MARSEILLE 

L'entrevue  du  pape  et  du  roi  de  France,  où  allait  se 
décider  cette  grave  question,  fut  amenée  de  la  façon  la 
plus  naturelle  du  monde.  Un  fils  de  France  épousait  une 
nièce  du  souverain  pontife,  qui  ne  pouvait  moins  faire  que 

(1)  Liste  des  vaisseaux  désignés  pour  l'escorte,  avec  le  nom  de  leurs  capi- 
taines et  le  chiffre  de  leurs  équipages  qui  variaient  de  120  à  180  hommes. 
La  Meilleraye,  20  septembre  1532  i?>.  N.,  Moreau  737,  fol.  43). 

(2)  10  septembre  (Lettre  de  Gilles   de   la   l'ommeraye,  dans   le  P.   Hamy, 

p.  26). 


CROISADE   OU    ALLIANCE   TURQUE?  339 

de  venir  bénir  lui-même  le  mariage  du  prince  Henri  et  de 
Catherine  de  Mcdicis,  duchesse  d'Urbino.  Ce  fut  l'occasion 
pour  notre  escadre  du  Levant  de  se  mettre  en  toilette  de 
grand  gala,  sous  l'inspection  d'un  commissaire  envoyé  spé- 
cialement à  cet  effet,  Antoine  de  Proussat  de  Saint-Bon- 
net (1),  et  sous  la  haute  direction  du  grand  maître  Anne 
de  Montmorency,  chargé  du  commandement  suprême  des 
forces  navales  durant  le  séjour  de  Clément  VII  (i). 

Tandis  que  le  grand  maître  organisait  à  Marseille  une 
réception  grandiose  (;ij,  l'ancien  régent  d'Ecosse,  Stuart 
d'Albany,  partait  au-devant  du  pape  en  compagnie  de  l'ami- 
ral du  Levant,  Claude  de  Tende.  Nos  dix-huit  galères  (4) 
avaient  à  bord  une  garde  d'honneur  de  quatre-vingts 
lances  (5)  et  deux  compagnies  d'infanterie,  douze  cents 
hommes  (6)  en  tout,  qui  assuraient  contre  tout  risque  la 
traversée. 

C'est  que  le  parti  impérial  essavait  d  entraver  l'entrevue 
projetée  entre  le  pape  et  le  roi  de  France,  en  faisant  courir 
les  bruits  les  plus  sinistres  sur  les  guet-apens  de  Barbe- 
rousse  (7).  Et  de  fait,  Sinan  le  Juif,  lieutenant  du  fameux 
capoudan,  venait  d'intercepter  trois  galères  génoises  riche- 


(1)  Quittance  de  Proussaf,  sieur  de  Saint-Bonnet,  comme  commissaire 
de  l'année  de  mer  tant  en  I^iovence  qu'aux  côtes  d'Italie  (Bibliothèque  du 
Dépôt  des  cartes  et  plans  de  la  Marine,  vol.  87'^,  n"  20). 

(2)  31  juillet  1533  (B.  N.,  Clairambault  825,  fol.  114  v"). 

(3)  Valbelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  i(J8  et  suiv. 

(4)  (<inq  du  grand  maître  Anne  de  Montmorency,  commandées  par  Chris- 
tophe de  Lubiano,  son  maître  d'hôtel  ;  six  du  baron  de  Saint-Blancard, 
dont  (juatrc  appartenaient  au  roi;  trois  de  son  frère  Magdalon  d'Ornesan, 
dont  deux  au  roi;  deux  du  capitaine  Jonas,  dont  une  au  roi  ;  une  de  Chris- 
tophe de  Lubiano;  une  de  Bernard  d'Ornesan  (Archives  nat.,  .)  960', 
fol.  13()V 

(5)  Ih{,lem,  fol.   117,   117  V". 

(6)  Ibidem,  fol.  118,  148  v",  151  :  l'une  des  compagnies  était  celle  du 
capitaine  Fournillon,  commandant  la  tour  d'If. 

(7)  Lettre  du  cardinal  François  de  Tournon  au  duc  d'Albany.  Home, 
9  septembre  (Archives  nat.,  K  84,  n"  27,  publ.  dans  le  Musée  des  Archives, 
ii"590). 


340  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

menl  chai^jées.  laissées  à  Messine  pai'  iVndrë  Dorla  (l). 
Notre  eseadre  attendait  son  au^juste  passager,  quand  un 
avis  lui  vint  de  Rome  d'avoir  d'abord  à  mener  à  Nice  la 
fiancée,  Catherine  de  Médicis,  puis  de  revenir  quérir  à 
Pietra-Santa  la  cour  pontificale,  lléuni  en  conseil  de 
guerre  (2),  l'état-major  de  la  flotte,  —  Stuart  dAlbany, 
Claude  de  Tende,  Christophe  de  Lubiano,  Maurice  de 
Jonas,  Magdalon  d'Ornesan,  Saint-Bonnet  et  Chabannes, 
—  décida  de  s'incliner  devant  la  décision  de  Clément  VII. 
On  laisserait,  dans  1  intervalle,  à  La  Spezia  les  gens  d'armes 
de  la  garde  d'honneur  et  une  division  de  trois  voiliers,  la 
Billotte,  le  Ragvsais  et  le  galion  de  Renteria,  pour  protéger 
le  port,  tant  contre  les  trente-cin{j  voiles  de  Sinan  le  Juif 
en  croisière  dans  le  canal  de  Piombino  que  contre  les  dix- 
huit  galères  d'André  Doria,  en  route  pour  Gènes. 

Le  sentiment  qui  inspirait  Clément  VII  n'était  point  la 
peur.  Nous  irons  toujours  près  de  terre,  déclarait-il  aux 
pessimistes,  et  il  y  aura  force  frégates  et  brigantins  ctgrand 
garde  pour  nous  avertir  du  moindre  danger  (3).  Mais  le 
pape  attendait  le  retour  de  sa  propre  flotte,  que  Bernardo 
Salviati  avait  menée,  conjointement  avec  André  Doria,  au 
secours  de  Coron.  La  valeur  déployée  par  Salviati  dans 
l'engagement  du  2  août,  où  la  flotte  de  Lofti-Pacha,  malgré 
sa  supériorité  numérique,  avait  été  forcée  d'abandonner  le 
blocus  de  la  ville  grecque  (4),  inspirait  confiance,  non 
moins  que  l'appoint  de  seize  galères,  tant  du  pape  que  des 
chevaliers  de  Malte.  Enfin,  Salviati  vint.  Et  le  5  octobre, 
aux  salves  trois  fois  répétées  de  toute  l'artillerie,  le  pape 
s'embarquait  à  Livourne  sur  l(c  Réale  de  France  (5J .  A  la 

(1)  GUGI.IKLMOITI,  t.    I,   p.  347. 

(2)  La  Spezia,  4  septemlM-e  Cil  N.,  Dupuy  486,  fol.  51). 

(3)  Lettre  du  cardinal  de  Tournon  (Musée  des  Archives,  n»  590). 

(4)  F.  Ddro,  Armada  cspanola,  t.  1,  p.  165.  —  Gdglielmotti,  t.  I, 
p.  343. 

(5)  Récit  du   voya{;e   dans  le  journal  du  uiaitre  des   cérémonies    Petrus 


CROISADE    OU    ALLIANCE    TURQUE?  341 

tête  de  légers  avisos,  le  lloi  de  galère  et  le  Cercamare  fouil- 
lèrent rhorizoa;  les  galères  se  déployèrent  en  ligne,  la  Réale 
au  centre,  les  capitanes  sur  les  lianes  avec  quatorze  cardi- 
naux, trente-six  évèques  et  le  somptueux  cortège  pontilical  : 
quatre  transports  chargés  des  bagages  formèrent  Farrière- 
garde  :  et  toute  la  flotte  (1)  s'ébranla  aux  psalmodies  de  la 
chapelle  Sixtine  montée  sur  la  Duchesse,  où  le  Saiat-Sacre- 
ment  était  exposé. 

Sous  une  tente  de  damas  rouge,  vert  et  jaune,  (pii  tom- 
bait en  longue  traîne  jusqu'à  la  mer,  on  avait  disposé  pour 
le  Pontife  une  chambre  tendue  de  brocard,  de  soie  et  d'or. 
A  l'arrière,  deux  statues  gigantesques  soutenaient  le  cou- 
ronnement, où  le  grand  fanal  de  commandement  allumait 
ses  feux.  Le  long  des  bordages,  se  jouaient  des  sirènes  et 
des  tritons,  et  la  galère  glissait  au  rythme  lent  d'une 
chiourme  uniformément  habillée  de  damas  ronj^c,  vert  et 
jaune  (2).  Le  11  octobre,  l'escadre  arrivait  sans  incidents 
de  route  à  Marseille  :  le  roi  venait  au-devant  du  pape,  et 
la  réception  préparée  au  Jardin  royal  était  si  éblouissante 
qu'on  se  serait  cru,  dit  Valbclle,  dans  le  Paradis  terrestre. 

Ce  mot  me  dispensera  de  décrire  les  divertissements 
habituels  en  pareil  cas,  que  François  I"  corsa  d'une  revue 
navale  aux  îles  et  du  lancement  de  deux  galères.  Au  bout 
d'un  mois,  le  12  novembre.  Clément  YII  prit  congé,  gratifia 
d'un  diamant  de  grande  valeur  chacun  des  officiers  supé- 
rieurs de  la  flotte,  Claude  de  Tende,  Saint-Blancard,  Mag- 
dalon  d'Ornesan  et  Christophe  de  Lubiano,  et  retourna  à 
La  Spezia  avec  son  escorte  habituelle  des  galères  de  France 


Paulus  GcALTERius,  Diaria  ceremonialia  sub  Clémente  VII,  Bibliothèque 
Barberini,  manuscrit  ii05  :  GriGutiLMOTTi,  t.  I,  p.  349.  —  Gir.VMPOLLiON- 
FiGE.vc,  Mélanges  histoii(^ues  (Coll.  des  documents  inédits),  t.  III,  p.  515. 

(1)  Selon  les  comptes  de  Jean  Crosnicr,  il  y  eut  16  navires,  4  palions, 
32  galères  et  quelques  frégates  armées  et  équipées  pour  la  venue  du  pape 
(B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  190). 

(2)  GCGLIELMOTTI,  t.   I,  p.  351.  —  Valdelle,  fol.   168. 


342  HISTOIRE   DE    LA    MAIUiNE    FRAIS  TAISE. 

et  de  Malte  (1).  Et  co  fut  tout.  Si  Ton  se  rappelle  la  mission 
dont  François  I"  était  chargé  par  Henri  VIII,  l'entrevue  de 
Marseille  ne  lui  donna  point  la  solution  désirée.  Le  pape 
ne  transigea  pas.  Un  schisme  naissait.  Quant  à  la  croi- 
sade... 


III 


LES    CAPITULATIONS 

Le  11  octohre  1534,  les  Marseillais  eurent  la  surprise  de 
voir  entrer  au  port,  en  saluant  nos  couleurs,  une  galiote 
turque,  qui  amenait  de  Gonstantinople  une  ambassade  ("2). 
Surprise  plus  grande  encore,  défense  fut  faite  par  tous  les 
ports  de  molester  désormais  les  Turcs.  Ce  revirement  de 
notre  politique  coïncidait  avec  les  progrès  effrayants  de 
rislam  :  investi  du  titre  de  capoudan-pacha  par  le  sultan, 
Barberousse  venait  d'achever  par  la  prise  de  Bône  et  de 
Tunis  (3)  la  conquête  de  l'Afrique  septentrionale. 

Que  nous  étions  loin  des  idées  de  croisade,  naguère  agi- 
tées! Un  ambassadeur  français,  que  dis-je!  un  protonotaire 
apostolique,  fut  désigné  pour  répondre  aux  avances  du 
sultan.  La  galère  royale  Dauphine,  qui  le  portait,  fit  route 
jusqu'à  Tunis  (4)  avec  la  galiote  turque  venue  à  Marseille; 

(i)  Ce  fut  le  comte  de  Tende  tjui  reconduisit  le  pape,  l^lusieurs  bùli- 
ments-éclaireuis,  4  frégates,  2  brigantins  et  une  fuste,  furent  adjoints  à 
l'escadre,  qui  eut  une  assez  rude  traversée  (B.  ]S.,  Franc.  15029,  n°'  6'il, 
742.  —  Vaf.bellk,  fol.  175  v".  —  Lettre  de  Renzo  da  Ceri  datée  de  La 
Spezia,  30  novembre  :  Collection  Dupuy,  vol.  486,  fol.  7(5). 

(2)  Vai.iîkllk,  fol.  179  v".  —  Sur  la  curiosité  qu'excita  l'andjassade  otto- 
mane à  Paris,  vovez  le  Joioiud  i/'ini  bourgeois  de  Paris,  éd.  Lalanne, 
p.  440. 

(3)  En  août  1533  et  août  1534. 

(4)  11  avril  1535,  départ  de  Marseille;  23  mai,  retour  de  la  Daupliine 
Tenant  de  Tunis  (Vai.hki.i.k,  fol.   18J). 


CROISADE    OU    ALLIANCE    TURQUE?  343 

et  de  là,  rambassadeur  Jean  de  La  Forest  continua  vers 
Constantinople  sur  l'escadre  de  Barberousse.  Était-il  rien 
de  plus  syniptomatique  d'une  alliance  que  la  façon  dont 
les  marins  des  deux  nations  se  comblèrent  de  cadeaux. 
Sous  couleur  d'une  trêve  marchande  pour  assurer  la  liberté 
du  trafic,  l'ambassadeur  emportait  en  effet  un  projet  d'al- 
liance et  d'action  commune  nettement  déterminé.  Il  s'agis- 
sait d'une  attaque  combinée  contre  les  (Génois  pour  l'été 
suivant  :  tandis  que  Barberousse  opérerait  par  mer  contre 
leurs  colonies  en  Corse,  une  flotte  française  de  cinquante 
voiles  pour  le  moins  pourvoirait  à  son  ravitaillement  et 
seconderait  l'attaque  conire  la  métropole.  Une  diversion 
au  royaume  de  Naples,  en  Sicile  et  en  Sardaigne  serait 
simvdtanément  effectuée  par  la  flotte  turque,  afin  de  «  tou- 
cher au  vif  »  les  Espagnols  et  d'y  établir  comme  roi  un  de 
nos  partisans  (I) . 

1535  ne  vit  point  l'écrasement  d'André  Doria.  Charles- 
Quint,  appelant  à  la  rescousse  toutes  les  forces  navales  de 
son  empire,  les  escadres  de  Naples,  de  Gènes,  de  Malaga, 
de  Flandres  et  de  la  côte  Cantabrique,  les  contingents  du 
Portugal,  du  Saint-Siège  et  de  Malte,  arrivait  le  10  juin 
devant  la  (roulette,  à  la  tête  de  quatre  cents  bâtiments  et 
cinquante-quatre  mille  hommes.  Deux  vaisseaux  français, 
que  la  flotte  impériale  captura  à  Porto-Farina,  entre  Bizerte 
et  les  ruines  de  Garthage  (:2),  avaient  déjà  donné  l'alarme. 

Deux  tours  séparées  par  un  boulevard  d'un  mille  étaient 
la  clef  de  la  position.  Malgré  l'habile  défense  de  Sinan  le 

(1)  Inslructions  données  à  La  Forest  le  it  février  1535,  par  Barberousse 
et  le  sultan  (CHAnniKRK,  Négociations  de  la  France  clans  le  Levant,  t.  I, 
p.  257,  261.  —  V.  T..  RornniLLY,  L'Ambassade  de  La  Forest  et  de  Marillac 
il  Constantinople  (1535-1538),  dans  la  Revue  Itistoricjue,  t.  LXXVI  (1901), 
p.  103.  — Zkllkh,  Quae  primae  fuerint  lecjationes  a  Francisco  lin  Orien- 
tent missae.   Paris,  1881,  in-8°.  p.  -V8). 

(2)  F.  Dl-ro,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  224.  On  y  verra  reproduites  les 
magnifiques  tapisseries  de  la  Maison  Royale  qui  représentent  la  prise  de 
Tunis, 


344  HISTOIRK    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Juif,  elles  tombèrent  le  21  juillet  1535  entre  les  mains  de 
l'empereur,  qui  du  même  coup  fut  maître  de  la  flotte  de 
Barberousse;  Mouley  Hassan,  replacé  sur  le  trône  de 
Tunis,  devint  le  vassal  de  Tempereur.  Le  capoudan-pacha 
avait  pu  fuir  vers  Alger  avec  ses  fidèles  corsaires  Sinan  et 
Chasse-Diable  (1).  Et  un  danger  commun  l'assura  bientôt 
de  notre  concours. 

Les  capitulations  signées  en  février  1536  avec  le  sultan 
n'étaient  point,  comme  la  convention  précédente  (2),  un 
simple  accord  commercial;  sans  aller  jusqu'à  l'alliance 
formelle,  elles  stipulaient  la  mise  en  liberté  réciproque  de 
tous  les  prisonniers,  garantissaient  à  la  France  la  préémi- 
nence politique  en  Turquie,  et  réglaient  les  démonstrations 
amicales  que  devaient  se  faire  les  navires  de  l'une  et  lautre 
nation  (3).  Si  la  lettre  en  était  assez  vague  et  d'une  réserve 
voulue,  pour  que  le  pape,  les  rois  d'Angleterre  et  d'Ecosse 
pussent  y  adhérer  (4),  les  événements  se  chargèrent  de 
montrer  quel  en  était  l'esprit. 

La  première  conséquence  des  capitulations  fut  de  don- 
ner quelque  sécurité  à  notre  commerce  maritime  par  la 
création  de  consulats  à  Gonstantinople,  à  Péra  et  ailleurs  (5) . 
Il  était  jusque-là  si  précaire  que  les  marchands  de  Lyon, 
Avignon  et  Marseille  ne  s'aventuraient  plus  dans  l'Archi- 
pel qu'annuellement  et  avec  un  gros  vaisseau  bien  armé. 
La  nef  à  trois  hunes  qu'ils  montaient  en  1531  avait  cent 
trente-cinq  hommes  d'escorte  à  bord,  lorsqu'elle  sombra 
au  cap  Passero. 

(1)  De  Hammeh,  trad.  Dochez  (184-4),  t.  II,  p.  30. 

(2)  En  septembre  1528. 

(3)  Charrikre,  t.  I,  p.  283.  —  Pocqueville,  dans  \cs  Memoiies  de  T Aca- 
démie des  inscriptions,  t.  X,  p.  552.  —  De  Hammeh,  Les  premières  rela- 
tions diplomatifjues  entre  la  France  et  la  Porte  (1525-1540),  dans  le 
Journal  Asiatic/ue,  n°  55  (1827). 

(4)  BOURRILLY,   p.   309. 

(5^  G.  Salles,  Les  origines  des  premiers  consulats  de  la  nation  française 
à  l'étranger.  Paris,  1896,  in-S". 


CROISADE    OU    ALLIANCE    TURQUE?  345 

L'escorte  elle-même  parfois  constituait  un  danger  :  elle 
servit  de  prétexte  au  corsaire  turc  Gorscllo  pour  déclarer  de 
bonne  prise  la  Flori'e,  superbe  bâtiment  marseillais  qui  se 
rendait,  en  1539,  d'Alexandrie  aux  Echelles.  De  ce  chef, 
une  perte  de  cent  mille  ducats  vint  s'ajouter  au  premier 
sinistre,  qui  coûtait  déjà  à  nos  commerçants  la  somme 
énorme  de  cent  cinquante  mille  ducats  (I).  L'année  sui- 
vante, il  fallut  affecter  à  la  ligne  Marseille-Alexandrie- 
Beyrouth  toute  une  division  navale  venue  du  Ponant  [2]  et 
formée  de  nos  plus  forts  bâtiments,  la  galëasse  Réale ,  le 
gros  galion  Saint-Jean-Marie-Bonne-Aventure  et  la  carraque 
Sainte-Marie-Bonne-Aventure  (3 1 ,  dont  le  commandement  en 
chef  fut  confié  à  Glande  de  ^lanville  (4). 

Jusque-là,  la  direction  de  notre  commerce  maritime  avait 
été  assumée,  dans  les  entr'actes  de  la  guerre,  par  le  grand 
maître  Anne  de  Montmorency,  qui  tenta  de  rendre  au  port 
d'Aigues-Mortes,  par  un  «  contournement  du  Rhône  " ,  son 
activité  passée  (5j,  ou  par  le  général  des  galères  Saint- 
Blancard,  que  l'amiral  comte  de  Tende  avait  également 
gratifié,  avec  l'assentiment  royal,  de  la  vice-amirauté  de 
■Provence  (6) . 

(1)  Valrelle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  145  v°,  148  v°,  150,  225  v". 

(2)  Deux  galions,  entre  autres,  de  l'amiral  Chabot  (B.  JN.,  Franc.  17329, 
fol.  191). 

(3)  Archives  des  Bouches-du-Bhône,  B  2546,  fol.  5-6,  10. 

(4)  11  avait  été  nommé,  le  8  juillet  1539,  capitaine  de  la  Béate,  du  Saint- 
Jean  et  du  gros  galion  de  Touques  (Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  36, 
fol.  25).  —  Le  capitaine  J.  de  Cambys  écrit  de  Jlarscille,  les  28  décembre 
1540  et  2  janvier  1541  :  "  Seste  gualiasse  quy  doyl  aller  en  Alixandrie,  » 
—  «  la  gualiasse  et  le  gualion  sont  arivés  d'Alixandrie  et  de  Barut,  et  ne 
■dysent  rien  de  nouvel  "  (Archives  de  la  ville  d'Avignon,  3''  liasse,  n"  3431). 

(5)  En  1531  (Francis  Decrcr,  Anne  de  Montmorency,  grand  maître..., 
p.  243). 

(6)  Lettres  de  François  I".  17juillet  1531  (B.  N.,  Franc.  3081,  fol.  96). 


346  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

IV 

L'AMIE    DU    BAROiN    DE    SAINT-BLANC ARD 

Bertrand  d'Ornesan,  baron  de  Saint-Blancard,  formait 
avec  une  Avignonnaise  une  société  en  commandite,  qui  se 
doubla  d'un  commerce  plus  intime. 

Fille  adultérine  d  un  procureur  fiscal  en  cour  d'A.vignon, 
épouse  séparée  de  Joachim  de  Sade  qui  lui  avait  extorqué 
sa  dot,  Magdeleine  Lartessuti  (1)  obtint  du  pape  des  privi- 
lèges (2)  et  du  roi  des  lettres  de  sauvegarde  (3),  qui  lui 
permirent  de  reconstituer  sa  fortune. 

Les  panonceaux  de  François  I"  protégèrent  à  Marseille 
ses  maisons  et  ses  biens  :  les  bulles  de  Léon  X  lui  octroyè- 
rent, sur  les  municipalités  du  Comtat  et  sur  les  Juifs  d'Avi- 
gnon des  revenus  copieux,  que  son  consolateur,  Saint- 
Blancard,  Ht  fructifier  en  armements  maritimes  (4).  Dès 
lors,  les  comptes  courants  de  "  Madame  Magdeleine  " ,  sa 
correspondance  avec  le  marquis  des  Iles  d'Or,  —  tel  était 
l'un  des  titres  du  général  des  galères,  —  sont  le  reflet  de 
notre  politicjue  extérieure.  Lors  de  la  première  invasion  de 
la  Provence,  les  deux  associés  arment  en  course  les  nefs 
Sainte-Lucie,  Torta,  Biscaina,  la  caravelle  Sainte-Marie  et 
un  brigantin   (5),   qui  leur  procurent  de  beaux  bénéfices. 

(1)  Je  dois  à  l'oblijji-ance  de  M.  Labandk,  conservateur  de  la  bibliothèque 
et  musée  Calvet  à  Avignon,  communication  de  son  dossier  ^io-  une  amie  de 
l'amiral  (VOruesau,  baron  de  Saint-Blancard . 

(2)  Confirmation  par  Clément  VII  des  privilèges  confères  par  Léon  X, 
14  mai  1537  (Archives  de  la  ville  d'Avignon,  2°  liasse,  n"  3405). 

(3)  16  janvier  1531  et  14  septembre  1540  {I/ndem,  n"  3379). 

(4)  Ibidem,  n"  3438. 

(5)  Prises  de  la  Sainte-Lucie  en  juin  1523,  armement  d'un  brigantin  en 
décembre  1524,  réparation  de  la  Torta  et  la  Biscaina  en  janvier  1525,  vente 
de  la  caravelle  Sainte-Marie  en  novembre  1528  ^Ibidem,  n""  3345,  3349, 
3316,  3315). 


CROISADE    OU    ALLIANCE   TURQUE?  347 

Vienne  la  défection  de  Doria  :  et  Magdelcine,  sur  1  invita- 
tion pressante  du  roi  et  du  connétable  (1),  équipe,  de  ses 
deniers  et  en  dépit  de  son  u  habit  féminile,  »  une  des 
{galères  qui  doit  aller  au  secours  de  Naples  (2).  Son  patrio- 
tisme luj  coûta  deux  bâtiments  enlevés  par  le  déserteur  (3), 
tandis  que  Saint-Blancard  perdait  de  son  côté  trois  ga- 
lères (4)  et  une  nef,  la  Perle;  douleur  plus  grande  encore 
pour  le  baron,  sa  bannière  à  croix  blanche  était  donnée 
comme  blason  au  vainqueur  de  la  Perle,  Juan  Ferez  de 
llenteria  (5).  Saint-Blancard  se  vengea  comme  il  s'était  vengé 
de  la  capture  de  la  Pèlerine  par  les  Portugais  (Gj .  Un  galion 
de  Renteria,  patrie  du  voleur,  fut  enlevé  par  ses  bâti- 
ments (7j  ;  les  compatriotes  de  Doria,  déclarés  rebelles  et 
mis  hors  la  loi,  eurent  défense  de  trafiquer  désormais  en 
France  (8)  ;  et  Magdalon  d'Ornesan  alla  dans  le  Levant 
chercher  une  revanche  contre  les  infidèles  pour  la  capture 
de  la  galère  la  Nègre  (9) . 

Mais  déjà  s'opérait  à  1  égard  des  musulmans  un  revire- 
ment politique  dont  nos  armements  accusent  le  contre- 
coup. Dès  15;i2,  la  Boulye,  puis  la  Madeleine,  ainsi  nommée 

(1)  Lettres  d'Anne  de  Montmorency  et  Fiançois  \"  à  Magdeleine.  23  juillet 
et  22  août  1528  (Archives  de  la  ville  d  Avignon,  boite  97,  l"'  liasse,  n"'  3364, 
3365,  3368,  publiés  par  Kky,  François  /"  et  la  ville  d'Avignon,  dans  les 
Mémoires  de  l'Académie  de  Vaucluse,  t.   XIII  (i89V},  pp.  2i2,    213,  238). 

(2)  Réponse  de  Magdeleine  à  Montmorency.  Marseille,  l"^"^  septembre. 
(Ibidem). 

(3)  La  Bisvaina  et  la  barge  de  »  Madame  Magdaleno  de  Home,  »  écrit 
Valbei.le,  à  la  date  de  septembre   1528  (B.  ]N.,  Franc;.  5072,  fol.  126). 

(4)  Les  deux  galères  enlevées  près  de  Gènes  par  Doria  et  la  Nègre  par 
les  Turcs. 

(5)  F.  DciiO,  Armadii  espunola,  t.  I,  p.   155,  note  1. 

(6)  Cf.  plus  haut,  p.  281. 

(7)  Le  galion  Sainte-Marie-de-la-Rcntcrie  et  une  nef  de  conserve,  dont 
moitié  du  prix  de  vente  est  remise  à  Saint-Blancard.  Janvier  1534  (Archives 
de  la  ville  d'Avignon,  n"*  3386-3388). 

(8)  Fontainebleau,  12  juillet  1531  (V.\lrelle,  B.  N.,  Franc.  5072, 
fol.  146). 

(9)  Lettre  de  Saint-Blancard  au  roi.  Lvon,  17  août  1530  (B.  N.,  Franc. 
3007,  fol.  77). 


348  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

de  sa  propriétaire,  vojjuenL  en  paix  vers  les  pays  barbares- 
qiies  (I)  ;  Magdeleinc  tire  des  lettres  de  change  sur  Gons- 
tantinople  (2),  écoule  à  Alexandrie  des  ducats  hors  d  u- 
sage  (3),  cependant  que  Saint-Blancard  achète  en  Alger 
des  chevaux  arabes,  une  folie,  contre  laquelle  son  associée 
est  mise  en  garde  (4).  Funeste  contagion  des  mœurs  musul- 
manes !  l'un  et  l'autre  apprirent  à  faire  bon  marché  de  la 
liberté  humaine  ;  et  Ton  vit  Magdeleine,  une  femme  ! 
exposer  vine  mère  à  l'encan  et  laisser  traîner  l'esclave 
Lucrécie  depuis  Savone  jusqu'à  Iviça,  avec  la  seule  préoc- 
cupation que  le  mal  de  mer  ne  la  fît  enfanter  avant 
terme  !  (5). 

Comment  put-elle  supporter  pareille  tache  à  sa  réputa- 
tion, l'admirable  patriote,  qui  aida  les  Marseillais  à  re- 
pousser Charles-Quint,  avançant  le  paiementdesgalères  (6), 
fournissant  tout,  depuis  les  pierriers  jusqu'aux  boulets, 
depuis  les  bannières  jusqu'aux  savates  des  forçats  (7), 
armant  les  bâtiments  neufs  d'  "  ung  grand  canon,  d'une 
collorine  et  de  force  aultre  artilherie  "  (H),  bref,  mettant 
l'escadre  en  état  de  prendre  la  mer  à  temps  pour  inquiéter 
les  envahisseurs  (9)  ! 

Et  quand,  à  la  mort  de  Saint-Blancard,  le  19  mars  1540, 
les  commissaires  royaux  recherchèrent  le  quitus  des  six 
galères  perdues  par  le  baron  au  cours  de  sa  charge,  ce  fut 

(1)  Archives  de  la  ville  d'Avignon,  n"'  3359,  3384,  3392. 

(2)  Elle  écrit  à  Saint-Blancard  que  Francousin  lui  ferait  passer  de  l'ar- 
gent de  Gonstantinoplc  (Ibidem,  n"  3445). 

(3)  Lettre  de  J.  de  Cainbys  à  Magdeleine.  Marseille,  28  décembre  1540 
(Ibidem,  n"  3431). 

(4)  Lettre  du  même  à  la  même.  Marseille,  12  novembre  (Ibidein,  n"  3431). 

(5)  Lettre  du  même  à  la  même.  Marseille,  12  décembre  1540  (Ibidem, 
n"  3431  et  3451). 

(6)  Lettre  de  Saint-Blancard  à  Magdeleine  (Ibidem,  n°  3445). 

(7)  Cf.  les  comptes  de  Magdeleine  de  janvier  à  juin  1536  {^Ibidem, 
n-  3325,  3403). 

(8)  Ibidem,  n"  3421. 

(9)  Archives   des    Bouches-du-Bhône,  B  1260,  fol.    139,  147.  . 


CROISADE    OU    ALLIANCE    TURQUE?  349 

à  Magdeleine  Lartessuti  qu'ils  s'adressèrent  (l).  Heureux 
les  chefs  d'armées  navales,  qui  jouissent  de  commissaires 
aussi  zélés  que  le  fut  pour  le  baron  son  amie  ! 

Depuis  que  les  vicissitudes  de  notre  politique  avaient 
rendu  précaire  le  commerce  méditerranéen,  les  riverains 
du  Rhône  s'appliquaient  à  la  recherche  de  nouveaux 
débouchés  à  travers  l'ancien  monde  et  même  le  nouveau. 


V 


LES    LYONNAIS    ARMATEURS 


Il  y  aurait  un  beau  chapitre  à  écrire  sur  la  participation 
des  Lyonnais  aux  voyages  de  découvertes.  Leur  esprit  d'ini- 
tiative, qui  s'étendait  à  toutes  les  branches  du  commerce, 
se  tenait  au  courant  des  progrès  sans  cesse  réalisés  dans 
la  connaissance  du  Nouveau-Monde.  L'expédition  de  Ver- 
razzano,  organisée  par  eux,  avait  abouti  à  la  découverte  de 
la  Nouvelle-France;  Roberval,  qui  poussa  plus  au  nord, 
eut  pour  commanditaire  un  banquier  lyonnais  (!2) .  Des 
retentissantes  conquêtes  de  Gortès  et  de  Pizarre,  les  Lyon- 
nais ne  se  préoccupaient  pas  moins  :  et  des  ouvrages  im- 
primés dans  leur  ville  ouvrirent  de  vastes  horizons  sur  la 
merveilleuse  civilisation  des  royaumes  aztèques  et  incas, 
dont  les  capitales,  Mexico  et  (]uzco,  rivalisaient  avec  les 
villes  d'Europe  (3). 

(i)  Archives  de  la  ville  d'Avijjnon,  n"  ^Î^TG. 

(2)  Cf.  plus  haut,  p.  259  et  322. 

(3)  Nouvelles  certaines  des  isles  du  Féru  (d'après  Pizarre).  Lyon, 
Fr.  Juste,  1534,  in-i6.  —  Antoine  Du  PÉret,  Plantz,  pourtraitz  et  descrip- 
tions de  plusieurs  villes  et  forteresses,  tant  de  l  Europe,  Asie  et  Afrique, 
que  des  Indes  et  terres  neuves.  Lyon,  1561i-,  in-folio.  Vues  de  Mexico  et 
Cuzco  à  la  fin  du  volume. 


350  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    ERANCAISE. 

Faute  de  povivolr  accéder  à  ces  terres  promises,  dont 
l'entrée  nous  était  défendue  par  les  Espagnols,  nous  cher- 
chions fortune  ailleurs,  au  Brésil  ou  en  Afrique,  d'où  ces 
autres  fâcheux,  les  Portugais,  prétendaient  encore  nous 
évincer.  On  connaît  la  fin  lamentable  du  comptoir  fondé 
près  de  Pernambouc  par  Duperret  (I).  Jean  Duperret 
était  tenace;  les  Lyonnais,  intéressés  à  sou  entreprise,  ne 
Tétaient  pas  moins;  et  Duperret  se  flattait,  en  1540,  d'avoir 
reçu  du  roi  licence  de  retourner  au  Brésil  (2).  On  pourrait 
multiplier  ces  exemples  de  la  ténacité  de  nos  marchands  à 
revendiquer  la  liberté  des  mers.  Pour  avoir  osé  empiéter 
sur  le  monopole  que  les  navigateurs  portugais  s  attribuaient 
aux  côtes  d'Afrique,  Jean  Pacquelon,  bourgeois  de  Lvon, 
s'étant  vu  enlever  son  bâtiment,  la  Marie-des-Bonnes-lSou- 
velles,  obtint,  lui  ou  les  siens,  des  lettres  de  marque 
contre  les  ravisseurs  (3),  que,  vingt  ans  après,  des  corsaires 
poursuivaient  encore  (4j. 

On  prêtait  à  Lyon  un  tel  intérêt  aux  expéditions  navales 
que  le  Levantin  Chitraca,  dit  Badoer,  venait  v  écouler  les 
cartes  marines  et  les  papiers  volés  à  un  navigateur  nor- 
mand, familier  d'Ango,  Louis  de  Fretel,  l)aron  de  Flaix  (5), 
et  que  les  banquiers  de  Lvon  étaient  les  ])remiers  avertis, 
(1  par  lettres  redoublées  '  d'un  combat  advenu  en  rade  de 
Brest  (6).  Tel  a  citoïen;)  de  la  grande  ville  du  Rhône,  (juil- 


(1)  Cf.  plus  haut,  p.  281. 

(2)  Lettre  écrite  de  Lyon  à  Magdeleine  Lartessuti  (Archives  de  la  ville 
d'Avignon,  4'"  liasse,  n"  3V53),  pour  laquelle  Duperret  achetait,  au  retour 
de  son  voyage  du  Brésil,  douze  pièces  de  tapisserie  de  Flandre.  2  décembre 
loW  (Ibidem,  n°  33G9). 

(3)  5  mai  1557  (B.  N.,  Franc.    5809,  fol.  153). 

(4)  En  1574  (Ch.  et  P.  HriÉ.\nD,  Doviniieulsrelatifsà  lu  marine  normande  cl 
à  ses  armements  anx  XVI"  et  X  VIP  siècles,  p.  24.  — Arch.  nat.  Z''',  fol.  128). 

(5)  Dont  les  vaisseaux  désarmaient,  en  1547,  à  Saint-Maio  et  Harfleur 
(CoviLLE,  Une  aubaine  à  Lyon  sons  Henri  II,  dans  la  Revue  liislori/fue, 
t.  LXXXV  (1904),  p.  71). 

(6)  En  août  1558  (Du  Villars,  Mémoires,  dans  la  collection  Michaud  et 
Poujoulat,  t.  IX,   p.  296). 


CROISADE   OU    ALLIANCE   TURQUE?  351 

laume  Palherme,  clait  un  des  gros  armateurs  de  Fécamp, 
ou  du  moins  le  commanditaire  de  nombre  de  maîtres  et 
bourgeois  de  navires,  auxquels  son  mandataire  avait  toute 
latitude  de  «  bailler  deniers  à  proftîct  sur  telz  voiages  qu'il 
adviserait  (l)  «  . 

Les  Lyonnais  se  préoccupaient  surtout  des  voies  d'accès 
aux  Indes  et  en  Chine,  aux  pays  des  épiées  et  de  la  soie; 
de  l'entrée  des  épices  en  France,  ils  partageaient  le  mono- 
pole avec  les  Rouennais  et  les  Marseillais  (2)  Quant  à  la 
soie,  c'était  une  des  principales  sources  de  leur  fortune. 
On  ne  s'étonnera  donc  point,  plus  tard,  de  voir  un  Lyon- 
nais, d'origine  israélite,  Louis  de  Castro,  participer  à  l'ex- 
pédition mystérieuse  que  le  jeune  Monluc  conduisait  vers 
l'Océan  Indien  (3)  et  d'autres  Lyonnais  commanditer  une 
exploration  q«i,  à  soixante  ans  d'intervalle,  cherchait  à 
résoudre  le  problème  posé  par  Verrazzano  :  l'existence 
d'une  voie  navigable  de  l'i^tlantique  au  Pacifique  (4). 


(J)  Contrat  passé  à  Fécamp  le  30  août  1566  (Ernest  uk  FrÉvillk,  Mémoire 
sur  le  commerce  maritime  de  Rouen,  t.  II,  p.  456). 

(2)  Depuis  l'ordonnance  de  Henri  II  en  date  du  10  septembre  1549.  Les 
Rochelais  obtinrent  une  dérogation  en  faveur  de  leur  ville  le  4  novembre 
1550  (Anios  BAnnoT,  Histoire  de  La  Rochelle,  t.  II,  p.  74). 

(3)  En  1566  (B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  6638,  p.  124). 

(4)  En  1585  (Abel  Desjardins,  Néqociations  de  la  France  avec  la  Tos- 
cane, t.  IV,  p.  550). 


RIVALITE 

DE  FRANÇOIS  P  ET  DE  CHARLES-QUINT 

DEUXIÈME    GUERRE 


Au  printemps  de  }5;3(),  le  tocsin  répercuta  de  clocher  en 
clocher  l'annonce  de  cette  chose  sinistre  :  1  invasion.  L'em- 
pereur lui-même  pénétrait  en  Provence  :  son  lieutenant, 
le  comte  de  Nassau,  essayait  de  forcer  les  lignes  de  la 
Somme  défendues  par  le  maréchal  de  Fleuranges.  Malgré 
l'affolement  causé  par  la  triste  nouvelle,  la  résistance  s'or- 
ganisait. Fleuranges  arrêtait  l'ennemi  :  les  ports  de  la 
Manche  menacés  par  l'escadre  flamande  se  mettaient  en 
état  de  défense;  trois  hatteries  étaient  dressées  sur  les 
quais  encore  mal  clos  du  Havre  de  Grâce,  qu'on  savait 
particulièrement  menacé. 

Et  voici  justement  que  les  guetteurs  de  Sainte-Adresse 
transmettent  le  signal  :  "  Flotte  en  vue,  très  grosse.  »  Le 
vice-amiral  de  La  Meillerave  fait  sonner  le  tocsin,  qui 
jusqu'à  Gaudebec  appelle  la  population  au.\:  armes.  Le 
soir,  quinze  mille  hommes  sont  massés  au  Havre.  La  flotte 
approche...  O  surprise!  elle  est  sous  pavillon  fleurde- 
lisé (I).  Et  elle  est  victorieuse.  Elle  vient  de  mettre  en 
déroute  quarante  navires  flamands  (2). 

(t)  Guillaume  Dic  Marckiij.es,  Mémoire  sut-  la  fondacion  de  la  Ville  Fran- 
çoise de  Grâce,  p.   18. 

(2)  Récit  tait  par  François  1"='  à  un  ambassadeur,  8   octobre   1536  (Archi- 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   GH  ARLES-Q  UIN  T.     353 

Dans  rOcéan,  la  guerre  se  borna  à  de  hardis  coups  de 
main  de  nos  corsaires  sur  les  galions  des  Indes  (1).  Il  n'y 
eut  point  de  plans  de  campagne  navale,  faute  d'adversaire  : 
la  flotte  ennemie  de  l'amiral  Maximilien  de  Bourgogne  était 
occupée  à  guerroyer  contre  Christian  III  de  Danemark  (2). 
Dans  le  Levant,  au  contraire,  se  jouait  entre  l'empereur  et 
le  roi  une  partie  décisive. 


I 

LE    SIÈGE    DK    MARSEILLE 

Avisé  à  Naples  que  l'armée  française  de  l'amiral  Phi- 
lippe de  Brion-Ghabot  prenait  l'offensive  en  Piémont, 
Charles-Quint  remonta  vers  le  nord.  A  vrai  dire,  notre 
adversaire  était  le  duc  de  Savoie  et  non  l'empereur.  Mais 
en  menaçant,  par  l'occupation  de  Turin,  Fossano,  Coni, 
les  frontières  du  Milanais,  François  I"  espérait  obtenir 
pour  le  duc  d'Orléans  l'investiture  du  duché  de  Milan  (3). 
Cette  politique  agressive  donnait  à  l'empereur  le  beau  rôle^ 
et  il  s'en  prévalut  pour  se  plaindre  au  pape  et  au  collège 
cardinalice  des  continuels  empêchements  qu'apportait 
François  l"  à  la  guerre  sainte. 

Corps  expéditionnaire  de  Tunisie,  reitres  mandés  par  le 
Piémont,  fantassins  italiens  de  San-Severino  débarqués  à 
Nice,  vétérans  espagnols,  envahirent  la  Provence  en  une 
horde  de  soixante  mille  hommes,  conduite  par  un  empe- 

vio  (11  Stato  di  Modena,  Letlere  clei  ambasciatori  iii  Francia,  fascicolo  13). 

(1)  Cf.  plus  haut,  p.  293. 

(2)  L.  DE  B.ECKKR,  Etude  bio(jraphi(juc  sur  Gérard  Meckereii,  vice-amiral 
de  Flandre,  dans  les  Annales  de  la  société'  d'émulation  de  la  Flandre,  t.  VL, 
2"=  série,  p.  332  :  armements  faits  en  janvier  1536. 

(3)  Avril  1536  (Francis  DhxnuE,  An)ie  de  Montmorency,  grand  maître  et 
connétable  de  France,  p.  257). 

m,  23 


.■!:,4  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

reiir.  Et  nous  n'avions  plus  celle  fois,  en  face  de  cenl  bâti- 
ments de  (juerre,  la  maîtrise  de  la  mer  (3).  Quel  vaisseau 
opposer,  par  exemple,  à  la  carraque  Santa-Anna,  blindée  de 
lamelles  de  plomb  et  de  bronze,  que  Doria  avait  lancée  à 
Fattaque  de  Tunis  comme  un  bélier  à  lépreuve  des  bou- 
lets (2),  aucune  force  humaine  ne  semblait  capable  d  en- 
raver  le  fléau  de  l'invasion;  le  patinotisme  en  trouva  pour- 
tant une,  mais  à  quel  prix!  Le  paysan  brûla  ses  récoltes; 
les  villes  et  les  villages  furent  évacués,  les  barques  rentrées 
dans  le  port  de  Marseille  3j.  Et  devant  la  troupe  impé- 
riale, se  dressa  le  spectre  de  la  famine. 

Le  17  juillet  153G,  Antibes  succombait  à  un  assaut,  non 
sans  avoir  maltraité  les  dix  galères  d  avant-garde  d'An- 
tonio Doria  (Al.  De  ses  huit  pièces  (5),  la  tour  du  port  à 
Toulon  soutint  le  feu  de  la  flotte  entière  d'André  Doria; 
une  galère  sombra,  une  autre  eut  la  poupe  emportée. 
Mais  l'ennemi  passa  outre,  précipitant  sa  marche  sur  Mar- 
seille. 

Depuis  longtemps,  les  Marseillais  étaient  sur  leurs 
gardes.  Il  suffit  de  l'apparition  de  galères  suspectes  pour 
que  les  Marseillais  s'embarquassent  en  foule  sur  les  vingt- 
trois  galèi'es  en  rade  et  se  missent  en  chasse  (6).  Mais  la 
terrible  tâche  que  de  faire  face  à  la  fois  à  l'empereur  et  à 
Doria!  Le  commandant  en  chef  des  troupes  de  mer  et  de 
terre  était  Barbesieux,  l'adversaire  malheureux  d'André 
Doria  :  cette  fois,  il  avait  tout  contre  lui,  tant  l'infériorité 
numéri([ue  des  forces  navales  que  le  désavantage  de  com- 

(1)  Valbklle,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  197. 

(2)  Cette  carraque  avait  été  construite  à  Nice  en  1530  (Emanucle  Celesia, 
Conqiura  del  conte  Gian  Liiiqi  Ficschi,  p.  67). 

(3)  Par  ordre  du  gouverneur  Claude  de  Tende  ((Compte  de  Crosnicr,  tré- 
sorier de  la  Marine  du  Levant,  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  191). 

(4)  x\ntonio  Doria,  Coinpendio,  p.  66. 

(5)  Inventaire  de  l'artillerie  de  la  tour  du  port,  à  Toulon.  Mai  i534 
(Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  1260.  fol.  il2j. 

(6)  23  avril  1536  (Valbelle,  fol.  190  . 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"    ET    HE    C  H  AU  LES-Q  U  I  N  T  .      355 

l)attre  un  ennemi  averti.  Doria  n'avalt-il  pas  jadis,  lors  du 
siège  de  1524,  coopéré  à  la  défense  et  surpris  le  secret  de 
nos  points  faibles? 

Le  19  août  1536,  Charles-Quint  parut.  Comme  il  exami- 
nait les  approches,  une  compagnie  de  débarquement  se 
glissa  sur  ses  derrières  à  travers  des  taillis  de  lentisques. 
Chargée  par  les  bataillons  du  comte  de  Horn  et  du  duc 
d'Albe,  elle  les  attira,  en  lâchant  pied,  vers  la  côte,  où  nos 
galères  en  embuscade  foudroyèrent  le  comte  de  Horn  cl 
nombre  de  soldats  (1).  Le  25  août,  la  flotte  d'André  Doria 
prenait  l'offensive  et  se  formait  en  bataille  pour  forcer 
l'entrée  du  port;  un  obstacle  inattendu  surgit  devant  elle. 
Près  de  la  chaîne,  un  galion,  deux  grands  vaisseaux,  plu- 
sieurs barques,  coulés  dans  le  chenal,  constituaient  un 
barrage  infranchissable  (2)  et  un  front  de  mer,  derrière 
lequel  s  allongeaient,  comme  derrière  un  rempart,  les 
canons  des  galères. 

Doria  ne  put  passer  outre.  Bien  mieux,  il  fut  tenu  en 
échec  par  la  petite  division  navale  laissée  à  la  garde  du 
port,  car  Barbesieux  avait  pris  la  précaution,  nous  verrons 
de  quelle  manière,  de  ne  point  immobiliser  pour  la  défense 
toute  notre  flotte.  Le  8  septembre,  les  équipages  de  six 
voiliers  qui  déchargeaient  à  la  Pinède  vivres,  munitions  et 
butin,  sautaient  précipitamment  par-dessus  bord,  à  la  vue 
de  quatre  galères  et  plusieurs  lahuts  marseillais  qui  fran- 
chissaient la  chaîne.  Seul,  un  des  équipages  fît  bonne  con- 
tenance. Les  lahuts  et  une  galère  parvinrent  à  remorquer 
un  des  voiliers  jusque  dans  le  port,  recouvrant  ainsi,  outre 
une  cargaison  de  vivres  et  d'armes,  la  bibliothèque  d'un 
juriste  d'Aix.  Si  les  autres  galères  avaient  fait  de  même,  au 


(1)  Valbelle,  fol.  199  v°.  —  RuFFi,  Histoire  de  Marseille,    t.   I,  p.  328. 

(2)  Compte  de  Crosnier,  trésorier  de  la  marine,  B.  N.,  Franc.  17329, 
fol.  191.  —  Paiement  des  gardes  de  la  chaîne  (Archives  municipales  de  Mar- 
seille, Bullelaire  du  i*^"^  novembre  1526-30  octobre  1539,  à  la  date  de  1536j. 


356  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

lieu  de  se  replier  dès  Tapproche  de  galères  espagnoles,  tout 
le  convoi  était  capturé  (l). 

Que  dis-je!  la  base  d'opérations  d'André  Doria  était,  en 
ce  moment  même,  tout  près  de  tomber  entre  nos  mains. 
Un  parti  français,  conduit  par  Guido  Rangone,  Cesare  Fre- 
goso  et  Pietro  Strozzi,  marchait  sur  Gènes  :  et  la  ville  eût 
succombé,  si  les  huit  galères  d'Antonio  Doria,  détachées 
précipitamment  à  son  secours  avec  le  régiment  d'Agostino 
Spinola,  n  étaient  arrivées  juste  à  temps  pour  repousser 
l'assaut  (2). 

L'ennemi  était  à  bout  de  forces.  La  magnifique  résistance 
de  Marseille  avait,  pour  la  seconde  fois,  brisé  le  torrent 
de  rinvasioii.  Des  soixante  mille  hommes  qui  avaient  passé 
le  Var,  la  famine,  les  maladies,  les  fatigues,  les  combats 
n'en  laissaient  debout  que  vingt-cinq  mille.  L'empereur, 
honteux,  donna  le  signal  de  la  retraite.  Le  l!2  septembre, 
les  assiégés  virent  disparaître  à  l'horizon  les  cinquante-sept 
bâtiments  d'André  Doria,  chargés  de  rembarquer  à  Toulon 
l'artillerie  de  siège.  Le  lendemain,  Charles-Quint  levait  le 
camp  et  se  repliait  sur  Nice,  non  sans  être  harcelé  par  la 
cavalerie  légère  de  Du  Bellay-Langey.  La  Provence, 
quelques  jours  plus  taid,  fêtait  sa  complète  délivrance.  On 
fut  surpris  de  ne  pas  voir  descendre  d'Avignon  la  belle 
armée  de  Montmorency,  pour  achever  les  troupes  impé- 
riales aux  ai)ois  (3). 

Durarjt  qu'une  de  nos  divisions  navales  concourait  à  la 
défense  de  Marseille,  les  douze  galères  du  baron  de  Saint- 
Blancard  el  de  son  frère  Magdalon  d'Ornesan  (-4),  mettant 


(1)  VALiiiiLij;,  fol.  203. 

(2)  Antonio  Doria,  Conipcndio,  p.  66.  —  Schcdc  Neri,  apud  Manfrom, 
Storia  (lella  marina  italiana  dalla  caduta  di  Constantinopoli,  p.  316. 

(3)  t^ rancis  DECnuK,  Anne  de  Montmorency,  p.  284. 

(4)  4  galères  du  baron,  2  de  Magdalon,  4  du  grand  uiaitre  et  2  du  sé- 
néchal de  l'rovence  (Valbellk,  fol.  198  v".  —  Archives  nat.,  K  1484  B', 
n°  67).  A  bord,  étai    un  diplomate  du  nom  de  Montivilliers. 


RIVALITE    DE   FRANÇOIS    l"  ET    DE    CH  ARLES-QL  I N  T.     357 

à  profit  nos  bonnes  relations  avec  les  Turcs,  étalent  allées 
quérir  à  Alger  les  débris  de  la  Hotte  de  Barberoussc,  sauvés 
du  désastre  de  Tunis;  et  avec  six  galiotes  et  une  galère 
turques,  elles  reprirent  la  mer  le  16  septembre  ir»3().  Pour 
la  première  fois,  Français  et  Turcs  combattaient  côte  à 
côte.  Quatre  cents  des  nôtres  et  trois  cents  mvisulmans, 
formés  en  colonne  de  débarqviement,  attaquèrent  de  nuit 
la  tour  de  Salé,  dans  l'île  d'Iviça,  la  seule  des  Baléares  <|ue 
Barberousse  n'eût  pas  ravagée  dans  sa  rapide  croisière  de 
l'année  précédente.  Malgré  l'appui  des  canons  de  la  flotte, 
l'assaut  échoua.  Dans  les  campagnes  d'alentour,  le  butin 
fut  néanmoins  considéral)le,  et  sur  l'ilot  voisin  de  l'Espal- 
mador,  le  partage  des  prises  eut  lieu  proportionnellement 
aux  effectifs,  à  raison  de  cinq  lots  pour  les  Turcs  et  douze 
pour  les  Français.  D'autres  captures  furent  faites  le  long 
de  la  côte  espagnole,  de  Tortosa  à  Gadaques.  Les  alliés 
étaient  sous  le  cap  Greus,  à  l'ancre,  quand  la  brusque 
apparition  de  vingt  et  une  galères  les  mit  en  fuite.  Un  seul 
bâtiment  turc  tomba  entre  les  mains  d'André  Doria  (1), 
et,  le  15  octobre,  Saint-Blancard  ramenait  à  Marseille  son 
escadre  au  complet,  avec  cinq  bâtiments  turcs  de  con- 
serve. Doria,  dont  il  avait  esquivé  la  poursuite,  n'avait 
quitté  les  eaux  provençales  que  l'avant-veille,  à  la  lète  de 
trente-six  galères  (2) . 

Doria  eut,  cette  année-là,  tous  les  malheurs.  Gomme 
l'empereur  gagnait  ses  Etats  héréditaires  pour  enterrer  en 
Espagne,  selon  un  mot  du  temps,  son  honneur  mort  en 
France,  une  tempête  éclata  par  le  travers  des  îles  d'IIyères. 
Le  grand  homme  de  mer  génois  gagna  l'abri  précaire  du 
petit  archipel  où  il  passa  des  heures  d'anxiété  atroce,  formé 

(1)  C'est  par  des  esclaves  génois  repris  à  bord  de  cette  galiotc  turque 
que  Doria  apprit  les  détails  de  la  campagne  navale.  Gênes,  27  octobre  1536 
<Archives  nat.,  K  1484  B^  n"  67), 

(2)  Valbelle,  fol.  208.  —  La  galère  et  les  quatre  galioles  tuiqacs  hiver- 
nèrent à  Marseille  aux  frais  du  Trésor  (Archives  nat.,  J  962,  fol.   15). 


358  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

en  ordre  de  bataille,  la  capitane  au  centre,  sept  galères  en 
arrière-garde,  s'attendant,  à  tout  instant,  à  une  attaque  qui 
ne  se  produisit  pas.  Mais  l'ouragan  lui  fit  subir  plus  de 
pertes  qu'un  combat  :  six  galères  sombrèrent,  ainsi  que  les 
deux  gros  vaisseaux  (jui  portaient  le  buffet  et  lécurie  impé- 
riale (1). 

Barberousse,  de  son  côté,  n'était  pas  resté  inactif.  Pressé 
par  un  de  nos  envoyés,  Jean  de  Monluc,  d'opérer  une  diver- 
sion (:2) ,  il  jeta  l'épouvante  dans  l'Italie  du  sud  par  une 
descente  en  Calabrc.  Mais  ne  disposant  que  de  trente-six 
voiles,  il  cessa  dès  le  mois  de  septembre  sa  campagne  et 
convia  notre  ambassadeur  à  passer  en  revue  les  préparatifs 
navals  qui  se  faisaient  pour  1  année  suivante  (3,.  Tout 
l'hiver,  on  travailla  fébrilement  à  l'arsenal  de  Gonstanti- 
nople,  où  le  sultan,  allant  en  personne  presser  les  ouvriers, 
amassait  des  vaisseaux  et  des  pièces  d'artillerie  en  nombre 
formidable.  Bref,  le  13  mai  1537,  la  première  escadre,  de 
IGO  galères,  appareillait  sous  les  ordres  de  Lofty-Pacha, 
beau-frère  du  sultan.  A  quelques  jours  de  là,  Barberousse 
suivait  avec  soixante  gros  vaisseaux  :  Soliman  lui-même 
s  ébranlait  à  la  tête  d  une  immense  armée,  qui  faisait  sa 
jonction  avec  la  flotte  au  camp  d'Avlona,  à  l'entrée  de 
lAdriatiquc  (4). 

Sur  quelle  contrée  maudite  allait  se  précipiter  le  tor- 
rent? L'Italie  du  sud  était  dans  la  terreur.  Et  cétail  bien 
en  effet  du  côté  du  royaume  de  Naples  qu'un  de  nos  hommes 
d'Etat  les  plus   réputés,   à  telle  enseigne  qu'on  lui  éleva 

(ly  Lettre  d'un  témoin  oculaire,  ranibassadeur  liossetti.  De  galère,  près 
des  îles  d'Hyères,  1'''  décembre  (^Scheflc  Acri,  apud  Manfroxi,  p.  317). 

(2)  Monluc  lui  a\ait  été  dépêché,  le  6  août  1536,  de  Rome  (Cuarrikre, 
t.  I,  p.  327). 

(3)  Rot'RRILLY,    p.    311. 

(4)  BocRRiLLY,  p.  314.  —  La  flotte  turque,  selon  un  marchand  venu  de 
Turquie,  était  de  250  galères  et  24  grosses  galères  chargées  d'artillerie,  sans 
compter  les  vaisseaux;  l'armée,  de  250,000  chevaux  (B.  N.,  Franc.  17357, 
fol.  43). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     359 

de  son  vivant  une  statue,  Passano  de  Vaulx,  conseillait  de 
diriger  les  attaques  (l).  La  tâche,  très  lourde,  de  notre 
agent  près  de  l'armée  du  sultan  était  de  ne  pas  laisser 
dévier  les  coups  contre  les  Etats  du  pape  et  de  Venise. 
La  Forest  y  avait  réussi;  le  premier  corps  d'armée  s'embar- 
quait pour  Brindisi  f^j,  d'autres  troupes  s'étaient  déjà  em- 
parées de  Castro,  au  sud  d'Otrante  (3),  quand  se  produisit 
un  coup  de  théâtre.  Des  lettres  compromettantes  du  capi- 
taine général  Girolamo  Pesaro,  que  Doria  eut  l'habileté 
de  faire  tomber  entre  les  mains  du  sultan,  déchaînèrent 
la  rage  des  Turcs  contre  les  Vénitiens  (4).  Au  lieu  de  con- 
quérir ritalie  du  sud,  Soliman  épuisa  ses  efforts  contre 
Gorfou. 

Cependant,  La  Forest  avait  demandé  l'envoi  d'une  divi- 
sion royale  au-devant  de  la  flotte  turque  (5).  Mais  sur  le 
plan  de  campagne  navale  à  adopter,  il  y  avait  deux  partis  à 
la  Cour  :  le  lieutenant-général  Guido  Rangone  et  nos  par- 
tisans génois  voulaient  reprendre,  conformément  aux  ins- 
tructions primitives  de  La  Forest,  l'attaque  combinée  des 
deux  flottes  contre  (îénes  et  la  Corse  :  quarante-quatre  bâ- 
timents de  guerre  avaient  été  armés  à  cet  effet  (6).  Les 
réfugiés  napolitains,  Caraccioli,  prince  de  Melfi,  et  San- 
Severino,  duc  de  Somma,  insistaient  au  contraire  sur  une 
action  dans  le  royaume  de  Naples. 

C'est    dans    ces    conditions    que    Saint-Blancard    reçut 


(1)  Lettre  cl'Otlet  de  Selvc  au  roi.  Venise,  5  juillet  1536  (B.  N.,  Clai- 
ranibault,  vol.  335,  fol.  175,  211).  —  Sur  Jean-Joachim  Passano  de  Vaulx, 
ci^.  Bounr.ii.LY,  p.  317,  n.  l,  et  Fleury  Visdrv,  Les  aiuhassadeurs  français 
permanents  an  XVI"  siècle.  Paris,   1903,  in-8°,  p.  29. 

(2)  Lettre  de  La  Forest.  (lanip  d'Avlona,  13  juillet  1537  Bocrrilly, 
p.  315-322). 

(3)  Cu.vnniKRK,  t.  I,  p.  337. 

(4)  Éd.  Petit,  André  Doriu,  p.  169. 

(5)  17  juin  1537  (B.  N.,  Clairambault,  vol.  336,  fol.  160). 

(6)  30  juillet  1537  Extrait  des  comptes  du  trésorier  de  la  marine  da 
Levant,  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  19t  v"\ 


360  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Tordre    de   partir  avec  Fescadre   (1)   emmenée  précédem- 
ment à  Alger  et  une   forte   compagnie  de  débarquement. 


II 

LE    VOYAGE    DE   SAINT-BLANCARD    DANS    LE    LEVANT 

Le  jour  de  TAssomption,  Tescadre  mit  à  la  voile  au  vent 
des  îles  de  Marseille.  Étonné  d'une  entrée  en  campagne 
dans  une  saison  si  tardive,  on  se  perdait  en  conjectures 
sur  sa  destination,  que  Ton  croyait  être  la  Corse  (2).  Saint- 
Blancard  avait  soignevisement  tenu  secrètes  les  instructions 
reçues  de  la  Cour,  afin  de  ne  pas  donner  prise  à  André 
Doria,  qu'il  savait  embusqué  avec  des  forces  supérieures 
en  Sardaigne.  Il  gouverna  en  droite  ligne  sur  Tunis.  Près 
de  Cartilage,  des  partisans  du  bey  de  Tunis,  qui  tenaient 
la  campagne  contre  Barberousse,  s'apprêtaient  à  nous 
saluer  comme  Espagnols,  quand  ils  reconnurent  notre 
«  plumage  »  aux  moustaches  de  nos  gens  (3).  Or,  le  bey, 
j;adis  inféodé  à  la  politique  française,  avait  complètement 
changé  de  dispositions  à  notre  égard  depuis  noire  propre 
revirement  vis-à-vis  de  Barberousse.  Devant  l'accueil  très 
frais  des  Tunisiens,  Saint-Blancard  leur  envoya  une  volée 
de  canon,  puis  gagna  l'abri  de  l'îlot  sulfureux  et  puant  de 
SfO^nabra,  à  l'entrée  du  golfe. 

(1)  Ses  quatre  galères,  les  deux  de  son  frère  Magdalon  d'Oincsan,  quatre 
du  connétable  aux  ordres  de  Christophe  de  Lubiano,  deux  du  gouverneur 
de  Provence  commandées  par  le  chevalier  d'Aulps,  la  galère  et  la  frégate  de 
Jacques  d'Ancienville,  la  fuste  de  Pierre  d'Andréas  et  le  brigantin  d'Antoine 
Flament,  enfin  530  aventuriers  commandés  par  le  capitaine  .lean  de  Pacault. 
Certificat  de  Saint-BIancard  {Ilevite  des  autographes,  juillet  1900.  Charavay, 
b"  274,  original). 

(2)  Valbelle,  Franc.  5072,  fol.  213. 

(3)  «  Extraict  d'une  lettre  de  maistre  Jehan  G.\llery  venant  du  voyage 
îaict  vers  le  Grant  seigneur  par  le  barron  de  Sainct-Blancart  par  le  com- 
mandement du  Roy.  1537  ..   (B.  N.,  Franc.  3081,  fol.  98}. 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   C  II  AR  LES-Q  U  I  N  T.     3G1 

Le  Gap  Bon  doublé,  on  aperçut  un  signal  de  paix,  l'éten- 
dard blanc  piqué  sur  les  murs  d'une  petite  ville  toute 
blanche  elle-même.  Hammamet  élait  au  pouvoir  des  sol- 
dats de  Barberousse.  "  Germain!  Germain  ensemble!  » 
criaient  les  corsaires  turcs  en  baisant  les  mains  de  nos 
gens.  Et  de  fait,  Saint-Blancard  put  se  ravitailler  et  se 
pourvoir  de  renseignements,  sauf  à  laisser  aux  garnisons 
turques,  à  celle  de  Monastir  par  exemple,  de  la  poudre  et 
des  munitions  pour  repousser  l'escadre  espagnole  du  mar- 
quis de  Terranova  (1). 

Esquivant  André  Doria,  qu'avait  fort  affailîli  une  victoire 
à  la  Pyrrhus  conlre  douze  galères  d'Ali-Tschelebi  (2),  Saint- 
Blancard  gagna  les  îles  Ioniennes,  "  celles  que  Vergille 
nomme  au  tiers  livre»,  ajoute  l'historien  de  l'expédition, 
heureux  de  retrouver  les  terres  classiques  de  «  Chaonie 
Thespiote,  Achaïe,  contenant  les  provinces  de  Amphilotie, 
Élotie,  Locres,  au  devant  du  svne  de  Corinthe  " .  Mais, 
dans  la  Grèce  antique,  les  barbares  promenaient  le  fer  et 
le  feu.  C'étaient  ces  barbares  dont  nous  venions  quérir 
l'alliance.  «  Ung  capitaine  turc  vestu  de  peau  de  loup,  le 
poil  dehors  et  le  bonnet  aussv,  "  Picocin,  ainsi  nommé 
de  la  hachette  qui  ne  quittait  pas  son  poing  ou  sa  ceinture, 
reçut  nos  marins  dans  le  port  de  Prevesa. 

Nous  arrivions  trop  tard.  Abandonnant  le  projet  de  con- 
quête du  royaume  napolitain,  évacuant  même  Corfou  par 
suite  de  je  ne  sais  quelle  idée  superstitieuse,  Soliman  bat- 
tait en  retraite.  Il  était  de  retour  sur  le  continent,  du  côté 
de  Gasope,  vis-à-vis  Corfou.  Au-devant  de  notre  escadre, 
se  porta,  le  10  septembre,  Mourad  Aga,  lieutenant  de  Bar- 
berousse,  avec   la  capitane  du    sultan,    toute    en    bois   de 


^t)  "  Le  voyage  du  baron  de  Sainct-Hlaiicard  en  Turquie  par  Jehan  de 
Veca  d  (B.  N,,  Franc.  6091,  publié  par  Ciiariiièhk,  t.  I,  p.  340). 

(2)  En  Fouille,  22-23  juillet  1537  (Mam-rom,  p.  322\  J'y  reviendrai 
plus  bas. 


3()2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

figuier,  pour  être  plus  légère,  et  une  centaine  de  galères. 
Tandis  que  les  boulets  tombent  comme  grêle  dans  la  mer, 
selon  la  mode  turque  de  saluer,  tandis  que  sonnent  trom- 
pettes, haultbois  et  sambviques,  le  lieutenant  général  de 
Tarméc  de  mer,  Tambassadeur  Charles  de  Marillac,  les 
capitaines,  des  gentilshommes  et  l'argousin  royal  dé- 
barquent avec  la  garde.  Une  escorte  de  soldats  en  caftans 
de  soie,  dolmans  de  velours  à  ramages  et  turbans  rouge  et 
or,  les  mène  au  pavillon  du  grand  vizir  Ajas-Pacha.  Le 
lendemain,  audience  solennelle  du  capoudan-pacha  Bar- 
berousse.  On  ne  vit  le  sultan  qu'après,  u  seul,  assis  sus 
ung  siège  large,  faict  de  lames  d'or  battu,  semé  de  pierres 
précieuses.  »  A  la  longue  harangue  de  Marillac,  Soliman  II 
répondit  en  remettant,  dans  une  bourse  de  drap  d'or 
scellée,  une  lettre  à  l'adresse  de  François  I". 

Dans  le  lointain,  à  Gorfou,  flambait  l'incendie  allumé 
par  l'arrière-garde  de  1  Islam.  Sur  l'alliance  impie  qui  se 
consommait,  le  patriarche  grec  de  la  Panagia,  près  de 
Fatras,  sanglotait  en  offrant  la  collation  à  nos  officiers, 
tout  honteux  des  atrocités  de  la  «  canaille  turquesque  »  . 
Nous  n'avions  même  pas  le  bénéfice  de  nos  avances. 

Saint-Blancard  prit  congé  de  Barberousse,  le  25  sep- 
tembre, sans  obtenir  le  concours  de  sa  flotte.  Comme  il 
quittait  Fatras,  des  fustes,  dépêchées  derrière  lui,  man- 
dèrent qu'on  avait  découvert  deux  galères  et  un  brigantin 
français.  G  étaient  les  réfugiés  napolitains  Carraccioli  et 
San-Severino  (I)  qui  venaient  tenter  de  rendre  à  l'alliance 
franco-turque  son  orientation  primitive  et  guider  dans  leur 
patrie  l'invasion.  Ils  n'eurent  d  autre  parti  à  prendre  que 
de  rebrousser  chemin  avec  le  reste  de  notre  escadre.  Le 
temps  était  devenu  épouvantable.  Les  matelots,  à  genoux, 

(1)  Carraccioli,  prince  de  Mclti,  et  San-Severino,  duc  de  Somma,  avaient 
quitté  Marseille  le  7  septembre  sur  les  galères  de  Villiers  (Vai.belle, 
fol.  213). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE    CH  A  RLES-Q  C I  N  T.     363 

couteaux  au  poing,  conjuraient  la  tempête  en  trouant 
d'une  croix  les  vagues  en  furie  (11.  La  Daiiphine  et  une 
autre  galère,  perdant  de  vue  le  fanal  de  la  capitane,  cou- 
rurent jusqu'en  Tripolitaine;  repoussées  de  la  ville  tuni- 
sienne, c'est-à-dire  hostile,  d'El  Mehdiah,  elles  se  ravitail- 
lèrent à  Monastir  et  enfin  regagnèrent  ^Marseille  i:2i. 

Forcé  d'hiverner  dans  le  Levant,  Saint-Blancard  n'avait 
voulu  ni  rester  le  témoin,  ni  paraître  le  complice  des  atro- 
cités commises  par  Barl»erousse  contre  les  colonies  véni- 
tiennes de  l'archipel.  Son  cœur  eût  saigné  de  voir  dépeupler 
et  ruiner  Syra,  Pathmos,  l'île  de  Saint-Jean,  Egine,  la 
rivale  d'Athènes  et  Paros  aux  heaux  marhres  f;i) .  Fuyant 
u  la  province  de  Laconye,  dicte  auctentiquement  Lacédé- 
monie,  Egine,  d'où  estoit  natifve  Hélène  "  ,  et  ces  ruines  à 
la  cime  d'un  roc,  "  oîi,  selon  disoit  le  pilot  turc,  Aristote 
lysoil  la  philosophie,  "  Saint-Blancard  alla  désarmer  le 
:20  novemhre  à  Ghio.  Un  (jiustiniani  lui  i)ailla  de  tout  à 
crédit,  durant  l'hivernage,  tant  la  pénurie  de  nos  marins 
était  lamentable. 

Le  lieutenant  général  de  notre  escadre  eut  riuimiluition 
d'envover  demander  au  sultan  (4;,  puis  daller  quérir  lui- 
même  (5j  à  la  Sublime  Porte  des  vivres  et  de  l'argent.  On 
lui  donna  toute  satisfaction  :  mais  notre  ambassadeur  en 
pâtit  et  fut  désormais  tenu  comme  une  manière  d'otage  (6). 
Barberousse,  auquel  Saint-Blancard  rendit  visite  dans  l'im- 


(l)  Jehan  UK  Vega. 
{2)  Jehan  Gallkrv. 

(3)  Dk  Hammkr,  t.  II,  p.  37. 

(4)  Le  10  janvier  1538,  par  une  frégate  (Compte  certifié  pour  le  trésorier 
lie  la  marine  du  Levant  par  Saint-Blancard  :  Revue  des  Autographes,  juillet 
1900,  Charavay,  n°  274). 

(5)  Le  17  février.  —  Il  emprunte  10,000  ducats  (Catalogue  des  actes  de 
François  I",  t.  VIII,  p.  187). 

(6)  Lettre  de  Charles  de  ^larillac  au  chancelier  r)ubourg,  Constantinople, 
4  mars  (Publiée  par  Bodrrii.ly  dans  la  Revue  historique,  t.  LXXVI  (1901), 
p.  326). 


364  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

mense  arsenal,  surveillait  la  construction  d'une  centaine 
de  galères;  sur  production  d'un  simple  »  tillette  "  du  ca- 
poudan,  agrès,  bois,  tout  fut  délivre  pour  la  réparation  de 
notre  escadre  ;  une  de  nos  trois  (jalères  alla  se  fournir  de 
rames  dans  un  chantier  de  la  mer  Noire.  Ainsi  restauré,  bien 
muni  d'argent,  le  baron  reprit  le  1  I  avril  la  route  de  Chio. 

A  la  traversée  des  Dardanelles,  il  apprit  de  Mourad  Aga, 
qui  vint  le  trouver  au  lit,  le  départ  des  dix  galères  laissées 
à  Cbio  et  la  capture,  par  elles,  d  vin  corsaire  turc,  u  Le 
baron,  soubdain  oves  les  nouvelles,  tira  sans  riens  ar- 
rester,  "  nonobstant  les  deux  batleries  qui  gardaient  les 
deux  rives.  Il  parlementa  à  Ténédos,  se  ravitailla  à  Mélel- 
lin,  fit  montrer  carène  à  ses  galères  à  Chio  et,  longeant  les 
côtes  d'Egypte,  reprit  à  rebours  son  itinéraire  de  Tannée 
précédente. 

Voici  ce  qui  s'était  passé  durant  son  absence  :  une  lettre 
de  rappel,  en  date  du  15  décembre  15;i7,  était  arrivée  à 
Chio  (1)  ;  Magdalon  d'Ornesan,  qui  commandait  en  l'ab- 
sence de  son  frère,  n'avait  cru  mieux  faire  que  d'obéir 
immédialcment.  Du  Ponant,  étaient  mandées  en  même 
temps  d'autres  forces  navales;  une  escadie  de  quatre  vais- 
seaux normands  venait  écouler  ses  prises  à  Marseille  (2), 
tandis  que  douze  galères  et  autres  bâtiments  de  Salnl-Jean- 
de-Lviz  tenaient  "  en  grande  crainte  et  subjcction  v  les 
convois  espagnols,  qu  ils  poursuivaient  jusqu  en  Sicile  :  ils 
ramenèrent,  entre  autres,  à  Bordeaux,  une  grande  nef  que 
le  roi  retint  à  son  service  (3).  Mais  l'appréhension  où  l'on 
était  d'un  retour  offensif  de  l'ennemi  s'évanouit  bientôt  et 
fit  place  à  des  idées  de  conciliation,  que  le  pape  Paul  III 
sut  inspirer  aux  deux  adversaires. 

(1)  CuARniKRE,    t.   I,    p.    370. 

(2)  Fin  d'avril  1537  (V.u.hkllk,  B.  N.,  Franc.  5072,  fol.  212). 

(3)  Lcltres-patentcs  de  Fiancois  l"  pour  les  habitants  de  Saint-J(  an-dc- 
Luz.  1539  (DucÉRK,  Histoire  maritime  de  Bajonne.  Les  corsaires  sous  l'an- 
cien ré(jiuie,  p.  23V 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    l"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     365 

Le  dimanche  5  mai  1538,  Magdalon  d'Ornesan  arrivait 
dans  les  eaux  de  la  Provence  avec  rallcgresse  du  retour 
après  une  longue  absence,  quand  le  guetteur  de  l'île 
Riou  lui  fit  le  signal  :  Flotte  en  vue.  —  De  quelle  nationa- 
lité?—  Française,"  répondit  le  gvietteur,  persuadé  du  fait, 
en  voyant  qu  clic  relâchait  depuis  deux  jours  aux  iles  de 
Marseille,  sans  qu'il  en  résultât  la  moindre  émotion  (l).  Il 
ignorait,  de  même  que  Magdalon,  les  pourparlers  de  paix 
et  Tentrevue  de  Nice,  à  laquelle  était  convié  l'empereur. 
Or,  l'escadre  en  relâche  était  celle  de  Gharles-Quint  :  vingt- 
huit  galères,  et  pour  chef  André  Doria! 

Moitié  d'entre  elles  étaient  à  l'aiguade  à  Marseille  la 
veille,  quand  un  hrigantin  dépêché  par  Doria  leur  donna 
avis  de  rallier  lavant-garde.  Dix  galères  suspectes,  tlan- 
quées  de  deux  légers  bâtiments,  étaient  en  vue  :  une  lune 
peinte  en  poupe  donnait  le  change  sur  leur  nationalité. 
Doria  crut  avoir  affaire  à  des  Turcs.  Un  refus  de  saluer  le 
confirma  dans  son  erreur.  Magdalon,  subitement  désa- 
busé, ordonnait  le  branle-bas.  Un  coup  partit,  de  l'un  ou 
de  l'autre  côté;  le  feu  commençait  sur  toute  la  ligne.  Mais 
hélas  !  que  faire,  un  contre  trois!  Une  de  nos  galères,  après 
avoir  envoyé  sa  l)ordée  à  la  capitane  montée  par  Charles- 
Quint,  s'échoua  sur  l'ile  Riou,  où  l'équipage  s'enfuit. 

L'arrière-garde  espagnole  ralliait  en  ce  moment  l'empe- 
reur. Il  en  détacha  sept  galères  pour  envelopper  l'îlot 
montueux  où  se  cachaient,  dans  les  anfractuosités  des 
rochers,  une  cinquantaine  de  malheureux,  demi-nus.  Les 
assaillants,  qui  montaient  à  l'escalade,  pertuisanes  et  hal- 
lebardes au  poing,  ne  s'en  emparèrent  qu'après  avoir  été 
chargés    et    fortement    houspillés    par    un     troupeau    de 

(1)  «  Caria  dando  cuenta  del  coinbatc  que  una  escuadra  espanola  en  que 
iba  el  Emperador  Carlos  V  tuvo  con  otra  francesa  en  las  immediaciones  de 
Marsella.  En  galera,  en  una  de  las  Isladeras  (Hyères),  7  de  niayo  1538  » 
(Coleccioii  de  dociimentos  iuccUtos  para  la  historia  de  Espana,  t.  II  (1843), 
p.  392,  397). 


366  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

chèvres.  Les  sept  autres  galères  de  Tarrière-^jarde  espa- 
gnole, lancées  à  la  poursuite  de  la  Catherineite  et  de  la 
Cotellas,  qui  tentaient  de  gagner  la  haute  mer,  jetèrent  le 
grappin  sur  elles  après  un  combat  singulier  entre  les  fu.;;i- 
tives  et  la  capitane  et  la  Vittoria  d  Espagne.  La  Dachesse 
de  Magdalon  dOrnesan  était  investie  par  deux  autres 
galères,  tAqiiila  de  (^ranvelle  et  la  Comtessa  du  comte  de 
Bénavente.  Elle  fit  face,  présentant  Téperon  à  l'Afjui'la, 
qu'elle  avait  saluée  de  ses  bordées;  mais  elle  ne  put  résister 
à  une  attaque  à  1  abordage  de  la  garde  impériale  qui  mon- 
tait VAquila.  Magdalon  était  prisonnier. 

Nos  six  dernières  galères  se  défendaient  vigoureusement 
contre  Gianettino  Doria  et  contre  les  ducs  d'Albuquerque, 
d'Albe  et  de  Najera  ;  toujours  tirant,  elles  parvinrent  à 
gagner  Tabri  de  la  forteresse  de  La  Giotat,  dont  le  feu  vio- 
lent tint  toute  la  nuit  Tempereur  en  respect. 

Cependant  le  comte  de  Tende,  sénéchal  de  Provence  et 
amiral  du  Levant,  accourait  au  bruit  du  canon.  En  parle- 
mentant avec  Charles-Quint  à  la  plage  de  Cassis,  il  obtint 
la  restitution  immédiate  des  prises,  déjà  dégréées  par  le 
vainqueur,  qui  remit  en  dédommagement  mille  écus  par 
galère  (1) .  Maigre  compensation  pour  luie  blessure  d  amour- 
propre.  François  I"  se  montra  très  affecté.  L'incident, 
désagréable,  mais  non  pas  honteux  pour  sa  marine,  lui 
causa  une  amertume  dont  son  fils  Henri  II  conservait  net- 
tement le  souvenir  (2) . 

Saint-Blancard,  à  son  retour  le  13  juin,  faillit  commettre 
une  méprise  encore  plus  forte  et  tirer  sur  son  propre  frère. 
A  la  hauteur  de  Briganson,  ses  trois  galères  en  pourchas- 
saient une  autre,  quand  des  deux  côtés  en   même  temps 

(1)  Valbelle,  fol.  !219.  —  Jean  uk  Vaxdexessk,  Journal  des  voyages  rie 
Cliarlcs-Qiiint,  dans  la  Collection  des  voyages  des  souverains  des  Pays-Bas^ 
par  Gachard,  t.  II,  p.  IVO.  —  Lettre  de  Charles-Quint  à  l'iaipératrice,  dans 
F.  DuRO,  Armada  espaùola,  t.  1,  p.  232. 

(2)  B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  2. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"    ET    DE    CHARLES-QUINT.     3(}7 

on  hissa  les  couleurs  françaises.  Le  navire  chasse  était  la 
galère  Saint-Fi^ançois^  sur  laquelle  Tévêque  de  Lombez, 
Bernard  d'Ornesan,  allait  rejoindre  à  }?ice  les  plénipoten- 
tiaires du  traité  de  paix  (Ij. 

Pour  les  esprits  superstitieux  du  temps,  la  paix  s'annon- 
çait sous  de  fâcheux  auspices.  Toutes  nos  galères  (2j  avaient 
été  saluer  la  flotte  impériale  dans  les  eaux  de  Yillefranche. 
Sous  la  pression  de  la  foule,  le  débarcadèi'e  se  rompit  au 
moment  où  la  reine  de  France  mettait  pied  à  terre.  Et  tout 
le  monde,  empereur  venu  à  sa  rencontre,  reine,  ducs  et 
dames  d'honneur  tombèrent  à  l'eau  (3j .  Personne  ne  fut 
blessé,  le  cérémonial  en  fut  quitte  pour  une  douche;  et  le 
18  juin  1538,  la  trêve  de  Nice  arrêta  pour  dix  ans  les  hos- 
tilités. 

Le  pape  Paul  III  en  avait  été  le  médiateur,  tant  dans 
l'intérêt  de  l'Italie  que  par  convenances  personnelles,  avec 
l'espoir  de  liguer  contre  la  Turquie  toutes  les  forces  chré- 
tiennes. Un  mois  après,  comme  Charles-Quint  passait 
devant  Marseille,  l'amiral  de  Tende  lui  apportait  les  clefs 
d'une  ville  qui  l'avait  si  rudement  repoussé.  A  Aigues- 
Mortes,  oà  nos  galères  lavaient  escorté,  l'empereur  cimen- 
tait une  amitié  toute  fraîche  (4j,  dont  François  I"  disait 
naïvement  :  «  Nos  volontéz  sont  sy  fort  unyes  que  l'un  a 
les  affayres  de  l'autre  en  plus  grande  recommandation  que 
les  syens  propres  (5).  »  Et  de  sa  part,  c  était  vrai,  mais  de 
sa  part  seulement. 

Imagine-t-on    chez    un    souverain    pareille    versatilité? 


(1)  Valbelle,  fol.  220. 

(2)  Solde  de  22  galères  à  Marseille  (B.  N..  Latin  17059,  n"  201). 

(3)  Lettre  du  connétable  Anne  de  Montmorency  à    La    Rochepot,  4  et 
13  juin  (B.  N.,  Franc.  3068,  fol.  34  et  41). 

(4)  Sur  l'entrevue  d'Aigues-Mortes,  cf.    Dp:c:rue,  Aune  de  Montmorency, 
p.  354. 

(5j  Lettre  de  François  \"  à  liuipératrice  (Archives  nat. ,  K  1484  B  ^,  n"  10  : 
Musée  des  Archives,  n"  612). 


368  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Alors  que  son  ambassadeur  Rincon  se  rendait  à  la  Sublime 
Porte  avec  des  propos  d  alliance,  au  moment  où  les  forces 
navales  du  sultan  s  ébranlaient,  en  comptant  sur  un  con- 
cours que  trois  bâtiments  de  Barberousse  étaient  venus 
quérir  à  Marseille,  François  T"^  abandonnait  soudain  son 
allié  et  laissait  s'accréditer  la  légende  qu'il  songeait  à 
ceindre  à  Gonstantinople  la  couronne  d'empereur  d'Orient. 
Il  se  laissait  adresser  un  projet  de  croisade  rédigé  par  l'il- 
lustre bistorien  Paul  Jove  à  la  demande  du  marquis  del 
Vasto  (1)  :  et,  s'il  n'y  donnait  suite,  il  permettait  à  Gharles- 
Quint  de  se  retourner  avec  toutes  ses  forces  contre  la  Tur- 
quie. Le  27  septembre,  dans  le  golfe  d'Arta,  non  loin  du 
promontoire  d'Actium,  les  deux  grands  marins  du  temps 
se  trouvèrent  face  à  face.  Doria  avait  toutes  les  forces 
navales  de  l'Espagne  et  de  l'Italie,  Barberousse  avait  trois 
fois  moins  de  vaisseaux  :  et  ce  fut  lui  le  vainqueur  (2). 
On  ne  saurait  se  figurer  quelle  situation  équivoque 
créaient  à  nos  marins  les  vicissitudes  d'une  politique  aussi 
difficile  à  concilier  avec  elle-même  qu'avec  le  sentiment 
populaire.  Nettement  hostile  à  l'alliance  avec  les  Turcs, 
"  ce  sont  méchantes  gens  et  hors  de  la  foy,  écrivait  Val- 
belle;  mais  puis  qu'il  plaict  au  roy,  il  est  bien  forsé  qu'il 
plaise  à  nous  (3j.  "  A  son  retour  de  croisière  en  1539, 
comme  on  demandait  à  Saint-Blancard  pourquoi  il  n'avait 
pas  poursuivi  les  corsaires  barbaresques,  il  répondait  avec 
embarras  qu'il  ne  les  avait  pas  rencontrés  (4). 

(1)  Lettre  du  marquis  de!  Vasto  à  Montmorency.  15  août  1538  (B.  N., 
Franc.  2964,  fol.  51). 

(2)  F.  DtjRO,  t.  I,  p.  234.  —  Manfro:»!,  p.  336. 

(3)  Valbellk,  fol.  220  v°  :  année  1538. 

(4)  La  croisière,  qui  dura  du  15  juin  au  8  août  1539,  comprenait  douze 
galères.  Elle  se  borna  à  la  capture  de  barques  chargées  de  blé  le  long  de  la 
Rivière  de  Gènes  (Valbkllk,  fol.  227-228). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     369 

III 

L'ALERTE    ANGLAISE 

Le  rapprochemenl  inattendu  de  François  I"""  et  Gharles- 
Quint,  dont  on  disait  que  le  partage  de  TAngleterre  était 
le  gage,  avait  jeté  l'inquiétude  chez  un  autre  de  nos  alliés, 
Henri  VIII.  Il  se  sentait  entouré  d'adversaires.  Jacques  V 
d'Ecosse  s'était  uni  au  roi  de  France  par  les  liens  d'une 
parenté  étroite  :  il  était  devenu  son  gendre  en  avril  1537, 
et  le  vice-amiral  de  La  Meilleraye,  reconduisant  le  royal 
couple  en  Calédonie,  lui  avait  laissé  deux  beaux  vaisseaux 
de  guerre,  la  Salamandre  et  le  Maurice,  que  le  roi  mettait 
comme  cadeaux  dans  la  corbeille  de  sa  fille  IMagdeleine  (1) . 
L'année  suivante,  la  Salamandre  (2)  revenait  chercher  une 
autre  épousée;  Jacques  V,  prématurément  veuf,  deman- 
dait en  mariage  Marie  de  Guise,  veuve  du  duc  de  Longue- 
ville.  Et  en  mai  1538,  Icscadre  du  lieutenant-général 
Jacques  de  Fontaines  de  Mormoulin,  les  galéasses  Réale, 
Saint-Jean,  Saint-Pierre  et  quatre  vaisseaux  escortaient 
en  Ecosse  une  nouvelle  reine  (3) . 

Or,  l'étroite  union  des  deux  couronnes  semblait  le  pré- 
lude de  la  guerre  sainte  prêchée  par  le  pape  contre  un 

(1)  LisDSAY  DK  PiscOTTiK,  The  Croiiiclcs  of  Scotland,  t.  II,  p.  370.  — 
The  hislorical  Works  of  sir  James  Balfocr.  London,  1825,  in-S",  t.  I, 
p.  266.  —  Francisque  Michel,  Les  Ecossais  en  France,  t.  I,  p.  405,  407. 

(2)  Commandée  par  John  Barton  ou  Bertoun;  à  bord,  était  l'évéque  David 
Beaton,  envoyé  de  Jacques  V  (Accounts  of  thc  lord  High  Treasurer  of 
Scotland,  apud  Pitcairn,  Criniinal  Trials,  t.  I,  part  1,  p.  292,  322.  — 
Fr.  Michel,  t.  I,  p.  422). 

(3)  Comptes  d'armement  des  trois  galéasses,  commandées  par  Jean  de 
Clamorgan,  Jean  d'Orgemont,  Baptiste  Auxilia.  Mai  1538  (Archives  nat., 
KK103,  fol.  91,95,  111  v".  — •  A.  Jal,  Documents  inédits  sur  la  marine 
du  XVF  siècle,  extrait  des  Annales  maritimes  (1842).  —  B.  N.,  Franc. 
4574). 


370  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

monarque  hérétique  (1).  Déjà,  notre  ambassadeur,  Castil- 
lon,  indiquait  comme  l'endroit  le  plus  vulnérable  pour 
opérer  une  descente,  le  pavs  de  Galles  ou  le  Gornwall. 
pays  »  breton  l)retonnant  "  et,  comme  tel,  naturellemenl 
hostile  au  reste  du  royaume  ;2j .  Le  départ  de  notre  ambas- 
sadeur, en  février  153Î),  accrut  1  anxiété  du  souverain  bri- 
tannique. De  toutes  parts  furent  poussés  les  préparatifs 
de  défense  dans  l'éventualité  d  une  invasion  :  une  flotte 
d'une  centaine  de  voiles  et  plus  fut  massée  à  Southampton, 
les  milices  du  littoral  passées  en  revue,  une  forteresse  pro- 
jetée à  l'embouchure  de  la  Tamise,  pour  forcer  les  navires 
à  désarmer  avant  de  remonter  le  fleuve,  cinq  ou  si.v  vais- 
seaux envoyés  en  grande  garde  le  long  des  côtes,  pour 
signaler  aux  guetteurs  placés  près  des  bûchers-sémaphores 
l'approche  de  1  ennemi    3  . 

La  rupture  tant  redoutée  n'eut  point  lieu.  En  avril  15;i}>. 
les  relations  diplomatiques  étaient  renouées  :  Charles  de 
Marillac  débarquait  à  Londres  comme  ambassadeur  de 
France.  Il  arrivait  avec  des  instructions  invraisemblables, 
qui  font  beaucoup  d  honneur  au  caractère  chevaleresque 
de  François  I",  mais  fort  peu  à  la  perspicacité  d  un  chef 
d'Etat.  Soutenir  le  parti  catholique,  encore  puissant  à  la 
Cour  anglaise,  était  d  un  prince  très  chrétien  ;  mais  il  se 
trouvait  que  ce  parti  était  inféodé  à  la  politique  impériale 
et  que  notre  ambassadeur  devait  travailler  au  triomphe  de 
Charles-Quint.  En  vain,  Henri  YIII  cherchait-il  à  groxiper. 
contre  l'Empire,  Français,  Anglais  et  luthériens  allemands  : 
il  se  heurtait  à  notre  politique  de  sentiment,  dont  Frau- 

(i)  Lettre  du  connétable  de  ^lontinorency  à  Charles  de  Marillac,  ambas- 
sadeur en  Angleterre.  7  juillet  1539  (Jean  Kaulek,  Correspondance  poHtiquc 
de  MM.de  Castillon  et  de  Marillac,  ambassadeurs  de  France  en  Anqletcrrc 
(1537-i542).  Paris.  1885,  in-8».  p.  111\ 

(2)  Lettre  du  30  décembre  1538  (Guillaume  Hirier,  Lettres  et  mémoires 
d'Estat.  Paris,  1566,  t.  I,  p.  341). 

(3)  KiULEK,p.  89,  91. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    l"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     371 

çois  I"  fut  la  première  dupe.  Deux  ans  après,  lorsqu'un 
double  changement  de  ministère  eut  porté  au  pouvoir  en 
France  la  faction  anglophile,  en  Angleterre  le  parti  impé- 
rial, les  rôles  furent  renversés  ;  ce  fut  à  nous  de  faire  appel 
à  l'entente  franco-anglaise  et  à  celui  qui  avait  inutilement 
quémandé  notre  alliance,  de  se  montrer  non  pas  indiffé- 
rent, mais  ennemi  fl). 


(1)  Cf.  les  vicissitudes  de  notre  politique  anglaise  dans  le  beau  livre  de 
Pierre  de  ViissiÈRE,  Charles  de  Maiillac,  ambassadeur  et  houinte  politique 
sous  les  règnes  de  François  I",  Henri  II  et  François  II  (1510-15G0). 
Paris,  1896,  in-8".  p.  23. 


RIVALITE 

DE   FRANÇOIS  I"  ET  DE  GIIARLES-QLJTNÏ 

TROISIÈME    GUERRE 


UN    TRIO    D'AMBITIONS 

La  charge  dégénérai  des  galères  était  fructueuse.  Est-ce 
pour  cela  que  Saint-Blancard  ne  fut  point  de  longtemps 
remplacé,  et  ce,  au  profit  de  l'amiral  du  Levant,  mais  au 
dam  de  notre  marine.  Faute  de  contrôle,  les  galères  furent 
trouvées  en  piteux  état,  "  ben  piètre  "  ,  un  an  après,  lors 
d'une  inspection  de  ramiral-gouverneur  ;  faute  de  répres- 
sion, la  ville  de  Marseille  regorgea  de  galériens  et  devint  un 
coupe-gorge  (1) .  Lesbarbaresques  recommencèrent  à  courir 
la  côte  provençale,  si  bien  (juil  fallut  dépécher  sept  galères 
et  la  Jacqueline  à  leurs  trousses  (2j .  Autour  de  la  charge 
vacante,  enfin,  des  convoitises  s'allumèrent,  des  rivalités 
naquirent,  qu'on  ne  peut  taire  ici,  tant  elles  eurent  de 
répercussion  sur  les  vicissitudes  de  la  guerre.  Elles  éclatè- 


(1)  Lettre  de   Thomas  Bos   à   Magdcleine   I^artessuti.    Mar.seillc,   3t  jan- 
vier 1541  (Archives  de  la  ville  d'Avignon,  n°  3430). 

(2)  Lettre  de  Magdeleine    Lartessuti   à    Bernard  de   Saint-Blaneard.   Avi- 
gnon, 25  juin  1541  {Ibidem,  n"  3436). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     373 

rent  entre  des  individualités  fortement  trempées,  entre  les 
héros  d'une  des  plus  sanglantes  mêlées  navales  du  temps. 

C'était  le  22  juillet  1537,  à  Tîle  Merlera,  près  de  Gorfou. 
Cernées  par  les  escadres  de  l'empereur,  du  pape  et  des  hos- 
pitaliers, les  douze  galères  d'Ali-Tschelebi  se  défendaient 
avec  acharnement,  lorsque  le  capitaine  des  galères  de  Malte, 
Leone  Strozzi,  bondit  à  l'abordage  de  l'amirale  turque. 
Son  audace  décida  de  la  victoire,  mais  à  quel  prix  !  Quinze 
cents  chrétiens  hors  de  combat.  Il  est  vrai  qu'à  bord  des 
navires  turcs,  tout  fut  pris  ou  tué  (1). 

Deux  ans  plus  tard,  Leone  Strozzi,  prieur  de  Capoue, 
passait  au  service  de  la  France  (2)  et  recevait  presque  aus- 
sitôt le  commandement  d'une  forte  division  navale,  avec  le 
privilège  de  garder  intégralement  le  produit  de  ses  prises, 
sans  payer  aucun  droit  à  l'amiral  (3).  Réputé  pour  l'un 
des  hommes  de  mer  les  plus  hardis  de  l'époque,  le  prieur 
eût  été  de  tous  points  un  chef  accompli,  si  son  indépen- 
dance de  caractère  et  son  ambition  n'avaient  été  de  nature 
à  provoquer  les  plus  pénibles  conflits  (4).  Rien  ne  lui  était 
plus  sensible  qu'une  blessure  d'amour-propre,  laquelle  ne 
lui  fut  point  épargnée.  Il  se  vit  supplanter  par  un  parent  et 
un  compagnon  d'armes,  le  général  de  l'escadre  du  pape  au 
combat  de  Merlera. 

Si  Leone  Strozzi  avait  plus  de  feu.  Gentil  Virginio  Or- 
sini  avait  plus  d'expérience.  Virginio  Orsini  dell'  Anguillara 
était  à  Prévésa,  non  loin  du  promontoire  historique  d'Ac- 

(1)  GuGMKLMOTTi,  Guevra  (lei  pirati,  t.  I,  p.  440.  —  De  Hammer,  trad. 
Hellert,  t.  II,  p    33. 

(2)  Il  reçoit  le  commandement  des  {jaièrcs  Sainte-Mai ie  ei  Saintc-Claiie. 
Marseille,  12  mars  1539  (Joseph  Fourni er,  L'entrée  de  Léon  Strozzi,  prieur 
(le  Capoue,  au  service  de  la  France  (1539),  extrait  du  Bulletin  de  géogra- 
phie fiistorit/ue  (1902).  —  Six  galères  lui  fuient  plus  tard  affectées  en  propre. 
28  décembre  1541  (Rouen,  Registre  criminel  de  la  Cour  (1539-1558), 
fol.  14). 

(3)  Archives  de  la  ville  d'Avignon,  n"  3477. 

(4)  Tuevet,    Vie  des  hom7ncs  illustres,  p.  443. 


874  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

tium,  OÙ  faillit  se  décider  pour  la  seconde  fois  le  sort  du 
monde  :  il  était  à  la  Girolata  en  Corse,  lors  de  la  capture 
du  terrible  Dragut  par  Gianettino  Doria  (1  :  et,  la  poupe 
de  sa  capitane  arrachée  par  l'ouragan,  son  dieu-conduit  à 
la  mer,  il  assistait,  près  de  Charles-Quint,  au  désastre  sans 
nom  de  la  flotte  impériale  sur  la  côte  algérienne  (2). 

Amenant  quatre  galères  à  notre  service,  le  comte  dell' 
Anguillara  se  jugea  en  droit  de  poser  des  conditions  :  il 
reçut  d'emblée  la  capitainerie  générale  de  la  flotte  du  Le- 
vant, sans  avoir  à  reconnaître  d'autre  supérieur  que  le 
connétable,  l'amiral  ou  un  maréchal  (3).  L'esprit  ouvert  et 
délié,  assez  connaisseur  pour  se  faire  le  mécène  de  Benve- 
nuto  Cellini  (4),  assez  bon  ingénieur  pour  dresser  le  devis 
d'une  embarcation  plus  rapide  que  les  galères  (5),  il  était 
de  ces  rares  marins  qu'intéressaient  les  recherches  d  un 
nouveau  propulseur,  poursuivies  à  Venise  et  Barcelone  par 
Lascaris  et  Blasco  de  Garay  (6  . 

De  n'être  que  le  lieutenant  général  de  son  beau-frère  ■  7) 
Leone  Strozzi  était  furieux.  Il  le  laissa  voir.  Yii'ginio  s'étant 
plaint  à  qui  de  droit,  la  colère  du  prieur  éclata  :  «  Tout  ce 
que  tu  as  écrit  au  roi  contre  mon  honneur  est  faux,  criait-il 
le  13  décembre  1543  dans  la  rue  de  1  Hôpital  à  Lyon  :  tu 
en  as  menti  par  la  gorge.  "  Et  à  l'instant,  il  met  l'épée  à  la 


(1)  2  juin  1540. 

(2j  27  octobre  1541  (Gcglielmotti,  l.  II,  p.  42,  90.  97). 

(3)  Suivant  l'accord  passé  à  Rome  avec  notre  ambassadeur^  Georges 
d'Armagnac.  Lettres  patentes  de  François  P^  i''''  octobre  1542  (Archives 
des  Bouches-du-Rhône,  B  2546,  fol.  3  v°).  —  Dès  le  4  septembre,  le  roi 
faisait  rafraîchir  les  chiourmes  du  nouveau  capitaine  général  (Archives  nal., 
X'*  94,  à  la  date  du  15  février  1543).  —  Adriam  Giauibattista,  Storia  de 
snoi  tempi.  Firenze,  1583,  in-fol.,  p.  106. 

(4)  Vita  (H  B.  Cellini,  scritta  tla  lui  medesimo  (éd.  1891),  p.  322.  — 
t'icOT,  Les  Italiens  en  France  au  XVF  siècle,  dans  le  Bulletin  Italien 
(190i;,  p.  116. 

(5)  Archives  nat.,  K  1486,  B^. 

(6)  En  1539  et  1543  (Cf.  suprh,  t.  II,  p.  487). 

(7)  Patentes  du  31  mai  1543  (P.  Anselme,  t.  VII,  p.  93J   . 


RIVALITE    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     375 

main,  ses  douze  compagnons  l'imitent  ;  de  l'autre  côté, 
quarante  sabres  de  cavalerie  sortent  du  fourreau.  On  ne 
dut  qu'au  sang-froid  de  Virginio  Orsini  d'éviter  un  mas- 
sacre (l)--  Moins  de  quatre  mois  après,  le  prieur  de  Gapoue 
se  serait  fait  ccharper  pour  son  beau-frère. 

Ce  prodigieux  revirement  coïncidait  avec  l'entrée  en 
scène  d'un  soldat  de  fortune,  qui  mit  les  deux  Italiens 
d'accord  en  jouant  le  rôle  du  troisième  larron.  Né  on  ne 
sait  quand,  lui-même  ne  savait  où,  de  parents  incertains, 
le  nouveau  venu  était  1  enfant  du  mystère.  Les  soldats 
d'un  régiment  l'avaient  recueilli  tout  jeune  en  Dau- 
phiné  (2)  :  il  avait  fait  avec  eux  les  campagnes  de  Piémont, 
gagné  le  grade  de  capitaine  et,  ce  qui  valait  mieux,  l'affec- 
tion de  Du  Bellay-Langey,  qui  avait  parfait  son  éducation. 
On  l'appelait  le  capitaine  Polin  ;  il  signait  Le  Polin,  mais 
ce  n'était  qu'un  sobriquet,  significatif  peut-être,  un  poulin 
étant  un  métis  de  Franc  et  d'Orientale  :  et  son  nom  véri- 
table, Antoine  Escalin  des  Aymars  ou  Adhémar,  baron  de 
La  Garde,  la  faveur  persistante  du  gouverneur  de  Pi'ovence 
Adbémar  de  Grignan,  sa  rapide  fortune  laissent  penser 
qu'il  était  bâtard  de  cette  illustre  famille  des  Adhémar, 
sinon  du  gouverneur  lui-même  (3). 

Cette  multiplicité  de  noms  donna  lieu  à  une  boutade  de 
l'auteur  des  Essais  :  «  Qui  croiroit  que  Anthoine  Escalin 
se  laisse  voler  à  sa  veùe  tant  de  navigations  et  charges  par. 


(1)  Piero  Strozzi  et  Arnaldo  Pozzolini,  Memorie  per  la  vita  di  fra  Leone 
Stvozzi,  priore  di  Capua.  Firenze,  1890,  grand  in-8°,  p.   14. 

(2)  BnANTOME,  éd.  Lalanne,  t.  IV,  p.  141. 

(3)  Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Jean  Gaudin,  comniunication  de 
son  excellent  Essai  sur  la  vie  du  baron  de  La  Garde,  dit  le  capitaine  Polin 
(1578).  Cette  thèse  d'École  des  chartes,  encore  manuscrite  malheureuse- 
ment, abonde  en  ingénieux  aperçus  sur  la  rivalité  de  Strozzi  et  La  Garde. 
—  Cf.  aussi  comte  d'Allard,  Escalin,  pâtre,  ambassadeur  et  général  des 
qalères  de  France,  tirage  à  part  des  livraisons  115  à  119  (années  1895- 
1896),  du  Bulletin  de  la  Société  départementale  d'archéologie  et  de  statis- 
tique de  la  Drame. 


376  HISTOIRE    DE   LA   MARINE    FRANÇAISE. 

mer  et  par  terre  au  capitaine  Poulin  et  au  baron  de  la 
Garde  (1V^. 


II 

L'ALLIANCE  FRANCO-TURQUE 

Ce  fut  à  une  circonstance  tragique  que  le  capitaine  Polin 
dut  d'être  mis  en  vedette  et  de  passer  d  une  compagnie  de 
fantassins  à  une  ambassade,  qui  lui  servit  de  marchepied, 
chose  invraisemblable,  au  gcnéralat  des  galères. 

Au  moment  où  l'empereur  apprêtait  une  gigantesque 
expédition  navale  contre  les  Turcs,  François  I"  affichait 
pour  eux  ses  svmpathies  par  Tenvoi  d'un  ambassadeur  et 
d  une  galcasse.  qui  furent  reçus  à  Constantinople  en  grande 
pompe,  «  faveur  et  crédict  »  .  Pareille  démonstration 
excita  parmi  les  Impériaux  autant  de  fureur  que  d'inquié- 
tude. Tandis  que  Doria  mandait  à  Gianettino,  son  neveu, 
d'intercepter  notre  bâtiment  (2),  le  mai-quis  del  Vasto  ten- 
dait sur  le  Pô  un  traquenard  où  tombèrent  nos  agents 
diplomatiques.  Le  meurtre  de  Fregoso  et  Rincon,  au  mé- 
pris de  leur  qualité,  était  un  casusbelli.  Il  advint  en  juillet 
1541  (3). 

La  guerre  n'éclata  point  tout  de  suite,  à  cause  du  mys- 
tère singulier  qui  enveloppa  longtemps  le  sort  des  victimes. 
Et  ce  fut  pour  nous  tout  avantage.  L'empereur  perdait, 
avec  son  prestige,  une  partie  de  sa  flotte  dans  la  désas- 
treuse   expédition   d'Alger,    laissait    une   armée   dans    les 

(J)  Essais  de  messiie  Michel,  sei(jneur  de  Montaigne.  Bourdeaus,  1580, 
in-8",  l"-2'=  livres,  p.  427. 

(2)  Lettres  de  Pellicier,  évoque  de  Montpellier,  ambassadeur  à  Venise. 
Venise,  17  mai  et  4  juillet  1541  (GiiAnitiÈRE,  t.  I,  p.  494,  500). 

(3)  Cf.  sur  l'assassinat  de  Fregoso  et  Rincon,  Bourrilly,  Guillaume  Du 
Bellay,  p.  333. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     377 

plaines  de  Hongrie  et  se  voyait  menacé  par  une  formi- 
dable ligue  offensive  entre  la  France,  le  Danemark  (1),  la 
Suède  (2)  et  la  Turquie.  Les  Impériaux  n'avaient  point  eu 
le  profit  de  leur  crime;  un  nouvel  agent  diplomatique, 
désigné  d  urgence,  avait  pris  le  chemin  de  la  Sublime 
Porte,  reçu  de  Soliman  une  audience  solennelle  (3)  ;  et 
vingt  et  un  jours  après  son  départ  du  Bosphore,  il  appor- 
tait à  Fontainebleau  la  nouvelle  que  le  sultan  nous  pro- 
mettait pour  le  printemps  de  1542  le  concours  d  une  flotte 
de  cent  bâtiments.  L'heurevix  diplomate,  ce  voyageur  d'une 
célérité  si  incroyable,  qui  avait  su  déjouer  en  route  les 
embûches  de  Doria,  c  était  le  capitaine  Polin.  Dans  le 
même  temps,  par  un  frappant  contraste,  le  ministre  impé- 
rial Granvelle  manquait  d'être  enlevé  par  sept  de  nos  ga- 
lères durant  la  traversée  de  Gènes  à  Barcelone  (4). 

Le  dauphin  fut  envové  en  Languedoc,  le  duc  d'Orléans 
en  Provence,  le  roi  de  Navarre  en  Guyenne,  le  duc  de 
Vendôme  en  Picardie,  et  en  Piémont  le  maréchal  d'Anne- 
bault  :  le  12  juillet  1542,  le  roi  de  France  lançait  son  cri 
de  guerre  (5).  Pour  nous  faire  face,  1  empereur  manda  en 
Roussillon  les  vieilles  bandes  espagnoles  de  Piémont  et  un 
régiment  de  lansquenets,  tandis  qvie  les  galères  de  Naples 
amenaient  à  Savone  1  infanterie  d'Afrique.  Une  partie  des 
lansquenets,  au  nombre  de  trois  cents,  furent  interceptés 

(1)  Fontainebleau,  29  novembre  1541  (B,  N.,  Franc.  15966,  fol.  239  : 
DuMOXT,  Cotps  (liplomatifjue,  t.  IV,  2"  partie,  p.  216). 

(2)  Juillet  1542. 

(3)  Parti  de  Venise  le  18  août  1541,  à  Bude  en  octobre  au  camp  du  sultan, 
Polin  suivit  le  sultan  à  Gonstantinople  et  revint  en  France  en  février 
(A.  Tausserat-Radel,  Correspondance  politique  de  Guillaume  Pellicier, 
ambassadeur  de  France  a  Venise  (1540-1542 .)  Paris,  1899,  in-8°,  p.  396). 

(4)  Granvelle  avait  deux  galères  et  une  barque  d'avis.  Lettre  de  Paget, 
26  fe'vrier  1542  (  Calendar  of  State  papers,  Henry  VIII,  p.  666.  —  Tacs- 
serat-Radel,  Corresp.  de  Guillaume  Pellicier,  p.  538"!. 

(5)  Il  Cry  de  guerre  ouverte  entre  le  rov  de  France  et  l'empereur,  " 
mandé  par  François  I"  à  ses  amiraux  et  vice-amiraux  [Papiers  d'Etat  du 
canlinal  de  Granvelle,  t.  II,  p.  628). 


378  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

au  passajje  par  notre  général  des  galères,  Orsini  dell  An- 
guillara  (1).  Mais  nos  forces  navales  n'étaient  point  en  état 
de  tenir  tête  aux  flottes  espagnoles,  et  nous  comptions, 
pour  le  succès  des  opérations  du  dauphin  dans  le  Roussillon, 
sur  l'appoint  de  la  flotte  turque. 

Malheureusement  le  capitaine  I^olin,  s'attardant  à  Ve- 
nise, dont  il  eût  voulu  obtenir  1  adhésion  à  la  ligue  franco- 
turque,  n'arriva  point  en  temps  utile  à  Gonstantinople  : 
Il  trois  mois  de  printemps  et  d'esté  s'estoient  desjà  escouléz, 
tellement  que  Polin  estoit  grandement  tourmenté  de  très 
grief  souci  et  ennuy  » .  En  présence  des  autres  pachas  et  de 
l'amiral,  l'eunuque  Soliman  lui  dit  sévèrement  qu'il  n'eût 
plus  à  compter  sur  les  Turcs  (2),  Et  en  effet,  de  l'année,  la 
flotte  du  sultan  ne  sortit  point.  En  serait-il  de  même  l'an 
d'après? 

Polin  «  eut  en  cette  négotiation  de  grandes  peines,  car 
il  lui  falut  combatre  contre  les  secrettes  menées  de  l'empe- 
reur, contre  les  fermes  résolutions  des  Vénitiens,  contre  les 
mauvaises  volontéz  des  baschas  et,  qui  plus  est,  contre 
rarro}',ance  et  inconstance  de  Solvman.  Mais  il  alla,  il  vira, 
il  trota,  il  traita,  il  monopola  et  fit  si  bien,  et  gagna  si  bien 
le  capitaine  des  janissaires  de  la  Porte  qu  il  eut  enfin  ce 
qu'il  voulut...  Le  Grand  Seigneur,  au  départir,  commanda 
à  Barberousse  d'obéyr  du  tout  en  tout  au  capitaine  Polin  " , 
honneur  suprême  pour  un  homme  qui  s'était  vu,  il  n  y 
avait  pas  si  longtemps,  simple  soldat  (3). 

Honneur  périlleux  aussi.  De  l'immense  flotte  qu  il  condui- 
sait, Polin  était  l'otage.  Il  avait  promis  au  nom  du  roi,  — 
et  "  il  tenoit  les  parolles  de  son  maistre  infaillibles  " ,  — 
que  les  Turcs  trouveraient  à  leur  arrivée  à  Antibes  ou  aux 
îles  d'Hyères  vivres  et  munitions  en  quantité,  sans  parler 

(i)  Paul  JovE,  traduction  Sauvage  (1570),  t.  II,  p.  529,  531. 

(2)  Paul  JovE,  ibidem.  — GiiARRiÈRE,  t.  1,  p.  555. 

(3)  Brantôme,  t.  IV,  p.  141. 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     379 

de  quarante  galères  et  vingt  vaisseaux  français.  Partie  de 
Constantinoplc  à  la  mi-mars  de  15i;î,  ravitaillée  àLépante, 
signalée  par  des  descentes  quotidiennes  en  Fouille,  en  Ca- 
labre,  dans  le  golfe  de  Naples,  en  Sardaigne  et  en  Corse, 
nulle  part  la  flotte  turque  ne  put  se  fournir  de  vivres;  le 
vide  se  faisait  à  son  approche  (1)  ;  et  les  Turcs,  après  trois 
mois  de  navigation,  arrivèrent  exténués  et  affamés  sur  nos 
côtes. 

Charles-Quint  avait  eu  le  temps  de  passer  indemne  de 
Barcelone  à  Gènes,  allant  dans  les  Pays-Bas  garder  «  sa 
vache  de  Flandres  »  .  En  vue  de  Marseille,  le  20  mai,  il 
avait  jeté  Tancre  comme  par  manière  de  défi  :  et  nos  ga- 
lères n'avaient  pu  faire  autre  chose  que  de  saluer  de 
quelques  boulets  au  passage  son  immense  flotte  de  cent 
quarante  voiles  (2j , 

Depuis  peu,  notre  armée  de  mer  du  Levant  avait  à  sa 
tète  un  bouillant  prince  du  sang  (3),  qu'avait  grisé  l'apo- 
théose de  sa  réception  à  Marseille  :  l'artillerie  tonnait  dans 
le  port  et  dans  les  rues,  les  habitants  «  pour  la  plupart 
guerriers,  n'y  épargnèrent  pas  la  poudre  :  le  tonnerre  y 
estoit  si  grand  que  les  femmes  grosses  et  les  nourrices 
furent  contraintes  de  se  retirer  dedans  les  caves  »>  .  Donc, 
François  de  Bourbon,  comte  d'Enghien,  brûlait  de  tirer 
vengeance  de  l'injurieuse  bravade  de  l'empereur. 

Trois  déserteurs,  à  point  nommé,  offrirent  de  nous  livrer 
le  château  de  Nice.  Sans  plus  s'enquérir,  Enghien  décida 

(1)  Interrogatoire  du  baron  de  T>a  Garde  (B.  N.,  Moreau,  vol.  778, 
fol.  152).  —  Le  territoire  de  l'Eglise,  grâce  à  Polin,  fut  seul  à  l'abri  de 
»  toute  injure  des  impétueux  »  .  Lettre  de  Polin  au  gouverneur  de  Terra- 
cine  {^Calendar  of  lelters,  despatchcs  and  State  papers  relatinq  to  neçotia- 
lions  between  Eiiqland  and  Spaiii  preserved  in  the  Archives  al  Simancas, 
éd.  I^.  de  Gayangos,  t.  VI,  '2,"  partie,  p.  557). 

(2)  G.4(::H.\nD,  Collection  des  voyages  des  Souverains  des  Pars-Bas,  t.  II, 
p.  254,  et  t.  III,  p.  441.  —  P.  Jovk,  trad.  Sauvage,  p.  563. 

(3)  François  de  Bourbon  nommé  lieutenant-général  de  la  flotte  le 
28  avril  1543  (B.  N.,  Franc.  3115,  fol.  15;  Clairambault  825,  fol.  114v''). 


380  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

d'y  donner  suite.  Il  partirait  à  minuit  avec  les  capitaines 
de  galères  présents  à  Tentretien,  Pierre  Bon,  Magdalon 
d'Ornesan,  Bernard  d'Ornesan-Saint-Blancard  et  Michelet. 
Onze  autres  galères  suivraient  à  distance,  chargées  à  fond 
de  gens  de  guerre.  Fort  heureusement,  Vieilleville,  qui  ser- 
vait de  mentor  au  jeune  prince,  flaira  un  piège  monté  par 
le  quatuor  Doria  (1)  et  ne  laissa  pas  «  sonder  le  gué  "  à  son 
pupille. 

Le  lendemain  17  juin,  à  six  milles  de  Nice,  Enghien 
mandait  donc  au  capitaine  Magdalon  d'aller  devant  avec 
quatre  galères.  Et  il  prit  le  large,  prêt  à  reparaître  à  un 
signal  convenu.   »  Mais  la  chose  réussit  tout  au  rebours.  » 

Les  pseudo-déserteurs  étaient  de  connivence  avec  le 
capitaine  du  château  de  Nice,  Antoine  de  Leschaulx.  Sans 
qu'on  pût  se  douter  de  sa  présence,  André  Doria  était  en 
embuscade  derrière  le  cap  Saint-Hospice,  avec  quinze 
galères  au  ras  de  la  côte.  Il  n'avait  laissé  en  vedette  comme 
appât  qu'une  autre  division  de  six  galères,  arrivée  ostensi- 
blement du  large  (2). 

Au  moment  où  notre  avant-garde  approchait  de  Nice, 
les  six  galères  de  Gianettino,  suivies  de  près  par  l'escadre 
de  Doria,  chargèrent  impétueusement.  Magdalon  d'Orne- 
san eut  la  jambe  emportée  par  un  boulet  (3),  Michelet  fut 
arquebuse  en  essayant  de  gagner  Antibes;  la  Perle  de 
Pierre  Bon,  malgré  son  artillerie  renforcée  (4),  ne  résista 
pas  plus  que  ses  compagnes;  toute  notre  avant-garde  était 
prisonnière. 

Enghien  attendait  au  Cauroux  le  signal  convenu.  Tout 
à  coup,  au  clair  de  la  lune,  se  profilèrent  les  silhouettes 

(1)  André,  Antonio,  Filippino  et  Gianettino. 

(2)  Carloix,  Mémoires  de  la  vie  du  maréchal  de  Vieilleville,  dans  la  Nou- 
velle collection  de  Mémoires  Michaud  et  Poujoulat,  i"^  série,  t.  IX,  p.  35. 

(3)  jNicolay  d'Arfeuille,  B.  N.,  Franc.  20008,  p.  52. 

(4)  De  six  pièces  empruntées  à  la  Salamandre  (Archives  des  Bouches- 
du-Rhône,  B38,  fol.  72). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     381 

de  vingt  galères  :  elles  nëtaient  plus  qu'à  deux  milles; 
c'était  toute  la  flotte  d'André  Doria.  Enghien,  affolé,  sti- 
mula la  chiourme,  stimula  les  mariniers,  promit  de  fortes 
primes  si  on  échappait;  des  soldats  prirent  la  rame  à  la 
place  de  foi^çats  pâmés,  et  Ton  parvint  à  gagner  sans  nou- 
velles pertes  Toulon.  Deu.\  compagnies  d'infanterie,  aus- 
sitôt mandées,  se  formèrent  en  bataille  dans  le  port  pour 
arrêter  la  poursuite  de  la  flotte  impériale  (l). 

Mais  une  nouvelle  inattendue  avait  fait  rebrousser  che- 
min à  l'ennemi.  André  Doria  venait  d  apprendre  d  un  pri- 
sonnier moribond,  de  ^lagdalon  dOrnesan,  l'arrivée  immi- 
nente de  la  flotte  turque.  Et  de  fait,  dans  la  soirée  du 
5  juillet,  les  Nicards  contemplaient  avec  épouvante  le 
défilé  sans  fin  des  cent  soi.xante-quatorze  voiles  latines, 
flanquées  de  quatre  grands  transports,  que  le  capitaine 
Polin  amenait  en  Provence.  Il  y  avait  là  l'élite  de  la  marine 
turque,  Salah  Raïs,  capitaine  des  soixante  galères  de 
l'avant-garde,  Deli  Soliman,  lieutenant  ou  chachaia  du 
sultan,  le  capitaine  Chanchelubin  (2),  les  capitaines  Giaf- 
fer  Aga,  Hassan  Celebi,  circana  de  Gallipoli,  l'aga  des 
Janissaires,  les  sandjaks  de  Gappadoce  et  de  Gilicie,  les 
spahis  de  Nègrepont  (3). 

Les  nouveaux  venus  jetèrent  l'ancre  dans  la  rade  d'An- 
tibes.    Là,    point    d'approvisionnements,    point    d'argent, 

(1)  Le  comte  d'Engliien  fait  entrer  les  bandes  des  sieurs  Darcicr  et  de 
Gombert  à  Toulon  pour  protéger  et  sauver  les  galères  du  roi  qui  sont  dans 
le  port.  23  juin  15i3  (Archives  de  Toulon,  BB47,  fol.  235).  —  Gioffredo, 
Storia  (le/le  Alpi  marittiine,  t.  V,  p.  158. 

(2)  Léon  Dorp:z,  Itinéraire  de  Jérôme  Mauraml  (VAntibes  à  Constanti- 
nople  (1544),  texte  italien  publié  pour  la  première  fois,  avec  une  introduc- 
tion et  une  traduction.  Paris,  1901,  in-8»,  p.  26.  On  trouvera  dans  cet 
ouvrage  et  dans  les  notes  qui  l'accompagnent  les  détails  les  plus  circons- 
tanciés sur  nos  rapports  avec  la  Porte. 

(3)  Lettre  de  Corfou  sur  la  composition  de  la  flotte  de  Barberousse. 
15  juin  1543  (Léon  Dorez,  p.  302).  —  Cf.  là-dessus  la  thèse,  encore  ma- 
nuscrite, de  M.  Jean  Gaudin,  Essai  sur  la  vie  du  baron  de  La  Garde,  dit 
le  capitaine  Polin,  V'  partie,  chapitre  in,  Barberousse  en  Provence. 


382  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

rien  à  attendre  du   trésor  de  guerre  (1).  C'était  la  faillite 
des  promesses  de  Polin. 

De  rage,  Barberonsse  faillit  s'en  retourner  sur  Iheure, 
en  gardant  à  bord  l'imprudent  qui  avait  déclaré  solennel- 
lement à  Byzance  :  »  Si  j'avois  cent  vies,  je  les  baillerois 
toutes  en  hostaiges  »  de  la  parole  royale.  Fort  heureuse- 
ment, un  officier  général,  envoyé  au-devant  de  l'amiral 
turc,  parvint  à  l'apaiser. 

Dès  le  0  juillet,  l'ennemi  était  avisé  du  point  sur  lequel 
fondrait  l'orage.  Un  prisonnier  turc  lavait  renseigné  sur 
les  forces  de  Barberousse,  cent  quinze  galères  et  une 
quinzaine  de  fustes  de  corsaires  levantins,  disait-il,  avec 
une  dizaine  de  mille  hommes  de  troupes  de  débarque- 
ment; et  il  avait  révélé  que  la  flotte  débuterait  par  l'at- 
taque de  Nice,  continuerait  par  le  pillage  des  côtes  d'Es- 
pagne et  d'Italie  et,  au  retour,  passerait  à  Tunis,  pour  y 
déposer  trois  régiments  (2). 

Un  mois,  jour  povir  jour,  après  leur  arrivée  dans  les 
mers  de  Provence,  les  voiles  ennemies  réapparaissaient  en 
plus  grand  nombre  devant  Nice  (;i)  :  la  jonction  des  Turcs 
avec  la  flotte  française  de  Virginio  Orsini  avait  porté  le 
chiffre  des  galères  à  deux  cents  et  celui  des  grandes  nefs  à 
seize,  non  compris  les  deux  grosses  galéasses  Duchesse  et 
Daiiphine .  Le  lendemain,  un  tambourin  vint  sommer  le 
colonel  Louis  du  Chàtellar  de  rendre  la  place.  Le  7  août, 

(1)  C'est  ce  que  François  \"  répondit  à  Polin  qui  ctait  venu  le  trouver  à 
Marolles.  Il  lui  conseillait  en  outre  de  reprendre  le  siège  de  JNice.  Le  comte 
d'Enghien  apaisa  Barberousse  en  lui  faisant  délivrer,  aux  iles  de  Marseille, 
11,834  quintaux  de  biscuit.  2  et  3  août  1543  (B.  K..  Moreau  778, 
fol.  153  v°.  —  ^lÉNARD,  Histoire  de  la  ville  de  Nîmes.  Paris,  1753,  in-'*", 
t.  IV,  p.  185). 

(2)  Lettre  au  duc  de  Savoie  (Abel  Desjardixs,  Négociations  delà  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  89\ 

(3)  Laaibert  de  la  Croix,  président  des  comptes  de  Savoie,  Discours  soni- 
mayre  du  succès  du  siège  mys  au  devant  du  chasteau  et  cite  de  Nice  par 
Françoys,  roy  de  France,  et  par  le  turch  Barbcrosse  de  l'an  1543,  dans  les 
Monumentu  historiœ  patrite,  Scriptores,  t.  I  (1840),  col.  912. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     383 

les  compagnies  turques  commençaient  à  débarquer  à  Vil- 
lefranche  avec  de  l'artillerie.  Quatre  jours  plus  tard, 
l'armée  du  comte  d  Enghien  arrivait  devant  Nice,  suivie 
le  lendemain  des  bataillons  du  comte  de  Tende  et  de  Glan- 
dèves,  sieur  d'Antibes.  Une  nouvelle  sommation  n'eut  pas 
plus  d'effet  que  la  première  :  en  guise  de  réponse,  Paolo 
Simeone  de  Cavorreto,  grand  prieur  de  Lombardie,  fit 
étrangler  comme  traître  le  parlementaire  et  le  pendit  par 
un  pied  sur  l'éperon  du  donjon,  à  la  vue  des  assiégeants. 

Le  bombardement  aussitôt  commença,  par  terre  et  par 
mer.  Une  batterie  de  vingt-cinq  grosses  pièces  assise  en 
avant  de  Cimiez  lançait  sur  la  ville  des  boulets  de 
109  livres  (l) .  Le  feu  atteignit  son  maximum  d'intensité 
le  jour  de  l'Assomption.  Cent  vingt  galères,  sorties  du  port 
de  Villefranche,  s'étaient  embossées  en  ligne  de  bataille 
depuis  la  pointe  de  Montboron  jusqu  aux  remparts;  et  sous 
le  feu  épouvantable  des  batteries  de  1  armée  et  de  la  flotte, 
Turcs  et  Français  montaient  à  l'assaut.  Trois  fois,  ils 
gagnèrent  la  brèche  faite  entre  le  bastion  de  la  Peyrollière 
et  la  tour  pentagonale;  trois  fois,  ils  furent  repoussés  avec 
de  lourdes  pertes.  Avant  de  se  retirer,  les  galères  concen- 
trèrent leur  feu  sur  le  donjon,  mais  leur  tir  à  la  volée 
causa  surtout  du  mal  aux  assiégeants,  car  les  bovilets  pas- 
saient par-dessus  le  but  et  tombaient  au  milieu  du  camp. 

Le  :22  août,  la  ville  se  rendait  au  comte  d'Enghien,  qui 
avait  la  politesse  de  soumettre  les  termes  de  la  capitula- 
tion à  Barberousse,  alors  à  Villefranche.  Dans  le  même 
instant,  à  Milan,  un  conseil  de  guerre  tenu  entre  le  duc 
de  Savoie  et  le  marquis  del  Vasto  avisait  aux  moyens 
de   sauver  la   place    '2}    :   et  le   pauvre   duc   allait  jusqu  à 


(1)  Caks  dk  Pikrlas,  Clironif/iie  niçoise  de  Jean  Badat  (1516-1567), 
publiée  dans  la  Romania,  t.  XXV  (J896\  p.  65. 

(2  Arturo  Segre,  Carlo  II  di  Savoin.  Le  sue  relaùoni  cou  Francia  e 
Spac/iia  e  le  guerre  picmontesi  dal  1536  al  15-15,  clans  les  Metnoric  délia 


384  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

mettre  sa  couronne   en  gage  pour  lever   des    soldats  (l). 

La  garnison  s'était  réfugiée  dans  le  château  avec  André 
de  Montfort,  gouverneur  de  la  ville,  le  colonel  Louis  de 
Ghâtillon  du  Ghàtellar  et  le  grand  prieur  de  Lombardie. 
De  part  et  d'autre,  on  s'apprêtait  à  une  lutte  désespérée. 
Femmes  et  enfants  avaient  reçu  un  sauf-conduit  et  une 
escorte  pour  quitter  la  forteresse;  le  comte  d'Enghien 
dressait  de  nouvelles  batteries,  des  tranchées  s'ouvraient; 
jusqu'au  7  septembre,  le  canon  et  la  fusillade  ne  cessèrent 
plus  de  retentir,  à  tel  point  que  nos  munitions  s  épuisèrent. 
Et  pour  avoir  dû  en  emprunter  à  nos  alliés,  nous  encou- 
rûmes leur  mépris  et  leur  colère  (:2) .  Le  8  septembre,  les 
Turcs  rembarquaient  à  Villefranchc  leur  artillerie:  le  len- 
demain, les  Français  levaient  le  siège  du  château  et  met- 
taient le  feu  à  la  ville,  comme  apparaissait  lavant-garde 
d'une  armée  de  secours  conduite  par  Charles  II,  duc  de 
Savoie,  et  Alonso  d'Avalos,  marquis  del  Vasto.  Toute  la 
flotte  franco-turque  se  repliait  sur  Antibcs.  La  forteresse 
était  sauvée. 

Barberousse  parlait  de  prendre  congc',  si  on  ne  lui  four- 
nissait le  moyen  de  se  radouber  et  de  se  ravitailler  (3). 

A  cette  menace  si  compromettante  pour  notre  supré- 
matie navale,  la  réponse  de  la  Cour  ne  se  fit  point  attendre. 
Le  vice-amiral  Villiers  d  Ancienville-Révillon  (4)  apportait 
aux  Toulonnais  l'ordre  de  «  Auyder  ladite  ville,  personnes 
et  biens,  tout  incontinent  pour  loger  l'armée  du  sieur  Bar- 

reale  Accademia  délie  scieiize  di  Toiiiio,  2"  sëric,  t.  LU  (1903),  p.  178. 
Cet  ouvrage  est  rédigé  d'après  les  docuiiients  conservés  aux  archives  de 
Turin  et  de  Mantoue. 

(1)  Lettre  datée  de  Lyon,  21  janvier  1544  (L.  Dorkz,  L'itinéraire  de 
Jérôme  Maurand .  p.  311). 

(2)  Nous  dûmes  lui  restituer  mille  boulets  et  cinquante  milliers  de  poudre 
(B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  169.  —  Brantôme,  t.  III,  p.  128). 

(3)  Lettre  de  Barberousse  au  roi.  Villofranche,  6  septembre  1543  (Inter- 
rogatoire du  baron  de  La  Garde.  B.  N.,  Moreau.  vol.  778,  fol.  154  v°). 

(4)  Ibidem,  fol.  155. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    l"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     385 

berousse  (1)  » .  Seuls,  les  «  chefs  de  maysons  "  étaient 
admis  à  rester  et  recevaient  en  guise  de  dédommage- 
ment exemption  de  tailles  pour  dix  ans  (2) . 

Comme  la  flotte  franco-turque  stationnait  aux  iles  de 
Lérins,  elle  eut  connaissance  de  l'arrivée  d'André  Doria 
en  rade  de  Villefranche  (3).  Doria  amenait  à  bord  de  ses 
vingt  et  une  galères  le  duc  de  Savoie,  le  marquis  del  Vasto 
et  quinze  cents  Espagnols.  Les  habitants  se  sentaient  ras- 
surés par  la  présence  de  leur  duc,  quand  une  panique 
soudaine  lui  fit  prendre  à  nouveau  le  large  :  quarante 
galères  de  Barberousse,  disait-on,  arrivaient  donner  la 
chasse  à  la  petite  escadre  de  Doria.  Repoussés  par  la  tem- 
pête dans  le  port  de  Villefranche,  le  duc  et  le  marquis 
battirent  en  retraite  par  voie  de  terre  :  Doria  se  sauva  éga- 
lement, au  prix  de  quatre  galères  que  l'ouragan  jeta  à  la 
côte  (4j. 

Il  avait  lieu  de  craindre  pis.  Polin  avait  pressé  Barbe- 
rousse d'attaquer.  Mais  le  vieux  corsaire  ne  s'ébranla 
point;  "  le  corbeau  ne  crève  pas  les  yeux  au  corbeau  "  , 
disait-on  des  deux  adversaires  (5).  Et  l'on  de\inait,  aux 
sourires  ironiques  des  sandjaks,  que  Barberousse  jugeait 
équitable  de  ménager  Doria,  de  le  traiter  en  collègue,  en 
frère.  La  tourmente  apaisée,  le  23  septembre,  Salah  Raïs 
et  Leone  Strozzi,  avec  vingt-cinq  galères  chacun,  allèrent 
pourtant  recueillir  les  débris  du  naufrage,  des  canons  que 
les  plongeurs  retirèrent  du  fond  de  la  mer,  près  du  cap 
Saint-Hospice  (6).  Le  surlendemain,  un  détachement  mixte 

(1)  16  septembre  (Archives  de  Toulon  BB  47,  fol.  247  v"). 

(2)  11  décembre  ('Champollion-P'igeac,  Documents  historiques  inédits  tirés 
(les  collections  de  la  Bibliothèque  royale,  t.  III,  p.  559). 

(3)  13  septembre. 

(4)  GiOFFREDO,  col.  1498.  — Arturo  Segrk,  p.  180. 

(5)  Lettre  de  Giainmatteo  Bembo.  1539  (Lettere  dei  principi,  t.  III  (1581), 
fol.  66  v").  —  Brantôimk,  t.  II,  p.  35. 

(6)  P.  JovE,  livre  XLIV,  trad.  Sauvage  (1570).  —  Lambert  dk  la 
Groix. 


386  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

s'emparait  d  Eze  et  échouait  contre  la  Turbie.  Mais  déjà 
Barberoussc  prenait  à  Toulon  ses  quartiers  d'hiver. 

Nous  savons,  par  un  ambassadeur  de  France,  quel  pres- 
tigieux spectacle  offrait  une  flotte  turque  :  1  amirale,  facile 
à  reconnaître  à  son  pavillon  d  argent  doré,  la  poupe  ornée 
de  pavillons  et  banderoles  de  satin  vert,  ressemblait  de 
loin  à  un  bois  de  cyprès  qui  aurait  pris  racine  au  fond 
de  la  mer:  chaque  division  navale  portait  une  couleur  dif- 
férente, blanc,  incarnat,  jaune,  ou  ces  couleurs  mi-parties, 
selon  la  légion  de  spahis  à  laquelle  elle  appartenait. 

«  On  n  entendait  aucun  bruit  de  tambours,  de  trom- 
pettes, ni  de  cris  insolents,  comme  on  en  entend  non  seu- 
lement dans  les  armées  chrétiennes,  mais  même  dans  les 
conventicules  des  plus  révérends  Pères  :  ce  qui  arrive  non 
pour  ce  que  les  Turcs  manquent  de  bravoure,  mais  pour 
le  respect  qu'ils  portent  à  leurs  capitaines  et  supé- 
rieurs (1).  " 

A  la  discipline  de  la  flotte  de  Barberousse,  les  témoi- 
gnages contemporains  sont  unanimes  à  rendre  hommage. 
Il  A  veoir  ToUon,  dit  l'un,  on  diroit  estre  Gonstantinoble, 
chascun  faisant  son  mestier  et  feict  de  marchandise  tur- 
quesque  avec  grande  police  et  justice  (2).  »  «Jamais  armée 
ne  vesquist  plus  estroictement  ny  avec  meilletîr  ordre  que 
ceste  là  (3).  »  Et  songez  que  les  équipages  des  cent  di.\ 
galères  désarmées  au  port,  joints  à  mille  "  espays,  qui 
sont  comme  hommes  d'armes,  et  six  mil  genissaires,  qui 
sont  comme  gens  de  pied  des  ordonnances  »  ,  ne  montaient 
pas  à  moins  de  trente  mille  hommes.  Le  baron  de  La 
Garde,  à  qui  incombait  la  lourde  charge  de  les  nourrir,  en 
donne  lui-même  le  décompte  basé  sur  ce  principe  notoire  : 

(i)  Le  voyage  du  Levant,  de  Philippe  du  Fresnk-Canaye  (1572),  publié 
et  annoté  par  H.  Hacser.  Paris,  1898,  in-8°,  p.  139-141. 

i^2)  Lettre  de  Lyon,  21  janvier  1544  (L.  Dohez,  Itinéraire  de  Jérôme 
Maurand,  p.  311). 

(3)  Déposition  du  baron  de  La  Garde  (B.  ÎN..  .Vloreau  778,  fol.  224). 


RIVALITÉ    DE   FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.    387 

«  En  une  gallère  subtille,  avant  seullement  vingt-quatre 
bancs  de  chascun  costé  et  trois  hommes  par  banc,  et 
soixante  mariniers,  comprins  dix-huit  officit>vs,  y  a  en  tout 
deux  cent  quatre  hommes  (l).  " 

Comme  à  Alger  nagucres.  Turcs  et  Français  fraterni- 
saient. Barberoussc  offrit  à  son  collègue  Virginio  Orsini 
un  coffret  d'ébène  et  d'ivoire,  où  des  artistes  barbares 
avaient  peint  sur  papier  les  portraits  de  onze  sultans  otto- 
mans (2;.  Il  reçut  lui-même  de  La  Garde,  au  nom  du  roi, 
de  la  vaisselle  d'argent  doré  et  une  horloge  à  mappemonde  : 
tous  les  chefs,  tout  l'état-major,  agas,  sandjaks,  drogman, 
maître  d  hôtel,  reçurent  pareillement  des  cadeaux,  sans 
parler  des  robes  de  soie  qu'on  leur  offrit  comme  étrennes, 
lors  du  rhamadan,  au  moment  de  leurs  «  pàques  (3i  )>  .  Et 
malgré  ces  protestations  d'amitié,  François  l",  mis  en 
défiance  par  la  conduite  inexplicable  de  notre  allié  en  face 
de  Doria.  mandait  au  capitaine  Polin  «  ne  bouger  d'avec 
ledicl  Barberosse  et  mettre  peyne  de  descouvrir  les  menées 
que  les  Impériaulx  faisoient  avec  icelluy  (4)  "  . 

Sur  l'avis  envoyé  à  la  Cour  par  le  sieur  de  Alontpezat  que 
l'empereur  préparait  vine  descente  en  Languedoc,  une 
division  turque  para  l'attaque  en  prenant  l'offensive  (5). 
Salah  Raïs  et  un  neveu  de  Barberoussc,  Chanchelubin,  à 
la  tête  de  quarante  galères  (6j,  partirent  pour  les  Baléares, 
et  de  Formentera  comme  base  d'opérations,  semèrent  la 

(1)  Procès  du  baron  de  La  Garde  (B.  IN.,  Moieau  778,  toi.  159  v").  — 
30,000  livres  avaient  été  remises  au  trésorier  de  la  marine  du  Levant  pour 
l'ent.'etien  de  la  Hotte  turque.  29  novembre  1543  (Archives  des  Bouches-du- 
Rhône,  B38,  foL  19  v"). 

(2)  P.  JovE  :  L.  Dorez,  p.  335. 

(3)  B.  N.,  Moreau  770,  fol.  107. 

(4)  Lettre  de  François  I"  à  La  Garde.  12  novembre  1543  (B.  N., 
Moreau  778,  fol.  163  v"). 

(5)  Lettre  de  François  1"^  au  baron  de  La  Garde.  6  janvier  1544  (B.  N., 
Moreau  778,  fol.  164,  analyse). 

(6)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  roi.  Toulon,  24  mai  (Ibidem, 
fol.  245\ 


388  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

terreur  tout  le  long  des  côtes  espagnoles.  Gadaqucs,  Anipu- 
rias,  Palumos,  Rosas,  Villajoyosa  devinrent  la  proie  des 
flammes;  les  habitants  s'étaient  enfuis  éperdus.  Alicante, 
au  contraire,  (^uardamar  et  Iviça  évitèrent  ce  triste  sort 
par  une  vigoureuse  résistance.  Une  nef  espagnole,  chargée 
de  gens  de  guerre,  fut  covilée  à  fond;  trois  autres  furent 
capturées  (1).  Après  escale  en  Afrique,  en  Sardaigne,  Salah 
Raïs  touchait  le  23  mai  à  Toulon,  annonçant  l'arrivée  pro- 
chaine de  vingt  voiles  algériennes  et  du  contingent  de 
Djerbah,  sous  les  ordres  d'Hassan  Aga,  lieutenant  de  Bar- 
berousse  à  Alger. 

Pareils  renforts  permettaient  de  répartir  la  flotte  franco- 
turque  en  deux  escadres,  dont  la  moindre  serait  encore 
plus  forte  que  la  flotte  impériale  (2). 

La  flotte  française,  assemblée  en  rade  d'Antibes,  ne  com- 
portait pas  moins  de  cinquante-deux  bâtiments  (3).  Après 
le  départ  du  comte  d'Enghien,  Adhémar  de  C4rignan, 
investi  d'une  autorité  suprême  sur  les  officiers  de  ma- 
rine (-i),  avait  destitué  de  son  commandement  Orsini  delT 
Anguillara  et  confisqué  ses  six  galères,  qu'il  fit  toutes  tim- 
brer des  armes  royales  (5) .  Et  en  dépit  des  intrigues  d'Orsini 
et  de  ses  beaux-frères,  les  Strozzi,  malgré  l'intervention  de 
la  duchesse  d'Etampes  (G),  le  protégé  de  Grignan  était 
devenu  général  des  galères.  Les  patentes  qui  conférèrent 
au  baron  de  La  Garde  cette  haute  charge,  sont  du  23  avril 
1544  (7).  Dès   le  9  mars,  François  I"  avait  donné  ordre  à 

(1)  F.  DuRO,  t.  I,  p.  266.  —  P.  JovK. 

(2)  Lettre  de  La  Garde  citée  (B.  N.,  Moreau  778,  foL  245). 

(3)  Compte  des  trésoriers  de  la  marine  du  Levant  :  32  {jalùres,  12  na- 
vires, 4  Lrigantins,  2  galions,  2  galéasses  fB.  N.,  Franc.  17329,  fol.  192  v°). 

(4)  19  janvier  1544  (Archives  des   Rouches-du-Rhône,  B38,  fol.    84  v°). 

(5)  22  avril  1544  (Ibidem,  B  2546,  fol.  17). 

(6)  .Ican  Gaufiik,  Essai  sur  ta  vie  du  havon  de  La  Garde,  dit  le  capitaine 
Polin,  2"^  partie,  chap.  1. 

(7)  L  Lk  LànounEun,  Les  mémoires  de  Messire  Michel  de  Caslelnau 
(1659),  t.  II,  p.  11. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     389 

Grignan  de  lui  fournir  «  bon  nombre  de  pyonnjcrs  pour 
besoigner  en  toute  dilligence  à  fortiffier  certain  lieu  fort  à 
propos,  que  nous  ne  voulions  estre  cy  déclaré  :  le  capitaine 
Polin  congnoisl  l'affaire  "  ,  ajoutait  pour  toutes  explications 
le  roi  (I). 

Des  objectifs  possibles  d'une  campagne  navale,  le  plus 
important  était,  sans  contredit,  la  soumission  de  Gênes. 
Aux  termes  des  instructions  royales  (2),  le  baron  de  La 
Garde  avait  expédié  dans  la  place  le  seigneur  d'Antibes, 
afin  d'y  nouer  des  intelligences,  et  en  Piémont  deux  gen- 
tilshommes italiens,  afin  de  donner  rendez-vous  aux 
troupes  de  Pietro  Strozzi  et  Orsini  comte  de  Pitigliano. 
Corps  d'armée  et  compagnies  de  débarquement  franco- 
turques  devaient  coopérer  à  "  l'entreprise  " ,  on  ne  la  dési- 
gnait pas  plus  explicitement.  Barberousse  avait  été  seule- 
ment prévenu  que  nos  «  forces  seroient  telles  qu'il  auroit 
occasion  de  s'en  contenter  (3)  "  ;et  à  titre  de  réciprocité  pour 
son  concours,  nous  promettions  de  l'aidera  reconquerirson 
royaume  de  Tunis  (4). 

Les  (iénois,  en  fins  diplomates,  surent  parer  nos  coups. 
A  l'ultimatum  royal  de  verser  cent  mille  écus  et  de  mettre 
leurs  ports  à  notre  merci,  ils  répondirent  par  l'envoi  d'une 
ambassade  chargée  de  traîner  les  choses  en  longueur  et  de 
détourner  ainsi  l'orage.  François  I"  donna  dans  le  piège. 
Tandis  que  le  plénipotentiaire  français  Luigi  Alamanni  se 
laissait  berner,  un  mois  durant,  par  le  doge  sans  recevoir 
de  réponse  (5),  le  baron  de  La  Garde  avait  ordre  de  sur- 

(1)  Vallet  dk  ViniviLLK,  Catalogue  des  archives  de  la  maison  de  Gri- 
gnan.  l*aris,  1844,  in-S",  p.  14. 

(2)  1"  décembre  1543  (B.  N.,  Moreau  778,  fol.  173,  analyse). 

(3)  Lettre  de  François  I*"^  au  baron  de  La  Garde.  6  janvier  1544  (Ibidem, 
fol.  164). 

(4)  Ibidem,  fol.  156. 

(5)  Parti  de  Paris  le  29  mars  1544,  Alamanni  n'avait  pas  dépassé  Mar- 
■seille  le  1'^''  mai  et  Antibes  le  8,  négociant  pour  que  le  doge  lui  fournit  sauf- 
conduit  et  escorte  (H.   Hauvkttk,  Luiqi  Alamanni,  p.  123). 


3<tO  HlSTOIIUi    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

seoir  à  rexpédition  (1).  Puis,  le  corps  d'armée  de  Strozzi  et 
Orsini  alla  renforcer  en  Piémont  les  troupes  du  duc  d'En- 
p^hien,  vainqueur  le  1-4  avril  à  Cérisoles  :  et  la  flotte  turque 
reçut  avis  d'intercepter  dans  les  eaux  sardes  un  coua  oi  de 
soldats  espagnols  à  destination  d'Italie  (2).  Gênes  était 
sauve. 

De  part  et  d'autre,  les  alliés  se  quittèrent  en  termes  plus 
que  froids.  Inquiet  des  sourdes  menées  qu'il  croyait  exis- 
ter entre  Barberousse  et  les  Impériaux  (3) ,  ému  de  la  répro- 
bation universelle  (4)  que  son  alliance  avec  les  Turcs 
faisait  peser  sur  lui,  excédé  des  plaintes  des  populations 
provençales,  François  I"  avait  hâte  d'être  débarrassé  d  un 
voisinage  aussi  compromettant  qu'onéreux.  Déçu  lui  aussi 
et  u  grandement  irrité  "  contre  nous.  Barberousse  se  saisit 
de  la  flotte  royale  comme  d  une  "  proye  (5)  »  ,  se  fit  délivrer 
tous  nos  rameurs  turcs  ou  barbaresques  pour  rafraîchir  ses 
chiourmes,  et,  pour  se  ravitailler,  mit  à  sac  cinq  bâtiments 
français  au  port  de  Toulon;  il  ne  consentit  à  laisser  aller  la 
plus  grande  partie  de  notre  escadre,  sous  les  ordres  du 
vice-amiral  Villiers  dAncicnville-Révillon,  qu'après  s  être 
assuré  de  la  personne  du  général  des  galères  et  de  son  lieu- 
tenant (6). 

Le  baron  de  La  Garde  et  Leone  Strozzi  furent  emmenés 
en  quelque  sorte  comme  des  coupables  condamnés  à  con- 
fesser au  sultan  notre  inertie  et  le  résultat  négatif  de  la 
campagne.  Mais  Barberousse  ne  porta  point  atteinte  à  leur 
dignité.  La  Garde  montait  la  Réale,  escortée  à\\  Saint-Pierre, 

(1)  31  mars  (B.  N..  Moieau  778,  fol.  165). 

(2)  8  mai  (Ibidem,  fol.   169). 

(3)  Lettre  à  La  Garde.  12  novembre  lôW  (B.  N.,  Moreau  778,  fol.  163  v"). 
—  Léon  DoRKz,  Itinéraire  de  Jérôme  Main-and,  p.  xxxviii. 

(4)  Archives  des  Affaires  étrangères,  Suisse,  3  suppl.,  p.  489. 

(5)  B.  N.,  Moreau  778.  fol.  162  v°. 

(6"!  Ibidem,  fol.  163.  —  .Jean  dk  Vam)Eî«esse,  Journal  des  voyages  de 
CharleS'Quiiit,  dans  la  Collection  des  voyaç/es  des  souverains  des  Pays-Bas, 
par  GAcuAno,  t.  II,  p.  286. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    1"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     391 

et  Slrozzi  la  Capitane,  qui  ctaitaccompagnéc  de  la  Colombe, 
de  la  Guidetta  et  d(î  la  nef  Tahoga  de  Raguse  pour  le  trans- 
port des  vivres.  Le  prieur  de  Capoue  emmenait  nombre  de 
fnorusciti  florentins,  entre  autres  les  capitaines  de  ses 
galères,  Baccio  Murtelli  et  Guidetto.  La  Garde  avait  près 
de  lui  Gaspard  de  Castellane,  sieur  d'Entrecasteaux, 
(rabriel  d  Aramon,  Beltramo  d'Udine,  Cesare  Frangipani, 
les  chevaliers  de  Bevnes  et  d'Albisse,  un  drogman  et  le 
médecin  anglais  Alban  Hill.  Il  avait  pour  aumônier  un 
touriste  imbu  de  réminiscences  antiques,  Jérôme  Maurand, 
dont  le  pittoresqiîc  récit  de  vovage,  agrémenté  de  nombreux 
croquis,  est  un  bon  spécimen  de  la  science  archéologique 
de  la  Renaissance  (l  . 

Barberousse  et  ses  compagnons  d  occasion  appareillèrent 
le  :2;i  mai,  à  l'île  Sainte-Marguerite.  Le  lendemain,  un 
coup  de  canon  des  éclaireurs  signala  une  découverte  sus- 
pecte. Vingt  galères,  aux  aguets  dans  le  golfe  de  Roque- 
brune,  venaient  de  détaler  avec  Gianettino  Doria  ;  on  ne 
put  les  rattraper.  A  Savone,  Barberousse  arrêta  la  pour- 
suite; des  présents  envoyés  fort  opportunément  par  la  Ré- 
publique génoise  le  détournèrent  de  sa  route.  A  File  d  Elbe, 
une  démarche  semblable  de  Jacopo  d'Appiano  eut  le  même 
succès;  le  présent  consistait  dans  un  captif  cher  à  Barbe- 
rousse, le  fils  de  son  vieux  compagnon  d'armes  Sinan  le 
Juif,  que  le  seigneur  de  l'île  d'Elbe  retenait  prisonnier. 

Pourtant,  a  Barberousse  béait,  —  selon  la  pittoresque 
expression  de  Paul  Jove,  —  après  les  ports  du  rivage  de 
Toscane  "  . 

Il  porta  son  effort  contre  les  places  fortes  qui  avoisinent 
le  massif  de  l'Argentario,  cette  tête  jetée  dans  les  flots,  que 

(1)  Cf.  l'édition  avec  notes  et  planches,  qu'en  a  donnée  M.  Léon  Dores. 

—  En  dehors  de  Maurand,  plusieurs  sources  sont  à  consulter  pour  l'hislo- 
rique  de  la  compagne  :  un  rapport  du  baron  de  La  Garde,  daté  de  Reggio, 
17  juillet  1544  (Archives  nationales,  K  1485,  n"  64).  —  P.  Jove,  livre  XLV. 

—  Adriam,  Storia,  p.  99. 


392  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

deux  minces  ligaments  retiennent  au  continent  (1).  Tala- 
mone,  dans  la  partie  du  nord,  Port'Ercole,  au  sud,  furent 
pris  d'assaut  et  occupés  par  une  garnison  française  (2).  Le 
baron  de  La  Garde  les  offrit  au  pape  dans  l'espoir  d'obtenir 
son  alliance;  mais  le  capitaine  Baccio  Martelli,  chargé  des 
négociations,  ainsi  que  Gabriel  d'Aramon,  rapporta  de 
Rome  une  réponse  évasive.  Pour  compléter  notre  système 
de  fortifications  autour  de  l'Argentario,  il  eût  fallu  enlever 
Orbetello,  une  ville  que  baignent  de  trois  côtés  les  eaux 
d'un  lac.  Leone  Strozzi  l'avait  compris;  et  des  compagnies 
franco-turques,  en  bateaux  et  en  barques,  allaient  accoster 
par  le  lac,  les  pièces  de  siège  montées  sur  radeaux  allaient 
tirer,  les  gens  de  Strozzi  prenaient  terre,  quand  la  cavalerie 
de  Giovanni  de  Luna  arriva  au  galop  dans  l'isthme  qui  rat- 
;  tache  Orbetello  à  la  terre.  Force  fut  aux  alliés  de  battre  en 
retraite.  La  prise  de  l'île  fortifiée  du  Giglio,  à  quinze  milles 
au  large  du  massif  montagneux  (3),  ne  compensa  point  cet 
échec.  Averti  de  Rome  que  la  flotte  espagnole  menaçait  les 
côtes  de  Provence,  La  Garde  tenta  de  faire  rebrousser  che- 
min aux  Turcs.  Mais  les  sandjaks  n'y  voulurent  point  con- 
sentir. 

Il  avait  été  convenu  avec  Barberoussc  qu'il  ne  serait 
commis  aucun  attentat  contre  les  terres  de  l'Eglise.  Le  cap 
fut  donc  mis  sur  le  royaume  de  Naples;  le  lendemain  du 
jour  où  Gianettino  Doria  venait  d'arriver  dans  le  golfe,  les 
Turcs  ravagèrent  les  îles  d'Ischia  et  de  Procida;  une  foule 
d'insulaires  furent  emmenés  en  captivité.  Un  coup  de 
canon  tiré  sur  la  galère  de  Barberoussc,  comme  elle  passait 
devant  Pouzzoles  le  25  juin,  déchaîna  contre  cette  ville  la 
colère  des  Turcs. 

Barberoussc    tourna    aussitôt    contre    elle    la    proue    et 

(1)  P.  JovE,  livre  XLV,  trad.  Sauvage,  p.  632. 

(2)  11  et  12  juin. 

(3)  17  juin. 


RIVALITE    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT.     39^ 

les  canons  de  trente  galères;  le  palais  du  vice-roi  fut  dé- 
truit; laissant  quinze  autres  galères  à  la  garde  des  trans- 
ports derrière  le  cap  Misène,  Salah  Raïs  amena  le  reste  de 
la  flotte  pour  bombarder  la  ville.  L'attaque  durait  depuis 
douze  heures,  lorsqu'une  sonnerie  de  trompettes  éclata 
dans  le  lointain,  en  même  temps  qu'apparaissait  derrière 
l'îlot  de  Nisida  une  escadre  de  vingt-cinq  galères.  Le 
vice-roi  de  Naples,  Pedro  de  Tolède  et  Gianettino  Doria 
accouraient  à  la  rescousse.  Cette  double  diversion  sauva 
Pouzzoles.  Barberousse  dut  sonner  la  retraite  et  Salah  Raïs 
donner  la  chasse  à  Gianettino,  qui  menaçait  la  division 
laissée  au  cap  Misène.  Salah  Raïs,  le  baron  de  La  Garde  et 
le  prieur  de  Capoue,  avec  soixante  galères,  serrèrent  de  si 
près  le  fuyard,  qu'ils  n'étaient  plus  qu'à  une  portée  d'ar- 
quebuse, lorsque  Doria  trouva  un  refuge  sous  le  château 
de  rOEuf. 

Il  Rambarré  à  canonnades  "  ,  Doria  eut  même  la  mortifi- 
cation de  voir  frapper  sa  capitane  par  l'éperon  d'une  de 
nos  galères  (l). 

Lipari  n'eut  pas  le  même  bonheur  que  Pouzzoles.  Sur 
un  rocher  isolé  de  la  côte  orientale,  dans  l'île  du  même 
nom,  Lipari  passait  pour  imprenable.  Pendant  dix  jours, 
elle  résista  au  bombardement  de  seize  grosses  pièces,  qui 
lancèrent  trois  mille  cinq  cents  boulets,  chiffre  énorme 
pour  l'époque.  Malheureusement,  la  dissension  était  parmi 
les  assiégés,  et  ce  ne  fut  pas  la  première  fois  qu'elle  fut 
pour  une  cité  une  cause  de  ruine.  Le  11  juillet,  Lipari 
capitulait  :  quelques  heures  plus  tard,  elle  n'était  plus; 
elle  était  détruite  de  fond  en  comble,  et  sa  population  — 
près  de  dix  mille  âmes  —  emmenée  captive,  telles  ces  cités 
asiatiques  que  d'autres  Orientaux  rayaient  du  monde.  Des 
vieillards,   dans  la  cathédrale,    avaient   été   ouverts    tout 

(1)  Rapport  de  La  Garde,  du  17  juillet,  cité. 


394  llISTOIlJi;    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

vivants,  et  de  leur  corps,  on  avait  retiré  un  médicament 
d'une  vertu  souveraine,  leur  fiel.  Le  baron  de  La  Garde 
sauva  quelques  victimes  à  beaux  deniers  comptants  :  le 
reste  fut  revendu  en  bloc  à  des  citoyens  de  Messine,  qu'api- 
loyait  le  sort  de  leurs  voisins. 

Durant  le  sièjjie,  raumônier  de  la  Réale  excursionnait 
dans  l'archipel  du  Roi  des  Vents,  évoquant  au  Stromboli 
Éole  et  à  Volcano  Vulcain  et  les  Cyclopes.  Ce  fut  non  loin 
de  là,  à  Reggio,  que  Barberousse  rendit  toute  liberté  d'al- 
lures à  nos  marins  :  il  restait  en-deçà  du  Phare,  avec 
soixante-dix  de  ses  galères,  pour  «  donner  une  estroicte  "  à 
Gianettino  Doria,  embusqué  à  Messine,  et  pour  accomplir 
certaine  entreprise  dont  François  I"  était  averti.  Les  trans- 
ports, sous  l'escorte  de  son  lieutenant  ou  chachaia,  allaient 
charger  des  provisions  à  Lépante;  l'escadre  française  con- 
tinuait sur  Constanlinoplo  (1). 

Délivrés  de  contrainte,  n'ayant  plus  le  cauchemar  de  ces 
rafles  d'esclaves  qui  provoquaient  des  scènes  déchirantes, 
nos  compatriotes  goûtèrent  en  paix  les  beautés  de  l'art 
antique,  éparses  sur  le  littoral  de  Grèce  etd'Asie  :  les  lions 
marmoréens  de  Modon,  à  Cvthère,  le  temple  où  Paris  enleva 
Hélène,  à  Délos,  l'île  du  Soleil,  les  colonnes  du  temple 
d'Apollon,  renversées  dans  les  flots.  Ghio  éveilla  dans  les 
souvenirs  l'églogue  de  Daphnis,  Mételin  l'élégie  d'Ovide  à 
Sapho.  Les  ruines  de  Troie  furent  honorées  d'une  visite  de 
tout  l'état-major  de  1  escadre;  et  on  dîna,  au  milieu  d'un 
concert  d'oiseaux,  au  pied  du  mont  Ida. 

Le  10  août,  l'escadre  française  faisait  dans  la  Corne  d'Or 
une  entrée  triomphale,  les  galères  pavoisées  à  chaque  banc  ; 
l'étendard  de  France  battait  à  la  poupe  de  la  Réale  et  dé- 
ployait, sur  champ  de  damas  bleu  fleurdelisé,  la  couronne 
impériale,  que  supportaient  deux  anges  aux  ailes  diaprées 

(1)  Rapport  de  La  Gaido,  du  17  juillet,  cité. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I  "   ET    DE    CHARLES-QUINT.     395 

de  soie  et  d'or,  étincelantes  comme  les  ailes  d'un  phénix, 
lorsque  le  soleil  les  touchait  (1).  L'accueil  du  sultan  fut 
tout  différent  de  ce  qvie  le  baron  de  La  Garde  craignait  au 
départ,  au  souvenir  de  cet  ambassadeur  impérial  que  les 
Turcs  "  firent  morir  pour  avoir  failly  à  une  chose  pro- 
mise (2)  "  .  A  la  suite  d'une  audience  très  cordiale  de  Soli- 
man II,  nos  marins  furent  fêtes  par  les  pachas,  qu'ils 
festoyèrent  à  leur  tour,  soit  à  Gonstantinoplc,  soit  à  Ghal- 
cédoine,  sur  la  rive  asiatique.  Le  0  septembre,  ils  prirent 
congé  et  qvuttèrent  avec  le  même  appareil  triomphal  qu'au- 
paravant la  fastueuse  cité  byzantine. 

Le  2  octobre,  ils  apprirent,  à  la  hauteur  de  Calvi,  que 
l'escadre  de  Gianettino  Doria  assiégeait  Antibcs.  A  la  som- 
mation de  capituler,  le  châtelain  avait  bravement  répondu  : 
<t  Jamais  (3).  »  Avançant  dès  lors  avec  précaution,  notre 
petite  division  navale  découvrit,  le  4,  les  nombreuses  ga- 
lères de  Doria  embusquées  dans  le  port  de  Villefranche. 
Elle  échappa  facilement  à  leur  poursuite,  en  gardant  le 
large  et,  le  jour  même,  gagna  Toulon.  Ce  fut  pour  apprendre 
(pie  la  paix  était  signée,  depuis  le  18  septembre,  avec 
C.harles-Quint. 


III 


L'ALLIANCE    ANGLO-ESPAGNOLE 

Il  est  imprudent,  pour  un  débiteur,  de  narguer  son  créan- 
cier.  François  I"  en  fit  l'expérience  à  ses  dépens.  Ayant 

(1)  L.  Dorez,  Itinéraire  de  Jérôme  Maurand,  p.  183. 

(2)  B.  N.,  Moreau  778,  fol.  163  :  cf.  la  note  de  M.  L.  Dorez,  Itiné- 
raire..., p.  XLiii,  note  1. 

(3)  26  septembre.  Le  lendemain,  une  barque  génoise  vint  avertir  Doria 
que  la  paix  était  signée  (Instructions  de  Charles-Quint  à  Saint-Mauris  : 
K.  N.,  Franc.  7122,  p.  30). 


396  MISTOUIE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

néglige  de  continuer  à  servir  pension  au  roi  d'Angleterre, 
il  l'exaspéra  en  mettant  sourdement  obstacle  au  mariage 
de  Marie  Stuart  et  du  prince  de  Galles,  et  par  suite  à  l'an- 
nexion de  l'Ecosse.  Il  détournait  ainsi  sur  la  France  les 
colères  et  les  convoitises  de  Henri  VIII,  dont  l'alliance 
avec  l'empereur  (I)  eut  pour  objet  la  conquête  de  la  Nor- 
mandie et  de  la  Guyenne.  Et  la  guerre  prit  plus  d'extension 
que  jamais. 

François  I"  fit  appel  à  ses  alliés,  au  Danemark,  à  l'Ecosse. 
Avec  trois  galions  et  trois  cents  soldats,  Jean  de  Clamorgan 
alla  quérir  à  la  côte  danoise  le  secours  promis  par  le  traité 
de  1541  (2),  six  vaisseaux  de  guerre  et  mille  hommes  de 
troupes.  Comme  il  n'apportait  pas  de  fonds,  Ghristiern  III 
refusa  de  faire  bonneur  à  ses  engagements  (3).  Clamorgan, 
qui  plus  est,  eut  à  s'ouvrir  un  passage  à  travers  luie  flotte 
de  dovize  bàtimcnls,  dont  le  vaisseau  amiral,  puissant  vais- 
seau à  triple  bune,  avait  foncé  sur  lui.  D'une  volée  à  fleur 
d'eau,  la  plus  petite  de  nos  galères  coula  le  colosse,  et  le 
reste  du  convoi,  à  part  un  bâtiment,  fut  enlevé  :  il  portait, 
sous  pavillon  espagnol,  une  ricbe  cargaison  de  draps  et 
d'épices  en  provenance  d'Anvers  (4). 

En  dépit  de  cette  brillante  action,  l'cchec  de  la  mission 
de  Clamorgan  entraînait  la  ruine  de  notre  plan  de  cam- 
pagne dans  la  merduNoid.  Au  lieu  de  la  jonction  escomptée 

(1)  En  date  du  11  février  1543. 

(2)  Fontainebleau,  29  novembre   J541    (B.   JM.,   Franc.    J5966,  fol.    239; 
publié  en  tête  des  Mémoires  du  sieur  Riciikr). 

(3)  Mémoires  du  sieur  RiciiER,  ambassadeur  pour  les  rois   François  I"  et 
Henry  II  en  Suède  et  en  Dnncmarch.  Troycs,  1625,  in-8",  fol.  11  v". 

(4)  Dk  Ij.4  Gkrmonikrk,  La  triomphante  victoire  faite  par  les  Français  sur 
la  mer.  Rouen,  J899,  in-S".  - —  Il  semble  bien,  par  le  nombre  des  na- 
vires capturés,  qu'il  s'agit  de  la  capture  du  Petit  Coq  d'Anvers  et  de  non 
bâtiments  flamands  par  cinq  navires  d'Ango.  La  déclaration  de  bonne  prise 
est  du  14  juin  1543  (Gos.sklin,  Documents  authentiques  pour...  l'histoire 
de  la  marine  normande.  Rouen,  1874,  in-8",  p.  25.  —  «  Chanson  faicte 
sur  le  triomphe  que  les  Dicpois  ont  fait  sur  la  mer.  h  Asselink,  Les  anti- 
quitez  de  Dieppe,  t.  I,  p.  241). 


RIVALITK    DE    FRANÇOIS    I"  ET    DE   CHARLES-QUINT.    397 

entre  l'escadre  franco-écossaise  et  une  vingtaine  de  vais- 
seaux danois  pour  intercepter  la  flottille  flamande  des 
pêcheurs  d'Islande  (î)  etlesconvoisdeblésde  la  Baltique  (2), 
s'opérait  la  fusion  des  onze  croiseurs  du  vice-amiral  Van 
Meckeren  (3)  avec  les  bâtiments  britanniques.  Et  c'étaient 
nos  propres  relations  avec  l'Ecosse  qui  se  trouvaient  cou- 
pées. 

Un  de  nos  petits  bâtiments  essaya  de  forcer  le  passage. 
Cerné  le  9  avril  par  deux  vaisseaux  de  guerre  britanniques, 
il  se  défendit  avec  une  bravoure  telle  que  ses  adversaires 
avouèrent  n'en  avoir  jamais  vu  de  pareille.  Pas  un  homme 
sur  trente  n'était  sans  blessure,  quand  le  bateau  baissa 
pavillon  (4) . 

Une  escadre  dieppoisc  de  seize  voiles  fut  plus  heureuse. 
Les  faibles  troupes  qu'elle  apportait  avec  des  dépêches 
urgentes  pour  la  reine  douairière,  le  cardinal  Beaton  et 
Lennox,  débarquèrent  sans  encombre  à  Aberdeen.  Mais  le 
retour  fut  terrible  (5).  Attaquée  le  6  juillet  à  la  hauteur 
d'Oxfordness  par  six  vaisseaux  de  la  marine  royale,  l'escadre 
fut  coupée  en  deux  :  une  partie  continua  sa  route  vers  la 
France  ;  un  bâtiment,  monté  de  cent  vingt  hommes,  fut  la 
proie  de  la  Lesser  Galley  ;  huit  navires  seulement  restèrent 
groupés  autour  du   pavillon   amiral  arboré  sur  un  navire 

(1)  Lettre  de  Sadier  au  Conseil  d'Angleterre,  21  juin;  déclaration  de 
marins  français  à  Leith,  l'-'"'  juillet  (Lelters  and  papeis  foreigu  and  domes- 
tic  of  the  reiqn  of  Henry  VIII,  dans  la  collection  des  Calcndaix,  t.  XVIII, 
1'^  p.,  n"'  747,  807). 

(2)  François  I*""  comptait  affamer  les  Espagnols  et  les  Anglais  (Cf.  ses 
instructions  à  Riclier,  21  nov.  1542  :  RiciiEn,  fol.  9-10) 

(3)  Van  Meckeren  recevait  avis,  le  2  avril  1543,  de  rallier  la  flotte  an- 
glaise :  il  avait  les  bâtiments  suivants  :  Ursule  (250  hommes),  Trinité,  Sat- 
vator,  Marie  de  la  Vere,  Marie  de  Middclbourg,  Ange,  Adolphe,  Romain, 
Boot,  Cœur-Volant,  Cygne  (Van  Bruysskl,  Histoire  du  commerce  de  Bel- 
gique, t.  III,  p.  18). 

(4)  Lettre  de  l'ambassadeur  impérial  Chapuys.  Londres,  17  avril 
{Letters...  of  Henry  VIII,  t.  XVIII,  2'=  p.,  n°^  576,' 646). 

(5)  Lettres  de  Rice  Mancell,  de  l'amiral  Lisle,  11  juillet,  etc.  (^Ibidem, 
t.  XVIII,  1^"  p.,  n°'  796,  807,  810,  827,  844;  2"  p.,  n"»  69,  70,  84,  85). 


398  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

d'Ango,  le  Sacre.  Investi  par  le  Prinirose  et  le  Minion, 
deux  fois  attaqué  à  l'abordage,  son  capitaine  blessé  et 
soixante  hommes  hors  de  combat,  le  Sacre  se  dégagea  néan- 
moins de  Tétreinte  de  Rice  Mancell  et  de  Baldwin  Wil- 
luoghbv.  non  sans  leur  faire  subir  de  grosses  pertes;  et,  so 
repliant  sur  TEcosse,  il  amena  une  prise  à  Leith  et  Burn- 
tisland.  Le  9  août,  il  appareillait  de  nouveau,  mais  pour 
tomber  encore  au  milieu  de  la  croisière  anglaise.  Le  Fran- 
çois., le  Jacques  et  le  Martin,  de  cent  hoiames  chacun,  tous 
de  Dieppe,  se  sacrifièrent  pour  sauver  le  convoi  qu  ils  escor- 
taient; le  Faucon  se  fit  pourchasser  jusqu'à  Montrose,  près 
dWberdeen.  Le  reste  passa,  fuyant  devant  le  Sweepstake, 
capitaine  Woodhouse. 

Les  fugitifs  apportaient  une  grave  nouvelle  :  1  un  des 
chefs  du  parti  français,  Lennox,  soupiiant  éconduit  de  la 
reine  douairière,  avait  passé  aux  Anglais;  lalliance  s  en 
trouvait  ébranlée.  Il  fallait  à  tout  prix  la  consolider,  mais 
comment?  La  mer  du  ^îoI•d  nous  était  interdite;  dans  la 
mer  d'Irlande,  huit  vaisseaux  britanniques  de  fort  ton- 
nage (1)  barraient  les  abords  de  Dumbarton.  Ce  fut  de  ce 
côté  pourtant  qu'une  nouvelle  division  tenta  le  passage, 
sous  la  conduite  de  pilotes  du  Conquet.  habiles  à  se  guider 
dans  les  régions  du  nord  avec  de  petits  almanachs  xvlogra- 
phiques,  où  étaient  enchâssées  boussole  et  cartes  ma- 
rines t:2'.  Forte  de  sept  bâtiments,  dont  le  plus  grand  attei- 
gnait à  peine  la  taille  du  plus  petit  des  croiseurs  anglais, 
elle  avait  à  bord  de  hauts  personnages,   un  légat,   Marco 


(i)  Le  moindre  de  deux  cents  tonneaux.  Ils  croisèrent  depuis  juillet  jus- 
qu'à la  mi-septembre  (  «  Discours  des  affaires  d'Ecosse  depuys  le  jour  que 
nous  Jacques  de  La  Brousse  et  Jacques  Mesnaige,  sieur  de  Caigny,  sommes 
arrivez  à  Domberton.  Estrelin,  "  24  novembre  1543  :  B.  N.,  Franc.  17330. 
fol.  5  y"). 

(2)  Cf.  G.  Marcel,  Sur  un  almanach  xyloffraphique  à  l'usa  ce  des  Dinrins 
Bretons.  Paris,  1900,  in-8"  ;  extrait  de  la  Revue  do  géoqiaphie  octobre 
1900). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE   CHARLES-QUINT,    399 

Grimani,  des  ambassadeurs,  Jacques  Mesnage  et  Jacques 
de  La  Brosse,  le  capitaine  de  la  garde  écossaise,  cinq  cents 
hommes  et  tout  un  parc  d'artillerie  (1).  Esquivant  La  croi- 
sière anglaise,  Fescadre  partie  de  Brest  (2)  aborda  sans 
encombre  à  Dumbarton.  »  Marry,  comme  s'il  avoit  perdu 
une  grosse  bataille,  »  d'avoir  laissé  passer  u  les  finances  et 
monicions  "  françaises  (3),  Henri  VIII  mobilisa  contre  les 
forceurs  de  blocus  une  nouvelle  division  de  dix  vaisseaux 
bristolais  (4), 

C'est  que  tout  danger  n'avait  pas  disparu  pour  nos 
marins  à  leur  arrivée  en  Ecosse.  Lennox  tenait  nos  envoyés 
en  échec  et  tentait  de  les  intimider  en  les  sommant  d'exhi- 
ber leur  commission.  —  Nous  ne  le  ferons  que  devant  l'as- 
semblée des  États,  avaient  répliqué  Mesnage  et  La  Brosse, 
bien  résolus  à  ne  point  laisser  tomber  notre  matériel  de 
guerre  entre  les  mains  de  l'agent  britannique.  Ils  gardèrent 
jusque-là  leurs  bâtiments  tout  chargés  à  Dumbarton.  Et  ce 
fut  le  7  janvier  seulement,  au  port  de  Garrick,  qu'ils 
remirent  au  comte  d'Argus  douze  pièces  de  canon,  cent 
quatre-vingt-une  coulevrines  et  arquebuses,  des  piques 
par  milliers  et  de  nombreux  barils  de  poudre  (5).  Ils  avaient 
préalablement  renouvelé,  par  un  traité  en  bonne  et  due 
forme,  l'alliance  franco-écossaise  (6). 


(1)  3  canons,  2  doubles  canons,  40  faucons,  80  quarts  de  faucon.  Lettre 
de  Chapuys  à  Charles-Quint.  Londres,  18  octobre  l^iZ  (Lettcis  and  pape  rs... 
ofthe  teign  of  Henry  VIII.  t.  XVIII,  2^  p.,  n"  286,  257  et  275). 

(2)  La  Marie,  de  200  tonnes  et  90  marins,  maître  Pierre  Persac,  le 
Jacf/ues  de  Saint-Valéry,  80  hommes,  la  Catherine,  de  100  hommes,  la 
Magdeleine,  le  Jacques  du  Polet,  In  Françoise  et  la  barque  la  Vollandière 
(Sommes  payées  par  Jean  de  Vymont,  trésorier  de  la  Marine,  pour  le  pas- 
sage d'Ecosse.  Brest,  27  sept    1543  :  B.  N.,  Franc.  17890,  p.  18,  19). 

(3)  «  Discours  des  affaires  d'Ecosse  »   (B.  N.,  Franc.  17330,  fol.  5  v°). 

(4)  12  novembre  (Letters  and  papcrs...  of  tlie  reiçn  of  Henry  VIII, 
t.  XVIII,  2"=  p.,  n"370). 

(5)  État  de  l'artillerie  débarquée  à  Carrick  de  la  Marie,  la  Françoise  et 
la  Magdeleine  le  7  janvier  1544  (B.  N.,  Franc.  17890,  p.  41). 

(6)  Edimbourg,  15  décembre  1543  (Archives  nat.,  .1  679,  n°  54). 


400  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Cependant,  les  Anglais  attaquaient.  Le  14  février  1543, 
les  bourgeois  de  Cherbourg,  marchant  au  canon  avec  les 
sires  Du  Maresq  et  Du  Coudray,  reprenaient,  après  quatre 
heures  de  combat,  un  bâtiment  breton  que  deux  croiseurs 
flamands  amarinaient  en  face  de  Cosqueville,  à  la  Roque- 
Blanche  (1).  Le  22  juillet,  les  Bretons  s'acquittaient  de 
leur  dette  de  reconnaissance  en  chargeant  résolument  avec 
deux  vaisseaux  de  guerre  une  escadre  anglaise  qui  avait 
mission  de  raser  la  ville.  L'ennemi  reculait.  Mais,  un  de 
leurs  capitaines  tués,  les  Bretons  allaient  faiblir,  quand  le 
sieur  du  Tourp  (2)  et  les  gentilshommes  du  Val  de  Saire 
accoururent  à  la  rescousse  avec  deux  navires  barfleurais. 
Des  premiers  coups  de  canon,  les  Bas-Normands  coulèrent 
le  Grand-Martin  de  Londres;  les  Anglais  battus  prirent  la 
fuite,  laissant  entre  nos  mains  quatre-vingts  prisonniers, 
un  lord  et  le  pilote  de  l'expédition,  un  Français,  hélas! 
dont  on  fit  bonne  justice  (3) . 

Défendue  par  quarante  mortes-paies  seulement,  Cher- 
bourg aurait  pu  être  enlevée  en  moins  de  trois  heures, 
sans  l'intervention  résolue  des  Bretons.  La  leçon  profita. 
Quatre  jours  après,  le  vice-amiral  Charles  de  La  Meilleraye 
et  le  lieutenant-général  Joachim  de  Matignon  réclamaient 
l'envoi  de  cinq  cents  soldats  et  de  cent  cinquante-six  pion- 
niers et  canonniers  pour  mettre  la  ville  à  l'abri  d'un  nou- 
veau coup  de  main  (4).  Des  bâtiments  de  guerre  vinrent 

(1)  Estienne  Doleï,  Les  faits  et  gestes  du  roy  François  I",  154-4,  in-fol., 
fol.  73:  appendice  :    «  Deffaicte  des  Flamens  devant...  Clierebourg  »  . 

2)  Voyez  sur  lui  le  Journal  du  sire  de  Goubcrville,  p.  24.  —  De  Pon- 
TAUMONTj  Notices  hislori(jues  sur  The'villc,  dans  les  Mémoires  des  anti- 
quaii-es  de  Normandie,  t.  XXII,  p.  192.  —  D'Estaimot,  La  Ligue  en  Nor- 
mandie, p.  154,  266. 

(3)  Z-a  prinse  et  deffaictc  des  Angloys  par  les  Bretons  devant  la  ville  de 
Barfleu  près  La  Hoque  au  pays  de  Coslenliu,  duché  de  Normendie.  Nouvel- 
lement imprimé  à  Paris,  1543. 

',4)  Lettre  du  26  juillet  (B.  N.,  Franc.  3020,  fol.  93.  —  Lctters  and 
papers...,  Henry  VHI,  t.  IX,  p.  285,  345). 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    l"   ET    DE    CHARLES-QUINT.     401 

également  de  Dieppe,  Quillebeuf  et  Fécamp;  et,  le  mois 
suivant,  le  port  se  trouvait  en  mesure  d'expédier  contre 
Guernesey  un  détachement  de  deux  cents  hommes,  que 
seconderaient  les  Malouins  (1).  Les  Bretons  armaient  en 
masse,  ayant  offert  eux-mêmes  de  doubler  leurs  équipages 
pour  courir  sus  à  l'ennemi  (2).  Et  il  en  était  partout  de 
même. 

En  novembre  15W,  Tapparition  de  «  deux  flouques 
d'Angleterre,  venant  de  la  coste  de  su  droict  à  la  Hève  du 
chef  de  Caux  »,  jetait  l'alarme  au  Havre.  Un  terreneuvier 
en  partance,  la  Catherine  de  Rouen,  fut  prestement  armé 
de  cent  dix  combattants  et  cinq  pièces  de  canon  et  envoyé, 
en  compagnie  d'une  autre  nef,  à  la  poursuite  des  Anglais. 
Le  capitaine  Nicolas  LescoUier  d'Ambreville  mena  si  vive- 
ment la  chasse  que  les  assaillants  ne  réussirent  à  lui  échap- 
per qu'en  vue  de  Portland,  au  delà  de  l'ile  de  Wight.  En 
leur  courte  campagne  de  cinq  jours,  les  Havrais  «  rengèrent 
la  coste  d'An.jjleterre  "  sans  rencontrer  le  moindre  navire 
ennemi.  De  part  et  d'autre,  les  rivages  étaient  à  la  merci 
d'une  attaque;  le  Havre  avait  dû  parer  de  ses  deniers  au 
«  bien  de  la  choze  publique  » ,  car  le  roi  n'avait  consacré 
aucune  somme  à  la  défense  de  la  côte  de  Caux,  malgré  les 
croisières  fréquentes  de  l'ennemi  (3). 

L'ennemi,  de  toute  évidence,  cherchait  notre  point  faible! 
Or,  depuis  que  le  roi  levait  des  droits  de  gabelle  pour 
l'entretien  des  armées,  la  guerre  civile  couvait  parmi  les 
populations  des  marais  salants.  A  Marennes,  Oléron,  Saint- 
Jean  d'Angély,  Bourg,  Lil^ourne,  Bordeaux,  la  rébellion' 
avait  éclaté  contre  les  agents  du  fisc;  une  dizaine  de  mille 

(i)  Lettre  de  Cornysshe  et  Fysscher.  Jersey  et  Guernesey,  9  août  (Letters 
amlpapers...,  Henry  VIII,  t.  XVIII,  '2'  p.,  n"'  23,  24). 

(2)  Lettre  du  vicomte  René  de  Rohan.  20  août  (Dom  Morick,  Mémoires.. . 
de  Bretagne,  t.  III,  col.  1049).  !■■ 

(3)  Mandat  de  paiement  au  receveur  des  deniers  communs  de  la  Ville  FranU 
çoise  de  Grâce.  Le  Havre,  10  janvier  1544,  n.  st.  (Archives  du  Havre,  EE  78). 

m.  26 


402  HISTOIRE    DE    LA    MAUINE    FRANÇAISE. 

insurfjés  tenaient  la  campagne,  ensei.jjncs  déployées  (1). 
Une  ville  surtout  avait  «  dressé  les  cornes  "  contre  la 
royauté  et  la  religion  ensemble  :  et  Ton  se  familiarisait 
ouvertement,  à  La  Rochelle,  avec  le  mot  de  République  (2). 
Les  armées  étaient  aux  frontières,  la  répression  impossible. 
François  I"  espéra  désarmer  les  mutins  par  sa  mansuétude. 
Il  vint  parmi  eux,  des  mots  de  pardon  sur  les  lèvres...  Que 
dis-je?  A  l'occasion  du  1"  janvier  15-43,  il  offrit,  comme 
étrennes  aux  dames,  des  coupes  de  Venise  et  de  la  vaisselle 
de  Valence,  que  des  corsaires  normands  venaient  d'ap- 
porter, comme  butin,  à  La  Rochelle  (3). 

Cette  situation  anormale  n'avait  échappé  ni  aux  Impé- 
riaux, ni  aux  Anglais.  De  France  même,  leur  étaient  venvis 
de  mystérieux  avis  sur  les  moyens  de  s'emparer  de  La 
Rochelle  (4).  Dès  le  2  avril,  vingt-huit  voiles  espagnoles 
voltigeaient  en  vue  de  la  ville  et  faisaient  une  démonstra- 
tion navale  dont  l'effet  fut  paralysé  par  l'apparilion  de  six 
cents  arquel)usiers  d'Yves  du  Lion  f5).  Trois  mois  après, 
le  ban  et  l'arrière-ban  de  Saintonge  se  massaient  à  La 
Rochelle  (6);  Henri  d'Albret,  roi  de  Navarre,  y  rassemblait 
vingt  galères,  zabres  et  barques  de  guerre,  dont  il  prenait 
le  commandement  comme  amiral  de  Guyenne  (7)  ;  cinq 
autres  galères,  aux  équipages  renforcés,  lui  apportaient  de 
Bayonne  de  nombreuses  munitions  (8). 

(i)  «  Arrest  et  jugement  donné  par  le  l\ov  à  1  encontre  des  Ilocheloys. 
Chisay,  17  décembre  ISiS  »    :  p.  13  de  l'ouvrage  ti-dessous. 

(2)  Le  voyaqe  du  Roy  F.  I  en  sa  ville  de  La  Rochelle,  eu  iau  1542, 
avec  l'arrest  et  jnfjcDteiit. ..  Paris,  1543,  petit  in-8",  fol.  2  v°,  3  et  24. 

(3)  Cronique  du  roy  Françoys  L",  éd.  Guiffrcv,  p.  421. 

(4)  Avis  adressé  à  Charles-Quint  (Archives  nat.,  K  1485,  n°  44\  —  Nous 
allons  voir  par  qui  étaient  renseignés  les  Anglais^. 

(5)  Amos  Barbot,  Histoite  de  La  Rochelle,  t.   11,  p.  43. 

(6)  Par  ordre  du  gouverneur  Charles  Chabot.  10  juin  (Barbot,  t.  II,  p.  45). 

(7)  A  vrai  dire,  il  avait  résigné  son  ofHce  le  11  février  1532  et  ne  reçut 
de  nouvelles  lettres  de  provisions  que  le  9  novembre  1543,  après  la  mort 
de  Chabot  (Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  443,  note  1). 

(8)  Liste  de  notre  flotte  du  sud-ouest  par  un  agent  espagnol  :  12  galères 


RIVALITÉ    DE    FUA^ÇOIS    I"   ET    DE    C  H  A  RL  KS-Q  U  IN  T.     403 

Cestque  La  Rochelle  courait  un  pëi'il  extrême.  L'amiral  et 
le  vice-amiral  de  Flandre,  Maximilien  de  Bourj>;o};ne  et  Van 
Meckeren,  se  dirigeaient  vers  les  côtes  d'Aquitaine,  où  les 
deux  plus  grands  vaisseaux  de  la  marine  britannique,  Great 
Henry  eiMary-Rose,  devaient  leur  amener,  sous  La  Rochelle, 
dix-huitcents  hommes  et  un  parc  de  siège  de  dix-huit  pièces, 
dont  la  mise  en  batterie  serait  dirigée  par  un  Iraîtrc  fl)  ! 

Et  quel  traître!  le  neveu  de  Prégent  de  Bidoux,  le  vice- 
amiral  Lartigue!  Écrouc  à  Darmouth  pour  piraterie  à  son 
retour  d'Ecosse  f:2),  cet  homme  scrupuleux,  que  révoltaient 
les  abus  commis  dans  la  marine  (3),  achetait  sa  liberté  au 
prix  d  une  trahison.  Dans  le  temps  même  oii  le  gouverne- 
ment français  faisait  table  rase  de  son  incarcération  à  la 
conciergerie  4  et  tentait  de  le  tirer  des  cachots  anglais 
en  lui  décernant  un  brevet  d'honnêteté  ''5i,  il  divulguait 
les  secrets  de  nos  relations  avec  TEcosse,  où  il  avait  été  par 
sept  fois;  il  offrait  de  pourvoir  la  flotte  anglaise  de  {>alères 
construites  en  cent  jours,  tel  Noé  pour  larche;  et  surtout 
Pierre  de  Bidoux  mettait  au  service  de  1  ennemi  l'expé- 
rience  acquise  comme  vice-amiral  de  Bi'etagne,  en  traçant 
un  plan  d'attacjue  contre  Brest  et  La  Rochelle  ((>).  (le  fut 
aux  informations  de  notre  agent  à  Londres  (7)  et  du  vice- 
neuves  .«'aclievaient  à  Bavonnc,  Ca|(ljrrtiiii  Pt  Saint-Joan-do-l-iiz.  '?t-h'  juin 
(Arcliives  nat.,  R  1485,  p.  58\ 

(l'i  Août  [Letters  and  pi/pcrs...  <>/  Henry  VIII.  \  XVIIl,  1"  partie, 
n°  973;  2^  pallie,  n"  39). 

(2)  Où  il  avait  conduit  à  bord  de  la  Ferronnière  le  cardinal  Hcaton.  ?so- 
vembre  15V2. 

(3)  ><  Mémoire,  de  LAnxicrK,  pour  informer  sur  les  abus  commis  sur  le 
fait  de  la  marine  en  Guvenne,  "  Bretagne  et  Normandie  (R.  N.,  coll.  Doat, 
t.  117,  fol.  190). 

(4)  En  1529  (Archives  nat.,  R-.  carton  46,  n"  384). 

(5)  Slate  papers.  Kinçj  Henry  the  Eiçfhth,  t.  IX,  p.  265,  309. 

(6)  Proposition  de  Lartigue;  délibération  du  conseil  d'Angleterre, 
5  juin,  etc.  (Letters...  of  Henry  VIII,  t.  XVIII,  1''  partie,  n°'  62,  125, 
163,  648;  2'"  partie.  Appendice,  n"  15,  p.  384). 

(7)  Lettre  de  d'Aspremont.  Londres,  7  juin  {^Calendur  oj-  State  papers, 
Spanisli,  t.  VI,  2'^  partie,  p.  150,  373). 


404  HISTOIRE  nr.  la  marine  française. 

amiral  de   (Miyennc    que  nous   dûmes  le  salut  des  villes 
menacées. 

De  Bavouiic,  le  vice-amiral  de  Burve  écrivait  le  17  juin 
à  Chabot  de  Jarnac  (l)  :  «  Monsieur,  j'ay  esté  tout  à  ceste 
heure  adverty  que  les  ennemys,  tant  Espaignolz  que 
Anglois,  ont  entreprinse  sur  La  Rochelle,  et  la  doivent 
excécuter  le  jour  Sainct  Jehan;  je  n'ay  voullu  faillir  à  vous 
advertir...  Debvez  retenir  tous  les  gens  qui  sont  dedans  les 
galères  du  rov,  qui  sont  plus  de  sept  cents  bons  hommes... 
Pour  cinq  ou  six  jours  seullement,  l'entreprinse  de  M.  de 
Viviers  n'en  sera  point  retardée  (2).  " 

Et  de  fait,  La  Rochelle  fut  épargnée.  L'amiral  Maximi- 
lien  de  Bourgogne  passa  outre;  ce  fut  dans  la  Gironde  qu'il 
commit  des  ravages,  détruisit  des  bâtiments,  pilla  les  vil- 
lages, enlevant  des  cloches  en  guise  de  trophées,  et  capturant 
quatre  terre-neuviers  (3),  maigre  butin  quand  on  songea 
l'objectif  de  la  campagne,  qui  était  de  créer  sur  les  côtes 
de  rOcéan  un  nouveau  Calais. 

Mais  qu'était  donc  cette  mystérieuse  expédition  de  M.  de 
Viviers  dont  parlait  le  vice-amiral  de  Buryc?  Un  épisode 
du  duel  acharné  qui  se  livrait  entre  Basques  français  et 
Basques  espagnols.  Surpris,  au  début  de  la  guerre,  par  le 
vice-roi  de  Navarre  et  le  capitaine  de  Fontarabie,  au  point 
de  voir  Cii])turcr  dans  leur  port  même  onze  bâtiments  (4), 
les  marins  de  Saint-Jean-de-Luz  avaient  riposté  par  une 
attaque  contre  Laredo,  enlevé  un  beau  vaisseau  (5),  et 
coulé  un  bâtiment  anglais  de  cent  hommes  d'équipage  et 


(i)  Jarnac  était  {[ouvcrneur  de  La  Rochelle. 

(2)  B.  N.,  Clairambault,  vol.  341,  fol.  34-4. 

(3)  Annales  iJe  la  Société  d'émulation  de  Bru(jcs,  "%'  série,  t.  VI,  p.  321. 
—  Van  BnnvssKh,  Histoire  du  commerce  de  Belcji(jue,  t.  III,  p.  18. 

(4)  Novembre  1542  (G-'^ciiard,  Collection  des  voyages  des  souverains  des 
Pays-Bas,  t.   II,  p.  248). 

(5)  Que  le  vice-amiral  do  Burye  vint  voir  à  Saint-Jean-de  Liiz  (Archives 
nat.     K  1485,  p    59i. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    GHARLESQ  UINT.    405 

huit  chaloupes  du  capitaine  Ladroii  de  Leyva,  qui  accou- 
rait à  la  rescousse.  Mais  la  vengeance  leur  avait  semblé 
insuffisante.  Et  de  grands  armements  à  Gapbrcton,  Bayonne 
et  Saint-Jean-de-Luz,  sous  la  direction  du  vice-amiral  de 
Burye,  avaient  permis  de  constituer  une  escadre  de  trente 
bâtiments  (1),  que  montaient  cinq  cent  cinquante  arque- 
busiers de  la  légion  de  Bayonne. 

Après  avoir  couvert  La  Rochelle,  cette  Hotte  s'ébranlait 
\e  8  juillet  1543  vers  l'ouest,  enlevait  deux  nefs  eu  vue  de 
Fontarabie,  saccageait  Laja,  Corcubion  et  doublait  le  cap 
Finisterre.  On  prêtait  à  son  chef  l'intention  de  rallier  dans 
la  Méditerranée  la  flotte  de  Barberousse.  Il  n'en  eut  pas  le 
loisir.  Il  levait  rançon  à  Muros,  au  sud  du  cap  Finisterre, 
quand  le  capitaine  généial  Alvaro  de  Bazan  le  Vieux,  lancé 
à  sa  poursuite  à  la  tête  de  seize  grands  vaisseauxct  de  cinq 
cents  arquebusiers  de  la  garnison  de  Fontarabie,  fondit  sur 
lui.  C'était  lejour  de  la  fétc  nationale  des  Espagnols,  la  vSaint- 
Jacques  (25  juillet)  :  aussi  les  marins  de  Bazan  attaquèrent- 
ils  avec  plus  de  fanatisme  que  jamais.  Le  commandant  de 
la  flotte  française,  «  M.  de  Sana  " ,  comme  on  l'appelle  dans 
les  relations  espagnoles,  était  un  des  meilleurs  capitaines 
de  la  flotte  royale,  Jean  de  Glamorgan,  sieur  de  Saane;  il 
avait  pour  second  le  fameux  corsaire  Hallebarde,  dont 
aucun  texte  ne  nous  a  transmis  les  exploits,  mais  qu'on  se 
glorifiait  alors  d'avoir  eu  pour  chef  {'2).  Tous  les  deux  se 
battirent  avec  acharnement  contre  la  capitane  de  Bazan, 
qui  perdit  cent  hommes  et  subit  de  grosses  avaries,  avant 
de  parvenir  à  couler  l'amirale  française.  Après  deux  heures 
de  combat,  la  victoire  se  dessina  du  côté  des  Espagnols  :  ils 
l'avaient  chèrement  achetée;  si  nous  laissâmes  seize  navires 

(i)  12  galères  neuves  s'aclievaient  à  Bayonne,  au  Boucaii,  à  Capbreton 
et  à  Saint-Jean-de-Luz.  Avis  en  espagnol  des  3  et  4  juin  1543  [Ibidem, 
,p.  58). 

(2)  Cf.  plus  bas  (p.  571),  la  relation  d'un  corsaire,  Menjouyn  de  laCavane, 
au  dernier  cliapitre  du  livre  :    u  les  isles  du  Pérou  "  . 


406  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

entre  leurs  raains,  les  vainqueurs  avaient  plus  de  cinq 
cents  hommes  hors  de  combat  et  trois  cents  cadavres  (l). 
Mais  les  malheureux  prisonniers,  mis  à  la  chaîne  sur  les 
galères  de  Laredo,  ne  purent  supporter  le  régime  de 
poissons  salés  du  bord  et  succombèrent  presque  tous  en 
captivité  (2) . 

A  la  défaite  de  Muros,  fît  contre-partie  la  victoire  des 
Bretons  sur  la  flotte  basque  qui  transportait  en  Flandre  les 
troupes  de  Pedro  de  Guzman  (3j.  Le  18  juillet,  le  capitaine 
de  Brest  transmettait  la  nouvelle  que  "  nombre  d'Espa- 
gnols "  étaient  tués  ou  pris  (4).  Le  galion  de  Lope  de 
Ugarte  Galderon,  entre  autres,  avait  été  enveloppe  près  de 
PouldaA^'^  (5)  par  quatre  de  nos  vaisseaux  et  une  frégate. 
Malgré  la  belle  défense  du  capitaine  Carlos  de  Zuniga.  il 
avait  dû  mettre  pavillon  bas,  avant  dix-neuf  tués  et  de 
nombreux  blessés  à  bord  sur  les  deux  cent  quarante  hommes 
d'équipage. 

Au  milieu  des  difficultés  de  toutes  sortes  où  nous  nous 
débattions,  nous  ne  perdions  point  de  vue  les  obligations 
que  nous  imposait  Falliance  des  Ecossais.  Malheureuse- 
ment, les  troupes  que  nous  envoyâmes  en  Galédonic,  en 
janvier  1544,  se  mutinèrent  en  mer  et  durent  être  ramenées 
dans  le  plus  grand  désordre  aux  ports  de  Normandie  (6). 
L'amiral  John  Dudley  mit  à  profit  cette  circonstance  pour 
pénétrer  dans  le  Forth  et  s'emparer  de  Leith  le  5  mai  1544. 
La  Salamandî^e  et  lUtiicorne^  les  beaux  vaisseaux  que 
François  I"  avait  mis  dans  la  corl)eille  de  sa  fîlle,  le  porl, 

(1)  Acadciiiia  de  la  Historia,  coleccion  Munoz,  t.  XCII,  fol.  245  \'\  et 
autres  sources  dans  F.  Duno,  Armada  espafwla,  t.  I,  p.  271. 

(2)  Il  en  mourut  une  centaine  en  neuf  mois.  INote  du  28  avril  1544  en 
date  de  Laredo  (Archives  nat.,  K  1485,  p.  63). 

(3)  Elle  comptait  quinze  bâtiments.  Juillet  (F.  Duro,  t.  I,  p.  271). 

(4)  Dom  MoniCK.  Mémoires...  ilc  Ihctafjtic,  t.  IM,  col.  1047. 

(5)  Le  texte  porte  Pont  du  Lys.  Rapport  du  19  janvier  1544  en  vue  des 
échanges  qui  précédèrent  le  traité  de  Crépy  (Archives  nat.,  K  1485,  p.  65). 

(6)  Lcllers  aud  papers...  of  Henry   VIII,  t.  IX,  p.  606. 


RIVALITÉ    DE    FRANÇOIS    I"   ET    DE    CH ARLES-Q  UI^  T.     40T 

la  ville  basse  d'Edimbourg  tombèrent  aux  mains  du  vain- 
queur. Seul,  le  château,  par  sa  résistance,  sauva  la  fortune 
de  l'Ecosse  (l). 

Et  maintenant,  c'était  la  France  qui  se  trouvait  exposée 
aux  horreurs  de  1  invasion.  Jeter  en  Normandie  trois 
colonnes  de  dix  mille  hommes  chacune  et  reprendre  le 
berceau  des  conquérants  de  l'Angleterre,  avait  été  la  pre- 
mière idée  de  Henri  VIII.  Mais  il  ne  s'y  arrêta  point.  Et, 
le  14  juillet  1544,  sous  la  protection  de  l'amiral  Lisle, 
revenu  d'Ecosse,  une  armée  de  trente  mille  hommes,  com- 
mandée par  Henry  VIII  en  personne,  franchissait  le  pas 
de  Calais.  Nos  forces  navales  étaient  tellement  dispersées 
que  1  ennemi  put  achever,  sans  encombre,  ses  préparatifs 
d'invasion.  Il  ne  perdit  qu'un  vaisseau  à  triple  hune  et 
deux  autres  bâtiments  dans  une  rencontre  contre  les  cor- 
saires dieppois  (2).  Quatre  de  nos  meilleurs  vaisseaux  de 
guerre  croisaient  de  lautre  côté  de  la  Manche  et  captu- 
raient, après  plusieurs  heures  de  combat,  onze  l)àtiment8 
hispano-flamands  réfugiés  à  Falmoulh  f^îi . 

Henri  ^  III  renouvela  contre  Boulogne  le  plan  de  cam- 
pagne inauguré  deux  siècles  avant  contre  Calais.  Jacques 
de  Coucv-Vervins,  son  adversaire,  gouverneur  de  la  place,- 
n'avait  pas  l'étoffe  de  Jean  de  Vienne.  L'armée  du  dauphin 
arrivait  à  la  rescousse  ;  par  mer,  Saint-André  tentait  d'intro- 
duire dans  la  place  une  poignée  de  braves,  que  la  tempête  par 
deux  et  trois  fois  repoussa  au  large.  Le  14  septembre  1544, 
sans  attendre  davantage,  le  lâche  gouverneur  capitulait  (4)^ 


(1)  I^KSLiK,   J)c   lehiis  fjcstis   Scotonmi,    t.    X,    p.    472.    —  Clowiis,    The 
royal  Niivy,  t.  I,  p.  V60. 

(2)  Le  dimanche  23  juin  1544  (Dk  La  GermokiÈre,  La  triomphante  vic- 
toire faite  par  les  Français  sur  la  mer.  Rouen,   1899,  in-8°). 

(3)  Lettre    adressée     d'Angleterre     à    l'ambassadeur    Vénitien    à    Rome. 
7  juillet  [Calcndar  of  Stale  papers,    Venetian  (1534-1554),  n"  312). 

(4)  Rymkr,  Fœdera,  t.  VL  3''  partie,  p.   119.  —  Martin  Du  Bellay,  dans 
la  Collection  Michaud,  p.  550. 


408  HISTOIRE   DE   LA   MARINE    FRANÇAISE. 

Le  30,  Henri  VIII  rebroussait  brusquement  chemin  vers 
Calais  et  retournait  mettre  en  état  de  défense  la  Tamise  et 
les  côtes  (I). 

Voici  ce  qui  s'était  passé  dans  Tintervalle.  Nous  avions 
engagé  des  négociations  simultanément  avec  Henri  VIII 
et  Charles-Quint.  Le  roi  d'Angleterre  n'avait  voulu  lâcher 
ni  sa  pension  ni  Boulogne,  François  I"  avait  refusé  de 
sacrifier  ses  alliés  d'Ecosse  (!2j.  Mais  tandis  que  les  négo- 
ciations anglo-françaises  échouaient,  l'empereur  trouvait 
un  terrain  d'entente  avec  le  roi  de  Fiance,  et  le  18  sep- 
tembre était  signée  la  paix  de  Crépy.  "  Sa  Majesté  pensoit 
avoir  beaucoup  fait  de  sauver  son  royaume,  et  l'Empereur 
son  armée  ruinée.  La  paix  se  fait  :  l'un  se  contente  de 
paroles,  l'autre  d'en  donner.  L'Empereur  continue  ses  arti- 
fices, promet  Milan,  sa  fille  ou  sa  niepce  à  M.  d'Orléans... 
Incontinent  Sa  Majesté  donne  sept  villes,  partie  de  Luxem- 
bourg. Le  Roy,  esant  saoul  de  la  guerre,  se  contentet 
d'estre  trompé  (3).  » 


(1)  Letters  and  papers...  Henry   VIII,  t.   IX,  p.  606. 

(2)  RiBiER,  Lettres  et  mémoires  d'Estat,  t.  I,  p.  574. 

(3)  Mémoires  de  Gaspard  de  Saulx,  seigneur  de  Tavannes,  dans  la  Col- 
lection de  7né7noires  Michaud  et  Poujoulat,  t.  VIII,  p.  125. 


L'INVASION  DE   L'ANGLETERRE 


Les  Espagnols  hors  de  cause,  la  guerre  changeait  de 
face.  C'était  désormais,  entre  les  adversaires  en  présence, 
le  corps  à  corps  classique  de  la  guerre  de  Cent  ans,  et, 
comme  riposte  au  débarquement  de  Henri  VIII,  la  descente 
en  Angleterre  à  la  faveur  d'une  diversion  en  Ecosse. 

A  peine  Henri  VIII  eut-il  regagné  son  royaume  que  le 
vice-amiral  Thomas  Seymour,  laissé  en  croisière  (1),  rap- 
portait à  Douvres  des  nouvelles  alarmantes  (2).  La  flotte 
française,  jusque-là  éparse,  se  concentrait  dans  la  Manche. 
Dix-sept  navires  de  guerre  avaient  interdit  aux  chaloupes 
et  autres  légers  bâtiments  de  Seymour  Taccès  d'Etaples. 
Pareil  nombre  de  vaisseaux  étaient  embossés  dans  le  port 
de  Dieppe,  autant  à  Tenibouchure  de  la  Seine;  Seymour 
s'en  rendit  compte  dans  une  seconde  campagne  qu'il  vou- 
lait pousser  jusqu'en  Bretagne.  Mais  un  violent  coup  de 
vent  le  saisit,  tandis  qu'il  faisait  ses  préparatifs  d'attaque 
contre  notre  escadre  de  la  Seine,  et  il  fut  rejeté  vers 
Wight  (3)  et  Dartmouth;  un  vaisseau  se  fracassa  sur  la 
côte;  un  autre  sombra  avec  trois  cents  hommes.  De  ces 

(1)  Avec  ordre  d  aller  de  l'avant,  selon  les  instructions  du  29  octobre  1544. 

(2)  6  novembre. 

(3)  9  novembre.  Lettres  de  Seymour  au  Conseil  privé,  datées  du  Peter. 
Douvres,  6  novembre;  Wight,  9  novembre;  Portsmouth,  13  novembre 
(^State  papcts.  Kinq  Henry  the  Eiqhtii.  London,  1830,  in-4'',  t.  I, 
p.  772-780j. 


410  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

échecs,  Henri  VIIl  eut  un  mécontentement  extrême  (1),  et 
il  V  avait  de  quoi.  Une  invasion  s'annonçait  prochaine  ;  à 
l'estime  du  maréchal  de  Tavannes,  il  ne  fallait  pas  plus  de 
vinjjt  mille  hommes  d  élite  pour  conquérir  l'Angleterre. 

Pour  se  figurer  lépouvanle  que  provoquait  outre-mer, 
après  un  siècle  de  sécurité,  la  menace  d'un  débarquement, 
qu'on  se  rappelle  l'émoi  causé  naguère,  au  lendemain  de 
la  gvierre  de  1870,  par  la  simple  hypothèse  d'une  invasion 
allemande.  Il  avait  suffi  qu  un  écrivain  ébranlât  l'aveugle 
confiance  du  peuple  dans  son  invincible  Armada  pour  que 
1  opinion  crût  le  pays  à  la  merci  de  l'envahisseur.  Lisez  la 
Bataille  de  Dorking  (2j .  Si  l'ingénieuse  fiction  n  a  point  le 
dénouement  de  la  campagne  de  1545,  elle  contient  toutes 
les  péripéties  du  début  :  troubles  en  Irlande,  revue  de  la 
flotte  par  le  roi,  anxiété  sur  l'endroit  de  la  descente,  attaque 
de  Brighton,  fléchissement  des  lignes  de  défense. 
■"  Ces  lignes  se  l)ornaient,  en  1545,  à  des  batteries  de 
côtes,  servies  par  cinq  canonniers  et  deux  soldats,  à  des 
tours  féodales  un  peu  mieux  garnies,  enfin,  à  des  milices 
si  peu  aguerries  que  le  contingent  du  Kent  n'osa  jamais 
pousser  jusqu'au  lieu  de  la  descente  (3).  Un  agent,  chargé 
d'inspecter  les  défenses  de  Wight,  exprimait  même  la 
crainte  de  voir  pactiser  avec  nos  marins  la  population 
itisulaire  (4).  Le  duc  de  Suffolk  renchérissait  par  cette 
déclaration  alarmante  :  "  Je  n'ai  jamais  rien  vu  de  si  mal 
organisé;  ici,  nous  n  avons  rien  de  prêt,  ni  armes,  ni  ins- 
truments, ni  outils  (5  .  «   La  capitale  pouvait  être  enlevée 

(1)  Caleiidar  of  State  papers,  Domcstic,  t.  I,  p.  772,  774,  778.  — 
Clowks,   The  royal  Navj,  t.  I,  p.  461. 

(2)  Bataille  fie  Doikinq.  Invasion  des  Prussiens  en  Angleterre,  trad. 
Gh,   Yiiarte.  Paris,  1871,  'in-8". 

(3)  Londres,  Record  Oftice,  BB  387,  n"  166. 

(4)  Ilndem,  n"'  152-153. 

(5)  La  guerre  de  1544-1546  a  fait  l'objet  d'une  thèse  très  fouillée,  que  la 
mort  de  l'auteur  a  laissée  manuscrite  :  Georges  Sallks,  Guerre  et  négocia- 
tions  entre    François   I"  et   Henri    VIII,    du    traite'  de    Crépj   au    traité 


L'INVASION    DE   L'ANGLETERRE.  411 

d'un  coup  de  main;  précisément,  les  rapports  des  espions 
signalaient,  en  France,  la  formation  d'une  armée  qui  devait 
débarquer  à  1  embouchure  de  la  Tamise,  à  Margate  et 
Sheppey  (1). 

Et,  pour  comble  d'infortune,  la  flotte,  suprême  espoir 
des  sujets  britanniques,  n'était  plus  que  l'ombre  de  la 
puissante  marine  que  Portzmoguer  et  Bidoux  avaient  eu  à 
combattre  au  début  du  règne.  (.Complètement  négligée 
depuis  lors,  elle  n'avait  été  renouvelée  en  partie  qu'au 
moment  de  la  guerre  de  1522,  et  l'on  voyait  battre  le  pavil- 
lon amiral  sur  un  vénérable  débris,  l  Henry-Grâce-à-Dieii, 
qui  datait  de  Tannée  1514!  Henri  YIII  tentait,  avec  une 
hâte  fébrile,  de  réparer  sa  faute  :  au  cours  de  la  nouvelle 
guerre,  il  renforça  sa  flotte  de  trente-deux  vaisseaux  et 
treize  rowbarges  légères  (2j.  Mais  était-ce  suffisant  pour 
faire  face  sur  trois  points  à  la  fois?  Ravitailler  Bou- 
logne que  le  maréchal  Du  Biez  avait  tenté  d'enlever  dès  le 
mois  de  janvier  1545;  empêcher  le  lieutenant-général  de 
Montgommery  de  Lorges  de  gagner  l'Ecosse  avec  vm  corps 
expéditionnaire;  entraver  enfin  toute  tentative  de  débar- 
quement en  Angleterre,  telle  était  la  tâche  très  rude  de  la 
marine  anglaise. 

Elle  débuta  par  un  échec.  Montgommery  apprêtait  à 
Brest  une  petite  armée  de  trois  mdle  hommes  et  cinq  cents 
chevaux.  En  dépit  d'une  croisière  i)ritannique  de  quatre- 
vingts  voiles  f3),  qui  enleva  dans  les  parages  de  Belle-Isle 
une  quinzaine  de  bâtiments,  en   dépit   d'autres   croiseurs 

d'Amiens  (septembre  iSW-juin  1546V  Oa  en  trouvera  le  résumé  dans  les 
Positions  des  thèses  soutenues  par  les  élèves  de  la  promotion  de  l'Ecole  des 
Chartes  de  1893,  p.  65-76. 

(1)  Février   1545  (Letters  and  papers,  Henry    VIII,  t.  X,  p.   303,  368). 

(2)  Liste  de  la  flotte  de  Henri  VIII  (OpPKSuEni,  History  of  the  admi- 
nistration of  the  Royal  Navy,  t.  I  (1509-1660).  London,  1896,  in-8°, 
p.  50). 

(3)  En  croisière  dans  les  parages  de  La  Rochelle  dès  le  17  mars  151'5 
(Amos  Barbot,  Histoire  de  La  Rochelle,  t.   II.  p.  49). 


A\2  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

qui  le  guettaient  au  cap  Lands  End  (1),  son  convoi, 
piloté  par  des  marins  du  Croisic,  passa  (2)  :  il  arriva  à 
Dumbarton,  le  3  juillet,  sous  la  conduite  de  René  de  Cha- 
teau-Chalon  La  Chattière,  capitaine  de  Brest  (3).  Aux 
termes  du  traité  d'alliance  conclu  peu  auparavant  4;,  les 
highlanders  prenaient  aussitôt  les  armes  et  entamaient  les 
hostilités  avec  une  armée  de  vingt-huit  mille  hommes  (5j . 
C'était  une  armée  d'égale  force,  vingt-cinq  mille  hommes, 
que  François  I"  s  apprêtait  à  jeter  dans  le  sud  de  1  Angle- 
terre (6).  Une  enquête  lui  avait  révélé  la  faiblesse  de  la 
flotte  du  Ponant  en  bâtiments  de  haut  bord  :  dans  toute  la 
Bretagne,  on  n'aurait  pu  trouver  un  seul  vaisseau  de  trois 
cents  tonnes,  à  l'estime  de  Jacques  Cartier,  ni  même  un  de 
deux  cents,  ajoutait  un  autre  capitaine  malouin  (7l .  Or,  d'un 
coup,  le  roi  supprimait  cette  infériorité  et  gagnait  l'empire 
de  la  mer,  en  appelant  du  Levant  (8j  vingt-quatre  vaisseaux 
ronds  etvingtgalères,  flanquées  de  quatre  galiotes  d'avis  (9). 

(1)  Lettres  de  Beinardo  de  Medici.  llomorantin,  8-22  avril  (A.  Dksjar- 
Di>s,  Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  II,  p.  153). 

(2)  En  récompense  des  services  rendus  durant  l'expédition,  les  marins 
du  Croisic  furent  exemptés  de  l'aide.  2  avril  1546  (Archives  de  la  Loire- 
Inférieure,  B,  mandements  royaux,  t.  III,  f(il.   i()7V 

(3)  B.  N.,  î>anç.  5503,  fol."  215  v°. 

(4)  Le  15  décembre  1543  (Teui.p:ï,  Papiers  d'Etal,  t.  I,  p.  137). 

(5)  Dk  Thou,  liv.  III,  chap.  xiv.  —  Epistolac  Jacobi  Ouarti,  t.  II, 
append.  IX,  p.  313.  —  Francisque  Michel,  Les  Français  en  Ecosse  et  les 
Ecossais  en  France,  t.  I,  p.  448.  —  Belation  de  Marine  Cavalii  (Tommaseo, 
Jiel.  des  ambassadeurs  ve'nit.,  t.  I,  p.  337.) 

(6)  Quittance  de  Jean  de  Milleville,  qui  a  assis  la  taille  pour  les  vivres 
de  25,000  hommes,  que  le  roi  a  fait  embarquer  au  Havre  de  Grâce. 
20  septembre  1545  (B.  N.,  ISouv.  acq.  franc.  3644,  pièce  1043). 

.''7)  Dépositions  faites  à  la  suite  de  l'envoi  de  lettres  royales  «  pour  faire 
rolles  de  navyres  de  troys  cents  tonneaux.  »  Saint-Malo,  17  décembre  1544 
(Jocox  DES  LoîîGR.\is,  Jacques  Cartier,  p.  59V 

(8)  Et  non  toute  la  flotte,  car  une  vingtaine  de  bâtiments  restèrent  comme 
garde-côtes  en  Provence.  La  liste  entière  des  navires  armés,  cette  année-là, 
dans  la  Méditerranée  comprenait  :  32  galères  et  quelques  frégates,  2  ga- 
léasses,  1  galion,  6  carracons,  22  autres  navires  (Compte  de  Michel  Veyny  ; 
B    N.,  Franc.  17329,  fol.   193). 

(9)  Déposition  du  baron  de  La  Garde  (B.  jN.,  Morcau  778,  fol.  175-176). 


L'INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  413 

.  Le  baron  de  La  Garde,  investi  de  la  surintendance  de 
ces  forces  navales  (1),  avait  son  pavillon  sur  la  Réale, 
magnifique  quinquérème,  capable  de  transporter  490  sol- 
dats, outre  sa  chiourme,  et  toute  tendue  «  de  drap  d'or 
doublé  de  satin  cramoysi,  avec  cinq  parasolz  de  mesmes 
drap  »  ;  et  ce  ruissellement  d'or  qui  rutilait  partout,  au 
fanal  de  commandement,  au  gaillard  d'arrière,  aux  cour- 
tines, s'harmonisait  avec  les  tons  bronzés  des  canons,  tous 
aux  emblèmes  royaux,  salamandre,  fleur  de  lis  et  F  cou- 
ronné (2). 

Dès  le  mois  de  décembre  L544,  le  baron  avait  eu  l'ordre 
de  "  haster  Féquippaige  de  l'armée  de  mer  »  provençale  (î^), 
y  compris  trois  mille  hommes  de  troupes  de  débarque- 
ment (A).  Et  il  allait  appareiller  avec  la  première  division, 
celle  des  galères  (5),  quand  le  président  d'Oppède  le  requit 
de  prêter  main-forte  à  la  justice  dans  la  répression  de 
l'hérésie  vaudoise.  La  réquisition,  soumise  au  roi,  fut 
transformée  en  un  ordre  formel  de  marcher  en  personne 
et  (i  d'extirper  entièrement  ceste  secte  jusques  aux  ra- 
cynes  (6)  "  .  Porteur  de  cet  ordre  insolilc  7  ,  Leone  Strozzi 
en  était  le  bénéhciaire,  le  commandement  de  la  flotte  lui 


(i)  Des  lettres  de  provisions  spéciales  lui  conféraient  tous  pouvoirs  tant 
sur  les  vaisseaux  ronds  que  sur  les  officiers  d'artillerie.  22  janvier  et 
20  mars  1545  [Ihideni,  fol.  176,  207).  —  L'  «  Estât  de  la  provision  qu'il 
fault  pour  l'armée  de  mer  que  le  Roy  veuit  dresser  "  énumère  tous  les  bâ- 
timents, les  galéasses  Réah,  Dauphine,  Dncltcsse,  les  galions  de  Vento, 
Sermanne,  Rcnteria,  six  nefs,  etc.  (B.  N.,  Moreau  737,  fol.   169). 

(2)  Inventaire  de  la  Réalc.  Marseille,  24  avril  1545  (Archives  des  Bouches- 
du-Rhône,  B  J260,  fol.  440.  —  B.  2^.,  Moreau  737,  fol.  169). 

(3)  Lettre  de  François  P'"  à  Grignan.  7  décembre  1544  (Jhùlcm,  fol.  426). 

(4)  Compte  pour  le  passage  de  ces  trois  mille  honimes  levés  en  Provence 
(Archives  des  Bouches-du-Rh6ne,  B1534). 

(5)  Selon  des  ordres  rovaux  en  date  des  22  mars  et  24  avril  1545  (B.  N., 
Moreau  778,  fol.  179,  et  Moreau  737,  foi.   167). 

(6)  B.  N.,  Moreau  778,  fol.  209  v°,  210. 

(7)  Il  Instruction  du  s''  Pierre  Strozzy  et  prieur  de  Cappoua  contenant 
l'exécution  des  Lutériens.  »  Amboise,  22  mars  1545  (B.  N.,  Moreau  737, 
fol.  167,  et  Moreau  774,  fol.  147"). 


414  I1IST(JIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

revcnauL  de  droit,  en  cas  d'al)8ence  du  ^Miéral  des  galères. 

Mais  plutôt  que  de  céder  ses  préro^jatives  à  un  rival, 
avec  lequel  il  venait  d  avoir  la  plus  violente  des  alterca- 
tions (1),  le  baron  de  La  Garde  différa  le  départ  jusqu'à 
l'achèvement  de  sa  mission  de  justicier.  Et  le  massacre 
des  Vaudois  eut  pour  conséquence  immédiate  de  compro- 
mettre l'invasion  de  l'Angleterre  par  un  retard  que  le  roi 
et  l'amiral  déploraient  à  l'envi  (2).  La  haine  du  l»aron 
pour  Strozzi  eut  un  autre  fâcheux  effet  :  au  lieu  de  confier 
à  son  lieutenant  le  commandement  des  vaisseaux  ronds, 
La  Garde  réunit  capitaines  et  patrons  pour  leur  présenter 
un  chef  de  son  choix,  une  créature  du  comte  de  Tende,  le 
capitaine  Claude  (3).  C'est  ainsi  qu'on  nommait  par  abré- 
viation Claude  de  Manville,  comme  on  l'appelait  lui-même 
le  capitaine  Polin.  Or,  rien  ne  justifiait  et  rien  ne  justifia 
par  la  suite,  hélas!  pareil  passe-droit. 

Au  dél)ut  de  juin,  douze  galères,  quatre  galéasses  et 
trois  nefs  de  lavant-garde  étaient  signalées  au  large  de 
Malaga;  lanière-garde  ne  passa  le  détroit  que  deux  mois 
plus  tard  (4) . 

Le  rendez-vous  de  la  Hotte  et  de  l'armée  d'invasion  était 
au  Havre.  Une  division  de  six  galères  neuves,  sorties  des 
chantiers  du  Havre,  de  Rouen  et  de  Damps,  près  de  Pont- 
de-l'Arche,  s'y  trouvait  déjà,  sous  le  commandement  d'un 
chevalier  de  Malte,  Pierre  de  Blacas  d'Aulps,  nommé  capi- 
taine général  des  galères  du  Ponant  ^5  .  I*ar  le  style  sobre 
de  ses  lambris  et  des  bas-reliefs  de  ses  cai)ines,  la  Capi- 


(1)  JjCttre  de  Saint-Matiris  an  cfmiiiiandcur  (\c  Léon.   31    inars  15V5  (Ai-- 
chives  nat.,  K  1485  6  4.11"  69). 

(2)  Lettres    de    Fianioi.^    V   a    La    Garde,   5   mai  et    18  juin;    leltres   do 
l'amiral  d'Annebault,  18  juin,   ["  et  2  juiUel  (^Ibidem,  fol.    180). 

(3)  Ibidem,  fol.   178  :  les  vaisseaux  ronds  étaient  au  nombre  de  di.\-neuf. 

(4)  F.  DuBo,  t.  I,  p.  432-433. 

(5)  Dès  le   10  décembre   1544,   il   avait  ce  titre    (Archives   nat.,    X^"  97, 
à  la  date  du  10  mars  1545V 


L'INVASION    DE    L' AN  GLET  K  H  RE.  415 

lanc,  dite  la  Couronne^  contrastait  avec  le  luxe  insolent  do 
la  Ré  aie  (1).  Les  j^alèrcs  de  Pierre  d  Aulps  et  de  ses  lieutc- 
nanls,  Pierre  de  Saint-Martin  et  Alexandre  de  Manille  (2), 
partageaient,  avec  deux  brigantins  armés  aux  frais  de  la 
ville  du  Havre,  le  soin  d'aller  observer  les  mouvements  de 
l'ennemi  le  long  des  côtes  britanniques  (î^) . 

Le  gros  de  la  Hotte  des  voiliers  était  formé  par  le  contin- 
gent de  Dieppe,  qui  ne  comprenait  pas  moins  de  quarante- 
six  bâtiments,  les  meilleurs  et  les  plus  {grands  du  port  (4)  ; 
et  nous  avons  vu  quel  nom,  quelle  abnégation  de  patriote 
s'attachait  à  ce  gigantesque  armement  (5).  D'autres  esca- 
drilles arrivaient  de  l'Océan.  La  Garde  avait  pour  instruc- 
tions de  rallier  en  route  le  contingent  d'Aquitaine  et  les 
transports  chargés  de  sel  à  Brouage  (6).  En  vain,  les  croi- 
sières anglaises  parties  de  Plymouth  et  Portsmouth,  — 
1  escadre  de  l'ouest  commandée  par  Georges  Garew  et 
Hawkins,  et  dix  vaisseaux  de  John  Wynter  (7), —  avaient- 
elles  essayé  d'entraver  notre  rassemblement.  Wynter  avait 
du  plier  et  battre  en  retraite  devant  la  division  de  La  Garde 
renforcée  de  trente  hourques  flamandes  qui  passaient  de 
La  Rochelle  au  Havre  f8).  Hussve  et  Baldwyn  Willoughby, 


(l)  GossKiax,  Documents  rc/utifs  à  la  ninrinc  norntiiiulc,  \).  49.  Celait 
le  Savonais  trop  connu  I^atlisla  Auxilia  qui  en  avait  eu  l'entreprise. 

(2j  L'un  capitaine  de  trois  galères,  en  place  du  baron  de  Saint-Hlancard. 
l'autre  de  deux  :  leurs  galères  étaient  prêtes  à  appareiller,  soit  à  llouen, 
soit  au  Havre,  dès  le  mois  de  mars  1545  (Go.sselik,  p.  46-49,  88).  —  Deux 
de  nos  galères,  chassées  par  la  tempête,  se  réfugient  en  mai  à  Dunkerque 
(B.  N.,  Franc.  7122,  p.  236). 

(3)  En  retour  de  larniement  de  ces  deux  bâtiments-éclaireurs,  François  1"" 
déchargea  Le  Havre  de  sa  quote-part  à  l'impôt  levé  pour  l'entretien  de 
50,000  hommes  de  pied.  Avril  1545  (Bouki.y,  Histoire  du  Havre,  t.  I,  p.  509). 

(4)  Qui  rallièrent  Le  Havre  en  juin  (r)KSM.vnQUETS,  Mémoires  chronolu- 
(p (lues  pour  servir  à  l'histoire  de  Dieppe,  t.  L  p.  117). 

(5)  Cf.  le  chapitre  Ango. 

(6)  B.  N.,  Moreau  737,  fol.  J67. 

(7)  Qui  tenaient  la  mer  en  juin  (Calcndar  <>f  State  papers.  Acts  of  the 
Privy  Council,  p.  173,  177,  179). 

(8)  Rapport  du    29  juillet   1545   (Archives    nat.,     K    1485,    n"    95». (    Le 


41(i  HISTOIUE    DE    LA    iMAIUNE    FRANÇAISE. 

envoyés  en  reconnaissance  du  côté  de  Dieppe  (1),  n'avaient 
point  réussi  davantage  à  surprendre  les  capitaines  d'Ango. 

Il  y  avait  plus  de  deux  siècles  que  les  Normands  n'avaient 
assisté  à  une  paredle  manifestation  navale,  à  «l'ordre  triom- 
phant (:2)  ))  de  vingt-cinq  galères,  cent  cinquante  voiliers 
réunis  à  l'embouchure  de  la  Seine  (3)  et  pavoises  des  pavil- 
lons les  plus  variés  :  fleurs  de  lis,  au  milieu  des  salamandres 
et  des  faucons;  dauphin,  entre  la  croix  et  le  croissant  sym- 
bolique de  Diane;  lambel  d'Orléans,  entre  le  porc-épic  et 
la  guivre  milanaise;  ou  frelte  d'or,  sur  champ  de  gueules 
timbré  aux  coins  d'une  ancre  et  ceinturé  d'une  cordelière. 
Car  on  avait  trouvé  ce  moyen  ingénieux  de  distinguer  entre 
elles,  par  les  armes  et  les  emblèmes  du  roi,  du  dauphin,  de 
Charles  d'Orléans  et  du  vice-amiral  de  La  Meilleraye,  les 
différentes  divisions  de  la  flotte  (4-). 

Pour  chef  suprême  de  l'armée  navale,  on  avait  songé  au 
vainqueur  de  Cérisoles,  François,  comte  d'Enghien,  dont 
les  vieilles  bandes,  amenées  du  Piémont  par  ses  vaillants 
compagnons  d'armes,  le  colonel  Jean  de  Taix  (5)  et  le  lieu- 


18  juin,  au  moment  où  François  l"  lui  écrivait,  le  baron  de  La  Garde  était 
arrivé  à  I.a  llochelle  (B.  N.,  Moreau  778,  fol.  180). 

(1)  Avec  la  Neiu  liark,  In  Jcunett.  et  deux  bateaux  de  Rye^  en  juin.  Lettre 
de  Lisle  au  Conseil  privé  [Slatc  papers .  Kincj  Henry  tlie  Eiqlith,  t.  I,  p.  792). 

(2)  Cf.  dans  le  P.  Lklo?(0,  n"  17600,  l'indication  d'un  opuscule  ainsi 
intitulé  :  «  L'Ordre  triomphant  et.  grand  nombre  des  navires  écjinpés  pour 
le  fait  de  la  guerre  par  nier  à  l' encontre  du  roi  d' Angleterre .  Rouen, 
1545,  in-8" .. . 

(3)  Marino  Cavalli  parle  même  de  '250  voiliers  (Ïommaseo,  Relations  des 
ambassadeurs  vénitiens,  t.   I,  p.   'Vu). 

(4)  De  78  enseignes  connnand('es  le  5  juin,  30  étaient  aux  armes  du  roi, 
18  aux  armes  du  Dauphin,  autant  au  blason  de  son  frère  Charles,  12  aux 
couleurs  de  La  Meilleraye  (Gosseun,  p.  51).  —  Cf.  ci-joint  un  dessin  du 
temps  représentant  la  flotte  ou  du  moins  ses  plus  gros  vaisseaux  sur  les 
côtes  normandes  :  Joluvet,  «  La  carte  généralle  du  pays  de  Normandie. 
1545  »  (B.  N.,  Géographie  A  79).  T.,e  nom  du  comte  d'Harcourt  a  été 
ajouté,  par  erreur,  au  cravon  sur  1  un  des  vaisseaux. 

(5)  Nommé  colonel  général  de  l'infanterie  française  le  1"''  mai  1543 
(PiSARD,  Chronologie  historique  militaire,  t.  III,  p.  480.  —  i*icces  orig., 
vol.  278G,  Tais,  p".  12). 


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L'INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  417 

tenant-général  Guigues  de  Guiffiey-Boutières  (1),  consti- 
tuaient le  noyau  de  Farmée  d'invasion. 

Au  dernier  moment,  le  27  juin,  parut  une  nomination 
qui  déroutait  toutes  les  prévisions  :  et  pourtant,  le  lieute- 
nant-général choisi  par  le  roi  n'était  autre  que  l'amiral  de 
France,  Claude  d'Annebault  (2).  L'homme  sur  lequel  tom- 
bait cette  lourde  responsabilité  avait  été  maréchal  de 
France  et  gouverneur  de  ^Normandie,  avant  de  succéder  à 
Brion-Chabot.  Mais  aucun  de  ses  métiers  successifs,  pas 
plus  que  celui  de  capitaine  des  toiles  de  chasse  du  roi  (3), 
ne  l'avaient  lamiliarisé  avec  la  mer.  Et  son  premier  soin, 
lors  de  s;i  nomination  à  l'amirauté,  avait  été  de  faire 
régler,  par  un  édil,  ses  fonctions  et  ses  droits  (4). 

Son  adversaire,  John  Dudlev,  lord  Lisle,  profita  de  cette 
inexpérience  pour  nous  porter  un  coup  droit.  Dûment  ren- 
seigné par  des  éclaireurs  sur  la  position  de  nos  vaisseaux  à 
la  Fosse  de  Leure,  près  du  Havre,  il  transforma  en  brûlots 
les  huit  medieures  hourqucs  d  un  train  qui  allait  charger 
du  sel  à  Brouage.  Quelques  légers  bâtiments  leur  donne- 
raient la  chasse  et,  par  cette  poursuite  simulée,  leur  per- 
mettraient de  gagner  rembouchure  de  la  Seine  sans  éveiller 
les  soupçons.  Là,  elles  s'attacheraient,  deux  par  deux,  au 
carracon  et  à  trois  de  nos  plus  grands  bâtiments,  et  leur 
feraient  une  tunique  de  Nessus  (5).  Or,  le  hasard  servit  si 
l)ien  les  projets  de  1  ennemi,  que  rien  ne  décela  et  que  rien 
ne  prouve  encore  aux  historiens  son  intervention. 

D  un  beau  pavillon  de  feuillages  qu  il  avait  fait  édifier 
sur  la  falaise  du  Chef  de  Caux  pour  s'abriter  des  ardeurs 

(1)  Bulletin  du  Coinile  des  travaux  historiques  (1891),  p.  33. 

(2)  Pi.NARi),  t.  II,  p.  235. 

(3)  Qu'il  exerçait  encore  en  juin    1ÔV5   (H,  N.,   Franc.  26129,    p.  2431). 

(4)  Fonlainebleau,  février  lâW  |A.  Fontasox,  Edits  et  ordonnances. 
Paris,   1611,  in-foi.,  t.   111,  p.   18). 

(5"!  Lettre  de  Lisle  à  Henri  VllI  State  papers.  Kinq  Henry  the  Eighth, 
t.   I,  p.  788). 

m.  27 


418  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE, 

du  soleil,  François  I"  conlempliiit  la  Grande  armée  de  la 
mer^  dont  le  nom  était  comme  une  réminiscence  de  cette 
autre  Grande  Armée  formée  deux  siècles  auparavant  pour 
la  conquête  de  l'Anglelerre.  Tout  à  coup,  le  ;i  juillel,  des 
boulets  sifflèrent  au-dessus  du  pavillon  roval.  Soixante- 
quatre  voiles  anglaises,  en  reconnaissance,  envovaient  Tune 
après  l'autre  leurs  volées.  Elles  furent  promptement 
assaillies  par  les  jjalères  de  Pietro  Strozzi,  qui  les  chargea 
deux  ou  trois  fois,  et  perdit  même  dans  l'action  «  le  cheva- 
lier Ferrarais.  "  Tun  de  ses  capitaines.  L'ouragan  ayant 
chassé  les  vaisseaux  anglais,  Strozzi.  avec  deux  galères,  les 
suivit  et  garda  le  contact  [l] . 

Mais  alors  advint  le  malheur  prémédité  par  les  Anglais, 
où  la  bonne  humeur  de  François  I"  ne  vit  qu  une  façon 
de  conjurer  la  mauvaise  fortune.  Le  12  juillet  1545,  au 
moment  d'appareiller,  le  vaisseau  amiral  le  Philippe,  ma- 
gnifique carracon  de  douze  cents  tonnes  que  Philippe 
Chabot  avait  légué  au  roi,  prit  feu.  Imprudence  d'un  cui- 
sinier, disaient  certains:  manœuvre  plus  coupable,  suivant 
d'autres  gens;  on  ne  sut  jamais  en  France  la  cause  de  Tin- 
cendie.  Gomme  les  flammes  avaient  gagné  les  artifices  de 
feu  grégeois  dans  la  sainte-barbe,  l'amiral  d  Anneliaull. 
son  capitaine  de  pavillon  Jacques  de  Fontaines,  sieur  de 
Mormoulins,  les  gentilshommes  de  leur  suite,  les  matelots 
n  eurent  que  le  temps  de  lévacvier  et  de  gagner  au  plus 
vite  la  terre.  Accroché  par  les  galères,  le  volcan  fut  remor- 
qué en  hâte  jusqu  à  la  Fosse  de  Leure,  tandis  que  les 
pièces  de  ses  trois  batteries,  encore  chargées,  faisaient  rage. 
De  ce  magnifique  vaisseau,  il  ne  resta  bientôt  que  la  quille. 

On  avait  sauvé  à  grand'peine  le  trésor  de  guerre.  Les 
chevaux,  les  uniformes,  deux  cents  armures  dorées  (h' 
grande  valeur  disparurent  dans  les  flots. 

(i)  Leilre  de  Bcrnardo  de  Medici.  Montivilliers,  i4-  juillet  (A.  Des.i  ui- 
DiNs,  Négociations  de  la  France  avec  lu  Toscane,  I.  III,  p.  166). 


L'I.WASION    DE    L'ANGLETERRE,  419 

Par  une  fatalité  nouvelle,  la  Grande  Maistresse^  sur  la- 
quelle d'Annebault  transporta  son  pavillon,  toucha  le  len- 
demain en  quittant  la  rade;  et  un  ouragan,  le  15  juillet, 
acheva  d'ébranler  les  vaigres  d'une  carène  déjà  vieille  (1). 
Pis  encore!  La  division  des  vaisseaux  mandés  de  Provence 
avait  fondu  presque  entièrement  en  route,  par  Timpéritie 
du  capitaine  Claude  de  Manville.  Certains  bâtiments  avaient 
péri  sur  les  côtes  d'Espagne;  six  carracons  magnifiques, 
qu'Albisse  d'Elbène  amenait  de  Gènes  chargés  de  muni- 
tions, restèrent  en  panne  à  La  Rochelle  f2)  :  la  nef  Impé- 
riale et  d'autres  bâtiments  s'échouèrent  à  l'embouchure  de 
la  Seine,  si  bien  que  deux  navires  seulement,  sur  dix-neuf, 
purent  être  incorporés  dans  la  Hotte  (3).  La  révocation, 
trop  méritée,  de  l'incapable  capitaine  Claude  (4-)  ne  pou- 
vait réparer  l'énorme  dommage  que  causait  à  la  France  la 
perte  de  plusieurs  vaisseaux  de  premier  rang  et  que  ne 
compensa  point  1  entrée  en  ligne  des  bâtiments  bretons, 
mandés  d'urgence  (5)  à  leur  retour  d'Ecosse. 

Toute  la  Hotte  enfin  était  en  mer.  Le  18  juillet,  on  eut 
connaissance  de  la  côle  anglaise,  dont  l'amiral  et  ses  capi- 
taines, penchés  sur  leurs  cartes  juarines,  étudiaient  depuis 
longtemps  les  sinuosités  (6). 

Comme  une  division  de  quelques  galères,  épaulée  par  de 
grandes  nefs  (7j,  jetait  quelques  troupes  à  Brighton  pour 

(i'  Guillauim'  Lii;  Marckii.lks,  Mémoires  de  la  fondation  et  origine  de  la 
ville  Françoise  de  Grâce,  éd.  Morlent,  p.  19-20, 

(2)  Où  ils  furent  déchargés  par  ordre  du  lieutenant-général  du  Poitou, 
comte  du  Lude.  Quittance  datée  de  La  Rochelle,  20  novembre  1545 
(B.  N.,  Franc.  26130,  pièce  2461.  —  Moreau  737,  fol.  167  v"). 

(3)  B.  N.,  Moreau  778,  fol.  147,  180. 

(4)  François  i"  enleva  même  à  Claude  de  Manville  le  commandement 
des  galères  Dauphinc,  Saint-Pierre  et  Comtesse,  qu'il  lui  avait  confié  deu.v 
ans  auparavant.  7  avril  1546  (Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  1260, 
fol.  454  et  407). 

(5    4  juillet  (B.  N..  Franc.  20510,  p.  11). 

(6)  Culeiidar   of  State  papers,  Spanish,  éd.    M.    Hume,  t.  VIII,  p.   222. 

|7)  Dessin  du  British  Muséum,  Eepresentation  of  the  attack  made  hy  the 


*20  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE 

brûler  la  ville,  de  toutes  parts  les  signaux  d'alarme  s'al- 
lumèrent dans  leurs  brûloirs.  De  Lewes  et  de  Hove  accou- 
rurent en  colonnes  serrées  les  milices  anglaises,  qui  contri- 
buèrent beaucoup  plus  que  l'antique  baliste  à  feu  grégeois 
disposée  sur  le  rivage,  à  repousser  nos  troupes  de  débar- 
quement. 

La  flotte  ennemie  était  un  peu  plus  à  l'ouest.  Quatre  de 
nos  galères,  détachées  en  éclaireurs,  la  découvraient  à 
l'ouvert  du  canal  qui  sépare  Wight  de  Portsmouth.  Le  roi 
Henri  Vlll,  qui  dînait  à  la  table  de  son  amiral,  débarqua 
précipitamment,  alors  que  nous  n'étions  qu'à  cinq  lieues. 
Le  baron  de  La  Garde  avait  compté  une  soixantaine  de 
vaisseaux  de  guerre.  Au  moment  d'être  cerné  par  quatorze 
d'entre  eux,  il  fut  dégagé  par  l'amiral  d'Annebault,  qui 
accourait  à  la  rescousse  avec  le  reste  des  galères,  de  même 
que  la  flotte  anglaise  débouchait  en  masse  de  la  rade  de 
Chichester  pour  appuver  son  avant-garde.  Devant  notre 
supériorité  numérique,  l'ennemi  se  replia  en  serrant  la 
terre,  afin  de  s'abriter  sous  les  forts  de  Portsmouth,  dans 
une  rade  protégée  par  des  bas-fonds,  qui  ne  laissaient 
pénétrer  qu'un  à  un  les  navires,  par  un  chenal  étroit  et 
sinueux.  Cette  retraite,  à  la  tombée  de  la  nuit,  mit  fin  à 
l'escarmouche.  A  son  retour  dans  les  eaux  de  Wight, 
Claude  d'Annebault  appi'it  que  la  Maistresse  faisait  eau 
de  toutes  parts,  sans  que  les  pompes  parvinssent  à  fran- 
chir. Le  vice-amiral  avait  eu  la  présence  d'esprit  de  la 
décharger  immédiatement  pour  l  envoyer  se  radouber  au 
Havre. 

Son  pavillon  bissé  sur  un  autre  bâtiment,  Claude  d'An- 
nebault arrêta  pour  le  lendemain  son  ordre  de  bataille  :  il 
serait  au  front  avec  trente  vaisseaux  de  choix,  flanqués,  à 

Frcitch  Fleet  upoii  Ihii/lilliclitistoiie,  A.  D.  1545,  reproduit  en  estaiiij)e 
dans  V Archaeoloqia  or  Misccllaiicous. . .  Society  of  anli<fuaries  of  Lon- 
don,  t.  XXIV  (1832),  p.  298. 


L'INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  421 

Tailc  droite,  du  héros  de  Pavie  et  de  Cérisoles,  Guigues  de 
Guiffrey-Boutières  (I),  et  à  l'aile  gauche  de  Joachim  deCha- 
bannes,  baron  de  Carton,  qui  avaient  chacun  trente-six 
voiles  sous  leurs  ordres.  Quant  aux  galères,  elles  iraient 
agacer  l'ennemi  dès  l'aurore  et  chercheraient,  par  une  vive 
canonnade,  à  l'attirer  sous  le  feu  des  trois  escadres. 

Le  19  juillet  au  matin,  la  mer  était  calme,  le  flot  plat  : 
point  de  vent  (2j.  Les  navires  anglais,  masses  inertes, 
offraient  une  belle  cible  au  tir  des  galères  qui  attaquèrent 
îiardiment  sous  les  veux  du  roi  Henri  VIII,  venu  encou- 
rager ses  hommes.  Au  bout  d'une  heure,  un  des  plus  grands 
vaisseaux,  la  Mary-Rose^  coulait  bas  en  essayant  de  virer 
bord  sur  bord,  pour  tirer  de  l'autre  flanc;  l'eau  avait  péné- 
tré à  flots  par  les  sabords  mal  fermés  de  la  batterie  basse 
et  l'avait  fait  chavirer  :  Georges  Carew,  qu'on  distinguait 
de  loin  à  son  uniforme  étincelant  d'or,  périt  avec  ses 
hommes;  il  n  échappa  que  trente-cinq  matelots  sur  cinq  à 
six  cents  (3) .  Quant  à  \Henry-Grâce-à-Dieu  ou  Greal-Henry, 
vaisseau  amiral  de  Lisle,  malgré  ses  122  pièces  de  canon 
et  sept  cents  hommes  (i),   ce  magnifique    bâtiment  était 

(1)  Lettres  de  Boutières.  ihkh  (Bulletin  du  comité  des  travaux  liistorifjues 
(1891),  p.  33). 

(2)  The  encampnicnt  of  tlic  cnqlish  forces  near  Portsniouth,  toyether 
unth  a  luiew  of  the  english  and  french  fleets  ai  the  commencement  of  the 
action  between  thcrn  on  the  A'/A*  of  july  MDXLV,  engraved  by  James 
Basire,  sumptibus  Societatis  antiquarionim  Londini.  Grande  estampe  d'après 
un  ta!)Ieau  du  temps,  à  Cowdry,  dans  le  Sussex,  chez  lord  Montagne.  — 
On  pourra  lire,  sur  la  série  des  engagements  qui  eurent  lieu  du  19  au 
24  juillet,  la  relation  qu'un  neutre,  Van  der  Delft,  adressait  à  l'empereur. 
Portsmouth,  23  et  24  juillet  (Calendar  of  State  papers,  Spanish,  éd.  M.  Hume, 
t.  VIII,  p.  190),  et  Gu.iRAS,  Spanish  chronicle  of  Henry  VIII). 

(3)  GoDWiN,  Rerum  Anijlicarum  Henrico  VIII ^  Edivardo  VI  et  Maria 
regnantibus  annales.  Londini,  1628,  4",  p.  147.  —  Quelques  jours  après, 
la  Mary-Rose  ne  continuait  pas  moins  à  figurer  sur  les  contrôles  de  la  flotte 
anglaise,  parce  qu'on  essayait  de  la  renflouer. 

(4)  On  peut  en  admirer  les  formes  sveltes  et  puissantes  à  la  fois  dans  une 
gravure  exécutée  d'après  un  tableau  contemporain  (Clovves,  The  Royal 
Navy,  t.  I,  p.  406).  —  Un  autre  dessin  contemporain  représente  l'un  des 
vaisseaux   vice-amiraux  des  Anglais,  la  galéasse  Anne  Gallaunt,  que   nous 


422  HISTOIRE    1)1",    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

il  Icllement  afflij'c  "  par  notre  tir,  selon  la  pittoresque 
expression  de  Du  Bellay,  que,  sans  l'intervention  oppor- 
tune des  navires  voisins,  il  succombait.  Un  tableau  du 
lenips,  où  les  deux  flottes  se  déploient  tout  entières,  nous 
montre  combien  était  critique  la  position  des  Anglais. 

Mais  voilà  que  le  vent  de  terre,  se  levant  subitement, 
donne  dans  les  voiles  de  la  flotte  anglaise  qui  fonce,  à  son 
tour,  sur  les  galères.  Engagées  fort  avant,  tant  1  action 
était  chaude,  les  galères  voltent  prestement  et  regagnent 
à  toute  vitesse  la  haute  mer,  puis  ralentissent  leur  allure, 
afin  d'attirer  1  ennemi  hors  de  son  repaire.  Une  meute,  en 
effet,  s'élançait  derrière  elles. 

Moins  longues  qu'elles,  mais  plus  droites,  plus  manial)les 
encore,  les  robergcs  anglaises  les  accablent  de  boulets  avec 
une  rapidité  incroyable,  les  pièces  do  chasse  étant  accou- 
plées de  telle  sorte  que  le  recul  de  1  une  après  le  feu  met- 
tait l'autre  en  batterie  ili.  A  celte  artillerie  à  tir  rapide, 
les  galères  ne  pouvaient  riposter,  faute  de  canons  en  poupe. 
Virer  de  bord  et  faire  face,  c'était  s'exposer  à  recevoir  un 
coup  d'éperon  dans  le  flanc.  Leone  Strozzi  tenta  néanmoins 
cette  périlleuse  manœuvre  et  se  j(^la  sur  la  roberge  de  tète, 
au  moment  où  elle  allait  frapper  l  une  de  nos  galères. 
Courte  de  taille,  la  roberge  esquiva  le  coup  et  s'arrêta  net. 
L'amiral  d'Annebault  faisait  le  signal  aux  voiliers  d'avan- 
cer en  bataille,  quand  l'ennemi  se  relrancha  précipitam- 
ment derrière  les  écueils. 

Dans  l'espoir  que  les  marins  anglais  s'ébranleraient  au 
spectacle  des  incendies,  Claude  d'Annebault  donna  Tordre 
aux  galères  dexécuter  trois  débarcjuemenls  simultanés  à 
quelques  portées  de  canon  de  l'ennemi.    Slrozzi  brùUi  un 


mimes  à  mal  un   peu   plus   tiud   (Cf.   la  gravuir   dans    Conr.KTT,    J)?ahc  and 
the  Tudor  Navy,  t.  I,  p.  55). 

(i)  Manuel  d'arlillerie  présenté  à  M.  de  Nevers,  en  15()7,  par  IjA  Treille 
(B.  N.,  Franc.  16691,  fol.  J02). 


L'INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  423 

foiiin  qui  batlail  en  flanc  nos  galères;  le  baron  de  La 
Garde  et  le  colonel  général  d'infanterie  (Ij  Jean  de  Taix, 
après  avoir  perdu  quelques  hommes  dans  une  embviscade, 
s'emparaient  d'un  autre  point  de  la  côte,  tandis  que  les 
(;api laines  de  galères  Pierre  Bon  et  de  Marsay  se  faisaient 
l)lesser  dans  une  troisième  attaque,  dirigée  probablement 
contre  le  havre  de  Chichester  ("2). 

La  diversion  la  plus  importante  se  fit  en  face  de  Ports- 
mouth,  de  l'autre  côté  du  canal.  Le  21  juillet,  vin  débar- 
quement en  forces  eut  lieu  dans  1  ile  de  Wight;  l'arête  des 
collines  insulaires  avait  été  occupée  et  plus  d'un  cottage 
livré  aux  flammes,  lorsque  la  cavalerie  anglaise,  soutenue 
par  l'infanterie,  chargea.  Refoulées  vers  la  mer,  nos 
Iroupes  reprirent  le  dessus  avec  l'appoint  des  matelots  du 
chevalier  de  Blacas  d'A.ulps,  capitaine  de  la  division  des 
galères  du  Ponant,  qui  périt  dans  rengagement,  assommé 
d'un  coup  de  voulge  (3).  Elles  ne  se  retirèrent  que  sur 
l'ordre  du  colonel  de  Taix. 

Henri  V  III  s  était  ému  de  ces  ravages.  Il  avait  prié  l'ami- 
ral Lisle  de  détacher  c[uatre  roberges  en  observation  vers 
Wight,  afin  d'incommoder  nos  galères,  voii'cde  les  brûler  (4) . 
Et  il  mandait  d  cnvover  en  hâte  à  Portsmouth  les  renforts 
disponibles,  l'artillerie  de  la  Tour  de  Londres  (5j,  des  trou- 
pes, les  bâtiments  â  rames  de  1  amirauté  occidentale,  en 
vue  d'opposer  â  nos  galères  une  escadre  légère  (6j .  Gomme 


(1)  Nomme  le  i^"^  mai  i543  (Pisard,  Chronologie  historique  militaire, 
t.  Itl,  p.  480  :  Pièces  orig.,  vol.  2786,  doss.  Tais,  p.  12). 

(2)  Où  deux  bateaux  français  étaient  signalés  le  21  juillet  (Acts  of  Privy 
Council,  dans  les  Calondar  of  State  papers,  p.  213). 

(3)  Enseveli  dans  un  coffre  de  plomb,  le  chevalier  d'Aulps  fut  ramené  en 
France  et  son  corps  inhun\é  dans  l'église  Saint-Martin  de  Harlleur  (Guil- 
laume DE  Marceilles,  Mémoires  de  la  fondation  de  la  ville  Françoise  de 
Grâce,  p.  20.  —  Nostradamus,  Histoire  de  Provence). 

(4)  Portsmouth,  21  juillet  (Acts  of  Privy  Council,  p.  213). 

(5)  Acts  of  Privy  Council,  p.  214. 

(6)  Lisle  à  Paget  (State  papers,  t.  I,  p.  805). 


424  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

le  vent  Jivait  fraîchi  dans  la  nuit  du  20  au  21,  soufflant  de 
l'ouest,  et  que  nos  voiliers  se  trouvaient  exposés  à  faire 
naufrage  sur  les  hauts-fonds  de  Selsea  et  des  Owers, 
Lisle  demanda  à  ses  pilotes  si  les  Français  attendraient 
le  choc  à  Fancreou  sous  voiles.  Sous  faible  voilure,  fut  leur 
réponse  (1). 

Et  de  fait,  deux  jours  plus  tard,  capitaines  et  pilotes, 
assemblés  en  conseil  de  guerre  par  d'Annebault,  déconseil- 
laient le  combat  à  Tancre,  —  c'eût  été  s  exposer  à  échouer 
svir  la  côte,  si  les  câbles  venaient  à  se  rompre.  Mais  atta- 
(fuer,  c  était  courir  le  risque  d'être  broyés  par  lartillerie 
de  la  flotte  ennemie  :  la  passe  était  inaccessible  à  plus  de 
quatre  navires  de  front,  sinueuse  et  semée  de  dangers; 
trois  pilotes  et  autant  de  capitaines  s'en  convainquirent 
dans  une  reconnaissance  nocturne.  Occuper  Wighl  et  blo- 
quer de  là  Portsmouth?  il  n'y  fallait  pas  songer  :  trois  châ- 
teaux a  construire  pour  fermer  la  baie  de  Sainte-Hélène, 
ti'ois  mille  pionniers  et  une  garnison  de  six  mille  hommes, 
voilà  ce  que  pareille  opération  exigerait,  déclara  le  colonel 
de  Taix,  et  nous  n'avons  pas  les  moyens  de  la  faire  (2). 

Restait  la  retraite.  L'amiral  s'y  résigna.  Un  calcul,  chez 
Cromwell,  bouleversa  plus  tard  les  destinées  de  l'Angle- 
terre :  un  abcès  à  l'oreille  de  l'amiral  de  France  lui  épar- 
gna peut-être  une  invasion  (3).  Petites  causes,  grands 
effets  ! 

Tandis  que  son  adversaire,  croyant  à  une  feinte,  restait 
couvrir  Portsmouth,  d'Annebault  se  repliait  réellement 
sur  la  côte  boulonnaise,  sous  le  prétexte  de  coopérer  au 
siège  de  Boulogne.  Il  débarqua  dans  ce  but  4,000  soldats 
et  3,000  pionniers  au  Portel,  et  s'embossa  devant  le  port, 


(1)  Lisle  à  Henri  VIII.  21   juillet  (Burqhley  State  pnpers.   éd.   Havnes. 
p.  51). 

(2)  Martin  dv  Bkllay,  p.  522-424. 

(3)  Calendnr  of  State  papers,  Spaitish,  éd.   M.   Hume,  t.  VIII,  p.  223. 


l'invasion    de    L'ANGLETERRE.  425 

jusqu'à  ce  que  le  vent,  soufflant  grand  frais  du  sud,  le 
chassât  de  son  mouillage.  Sa  flotte  fut  poussée  en  vue  de 
Rye,  où  elle  était  signalée  le  9  août  :  on  lui  prétait  un  total 
de  deux  cents  voiles. 

Durant  ces  trois  semaines,  la  Hotte  britannique,  considé- 
rablement renforcée,  avait  porté  ses  effectifs  à  104  voiles  et 
12,000  hommes  (1).  Aussi  Tamiral  Lisle  reçut-il  Tordre 
formel  de  ne  pas  laisser  échapper  1  occasion  d'une 
attaque  (2),  et  d  engager  la  l)ataille  le  lendemain,  10  août. 
Des  renforts  étaient  expédiés  à  Rye  en  vue  de  le  seconder 
ou  de  combler  ses  vides  après  le  premier  choc.  Sans  se 
laisser  retenir  par  la  considération  que  tous  les  vaisseaux 
n'avaient  pas  encore  rallié  et  qu'il  n'avait  que  douze  cents 
soldats  de  troupes  de  débarquement,  Lisle  arrêta  son  ordre 
de  bataille,  sur  trois  lignes  :  avi  front,  six  grandes  hourques 
hanséatiqueset  la  Mary-Rose  (3),  pavillon  de  Saint-Georges 
au  trinquet  d'avant;  au  centre,  dix  vaisseaux  et  l' Henry - 
Grâce-à-Di'eu,  battant  pavillon  au  grand  mât;  en  arrière, 
seize  autres  bâtiments,  ayant  leui's  couleurs  â  l'artimon; 
à  chaque  aile,  onze  navires  légers,  leurs  bannières  arl)orées 
dans  la  hune,  servaient  de  flanqueurs.  Les  navires  en  ligne, 
à  demi-encablure  les  uns  des  autres,  la  Hotte  foncerait 
toutes  voiles  dehors  sur  le  front  de  bataille  des  Français, 
où  elle  pénétreraitcomme  un  formidable  coin  :  la  première 
ligne  le  traverserait,  puis,  serrant  le  vent,  prendrait  nos 
bâtiments  â  revei'S,  mais  sans  déranger  les  manœvivres  de 
la  seconde  et  de  la  troisième  ligne,  qui  aborderaient  nos 
plus  grands  vaisseaux,  chaque  bâtiment  se  maintenant  à 
petite  distance  de  son  matelot.  Les  navires  de  charge  sui- 

(1^  Oppenheim,   The  adminiUration  of  the  Royal  Navy,  \..  I,  p.  77. 

(2i  Au  conseil  royal  de  Henri  VIII  le  11  août,  quelqu'un  dit  que  Lisle 
avait  déjà  pris  la  mer,  au  moment  oîi  on  rédigeait  à  son  adresse  l'ordre  de 
se  porter  immédiatement  contre  la  flotte  française  à  Rye  (Calendar  of  State 
■papers  :  Acts  of  Privy  Council,  p.  227). 

(3'  Ou  plutôt  la  Mary  de   Hambourg,  l'autre   n'ayant   pu  être  renflouée. 


426  HISTOIKi:    Dl.    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

vraienl  dans  les  eaux  de  la  troisième  Hj^no  :  aux  ailes,  les 
croiseurs,  sans  prendre  part  au  choc,  seraient  toujours 
prêts  à  porter  secours  aux  l)àhnient8  qui  viendraient  à  Hé- 
chir.  Il  va  sans  dire  que  Lisle  se  réservait  Ihonncur  d'atta- 
(juer  1  amiral  français  fl). 

Claude  d  Annehault,  apprenant  que  1  ennemi  s  ébran- 
lait, s'était  hâté  de  regagner  les  parages  de  lioulogne,  dans 
la  crainte  de  se  voir  couper  la  retraite.  IjC  lîJ  août  au  soir, 
quelques  voiles  parurent  à  l'horizon  ;  les  {jalères,  envoyées 
en  reconnaissance,  rapportèrent  qu'elles  étaient  llamandes, 
mais  que  l'ennemi  suivait  de  près.  Claude  d'Annel)aull  se 
forma  en  bataille,  les  nels  acculées  au  rivage,  comme  s  il 
se  fût  douté  que  le  plan  de  Lisle  était  de  le  doubler  d'une 
division  pour  le  prendre  entre  deux  feux  :  les  galères  de  La 
Garde  s'al)ritèrent  du  vent  derrière  une  petite  langue  de 
terre  (2j.  Bien  décidé,  malgré  tout,  à  désarmer  au  plus  tôt, 
1  amiral  avait  envoyé  messager  sur  messager  au  roi  de 
France  pourdemander  l'autorisation  de  regagner  Jjc  Havre. 
«  Gomhaltez  d'al)ord!  "  fut  la  réponse  que  l'ietro  Slrozzi 
rapporta  de  la  Cour  le  I  i  août. 

Les  galères  eurent  donc  ordre,  dans  la  soirée,  de  chercher 
les  Anglais  iSj,  et,  après  avoir  pris  contact,  de  les  amuser 
jusqu'à  1  arrivée  des  voiliers.  Elles  dc'couvrirenl  l'ennemi 
le  15  août  à  la  hauteur  de  Shoreham  :  vers  trois  heures  de 
l'après-midi,  en  faisant  iorrv  de  ranu^'S,  elles  parvenaient 
à  portée  de  canon.  Et  l'on  putenleiulre  résonner  au  loin  le 
cri  de  ralliement  de  l'ennemi  : 


i)  Manu.scrit  de  hi  i-olK ctioii  I^Mcniiiij;,  ]nil)lir  en  |p;iili<'  <laii.>  Opi'KMIKIM, 
TIte  administration  of  tlie  Royal  Xavy,  t.  1,  p.  iS\,  dans  Vkcciii,  Storia 
générale  delta  marina  militare,  t.  1,  p.  306;  cl  analysé  dans  Julian- 
S.  CoBiîE'JT,  J)ral,e  and  l lie  Tiidor  Navy.   London,    t898,  8",  I     I,  |>.  51. 

(2)  Martin  Du  Bellay,  p.  423. 

(3)  «  Nous  partismos  le  14  aoust  sus  le  tard,  les  galères  devant  et  les 
naulx  venantz.  «  Lettre  d'Escalin  de  La  Garde  au  Dauphin,  llarlleur, 
23  août  (Jhil/etiii  du  loinilo  des  travaux  liisloriipies  (1891),  p.  325). 


LINVASION    DE    L'ANGLETERRE.  .     427 

»  (iod  save  the  king  Ilenrve. 
—  Antl  long  to  reign  over  us  (1).  » 

La  tête  de  colonne  à  Test,  la  queue  au  nord,  les  rol)erges 
cl  autres  croiseurs  sur  les  ailes,  la  Hotte  anglaise,  en  route 
pour  Douvres,  était  dans  Tordre  de  marche  suivant  :  vingt- 
quatre  hourques  du  vice-amiral  Thomas  Glère  à  l'avant- 
garde,  quarante  vaisseaux  de  ligne  avi  corps  de  bataille 
avec  l'amiral  Lisle,  une  escadre  légère  de  quarante 
galéasses,  roberges  et  chaloupes  en  flanc-garde,  manœu- 
vrant de  façon  à  rester  toujours  au  vent  (2j. 

Ce  fut  à  l'escadre  légère  de  soutenir  notre  choc,  dès  que 
se  dessina  le  plan  de  l)alaille  arrêté  par  notre  général  des 
galères  avec  ses  chefs  de  division  :  La  Garde  gagnait  de 
vitesse  la  tête  de  colonne  ennemie  pour  l'avoir  sous  le  vent 
et  la  foudrover.  Les  galéasses  de  flanc-garde,  Graund  Mis- 
tress^  battant  pavillon  amiral  de  William  Tyrrel,^nne  Gal- 
lau7it,  vice-amiral  JjCgge,  Greyhoundj  capitaine  William 
l>roke,  et  Galley  subtil,  capitaine  Edward  Joones,  s  opposè- 
rent à  notre  marche  par  un  feu  violent.  Un  de  leurs  boulets, 
emportant  un  trompette  de  la  Réale^  aux  côtés  du  l)aron  de  La 
(■Jarde,  passait  entre  le  comte  François  de  La  Rochefoucauld 
et  le  vidamc  de  Chartres  (3) .  Mais  la  riposte  avaitété  prompte 
et  heureuse  :  la  Girntnd  Mistress  et  la  Galley  subtil,  les  deux 
plus  forts  bâtiments  de  l'escadre,  équipées  de  i50  hommes 
chacune,  étaienl  hors  de  service,  ainsi  qu  une  roberge  (4). 

(i)  Stali'  Papcrs,  (.  I,  |).  81V. 

(2)  Clère,  qui  avait  son  pavillon  sur  V Araçjosia,  de  450  hommes,  dispo- 
sait de  34  vaisseaux  et  3,800  hommes,  Lisle  de  40  vaisseaux  et  6,846  hommes, 
dont  un  dixième  des  effectifs  sur  V Heuij-Grâce-à-Dieu,  Tyrrell  et  Legge  de 
40  galéasses  et  chaloupes  et  2,092  hommes.  10  août  1545  (State  papers,  t.  I, 
p.  810). 

(3)  D'après  une  relation,  aujourd'hui  perdue,  de  Jean  Morct,  capitaine 
de  la  galère  Saint-Pierre  appartenant  au  baron  de  La  Garde,  et  acteur  au 
combat  du  15  août  (Cf.  1.  Le  L.vnoriiF.rn,  Les  Mémoires  de  messire  Michel 
de  Casteliiaii.  Paris,  1659,  in-fol.,  t.  II,  p.  12). 

(4)  Lettres  de  Lisle.  Bcauchef,  17  et  18  août  (State  papers,  t.  I,  p.  816, 
819,  826;  et  t.  X,  p.  585  . 


428  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Ses  bordées  lâchées,  La  Garde  volta,  comme  à  Wight, 
afin  d'attirer  Fennemi.  Pietro  Strozzi,  dans  ce  mouvement, 
n'avait  pas  suivi  son  chef  :  il  v  avait  eu  une  saute  de  brise; 
jugeant  que  ce  fait  modifiait  forcément  le  plan  d'attaque  et 
qu'il  importait  de  garder  l'avantage  du  vent,  Strozzi,  gou- 
vernant au  nord,  se  porta,  avec  sa  division  de  quatre  ga- 
lères, contre  1  arrière-garde  anglaise,  par  conséquent  contre 
le  gros  de  la  flotte,  contre  l'amiral  Lisle.  Il  espérait  être 
suivi  des  autres  capitaines  :  mais  son  frère  Leone,  prieur 
de  Capoue,  avait  été  seul  à  s'apercevoir  de  ce  brusque 
changement  de  front;  il  accourait,  à  la  tête  de  cinq  ou  six 
galères,  seconderl'attaque  à  fond  de  larrière-garde.  Furieux 
de  n'être  pas  soutenu  davantage,  Strozzi  allait  quitter  le 
champ  de  bataille,  quand  il  vit  que  La  Garde  retournait 
au  combat  pour  la  troisième  fois  (1).  Ce  n  était  encore 
qu'une  feinte,  afin  d'attirer  Lisle  et  de  donner  aux  voiliers 
de  l'amiral  d'Annebaultle  temps  denti^er  en  ligne.  Mais  les 
Anglais  continuèrent,  sans  arrêt,  leur  retraite  vers  Beachy 
Head  (2).  Le  combat  avait  duré  une  couple  d'heures,  et 
s  il  n'avait  eu  d  autre  résultat  que  de  désemparer  quelques 
bâtiments,  du  moins  nous  gardions  le  champ  de  bataille. 

Clavide  d'Annebault,  se  tenant  pour  satisfait  de  ce  maigre 
résultat,  revint  aussitôt  désarmer  au  Havre.  L'accueil  qu'il 
reçut  de  la  population  fut  des  plus  froids  :  aucune  salve  ne 
fut  tirée  en  son  honneur  :  François  I"  ne  lui  fit  pas  meil- 
leur visage  et  songea  même  à  rendre  au  connétable  de 
Montmorencv  la  direction  des  affaires.  Les  officiers  de  la 
flotte  étaient  divisés  en  deux  partis  qui  discutaient  passion- 
nément la  conduite  de  La  Garde  et  de  Strozzi  à  la  bataille 

(1)  [P.  Strozzi].  Relation  du  combat  naval  entre  les  François  et  tes 
Anqlois  en  Vannée  1545,  le  jour  de  Notre-Dame  d'aoust.  Sénarpont, 
27  août  :  puliliée  dans  le  Bulletin  du  comité  des  travaux  historiques  (1891), 
p.  325-329 

(2)  Ou  Bcauclicf,  d'où  T^isle  expédia  une  dépêche  à  Henri  VIII  le  17  août 
(State  papers,  p.   816). 


L'INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  429 

du  15  août.  Strozzi  accusait  publiquement  son  chef  de 
lâcheté  (1)  :  le  baron  de  La  Garde,  au  moment  de  repartir 
en  croisière  le  26  août,  jetait  son  gant  à  tous  ceux  qui  par- 
laient contre  son  honneur  (2).  Et  Coligny,  le  futur  amiral, 
présent  à  Taction  sur  l'une  des  galères,  crachait  son  mépris 
au  capitaine  florentin  :  «  J'aimerais  mieux  être  mort, 
disait-il,  et  à  cent  pieds  sous  terre  que  d'en  avoir  fait 
autant  que  vous!  "  (3).  Il  fallut,  pour  mettre  fin  à  ces 
violences  de  langage,  que  le  roi  intervint  :  il  couvrit  tout 
le  monde  en  déclarant  que  ses  officiers  avaient  agi  sur  ses 
ordres  exprès. 

Une  dernière  fois,  1  amiral  Lisle  revint  à  la  charge,  après 
s'être  ravitaillé  à  Rye.  Il  avait  ordre  de  balayer  de  nos  der- 
niers bâtiments  le  pas  de  Calais  (4).  Pour  leur  ôter  tout 
asile,  il  débarqua  près  du  Tréport,  le  2  septembre,  la  moi- 
tié de  ses  effectifs  :  ses  troupes  culbutèrent  trois  enseignes 
garde-côtes  et  se  déployèrent  en  bataille  en  prévision  de  la 
contre-attaque  des  ducs  de  Nevers  et  d'Aumale,  tandis 
qu  une  des  ailes  brûlait  le  Tréport  (5).  Et  pourtant,  son 
retour  à  Pcrtsmoulh  fut  tragique,  avec  treize  vaisseaux 
marqués  de  la  sinistre  croix  noire  des  épidémies;  la  dysen- 
terie etle  scorbut  y  faisaient  rage,  couchantbas,  en  quelques 
jours,  trois  mille  cinq  cents  hommes  (G).  Il  abandonnait  au 
vice-amiral  Thomas  Glère  la  garde  du  pas  de  Calais  (7). 

Les  flottes  adverses  ne  s'étaient  plus  rencontrées.  L'une 

(1)  20  août  1545  (Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  ms.  2003). 

(2)  Lettres  de  La  Garde  au  dauphin.  Ilarfleur,  23  août,  et  Le  Havre, 
26  août  (Bulletin  du  comité  des  travaux  historiques  (1891),  p.  327). 

(3)  Comte  J .  Dki.aborde,  Vie  de  l'amiral  de  Coliqny.  Paris,  1878-1882, 
3  in-8°,  appendice  XVL  p-  577. 

(4)  18  août  (Acts  of  Privy  Couneil,  p.  232). 

(5)  Lettre  de  Lisle  à  Henri  VIIL  Henry-Gracc-a-Dieu,  par  le  travers 
d'Arundell,  en  allant  vers  Portsniouth,  3  septembre  (State  papers,  t.  I, 
p.  829.  —  Calendar  of  State  papers,  Spanish,  t.  VIII,  p.  255). 

(6)  Lettre  au  Conseil  privé  (Oppksheim,  t.  I,  p.  77). 

(7)  Avec  cinq  vaisseaux  et  huit  chaloupes  (Acts  of  Privy  Couneil,  p.  242, 
24(5,  258). 


430  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

croisait  dans  le  passage  de  l'est;  l'autre,  notre  escadre, 
courait  des  bordées  à  1  ouest  de  la  Manche  où  elle  signalait 
sa  présence  sur  la  côte  de  Galles,  par  la  capture  de  deux 
vaisseaux  vénitiens  en  route  pour  Londres,  la  Foscarina  et 
la  Contarina  flj . 

Dés  la  fin  de  l'hiver,  les  galères  de  La  Garde  rentrèrent 
en  scène.  Vingt  d'entre  elles,  après  avoir  secouru  le  fort 
d'Outreau,  enlevèrent  dans  le  pas  de  Calais  tout  un  convoi 
à  destination  de  Boulogne,  sept  navires  chargés  d'armes  et 
de  munitions  ('!' .  François  I"  ne  cachait  point  son  pro- 
jjramme  naval  :  partie  de  ses  galères,  affectées  à  l'Océan, 
séjourneraient  à  Nantes,  où  un  nommé  Escofre  prétendait, 
par  certain  procédé,  conserver  indéfiniment  leur  carène; 
les  autres  stationneraient  dans  le  port  d'Etaples,  appro- 
fondi en  conséquence,  et,  par  un  l)locus  sévère,  rédiù- 
raient  Boulogne  à  la  famine.  Elles  devaient  être  ralliées, 
vers  la  mi-mai,  par  vin.;;t  vaisseaux  de  jjuerre    3j . 

Mais  avant  que  la  jonction  fût  accomplie,  le  18  mai,  huil 
de  nos  galères,  en  croisière  devant  Ambleteuse,  se  trou- 
vèrent aux  prises  avec  quatre  vaisseaux  et  (|uatre  pinasses 
britanniques.  Après  un  sanglant  combat,  1  une  d'elles,  la 
galère  du  baron  de  Saint-Blancard,  fut  capturée,  avec  ce 
qui  restait  de  ses  deux  cent  trente  soldats  et  de  ses  quarante 
rameurs,  et  incorporée  à  la  flotte  anglaise  sous  le  nom  de 
Galley  Blanchard    il. 

Ce  fut  le  dernier  acte  de  la  ;juerre.  Le   17  juin  L5-4G,  la 

(i)  Kclalion  de  Marino  Cavalli.  iô-VG  (Tommaseo,  Relations  des  anibus- 
sddeurs  vénitiens,  t.  I,  p.  318). 

(2)  Lettre  de  Paris,  17  mars  1546  fCalcndur  of  Stale  jjapers,  Venelimi 
(1534-1554),  n"  375). 

(3)  Lettre  de  l'ambassadeur  de  Saint-Mauris  à  (Jharlcs-Quint.  Meliiii. 
il  avril  1546  (Archives  nat.,  K  1486,  B%  p.  18,  33). 

(4)  Stowe,  Chronic,  p.  591.  —  R.  HoussuEi>,  Chiouicles  of  EngUnide, 
Scotlande  and  Irelandc.  London,  1577,  in-fol.,  t.  II,  p.  1608.  —  Dès  !»■ 
mois  d'avril,  la  Salamandre,  de  Rouen,  avait  été  enlevée  par /e  White  Ilind . 
de  Londres  (Acts  of  Privy  Council,  p.  376). 


L  INVASION    DE    L'ANGLETERRE.  431 

paix  était  sijjiiée  entre  la  France  et  1  An,;;leterre.  Et  c  est 
avec  le  caducée  de  paix,  au  milieu  de  manifestations  de 
sympathie,  que  l'amiral  d'Annebault  débarqua  près  de  la 
Tour  de  Londres  :  d  était  escorté  d\i  Sacre  et  de  douze  .;',a- 
Icres  fl) . 

Nous  avions  déjà  rappelé  d  Ecosse  notre  corps  de  troupes. 
Le  commandant  de  l'escadre  de  transport,  llené  de  Chà- 
teau-Chalon,  accusé  de  forfaiture  par  Mont;;ommcrv , 
avait  été  réintéjjré  après  enquête  dans  sa  capitainerie  de 
Brest  f:2) .  Montjjommery,  pour  rapatrier  ses  soldats,  eut 
recours  aux  bons  offices  du  vice-amiral  écossais  John  Abrc- 
ton  (3).  Il  n'y  eut  d  autre  accroc  au  vova;;e  de  retour  que 
la  mésaventure  advenue  à  une  compajjnle  du  ré^^iment  du 
colonel  de  Saint-Germain  :  l'enseigne  Jean  Deschères  Du 
Feuillon  dériva  avec  son  vaisseau  jusqu'en  Norvè^^je,  où 
.ses  soldats  furent  contraints  de  prendre  des  cantonnements 
d'hiver  (4). 


(1)  Thevkt,  Cosmographie,  livre  16.  —  Assi;i.im;.  Les  anliqiiités  de 
JUcppe,  t.  I,  p.  21l-5. 

(2)  5  avril  1536  (li.  IN.,  Franc.  5503,  fol.  215  v '  . 

(3)  Ouittance  de  John  Abreton  pour  vivres  reçus  du  contrôleur  de 
Montgoniniery  de  I^orges,  atin  d'avitaillcr  les  navires  qui  doivent  ramener 
Montgoinnicry  en  France.  1"='  janvier  1546  (B.  N,,  Frani;.  26130,  p.  2503). 

(Il-)  Lettre  de  Hiclier  à  l^'rancois  l".  De  Norvège,  6  mars  1546  (B.  ]N., 
Brienne340,  fol.  33). 


INTERVEMION   EN  ECOSSE 


I 

Campagnes  d'égosse 

Les  Ecossais,  demeures  seuls  aux  prises  avec  l'Angleterre, 
continuèrent  la  lutte.  Mais  tandis  que  leurs  vaisseaux  guet- 
taient au  raz  de  Saint-Mahé  les  convois  anglais  chargés  de 
vins  de  Bordeaux,  une  sédition,  soudoyée  par  leurs  adver- 
saires et  bientôt  appuyée  par  1  amiral  Andrew  Dudley, 
éclatait  à  Saint-Andrew  :  les  rebelles  pendaient  aux  cré- 
neaux le  cardinal  Beaton  (1).  La  régente,  Marie  de  Guise, 
fit  appel  à  ses  frères,  tout-puissants  à  la  cour  de  France. 
Mais  son  escadre  se  heurta,  le  7  mars  1547,  près  d'Yar- 
mouth,  à  la  division  DudJey.  Mal  garnis  d'artillerie  dans 
leurs  hauts,  le  Lion  d'Ecosse,  la  Lionesse  et  la  Marie-Galante 
succombèrent  sous  le  feu  en  rafales  de  la  Pensée,  de  la 
Mignomie  et  des  autres  navires  britaniques  (2). 

Un  de  nos  agents,  qui  s'était  insinué  en  qualité  de  cos 
mographe  dans  l'intimité  de  Dudley,  "le  paintre  françois» 
des  dépêches  de  noire  ambassadeur,  Nicolay  d'Arfeuille  de 

(i)  Octobre  1546. 

(2)  La  Jeannette,  le  Lion,  te  Dragon  et  le  Hart  (Slatc  papers,  t.  V, 
p.  563-565.  —  Correspondance  politique  d'Oclet  de  Selve,  ambassadeur  de 
France  en  Angleterre  (1516-1549),  publiée  par  Germain  Lefèvre-I'onlalis. 
Paris,  grand  in-8",  1889,  p.  41,  118,  191,  211). 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  433 

son  vrai  nom,  avait  été  témoin  du  combat  :  il  se  hâta  d'en 
mander  en  France  les  désastreux  effets.  Il  expédiait  en 
même  temps  un  portulan  des  côtes  calédoniennes,  traduit 
d'un  manuscrit  écossais,  que  l'amiraUchn  Dudley  lui  avait 
innocemment  remis,  sans  se  douterque  c'était  nous  fournir 
des  armes  (1) . 

Nous  ne  pouvions  laisser  écraser  ainsi  nos  fidèles  alliés. 
Mais  à  quel  titre  intervenir,  sans  rouvrir  les  hostilités 
contre  Tx^ngleterre?  Gomme  policiers?  Châtier  les  meur- 
triers du  cardinal  Beaton  était,  après  tout,  prétexte  assez 
plausible  pour  motiver  une  expédition.  De  cette  mission 
délicate,  Leone  vStrozzi,  prieur  de  Capoue,  s  acquitta  avec 
une  admirable  dextérité.  Avec  seize  galères  françaises,  il 
investit  le  château  de  Saint-Andrew  et,  après  quatorze 
jours  de  bombardement,  le  30  juillet  1547,  l'enleva  d'as- 
saut. Sans  laisser  aux  Anglais  le  temps  de  le  bloquer,  avant 
que  fussent  postés  à  Holyland  les  douze  vaisseaux  du  vice- 
amiral  Clinton  (2)  et,  au  débouché  de  la  mer  d'Irlande,  les 
di.x-sept  bâtiments  du  corsaire  Thomassin  le  Galaisien  (3), 
le  prieur  de  Capoue  reprenait  la  route  de  France  et  décon- 
certait les  larrons  par  la  rapidité  foudroyante  de  sa  cam- 
pagne. Les  assassins  du  cardinal,  les  rebelles  John  Knox, 
Lessetey    et    autres,    qu  il    ramenait    prisonniers,    furent 


ri)  La  navigation  du  roy  d'Escosse,  Jacques  cinquicsme  du  nom,  autour 
de  son  royaume  et  isles  Hébrides  et  Orchades,  soubz  la  conduite  d'Alexandre 
Lyndsay,  excellent  pilote  escossois,  par  [Nicolas]  de  Nicolay,  sieur  d'Ar- 
feuille,  recueillie  et  rédigée  en  forme  de  description  hydrographique  et 
représentée  en  carte  marine,  et  routier  ou  pilotage.  Paris,  1583,  in-4", 
préface.  —  Nicolay  nous  aurait  également  fourni  des  vues  de  tous  les  ports 
d'Angleterre.  Lettre  de  Wotton,  Paris,  7  mars  1548  (Calendar  of  State 
pape/s,  Foreiqn  séries,  of  the  reiqii  of  Edward  VI  f  1 547-1553],  éd. 
William  B.  Turnbull.  London,  1861,  in-8°,  p.  15). 

(2)  Instructions  du  vice-amiral  Clinton.  1'''  août  1547  i  Calendar  of  the 
State  papers  relatinq  to  Scotland  (1547-1603),  éd.  bv  Joseph  Bain.  Lon- 
don, 1898,  in-8",  t.   I,  p.  13). 

(3)  Correspondance  politique  d'Odet  de  Selve,  p.  170,  173,  188,  207, 
234. 

in.  28 


434  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

écroués  au  château  de  Cherbourg  et  au  Mont-Saint-Mi- 
chel (l). 

Loin  d'enrayer  les  progrès  britanniques  en  Ecosse,  la 
reprise  de  Saint-Andrew  les  précipita.  Le  10  septembre, 
Farmée  anglaise  remportait,  aux  portes  d'Edimbourg,  la 
sanglante  victoire  de  Pinkie.  Deux  enfants  régnaient  alor.s 
sur  les  deux  royaumes  insulaires  :  Edouard  VI,  fds  de 
Henri  VIII,  avait  dix  ans  :  Marie  vStuart,  fille  de  Jacques  V, 
en  avait  six.  Leur  mariage  eût  rendu  les  rovaumes  plus 
qu'amis.  C'était  le  rêve  du  protecteur,  Seymour  de  Somer- 
set, et  l'on  voitqu'il  mettait  au  service  de  son  rêve  l'action. 
Vaincue,  réduite  à  la  dernière  extrémité,  mais  décidée  mal- 
gré tout  à  empêcher  cette  union,  Marie  de  Guise,  la  bonne 
Lorraine,  veuve  et  mère  à  la  fois,  adressait  à  la  France  un 
appel  éperdu.  Les  traditions  séculaires  qiii  nous  liaient 
aux  highlanders,  la  défense  de  la  foi  catholique  contre  le 
schisme,  tout  nous  faisait  une  loi  d  intervenir,  en  dépit  des 
relations  pacifiques  que  nous  venions  de  resserrer  avec 
l'Angleterre  par  une  convention  qui  stipulait  la  restitution 
mutuelle  des  prises  ("2). 

En  décembre  L">i7,  un  petit  corps  cxpédionnaire,  rapide- 
ment formé  sous  le  commandement  du  lieutenant-général 
André  de  Montalembert  d  Essé  et  du  colonel  de  La  Cha- 
pelle-Biron,  appareillait  à  bord  do  cinq  vaisseaux  de  Brest 
et  de  quatre  galères  d'escorte  (3).  Comme  nous  passâmes 
parla  mer  d'Irlande,  le  vice-amiral  Wyndham,  malgré  qu  il 
disposât  de  huit  grands  croiseurs,  ne  put  nous  barrer  la  route. 
D'un  ton  protecteur,  Seymour  raillait  notre  ambassadeur  à 


(1)  Trois  d'entre  eux  furent  écroués  à  Cherbourg  le  6  octobre,  suivant  un 
acte  de  constat  du  7  décembre  (Cherl)ourjf,  registre  de  Le  Yalloys,  tabellion 
à  Cherbourg,  pour  l'année  15 V7  :  Communication  de  M.  Amvot). 

(2)  Octobre  154-7. 

(3)  [Jean  Du  Tii.i.et],  la  Clu-onir/tte  des  Hnys  de  France  et  des  cas  mé- 
morables adveuuz  depuis  Pharamond  jusqites  au  Roy  Henry  Second.  Rouen, 
1551.  \n-k\  fol.  121  v°. 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  435 

Londres  sur  le  mauvais  placement  de  nos  capitaux  : 
l'Ecosse,  disait-il?  C'est  une  éponge  à  tirer  de  l'argent  (1). 
Mais  en  vain  voulait-il  cacher  son  inquiétude.  Un  de  nos 
émissaires  comptait  sur  la  côte,  de  Portsmouth  à  Rye,  plus 
de  deux  cents  pièces  en  batterie  :  près  de  chaque  poste, 
dans  une  guérite,  veillait  une  sentinelle  prête  à  embraser 
les  bûchers  d'alarme  (2). 

L'anxiété  britannique  s'accrut  au  printemps  de  1548, 
Les  vice-amiraux  de  Normandie  et  de  Bretagne  avaient 
reçu  un  ordre  de  mobilisation  générale  (3).  Et  les  rapports 
d'un  espion  britannique  n'étaient  pas  faits  pour  rassurer 
nos  voisins  :  vingt-quatre  vaisseaux  à  deux,  trois  et  même 
quatre  hunes  s  apprêtaient  au  Havre,  où  quatre  bâtiments 
Ecossais  étaient  venus  les  renforcer.  Caudebec  en  armait 
cinq  autres  et  Dieppe  trente,  dont  une  dizaine  de  navires 
de  guerre.  Tous  les  légionnaires  bretons  et  normands 
avaient  ordre,  sous  peine  de  mort,  d'être  prêts  à  marcher. 
Les  fourriers  préparaient  des  logis  pour  cinq  mille  hommes 
d'infanterie  dans  les  paroisses  voisines  du  Havre,  et  un 
régiment  allcmiind  déHIail  vers  la  côte  dans  un  ordre  impo- 
sant, compagnie  par  compagnie,  vingt-cinq  rangs  d'arque- 
busiers suivis  de  vingt-cinq  rangs  de  piquicrs.  A  une  ques- 
tion insidieuse  de  l'espion,  un  pilote  avait  répondu  :  "Nous 
n  allons  pas  plus  loin  que  Boulogne  ;>  ,  et  un  capitaine  avait 
repris  avec  brusquerie  :  a  II  nest  pas  question  de  l'Ecosse. 
Nous  allons  à  Calais  (-4)  "  . 

La  vérité  était  qu Une  armée  de  cinq  mille  quatre  cent 


(i)  Correspondance  politiniie  d'Odet  de  Selve,  p.  249. 

(2)  Ibidem. 

(3^>  Commission  donnée  par  Mérv  de  Sépoys,  vice-amiral  de  Bretagne,  de 
mettre  arrêt  sur  tous  les  navires  propres  au  service  du  roi.  29  mars  1548 
(P.  FouRxiEB,  Hydrographie,  2"  édition,  p.  248\ 

(4)  llapports  envoyés  au  Protecteur  par  un  espion.  Boulogn^  14  et 
15  mai  yCalettdar  nf  State  papers,  Foreiqn  séries,  of  the  reign  of  Edward  VI 
(1547-1503),  éd.  William  B.  Turnbull,  p.  342.  345j. 


436  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

quarante  fantassins  (1),  sans  compter  les  autres  troupes, 
s'apprêtait  pour  l'Ecosse  :  elle  comprenait  le  régiment  de 
lansquenets  du  Rhingrave  Philippe  (2),  les  aventuriers  de 
François  de  Goligny  d'Andelot  et  les  compagnies  italiennes 
de  Pietro  Strozzi.  La  concentration  de  la  Hotte  se  fit  à 
Brest,  où  le  vice-amiral  de  La  ^Icillerave  amena  les  vais- 
seaux du  Havre  (3).  Baccio  Martelli,  lieutenant  du  prieur 
de  Capouc,  y  conduisit  également  les  galères  stationnées  à 
Nantes  et  les  transports  équipés  à  La  Rochelle  (4).  Aucune 
flotte  anglaise  n'était  capahle  de  se  mesurer  avec  notre 
convoi,  encadré  comme  il  l'était  par  les  dix-huit  galères  de 
Pietro  Strozzi  et  Baccio  Martelli  et  par  les  vingt-six  vais- 
seaux de  guerre  de  La  Meilleraye,  ce  qui  faisait  en  tout 
cent  quarante  voiles  (5). 

Aussi  le  vice-amiral  Clinton,  qui  appuvait  les  opérations 
de  Lord  Grey,  se  déroba  et  se  tint  prudemment  à  l'abri 
d'Holy-Island,  lorsque  notre  avant-garde  fut  signalée  au 
large  de  Berwick.  Le   17  juin,   après  une    traversée  sans 


(i)  Ordre  de  Henri  II  de  paver  2  44'i  554  livres  à  5,440  hommes  de 
guerre  à  pied,  faisant  partie  de  l'armée  de  Montalembert  d  Essé  (B.  N., 
Franc.  5085,  fol.  184). 

(2)  Quinze  cents  hommes  qui  s'embarquèrent  au  Havre  sur  neuf  vais- 
seaux (Jean  Du  Tillet,  La  Chronique  des  Boys  de  France  (1551),  fol.  122. 
—  B.  N.,  Franc.  4552,  fol.  8). 

(3)  Lettre  de  La  Meilleraye  disant  que  les  vaisseaux  du  roi  sont  en  rade 
et  qu  il  va  sembarquer.  Le  Havre,  24  mars  1548  (B.  N.,  Clairambault  341, 
fol.  209). 

(4)  Affrètement  par  Baccio  Martclli  des  navires  :  la  Marie  de  Pouldavid, 
le  Petit-Nicolas  de  Saint- Valéry,  le  Jésus  de  Morbihan,  la  Bonnadventure 
de  Penmarc'h,  rVvon,  le  Jésus  de  Saint-Pol.  La  Rochelle,  25  avril-3  mai 
(G.  Musset,  Historiens  de  La  Bochelle,  1892,  in-8»,  p.  20). 

(5)  Lettre  de  Saint-Mauris  au  prince  d'Espagne.  1548  (Archives  nat., 
K  1488,  n"  47  :  A.  Teulet,  Belations  politiques  de  la  France  et  de  l'Fs- 
pagne  avec  l'Ecosse,  t.  IV,  p.  186).  —  Lettres  de  Grey  et  Palmer  à  Somer- 
set. Berwick,  12  juin  et  l'^^"'  juillet  [^Calendar  of  thc  State  papers  rclatin</ 
to  Scotland,  t.  I,  p.  il9,  134).  Suivant  I^almer,  la  Hotte  française  se  dé- 
composait ainsi  :  18  galères  et  1  briganlin,  2(i  vaisseaux  de  guerre  dont 
8  de  deux  cents  tonnes  et  au-dessus,  80  transports  d'une  cinquantaine  de 
tonnes. 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  437 

encombre,  toute  la  flotte  de  La  Meilleraye  jetait  l'ancre  en 
rade  de  Leith,  le  port  d'Edimbourg  (1).  Une  semaine  plus 
lard,  la  Réale  des  galères,  avec  trois  compagnes  et  cent 
quarante  soldats  de  renfort,  partait  sans  bruit,  dans  les 
ténèbres,  sous  couleur  d'inspecter  les  rivières  du  Nord, 
mais  en  réalité  avec  la  mission  secrète  de  contourner 
l'Ecosse  et  d'embarquer  à  Dumbarton  la  petite  reine  Marie 
Stuart  (2).  Ce  départ  mystérieux  demeura  d'abord  ina- 
perçu des  Anglais,  bien  qu'ils  fussent  sur  leurs  gardes  : 
interrogé,  l'année  précédente,  «  sy  lesdictes  gallayres  pour- 
roient  pas  faire  le  tour  d'Ecosse  et  s'en  retourner  par  le 
ouest,  "  Jean  Ribaut,  l'un  de  nos  marins  dieppois  les  plus 
capables,  "  avoit  répondu  que  ouy  (3).  n  Lorsque  Grey 
donna  enfin  l'éveil  (-4),  la  proie  convoitée  par  le  protecteur 
lui  échappait.  Accompagnée  de  quatre  jeunes  filles  de  son 
âge,  des  plus  nobles  familles  écossaises,  Fleming,  Seaton, 
Beatou  et  Livingstone,  de  quatre  Marie  dont  la  poésie  a 
consacré  le  gracieux  souvenir  (5),  la  petite  reine  avait  pris 
passage  à  bord  de  l'escadrille  du  chevalier  de  Villegagnon.  Le 
13  août,  elle  mettait  le  pied  sur  la  terre  de  France,  à  Ros- 
coff.  On  V  voit  encore  la  chapelle  votive  élevée  en  mémoire 
de  son  heureuse  traversée  (6).  «Dieu  continue  à  être  bon 
François  " ,  écrivait  Montmorency  (7) . 

Tandis  que  Montalembert  d'Essé  marchait  sur  la  ville 

(i)  Lettre  de  La  Meilleraye.  Lislebourg,  25  juin  (B.  N.,  Franc.  20457, 
p.  69'.  —  De  oriqine,  inoribus  et  rébus  gestis  Scotorum  libri  decem, 
authore  Joannc  Leslaeo  [Lesley],  Scoto,  episcopo  Rossensi.  Rornse,  1578, 
in-4»,  p.  491. 

(2"!  Lettre  de  Clutin.  JJslcbourg  [Edimbourg],  24juin  (B.  N.,  Franc.  20457, 

(3)  Correspondance  potitif/iic  d'Odetde  Selvc,  p.  170. 

(4j  Berwick,  7  août  [Calendar...  relating  lo  Scotland.  t.  I,  p.  157\ 

(5)  Francisque  Michel,  Les  Ecossais  en  France,  t.  I,  p.  459. 

(6)  Prince  LàBANOFF,  Recueil  des  lettres  de  Marie  Stuart,  t.  I,  p.  37.  — 
Lettre  de  Brezé.  Roscoff,  18  août  (B.  N.,  Franc.  20457,  p.  121).  —  Arthur 
Heuluard,  Villegagnon,  roi  d'Amérique  (1510-1572).  Paris,  1897,  in-8°. 

(7)  Décrite,  p.  76. 


438  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

d'Haddlngton,  Pietro  Strozzl  harcelait  le  vice-amiral  Clin- 
ton, bombardait  Broughty  Graig,  et,  le  21  juillet,  prenait 
contact  avec  la  flotte  anglaise,  qui  se  repliait  sous  1  abri 
des  canons  de  Berwick.  Nos  galères,  dont  un  calme  favori- 
sait les  évolutions,  coulèrent  la  Pensée  et  infligèrent  de 
graves  avaries  à  la  Galère  d'Angleterre.  Le  3  août,  ce  même 
bâtiment  et  la  Maîtresse,  entraînés  à  la  poursuite  de  deux 
de  nos  galères  qui  opéraient  une  reconnaissance  du  côté 
de  Scater,  tombaient  dans  une  embuscade  de  cinq  autres 
navires  :  ils  n'échappèrent  qu'à  grand'peine,  criblés  de 
boulets  (1) . 

Mais  l'arrivée  de  renforts  amenés  de  Londres  par  l'amiral 
Thomas  Seymour  permit  à  Clinton  de  prendre  l'offensive 
avec  quarante-deux  voiles.  Cernés  par  lui  le  10  août,  une 
douzaine  de  transports,  un  grand  terreneuvier  de  La  Ro- 
chelle entre  autres  (2),  furent  brûlés  en  rade  de  Leith,  et 
une  de  nos  galères  fortement  avariée  (3).  Mais  les  boulets 
anglais  allèrent  mourir  dans  les  levées  de  terre  qui  proté- 
geaient le  port  et  deux  débarquements  à  Saint-Ninians  et 
Montrose  coûtèrent  à  Seymour  treize  cents  hommes  (4). 

Nos  marins  ne  jugèrent  plus  le  golfe  du  Forth  assez  sûr 
pour  hiverner.  Du  reste,  la  maladie  faisait  rage  à  bord,  les 
vivres  manquaient,  et  contrairement  au  bon  renom  de 
l'hospitalité  écossaise,  nos  hôtes  ne  donnaient  pas  le 
moindre  morceau  de  pain.  Sur  les  instances  de  ses  capi- 
taines, sur  leur  réquisition  signée,  le  vice-amiral  de  La 
Meillerayc  appareilla,  après  avoir  attendu  vainement  durant 
dix-huit  jours  Pietro  Strozzi  et  ses  galères.  Il  laissait  égale- 

(1)  Conespondancr  politùjiie  d'Odet  de  Selve,  p.  429,  431. 

(2)  C'était  un  terrc-neuvier  de  250  tonneaux,  appartenant  à  Matliuiln 
Denebaucl  et  Louis  Gargouilleau  (B.  N.,  Franc.  20537,  fol.  8). 

(3)  Lettre  du  vice-amiral  Clinton  à  Grey.  Rade  de  Leith,  à  bord  de  lu 
Great  Barke,  10  août  {^Calendar  of  tlie  State  papers  i-elating  lo  Scotluiid. 
t.  I,  p.  158). 

(4)  Clowks,  Royal  Navy,  t.  I,  p.  4(i8. 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  439 

ment  derrière  lui  le  galion  Saint- Jacques  du.  capitdiinc  Auvray, 
noyau  d'une  division  de  galions  que  la  régente  réclamait 
d'urgence.  La  traversée  de  retour  fut  épouvantable  :  tous 
les  jours,  on  jetait  des  cadavres  par-dessus  bord.  Dans  le 
pas  de  Calais,  on  ne  put  naviguer  que  de  nuit  (1). 

Les  traînards  se  trouvèrent  aux  prises  avec  l'amiral 
anglais  du  sud-ouest,  William  Howard,  en  croisière  dans 
le  pas  de  Calais  à  la  tête  de  dix-huit  vaisseaux.  Douze  de 
nos  voiliers  furent  capturés  à  Douvres,  sans  que  le  vaisseau 
d  escorte,  monté  de  cent  combattants  en  sus  de  l'équipage, 
piit  faire  autre  chose  que  de  fuir  vers  le  Crotoy  (2). 

Pietro  Strozzi,  peu  après,  le  12  septembre,  eut  à  se  faire 
jour  à  travers  les  lignes  anglaises  :  de  ses  huit  galères,  l'une, 
la  iSerine,  restait  aux  mains  de  l'ennemi  (3) . 

A  peine  de  retour  de  l'expédition  d'Ecosse,  le  vice-amiral 
de  La  Meilleraye  recevait  l'ordre  dese  diriger  en  toute  hâte 
sur  la  Gironde,  dont  les  marins  du  Croisic  occupaient  déjà 
1  embouchure.  Il  s'agissait  de  barrer  la  route  à  deux  ou 
trois  mille  hommes  de  troupes  qu'une  flotte  anglaise  devait 
jeter  en  Guyenne  (4).  Averti  des  événements  qui  se  dérou- 
laient dans  le  sud,  La  Meilleraye  refusa  de  donner  congé 
aux  équipages  gascons  du  sieur  de  Rambures  qui  montaient 
trois  des  galions  royaux  (5) . 

Une  émeute  avait  éclaté  en  mai  dans  la  Saintonge  :  de 
proche    en   proche,    gagnant   l'Angoumois,    le  Poitou,  la 


(J.)  Lettre  de  Ija  Meilleraye  au  duc  d'Auniale.  Brest,  16  septembre 
(B.  N.,  Glairambault  ;3V4,  fol.  226j. 

(2)  J.  Lesley,  p.  496. 

(3)  Correspondance  politique  d'Odet  de  Selve,  p.  447,  461. 

(4)  Lettres  de  Henri  II  au  gouverneur  de  Bretagne.  6  septembre  (B.  N., 
Franc.  20510,  p.  18).  Le  roi  avait  déjà  donné  ordre  d'armer  en  course 
contre  les  Anglais  tous  les  navires  bretons.  10  août  (B.  N.,  Glairambault 
825,  fol.  103). 

(5)  Lettre  de  La  Meilleraye.  Brest,  16  septembre  (B.  N.,  Glairambault  344, 
fol.  226).  Les  lettres  royales  qui  lui  mandaient  daller  bloquer  les  ports  de 
Guyenne  étaient  en  date  du  7  septembre  (B.  N.,  Glairambault  342,  fol.  ^^. 


440  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

Guyenne,  elle  dégénérait  en  révolution.  Une  fois  de  plus,  la 
gabelle  en  était  cause.  Sous  la  pression  d'une  jacquerie 
formidable,  Saintes,  Angouléme  capitulent;  à  la  somma- 
tion «  du  coronal  de  toute  la  commune  de  Guyenne,  Pierre 
Bonamy,  »  les  paysans  prenaient  partout  les  armes  au  son 
du  tocsin  (1).  La  citadelle  de  Blaye  est  cernée  par  eux  :  le 
lieutenant  du  roi,  Tristan  de  Moneins,  est  massacré  dans 
Bordeaux  le  21  août  1548.  Le  cri  national  de  «  Vive 
France  "  est  étouffé  par  le  cri  révolutionnaire  de  «  Vive 
Guyenne.  "  C  est  le  signal  de  la  terreur  :  seize  mille  rebelles 
campent  aux  alentours  de  la  ville  (;2).  Et  l'on  devine,  par 
le  précédent  de  Saint-Andrew,  sur  quelles  sympathies 
étrangères  ils  peuvent  compter. 

Mais  le  vice-amiral  de  La  Meilleraye  amène  toute  sa 
flotte  à  La  Rochelle  et  à  1  embouchure  de  la  Gironde  «pour 
prendre  tout  ce  qui  en  vouldroit  sortir  et  entrer"  (3j .  Le 
corps  d  armée  du  duc  d  Aumale  arrive  par  le  Poitou  ;  le 
connétable  de  Montmorencv  descend  la  Garonne  depuis 
Toulouse  :  la  révolution  est  prise  dans  vine  souricière.  Les 
Bordelais  épouvantés  cherchent  à  désarmer  le  connétable 
en  lui  envoyant,  "  sur  un  bateau  pavoisé  à  ses  armes,  les 
clefs  de  leur  ville  » .  Le  terrible  justicier  rejette  dédaigneu- 
sement leurs  offres  et,  le  19  octobre,  entre  en  ordre  de 
bataille,  dans  Bordeaux  (4j .  On  sait  à  quelle  sanglante 
série  d'exécutions  fut  attaché  dès  lors  le  nom  de  patenôtres 


(i)  B.  jN.,  Dupuy  775,  fol.  20. 

(2)  BonoESivE,  Histoire  de  Béarn  et  de  Navarre  (éà.  1873),  p.  46.  — 
Archives  historiques  de  la  Gironde,  t.  X,  p.  24-28.  —  Belleforkst,  Chro- 
nifjues  et  annales  de  France  (éd.  1585),  p.  445.  — F.  Décrue,  Anne,  duc 
de  Montmorency,  p.  57. 

(3j  Lettre  du  vice-amiral  de  La  Meilleraye.  Thorignv,  24  septembre 
(B.  N.,  Clairambault  342,  fol.  53).  —  Entre  autres  croiseurs,  était  la  Bon- 
nadventure  d  Ecosse,  commandée  par  le  Pérugin  Giovanni  Jaconne,  fami- 
lier de  Baccio  Martelli.  La  Rochelle,  14  novembre  (G.  Musset,  Historiens 
de  La  Rochelle,  p.  23). 

(4)  F.  Décrue,  p.  63. 


NAVIRE    FRANÇAIS    BATTANT    PAVILLON    AMIRAL    (154^) 
(B.  N.,  Fianç.  25.374,  fol.  28  \°  ;  Almaiiacli  breton  de  Biouscoii.  1548.) 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  441 

de  Monsieur  le  Connétable  :  "  le  grand  rabroueur  »  égrena 
les  têtes  humaines  comme  les  grains  d'un  chapelet  (1).  La 
paix  régnait  en  Guyenne.  Bordeaux,  en  guise  de  pénitence, 
était  condamnée  à  payer  200.000  livres  d'amende,  à  fournir 
de  quoi  fondre  cinq  cents  canons,  de  quoi  faire  deux 
bateaux  de  guerre  (2). 

Dès  qu'il  avait  appris  par  La  Meilleraye  la  requête  de 
Marie  de  Guise,  Henri  II  avait  donné  ordre  à  Villegagnon 
de  reprendre  la  route  de  l'Ecosse  (3).  Douze  cents  Gascons, 
aux  ordres  de  Raymond  de  Pavie-Fourquevaulx  et  de  Fies- 
chi,  s'embarquaient  en  même  temps  à  Brest  à  destination 
de  Dumbarton  (4).  D'autres  renforts  suivirent,  en  mai  1549, 
amenés  par  le  nouveau  lieutenant-général  Paul  de  Termes 
et  par  les  capitaines  Cerf  et  Gilbert  Quentin,  Beaumonl- 
Brizay  et  Nègre-Pelisse;  ce  millier  d'hommes  escortait  la 
solde  énorme  que  le  roi  de  France  envovait  au  corps  d'oc- 
cupation (5) . 

Les  deux  régiments  du  Rhingrave  et  de  La  Chapelle-Bi- 
ron  avaient  pour  quartier- général  Leith,  pour  postes 
avancés  l'île  de  Golm  au  fond  du  golfe  du  Forth  et  la  ville 
de  Dundee  sur  la  Tay  (6).  Par  une  brusque  attaque,  la 
flotte  anglaise   tenta   de  nous  déloger  de   notre   quartier- 

(1)  Brantôme,  t.  III,  p.  299. 

(2)  26  octobre  (B.  N.,  Fontanicu  259,  fol.  193.)  —Archives  nat.,K91, 
n"  10'). 

(3)  Lettre  de  Henri  II  à  Montmorency,  19  septembre  (Hetjlhard,  Villc- 
ga(jnon,  p.  46).  —  Lettre  de  Villegagnon  se  plaignant  de  n'être  pas  payé. 
Lislebourg,  2  février  1549  (B.  N.,  Franc.  20457,  p.  229). 

(4)  La  vie  de  plusieurs  grands  capitaines  français,  recueillis  par  M.  F.  de 
Pavie,  baron  de  Forquevaclx.  Paris,  1643,  in-t»,  p.  334. 

(5)  267,500  livres.  Ce  second  convoi  comprenait  100  chcvau-le'gcrs, 
600  hommes  de  pied  et  300  pionniers  [R.  N.,  Franc.  20510,  fol.  23; 
Franc.  18153,  fol.  68).  —  Vie  du  maréchal  Paul  de  La  Barthe,  sieur  de 
Termes  :  B.  N.,  Moreau  770,  fol.  50.  —  Paul  de  Termes  avait  été  nommé 
lieutenant-général  en  Ecosse  le  15  mai   1549  (B.  N.,  Franc.  3115,    fol.  68). 

(6)  Le  régiment  du  Rhingrave  était  de  1,500  Allemands  et  le  régiment  de 
La  Chapelle  de  3,000  aventuriers  français  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  68). 


.i42  HISTOIRE    DK    LA    MARIINE    FRAN(;AISE. 

général,  qui  couvrait  Edimbourg.  Mais  les  six  flouins  d  avaiil- 
gardc,  chargés  d'ouvrir  le  bombardement,  avaient  leurs 
canons  trop  au  ras  de  l'eau  et  leur  mire  trop  basse  pour 
atteindre  la  ville.  Une  batterie  de  trois  pièces,  qu'auraient 
soutenue  au  besoin  quatre  galères  et  une  soixantaine  de 
bateaux-pécheurs  armés  en  guerre,  eut  tôt  fait  de  repousser 
l'agression.  Les  Anglais  se  résignèrent  à  un  blocus. 

En  face  de  Leith,  se  trouvait  un  îlot  escarpé,  Inch-Keith, 
que  nos  gens  appelaient  l'Ile-aux-Chevaux  à  cause  de  ses 
gras  pâturages.  En  moins  de  quinze  jours,  l'ennemi  assit 
sur  la  cime  de  1  ile  un  fort,  que  des  précipices  environnaient 
de  trois  cotés  et  qui  commandait  les  rares  descentes  pos- 
sibles. Une  forte  garnison  y  fut  laissée,  et  la  flotte  anglaise 
se  retira  près  de  Berwick. 

Avant  de  passer  le  commandement  à  Paul  de  Termes, 
Montalembert  voulut  se  couvrir  de  gloire.  Le  colonel  de  La 
Chapelle  de  Biron,  chargé  de  reconnaître  l'île,  partit  sur  la 
galère  de  Villegagnon  et  s'approcha  à  portée  d'arquebuse  : 
comme  le  tirant  d'eau  de  la  galère  l'empêchait  de  serrer  la 
côte  de  plus  près,  il  descendit  sur  la  frégate  qui  servait  de 
vedette,  et  nota  noa  seulement  les  abords  du  fort,  mais 
encore  la  force  de  la  garnison. 

Tandis  que  les  galères,  commandées  par  Villegagnon  et 
par  le  clicvalier  Michel  de  Seurc,  successeur  du  capitaine 
Baccio  Martelli  (I)  dans  le  commandement  de  l'escadrille, 
décrivaient  un  grand  circuit  pour  se  porter  sur  les  der- 
rières de  l'ennemi,  des  bateaux  chargés  de  troupes  sor- 
taient de  Leith  et  gouvernaient  droit  sur  l'île.  Les  compa- 
gnies françaises,  énergiquement  enlevées  par  Montalembert 
d'Essé,  s'emparèrent  du  rivage  que  balayait  le  feu  des 
galères  et  refoulèrent  pied  à  pied  la  garnison  vers  la  cime 
du  mont.  Le  capitaine  anglais,  nommé  Gotton,  fut  tué;  ses 

(1)  Marlclli  avait  quitti'  1  l^^cos.'ic  en  avril.  Lettre  de  Marie  de  Lorraine, 
30  mars  (B.  N.,  Frani;.  20457,  p.   167). 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  443 

j',ens,  pris  de  panique,  lâchèrent  pied  et  se  réfugièrent  sur 
une  pointe,  où  ils  se  laissèrent  prendre  comme  des  mou- 
tons. Ils  étaient  cependant  huit  cents,  dont  sept  enseignes, 
avec  dix-huit  grosses  pièces,  et  nos  gens  sept  cents  à  peine, 
(^utre  l'artillerie  et  les  munitions,  Montalembert  d'Essé 
conquérait  une  grande  hourque  chargée  de  malvoisie,  de 
matelas  et  de  draps  de  toutes  sortes,  qui  venait  ravitailler 
le  fort.  Aussitôt  après  cet  exploit,  en  juillet,  Montalembert 
s'embarquait  pour  la  France,  laissant  le  commandement 
des  troupes  françaises  à  Paul  de  Termes  (1). 


II 

LA    RUPTURE    AVEC    L'ANGLETERRE 

Les  Anglais  devenaient  de  plus  en  plus  agressifs.  Dans 
Ihiver  de  1549,  leur  Hotte  avait  croisé  aux  abords  du  golfe 
du  Morbihan,  pour  couper  lune  de  l'autre  les  deux  divi- 
sions royales,  les  grosses  nefs,  à  Brest,  les  galères  de  Pietro 
Strozzi,  à  Nantes,  qui  s'apprêtaient  pour  l'Ecosse  (2)  :  elle 
avait  brûlé  Locmariaker,  saccagé  les  îlots  de  Houat  et 
Hacdic,  enlevé,  après  un  combat  de  deux  jours,  un  vais- 
seau de  Pouldavid  et  poursuivi  une  flottille,  qui  avait  pu 
se  ranger  sous  l'abri  des  canons  de  Belle-Isle  (3).  En  mai, 
elle  revenait  dans  la  Manche,  oii  dix-huit  de  ses  vais- 
seaux (4)  opéraient  une  concentration  menaçante  du  côté 

(  l)  Jean  dk  Bkatjgué,  Histoire  de  la  querre  d'Ecosse,  publiée  avec  un 
avant-propos  par  le  comte  de  Montalembert.  Bordeaux,  186-V,  in-i2,  p.  lit, 
125,  127,  142,  178,  185,  236,  245,  269,  274. 

^2)  Lettre  de  Pietro  Strozzi.  Nantes,  28  mars  1549  (B.  N.,  Franc.  20537, 
loi.  78).  —  GosSELis,  Docianents  pour  servir  à  i histoire  de  la  marine  iior- 
iininde,  p.  55. 

(3)  Lettre  d'André  de  Sourdeval  au  duc  d'Étampes.  21  février  (Dom 
MoRicK,  Mémoires  pour  servir  de  preuves  à  l'histoire  de  Bretagne,  t.  III, 
col.   1061). 

(4)  Liste  de  la  flotte  anglaise  au  22   mai  1549  :  onze   autres  bâtiments  de 


/t44  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

du  Cotcntin  (1).  Des  fortifications,  jetées  dans  Tîle  d'Au- 
rigny,  lui  constituèrent  une  base  d'opérations  excellente 
pour  «  guetter  le  pas  " . 

Tout  faisait  présager  une  rupture,  quand  une  vague 
ambassade  britannique,  en  juin,  vint  nous  proposer  d'apla- 
nir, par  une  «amvable  composition,  tous  différends.  »  Quel 
«venin  caché"  v  a-t-il  là,  se  disait  avec  inquiétude  Henri  II. 
Et  de  fait,  il  l'avait  deviné,  la  proposition  anglaise  n'était 
qu'un  bluff.  Sachant  combien  l'empereur  a  s'ébattait  "  à 
cette  guerre  d'Ecosse  et  qu  il  était  résolu  à  entraver  de 
tout  son  pouvoir  un  accord  entre  les  deux  rivaux,  le  secré- 
taire dEtat  William  Paget  était  allé  lui  poser  comme  un 
ultimatum  de  nous  déclarer  la  guerre;  sinon,  l'accord 
redouté  par  lui  serait  chose  faite.  Si  jamais  diplomate  eut 
à  mettre  en  jeu  toutes  les  ressources  de  son  art,  ce  fut 
notre  ambassadeur  à  Bruxelles,  Marillac.  Henri  II  vivait  de 
mortelles  heures  d'angoisse,  dans  la  crainte  d'une  inter- 
vention impériale,  lorsqu'une  dépêche  de  Marillac,  en  date 
du  2  août,  vint  enfin  le  rassurer  :  Charles-Quint  restait 
neutre.  Le  bluff  britannique  avait  échoué;  et,  le  8  août, 
nous  prenions  les  devants  sur  notre  ennemi  en  lui  décla- 
rant la  guerre  (2) . 

Toutes  les  mesures  étaient  arrêtées  dans  cette  éventua- 
lité. Le  Cotentin,  où  l'on  redoutait  que  se  prononçât  l'at- 
taque, était  en  état  de  défense,  les  postes  de  la  côte  avaient 
reçu  des  renforts.  On  construisait  en  toute  hâte  à  la  Fosse 
d'Omonville,    vis-à-vis    d'Aurignv.    un    fort    d'arrêt.    Les 


guerre  croisaient  dans  la  mer  du  Nord  (Archacolocjia,  t.  VI,  p.  218.  — 
OppEîiUEiM,  Historj  ofthe  administration  of  the  Royal  JSavy  (1509-1660). 
London,  1896,  in-8",  1.  I,  p.  100). 

(1)  Lettre  du  lieutenant  de  Granville,  27  juin  (Dom  Morice,  Ibidem, 
t.  III,  col.  1075). 

(2)  Cf.  la  correspondance  de  Marillac  avec  le  roi  et  le  connétable,  de 
février  à  septembre  1549  (B.  N.,  Franc.  3098  et  3099  :  Pierre  de  VaissiÈhe, 
Charles  de  Marillac,  p.  121). 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  445 

quatre  galères  de  Pierre  Bon  avaient  été  envoyées  en  re- 
connaissance du  côté  de  l'île  suspecte,  que  le  roi  croyait 
(i  voisine  de  La  Hogue  (1)  "  et  que  ses  courtisans  pensaient 
proche  de  Gaen  (2).  L'amiral  d'Annebault  se  tenait  en  per- 
manence à  La  Hougue,  prêt  à  repousser  une  agression 
soudaine  venue  de  l'île  a  attendu  qu'il  y  a  si  peu  de  des- 
troit  à  passer  (3).  »  Et  le  capitaine  de  marine  François  Le 
Clerc  élevait  une  tour  de  défense  dans  l'île  Talihou  (4). 

Dans  une  lettre  touchante,  Henri  II  avait  supplié  Vil- 
legagnon  de  lui  ramener  intacte  son  escadre  de  quatre 
galères,  dont  la  France  avait  un  impérieux  besoin  (5).  Vil- 
legagnon  et  Montalembert  d'Essé,  sans  perdre  un  moment, 
quittèrent  Leith  :  enveloppés  par  la  flotte  anglaise  de  beau- 
coup supérieure  en  nombre,  ils  couraient  le  plus  grand 
danger,  lorsque  le  feu  prit  aux  poudres  d'une  des  roberges 
ennemies,  qui  sauta.  Ils  proHlèrent  du  désarroi  pour  s'es- 
quiver (6)  et,  après  neuf  jours  de  traversée,  ils  gagnaient 
Dieppe  (7j.  Le  21  juillet  1549,  Villegagnon  ralliait  au 
Havre  une  flotte  en  formation  sous  le  commandement  de 
Leone  Strozzi,  général  des  galères.  Aux  dix  galères  et  aux 
huit  navires  légers  de  la  flotte,  l'annexion  d'un  transport 
chargé  d'outils,  de  hottes,  de  briques  et  de  munitions  lais- 
sait assez  deviner  le  but  de  la  croisière  (8) . 


(1)  Instructions  de  Henri  II  au  sieur  Contay.  7-9  juillet  (B.  N.,  Clai- 
rambault  342,  fol.  151,  153). 

(2)  Lettre  de  Villars  à  Du  Bouchage.  22  juin  (B.  N.,  Clairambault  340, 
fol.  205). 

(3)  Instructions  de  Henri  II  citées. 

(4)  François  Desrues,  apud  Société  des  aiitir/.  de  Noi-maiiclie,  t.  XXXII 
(1895),  p.  24. 

(5)  Lettre  de  Henri  II  à  Villegagnon.  23  juin  (Collection  Belcarres  à 
Edimbourg  :  lettre  publiée  par  Francisque  Michel,  Les  Ecossais  en  France 
et  les  Français  en  Ecosse,  t.  I,  p.  459,  note  3). 

(6)  Jean  Du  Tillet,  Chronicjue  des  Boys  de  France  (1551),  fol.  127. 

(7)  BoucHET,  Annales  d'Aquitaine,  année  1549  :  A.  Heulhard,  Villega- 
gnon, 7'oi  d'Amérique,  p.  46. 

(8)  Dix   galères  de   Montagu,   Villegagnon,  Pierre   Bon,    Seure,    Carcès, 


'(46  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

L'expédition  se  dirigeait,  à  travers  l'archipel  anglo-nor- 
mand, vers  une  roche  «  terriblement  haulte  et  d'horrible 
regard"  (I),  «  l'ilc  des  forbans,  des  larrons,  des  brigands, 
des  meurtriers  et  assassineurs,  tous  extraits  du  propre  ori- 
ginal des  basses  fosses  de  la  Conciergerie  (2)  d  ,  C'est  de 
cette  étrange  façon  que  Rabelais  stigmatise  l'île  de  Sercq. 
Les  abords  en  étaient  si  difficiles  qu'un  de  nos  galions,  la 
Fécampoise,  chargé  de  munitions  et  d'artillerie  pour  forti- 
fier la  place,  y  avait  fait  naufrage  f3).  Fâcheuse  aventure, 
que  le  capitaine  de  la  Fécatupoise,  François  le  Clerc  (4),  dit 
Jambe  de  Bois,  mit  à  profit,  pviisqu'il  devint  le  guide  du 
général  des  galères. 

Le  27  juillet,  quatre  cents  hommes  débarquaient  à  Sercq, 
sous  le  commandement  du  capitaine  breton  François  Du 
Breil  (5)  ;  ils  transformèrent  Tile  en  une  véritable  forte- 
resse, en  hérissant  de  fortins  les  rares  échancrures  de  la 
cote  :  la  rade  de  rÉperqucric.  l'entrée  de  la  Coupée  et  le 
promontoire  qui  domine  la  baie  de  Dixcart.  Dans  une  anse 
qui  doit  son  nom  à  des  sécheries  de  poissons,  le  blockhaus 
de  l'Eperquerie  servait  de  réduit  central  :  entouré  de 
fossés   profonds,   il  communiquait   avec    le    havre    par  un 


Marsay,  La  Gripièrc,  Baccio  Martclli,  navires  de  François  Le  Clerc,  Gillet 
Anger,  Simon  Guillou,  llogcr  Cuqucnielle,  Robert  Le  Conte,  Guillaume 
Hérault,  Thomas  Martin,  tlouins  xlieppois  des  sieurs  de  Raffauville  et  Har- 
naville.  Le  Havre,  21  juillet  1549  (B.  JN.,  Franc.  3118,  fol.  11,  15,  26) 
—  La  galère  du  j)rieur  de  Capoue  dans  le  Ponant  était  une  quadrirèmc. 
Quittance  de  Leone  Slrozzi,  15  février  1549  (B.  N.,  Pièce  orig.  2730,  doss. 
Strozzi,  p.  6). 

(1)  Lettre  de  Cornil  Scepperus.  1553  (Bullcliii  de  i Académie  de  Bruxelles, 
t.  XL,  p.  ^5Z,  note). 

(2)  Rabelais,  Pantagruel,  1.  III,  24  :  cf.  Abel  Lefraxc,  Les  navigations 
de  Pantagruel.  Paris,  1905,  in-8",  p.   163. 

(3)  Jean  du  Tili.et,  La  chronique  des  lioys  de  France  (éd.  1551), 
fol.  125  V". 

(4)  B.  ^.,  Franc.  18153,  fol.  34. 

(5)  «  Estât  des  vivres  et  artilleries  livrés  en  l'isle  de  Sercq.  «  Sercq, 
27  juillet  (B.  N.,  Franc.  3J18,  fol.  11,  26).—  Le  comte  de  Palys,  Le  capi- 
taine Breil  de  Bretagne  (1503-1583).  Rennes.  1887,  in-8". 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  447 

large  chemin  couvert  1  j.  Dix  canons  de  galères  formaient 
Tartillerie  de  la  place  (2  . 

L'escadre  du  capitaine  Wvntcr,  inférieure  à  la  nôtre, 
puisqu'elle  n'était  montée  que  de  deux  mille  hommes,  ne 
fit  aucune  tentative  pour  nous  entraver  (3).  Bien  mieux, 
elle  se  laissa  surprendre,  le  31  juillet,  à  l'aube,  par  le 
prieur  de  Gapoue.  Elle  était  alors  dans  le  port  Saint-Pierre 
à  Guernesey  :  les  officiers  pour  la  plupart  dormaient  à 
terre  et  les  vaisseaux  en  rade,  quand  le  canon  commença  à 
tonner.  Sous  nos  bordées  répétées,  les  bâtiments  éventrés 
sombraient;  le  vaisseau  amiral,  la  Mignonne,  allait  suc- 
comber à  son  tour;  et  des  Anglais,  il  ne  fut  pas  échappé  un 
seul  homme,  si  le  château  ne  les  avait  protégés  de  son  feu. 
Nos  gens,  décimés  à  leur  tour,  durent  se  replier;  une 
galère  coulant  bas,  mais  soutenue  par  deux  compagnes, 
parvint  à  se  traîner  jusqu  à  Sercq  (4).  Une  autre  emporta 
en  toute  hâte  les  blessés  à  Rouen  (5). 

Leone  Strozzi  pénétra  ensuite  dans  la  baie  de  Boulay,  à 
Jersev  :  une  compagnie  de  débarquement  marcha  sur  le 
village  de  Trinité,  où  elle  brûla  la  maison  du  justicier  juré. 
Après  une  relâche  de  quelques  jours  à  Saint-Malo,  le  prieur 
de  Gapoue  passait,  le  8  août,  à  Sercq,  v  laissait  une  frégate 
et  deux  cents  hommes  de  renfort  aux  ordres  du  frère  cadet 
de  Breil  (6),  et  se  dirigeait  vers  le  pas  de  Calais. 

(1)  Dupont,  Histoire  dit  Coleutin  et  de  ses  îles,  t.  III,  p.  302. 

(2)  Chaque  galùrc  avait  débarqué  un  canon,  une  bâtarde  ou  une  coule- 
vrine  (B.  N.,  Fram;.  3118,  fol.  11,  26). 

(3)  Ledyard,  Histoire  navale  d'Angleterre,  t.  I,  p.  343. 

(4)  Lettres  de  Scepperus,  27  septembre  1553;  à  Strozzi,  cette  lettre  joint 
à  tort  l'aniiial  d'Annebault  et  le  baron  de  La  Garde  (Bulletin  de  V Académie 
de  Belgique,  t.  XL  (1875),  p.  854,  note). 

(5)  Jean  Dr  Tilf.et,  La  chronique  des  Bojs de  France,  fol.  128.  —  Chro- 
nique des  îles,  p.  68.  —  Dupont.  Histoire  du  Cotentin,  t.  III.  [>.  300.  — 
Thomae  Cormerii,  Alenconii,  Reruin  gestarum  Henrici  H,  régis  Galliae, 
libri  quinque.  Parisiis,  1584,  in-fol.,  fol.  42  v°. 

(6)  8  aoiit  1549  (B.  1S\,  Franc.  20510,  fol.  31). 


448  HISTOIRE    DE    LA    MARIÎNE    FRANÇAISE. 

III 

LE    SIÈGE    DE    BOULOGNE 

Henri  II  avait  entrepris  d'arracher  Boulogne  à  l'Angle- 
terre. Le  17  août  1549,  lors  de  son  arrivée  au  camp,  à 
Montreuil,  un  héraut  impérial  vint  lui  interdire  de  toucher 
à  Calais  —  possession  anglaise  d'ancienne  date,  —  sous 
peine  d'être  traité  comme  un  u  jeune  homme  »  :  et  moi, 
j'accommoderai  votre  maitre  «  en  vieux  resveur  " ,  riposta 
Henri  II  (1).  On  conçoit,  dans  ces  conditions,  quelle  fut 
l'anxiété  de  la  population  de  Middelbourg,  en  Zélande, 
quand  apparurent  onze  galères  de  Leone  Strozzi  :  l'escadre 
y  avait  été  poussée  par  un  coup  de  vent  ;  mais  ce  qui  n'était 
qu'un  accident,  parut  une  réponse  à  linsolent  procédé  de 
l'empereur  (2).  Au  retour,  et  comme  par  bravade,  Strozzi 
enleva,  en  vue  même  de  Calais,  plusieurs  bâtiments  bri- 
tanniques chargés  de  soldats  flamands,  de  vivres  et  de 
munitions  (3). 

Du  côté  de  terre,  pour  isoler  Boulogne  de  Calais,  l'armée 
du  roi,  du  connétable  Anne  de  Montmorencv  et  du  duc 
François  de  Guise  attaquait  et  enlevait  du  22  au  26  août 
les  lignes  de  la  Slack,  Marquise,  le  fort  Slack  à  l'embou- 
chure de  la  rivière  et  le  port  d'Ambleteuse.  En  dépit  de  ses 
quatre    bastions    et   d'une    garnison    de    six    compagnies, 

(1)  ViEiLLEviLLE,  p.  98.  —  F.  Decrue,  Àuiie,  duc  de  Montmorency, 
p.  83. 

(2)  Dépêche  de  Marillac  au  connétable.  Bruxelles,  5  septembre  (B.  N., 
Cinq-Cents  Colbert  288,  fol.  262). 

(3)  Jean  Dd  Tillet,  La  Chronùjue  des  Roys  de  France  (1551),  fol.  124  v". 
—  Dès  le  mois  de  juin,  des  corsaires  commandés  par  Compiègne  étaient 
sortis  en  croisière.  Lettre  de  Compiègne  à  Montmorency  de  La  Roche- 
pot.  Dieppe,  17  juin  (Catalogue  de  livres  et  autographes,  n"  107,  librairie 
Dumont.  Paris,  juin  1900,  n"  2788). 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  449 

Ambleteuse  s'était  rendue  dès  les  premières  volées  de 
canon  ;  le  fort  Blackness,  moins  près  du  cap  Blanc-Nez, 
malgré  son  nom,  que  du  cap  Gris-Nez,  capitulait  de  même; 
il  fut  occupé  par  Jean  de  Sénarpont,  tandis  que  le  com- 
mandement d'Ambleteuse  était  remis  à  Gaspard  deColigny- 
Châtillon  (1). 

Ces  précautions  prises  dans  le  nord,  l'armée  du  conné- 
table entama  le  siège  de  Boulogne,  en  ouvrant  des  tran- 
chées au  sud,  sur  la  rive  gauche  de  la  Liane.  Ses  lignes 
s'étendaient  depuis  le  fort  d'Outreau,  en  face  de  la  ville, 
jusqu'au  fort  de  Châtillon,  que  Vicilleville  et  Goligny-Ghâ- 
tillon  construisirent  pour  battre  l'entrée  du  port  et  tirer 
sur  la  tour  d'Ordre.  On  peut  s'en  rendre  compte  par  a  il 
vero  ritratto  di  Bologna,al  présente  assediato  dal  Ghristia- 
nissimo  re  di  Francia  " ,  belle  gravure  d'Henricus  Van 
Scholl  (2). 

Mais  les  assiégés  n'étaient  point  pris  au  dépourvu.  Sous 
l'active  impulsion  du  vice-amiral  Clinton,  ils  avaient 
complété  la  défense  par  deux  ouvrages  nouveaux  :  un  fortin 
de  briques,  appelé  le  Paradis  ou  le  Jeune  Homme,  par 
opposition  au  Vieil  Homme  de  la  tour  d'Ordre  qu'il  reliait 
à  la  citadelle,  couvrait  au  nord-ouest  le  port  et  la  ville 
basse.  Une  muraille  de  cent  pieds  de  long,  haute  de  vingt- 
six,  garnie  de  casemates  et  de  batteries  avec  une  garnison 
de  cent  hommes,  s'avançait  en  pointe  à  l'entrée  du  chenal, 
afin  d'abriter  les  vaisseaux  anglais  contre  les  feux  de  notre 
fort  de  Châtillon  (3).  Cette  dunette,  en  blocs  massifs  arra- 

(1)  Lettre  du  duc  de  Guise.  Du  camp  près  d' Ambleteuse,  28  août  (Bul- 
letin du  comité  des  travaux  historiques  (1891),  p.  35).  —  Décrue, 
p.  84.  —  Lettre  du  30  août  (B.  N.,  Clairambault  343).  —  Ribier, 
t.  II,  p.  241. 

(2)  Reproduite  dans  le  magnifique  Album  historique  du  Boulonnais,  de 
M.  A.  DE  RosNY.  Paris,  1893,  in-fol.  long.  —  Cf.  également  Correspon- 
dance politique  d'Odet  de  Selve,  p.  237,  note. 

(3)  Ainsi  Henri  II  lui-même  avait  fait  braquer  le  canon  sur  trois  vais- 
seaux anglais,  chai'gés  de  vivres  et  de  munitions,  qui  tentaient  de  ravitailler 

III.  29 


450  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

chés  à  la  colline  que  surplombait  la  tour  d'Ordre,  semblait 
ù  l'épreuve  du  canon.  Le  plan  d'attaque  comportait  pour- 
tant sa  destruction  au  moyen  d'une  batterie  de  six  pièces, 
tandis  qu'on  essaierait  de  couler  dans  le  chenal,  pour 
(i  l'estoupper  1) ,  de  vieux  vaisseaux  remplis  de  pierres  (1). 
Simultanément,  on  donnerait  l'assaut  aux  deux  positions 
qui  dominaient  le  port  et  servaient  de  «  bouclier  à  la 
Haulte-Boulloigne  II ,  à  la  tour  d'Ordre  et  au  Paradis  (2). 

Mais  le  Vieil  Homme  était  un  redoutable  adversaire,  qui 
usa  les  efforts  du  jeune  roi.  Au  bout  de  trois  semaines, 
Henri  H  leva  le  camp;  et  le  siège  se  transforma  en  un 
blocus  (3),  que  dirigèrent  le  lieutenant  général  Gaspard  de 
Coligny  et  le  capitaine  Nicolas  de  Villegagnon,  nommé 
surintendant  des  galères  et  autres  vaisseaux  en  la  côte  de 
Boulonnais.  Les  galions  des  capitaines  Saint-Sauveur  et 
La  Roche,  pourvus  d'artihciers  pour  incendier  au  besoin 
les  transports  anglais,  se  tinrent  en  observation  à  Amble- 
teuse  (4)  ;  deux  galères  remplirent  le  même  office  dans  le 
sud,  à  Etaples  (5) . 

Au  lieu  de  bloquer  à  distance  le  port  de  Boulogne,  une 
mesure  radicale  eût  été  de  l'obstruer,  comme  on  y  avait 

la   tour  d'Ordre   (Jean  Bouciiet,   Annales  d'Ar/uituine,   éd.    1644,  p.  590). 
(i)   Lettre   du  duc    de    Guise   du    28  août    citée.    —  Jean   Du   Tilleï, 
fol.  124  v°. 

(2)  "  L'advis  de  la  qualité  de  ceux  qui  sont  dedans  Boullongne  »  (B.  N., 
Franc.  3127,  fol.  42). 

(3)  «Double  d'une  lettre  missive  envoyée  par  le  seigneur  Nicolas  Nicolaï, 
géographe  du  roy,  à  Mgr  du  Buys,  vice-baillif  de  Vienne,  contenant  le  Dis- 
cours de  la  guerre  faicte  par  le  Roj  nostre  Sire,  Henry  deuxiesme  de  ce 
nom,  pour  le  recouvrement  dit  pays  de  Boulon gnoys,  en  l'an  mil  cinq  cens 
quarante  neuf.  Lyon,  1550,  in-4''  ». 

(4)  Selon  marché  passé  en  octobre  par  Villegagnon,  chaque  galion  devait 
avoir  30  u  tant  mariniers  que  ofliciers  et  gens  d'artiftice,  pour  la  conduicte 
et  dcffense  d'iceulx,  oultre  le  nombre  de  gens  de  guerre  qu'il  plaira  y  mettre 
de  renfort.  "  Mandat  de  paiement  de  Coligny  et  certificat  de  Villegagnon. 
Ambletcuse,  8  novembre  et  22  décembre  1549  (B.  N.,  Franc.  27297, 
Pièces  orig.  813,  doss.  Coligny,  pièce  42  :  Collection  A.  de  Rosny,  à  Bou- 
logne). —  Ces  galions  tirent  des  prises  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  148). 

(5)  Lettre  de  Coligny.  22  janvier  1550  (B.  N.,  Franc.  6616,  fol.  144). 


INTERVENTION    EN    ECOSSE.  451 

songé  dès  le  début  et  comme  Villegagnon  y  songeait  tou- 
jours, à  telle  enseigne  qu'il  apprêtait  de  vieilles  galères 
remplies  de  maçonnerie.  De  Dieppe,  le  lieutenant  d'Ango 
lui  envoya  trois  bateaux;  François  de  Montmorency  de  La 
Rochepot  prêta  son  aide;  à  l'estime  du  surintendant,  il 
suffisait,  pour  aboutir,  d'être  maître  de  la  mer  l'espace 
d'une  marée  (1).  Mais  décembre,  janvier  s'écoulèrent,  sans 
que  Villegagnon  pût  mener  à  bien  une  entreprise  que  son 
collègue,  Coligny,  jugeait  impraticable  (2). 

Gaspard  de  Coligny  avait  de  son  côté  pour  objectif  de 
ruiner  la  Dunette.  Cet  îlot  fortifié  était  encore  intact  à  la 
date  du  26  janvier  1550,  ainsi  qu'en  témoigne  un  curieux 
dessin  achevé  ce  jour-là  (3).  Mais  sous  le  feu  violent  de 
l'artillerie  du  fort  Châtillon,  la  Dunette  ne  tarda  point  à 
tomber  en  ruines  (4) . 

L'investissement  complet  de  Boulogne  était  imminent, 
les  marchés  pour  le  ravitaillement  de  l'armée  de  siège 
étaient  déjà  passés  (5),  quand  des  pourparlers  s'engagèrent 
avec  les  Anglais.  Pour  ravoir  Boulogne,  on  ne  se  battit 
pas,  on  traita  en  février,  on  paya  en  mars  (6)  :  le  rachat 
de  la  ville  fut  de  400.000  livres,  moitié  de  ce  qu'il  aurait 
coûté  aux  termes  des  conventions  de  1546.  L'Ecosse,  com- 
prise dans  le  traité,  respirait  enfin;  six  galères,  aux  ordres 
du  prieur  de  Capoue,  allèrent  quérir  notre  vaillante  alliée; 
la  régente,  accompagnée  du  lieutenant-général  Paul  de 
Termes,  débarquait  à  Dieppe  le  19  septembre  1550.  Sous 
couleur  d'un  voyage  d'agrément  pour  revoir  sa  fille,  Marie 

(i)  Mémoire  de  Villegagnon  au  duc  d'Auuiale  envoyé  en  Boulonnais. 
Sainl-Gerniain-en-Laye,  2  décembre  1549   (B.  N.,  Franc.    20577,  fol.    33). 

(2)  Lettre  de  Coligny  citée,  du  22  janvier. 

(3)  Et  publié  dans  le   niagnitique  Album    histori(]ue  du  Boulonnais,  de 

M.   A.    DE  ROSNY,    pi.    XVU. 

(4)  D'Hautefeuille  et  BÉnard,  Histoire  de  Boulogne,  t.  I,  p.  266. 

(5)  27  janvier  1550  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  142). 

(61  24  mars  (Boucuet,  Annales  d'Aquitaine,  p.  592.  —  Hecluard,  Fi7- 
lecja())ion,  p.  50). 


452  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

de  Guise  venait  demander  à  Henri  II  les  moyens  de  main- 
tenir en  Ecosse  la  suprématie  de  la  politique  française  (1). 


(1)  Francisque  Michel,  Les  Ecossais  en  France,  t.  I,  p.  471.  —  Dix 
compagnies  françaises  et  gasconnes,  aux  oi'dres  du  colonel  de  La  Chapelle- 
Biron,  restèrent  tenir  garnison  en  Ecosse.  Octobre-décembre  1550  (B.  N., 
Franc.  4552,  fol.  50). 


HENRI   II 

PRÉCURSEUR  DE  GOLBERT 


La  marine  de  guerre  dont  avait  hérité  Henri  II  était 
dans  un  état  lamentable.  Le  matériel  valait  peu,  le  moral 
moins  encore.  Tristes  fruits  des  scandaleux  exemples 
donnés  par  trois  officiers  à  la  solde  du  Portugal  et  de 
l'Angleterre,  par  1  amiral  Chabot,  le  vice-amiral  Lartigue 
et  le  capitaine  Auxilia,  la  concussion  était  partout,  les  dis- 
sensions incessantes;  à  Fanarchie,  aucun  frein;  au  dé- 
sordre, aucun  contrôle.  Il  y  avait  des  contrôleurs  de  la 
marine  :  et  "  les  voleries  des  ministres  "  parvenaient  à 
réduire  de  moitié  l'armée  levée  pour  l'invasion  de  l'Angle- 
terre (1).  Les  commandants  de  l'expédition  d'Ecosse,  Mont- 
gommery  et  Chàteau-Ghalon,  se  querellaient  en  présence 
de  nos  alliés;  et,  en  face  de  l'ennemi,  le  général  des  galères 
jetait  son  gant  à  la  figure  d'un  de  ses  officiers.  La  paix 
venue,  une  soixantaine  de  nos  meilleurs  marins,  le  capi- 
taine Jean  Ribaut,  l'hydrographe  Rose,  les  cosmographes 
Sécalart  et  Nicolav  prirent  du  service  en  Angleterre.  Il 
fallut  user  de  subterfuge  pour  les  rapatrier  (2). 

(1)  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens  (Coll.    des   doc.    inédits),  t.    I, 
p.  337. 

(2)  Sécalart,    stylé    par    Odet    de    Sclve,    notre    audjassadeur,    ramassa   à 
Southainpton   tous  ses   compatriotes  pour  les  rapatrier.    Et  Ribaut    s'évada 


454  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Do  cl(''ploral)les  aventures  avaient  dissipé  la  belle  escadre 
des  vaisseaux  du  capitaine  Claude  dans  le  simple  passage 
de  Marseille  au  Havre,  parce  que  le  commandement  avait 
été  donné  à  la  faveur  et  non  au  talent.  Quant  aux  };alères, 
François  I",  avec  sa  prodigalité  habituelle,  avait  fait  cadeau 
de  deux  des  plus  neuves  au  duc  de  Savoie,  oubliant  qu'elles 
n'étaient  point  à  lui,  mais  à  un  de  ses  capitaines  fl)  ;  et  il 
avait  cassé  aux  gages  les  galères  du  Ponant  (2). 

Au  lendemain  des  formidables  armements  dirigés  contre 
l'Angleterre,  nos  côtes  du  Ponant  étaient  à  la  merci  de 
l'ennemi.  Chargé  en  154()  d'inspecter  la  défense  du  littoral 
breton,  le  grand  architecte  Philibert  de  Lorme  constata 
partout,  à  Saint-Malo,  à  Concarneau,  à  Nantes,  la  négli- 
gence et  le  "  maulvais  ménaige  "  des  capitaines.  A  Hresl, 
Chàteau-Chalon  La  Chatière  avait  enlevé  Tartillcrie  du 
château  dont  il  avait  la  garde,  pour  en  garnir  ses  propres 
navires,  armés  en  course.  Par  une  prise,  rcnncmi  apprit 
le  déplorable  état  de  la  place,  devant  laquelle  parurent 
bientôt  soixante  bâtiments  anglais.  Sans  les  précautions 
du  vaillant  ingénieur,  l'artillerie  traînée  aux  remparts,  la 
fausse  artillerie  exposée  en  montre,  la  population  de  Brest 
assemblée  au  tocsin,  notre  grand  port  de  guerre  était 
emporté  ÇA). 

c]c  Londres  avec  sept  ou  liuit  inarijis,  sous  prétexte  trallcr  enlever  à  Dieppe 
un  de  ses  fils  séquestré  par  Ango.  1547  (^Correspondance  d'Odct  de  Selve, 
éd.  Germain  Lefèvre-Pontalis  (1889),  p.  42,  84,  117,  243). 

(1)  Henri  II  dut  rembourser  de  ce  clief  7J,700  livres  au  capitaine  Cabas- 
soles  (B.  N.,  Franc.  11969,  fol.  369). 

(2)  En  conséquence,  l'architecte  Philil)ert  de  ]>oruie  et  le  président  du 
parlement  de  Rouen  mirent  en  liberté  540  forçats  (cf.  la  note  suivante). 

(3)  Instruction  de  M.  d'Ivrv,  dit  de  Lorme,  publiée  par  Berty,  Les  grands 
architectes  français  de  la  Renaissance.  Paris,  1860,  in-8",  p.  51. 


HENRI    II    PRECURSEUR    DE    COLBERT.  453 

I 

UNE  FLOTTE   MODÈLE 

Henri  II  n'eut  rien  de  rinsouciance  et  de  l'inconstance 
paternelles.  Et,  povir  la  marine,  ce  fut  le  précurseur  de 
Golhcrt.  Dès  le  début  de  son  rcj^ne,  il  avait  arrêté  un  vaste 
plan  de  constructions  navales,  dont  il  poursuivit  l'exécu- 
tion, à  travers  les  vicissitudes  de  la  guerre,  avec  un  esprit 
de  suite  admirable  et  une  comprébension  de  notre  rôle 
maritime  que  n'avait  eue  aucun  Valois.  »  Considéré  que 
l'une  des  principallcs  choses  dignes  de  nostre  grandeur, 
disait-il,  c'est  d'estre  fort  et  grossement  équippé  par  la 
mer,  nous  avons  advisé  de  faire  fère  ung  bon  nombre  de 
vaisseaulx  ronds  en  la  mer  de  Ponant  et  quarante  gallères 
en  celle  de  Levant,  oultre  ce  cpie  nous  avoit  laissé  feu 
nostre  seigneur  et  père  (1).  "  On  mit  donc  d'un  seul  coup 
en  chantier,  à  Marseille  et  Toulon,  vingt-six  galères  (2), 
escadre  homogène  et  d'une  mobilité  d'effectifs  telle  qu'elle 
pût  porter  indifféremment  tout  son  effort  dans  la  Manche 
ou  dans  la  Méditerranée.  Les  instructions  royales  conte- 
naient en  effet  ceci  : 

(i  Le  Roy  ayant  dellibéré  et  résollii  d'entretenir  armée  de 
gallaires,  non  seulement  pour  deffendre  ses  lieux  et  places 
maritimes,  mais  aussi  pour  offendre  oii  et  ainsi  que  l'oc- 
casion se  pourroit  offrir  et  présenter,  aura  tant  en  Ponant 
que  en  Levant,  es  portz  de  Nantes  et  Marseille,  jusques  au 
nombre  de  quarante  gallères...  Et  auront  tousjours  les  cap- 

(1)  Lettres  patentes  datées  de  Fontainebleau,  13  septembre  15V7  (B.  N., 
Franc.  25724,  pièce  11). 

(2)  2  juin  1547  (Bibliotbèque  du  dépôt  des  cartes  et  plans  de  la  marine, 
87",  t.  I,  p.  27).  — -  Compte  des  trésoriers  de  la  marine  (B.  N.,  Franc. 
17329,  fol.  194). 


45<>  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

pilaincs  les  corps  et  ëquippaiges  de  leurs  gallaires  désar- 
mées, prestz  et  fourniz  toutes  et  quantes  foiz  que  ledit  sei- 
gneur s  en  vouldra  servir,  soit  en  Levant  ou  en  Ponant, 
sans  user  d'autre  délay  que  le  temps  pour  conduire  la 
cheurme  d  une  mer  en  l'autre,  quarentejours  au  plus  (1).  » 

Si  le  budget  ordinaire  de  la  marine,  réglé  par  ordon- 
nance royale,  ne  comportait  pas  un  nombre  plus  grand  de 
galères,  soit  trente  en  Levant  et  dix  en  Ponant  [2),  1  une  et 
l'autre  escadres  disposaient  d  une  division  de  réserve.  Dans 
un  cas  d'urgence,  quarante-deux  galères  ou  galiotes  s'ali- 
gnèrent eu  rade  de  Marseille  fSj,  cependant  que  vingt 
autres  croisaient  dans  le  Ponant;  la  revue  passée  par 
1  argousin  royal  en  fait  foi  (4) .  Disséminées  partout,  à 
Bayonne  (5),  Rouen,  Edimbourg,  celles-ci  avaient  comme 
arsenal  un  simple  hangar,  construit  dans  la  cour  du  Vieux- 
Palais  à  Rouen.  Leone  Strozzi,  en  les  ramenant  au  chiffre 
réglementaire  de  dix  galères,  eût  bien  voulu  renforcer  du 
surplus  la  flotte  méditerranéenne,  qu  un  projet  audacieux 
portait  à  soixante  galères,  dont  cinquante  eussent  été 
entretenues  à  effectifs  réduits  (6)  ;  mais  le  roi  refusa  de 
donner  autre  chose  que  les  chiourmes  des  bâtiments  dé- 
sarmés (7). 

(i)  Début  d'une  ordonnance  de  Henri  II  u  sur  le  faict  des  gallères  « 
(B.  ]\.,  Franc.  i9065,  fol.  137). 

(2)  «  Ordonnance  faite  par  le  roi  sur  le  fait  des  gallères,  tant  de  la  nier 
de  Levant  que  de  Ponant,  n  Dijon,  12  juillet  1548.  Elle  affectait  30  galères, 
1  galiote,  1  fuste  et  2  frégates  au  Levant,  10  galères  et  1  frégate  au  Ponant 
(B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  38  v°). 

^^3}  Suivant  les  instructions  de  Henri  II  à  Strozzi,  28  juillet  1548  ^B.  N., 
Franc.  3050,  fol.  108  . 

(4)  Certificat  de  largousin  Jean  de  La  Motte  dénombrant  les  galères  étant 
pour  le  service  du  roi  en  Ponant,  en  Bretagne,  Normandie  et  Ecosse,  27  oc- 
tobre 1548  ,B.  X.,  Franc.  26132,  pièce  211). 

(5)  1548  (B.  A.,  Franc.  26132,  p.  265\ 

(6)  Stolouovne  [B.  ]X.,  Franc.  2133,  fol.  38  v°). 

(7)  Réponse  de  Henri  II  au  mémoire  de  Strozzi.  Saint-Germain-en-Laye, 
6  janvier  1549  ,B.  A'.,  Franc.  18153.  fol.  52). 


HEMU    II    PRECURSEUR    DE   COLBERT.  457 

C'est  que  Henri  II,  imbu  de  lidée  de  «  se  mettre  sur 
mer  aussi  fort  pour  le  moins  que  ses  ennemys  fl)  " ,  voulait 
être  en  mesure  de  faire  face  aux  cinquante  bâtiments  de 
guerre  de  la  marine  britannique  (2).  En  quoi  il  réussit 
pleinement.  Aux  grosses  nefs  Maîtresse.  Cardinale,  Ché- 
riffe,  Fécampoise,  aux  galions  Saint-Jean,  Saint-Jacques 
et  Saint-André  que  lui  laissait  son  père  3;,  il  ajouta  cinq 
grands  vaisseaux  neufs,  sortis  en  mars  1549  des  chantiers 
normands  de  Bcaurepos  et  de  Tancarville.  Leur  construc- 
teur, Jean  de  Glamorgan,  conduisit  à  Brest  l'Hermine,  le 
Henry-le-Grand,  le  Normand  et  la  Négresse  pour  former, 
avec  la  Maîtresse  et  la  Cardinale,  une  division  homogène 
de  grands  vaisseaux  i  .  Aux  galions  restés  en  Norman- 
die (5),  s'adjoignit  une  escadre  de  croiseurs,  dont  le  roi 
annonçait  en  ces  termes  la  création  :  «  J'espère  pourveoir 
à  la  construction  et  équipaige  dune  vingtaine  de  roherges, 
oultre  les  aultres  vaisseaux  de  guerre  que  j'ay  desjà  (6).  d 

Ces  bâtiments,  mis  dans  leurs  bers  à  l'automne  de  1549, 
devaient  être  livrés  au  printemps  de  Tannée  suivante.  Des 
marchands  de  Dieppe,   Gabriel  de  Bures,  gendre  d'Ango, 

(1^  Lettre  de  Henri  II  au  roi  de  2Savarre,  25  octobre  1549  (Champollion- 
FiCKAT,  Mélanges  hiatoriqucs.  dans  la  Collection  des  documents  inédits, 
t.  III,  p.  600). 

(2)  Liste  de  la  flotte  rovale  d'Angleterre  au  5  janvier  1548  :  32  vaisseaux 
jaugeant  ensemble  10,600  tonnes^  1  galère,  13  row-barges,  4  barques  (Ar- 
chœologia,  t.  VI,  p.  218.  —  Oppenheim,  Hixtoiy  of  the  Administration  of 
the  Royal  Navy.  London,  1896,  t.  I,  p.  100). 

(3)  Liste  de  cette  escadre  au  6  mars  1547  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  34). 
^4)  GosSELix,   Documents  inédits  pour  servir   à    l'histoire   de    la  marine 

nonnande,  p.  55.  —  Jean  De  Tillet,  La  Chronique  des  Boys  de  France, 
appendice. 

1^5)  Henri  II  entretint  douze  garde-cotes  en  Normandie,  dont  le  Saint- 
Jean,  capitaine  Jean  de  Glamorgan,  premier  capitaine  en  la  marine  de 
Ponant.  l'Aventureux,  capitaine  Guyon  dEstimauville,  le  Claude,  capi- 
taine François  Le  Clerc,  l'Esj)érance,  capitaine  La  Chapelle,  le  Sacre, 
capitaine  Bassefontaine,  le  Sacret,  capitaine  L'aisné  La  Roche,  le  Chériffe, 
capitaine  Charles  Jauldin  de  Caumont  Guillaume  de  Marceh.les,  Mémoires 
de  la  fondation  de  la   Ville  Françoise,  p.  27). 

(6)  Lettre  au  roi  de  Navarre,  citée,  25  octobre  1549. 


458  HISTOIIIE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Jean  Rose,  riiydrographe,  et  Jean  de  Montpeley,  avaient 
passé  marché  pour  quatre  roberges  ;  Biaise  Fructier  du 
Croissant,  pour  autant;  Marin  de  Marcille  et  le  capitaine 
François  Le  Clerc  (l)  en  avaient  soumissionné  deux  autres. 
Brest,  Saint-Malo  (:2),  Rouen,  Bordeaux  eurent  chacune 
leur  roberge,  qui  de  gré,  qui  de  force;  en  guise  d  amende 
pour  leur  rébellion,  les  Bordelais  eurent  à  couvrir  le  prix  de 
revient  du  Croissant  (3).  Le  général  des  galères  ('i),ramiral 
de  Guyenne  (5),  de  grands  seigneurs,  comme  Albert  de 
Gondi  (6),  tinrent  à  honneur  d'avoir  leur  rol)erge.  Bref,  au 
terme  fixé  d'avance,  le  programme  royal  se  trouva  réalisé. 
Quel  que  fût  leur  tojinage,  variant  entre  80  et  300  ton- 
neaux eu  morte-charge,  quel  que  fut  l'adjudicataire,  les 
nouveaux  bâtiments  étaient  sur  un  modèle  unique  et  tel 
que  les  constructeurs  déroutés  ne  savaient  à  quel  tvpe  de 
navire  le  comparer.  Si  les  roberges  de  Fructier  nageaient 
«  en  forme  de  galère  » ,  si  Arnaud  de  Cascmajor  n'avait 
qu  à  rehausser  les  bordages  d'une  galère  pour  en  faire  une 
fort  belle  roberge  (7),  à  Dieppe,  on  qualifiait  les  roberges 
de  galions  (8),  et,  à  Bordeaux,  de  frégates  (9). 

(1)  Les  roberjjcs  de  80  tonneaux  et  25  avirons  revenaient  à  3,500  livres 
pièce;  celles  de  120  tonneaux  à  4,000  livres;  la  galéasse  promise  par  Jean 
Rose,  de  200  tonneaux  et  70  pieds  de  long,  coûtait  au  roi  9,000  livres;  les 
roberges  de  Fructier,  de  100,  150,  200  et  300  tonneaux,  étaient  livrables  à 
la  fin  de  février  1550  pour  18,000  livres.  Marchés  passés  au  nom  du  roi  par 
Jean  de  La  Chesnaye  et  ratifiés  les  16  octobre,  20  et  26  décembre  154-'.), 
8  janvier  1550  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.   106,  136). 

(2)1551  (TiiEVKT,  Cosmofjraplnc  (1575\  p.  598  v°,  665). 
•    (3)Arch.  nat.,  K91,  n»  10'. 

(4)  B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  11,  26. 

(5)  Lettre  d'Antoine  de  Bourbon  au  duc  de  Guise,  11  juillet  1553  [Mc- 
moires-Joui-naux  du  duc  de  Guise,  dans  la  Collection  Michaud  et  T'oujou- 
lat,  1^<^  série,  t.  VI,  p.  200). 

(6)  Lettre  d'Albert  de  Gondi  au  roi  (H.  IN.,  Cinq-cents  Colbcrt  7, 
fol.  353). 

(7)  Au  Havre  (Guillaume  de  Marckillks,  Mémoires  de  lu  foiidulioii.  de  la 
Ville  Françoise,  p.  28). 

(8)  B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  136  v». 

(9)  Arch.  nat,,  K91,  n"  10'. 


HENRI    II    PRKCURSEUR    DE    COLIîERT.  459 

Qu'était  donc  ce  navire-protée,  et  pourquoi  sa  réputa- 
tion? Ce  bâtiment  exotique,  qui  avait  montre  à  la  bataille 
de  Wight  Téclatante  supériorité  de  son  tir,  était  la  row- 
barge  anglaise.  Un  de  nos  commissaires  d'artillerie  en 
appréciait  ainsi  les  qualités  :  »  La  pluspart  des  robergies 
d'Angleterre  ont  deux  bastardes  à  la  proe,  par  bas,  sur  des 
rouUeaux,  accommodées  de  telle  industrie  que,  tirant,  le 
recul  de  l'une  pousse  l'autre  dans  la  canonnière,  sans  que 
personne  v  soit  empesché  (1).  » 

Le  devis  des  roberges  de  Henri  II  n'indique  pas  si  les 
pièces  de  chasse  avaient  une  mise  en  batterie  automa- 
tique comme  leurs  modèles.  Mais  l'accouplement  des  cou- 
levrines  à  l'avant  et  à  l'arrière,  sur  une  plate-forme  d'un 
pied  et  demi  de  ravalement,  le  laisse  supposer.  Pont 
volant  cnlre  les  deux  gaillards  ou  pont  de  corde  lors 
d'un  branlebas,  des  bordages  à  l'épreuve  des  tarets,  parce 
qu'ils  avaient  subi  sur  un  pouce  d'épaisseur  l'action  du 
feu,  une  laille  plus  courte,  et  par  suite  un  virage  plus 
facile,  avec  une  vélocité  aussi  grande,  grâce  à  ses  vingt-six 
avirons,  tels  étaient  les  avantages  que  la  roberge  avait  sur 
la  galère. 

Tant  (le  soin  avait  été  apporté  au  choix  des  types  de  nos 
vaisseaux  qu'un  voyageur,  familier  avec  la  plupart  des 
marines  de  l'Europe,  disait  d'un  galion  royal  construit  par 
le  capitaine  La  Salle  :  c'est  le  navire  "  le  plus  beau,  le 
mieux  faict  et  le  mieux  équippé  de  tous  ceux  que  je  veis 
jamais,  et  le  plus  furieux  à  veoir  (2)  »  . 

La  réfection  de  la  flotte,  échelonnée  sur  trois  exercices, 
coûta  un  million,  somme  relativement  faible,  quand  Ion 
songe  que  notre  marine  fut  dotée  de  cinquante  bâtiments 
neufs,  capables  de  porter  une  dizaine  de  mille  hommes. 

(1)  Discours  baillé  à  M.  de  Nevers  par  La  Treille,  commissaire  de  l'artil- 
lerie, 156^  (B.  N.,  Franc.  16691,  fol.  103). 

(2)  Nicolas  de  iSicolay  (B.  N.,  Franc.  20008,  fol.  12). 


4C0  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

On  en  couvrit  les  frais,  moitié  sur  le  budget  ordinaire  (1), 
moitié  par  la  levée  d'une  aide  (:2).  Les  abus,  les  coulages 
habituels  au  règne  précédent  s'atténuèrent;  on  en  dut 
rheureux  résultat  à  une  institution  nouvelle  :  le  secrétariat 
d'Etat.  Glausse  eut  pour  attributions  l'administration  des 
affaires  maritimes  et  militaires  (3). 

Il  ne  fut  rien  changé  au  régime  des  vaisseaux  ronds; 
entretenus  à  forfait  par  leurs  capitaines,  moyennant  une 
allocation  proportionnelle  au  tonnage,  ils  devaient  être 
prêts  à  appareilher  à  la  première  réquisition  et  subissaient 
chaque  trimestre  l'inspection  d'un  délégué  de  l'amiral  (4). 
Quant  aux  galères  du  Ponant,  Henri  II  eut  l'intelligente 
initiative  d'employer  leurs  chiourmes  aux  fortifications  du 
littoral.  Dirigées,  deux  par  deux,  sur  les  principaux  ports 
de  la  Manche,  Boulogne,  Dieppe,  le  Havre,  elles  fournirent 
en  chaque  endroit  un  effectif  de  trois  cents  pionniers,  en- 
cadrés de  soldats,  qui  réparèrent  les  bastions  sous  la  direc- 
tion des  capitaines  de  marine  (5j .  L'île  de  Sercq  avait  été, 

(1)  Voici  quel  fut  le  liudget  de  la  marine  durant  les  trois  premières 
années  du  règne  : 

Marine  du  i'onanl.  Budget  ordinaire  (i548)  :  302,150  1.  4  s.  10  d. 

—  —  (lôW)  :  283,543  1.  13  s.  4  d. 
Marine  du  Levant.  Budget  ordinaire            (1548-1550)  :   168,  835  1.  1  s. 

—  Budget  extraordinaire  (1547-1548)  :  245,8421.  18  s.  4d. 
_  _  (1549)  ;  57,877  1.  13  s.  4  d. 

(B.  N.,  Franc.  17329,  fol.  97). 

(2)  Henri  II  mande  de  lever  400,000  livres  pour  renforcer  l'armée  de 
mer  et  la  défense  des  côtes,  31  décembre  1549  (B.  N.,  Collection  Dupuy, 
vol.  590,  fol.  19). 

(3)  1"  avril  1547  (B.  N,,  Franc.  23937,  fol.  207). 

(4)  Suivant  marché  passé  par  l'amiral  et  ratifié  le  ()  mars  1547,  Adam  de 
Bréaulté,  cap.  de /«  71/«zfres,çe,  devait  entretenir  son  vaisseau  pour   .      8,0001. 

Jean  de  Boislambcrt,  sieur  de  Précarre,  cap.  de  la  Cardinale  .  4,600  1. 

Charles  Jauldin,  sieur  de  Caumont,  cap.  du  Sériffc  ....  4,5001. 

François  Le  Clerc,  cap.  de  la  Fécampoisc 1,600  I. 

Jean  de  Clamorgan,  sieur  de  Saanne,  cap.  du  Saint-Jean   .      .  2,000  1. 

Trisland  Auvray,  sieur  de  Bonnechosc,  cap.  du  Saint-Jacques.  2,0001. 

Florent  Monnet,  sieur  delà  Vallée,  cap.  du  Saint-Anilre  .  .  1,6601. 
(B.  ]N.,  Franc.  18153,  fol.  34). 

(5)  Par  ordre  de  Henri  II,  21  décembre  1550  {Ilndcm,  fol.  200,  211). 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE    COLRERT.  461 

de  la  même  façon,  transformée  en  une  forteresse  que  sou- 
tenait tout  un  réseau  de  défenses  côtières  en  Cotentin  : 
une  garnison  de  vingt-quatre  mortes-payes  à  Tombelaine, 
de  cinquante  hommes  aux  îles  Chausey,  de  vingt  à  la  fosse 
d'Omonville  (l),  et  les  capitaineries  gardes-côtes  de  Gran- 
ville,  Nielles,  Grandcamp,  Neufville,  Cherbourg  (2).  Ce 
fut  un  capitaine  de  galère,  Villegagnon,  qui  mit  Brest  en 
état  de  défense,  et  ce  fut  peut-être  faute  de  galériens  que 
la  tour  de  Cordouan,  l'imposant  ouvrage  de  Louis  de  Foix 
dont  les  devis  étaient  sovimis  dès  1552  au  roi  (3),  fut  plus 
d'un  demi-siècle  inachevée  (4). 

Utilisant  les  forçats  aux  travaux  publics,  Henri  II  les 
protégea  contre  les  sévices  arbitraires  par  une  ordonnance 
où  il  faisait  preuve  à  leur  égard  d'une  véritable  sollici- 
tude (5).  Pourvu  d'un  uniforme,  rasé  tous  les  quinze  jours, 
suffisamment  nourri,  le  galérien  ne  fut  plus  la  victime  de 
la  brutalité  des  matelots;  le  battre  pouvait  entraîner  pour 
son  bourreau  trois  mois  de  chaîne.  Mettre  les  armes  à  la 
main  était  puni  d'un  an  de  la  même  peine  sans  préjudice 
de  deux  estrapades.  L'ordonnance  royale,  loin  de  s'en  tenir 
aux  forçats,  fixait  les  règles  de  la  discipline  à  bord.  Tout 
capitaine,  au  moment  d'entrer  en  campagne,  fut  obligé 
d'embarquer,  en  sus  de  l'équipage  du  pied  de  paix,  un 
pilote,  deux  conseillers,  un  bombardier  et  son  aide,  huit 
nochers  et  dix  soldats.  Les  officiers,  au  nombre  de  qua- 


(1)  Compte  spécial  à  ces  garnisons  pour  1551  (B.  N.,  Franc.  4552, 
fol.  34). 

(2)  Lettre  de  l'amiral  à  ces  capitaines,  31  mars  1552  (B.  N.,  Pièces  orig., 
vol.  475,  doss.  de  Bousquet,  pièce  3). 

(3)  Ainsi  que  le  projet  de  réparation  du  Château-Trompette  (xlrch.  nat., 
K91,  n"  10').  Cf.  dans  la  Bibl.  de  l'École  des  Chartes  (1905,  p.  401), 
l'article  de  M.  Cloczoï  :   Un  voyage  à  l'île  de  Cordouan  au  A'F/*^  siècle. 

(4)  Cf.  ci-dessus,  t.  II,  p.  539. 

(5)  «  Ordonnances  que  le  Roy  veult  estre  doresnavant  observées  par  les 
capitaines  de  ses  gallaires.  «  Saint-Germain-en-Laye^  15  mars  1549  (B.  N., 
Franc.  18153,  fol.  62). 


462  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

torze,  et  les  gens  de  cap,  qui  étaient  vingt,  se  pai'tageaient 
le  quart.  Chaque  soir  avait  lieu  l'appel,  chaque  matin  la 
visite  du  barbier. 

De  l'ordonnance  royale,  nous  avons  le  commentaire  dans 
un  ouvrage  anonyme  dédié  à  Henri  II,  la  Stolonomie  (1), 
Œuvre  étrange  où,  pour  la  première  fois,  nous  trouvons 
l'idée  et  presque  le  nom  de  deux  institutions  dont  on  fait 
honneur  à  Colbert  :  l'inscription  maritime  et  les  gardes- 
marines  (2).  La  «  description  »  des  matelots  par  toute  la 
côte  méditerranéenne,  de  Narbonne  à  Antibes,  devait  four- 
nir, moyennant  «  certaine  paye  par  manière  d'entretene- 
ment  1)  en  temps  de  paix,  des  hommes  prêts  à  marcher  au 
moindre  signal.  La  «  description  de  six  vingtz  jeunes  gen- 
tilshommes, de  l'eage  de  douze  à  quinze  ans  " ,  mis  en 
apprentissage  jusqu'à  vingt  ans  sur  les  galères,  sauf  à  les 
remplacer  au  fur  et  à  mesure  des  vacances,  eût  initié  aux 
choses  de  la  mer  la  noblesse  française,  à  l'exemple  de  l'aris- 
tocratie vénitienne.  Et  l'on  vit,  dès  1552,  deux  cents  gen- 
tilshommes faire  une  croisière  d'un  an  h  pour  leur  plaisir, 
sans  aulcune  solde  (3)  n  .  C'est  qu'il  y  avait  à  la  tète  de  la 
flotte  des  galères,  un  nouveau  général,  homme  d'initiative, 
qui  eût  pu  réaliser,  sans  certain  accroc  advenu  à  sa  car- 
rière, le  programme  de  la  Stolonomie,  si  même  ce  pro- 
gramme n'était  pas  son  oeuvre. 


(1^  B.  N.,  Franc;.  2i33,  anal,  par  A.  Jal,  Documotts  inédits  sur  l'his- 
toire de  la  marine  au  XVP  siècle.  Paris,  1842,  in-S",  p.  2i  (extrait  des 
Annales  maritimes  et  coloniales). 

(2)  B.  N.,  Franc.  2133,  fol.  45,  78. 

(3)  B.  N.,  Moreau,  vol.  770,  fol.  63. 


HENRI    II    l'RKGURSEUR    DE   COLBERT.  403 

II 

VICTOIRE    SANS    COMBAT 

Réor^^aniscr  la  flotte  élail  bien;  remonter  le  moral  des 
marins  en  réformant  le  commandement  indijjne  ou  cou- 
pable fut  mieux.  Le  revirement  des  faveurs  et  des  disgrâces 
à  Tavènementde  Henri  II  eut  quelque  chose  de  foudroyant. 
"  Ce  sont  choses  ordinaires  à  la  cour  des  princes,  écrivait 
philosophiquement  Monluc;  le  reccullement  d'un  sert 
d'avancement  à  l'autre...  Chacun  son  tour  (1).  » 

Elargi  et  pourvu,  comme  dédommagement,  de  la  sei- 
gneurie de  Pontoise,  l'e.x-général  des  galères  Orsini  delT 
Anguillara  eut  la  satisfaction  de  voir  frapper  le  trio  de  ses 
accusateurs,  ïournon,  Grignan  et  La  Garde,  qui  de  dis- 
grâce, qui  de  destitution.  A  grand'peine,  l'amiral  du  Levant 
évita  la  Bastille;  mais  le  général  des  galères  remplaça  son 
prédécesseur  en  prison,  u  Tout  estonné  u  de  son  infortune, 
et  il  non  plus  tant  insolent  comme  il  souloit,  La  Garde  fut 
desgoutté  plattement  "  de  se  voir  charger  (:2),  durant  son 
procès,  par  le  capitaine  Claude,  sa  créature  (3). 

Et  ce  fut  aggraver  l'amertume  de  sa  déchéance  que  de 
lui  donner  pour  successeur  un  rival  exécré.  Cousin  de  la 
reine,  Leone  Strozzi  reçut  la  capitainerie  générale  des  ga- 
lères, tant  en  Levant  qu'en  Ponant  (4),  dans  l'instant  où 

(1)  Commentaiics,  à  l'année  1555. 

(2)  Dépêches  de  Giustiniano  au  doge.  Poissy,  16-18  avril  1547  (B.  N., 
Italien  1716,  p.  108).  —  Nouvelles  de  France,  1547  (Arch.  nat.,  K  1486, 
B*,  n°  59).  —  Dans  sa  thèse  sur  le  baron  de  La  Garde  ^Position  des  thèses 
de  l'Ecole  des  chartes,  1902),  M.  Gaudin  a  fort  bien  étudié  ce  revirement 
de  la  politique. 

(3)  Cf.  le  procès  du  baron  (B.  N.,  Moreau,  vol.  778,  fol.  18). 

(4)  l'^"'  juin  1547  (lettres  de  provision  publiées  par  Joseph  Fournier,  les 
Galères  de  France  sous  Henri  II,  extrait  du  Bulletin  de  géographie  histo- 
j-ique  et  descriptive,  n°  2  (1904),  p.  13). 


464  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Claude  de  Savoie,  comte  de  Tende,  remplaçait  le  baron  de 
Grignan,  protecteur  de  La  Garde,  à  la  tête  de  l'amirauté 
provençale  (1).  Dans  notre  marine,  il  n'y  eut  point  de 
changé  que  les  personnes,  il  y  eut  l'esprit.  Strozzi  n'avait 
rien  des  personnalités  effacées  du  règne  précédent.  En  en- 
levant d'assaut  Saint-Andrew,  en  Ecosse,  après  quatorze 
jours  de  bombardement  naval  (2),  il  avait  débuté  avec 
éclat  comme  général  des  galères;  un  incident  fortuit  lui 
permit  de  donner  toute  la  mesure  de  son  mâle  courage. 

En  pleine  paix,  deux  de  nos  galères,  que  la  tempête  avait 
forcées  de  chercher  abri  en  Sardaigne,  furent  pourchas- 
sées par  douze  galères  impériales.  Au  lieu  d'accueillir  en 
amis  l'escouade  de  marins  français  descendue  à  terre,  les 
Impériaux  l'accablèrent  de  mauvais  traitements.  Leone 
Strozzi  réclama  aussitôt  satisfaction  en  termes  très  éner- 
giques :  que  si  le  prince  André  Doria  entendait,  en  dépit 
de  la  paix,  se  conduire  en  adversaire,  il  trouverait  toujours 
à  qui  parler,  car  Sa  Majesté  Très  Chrétienne  était  résolue 
à  ne  plus  tolérer  d'outrage  à  son  pavillon  (3).  Ce  n'étaient 
point  de  vaines  paroles.  Doria  allait  s'en  convaincre  sur 
l'heure. 

Dépêché  à  Marseille  pour  dresser  l'inventaire  de  la  flotte, 
l'archivaire  Borilly  apprit  qu'elle  était  au  large  (4).  Une 
galère  de  Malte,  montée  par  le  prieur  de  Saint-Gilles,  avait 

(1)  18  mai  1547.  Claude  de  Tende  était  nommé  simultanément  gouver- 
neur de  Provence,  comme  il  était  d'usage. 

(2)  Le  30  juillet  1547. 

(3)  Lettre  de  Leone  Strozzi,  31  mai  1548  (Piero  Sïnozzi  et  jàrnaldo 
PozzoLiNi,  Memorie  pcr  la  vita  di  fra  Leone  Strozzi,  priore  di  Capiia. 
Firenze,  1890,  gr.  in-8'',  p.  21).  Je  dois  la  connaissance  de  ce  per  nozze, 
aussi  curieux  que  rare,  à  l'obligeance  de  M.  Léon  Dorez. 

(4)30  juillet  1548  (Arch.  des  Bouches-du-Rhône,  B  232,  fol.  3-47; 
publ.  par  M.  Joseph  FouRKiEn,  les  Galères  de  France  sons  Henri  II,  extrait 
du  Bulletin  de  géographie  historique  et  descriptive,  n°  2  (1904).  Nous 
devons  à  M.  Joseph  Fourmeii  une  autre  bonne  étude  sur  Y  Entrée  de  Leone 
Strozzi  au  service  de  la  France  (1539)  (extrait  du  Bulletin  de  géographie 
historicjue...,  n°  2,   1902). 


LEONE     SrUOZZI,     PRIEUR    DE     CAPOUE 

^Galerie  Stroizi.) 


HENRI  II  PRECURSEUR  DE  COLBERT.         465 

apporté,  le  24  juillet  1548,  une  nouvelle  sensationnelle  : 
l'armée  navale  d'André  Doria  avait  quitté  Gênes  avec  l'ar- 
chiduc d'Autriche  ;  l'avant-garde  était  déjà  aux  îles  d'Hyères. 
Bien  décidé  à  faire  respecter  nos  eaux  territoriales,  le  prieur 
de  Gapoue,  Strozzi,  sort  sans  balancer,  dans  la  matinée  du 
surlendemain,  avec  toutes  les  galères  en  état  de  combattre. 
A  la  tête  de  vingt-deux  bâtiments,  il  se  tient  à  l'ombre  du 
château  d'If,  afin  d'observer  la  contenance  de  son  adver- 
saire éventuel,  lorsque  la  flotte  impériale  paraît.  Elle  est 
double  de  la  sienne  :  quarante-deux  galères  relâchent  à  la 
Groisette  pour  faire  aiguade.  Comme  Doria  veut  avancer 
davantage  et  mouiller  pi-ès  du  château,  Strozzi  lui  barre 
résolument  la  route. 

Le  combat  va  s'engager.  Les  deux  flottes  sont  si  proches 
que,  d'un  bord  à  l'autre,  les  matelots  s'invectivent.  Le 
prieur  de  Gapoue  a  donné  l'ordre  d'ouvrir  le  feu,  quand  le 
chevalier  de  Malte  s'entremet  pour  empêcher  le  carnape. 
Décontenancé  par  notre  fière  attitude,  Doria  recule,  et, 
rebroussant  chemin  en  désordre,  malgré  la  supc'riorité 
écrasante  de  ses  forces,  il  reprend  la  route  de  l'Espagne  (1) . 

De  ce  beau  fait  d'armes,  qui  fut  une  victoire  sans  effu- 
sion de  sang,  l'histoire  a  conservé  le  souvenir  précis,  et 
l'inventaire,  dressé  au  retour  par  l'archivaire,  nous  apprend 
quels  furent  les  valeureux  compagnons  du  prieur  de  Gapoue  : 
les  chevaliers  de  Grandval  et  d'Albisse,  le  commandeur 
de  Beynes,  le  grand  prieur  Glande  d'Ancienville,  lieute- 
nant-général de  l'escadre  du  Levant  (2),  les  capitaines  de 
Sainte-Marie,  lieutenant  de  l'amiral,  La  Bastide,  André  de 
Marsay,  Jean  de  Lévis,  Jean  de  Pontevès  de  Garces,  Pierre 
de  Saint-Martin,   Pierre  Bon,  Jean  Vestiarity,  Andréa  de 

(1)  Lettre  de  Leone  Strozzi  au  roi.  Marseille,  28  juillet  1548,  et  relation 
du  capitaine  Pierre  Bon  (B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  2,  7).  —  Tuevet,  Vie 
des  hommes  illuslres,  p.  443. 

(2)  Suivant  lettres  de  provision  du  5  novembre  1545  (Arch.  des  Bouclies- 
du-llhône,  B38,  fol.  188). 

"i-  30 


466  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Sasso  el  Scipione  Fieschi  (1).  Le  dernier  était  l'ennemi 
mortel,  l'ennemi  héréditaire  des  Doria.  Il  était  venu  en 
France  dans  des  circonstances  tragiques,  qui  se  rattachent 
à  un  épisode  légendaire...  Dans  la  nuit  du  2  janvier  1547, 
Gènes  était  éveillée  par  des  hruits  d'émeute.  La  fameuse 
conjuration  de  Fiesque  éclatait.  La  domination  des  Doria 
sombrait;  Gianettino  frappé  à  mort,  le  vieil  André  en 
fuite,  l'émeute  était  triomphante,  quand  le  chef  de  la  con- 
juration, Gian-Luigi  Fieschi,  glissa  en  traversant  le  pont- 
levis  de  son  bâtiment  et  disparut  sous  les  eau.v.  Son  frère 
Girolamo,  qui  commandait  une  escadre  de  quatre  galères, 
engagée  au  service  de  la  France  (2),  périt  à  son  tour  en 
cherchant  à  rallier  ses  hommes.  Seul  le  dernier  frère,  Sci- 
pione, parvint  à  s'échapper  et  gagna  sur  la  C aterinetta ,  le 
port  de  Marseille  (3). 

Par  l'humiliation  infligée  à  Doria,  Fieschi  vengeait  le 
massacre  de  sa  famille  (4),  et  Strozzi  l'outrage  de  notre  pa- 
villon. Non  contentde  ce  succès  d'amour-propre,  le  prieurde 
Capoue  songea  à  récidiver  pour  un  plus  palpable  profit.  La 
proie  convoitée  n'était  rien  moins  que  l'héritier  de  Charles- 
Quint,  que  le  vieu.x  condottiere  allait  quérir  pour  le  rame- 


(1)  Voici  quelle  était  la  composition  de  l'escadre,  qui  comprenait  22  ga- 
lères :  Leone  Strozzi,  Diane,  quadrirème  réale,  et  Boiinadveiituie ;  —  che- 
valier de  Grandval,  Saiitl-Jean  ;  —  commandeur  de  Beynes,  Fortune;  — 
de  Sainte-Marie,  liàtardelle  et  Sainte-Marie  ;  —  chevalier  d'Albisse,  Cathe- 
rinette  ;  —  André  de  Marsay,  Macjdnlène  et  Sainte-Barbe  ;  —  Claude  d'An- 
cienville,  Martjarite,  Paraçjone  et  Clémence  ;  —  La  Bastide,  Françoise  et 
Levrière  ;  —  Jean  de  Lcvis,  Harpie  et  Syhile  ;  —  Carcès,  Saint-Jérôme; 
—  Pierre  de  Saint-Martin,  Lionne;  —  Jean  Vcstiarity,  Comtesse  ;  —  Pierre 
Bon,  Saint-Pierre  et  Salamandre;  —  Andréa  de  Sasso,  Vipère;  —  Scipione 
Fieschi,  Arf/us.  Août  i5V8  (Joseph  Focrnikr,  art.  cit.). 

(2)  Moyennant  12,000  écus  d'appointements  et  la  solde  d'une  garnison 
au  rocher  de  Montobbio  (Agostino  Mascaudi,  Cont/iura  del  conte  Gio.  Luigi 
de  Fieschi.  Anvers,  1629,  in-4'',  p.  45.  — Attidclla  Societa  ligure  di  storia 
patria,  t.  VIII,  p.  170). 

(3)  Petit,  Doria,  p.  233. 

(4)  Sur  Scipione  Fieschi,  cf.  l'article  de  M.  É.  Picot,  Les  Italiens  en 
France  au  XVF  siècle,  dans  le  Bulletin  italien  (1901),  p.  135. 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE   COLBERT.  467 

ner  en  Italie.  Et  voici  le  plan  que  Strozzi  soumit  confiden- 
tiellement au  roi  :  une  frégate  expédiée  en  Espagne,  sous 
couleur  d'y  transporter  certains  chevaliers,  reviendrait  avec 
des  notions  précises  sur  la  date  du  départ  de  l'infant  Phi- 
lippe et  sur  la  force  de  son  escorte.  Pendant  ce  temps, 
ajoutait  le  prieur,  je  rallierai  sous  ma  bannière  les  quatre 
galères  de  la  Religion  et  lescadre  musulmane  de  Dragut; 
la  jonction  faite  à  Tripoli  de  Barbarie,  avec  vingt-neuf  ga- 
lères et  six  galiotes,  je  me  jetterai  sur  André  Doria  (1) . 

A  la  réception  de  la  missive,  Henri  II  éprouva  un  certain 
désappointement.  Il  croyait,  selon  les  engagements  anté' 
rieurs  de  Strozzi,  que  sa  flotte,  grossie  de  galères  neuves, 
atteignait  quarante-deux  bâtiments  à  rames  (2)  et  se  trou- 
vait en  état  de  se  mesurer  avec  l'escorte  du  prince.  Dans 
une  critique  très  fine,  il  fit  observer  les  défauts  du  plan  de 
campagne.  Dès  qu'il  serait  averti  du  départ  des  galères  fran- 
çaises pour  Tripoli,  Doria  se  mettrait  à  leur  poursuite, 
sachant  que,  notre  flotte  défaite,  l'Italie  serait  hors  de 
danger. 

Dragut,  en  paix  avec  lempereur,  n'irait  pas  s'exposer  à 
perdre  pour  autrui  le  fruit  de  ses  peines.  Donc,  au  lieu 
d'aller  quérir  les  galères  des  Hospitaliers  ou  des  Musul- 
mans, le  prieur  de  Capoue  tâcherait  de  les  faire  venir  à 
Marseille;  mais  il  devait  compter  surtout  sur  lui-même  en 
pressant  l'armement  des  galères  neuves.  Le  roi  accordait, 
pour  les  équiper,  tel  contingent  qui  serait  nécessaire  sur 
2,958  hommes  levés  en  Provence,  ajoutant,  comme  troupes 
d'embarquement,  quatre  bandes  de  soldats  du  Dauphiné. 
Le  général  avait,  du  reste,  carte  blanche  pour  agir  et  se 
poster  en  embuscade.  Qu'André  Doria  attaquât,  persuadé 
que  nos  forces  navales  étaient  les  mêmes  que  précédem- 
ment, et  que  cette  erreur  d'appréciation  lui  valût  un  échec, 

(i)  B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  7. 

(2)  39  galères,  2  galiotes  et  i  fuste  (B.  N.,  Franc.  3050,  fol.  108). 


468  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

OU  même  qu'il  désertât,  furieux  de  l'avancement  donné  par 
l'empereur  à  Centurione,  c'étaient  des  rêves  que  le  roi 
n'osait  trop  caresser.  Et,  dans  l'hypothèse  où  ses  équi- 
pages ne  fussent  pas  en  état  de  comhattre,  Henri  II  dictait 
au  prieur  de  Capoue  une  tout  autre  ligne  de  conduite  : 
envoyez  saluer  le  prince  d'Espagne,  disait-il,  et  offrez-lui 
des  rafraîchissements.  Les  Impériaux  ne  pourront  se 
plaindre  de  notre  déploiement  de  forces,  qu'on  croira 
destiné  à  la  protection  des  côtes.  Mais,  en  Italie,  on  saura 
notre  puissance  navale,  et  les  potentats  rechercheront 
notre  alliance  (I). 

Dragut,  dont  le  roi  faisait  bon  marché,  donna  tort  à  ce 
scepticisme,  tout  en  montrant,  par  la  capture  d'une  galère 
des  Hospitaliers,  combien  il  était  machiavélique  d'unir 
sous  le  même  drapeau  la  croix  de  Malte  et  le  croissant.  Par 
une  frégate  bien  armée,  il  envoya  prévenir  Strozzi  que  les 
corsaires  barbarcsques  étaient  prêts  à  rallier  le  pavillon 
français,  tant  leurs  convoitises  étaient  allumées  à  l'idée 
d'enlever  cette  proie  fabuleuse,  l'héritier  du  trône  de  toutes 
les  Espagnes.  Mais  le  roi  Henri  II,  que  le  prieur  de  Capoue 
était  venu  trouver  en  toute  hâte,  ne  vovilut  point  en  laisser 
courir  la  chance;  et,  de  ce  refus,  le  prieur  ne  sut  point 
cacher  son  dépit.  «  Dieu  nous  a  tenu  la  main  sur  la  tête  i> , 
écrivait  un  partisan  de  l'empereur  (2).  Au  lieu  de  l'escadre 
accoutumée,  toutes  les  divisions  navales  de  la  Méditerranée 
défilèrent  en  ordre  de  bataille  et  comme  par  manière  de 
défi  devant  les  plages  provençales.  Garcia  de  Tolède  était 
à  lavant-garde,  à  la  tête  delà  flotte  des  Deux-vSiciles,  Doria 


(i)  Instructions  de  Henri  II  au  comte  de  Tende  et  au  prieur  de  Capoue, 
en  réponse  h  leur  mémoire,  15  août  1548  (B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  1; 
CiiARRiÈiiK,  Négociations  de  la  France  clans  le  Levant,  t.    II,  p.  75). 

(2)  Strozzi  s'était  ouvert  de  son  dessein  le  5  septembre  à  Caivacanti. 
Lettre  de  Montemerio  de  Montemerli.  Pigneroi,  6  septembre  1548  (Lettere 
di  Bartolomco  Caivacanti.  Bologna,  1869,  in-lS",  p.  36,  dans  la  Scclta 
di  ctn-iosita  letterarii  inédite  n  i-are  dal  secolo   XIII  al  XVII,  dispensa  CI). 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE   COLBERT.  469 

au  corps  de  bataille  avec  les  contingents  génois  etMendoza 
à  l'arrière-garde  avec  l'escadre  espagnole  (1). 

Pareille  bravade  n'incita  que  davantage  nos  marins  à 
tenter  la  capture  du  prince  d'Espagne.  Notre  ambassadeur 
à  Rome  envisageait  ouvertement  cette  éventualité  en  de- 
mandant au  pape  Jules  III  le  concours  de  l'escadre  ponti- 
ficale, au  besoin  même  son  incorporation  dans  notre  Hotte. 
Il  s'agissait  des  quatre  galères  du  comte  Orsini  delT  Anguil- 
lara,  dont  le  chevalier  de  Villegagnon  avait  passé  l'inspec- 
tion préalable  à  Civita-Vecchia  (2).  Ce  ne  fut  point  notre 
ancien  général  des  galères,  Virginie  Orsini,  mais  le  prieur 
de  Lombardie,  Carlo  Sforza,  qui  accepta  de  les  amener  au 
service  de  la  France.  Il  signa  un  engagement  de  six  ans  aux 
conditions  suivantes  :  haute  solde,  insignes  de  capitaine 
général,  sauf  à  masquer  les  feux  du  fanal,  et  commande- 
ment effectif  en  l'absence  du  général  des  galères  (3). 

Instruit,  comme  le  prieur  de  Capoue,  à  la  rude  école 
d'André  Doria,  le  prieur  de  Lombardie  revenait  d'une 
longue  croisière  contre  El  Mehediah,  la  cité  d'Aphrodite, 
qui  avait  résisté  des  mois  entiers  aux  assauts  des  troupes 
hispano-pontificales  et  aux  feux  convergents  des  batteries 
de  siège  et  d'une  batterie  ilottantc  établie  sur  une  couple 
de  vaisseaux  (4).  Sforza  amenait  avec  lui,  en  mai  1551, 
Orazio  Farnèse,   frère  du    général   de   notre    cavalerie,   le 

(1)  En  novembre  (Manfrosi,  Sloiia  délia  maiiiia  Ilaliana  dalla  caduta 
di  Costantiiiopolt,  p.  368). 

(2)  Lettre  de  François  de  Rohan,  ambassadeur  à  Rome,  24  février  1549 
(v.  st.)  (B.  jN..  Franc.  20441,  fol,  19). 

(3)  Conseil  du  roi,  27  septembre  1550  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  285  v°). 
Plus  tard,  il  demanda  encore  quelques  avantages,  outre  la  ratification  de  la 
convention  passée  à  Rome  avec  d  Urfé.  Henri  II  les  lui  accorda.  Blois, 
15  mars  1551  (B.  N.,  Franc.  20441,  fol.  71). 

(4)  El  Mehediah  ne  succomba  le  11  septembre  1550  qu  après  la  mort  du 
gouverneur  Hassan  Raïs  (.Joannes  Ghristophorus  Calvetus  Stella,  De  expu- 
gnato  Aphrodisio.  Basilea,  1556,  in-fol.,  et  Pedro  de  Salazar,  Historia  de  la 
querra  y  presa  de  Africa.  Napoli,  1552,  in-4".  —  P.  Guglielmotti,  Guerra 
dei  pivatif  t.  Il,  p.  189). 


-410  HISTOIRE   DE   LA  MARINE   FRANÇAISE. 

colonel  Aurelio  Fregoso  et  le  capitaine  Antonio  da  Gubbio, 
qui  firent  naufrage  à  Viareggio  (1)  ;  les  naufragés  purent, 
du  reste,  continuer  leur  route  vers  Marseille,  et  Farnèse 
signer  un  traité  d'alliance  qui  nous  ménageait  une  diver- 
sion en  Italie. 

Ace  moment,  la  politique  temporisatrice  de  Henri  II  prit 
une  tournure  nettement  offensive  contre  le  vieil  empereur, 
dont  la  toute-puissance,  à  son  apogée,  allait  jusqu'à  s'im- 
poser dans  le  domaine  spirituel  aux  hérétiques  et  au  pape. 
Assuré  de  la  neutralité  bienveillante,  sinon  du  concours  de 
la  marine  anglaise,  le  roi  de  France  fit  passer  dans  le  Levant 
les  chiourmes  des  galères  de  la  Manche  et  porta  sa  flotte 
provençale  à  une  quarantaine  de  galères.  Il  ne  craignit  point 
de  faire  appel  à  la  coopération  des  forces  musulmanes,  et 
son  ambassadeur  à  Constantinople,  après  l'avoir  obtenue, 
revint  hâtivement  en  France  concerter  l'action  commune 
des  deux  flottes. 

Selon  les  instructions  reçues  de  la  cour  le  17  mai  1551, 
Gabriel  d'Aramont  devait  insister  auprès  de  la  Porte  pour 
la  reprise  d'El  Mehediah.  Une  partie  de  la  flotte  turque  serait 
ensuite  détachée  à  Alger  et,  jointe  au  contingent  du  dey 
Hassan,  viendrait  rallier  l'escadre  française  à  un  point 
déterminé.  Notre  ambassadeur  aurait  en  conséquence  le 
soin,  à  l'escale  d'Alger,  de  s'entendre  avec  le  dey,  qui  avait 
des  intérêts  communs  avec  les  nôtres,  étant  serré  de  près 
par  l'empereur  et  par  le  chérif  marocain  (2). 

(t)  Lettres  des  Lucquois  des  15  et  19  mars  1551  (I'.  Guglielmotïi,  t.  II, 
p.  249). 

(2)  RiBiEn,  t.  II,  p.  297.  —  CnAntiiÈRE,  Nér/ociations  de  ta  France  flans 
te  Levant,  t.  II,  p.  154',  n.  1. 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE   COLBERT.  ATI 

III 

LES    CONSÉQUENCES    D'UN    ACTE   D'INDISCIPLINE 

Cependant,  une  lutte  suprême  se  livrait  entre  les  deux 
partis  opposés  de  la  cour  :  le  parti  de  la  paix,  dont  le  con- 
nétable de  Montmorency  était  le  chef,  et  le  parti  de  la 
guerre,  qui  englobait  les  Guise,  les  Strozzi  et  la  jeune  cour. 
Le  conflit  prit  un  caractère  d'acuité  terrible  entre  le  con- 
nétable et  le  prieur  de  Capoue  par  suite  d'une  singulière 
aventure.  Malade  d'une  fluxion  dans  le  Dauphiné,  le  prieur 
se  crut  à  l'article  de  la  mort,  et,  en  guise  de  testament,  il 
chargea  Vendôme  de  dire  au  roi  de  sa  part  :  «  Ne  laissez 
point  tant  d'autorité  au  connétable,  sire;  j'ai  connu  plus 
d'une  fois  par  expérience  combien  c'était  dangereux.  "  A 
peine  Vendôme  se  fut-il  acquitté  de  la  commission  que 
Strozzi  eut  à  se  repentir  de  sa  franchise  :  il  guérit  (1).  Et 
Montmorency  lui  garda  une  mortelle  rancune. 

Sous  prétexte  de  refréner  les  dépenses  exagérées  de  la 
marine  du  Levant,  le  connétable  proposa  la  suppression  de 
douze  galères,  à  un  moment  où  l'imminence  de  la  guerre 
rendait  invraisemblable  une  pareille  mesure  (2) .  Soutenu 
par  la  faction  des  Guise  qui  traitait  Montmorency  de  lar^ 
ron  (3),  Strozzi  parvint  pourtant  à  maintenir  sa  flotte  au 
complet  et  à  faire  adopter  un  plan  de  campagne,  qu'il  vint 
lui-même  développer  à  la  cour  en  mai  155L  II  tint  ses  pro- 


(1)  Piero  Strozzi,  Memorie  per  la  vita  cli  Fra  Leone  Strozzi,  p.  33. 

(2)  Cf.  la  lettre  de  Capponi  à  Cosme  l"  de  Médicis,  datée  de  Blois,  févrief 
1551.  Capponi  considère  cette  suppression  comme  un  stratagème  (Desjar- 
DixSj  Néqociations  de  la  Fiance  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  249). 

(3)  Ibidem.  —  F.  Décrue,  Anne,  duc  de  Montmorency,  connétable  et 
pair  de  France  sous  les  rois  Henri  H,  François  II  et  Charles  IX.  Paris, 
1889,  in-8%  p.  40. 


472  HISTOIRE    DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

jets  si  secrets,  tout  en  donnant  lechange  à  Topinion,  qu'on 
en  était  réduit  aux  conjectures  les  plus  variées:  on  lui  sup- 
posait des  vues  sur  l'île  d'Elhc  (1).  A  une  question  de  Tun 
de  ses  capitaines  les  plus  fidèles,  Baccio  Martelli,  il  ne 
répondait  que  par  cette  phrase  évasive  :  «  J'ai  idée  que 
Monseigneur  de  Guise  médite  quelque  chose  contre 
Parme  (2) .  » 

Mais,  hélas,  le  général  des  galères  n'avait  point  à  comp- 
ter qu'avec  les  ennemis  de  la  France.  Quand  il  revint  à 
Marseille,  l'inimitié  du  connétable  avait  porté  ses  fruits. 
L'amiral  comte  de  Tende,  épousant  la  querelle  de  son 
beau-frère,  cherchait  beaucoup  plus  des  griefs  contre 
Strozzi  que  des  moyens  de  l'aider.  Et,  tandis  que  le  mal- 
heureux général  se  débattait  contre  les  fournisseurs,  s'ex- 
ténuait à  trouver  des  soldats  et  à  quérir  jusque  chez  eux 
ses  marins,  quasi  de  force,  il  était  épié  et  bafoué  par  ses 
officiers.  L'armée  navale,  divisée  en  deux  factions,  s'apprê- 
tait beaucoup  plus  à  la  guerre  civile  qu'à  la  lutle  contre 
l'ennemi  (3). 

Pontevès  de  Carcès,  le  lieutenant  du  général  des  galères, 
donna  le  scandaleux  exemple  de  l'indiscipline.  Au  lieu 
d'attendre  son  chef  à  Marseille,  paré  à  tout  événement, 
comme  il  en  avait  Tordre  formel,  il  était  parti  pour  Por- 
querolles.  Mandé  d'urgence,  il  se  dit  malade;  plusievirs 
jours  après,  quand  il  daigna  obéir,  ce  fut  à  la  tète  d'une 
nombreuse  suite  tout  armée  qu'il  se  présenta  à  la  poupe  de 
la  Capitane. 

A  l'invitation  amicale  de  son  chef  de  venir  s  entretenir 
seul  à  seul,  il  eut  l'impertinence  de  dire  à  haute  voix  au 
commandeur  de    Gharlus   de    rester  comme    témoin   des 

(i)  Lellre  de  Giu&ti.  Avril  (Dksjahuiss,  t.  111,  p.  :265). 

(2)  B.  N.,  Fran.;.  3129,  fol.  16. 

(3)  Lettre  de  Leone  Strozzi  à  son  frère  l'évéque.  «  Dalle  Sanijuinarc,  » 
18  di  settenibre  1551  (Piero  Strozzi,  Meniorie  per  la  cita  di  Fra  Leone 
Strozx^i,  p.  27j. 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE    COLBERT.  473 

paroles  qu'il  avait  à  faire  entendre.  La  scène  se  passait  au 
port,  c'est-à-dire  dans  la  juridiction  de  l'amiral  de  Tende. 

Strozzi,  plutôt  que  de  se  plaindre  à  un  adversaire,  dévora 
l'affront.  Mais,  trois  jours  après,  lorsque  la  flotte  fut  en 
pleine  mer,  en  route  pour  Toulon,  le  général  jugea  le  mo- 
ment venu  de  faire  acte  d'autorité  et  de  montrer  par  un 
châtiment  exemplaire  qu'il  entendait  se  faire  respecter  de 
ses  inférieurs.  Il  convoqua  à  son  bord  tous  les  capitaines; 
en  leur  présence,  il  convainquit  Carcès  d  avoir  trois  fois 
désobéi,  et,  comme  de  pareils  manquements  s'aggravaient 
du  fait  de  limportance  de  ses  fonctions,  il  le  suspendit 
séance  tenante.  «  Je  vous  parle  où  je  dois,  devant  qui  de 
droit  et  comme  votre  supérieur,  ajouta-t-il  ;  hors  du  service, 
si  vous  croyez  que  je  vous  fais  quelque  tort,  je  serai  prêt  à 
vous  rendre  raison,  je  vous  en  donne  ma  parole  devant  tous 
ces  gentilshommes.  En  attendant,  retournez  à  terre  sur  la 
frégate.  "  De  retour  à  son  bord,  Pontevès  de  Carcès  envoya 
dire  qu'il  comptait  suivre  l'étendard  et  obéir.  —  a  Pensez- 
vous  donc  suivre  l'étendard  contre  ma  volonté?  riposta  le 
général.  —  Non.  —  Eh  bien!  regagnez  Marseille  (Ij.  » 

Cependant,  les  retards  apportés  par  une  pareille  indisci- 
pline compromettaient  le  plan  de  campagne  élaboré  par 
Strozzi  et  le  duc  de  Guise.  «  Si  les  galères  de  Sa  Majesté  ne 
sont  pas  à  la  voile  ce  mois-ci,  écrivait  le  premier  au 
second,  l'occasion  de  servir  le  roi  échappera.  Mes  galères 
seront  prêtes  le  25  juillet;  pour  embarquer  l'infanterie,  il 
n'y  a  pas  de  lieu  plus  propice  que  les  bouches  du  Rhône; 
vos  troupes  pourront  arriver  par  eau  à  Arles  (Guise  était 
lieutenant-général  en  Dauphinéj.  Fixez-moi  le  jour  où  vous 
pensez  être  ici    (2),  »   ^lais,  déjà,   escomptant   un   échec, 


(i)  «  Informazionc  clelle  parole  di  Mon^ijjnoie  di  Caises  col  sig.  Piiore  » 
(Piero  Strozzi,  Memorie  per  la  vila  di  Fia  Leone  Slrozzi,  p.  22). 

(2)  Lettre  de  Leone  Strozzi  en  italien.  Marseille,  2  juillet  1551  (B.  N., 
Franr.  3129,  loi.  16j. 


414  HISTOIRE   DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

Montmorency  tournait  en  ridicule  l'expédition,  une  entre- 
prise que  vous  avez  trop  «  peu  de  moyen  »  d'exécuter, 
écrivait-il  à  Guise  (1). 

Elle  était  pourtant  bien  tentante.  C'était  d'attaquer  au 
passage  la  flotte  qui  allait  conduire  à  Barcelone  le  roi  de 
Bohême,  les  princes  d'Espagne  et  de  Savoie  et  quérir  en 
même  temps  des  troupes  espagnoles  pour  l'armée  de  Pié- 
mont. Le  vieil  André  Doria  revenait,  fatigué  et  déçu,  d'une 
campagne  contre  Dragut.  Au  moment  où  il  croyait  tenir 
le  redoutable  corsaire,  cerné  dans  son  repaire  de  l'ile  de 
Gerbah  et  enfermé  comme  dans  une  cage  dans  le  cul-de- 
sac  de  la  Cantara,  le  rusé  renard  creusait  un  étroit  chenal 
à  l'extrémité  sud-ouest  de  l'ile,  et,  de  nuit,  tirant  à  brasses 
galiotes,  il  s'évadait  (:2) . 

Avant  que  l'embuscade  du  prieur  de  Capoue  et  de  Guise 
fut  prête,  la  brusque  apparition  des  quarante  galères  de 
Doria  à  Porquerolles,  le  9  juillet  1551,  déconcerta  les 
deux  conjurés.  Ne  sachant  quelle  contenance  tenir,  l'ami- 
ral comte  de  Tende  envoya  offrir  des  rafraîchissements  aux 
princes  lors  de  leur  relâche  à  Fréjus;  il  se  proposait  d'en 
faire  autant  à  l'escale  de  Marseille,  il  prenait  soin  d'en 
aviser  le  duc  de  Guise  :  »  A  ceste  heure,  le  temps  n'est 
propre  pour  exécuter  l'entreprise,  il  la  fault  tenir  couverte 
pour  une  autre  fois,  "  concluait  le  cardinal  de  Lorraine 
dans  une  lettre  à  son  frère  (3). 

L'occasion  ne  se  fit  point  trop  attendre.  Le  mois  suivant, 
Leone  Strozzi  quittait  Marseille  avec  une  douzaine  de 
galères  bien  armées,  après  de  bruyantes  manifestations 
d'adieu;  les  espions  aux  aguets  rapportèrent  à  l'empereur 
que  l'escadre  se  rendait  pour  plusieurs  mois  dans  le  Levant. 


(1)  27  juillet  (Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise,  dans  la  Collection 
Michaud  et  Poujoulat,  t.  VI,  p.  66). 

(2)  Avril  1551  (Manfrom,  p.  373.  —  F.  Duro,  p.  285). 

(3)  17  juillet  (Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise,  t.  VI,  p.  66). 


HENRI  II  PRÉCURSEUR  DE  COLBERT.         475 

Leur  défiance  ainsi  endormie,  hors  de  vue  des  côtes,  le 
prieur  de  Capoue  met  brusquement  le  cap  à  l'ouest  et, 
dans  la  soirée  du  24  août,  paraît  devant  Barcelone  (1) .  Tant 
au  drapeau  espagnol  qu'ils  voient  flotter  qu'aux  sérénades 
joyeuses  dont  le  bruit  leur  parvient,  les  habitants  ne 
doutent  pas  que  c'est  André  Doria.  Du  rivage  se  détachent 
pour  le  complimenter  une  galère  et  une  frégate,  chargées 
de  gentilshommes;  la  seconde  était  un  léger  aviso  envoyé 
de  l'avant  par  Doria  lui-même  ;  l'autre,  la  Porfiada,  appar- 
tenait à  dom  Antonio  Doms. 

Enveloppés  silencieusement  par  notre  flotte,  les  gentils- 
hommes catalans,  avant  même  d'avoir  le  temps  de  se 
reconnaître,  deviennent  les  prisonniers  de  Moretto  de  Vil- 
lefranche,  capitaine  de  la  galère  de  Pietro  Strozzi.  Par 
malheur,  aux  dernières  lueurs  du  soleil  couchant,  un  Espa- 
gnol, longtemps  prisonnier  à  bord  de  la  Capitane  française, 
a  reconnu  les  nôtres  et  donné  l'alarme.  Les  salves  répétées 
de  notre  artillerie  ne  laissent  plus  le  moindre  doute  sur 
notre  identité.  Dames  et  cavaliers,  venus  respirer  au  bord 
de  l'eau  la  fraicheur  nocturne,  s'enfuient  dans  une  panique 
folle,  poursuivis  par  les  bandes  de  soldats  que  débarquent 
nos  esquifs.  Si  toutes  les  vieilles  troupes  que  le  duc  de 
Guise  avait  envoyées  à  bord  avaient  donné,  Barcelone  était 
enlevée  d'un  coup  de  main.  Mais  Strozzi  ne  poussa  pas 
plus  loin  son  avantage  :  relâchant  galamment  les  dames, 
il  emmena  les  hidalgos,  les  deux  bâtiments  de  guerre  et 
sept  navires  marchands  richement  chargés. 

Au  lieu  d'un  accueil  triomphal,  le  vainqueur  trouva  à 
Marseille  un  guet-apens  dressé  contre  lui  par  des  soldats 
de  Carcès.  Le  chef  des  bandits,  Gian-Batista  Gasella,  dit 


(1)  ÀDRIANI,  Storia  de  suoi  tempi.  Firenze,  1583,  lib.  VIII,  p.  559.  — 
Varillas,  Henry  Second  (B.  N.,  Franc.  6197,  fol.  84).  — Brantôme,  Vie  des 
hommes  illustres,  p.  131 .  —  Thevet,  Histoire  des  plits  illustres  et  sçavants 
hommes  (1671),  p.  178.  —F.  Duro,  t.  II,  p.  387. 


476  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Corso,  délivre  par  lui  des  fers  de  Dragut,  avait  été  longtemps 
son  confident.  Exaspéré  d'une  pareille  trahison,  le  prieur  de 
Capoue  le  fit  arrêter  à  terre  et  jeter  tout  garrotté  sur  la 
Bàtardelle .  En  vain  des  complices  essayèrent-ils  de  tendre 
la  chaîne  pour  empêcher  la  Bàtardelle  de  quitter  le  port, 
en  vain  Tamiral  de  Tende  réclama-t-il  le  coupable  qu'on 
enlevait  à  sa  juridiction.  Strozzi  se  fit  justice.  Convaincu 
de  tentative  d'assassinat,  Corso  prétendait,  dans  les  affres 
de  la  torture,  qu'il  avait  agi  de  l'aveu  du  comte  de  Tende 
et  qu'à  terre  la  vie  du  prieur  de  Capoue  n'était  plus  en 
sûreté  (1).  Assommé  d'un  coup  de  maillet,  achevé  d'un 
coup  de  poignard,  il  fut  jeté  par-dessus  bord,  lesté  de  deux 
mascles  d'artillerie,  près  d'If,  en  vue  de  Marseille  (2). 

Les  événements  se  précipitaient;  le  désarroi  sans  nom 
qui  régnait  dans  le  commandement  supérieur  toumiaità  la 
débâcle.  L'amiral  de  Tende  jurait  qu'on  verrait  bientôt  de 
grands  changements  dans  l'armée  de  mer  :  Carcès  ne 
cachait  point  son  contentement.  Il  avait  été  sauvé  d'une 
révocation,  grâce  à  l'inlervention  du  connétable  de  Mont- 
morency, qui  avait  averti  secrètement  Strozzi  de  ne  plus 
molester  les  capitaines,  dans  le  moment  même  où  un 
exprès  de  la  Cour  remettait  publiquement  à  la  discrétion 
du  général  des  galères  le  sort  de  l'officier  rebelle.  Or,  le  fils 
du  connétable,  François  de  Montmorency,  et  le  frère  cadet 
du  comte  de  Tende,  Honorât  de  Savoie,  comte  de  Villars, 
arrivaient  de  compagnie  à  Marseille. 

La  nouvelle  fut  le  signal  de  l'insubordination,  car  on 
considérait  Honorât  de  Savoie  comme  le  nouveau  général 
des  galères.  Carcès  courut  au-devant  du  soleil  levant,  après 
s'être  fait  porter  malade  pour  ne  point  suivre  Strozzi  à 
Toulon.  Le  prieur  de  Lonibardie,  Sforza,  jusc(ue-là  fidèle  à 

(i)  Lettre  de  Leone  Strozzi  à  Catherine  de  Médicis.  Marseille,  4  sep- 
tembre 1551  (B.  N.,  Franc.  3129,  fol.  25). 

(2)  llcquisitoire  du  procureur  du  roi  (B.  jN.,  Franc;.  3129,  fol, 49), 


HENRI    II    PRECURSEUR    DE    COLBERT.  477 

son  compatriote,  le  quittait  au  large  et  regagnait  Mar- 
seille (I).  Victime  des  criminelles  intrigues  d'une  coterie, 
se  croyant  ignominieusement  dégradé  d'une  charge  qu'il 
avait  remplie  avec  tant  d'éclat,  Leone  Strozzi  s'enferma 
seul  pendant  trois  quarts  d'heure  pour  délibérer  sur  la 
résolution  à  prendre.  Plus  d'un  projet  s'offrait  à  l'esprit  : 
se  venger,  entraînant  dans  la  révolte  l'armée  navale,  se  sai- 
sir de  Marseille  ou  de  tel  autre  port,  ravager  les  côtes  de 
Provence  et  former  entre  l'Italie  et  l'Espagne  un  repaire  de 
pirates.  Trahir,  comme  Doria,  en  passant  au  service  de 
l'empereur  avec  ses  galères  et  celles  du  roi,  qu'il  eût  pu 
débaucher,  se  loger  dans  Villefranche  et  couper  toute 
communication  par  mer  entre  la  France  et  l'Italie.  La 
trahison,  la  vengeance  étaient  sentiments  trop  bas  pour 
un  cœur  généreux.  Le  prieur  de  Gapouc  sacrifia  son  res- 
sentiment à  la  reconnaissance;  il  ne  voulut  point  frapper 
une  nation  qui,  dans  les  jours  d'épreuve,  avait  offert  un 
asile  à  sa  famille  traquée  et  chassée  de  Florence  :  il  pré- 
féra s'exiler. 

Dédaignant  de  se  servir  de  ses  pouvoirs  expirants  pour 
faire  ouvrir  la  chaîne  du  port  de  Marseille,  il  la  franchit  à 
force  de  rames  {"2)  et,  dans  la  nuit  du  IG  septembre  1551, 
il  partit  avec  la  galère  de  son  frère  aîné,  la  Levantine,  com- 
mandée par  son  neveu  Scipione,  et  la  Porfiada  ou  Cata- 
lane, dont  les  chiourmes  avaient  été  renforcées  avec  des 
forçats  de  la  Réale  et  de  la  Bâtardelle  (3).  A  ses  frères,  il 
adressait  xin  mémoire  justificatif,  afin  qu'on  ne  pût  le  soup- 
çonner d'avoir  terni  le  blason  familial  (4)  en  devenant  ce 

(J  )  Lettre  de  Leone  Strozzi  à  l'évêque  son  frère.  «  \n  galera,  nel  porto 
di  Marsilia,  al  15  di  gennaio  1551  »  (P.  Strozzi,  Memorie  per  la  Vita  di 
Fra  Leone  Stioz::,i,  p.  39.  —  TiiEVET,  Histoire  des  plus  illustres  et  sçavans 
hommes  (1671),  p.  179). 

(2)  B.  N.,  Franc.  6197,  fol.  85. 

(3)  Réquisitoire  du  procureur  (B.  N.,  Franc.  3129,  foi.  49). 

(4)  «  Dalle  Sanguinare,  "    18  septembre  1551  et  2  janvier  1552  (Letterc 


418  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

que  le  procureur  du  roi  l'accusa  d'être,  «  déserteur  mili- 
taire» en  face  de  l'ennemi.  Au  roi,  il  renvoyait  son  drapeau 
de  général  soigneusement  plié,  que  son  envoyé  Jean  Capiny 
avait  ordre  de  remettre  en  mains  propres.  Quand  on  déplia 
le  drapeau,  longtemps  après,  il  en  tomba  une  lettre  mouil- 
lée de  larmes  (1)  ;  Strozzi  excusait  son  départ  par  la  néces- 
sité où  l'avaient  réduit  la  calomnie  et  la  haine  de  ses  enne- 
mis. Il  ne  se  plaignait  de  rien,  rejetant  sur  la  fortune,  qui 
lui  avait  permis  de  servir  la  France  avec  gloire,  le  malheur 
de  se  retirer  avec  honte.  Il  allait  à  Malte  retrouver  ses 
frères  en  religion  que  les  Turcs  menaçaient.  »  Plux  à  Dyeu 
l'avoyr  fayst  neyer  » ,  fut  le  souhait  de  voyage  que  formula 
Catherine  de  Médicis,  sa  cousine  (2).  Doria  profita  du  dé- 
sarroi ou,  comme  disait  Henri  II,  du  «  grabuge  »  provoqué 
par  ce  départ  (3)  pour  gagner  l'Espagne  et  repartir  de  Bar- 
celone avec  ses  hôtes  princiers,  le  roi  et  la  reine  de 
Bohème.  Pontevès  de  Carcès  s'était  jeté  à  sa  povirsuite 
avec  quatorze  galères  :  il  atteignait  à  Villefranche  autant 
de  grands  vaisseaux.  Après  un  violent  combat,  il  enleva, 
sous  le  feu  du  bastion  et  des  défenses  du  port,  une  galère 
et  six  vaisseaux  de  charge,  les  bagages  royaux,  des  meubles 
de  prix,  des  chevaux  arabes;  et  il  faillit  prendre,  on  jugea 
le  détail  assez  curieux  pour  le  noter,  un  éléphant  qu'on 
venait  seulement  de  débarquer  (4) .  Qu'il  y  avait  loin  de  cet 
engagement  d'arrière-garde  à  la  victoire  décisive  que  le  roi 

(lei  Priiicipi,  t.  III,  p.  192;  P.  Strozzi,  Memoric  per  la  vita  di  Fia  Leone 
Strozzi,  p.  47). 

(i)  B.  N.,  P^ranç.  3129,  fol.  22;  cette  lettre  est  datée  «  di  galera,  alli  xvi 
di  setternbre  1551  >>  . 

(2)  Lettics  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  47. 

(3)  Lettre  de  Henri  II  à  d'Arainont,  5   novembre  (RiniEn,  t.  II,  p.  310). 

(4)  Lettre  du  connétable  de  Montmorency  au  duc  de  Guise  (Mémoires- 
Journaux  du  duc  de  Guise,  dans  la  Nouvelle  collection  Michaud  et  Pou- 
joulat,  t.  VI,  p.  69).  —  Lettre  de  Trotti  au  duc  de  Modène,  31  octobre  (M.vn- 
FROM,  p.  378,  n.  2.  —  Thomae  Cormerii,  Bertnn  gcslarum  Henrici  II  lihri 
quinque,  fol.  63  v°.  —  Cais  de  Pierl.^s,  Chronique  niçoise  de  Jean  Badat, 
dans  la  Romania,  t.  XXV  (1896),  p.  69). 


HENRI    II    PRÉCURSEUR    DE   COLRERT.  479 

attendait,   »  la  plus  belle  chose  et  la  plus  notable  qui  eût 
esté  faite  de  nostre  siècle  (1)!  " 

De  ce  léger  succès,  au  contraire,  Montmorency  exultait 
autant  que  de  la  désertion  de  Strozzi.  Inconsciemment,  — 
car  ce  n'était  pas  un  malhonnête  homme, —  le  connétable, 
dont  l'étroitesse  des  vues  égalait  la  toute-puissance,  venait 
de  commettre  un  méfait  de  plus.  Il  avait  été  le  fléau  de 
notre  marine  depuis  le  jour  où  on  l'avait  chargé  d'enlever  au 
large  François  I",  qui  passait  en  Espagne  après  Pavie.  Au 
lieu  d'attaquer  les  Espagnols,  il  avait  remis  sa  flotte  en 
otage,  sur  l'injonction  royale,  il  est  vrai;  mais  que  vaut  le 
libre  arbitre  d'un  prisonnier?  Dans  le  cas  présent,  il  sacri- 
fiait Strozzi  à  sa  rancune,  comme  il  avait  sacrifié  Doria  à  ses 
intérêts  (2).  Dans  cette  reprise  de  la  rivalité  entre  la  France 
et  l'Empire,  il  nous  enlevait  la  suprématie  navale,  comme 
il  nous  en  avait  dépossédés  un  quart  de  siècle  auparavant. 
Car  Strozzi  ne  put  êlre  remplacé.  Pontcvès  n'avait  pas  l'en- 
vergure d'un  amiral.  Il  fallut  relaxer  le  baron  de  La  Garde 
et  lui  rendre,  —  avec  quelle  autorité  au  sortir  d'une  pri- 
son !  —  le  généralat  des  galères.  L'épreuve  de  sa  valeur  fut 
bientôt  faite.  Avec  des  forces  moindres  de  moitié,  le  prieur 
de  Capoue  avait  obligé  Doria  à  battre  en  retraite.  Avec  des 
forces  égales,  La  (nirdc  n'osa  livrer  bataille.  Ainsi  fut  com- 
promise, faute  d'un  chef,  l'œuvre  admirable  du  précurseur 
de  Golbert. 


(1)  Lettre  de  Henri  II  du  5  novembre,  citée. 

(2)  André  Doria,  redoutant  pour  sa  patrie  la  concurrence  de  Savone, 
demandait  la  remise  de  celte  ville  à  Gènes.  Montmorency,  intéressé  dans  la 
gabelle  de  Savone,  refusa.  Quelques  jours  plus  tard,  Doria  passait  au  ser- 
vice de  l'empereur.  Il  est  inutile  de  dire  que  je  ne  partage  pas  l'enthou- 
siasme de  M.  Francis  Decruh  pour  son  héros  (^Aiiiie,  dite  de  Monlnioreney, 
p.  104). 


DERNIERE    GUERRE 

CONTRE    CHARLES-OUINT 


I 

CROISIÈRES    DANS    LE    PONANT 

Le  rival  malheureux  de  Strozzi,  Paulin  de  La  Garde, 
expiait,  par  une  longue  détention  et  un  interminable 
procès,  tant  le  massacre  des  Vaudois  que  les  malversations 
commises  (l).  Il  s'étiolait  dans  une  prison  «  fort  contraire 
pour  sa  santé  »  ,  quand  l'amiral  d'Annebault,  ému  de  com- 
passion, supplia  le  duc  de  Guise  de  «  faire  gecter  dehors  le 
posvre  baron  (2)  »  .  Il  fut  assez  heureux  pour  obtenir  gain 
de  cause.  L'ancien  général  des  galères  trouva  aussitôt  l'oc- 
casion de  s'occuper. 

C'était  au  printemps  de  L'io  L  Depuis  quelc[ues  mois,  nos 
relations  avec  les  Pavs-Bas  étaient  très  tendues;  sous  pré- 
texte de  protéger  les  Flamands  contre  les  pirates  écossais, 
le  stalhouder  de  la  flotte,  Gérard  Van  Meckeren,  avait  fait 
une  démonstration  navale  en  vue  du  Conquet  et  capturé 

(i)  Procès  de  La  Garde  (B.  N.,  Morcau  778.  —  Jean  <I\udin,  Essai  sur 
la  vie  du  baron  de  La  Garde,  dans  les  Positions  des  ilièses  de  l'Ecole  des 
chartes  (1902). 

(2)  Lettre  au  duc  de  Guise.  Paris,  13  février  1551  (B.  N.,  Clairanibault 
3-W,  fol.  32). 


DERNIERE   GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  481 

de  nos  bâtiments  non  loin  de  Brest  (l).  Et  noua  apprenions 
que  l'amiral  Maximilien  de  Bourgogne  préparait  sourde- 
ment une  expédition  nouvelle  :  à  la  Vère  en  Zélande,  les 
compagnies  d'embarquement  arrivaient  sans  bruit,  à  la 
file,  la  gouvernante  des  Pays-Bas  ayant  défendu  de  sonner 
le  tambourin  de  ralliement  (2).  A  une  demande  d'explica- 
tions, elle  répondit  que  l'amiral  de  France  en  faisait  autant 
en  Normandie.  D'Annebault  s'en  défendit  (3)  ;  et  pourtant 
à  ce  moment,  il  chargeait  Paulin  de  La  Garde  d'aller  sou- 
mettre au  roi  un  plan  de  campagne,  où  il  comptait  donner 
de  sa  personne,  avec  quinze  vaisseaux,  contre  son  collègue 
flamand.  Il  redoutait  une  attaque  soit  contre  le  Havre, 
dont  la  garnison  fut  renforcée  de  deux  cents  hommes  (4), 
soit  contre  l'escadrille  qui  portait  en  Angleterre  le  maréchal 
de  Saint-André  (5).  Le  maréchal  allait  cimenter  le  traité  de 
Boulogne  par  ces  menus  présents  que  se  font  les  souverains, 
un  échange  des  colliers  de  leurs  ordres.  Le  malheur  voulut 
que,  pour  empêcher  l'escadre  flamande  aux  aguets  d'être 
avisée  de  son  départ,  nous  retînmes  à  Dieppe,  le  temps  de 
traverser  la  Manche,  trois  navires  des  Pays-Bas.  Aussitôt 
la  régente  d'entrer  dans  une  feinte  colère  et,  en  représailles, 
de  saisir  tous  nos  bâtiments  de  commerce  (6). 

La  riposte  eut  quelque  chose  de  foudroyant.  Le  baron  de 


(1)  Mai  1550  (L.  de  BiECKEn,  Etude  bioqrayhùjue  sur  Gérard  Van  Mec~ 
hercn,  vice-amiral  de  Flandre,  dans  les  Annales  de  la  Société'  d'éniulalion 
pour  l'histoire  et  les  antiquités  de  la  Flandre.  Bruges,  in-S",  t.  VI,  2' série, 
p.  347). 

(2)  Lettre  de  Bassefontaine  au  roi.  Bruxelles,  21  juin  1551  (Mémoires- 
Journaux  du  duc  de  Guise,  dans  la  Nouvelle  collection  de  Mémoires  Mi- 
chaud  et  Poujoulat,  t.  VI,  p.  54). 

(3)  26  juillet.  Lettre  du  connétable  au  duc  de  Guise,  27  juillet  (^Ibidem, 
p.  66). 

(4)  u  Mémoire  et  instruction  de  ce  que  M.  de  La  Garde  aura  à  dire  au 
Roy  de  la  part  de  Monseigneur  l'amiral  »   (B.  N.,  Moreau  778,  fol.  259). 

(5)  Juin  1551  (GosSELiN,  Documents  pour  l'histoire  de  la  marine  nor- 
mande, p.  58). 

(6)  Brantôme,  t.  V,  p.  34. 

m.  31 


482  HISTOIRE   DK    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

La  Garde  sortit  du  Havre;  et  le  20  août  1551,  à  une  lieue 
de  Falmouth,  uu  convoi  de  vingt-deux  hourques  flamandes, 
qui  se  dirigeaient  vers  Lisbonne  et  Cadix,  tombait  en  son 
pouvoir  :  deux  voiles  seulement  s'étaient  dérobées.  Le 
baron  s'était  avisé  d'un  stratagème.  Il  avait  demandé  aux 
Flamands  de  saluer  la  reine  d'Ecosse  embarquée  à  son 
bord  :  et  la  fumée  de  leurs  salves  dissipée,  voiles  basses 
comme  il  était  dusage  pour  un  salut,  les  hourqvies,  se  trou- 
vèrent, masses  inertes  et  sans  défense,  la  proie  de  nos  onze 
galères.  Elles  durent  se  rendre,  pour  n'être  point  cou- 
lées (1). 

Une  grosse  flotte  de  hourques  et  de  navires  hispano-por- 
tugais, qui  revenait  de  la  péninsule,  pensa  venger  l'hon- 
neur du  drapeau,  en  chargeant  résolument  notre  petite 
escadre  (2).  Mais  le  sort  lui  fut  encore  fatal.  Cornil  Floris 
se  battit  jusqu'à  la  dernière  extrémité  pour  sauver  sa  riche 
cargaison,  où  des  lingots  d'or  et  d'argent  se  dissimulaient 
sous  des  sacs  et  des  monceaux  de  sel;  son  équipage  hors  de 
combat,  sa  hourque  en  feu,  il  dut  se  rendre.  Et  cette  fois 
encore,  le  retour  du  baron  de  La  Garde,  le  12  septembre, 
fut  triomphal  :  il  ramenait  au  Havre  un  butin  de  six  à  sept 
cent  mille  écus,  et  une  douzaine  de  hourques  (3),  des 
«  croisades  »  d'or,  des  marchandises  «  exquises  »  et  des 
armures  splendidement  auvragées,  dont  l'une  alla  orner  le 
château  que  l'amiral  d'Annebault  se  faisait  construire  à 
Aubecour  (4). 

(i)  Ch.  PiOT,  La  diplo)iialic  coiiccninnl  les  affaires  niaiitiiues  des  Pays- 
Bas  vers  le  milieu  du  XVI"  sièele,  dans  le  Bulletin  de  l'Académie  de  Bel- 
gir/ue.  Bruxelles,  1875,  in-8",  t.  XL,  p.  847. 

(2)  Vaisseaux  portugais  et  autres  «  tous  ensemble  chargèrent  indifférem- 
ment sur...  icelluyI)aron  de  T^a  Garde.  «  Réponse  de  Henri  II  aux  plaintes 
du  Portugal.  12  janvier  1552  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  294). 

(3)  Lettre  de  Martin  Du  Bellay.  18  novembre  1551  [Bullelin  du  comité' 
des  travaux  historicjues  (1895),  p.  29). 

(4)  Guillaume  de  MaRCKILlks,  Mémoire  de  la  fondation  de  la  Ville  Fran- 
çoise, p.  28. 


DERNIÈRE   GUERRE    CONTRE    CHARLES-QUINT.  /i83 

Henri  II  eût  voulu  circonscrire  le  conflit  en  mettant  hors 
de  cause  les  Espagnols,  qu'il  renvoya  sans  rançon  (l).  Mais 
ce  n'était  plus  possible.  Tandis  que  la  régente  des  Pays-Bas 
organisait,  avec  le  concours  d'Anvers  (2),  une  escadre  de 
couverture  pour  les  convois,  Gharles-Quint  prenait  fait  et 
cause  pour  elle  en  donnant  ordre  à  ses  marins  de  nous 
courir  sus  (3).  Et  la  guerre  navale  se  déchaîna  partout  à  la 
fois. 

Contre  quatre-vingt-quatre  de  nos  bâtiments  de  guerre 
disséminés  sur  leur  route,  les  capitaines  flamands  Adolphe 
de  Hamstede,  Gillot,  Binchorst,  Vranck  et  le  vice-amiral 
Jean  de  Croesere  avaient  la  plus  grande  peine  à  protéger 
les  convois  qui  passaient  d'Anvers  en  Biscaye  (-4). 

Le  21  mars  1552,  au  retour  du  printemps,  le  guetteur  du 
sémaphore  de  Dunkerque,  posté  sur  le  clocher,  épiait 
anxieusement  l'horizon.  On  s'attendait  à  tout  instant  à  lui 
voir  hisser  le  signal  d'alarme,  le  petit  foc  qui  indiquait 
l'apparition  des  navires  ennemis  et,  dans  l'espèce,  de  vingt- 
cinq  de  nos  vaisseaux  signalés  du  côté  de  Douvres  (5) . 
C'était  la  Hotte  du  baron  de  La  Garde  qui  reprenait  sa 
croisière,  les  vingt-cinq  galions  et  roberges  dont  un  pri- 
sonnier espagnol  admirait  de  son  cachot  du  Havre  les 
formes  sveltes,  l'agilité  de  la  palemente  et  l'armement  uni- 
forme de  six  pièces  par  flanc  (6).  Tout  un  convoi  d'Anvers 

(i)  Commission  à  l'amiral  pour  vendre  16  prises  flamandes  et  renvoyer 
sans  rançon  les  matelots  espagnols.  18  septembre  1551  (P.  Fournikr,  Hy- 
drographie, 2"  édition,  p.  249j. 

(2)  Septembre  (Bibl.  de  Bruxelles,  ms.  17260). 

(3)  24  novembre  (F.  DuRO,  t.  l,  p.  417). 

(4)  En  1552  (Van  Brdyssel,  Histoire  du  eoininerce  et  de  la  marine  de 
Belgique,  t.  III,  p.  37). 

(5)  Extraits  des  Archives  de  Dunkerque,  par  V.  Derode,  La  marine 
dun/iert]uoise  avant  le  XVII"  siècle,  dans  les  Mémoires  de  la  société  dun- 
kerquoise,  t.  XI,  p.  208. 

(6)  Le  Havre,  13  septembre  1551  (Bulletin  de  la  société  historique  de 
Normandie  (1879),  p.  327).  —  Sur  les  garde-côtes  de  Normandie,  cf.  ci- 
dessuSj  p.  457. 


484  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

fut  encore  sa  proie.  Nous  ne  perdîmes,  par  contre,  que  deux 
légers  bâtiments,  le  Petit-Henri  et  le  Yacht  de  Fécamp,  dont 
les  marins  des  Pays-Bas  eurent  la  maigre  satisfaction  d'af- 
ficher les  noms  dans  leurs  ports  (l) . 

Pour  les  marchands  ennemis,  la  Manche  devenait  un 
coupe-gorge  :  là,  c'étaient  les  malouins  Julien  Protêt, 
Guillaume  Pépin  de  La  Broussardière  et  François  Cormier, 
capitaines  de  la  Jehanette,  du  Jacques  et  du  Daulphin^  qui 
enlevaient  trois  bâtiments  basques  (2)  ;  ailleurs,  les  boulon- 
nais Jean  Rémon,  Jacques  Loysel,  Pierre  Bourdel,  Pierre 
Lenfant  et  Adam  du  Four  amenaient  dans  leur  port  d'at- 
tache une  flottille  de  Lûbeck  (3)  ;  et  le  gascon  Arnaud  de 
Casemajor,  à  bord  de  la  roberge  de  Rouen,  inspirant  une 
telle  terreur  qu'on  le  fuyait  du  plus  loin  qu'on  l'aper- 
cevait, faisait  en  une  campagne  pour  cent  mille  livres  de 
prises  (4) . 

Entre  Basques  français  et  Basques  espagnols,  la  lutte 
revêtit  un  caractère  d'acharnement  inoui.  G  était,  entre 
frères  ennemis,  un  duel  à  mort.  Seize  pataches  espagnoles 
dévastaient  le  Boucau  en  juillet  1552,  lorsque  les  Bayon- 
nais,  se  jetant  sur  elles  avec  leurs  coraux  bien  armés,  les 
forcèrent  à  fuir  (5).  A  la  même  date,  un  grand  vaisseau,  de 
cinquante  pièces  de  canon,  se  battait  un  jour  entier  contre 


(1)  Derode,  ouv.  cité. 

(2)  Le  Faucon  blanc,  l'Assomption  et  le  Griffon  déclarés  de  bonne  prise 
par  jugement  du  sénéchal  de  Saint-Malo.  23  décembre  i55i  (Dionne, 
Jacques  Cartier,  p.  iO,  note). 

(3)  Le  Lion  rouqe,  le  Petit-Lion,  la  Licorne,  la  Vache,  déclarés  de  bonne 
prise  par  le  lieutenant  de  Boulogne,  le  4- juillet  1552  (B.  N.,  Franc.  18153, 
fol.  329  \°),  furent  restitués  par  ordre  du  Conseil  royal  le  2  novembre 
(Ibidem);  et  défense  fut  faite  de  molester  les  Hanséates,  le  20  janvier  1553 
(P.  FOURMER,  p.   249). 

(4)  Guillaume  de  Marceilles,  Mémoire  de  la  fondation  de  la  Ville  Fran- 
çoise, p.  28.  —  11  Estât  des  pièces  concernant  la  prise  faite  sur  les  Espa- 
gnols par  la  roberge  de  Rouen,  dont  étoit  bourgeois  Arnault  de  Caze- 
uiajor.  .)   1553  (B.  N.,  Franc.  32614,  p.  280). 

(5)  Archives  de  Bayonne,  CG  164,  p.  508. 


DERNIÈRE    GUERRE    CONTRE   CH  ARLES-Q  t  INT.  483 

Talcade  de  Deva,  Domingo  de  Gorocica,  qui  ne  s'en  rendait 
mailre  qu'api'ès  la  mise  hors  de  combat  de  tout  l'équipage. 
Curieuse  figure  d'alcade  que  ce  Gorocica!  comme  plus 
tard  le  tapissier  de  Notre-Dame,  il  pavoisait  des  pavillons 
capturés  son  église,  et  des  tambours,  des  fifres  et  des  clai- 
rons de  ses  prises,  il  se  constituait  un  musée.  Ces  Basques 
semblaient  avoir  juré  de  ruiner  nos  ports.  En  mars  1552, 
on  signalait  une  douzaine  de  leurs  chaloupes  dans  le  Mor- 
bihan (1)  ;  ils  pénétraient  dans  la  Loire,  à  Saint-Nazaire, 
insultaient  La  Rochelle,  Marennes,  que  sais-je.  Sept  de 
leurs  galions  jetaient  une  colonne  infernale  de  trois  cents 
arquebusiers  sur  les  rives  de  la  Gironde  et  se  retiraient 
avec  sept  prises,  au  travers  de  trois  vaisseaux  de  guerre  de 
Saint-Jean-de-Luz.  D'autres  fois,  c'était  une  dizaine  de 
zabres  de  Pasajes,  qui  tentaient  de  ruiner  Capbreton  ;  c'était 
Miguel  de  lUnain,  qui  enlevait  dans  la  nuit  de  la  Pente- 
côte la  grande  galère  de  Saint-Jean-de-Luz;  c'étaient  six 
bàlimentsde  Saint-Sébastien,  qui  livraient  un  long  combat 
à  un  nombre  égal  de  vaisseaux  de  Saint-Jean-de-Luz  pour 
reprendre  un  magnifique  carracon.  Le  seul  galion  de  Juanot 
de  Villaviciosa  nous  enleva,  au  cours  de  la  guerre,  soixante 
bâtiments  et  cinq  cents  pièces  d'artillerie;  mille  navires, 
quinze  mille  marins,  au  dire  des  Basques  espagnols,  seraient 
tombés,  de  1551  à  1555,  entre  leurs  mains.  «  A  peine  voit- 
on  un  homme  sur  la  côte  de  France,  qui  n'ait  été  notre 
prisonnier  (2) .  » 

Voici  comment  étaient  organisées  les  croisières  d'es- 
cadres qui   servaient  de  soutien  aux  corsaires  ennemis  : 

(i)  Lettre  du  duc  d'Étampes.  Nantes,  mars  i552  (Dom  Morice,  Mé- 
moires... rie  Bretagne,  t.   III,  col.  t083). 

(2)  "  Inforniacion  hecha  en  la  villa  de  San  Sébastian,  para  acreditar  las 
acciones  marineras  de  los  capitanes  armadorcs  de  Guipuzcoa  durante  la 
guerra  con  Francia.  >>  15  octobre  1555  (publiée  par  F.  DuRO,  Arca  de  Noé, 
libro  sexto  de  las  disquisiciones  nauticas.  Madrid,  1881,  in-8°,  p.  355.  — 
DccÉnK,  Les  corsaires  sous  V  ancien  régime,  p.  333). 


486  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Alvaro  de  Bazan  couvrait  les  côtes  d'Espagne,  depuis 
Gibraltar  jusqu'aux  côtes  basques;  Luis  de  Carvajal,  à  la 
tête  de  douze  vaisseaux  de  Biscaye,  assurait  les  communi- 
cations avec  la  Flandre  (1)  ;  l'amiral  de  Flandre,  Adolphe 
de  Bourgogne,  et  ses  vice-amiraux,  Gérard  de  Meckeren  et 
Antoine  de  Levi,  convoyaient  les  marchands  des  Pays-Bas 
jusqu'en  Espagne,  avec  des  croiseurs  dont  le  nom  disait 
la  légèreté,  l'Aigle,  l'Hirondelle,  le  Faucon,  le  Lévrier, 
le  Renard,  l'Esprit-Volant,  le  Bateau-Mouche,  le  Cerf-Vo- 
lant (2). 

Ils  eurent  bientôt  à  mi-route  un  poste  de  vigie  doù  l'on 
pouvait  (i  veoir  passer  toutes  les  navires  de  France  et  les 
endommaiger.  »  x\vec  des  yachts  dun  faible  tirant  d'eau, 
le  célèbre  marin  néerlandais,  Adrien  Crol,  dEnkhuysen, 
réussit  une  opération  qu'avaient  manquée  les  capitaines 
Robert  Scliotsman  et  Schoonen  Dieric  :  l'occupation  (3) 
par  surprise  de  l'île  de  Sercq.  Mais  avant  qu'il  eût  reçu 
comme  renforts  «trois  navires  aventuriers"  de  Flessingue, 
il  fut  contraint  de  brûler  les  fortifications,  de  jeter  à  la 
mer  les  grosses  pièces  et  d'emporter  les  autres,  avec  les 
munitions,  qu'il  vendit  à  la  garnison  anglaise  d'Aurignv  (^j . 
Il  n'eût  pu  résister  à  un  millier  de  Normands  qui  arrivaient 
à  la  rescousse  ;  et  dans  les  premiers  jours  de  novembre  1553, 
l'île  de  Sercq  était  réoccupée  par  le  lieutenant-amiral  Mar- 
tin du  Bellay  (5) . 

(1)  F.  DuRO,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  417. 

(2)  Partis  le  23  mars  1553  de  Walchoren,  avec  un  convoi  de  vingt-quatre 
bâtiments  marchands,  ils  revinrent  d'Espagne  en  octobre  (V.\n  Brcyssel, 
Histoire  du  commerce  en  Beltjicjiie,  t.  III,  p.  38).  Le  22  mars,  un  de  nos 
corsaires,  le  Mercure,  de  Dieppe,  avait  été  capturé  par  un  navire-éclaireur 
le  Lévrier. 

(3)  Lettres  de  Cornil  Scepperus.  Flessingue,  27  septembre,  et  La  Vère 
2  octobre  1553  [Bulletin  de  l'Académie  de  Bruxelles,  t.  XL  (1875),  p.  853 
note). 

(4)  Lettres  de  Simon  Renard.  Londres,  1'^''  et  8  novembre  (Gacuahd, 
Voya(^es  des  souverains  des  Pays-Bas,  t.  IV,  p.  179,  197). 

(5)  Papiers  d'Etat  du  cardinal  de  Granvelle,  t.  IV,  p.   137. 


DERNIÈRE    GLERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  487 

Mais  les  Anglais  des  îles  anglo-normandes  avaient  un 
intérêt  capital  à  supprimer  notre  gênant  voisinage.  Quel- 
ques mois  plus  tard  (1),  le  capitaine  de  La  Bretonnière, 
que  le  roi  envoyait  à  Sercq,  était  enlevé  par  trois  navires 
flamands,  montés  en  bonne  partie  de  Jersiais.  Il  fut  écroué 
au  château  de  Jersey,  qui  fêta  par  des  salves  répétées  la 
victoire  des  Flamands.  Au  chancelier  d'Angleterre  qui  ré- 
pondait à  nos  plaintes  en  revendiquant  la  propriété  de 
l'îlot,  notre  ambassadeur  répliqua  :  "  Je  pourrois  dire  le 
semblable  povir  le  roy  des  isles  de  Gersay  et  Gucrnesay, 
qui  dépendent  de  sa  duchié  de  Normandie,  estant  icelles 
du  diocèse  de  Constance.  Par  les  derniers  traictéz,  ladicte 
isle  de  Sarck  est  demourée  au  roy,  "  n'en  demandez  donc 
pas  davantage  (2).  La  question  de  la  propriété  des  îles 
anglo-normandes,  longtemps  assoupie,  se  posait  à  nouveau, 
en  même  temps  que  celle  de  la  neutralité  anglaise.  La 
sympathie  des  marins  britanniques  pour  nos  adversaires 
était  tellement  patente  que  le  gouverneur  de  Bretagne 
donna  ordre  de  leur  courir  sus  (3). 


II 


COMiMENT    NOUS    F.\ILLI.MES    ENLEVER    L'INFANT    D'ESPAGNE 

Dans  ces  conjonctures  difficiles,  l'homme  qui  présidait 
aux  destinées  de  notre  marine,  depuis  la  mort  de  l'amiral 
d'Annebault,   depuis  que   La  Garde  avait  repris  dans   le 


(1)  Le  18  avril  1554  {Amhassadcs  de  MM.  m:  Noailles  en  Anqleterre^ 
éd.  Vertot.  Paris,  1763,  in-12,  t.  III,  p.  195). 

(2)  Lettre  d'Antoine  de  î^oailles  au  connétable  sur  la  conférence  qu'il  a 
eue  avec  le  roi  d'Angleterre.  24  mai  1554  [Ihidem,  t.  III,  p.  242). 

(3)  Mandement  du  duc  d'Étampes.  12  août  1553  (B.  N,  ¥<=  Colbert  292, 
fol.  20  v°). 


4S8  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Levant  le  généralat  des  galères  (1),  était  rancien  colonel 
de  l'infanterie  (2). 

Gaspard  de  Coligny  n'avait  servi  sur  mer  que  durant  la 
campagne  de  1545;  mais  la  force  des  choses,  la  valeur  de  ses 
capitaines,  la  direction  qu'il  sut  imprimer  aux  idées  d'expan- 
sion coloniale,  allaient  donner  à  sa  charge  un  grand  éclat  (3) . 

Yillegagnon  fut  de  ceux  qui  y  contribuèrent  le  plus.  Il 
sortait  des  prisons  espagnoles,  quand  on  le  chargea  de 
parer  à  une  attaque  éventuelle  contre  Brest,  en  aidant  de 
ses  lumières  le  vice-amiral  breton,  Marc  de  Carné  (4). 
Geindre  la  place  de  batteries  couvertes  et  le  donjon  d'une 
courtine,  armer  en  galères  les  grands  bateaux  du  roi  qu'il 
garnit  d'une  pavesade  de  gros  cables,  ne  lui  suffirent  point, 
Villegagnon  parlait  d'aller  combattre  la  flotte  de  l'infant 
d'Espagne,  où  qu'elle  fût.  Reprendre  une  place  perdue 
coûte  beaucoup  plus  cher  que  de  dresser  une  armée  navale, 
surtout  que  «  par  là,  écrivait-il,  nous  garderons  non  seu- 
lement Brest,  mais  toute  la  Bretagne,  Guiene  et  Nor- 
mandie (5) .  » 

Sur  ces  entrefaites,  la  vice-amirauté  de  Bretagne  vint  à 
vaquer  :  et  Villegagnon,  qui  en  fut  pourvu,  se  trouva  à 
même  d'exécuter  ses  plans.  Il  se  fit  dépécher  de  nouveau  à 
Brest  avec  l'ordre  de  radouber  les  gros  vaisseaux  du  roi  (6), 


(J)  Lettres  patentes  du  10  juin  t552  (B.  N.,  Moreau  778,  fol.  23i). 

(2)  Coligny  fut  nommé  amiral  de  France  par  lettres  en  date  du  11  no- 
vembre 1552  (B.  N.,  Franc.  18153). 

(3)J.  Del.\bot^de,  Gaspard  de  Coliquy,  amiral  de  France.  Paris,  J879- 
1883,  3  in-8°. 

(4)  Marc  de  Carné  était  encore  vice-amiral  et  capitaine  de  Brest  à  la  date 
du  10  mai  1558  (B.  N.,  Franc.  5128,  p.  181). 

(5)  Lettre  de  Villegagnon  au  duc  d'Étampes.  Brest,  9  décembre  1552 
(Dom  MoRicE,  Mémoires...  de  Breta<^ne,  t.  III,  col.  1088.  —  Hkcluard, 
Villegagnon  roi  d'Amérique  (1510-1572).  Paris,  1897,  4°,  p.  68).  —  Cf. 
l'inventaire  de  l'artillerie  de  la  place  de  Brest.  16-19  août  1553  (B.  N., 
Franc.  22326,  fol.  787). 

(6)  Lettre  de  Montmorency  au  duc  d'Etampes.  16  juillet  1553  (Dom 
'^lomcv..  Mémoires...  de  Bretagne,  t.  III,  col.  1095). 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  489 

tandis  que  Tamiral  de  Goligny  chargeait  un  autre  lieute- 
nant d'inspecter  le  reste  de  la  flotte  du  Ponant  (1).  Deux 
souricières  furent  établies  aux  deux  extrémités  de  la 
Manche,  huit  vaisseaux  dieppois  à  la  hauteur  de  Ply- 
mouth  (2),  treize  ou  quatorze  navires  de  guerre  dans  le 
pas  de  Calais  (3).  Mais  à  Tune  comme  à  l'autre,  un  bâti- 
ment agile  échappa  :  le  Lévrier  portait  en  Angleterre  le 
comte  d'Egmont,  chargé  de  négocier  le  mariage  de  Tln- 
fant  d  Espagne  avec  la  reine  (4). 

Et  bientôt  nous  arriva  d'Angleterre  la  nouvelle  très 
grave  que  la  négociation  avait  réussi.  La  reine  Marie 
signait,  le  12  janvier  1554,  son  contrat  de  mariage  avec  le 
fils  de  Charles-Quint.  Cette  union  matrimoniale  n'était 
point  populaire.  On  le  vit  de  suite  par  le  soulèvement  de 
Thomas  Wvatt,  qui  entraîna  dans  son  parti  le  vice-amiral 
John  Wvntcr  et  les  marins  de  cinq  grands  vaisseaux  armés 
pour  aller  au-devant  de  Philippe  d'Espagne  (5).  A  portée 
des  rebelles,  à  l'embouchure  de  la  Tamise,  croisait  une 
escadrille  française  (6),  où  l'on  distinguait  la  frégate  de 
Villegagnon  (7),  l'apôtre  de  l'offensive. 

Lorsque  Wyatt  fut  arrêté  à  Westminster  par  l'amiral 
HoAvard,  ses  lieutenants  Piet  Caro,  Gourtnay,  Ellegrey  et 

(1)  Aux  termes  d'une  commission  royale  en  date  du  31  juillet  (B.  N., 
Franc.  3115,  fol.  81). 

(2)  Londres,  17  novembre  (Citleiidar  of  State  papers,  Venctian  (1534- 
1554),  éd.  Rawdon-Brown,  p.  831). 

(3)  Lettre  de  Simon  llenard  à  Charles-Quint.  Londres,  21  octobre  (Ga- 
cu.\HD,  Voyaqes  des  souverains  des  Pays-Bas,  t.  IV,  p.  160). 

(4)  FArLcosxiER,  Description  historique  de  Dunkerque)  t.  I,  p.  55. 

(5)  Ambassades  de  MM.  de  Noailles,  en  Angleterre,  éd.  de  Vertot 
(1763),  t.  III,  p.  46  :  lettre  d'Antoine  de  Noailles.  Londres,  28  janvier  1554. 

(6)  Le  dimanche  14  janvier,  deux  navires  de  Dieppe,  un  de  Fécamp  et 
un  de  Boulogne  enlevaient  à  l'embouchure  de  la  Tamise  sept  bâtiments 
néerlandais.  Lettre  de  l'ambassadeur  impérial  Simon  Renard.  Londres, 
18  janvier  (Gacuard,  Voyages  des  souverains  des  Pays-Bas,  t.  IV,  p.  300, 
217). 

(7)  Qui  fut  détruite  à  Margate  par  les  Flamands  (Lettre  de  Noailles. 
11  février  :  Ambassades,  t.  III,  p.  61). 


490  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRAiNÇAISE. 

nombre  de  gentilshommes  coururent  la  mer  à  bord  du 
Sacre  et  autres  bâtiments  dieppois  (1),  cherchant  à  nouer 
des  intelligences  à  Wight  et  dans  les  districts  de  l'ouest  (2). 
Et  de  fait,  une  nouvelle  mutinerie  éclatait  à  Plymouth 
parmi  les  matelots  que  la  reine  envoyait  au-devant  de  son 
fiancé  :  l'amiral  Howard  d  Effingham  se  vit  sommer  par 
eux  de  n'y  point  aller,  sous  peine  de  mort;  et  ce  qui  com- 
pliquait sa  tache,  c'est  qu'il  avait  reçu  de  la  reine  l'ordre 
de  ne  molester  aucun  de  nos  vaisseaux  (3),  au  moment  où 
l'arrivée  d'auxiliaires  semblait  l'entraîner  à  des  hostilités 
ouvertes.  Sous  couleur  de  le  renforcer,  mais  en  réalité 
pour  contenir  les  mutins  anglais,  quatorze  navires  de 
guerre  flamands  rallièrent  son  pavillon.  Bien  que  l'amiral 
Adolphe  de  Bourgogne-Wacken  consentît  à  n'être  qvie  le 
vice-amiral  d'HoAvard  (4),  les  Anglais  n'épargnèrent  point 
à  ces  singuliers  alliés  les  quolibets  et  à  leurs  coquilles  de 
moules  un  hautain  mépris  (5). 

Une  dernière  sédition  enfin  paralysa  Fescadre  britan- 
nique. «  Les  saulvaiges  »  Irlandais  s'étaient  soulevés,  avec 
le  concours  de  Jean  Le  Fer  et  autres  corsaires  malouins, 
qui  s'intitulaient  plus  tard  les  Guerriers  d'Irlande  (6).  En 
vain,  un  vice-amiral  anglais  avait-il  essayé  d'enraver  le 
mal  par  l'arrestation  de  quelques-uns  de  nos  marins,  qu  il 
traita  indignement  (7).  Il  fallut  dépêcher  dans  Tîle  le  comte 
d  Ormond  pour  réprimer  l'agitation. 

(i)  Février-mars  [Ambassades...,  t.  III,  p.  i09,  136). 

(2)  Lettre  de  Charles-Quint  à  Renard.  Bruxelles,  2  avril  {Papiers  de 
Granvellc,  t.   IV,  p.  230). 

(3)  Lettre  de  Noaillcs.   18  mai  (Ambassades...,  t.  III,  p.  220). 

(4)  Lettre  de  Charles-Quint  du  2  avril,  citée.  Wacken,  sur  le  Faucon, 
partit  de  Hollande  le  16  avril  pour  rallier  l'escadre  anglaise  (Vax  Bhuyssel, 
Histoire  du  commerce  en  Belqique,  t.  III,  p.  40). 

(5)  Papiers  de  Granvelle,  t.  IV,  p.  274. 

(6)  «  Jehan  Le  Fer  et  aultres  de  la  guerre  d'IIirlande.  »  Audience  du 
8  janvier  1555  à  Saint-Malo  (.louos  dks  Lokgr.ms,  Jacques  Cartier,  p.  169). 

(7)  Lettre  de  Henri  II  à  Noailles.  12  mai  1554  (Ambassades...,  t.  III, 
p.  207). 


DERNIÈRE  GUERRE  CONTRE  CHARLES-QUINT.     491 

Cependant,  toutes  les  escadres  de  la  Vieille  et  de  la  Nou- 
velle Espagne,  depuis  les  galions  des  Indes  et  les  garde- 
côtes  des  Antilles,  jusqu'aux  divisions  métropolitaines  de 
Bazan  et  Carvajal,  s'assemblaient  à  La  Corogne  pour  passer 
en  Angleterre.  Sur  la  nef  de  Bertendona,  parée  de  soie  et 
de  damas  cramoisi,  et  peinte,  le  long  des  bordages,  de 
tableaux  historiques  qui  formaient  la  galerie  généalogique 
du  futur  époux  (1),  Philippe  d'Espagne  avait  l'air  d'un 
triomphateur  romain  (1).  Tel,  Charles-Quint  s'était  fait 
représenter  à  la  proue  d'une  galère,  en  imperator  vêtu  à 
l'antique  et  couronné  parla  victoire  (2);  tel,  son  fils  par- 
tait pour  la  conquête  de  l'Angleterre,  conquête  pacifique, 
il  est  vrai,  mais  qu'évoquaient  les  scènes  qui  se  déroulaient 
sur  les  voiles  des  cent  cinquante  bâtiments  de  son  escorte, 
toutes  empruntées  à  la  vie  de  Jules  César  et  autres  ùnpe- 
rator.  Cette  attitude  théâtrale  ne  dura  guère.  Durant  la 
traversée,  du  15  au  19  juillet,  une  des  pinasses-avisos 
ayant  rapporté  qu'elle  avait  découvert  une  escadre  fran- 
çaise, le  prince  manda  expressément  à  toute  la  flotte  de  ne 
tirer  aucun  coup  de  canon  pour  le  saluer  et  de  ne  faire 
aucun  signe  qui  décelât  où  il  était  (3). 

Pour  entraver  l'union  de  l'Espagne  et  de  l'Angleterre, 
Yillegagnon  avait  en  effet  préconisé  un  moyen  énergique  : 
enlever  le  fiancé.  Et  depuis  longtemps,  à  l'entrée  de  la 
Manche,  aux  Sorlingues,  se  massaient  nos  forces  navales, 
les  gros  vaisseaux  de  Bretagne  radoubés  par  Villegagnon  (i) , 

(i)  Andrcs  Munoz,  Viaje  de  Felipe  II  a  Inqlaterra.  Zaragoza,  1554  : 
l'éimprimée  pour  la  Sociedad  de  bibliofilos  espaîïoles.  Madrid,  1887.  —  Ochoa 
DE  L\  Salde,  la  Cnrolea.  Lisboa,  1585,  fol.  430.  —  Correspondances  diplo- 
matiqnes  et  actes  officiels  concernant  le  mariage  entre  Philippe,  prince 
d'Espaqne,  et  Marie,  reine  d'Angleterre.  Bruxelles,  1882,  in-8".  — F.  DuRO, 
t.  I,  p.  311,  446. 

(2)  Cf.  la  description  de  ce  trophée  qui  se  trouve  à  l'iVriueria,  dans 
F.  Drno,  t.  I,  p.  320,  note  1. 

(3)  Ambassades  de  MM.  de  Nouilles,  t.  III,  p.  297. 

(4)  I!  avait  été  dépêché  à  Brest  dans  ce  but,  dès  le  16  juillet  1553.  Lettre 


492  HISTOIIiE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

la  flotte  écossaise  que  le  sieur  Glutin  d'Oysel  et  onze  de 
nos  capitaines  avaient  été  mobiliser  (l),  et  une  vingtaine 
ou  une  trentaine  de  vaisseaux  dieppois  commandés  par 
Jean  de  Clères,  colonel  du  ban  et  de  Tarrière-ban  de  Nor- 
mandie (2) . 

Le  6  juin  1554.  un  navire  vénitien,  en  rovite  pour 
Londres,  tombait  au  milieu  d'une  immense  flottille  qui 
courait  des  bordées  entre  la  Bretagne  et  le  cap  Lizard. 
L'écrivain  du  bord  compta  avec  stupéfaction  trois  cent 
vingt  voiles,  des  chasse-marées  en  majeure  partie.  Comme 
la  Bemha  tentait  de  s'éclipser  à  la  faveur  du  crépuscule, 
l'amiral  français,  par  un  coup  de  canon  à  blanc,  lui  intima 
l'ordre  d'arriver  et  d'exhiber  son  sauf-conduit.  Après  con- 
ciliabule avec  le  capitaine  écossais  de  son  plus  grand  vais- 
seau, l'amiral  vicomte  «  d'Albanova  (3j  "  demanda  aux 
Vénitiens  s'ils  avaient  connaissance  de  la  flotte  espagnole. 
Gontarini  et  l'écrivain  du  bord  arguèrent  d'ignorance; 
mais  en  revanche,  ils  apprirent  de  l'amiral  qu  il  y  avait 
dans  la  flotte  en  croisière  quatre-vingts  vaisseaux  de  guerre, 
partie  dans  la  Manche,  partie  au  cap  Land's  End.  Ils  n'en 
comptèrent  pourtant  qu'une  douzaine  du  port  moyen  de 
trois  cents  tonnes,  durant  le  défilé  de  la  flottille.  Moyen- 
nant cinq  bottes  de  vin  et  quelques  compas  de  route,  qu'un 
de  nos  détachements  prit  de  force,  la  Bemha  obtint  licence 
de  poursuivre  son  chemin  (4).  Six  semaines  plus  tard,Phi- 


d'Anne  de  Montmorencv  au  duc  d'Étampes  (Doin  Morice,  Mémoires  pour 
servir  de  preuves  à  l'histoire  de  Bretagne,  t.  III,  col.  1095). 

(1)  Lettre  de  l'ambassade  Renard.  Londres,  18  janvier  155V  (Gacii.\rd, 
t.  IV,  p.  300  et  217). 

(2)  Lettre  de  lord  Grey  à  la  reine  Marie.  6  mars  (^Calendar  of  State  pa- 
pcrs  :  Foreign,  éd.  Turnbull,  p.  64).  —  Lettre  de  Marc-Antonio  Daniula 
au  doge  de  Venise.  Bruxelles,  20  juillet  {Calcndar  of  State  papers  :  Vcne- 
tian,  t.  V,  p.  523,  n"  920). 

(3)  Faut-il  lire  Villegagnon  sous  ce  nom  déformé? 

(4)  Récit  de  l'ambassadeur  vénitien  Giovanni  Michiel.  Londres,  11  juin 
{Calendar  of  State  papers  :    Veiietiait,  t.  V,  p.  508,  n"'  894,  895). 


DERNIÈRE    GUERRE    CONTRE    CHARLES-QUINT.  493 

lippe  d'Espagne  passait  indemne  :  lasse  de  l'attendre,  notre 
immense  flotte  s'était  disloquée. 

En  dépit  du  mariage  de  leur  reine,  les  Anglais  restèrent 
d'abord  neutres,  sauf  à  faire  respecter  la  liberté  des  mers 
par  les  deux  belligérants  :  leur  amiral  signifia  à  notre 
ambassadeur  que  toute  violation  de  neutralité  du  pas  de 
Calais  serait  tenue  pour  une  rupture  de  la  paix  (1).  A  tout 
événement,  nous  prenions  des  mesures  de  défense  :  trans- 
port de  quinze  cents  hommes  de  renfort  en  Ecosse  (2)  ; 
mise  à  la  disposition  de  l'amiral  de  tous  les  gentilshommes 
normands  qui  demeui^aient  à  une  demi-lieue  du  rivage  (3)  ; 
assemblée  des  petits  États  de  Bretagne  ou,  comme  l'on 
disait,  "  des  plus  apparens  »  des  Etats  en  vue  d'organiser 
l'escorte  des  convois  (4)  ;  car  les  Bretons,  jaloux  de  leurs 
privilèges,  avaient  maintenu  leur  autonomie  en  matière 
navale  (5).  Et  l'apparition  de  cinq  flouins  ennemis,  chargés 
de  monde,  qui  «  voltigèrent  "  toute  la  journée  du  24  août 
1555  autour  du  Bé  (6),  montra  combien  il  était  urgent 
d'aviser  à  la  garde  des  côtes.  L'alerte  eut  pour  effet  d'ob- 
tenir des  Maloviins  l'armement  de  six  croiseurs  (7). 


(1)  Lettre  de  Renard  à  Charles-Quint.  Londres,  13  octobre  1554  (Pap/e/s 
de  Granvelle,  t.  IV,  p.  321). 

(2)  Papiers  de  Granvelle,  t.  IV,  p.  400. 

(3)  Patentes  royales  du  5  juillet  1555  (P.  FounxiER,  Hydrographie, 
2<=éd.,  p.  249). 

(4)  Ordre  au  gouverneur  de  Bretagne  de  u  congreger  les  plus  apparens  » 
des  États.  21  mars  1555  (Doni  MonicE,  Mémoires...  de  Bretagne,  t.  III, 
col.  1127). 

(5)  Ils  avaient  refusé  de  payer  le  droit  de  convoi  de  20  sols  par  tonneau  : 
et  Henri  II,  par  lettres  du  17  janvier  1555,  avait  dû  enregistrer  sa  défaite 
(B.  N.,  coll.  Brienne,  vol.  321,  fol.  70). 

(6)  Lettre  du  vice-amiral  Bouille  au  duc  d'Etampes,  gouverneur  de  Bre- 
tagne. Saint-Malo,  24  août  1555  (Dom  Morice,  t.  III,  col.  1145). 

(7)  B.  N.,  Franc.  22310,  fol.  79. 


494  HISTOIRE    DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 


III 


MÉMORABLE   COMBAT    NAVAL   LIVRE    PAR    LES    DIEPPOIS 
AUX    FLAMANDS 

A  l'autre  extrémité  de  la  Manche,  les  magistrats  boulon- 
nais réclamaient  avec  instance  les  navires  de  guerre  affectés 
à  la  protection  des  pêcheurs  de  harengs.  Ils  députèrent 
deux  bourgeois  aux  capitaines  de  ces  bâtiments,  alors  à 
Dieppe,  Fécamp  et  Saint-Valéry,  pour  les  inviter  à  venir 
croiser  dans  le  pas  de  Calais  (1).  A  défaut  de  la  flotte 
rovale,  trop  longue  à  équiper,  une  escadre  de  six  vaisseaux 
«  des  plus  commodes  etdeffensables  "  s  apprêtait  à  Dieppe. 
Le  lieutenant  général  de  Tamirauté,  Charles  de  Ponsard 
de  Fors,  patriotiquement  en  avança  les  frais  ;  et  le  capi- 
taine Beaumont  allait  appareiller  en  juillet  1555,  quand 
Henri  II  congédia  équipages  et  bâtiments.  Navré  de  trans- 
mettre cette  décision,  l'amiral  de  Coligny  fit  savoir  qu'il  se 
substituait  au  roi;  il  participerait  de  ses  deniers  à  l'arme- 
ment (2) . 

La  nouvelle  provoqua  parmi  les  hardis   corsaires  une 

(1)  A.  d'Hactefeuille  et  Bénard,  Histoire  de  Boulogne-sur-Mer  (1860), 
t.  I,  p.  297. 

(2)  Histoire  de  la  bataille  navalte,  faicte  par  les  Dicppois  et  Flanicns, 
qui  est  l'une  des  plus  furieuses  et  soudaines  expéditions  de  mer,  qui  ayt 
esté  entreprise  de  nostre  temps  sur  les  ennemis  du  Roy  Henry  II.  Paris, 
1557,  in-8"  :  réimprimée  par  Cimber  et  Danjou,  Archives  curieuses  de 
l'Histoire  de  France,  i'"  série,  t.  III,  p.  141-168.  —  L'ouvrage  publié  par 
P.  J.  Feret  sous  ce  titre.  Histoire  navale.  Antiquités  de  Dieppe,  mémorable 
combat  livré  par  les  Dieppois  aux  Flamands  l'an  1555,  i-estitution  du 
récit  fait  par  Martis  le  Mescissier  (Dieppe,  1834,  in-fol.),  n'est  qu'un 
résumé  de  l'ouvrage  précédent,  tiré  de  David  Asselixe,  Antiquités  et  chro- 
niques de  la  ville  de  Dieppe  (1682).  En  tête,  Feret  a  placé  une  gravure 
représentant  un  vaisseau  dieppois  du  seizième  siècle,  d'après  un  vitrail  de 
l'église  de  ÎMeuville-les-PoUet. 


DERMÈRK    GUERRE   CONTRE   GHARLES-Q  UIN  T.  495 

explosion  d'enthousiasme.  Dix-huit  navires,  au  lieu  de  six, 
se  trouvèrent  parés  à  sortir  à  «  la  prochaine  vive  eau  " .  Le 
Làtiuient  amiral  ne  dépassait  pas  160  tonneaux,  les  der- 
nières unités  de  combat  25  et  même  15  tonnes. 

Sur  le  iSicolas,  battant  pavillon  amiral,  Louis  de  Bures, 
sieur  d'Espineville  et  parent  d'Ango,  allait  soutenir  digne- 
ment un  grand  renom.  Le  commandement  en  second  était 
dévolu  à  Denis  Guillas,  capitaine  du  galion  royal  l'Eméril- 
lon.  Tous  les  bâtiments  amatelotés  deux  à  deux,  un  petit 
avec  un  grand  (1),  capitaines,  quartiers-maîtres,  marins 
jurèrent  de  se  prêter  un  mutuel  appui,  arrêtèrent  leurs 
signaux  de  reconnaissance  et  appareillèrent  le  5  août  1555. 
La  population  dieppoise  avait  travaillé  nuit  et  jour  à  les 
remorquer  en  rade,  tant  le  port  était  dde  difficile  ouverture, 
spécialement  pour  les  grands  vaisseaux,  ainsi  que  vérita- 
blement sont  tous  les  autres  havres  le  long  de  la  coste  de 
Normandie  "  . 

Dans  la  soirée,  Louis  de  Bures  apprit  d'un  navire  anglais 
qu  il  y  avait  dans  la  partie  du  nord  une  douzaine  de 
hourques  flamandes,  en  route  vers  l'Espagne.  Il  en  avisa 
tous  les  capitaines  venus  le  saluer  »  avec  trompettes, 
tabours  et  coups  d'artillerie"  et,  le  cap  à  l'ouest-sud-ouest, 
alla  se  mettre  en  embuscade.  Le  lendemain,  des  hourques 
apparurent  par  le  travers  de  Wight  :  à  l'examen  de  leurs 
connaissements,    on   acquit   la    certitude   qu'elles   étaient 

(i)  L'Aiiqe  (100  tonneaux),  capitaine  Jean  Le  I\ou.\,  et  le  Faucon,  galion 
du  roi  (60),  des  Bigas  ; 

La  Barbe  (140),  Vincent  Bocquet,  et  la   Comtesse  (GO),  Bertrand  Caillot; 

Le  Soleil  (100),  Adrien  Le  Vilain,  et  la   Gentille  (50),  Nicolas   Ruault; 

Le  Saint-Jean  (90),  Jean  de  La  I^lace,  et  l'Once  (45),  Jean  Lubias; 

La  Levrièie  (120),   Adrien  Leconte,  et  la  Belette  (60),  Anthoine  Varin  ; 

La  Palme  (100),  Louis  Beaucousin,  et  le  Petit-Cocj  (40),  Mathieu 
Cauvin  ; 

Zc  Bedoulé  (30),  Simon  Saquespée,  et  le  Dragon  (35),  Michel  Clé- 
mence ; 

Le  Byays  (25),  Vincent  Colas,  et  la  Ferqate  (15),  Denis  du  Jardin. 


496  HISTOIRE   DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

allemandes,  c'est-à-dire  neutres.  Comme  Tescadrc  «  cou- 
rait au  lis  du  vent,  le  cap  au  su-su-est  » ,  le  galion  du  baron 
de  Clères  la  croisa,  pavillon  de  commandement  arboré.  A 
l'amicale  observation  de  Louis  de  Bures,  que  lui  seul  avait 
commission  de  l'amiral,  le  capitaine  Mase  ne  voulut  point 
se  rendre  et  préféra  chercher  aventure  pour  son  propre 
compte  plutôt  que  de  se  ranger  sous  pavillon  d'autrui. 

L'occasion  le  servit  à  souhait.  Une  hourque,  au  crépus 
cule,  profila  à  l'horizon  ses  formes  gigantesques.  Elle 
était,  soit-disant,  de  Dant/.ick;  Mase  la  garda  à  vue,  afin 
de  la  mieux  reconnaître  et,  au  jour,  fit  sonner  le  clairon. 
a  Mesurant  sottement  les  courages  à  la  grandeur  ou  à  la 
petitesse  des  navires,  »  son  adversaire  attendit  avec  mépris 
l'attaque  d'un  minuscule  galion.  Fort  heureusement  pour 
Mase,  le  Soleil,  la  Palme,  le  Saint-Jean  et  le  Petit-Coq 
étaient  restés  en  arrière,  tandis  que  Louis  de  Bures,  revi- 
rant à  l'autre  bord,  s'éloignait  dans  la  nuit.  Ils  joigni- 
rent leur  feu  à  celui  du  galion  de  Clères,  dont  le  maître 
d'équipage,  Christophe  Simon,  venait  d'être  tué;  après 
un  sanglant  combat,  qui  fit  surtout  des  victimes  parmi  les 
canonniers  du  Saint-Jean  et  du  Soleil,  la  hourque  suc- 
comba. 

Cinq  autres  hourques,  sur  lesquelles  Louis  de  Bures 
était  tombé,  s'étaient  formées  en  bataille,  serrées  les  unes 
contre  les  autres;  cette  velléité  de  résistance  dura  peu  : 
elles  envoyèrent  leurs  connaissements.  Elles  étaient  de 
Hambourg.  Des  papiers,  dont  elles  s'étaient  débarrassées 
en  les  jetant  à  la  mer,  furent  repéchés,  mais  n'apprirent 
rien  d'autre. 

Le  9  août,  comme  l'escadre  s'abritait  en  rade  de  Douvres 
contre  les  vents  du  nord,  quelques  hommes  du  Petit-Dragon, 
descendus  à  terre,  furent  mis  aux  arrêts;  les  Anglais  espé- 
raient Il  leur  tirer  des  dentz  quelque  secret  de  l'entre- 
prise »  .  Louis  de  Bures,  par  deux  coups  de  canon  sur  un 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  407 

petit  navire  anglais,  le  fit  arri^'er  et  le  garda  comme  otage 
jusqu'au  retour  de  ses  hommes. 

«  Tost  après,  le  bateau  passager  de  Douvres  se  mit  en  mer 
pour  aller  à  Calais.  Ce  que  voyant,  nostre  amiral  envoya 
la  Frégate  et  le  Ryays  après,  pour  scavoir  s'il  n'y  avoit 
aucun  des  ennemis,  qui  allât  donner  advertissement  de 
nostre  armée  en  Flandres  »  .  Rattrapé  par  les  deux  flouins, 
en  dépit  des  coups  de  canon  tirés  contre  eux  du  château 
de  Douvres,  le  paquebot  fut  amené  à  l'amiral.  Mais  on  n'y 
saisit  rien  de  suspect,  et  pour  cause  :  plusieurs  paquets 
avaient  été  jetés  par-dessus  bord. 

Le  1 1  août,  à  l'aube,  la  vigie  signala  vingt-quatre  grandes 
voiles,  (c  lesquelles  avec  flot  louyoient  au  vent  pour  passer 
le  détroit  de  Calais.  »  C'était  l'ennemi  cherché.  Vingt 
hourques  flamandes  revenaient  d'Espagne  avec  une  car- 
gaison de  350,000  couronnes  pour  le  compte  de  l'empereur  : 
elles  avaient  comme  consei'ves  trois  bâtiments  de  Civita- 
Yecchia  chargés  d'alun  (1).  Le  dernier  navire,  battant 
pavillon  britannique,  a  amena  toutes  ses  velles  et  jetta 
l'ancre  hors,  pour  voir  à  son  aise  l'exécution  de  cette 
bataille  » .  Sa  manœuvre  laissa  penser  aux  nôtres  que  ses 
compagnes  étaient  encore  des  hourques  allemandes,  "  joinct 
qu'elles  ne  mettoient  leurs  vergues  en  bataille,  ny  faisoient 
aucun  préparatif  de  combat.  Mais  si  les  nostres  furent 
déceuz  de  leur  penser,  les  B'iamens  ne  le  furent  pas  moins.  » 
Confiants  dans  la  force  de  leurs  vaisseaux,  ils  ne  pouvaient 
imaginer  que  des  bâtiments  aussi  petits,  fussent-ils  au 
nombre  de  cinquante,  oseraient  les  charger.  Force  leur 
fut  de  se  rendre  à  l'évidence,  en  voyant  que  les  nôtres 
avançaient  toujours,   leurs   ponts-volants   dressés,   et  que 

(1)  Lettre  de  Giovanni  Micliiel,  ambassadeur  en  Angleterre,  au  doge. 
Richinond,  19  août  (Caleiidar  of  State  Papers  and  manuscripts,  relating 
to  english  affairs,  existing  in  the  archives  of  Venice,  éd.  Rawdon-Brovvn, 
t.  VI,  p.  167,  n"  190).  —  Lettre  de  Badoer.  Bruxelles,  16  août  ylbidem, 
p.  162,  n°  186). 

m.  32 


408  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

«  c'estoit  à  bon  jeu  bon  argent  »  :  ils  préparèrent  en  toute 
diligence  les  grappins  d'abordage  et  la  grosse  artillerie 
tirée  de  l'overlooper  (1).  Il  était  huit  heures  du  matin.  De 
Douvres  comme  de  Calais,  on  apercevait  les  flottes  en  pré- 
sence, à  six  lieues  en  mer. 

Une  hourque,  qui  marchait  à  l'écart,  fut  emportée  par 
ta  Levrière.  Sans  se  soucier  des  bâtiments  relativement 
petits  qu'il  avait  sous  le  vent,  l'amiral  de  Bures,  gouver- 
nant sur  le  vice-amiral  Melis  Claesson,  riposta  à  son  feu 
par  une  bordée  qui  emporta  la  tête  de  Claesson  :  mais 
il  manqua  l'abordage,  »  parce  qu'en  l'accostant  de  son 
épaule  de  tyebort.  Ferre  que  portoit  le  navire,  le  repoussa  » . 
A  peine  avait-il  accroché  une  autre  hourque,  «  qu'il  en 
eustdeux  ou  trois  sur  les  bras" .  Impressionnés  par  un  duel 
aussi  disproportionné,  nos  capitaines  commençaient  à 
«  resserrer  au  vent  » ,  quand  le  second  de  l'amiral,  le  capi- 
taine Guillas,  les  rappela  au  sentiment  du  devoir  et  de 
l'honneur  :  «  Qu'allons-nous  faire  à  la  guerre,  dit-il? 
Est-ce  pas  pour  mourir  aussi  bien  que  pour  faire  mourir! 
Qui  a  crainte  maintenant,  il  est  trop  tard...  Aussi  ay  je 
délibéré  de  me  perdre,  ou  il  se  perdra.  i>  Et  le  petit  Emë- 
rillon,  suivi  de  la  Barbe  et  de  tAtige,  se  jeta  résolument 
(i  au  milieu  de  la  troupe  des  hourques,  lesquelles  char- 
geoient  désespérément  " .  Deux  autres  bâtiments,  hi  Com- 
tesse et  le  Petit-Dragon,  vinrent  à  la  rescousse  de  leurs 
camarades,  presque  écrasés  sous  un  monceau  de  quatorze 
vaisseaux  de  haut  bord.  Puis,  à  la  voix  du  capitaine  Adrien 
Lecomte,  qui  se  lamentait  d'avoir  dégarni  la  Levrière  pour 
amariner  sa  prise  et  suppliait  ses  voisins  de  lui  donner  des 
hommes,  les  autres  commandants  entrèrent  à  leur  tour 
dans  la  fournaise.  Seuls,  le  Soleil,  le  Saint-Jean  et  lOnce 

(1)  «  Tesmoings  examinez  par  le  bailly  de  Middelbourg  en  Zecllande, 
17  août  1555,  «  sur  la  bataille  livrée  près  de  Beverley  et  Douvres  (Bulletin 
de  V Académie  de  Belgique,  t.  XL  (1875),  p.  861,  note). 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  409 

"  tindrent  toujours  au  vent  pour  voir  le  passetemps  de 
loing  » . 

L'épouvantable  passe-lemps!  De  leurs  piques  de  dix- 
neuf  pieds,  de  quatre  ou  cinq  pieds  plus  longues  que 
celles  de  leurs  adversaires  (l),  nos  gens  assaillaient,  sous 
un  violent  feu  de  mousqueterie,  les  hourqucs  bien  munies 
et  bien  closes,  qui  les  dominaient  de  leur  haute  stature. 
Le  plus  grand  de  nos  bâtiments  paraissait  près  d'elles  tel 
qu'un  âne  près  d'un  coursier.  Au  milieu  de  nombreux  morts 
et  blessés,  un  vaillant  corsaire,  dont  nous  verrons  ailleurs  les 
exploits,  Vincent  Bocquet,  capitaine  de  la  Barbe,  tombait  la 
poitrine  trouée  d'une  balle;  le  maître  du  Nicolas,  Nicolas 
Lebon,  s'affaissait,  les  deux  cuisses  transpercées.  Mais  nos 
gens  forçaient  peu  à  peti  les  quatorze  hourqucs,  qui,  une 
fois  accrochées,  ne  pouvaient  résistera  l'abordage  :  l'amiral 
Herman  Hens,  d'Enkhuysen,  tombait  entre  levirs  mains  (2). 

Afin  d'amuser  les  vainqueurs  et  de  donner  aux  autres 
hourqucs  le  loisir  d'entrer  en  scène,  les  prisonniers  avaient 
répandu  sur  les  tillacs  des  sacs  de  réaies  et  de  perles.  Le 
stratagème  réussit  :  nombre  de  matelots  s'attardaient  à 
butiner  sur  les  prises,  au  moment  où  la  réserve  ennemie 
donna.  Ce  fut  encore  aux  quatre  premiers  vaisseaux  engagés 
de  soutenir  le  choc,  parce  qu'ils  avaient  le  plus  dérivé  avec 
le  jusant.  L'Émérillon  reçut  à  moins  de  quatre-vingts  pas 
les  bordées  de  six  hourques  fraîches,  qui  revirèrent  au 
vent,  après  avoir  tiré  en  ligne  de  file,  et  s'accrochèrent, 
deux  aux  hanches  de  l'Émérillon,  quatre  aux  flancs  du 
Nicolas,  de  la  Barbe  et  de  l'Ange. 

Atteint  d'une  balle  sous  l'aisselle,  "  à  l'endroit  de  l'ou- 
verture du  gousset  de  son  âme  "  ,  l'amiral  de  Bures  est 
tvié.  Le  sieur  de  Domménil  s  abat  à  ses  côtés,  la  jambe 
emportée  par  un  boulet  :   sur  le  dos,  ce  brave  entre  les 

(1)  Ibidem. 

(2)  Ibidem. 


500  HISTOIRK    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

braves  continvie  à  tirer  des  coups  de  pistolet  sur  les  gabiers 
ennemis,  tout  en  parant  avec  sa  rondache  les  pierres  qu'ils 
font  pleuvoir  des  hunes  svir  lui.  Aussi  pressé  que  l'amiral, 
le  capitaine  Guillas  n'a  plus  qu'une  dizaine  d'hommes  sur 
le  pont,  quelques  canonniers  dans  les  batteries.  Bientôt, 
il  reste  presque  seul  :  frappé  d'une  balle  au  bras  droit, 
d'un  boulet  à  l'épaule,  la  pertuisane  coupée  par  un  projec- 
tile, il  tient  tête  encore  aux  Flamands  qui  montent  à 
l'abordage  par  la  poupe  :  avec  une  lance  à  feu  qui  lui 
tombe  sous  la  main,  il  les  arrête  et  les  refoule.  A  bord  de 
PAnge,  le  capitaine  Jean  Leroux  reçoit  une  balle  dans  la 
tête,  l'enseigne  Claude  Doublet  a  les  bras  et  la  poitrine 
labourés  par  un  boulet;  la  Barbe  a  failli  sauter;  le  lieute- 
nant Jacques  Dubois,  qui  a  succédé  au  capitaine  Bocquet, 
est  blessé  à  la  jambe.  La  situation  devient  critique.  Les 
matelots  qui  fourrageaient  sur  les  prises  s'en  aperçoivent, 
et,  sautant  de  navire  en  navire,  ils  assaillent  à  revers  les 
six  hourques  qui,  sur  l'heure,  sont  prises. 

La  victoire  est  décisive!  un  incident  vulgaire,  un  acte  de 
rapacité  sordide,  va  tout  remettre  en  question.  Les  plus 
lâches  au  feu,  les  marins  du  Soleil,  de  l'Once  et  du  Saint- 
Jean  furent  les  plus  âpres  au  gain.  Une  rixe  survenue  entre 
ces  pillards  dans  la  chambre  d'arrière  dune  des  prises, 
laisse  croire  au  capitaine  de  la  Palme  que  des  Flamands  s'y 
sont  barricadés.  Il  jette  par  les  fenêtres  quelques  lances  à 
feu,  qui  embrasent  soudain  tant  la  hourqueque  son  propre 
bâtiment.  Et  comme  les  navires  sont  accrochés  les  uns  aux 
autres,  il  y  en  a  bientôt  une  douzaine  en  flammes.  Affolés, 
les  vainqvieurs  cherchent  à  sortir  du  cercle  de  feu;  ils  se 
jettent  au  nombre  de  trois  cents  dans  le  Redouté,  petit 
flouin  de  trente  tonnes,  qui  chavire  sous  ce  poids  énorme 
et  coule  à  fond.  Les  pillards,  alourdis  par  leur  butin,  sont 
entraînés  dans  l'abîme,  et  avec  eux  périssent  le  lâche  capi- 
taine   du  Soleil,  Adrien  Le  Villain,  et  le  capitaine  de  la 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE   CIIARLES-QUINT.  501 

Palme,  Beaucousin.  Deux  autres  flouins,  te  Ryays,  le  Petit- 
Dragon,  et  le  galion  le  Faucon  succombent,  moitié  broyés, 
moitié  brûlés  au  milieu  des  hourques.  Enclos  de  même 
entre  ses  quatre  prises,  PÉmérillon  s'ensevelit  au  milieu  de 
ses  trophées  et  périt  avec  eux,  sans  qu'il  soit  possible  de  la 
dégager  (1).  Resté  le  dernier  à  bord,  le  capitaine  Guillas 
gagne  le  navire  amiral  et  descend  dans  la  chambre-hôpital 
pour  y  faire  «  acoustrer  ses  playes  »  .  Nombre  de  blessés  s'y 
étaient  traînés  sur  leurs  moignons.  Le  Nicolas  n'était  plus 
qu'une  épave,  sans  un  officier  à  bord,  sans  une  voile  entière, 
sans  un  bordage;  Guillas  le  tira  comme  il  put  du  foyer  de 
l'incendie. 

"  Je  vous  laisse  à  penser  quel  espouvantable  et  piteux 
spectacle  c'estoit  de  voir  tant  de  navires  en  feu,  si  grand 
nombre  d'hommes  à  l'entour,  tant  des  nostres  que  des 
ennemys,  emmy  la  mer,  les  uns  sur  un  bout  de  mast,  les 
autres  sur  une  escoutillc"  ;  le  sang  coulait  à  flots  par  leurs 
blessures.  La  i^eûie  Frégate  de  Denis  Dujardinen  recueillit 
un  bon  nombre.  Nos  autres  bâtiments  avaient  quitté,  tout 
délabrés,  le  champ  de  bataille;  quatre  d'entre  eux  se  réfu- 
gièi'ent  à  Douvres,  les  autres  s'acheminèrent  vers  Dieppe. 

Il  était  quatre  heures  du  soir.  Cinq  des  hourques,  aban- 
données dans  un  mouvement  de  panique  durant  l'incendie, 
parvinrent  à  s'échapper  avec  les  trois  bâtiments  flamands 
demeurés  intacts  :  les  prisonniers  enfermés  dans  la  cale, 
n'entendant  plus  personne  sur  le  pont,  avaient  repris  leur 
liberté.  Ni  le  Soleil,  ni  ses  deux  lâches  compagnons,  seuls 
en  état  de  combattre,  ne  poursuivirent  les  bâtiments 
désemparés. 

Le  lendemain,  12  août,  l'escadre  victorieuse  jetait  l'ancre 


(1)  Henri  II  donne  décharge  à  l'amiral  de  Coligny  pour  la  perte  du 
Faucon,  submergé  dans  le  conibal  contre  les  Flamands,  et  de  VÉmérillon, 
péri  par  tourmente.  1555  et  27  noveniijre  1556  (Inventaire  des  archives  de 
Chastiilon  :  b.  N.,  Franc.  32014,  fol.  279). 


502  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

à  Dieppe.  Cinq  grandes  hourques  chargées  de  sel  et  d'alun, 
quatre  cents  prisonniers,  étaient  tout  ce  que  le  feu  avait 
laissé.  Le  débarquement  des  blessés  dura  tout  le  jour,  au 
milieu  des  sanglots  de  la  population,  que  consternait  lap- 
parition  de  ces  corps  défigurés  et  "  si  brouis  "  par  le  feu, 
qu'on  eût  dit  «  gens  masquez  »  .  Le  113,  on  eut  la  joyeuse 
surprise  de  voir  arriver  une  dernière  prise,  avec  quatre 
cents  hommes  dont  le  sort  était  resté  un  problème  (1). 

Informé  de  la  victoire.  Henri  II  écrivit  aux  Dieppois  de 
chaudes  félicitations,  en  les  priant  de  reprendre  la  mer 
pour  ruiner  les  pêcheries  des  Pays-Bas  (2).  En  sujets 
obéissants,  les  vainqueurs  armèrent  vingt-huit  vaisseaux 
qu  ils  placèrent  sous  le  commandement  dun  des  hommes 
les  plus  familiers  avec  les  côtes  d'Angleterre,  et  réputé 
outre-Manche  pour  «  ung  des  meilleurs  hommes  de  mer  de 
la  Ghi^estienté  "  (3),  Jean  Ribaut.  C'était,  en  effet,  au  large 
d'Yarmouth  que  se  trouvaient  les  lieux  de  pèche  du  hareng. 
Mais  une  violente  tempête,  le  jour  de  la  Saint-Michel, 
déjoua  nos  projets  en  dispersant  la  flotte  sur  les  côtes  bri- 
tanniques (4)  et  en  l'empêchant  de  prendre  contact  avec  les 
dix-huit  vaisseaux  de  guerre  qui  couvraient  six  cents 
barques  de  pèche  (5) . 


(1)  Giovanni  Micliiel,  ambassadeur  de  Venise  à  Londres,  évalue  les 
pertes,  de  chaque  côté,  à  six  bâtiments  brûlés  et  deux  coulés;  en  plus  de 
ces  huit  bâtiments,  les  Flamands  perdirent  encore  cinq  bâtiments  capturés. 
Richmond,  19  août  (Calendar  of  State  papcrs,  Venetian,  t.  VI,  p.  167, 
n"  190).  —  .Soranzo,  ambassadeur  à  l'aris,  chiffre  à  3  bâtiments  brûlés  nos 
pertes  et  à  15  navires  celles  des  Flamands  (B.  N.,  Italien   1717,  fol.    114). 

(2)  Lettres  de  Henri  IL  Vigny,  13  août  1555. 

(3)  Ambassades  de  MM.  de  Noailles,  t.  V.  p.  142. 

(4)  Histoire  de  la  bataille  navalle...  (1557),  dernier  feuillet. 

(5)  Lettre  de  Giacomo  Soranzo,  ambassadeur  de  Venise  en  France.  Poissv, 
14  août  1555  (B.  N.,  ItaUen  1717,  fol.  115). 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  503 

IV 

ATTENTAT    DÉMASQUÉ 

Luis  de  Carvajal  eût  voulu  prendre  sa  revanche  par  une 
croisière  sur  nos  côtes.  L'autorisation  sollicitée  de  l'empe- 
reur fut  refusée  (1).  Charles-Quint  lui  réservait  une  mis- 
sion de  confiance,  dont  nous  n'aurions  pas  eu  le  moindre 
soupçon,  sans  certaine  visite  que  reçut,  un  matin  de  jan- 
vier 1556.  notre  ambassadeur  à  Londres.  Le  visiteur  mati- 
nal de  notre  diplomate,  Hollinshed,  était  un  gentilhomme 
anglais  passé  de  la  suite  de  l'amiral  Howard  à  notre  service, 
et  voici  quelle  grave  révélation  il  venait  faire. 

Suivant  entente  avec  Ruy  Gomez  et  l'amiral  de  Flandre, 
Hollinshed  devait  obtenir  de  Goligny  une  licence  de  cor- 
saire. Un  vaisseau  anglais  décent  vingt  hommes  de  guerre 
lui  serait  tenu  prêt  par  les  soins  de  Figueroa.  Par  diverses 
prises,  Hollinshed  endormirait  la  défiance  des  Havrais  :  il 
amènerait  même  au  Havre  un  heu  flamand  avec  une 
dizaine  de  vieux  soldats  d'Espagne,  qvi'il  ferait  enfermer 
dans  la  tour  de  la  jetée;  traités  largement,  en  faisant 
miroiter  l'espérance  d'une  forte  rançon,  les  prisonniers 
trouveraient  le  moyen  d  enivrer  les  gardiens  et,  à  un  signal 
donné,  ils  encloueraient  Tartillerie. 

Cependant,  la  flotte  de  Luis  de  Carvajal  serait  apostée  à 
Wight,  avec  deux  grandes  hourques,  chargées  en  apparence 
de  marchandises  et  en  réalité  de  douze  à  quinze  cents  sol- 
dats cachés  sous  les  tillacs.  Hollinshed  simulerait  un  retour 
victorieux  en  rade  du  Havre  avec  les  deux  hourques  comme 
prises.  La    nuit  venue,  les  soldats  espagnols  gagneraient 

(i)  Lettre  de  l'ambassadeur  de  "Venise  à  Londres.  6  de'cerabre  1555  (Gu- 
lendar  of  State  papers,    Venetiait,  t.  VI,  p.  271,  n"  301]. 


504  HISTOIRE    DE   LA   MARIJiE    FRANÇAISE. 

silencieusement  une  maison  louée  d'avance  non  loin  de  la 
chaîne  du  port;  l'alarme  serait  donnée  au  point  du  jour,  la 
ville  forcée  et  occupée  par  les  marins  de  Garvajal,  qui  arri- 
veraient avec  la  marée  pour  prêter  main-forte.  Trois  mille 
ennemis  seraient  alors  dans  la  place.  Hollinshed  ne  con- 
naissait que  trop  bien  son  rôle  :  à  l'appui  de  son  palpitant 
récit,  il  exhiba  un  plan  détaillé  du  Havre  et  révéla  que 
l'événement  devait  se  produire  en  février  (1). 

En  février,  le  5,  eut  lieu  un  autre  événement  qui  y  mit 
obstacle  :  un  traité  de  paix. 


V 

LA   FLOTTE   TURQUE   ENTRE   EN    SCÈNE 

Cependant,  en  1551,  dès  l'ouverture  des  hostilités, 
Gabriel  d'Aramont  s'était  acheminé  vers  les  puissances 
musulmanes  dont  il  avait  mission  de  coordonner  les  arme- 
ments navals  avec  les  nôtres.  Et  à  toutes  les  étapes,  il 
éprouvait  déception  sur  déception.  Au  lieu  de  l'accueil 
cordial  attendu  du  dey  d'Alger,  il  faillit  rencontrer  un  guet- 
apens  :  un  jour  de  juillet  1551,  toutes  les  batteries  de  la 
ville  et  de  la  flotte  algérienne  se  trouvèrent  braquées  sur 
ses  deux  galères  et  sa  galiote,  parce  qu'on  le  soupçonnait 
d'avoir  donné  asile  à  des  esclaves  fugitifs  (2).  D'Aramont 
apprit  à  Malte  un  fait  plus  grave  :  la  flotte  turque  avait 
paru;  mais  au  lieu  de  saccager  les  provinces  impériales, 
Sicile,  Fouille  ou  Calabre,  comme  il  en  avait  l'ordre  formel 


(i)  Ambassades  de  MM.  dk  Noaii.i.ks  en  Angleterre,  rédigées  [éditées] 
par  feu  M.  l'abbé  dk  Veiitot.  Lcyde,    1763,  in-12,  t.  \%  p.  291. 

(2)  Les  néqociations,  perc(jriiuttions  et  uoyaijes  fuicls  en  lu  J'iiii/uic  pui- 
Nicolas  DE  ^'iGOL.VY,  Daulphinoys-  Anvers,  1576,  iii-4",  p.  7. 


DERNIEIIE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  505 

du  sultan  (l),  Sinan  Pacha  attaquait  les  possessions  des 
chevaliers  de  Malte,  leur  île  d'abord,  puis  celle  de  Gozo  et 
enfin  Tripoli  de  Barbarie,  qu'il  tenait  assiégée  depuis  les 
derniers  jours  de  juillet.  D'Aramont  promit  d'intervenir  en 
faveur  d'un  Ordre  dont  le  roi  se  disait  le  protecteur  :  et  il 
partit  incontinent  pour  Tripoli  (2). 

Dupé  par  l'ambassadeur  impérial  à  Constantinople,  qui 
lui  avait  fait  espérer  la  remise  à  l'amiable  d'El-Mehediah, 
Sinan  s'était  écarté  du  plan  convenu  et  avait  tourné  ses 
armes  contre  un  Ordre,  qu'il  reprochait  véhémentement  à 
la  France  d'avoir  soutenu  en  lui  prêtant  l'appui  d'une 
galère  de  Leone  Strozzi.  Loin  de  divertir  les  Turcs  du  siège 
de  Tripoli,  d'Aramont  se  trouva  contraint  d  assister,  comme 
ingénieur,  au  bombardement  dirigé  par  Dragut  et  Salah 
Raïs,  et  comme  médiateur,  à  la  capitulation  du  maréchal 
Gaspar  de  Vallières,  commandeur  de  Ghambéry,  que 
suivit,  le  15  août,  l'illumination  a  giorno  des  cent  quarante 
bâtiments  turcs  (3) .  Ses  bons  offices,  qui  ne  se  bornèrent 
pas  à  sauver  de  la  captivité  la  garnison,  puisqu'il  rapatria 
lui-même  à  Malte  deux  cents  des  défenseurs,  furent  récom- 
pensés par  la  plus  noire  ingratitude.  Le  Grand  Maitre  lui 
imputa  la  chute  d'une  place  qu'il  estimait  imprenable,  et 
il  fallut  que  le  roi  intervint  pour  obtenir  de  l'Ordre  le 
démenti  public  de  cette  accusation  calomnieuse  (4). 

Mais  tous  les  mécomptes  s'oublient  quand  le  but  final 
est  atteint;  et  la  mission  de  Gabriel  d'Aramont  eut  près  de 
la  Sublime  Porte  un  plein  succès.  Si  le  sultan  ne  se  décida 

(1)  Lettre  du  secrétaire  d'ambassade  intérimaire  à  Constantinople  (Ribier, 
t.  II,  p.  300). 

(2)  Voici  son  itinéraire  depuis  son  départ  de  Marseille  le  4  juillet,  Alger, 
12-19  juillet,  Pantellaria,  Malte,  Tripoli. 

(3)  Nicolas  DE  NicoLAY,  p.  15-40.  —  Lettre  de  Gabriel  d'Aramont  à 
Henri  II.  Malte,  26  août  1551  (Charrière,  t.  II,  p.  154-.  —  Villegagnon, 
De  hello  Mclitensi.  Bâle,  1553.  —  Kibier,  t.  II,  p.  486). 

(4)  Lettres  de  Henri  II  au  Grand  Maître,  30  septembre,  et  du  Grand- 
Maitre  au  roi,  16  novembre  1551  (lliuiEU,  t.  II,  p.  309). 


506  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

point  à  prêter  cinquante  galères,  il  promit  d'en  mobiliser 
trois  fois  davantage  afin  de  nous  appuyer.  Faites  «  exploit 
sur  l'empereur  et  attaichez  avec  luy  une  guerre  qui  n'aura 
pas  si  tost  fin  »,  telles  étaient  ses  instructions  à  Sinan  et 
aux  autres  capitaines  de  son  armée  navale,  Dragut,  sandjak 
de  Lépante,  et  Salah  Raïs,  le  nouveau  dey  d'Alger,  hardi 
corsaire  né  à  l'ombre  du  mont  Ida  (1),  que  les  démarches 
de  notre  ambassadeur  pour  lui  faire  attribuer  une  escadre 
avaient  entièrement  conquis  à  notre  cause  (2). 

La  fatalité  voulut  que  l'empereur  fût  prévenu  avant 
nous  par  les  dépêches  de  notre  propre  ambassadeur,  qui 
furent  saisies  près  de  Trieste  sur  le  capitaine  Coste  (3). 
Faute  de  connaître  à  temps  les  intentions  du  sultan  et  pour 
n'avoir  appris  qu'en  mai  par  le  chevalier  de  Seure  l'entrée 
en  campagne  des  Turcs,  Henri  II  ne  put  combiner  dans 
tous  ses  détails  le  plan  de  conquête  du  royaume  de  Naples. 

La  iiolte  de  Sinan,  entrée  le  -4  juillet  dans  le  phare  de 
Messine,  mettait  à  sac  la  côte  italienne;  Reggio,  Policastro 
avaient  été  la  proie  des  flammes,  et  si  le  vent  n'avait  été 
contraire,  tout  le  littoral  subissait  le  même  sort.  Témoin 
de  ces  "beaux  feux  (4),"  Gabriel  d'Aramont,  dont  les  deux 
galères  voguaient  avec  Dragut  à  l'avant-garde,  s'apitoyait 
sur  les  "  infinies  pauvres  âmes  »,  emmenées  en  capti- 
vité (5).  Au  risque  de  décancerter  1  ardeur  de  nos  alliés  en 
leur  interdisant  le  pillage,  notre  ambassadeur  obtint  qu'on 
l'espectàt  les  terres  du  prince  de  Salerne. 

(i)  De  IlAMEn,  t.  VI,  |j.  172. 

(2)  Lettre  de  Gabriel  d'Aramon.  Andrinople,  20  janvier  1552  (CuAnniÈnE, 
t.  II,  p.  178,  note). 

(3)  Lettre  de  GharIes-«Quint  à  Ferdinand  d'Autriche,  son  frère.  22  mars 
(La>z,  Corrcspondenz,  des  Kaisers  Karl  F,  t.  III,  p.  137^. 

'4'  Leltrcj  de  Gabriel  d  Aramont  à  Henri  II.  Terracine,  22  juillet.  Cap 
Cireello,  30  juillet  (Charbière,  t.  II,  p.  206  et  216). 

(5)  Nicolas  DE  NicoLAY,  B.  N.,  Franc.  20008.  —  Amiral  Jubien  de  la  Gra- 
vière,  Les  vorsaires  barhavfsques  et  la  marine  de  SoUvian  le  Grand.  Paris, 
1887,  in-8",  p.  219. 


DERNIERE    GUERRE    CONTRE    CHARLES-QUINT.  507 

G'était  au  prince  de  Salerne,  réfugié  en  France,  que  le 
roi  avait  confié  la  lieutcnance  générale  de  Texpédition 
napolitaine  (1).  San-Sevcrino  promettait  de  nous  ouvrir  les 
portes  de  la  capitale,  où  il  ne  comptait  pas  de  plus  chaud 
agent,  étrange  paradoxe,  que  le  spoliateur  de  ses  biens, 
Ascanio  Golonna.  L'escadre  du  baron  de  La  Garde,  dont  il 
disposait,  avait  ordre  de  rallier  dans  le  golfe  de  Naples  la 
flotte  de  Sinan,  tandis  que  les  corsaires  algériens,  par  une 
pointe  sur  les  côtes  d'Espagne,  forceraient  Doria  à  diviser 
ses  forces  (2).  Mais  le  baron,  replacé  tardivement  à  la 
tête  des  galères  (3),  ne  fut  point  en  état  de  prendre  la  mer 
le  6  juillet,  comme  il  l'espérait;  et  le  prince  de  Salerne  se 
laissa  attarder  à  Venise  par  les  fallacieuses  promesses  de 
concours  de  la  République. 

Sinan  attendait  impatiemment  aux  îles  Ponza  l'arrivée 
de  notre  escadre.  Ce  fut  Doria  qui  parut  dans  la  soirée  du 
5  août.  Incertain  sur  la  direction  prise  par  ses  adversaires, 
il  avançait  vers  Naples,  avec  l'espoir  de  se  glisser  à  travers 
la  croisière  et  de  jeter  dans  la  place  les  troupes  du  colonel 
Madruccio.  Ses  éclaireurs  n  ayant  rien  signalé  d  anormal, 
il  était  descendu  pour  la  nuit  dans  sa  cabine,  quand  sou- 
dain l'escadre  de  Dragut,  puis  toute  la  flotte  de  Sinan, 
masquée  derrière  les  îles  Ponza,  fondit  sur  ses  trente-neuf 
galères.  En  quelques  instants,  six  d'entre  elles  furent  cap- 
turées; une  septième,  la  Santa-Barbara,  opposait  une  vi- 
goureuse résistance  qui  tomba  devant  Tentrce  en  scène  des 
deux  galères  de  Gabriel  d'Aramont.  Lutter  contre  cent  cin- 
quante bâtiments  eût  été  folie  :  le  reste  de  la  flotte  espa- 
gnole prit  la  fuite  vers  la  Sardaigne,  laissant  entre  les 
mains  des  Turcs,  outre  les  équipages  des  prises,  le  colonel 

(1)  B.  i\'.,  Franc.  3115,  fol.  39. 

(2)  Instruction*  de  Henri  lia  Paulin  de  La  Gai  de.  27  juin  (CHAnmtnt, 
t.  II,  p.  202). 

(3)  Provisions  de  général  des  galères  pour  le  baron  de  La  Garde.  10  juin 
(B.  N.,  Moreau  778,  fol.  231). 


508  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Madruccio  et  sept  cents  hommes  de  troupes  allemandes  (1) . 

Si  le  baron  de  la  Garde  avait  rejoint  les  Turcs  à  ce 
moment,  aucune  force  humaine  n'eût  été  capable  d'en- 
traver la  conquête  de  Naples.  Mais  Sinan  refusa  de  prêter 
plus  longtemps  l'oreille  aux  supplications  de  notre  ambas- 
sadeur, que  soutenait  Dragut,  et  il  reprit  la  route  de  Gons- 
tantinople. 

Par  suite  d'un  malentendu,  le  baron  de  La  Garde  atten- 
dait de  son  côté  depuis  le  18  août  en  Corse,  persuadé  que 
c'était  là  le  rendez-vous  et  qu'il  verrait  apparaître  la  flotte 
turque  avant  le  25.  Il  avait  vingt-quatre  galères  et  trois 
frégates  (2).  L'inquiétude  bientôt  le  prit;  partant  en  quête 
de  ses  alliés,  à  Terracine,  Ischia,  Lipari,  il  ne  rencontra 
près  de  Reggio  que  l'escadre  espagnole  de  Cicala,  qui  lu' 
échappa  en  gagnant  un  abri  sous  le  canon  de  la  ville.  Les 
Turcs  n'avaient  que  quelques  jours,  quelques  heures 
d'avance  :  ils  étaient  non  loin  de  Cotrone,  comme  notre 
escadre  entrait  dans  le  phare  de  Messine.  La  Garde  ne  par- 
vint pourtant  à  rejoindre  leur  arrière-garde  qu'à  Sainte- 
Marie,  dans  les  îles  Ioniennes.  Mais  ni  lui,  ni  l'ambassa- 
deur de  Beaudisné,  ni  le  prince  de  Salerne  ne  purent 
obtenir  de  Sinan  un  retour  en  arrière  ou  seulement  le  prêt 
de  trente  galères.  Il  fallut  accepter  la  proposition  d'un 
hivernage  dans  le  Levant,  sauf  à  revenir  au  printemps  avec 
une  flotte  turque  de  deux  cents  voiles  (3).  Beaudisné  et  le 


(1)  GuERRAZZi,  Vila  di  Andréa  D'Oria,  l.  II,  p.  295.  —  Lettre  de  l'am- 
bassadeur de  France  à  Venise  (Charrière,  t.  II,  p.  225).  —  F.  Duro,  t.  II, 
p.  289.  —  MiNFROXi,  p.  381-382  :  excellente  critique  des  exagérations  de 
Duro  sur  la  prétendue  cruauté  des  Français,  qui  auraient  livré  leurs  prison- 
niers aux  Turcs  pour  les  voir  empaler! 

(2)  Il  emmenait  les  galères  de  Fieschi,  Charlus,  Beynes,  Carcès,  Martelli, 
Albisse,  Pierre  Bon,  Saint-Martin,  La  Bastide,  La  Chambre,  etc.,  ne  lais- 
sant à  Marseille  que  les  six  galères  de  Roussy,  Frcgoso,  Cabassoles  et  Sainl- 
Blancard  (Archives  des  Bouchcs-du-Rhône,  B  236,  fol.  174). 

3)  Rapport  du  baron  de  La  Garde  à  Henri  II.  Golfe  de  Lépanle,  15  sep- 
tembre 1552  ^B.  jN.,  Moreau  774,  fol.  260). 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  509 

capitaine  Velleron,  chargés  d'aviser  le  roi  de  cet  accroc 
imprévu,  devaient  rapporter  des  instructions  nouvelles. 

Il  en  était  besoin.  Dans  le  temps  que  le  prince  de  Salerne 
affirmait  aux  Turcs  que  Naples  se  soulèverait  à  son  ap- 
proche, son  agent  était  brûlé,  la  conspiration  éventée, 
Ascanio  Golonna  trahi  par  Marc-Antonio  Golonna,  son 
fils  (1).  Le  baron  de  La  Garde  n'en  savait  rien;  et  durant 
l'hivernage  à  Chio,  il  rêva  de  l'expédition  de  Naples.  Il 
rêva  d'une  attaque  combinée  par  terre  et  par  mer,  où 
feraient  merveille  ses  soldats  »  extraordinaires  » ,  embar- 
qués au  nombre  de  six  cent  sept  en  sus  des  hommes  de 
cap,  et  les  deux  cents  nobles  volontaires  venus  à  la  guerre 
navale  "  pour  leur  plaisir  (2)  » .  A  Marseille,  le  capitaine 
Henri  d'Albisse  songeait  à  tout  autre  chose  :  avec  les 
galères  restées  sur  nos  côtes,  il  projetait  d'aller  rejoindre 
l'escadre  algérienne  et  de  courir  sus  aux  Espagnols  au  delà 
du  détroit  de  (7ibraltar  (3).  Mais  de  l'un  comme  de  l'autre, 
de  La  Garde  comme  d'Albisse,  les  instructions  royales 
déroutèrent  les  prévisions. 

Dès  Ghio,  le  prince  de  Salerne  fît  des  difficultés.  Il  vou- 
lait les  prérogatives  du  commandement  en  chef,  le  fanal, 
l'étendard  et  toute  liberté  d'allures.  Sur  le  refus  de  Baccio 
Martelli  de  le  mener  sans  autorisation  près  de  Dragut,  le 
prince  nous  faussa  compagnie  à  bord  d'une  galère  musul- 
mane. Il  fallut  lui  donner  la  chasse  comme  à  un  déser- 
teur. 

Pour  lui  offrir  qvielque  satisfaction,  on  relâcha  à  Cotrone, 
presque  à  l'extrémité  de  la  botte  italienne,  oii  plusieurs  de 
ses  partisans  vinrent  nous  saluer  comme  des  libérateurs. 
Quant  à  arborer  notre  drapeau  et  encourir  ainsi  la  colère 

(1)  Vahillas,  Henry  second  :  cf.  B.  N.^  Franc.  6197,  fol.  186. 

(2)  11  Mémoire  de  ce  qu'est  besoing  faire  dépescher  pour  l'armée  qui  est 
à  Siou..   [Chio]  (B.  N.,  Moreau  770,  fol.  64). 

(3)  Lettre  de  Henri  d'Albisse  au  connétable.  Marseille,  11  mars  1553 
(B.  N.,  Franc.  20460,  fol.  39). 


jlO  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

des  Espagnols,  les  habitants  n'osaient  s'y  décider  :  les 
Turcs  voulaient  les  punir,  se  promettant  un  fructxieux  pil- 
lage d'une  petite  ville  appelée  La  Roccclla.  Pour  s'y  être 
opposé,  La  Garde  faillit  provoquer  le  départ  de  ses  alliés. 

Il  ne  trouva  d'autre  dérivatif  à  leurs  âpres  convoitises 
que  de  les  éloigner,  par  le  circuit  de  la  Sicile,  de  ce  royaume 
napolitain  que  le  roi  considérait  comme  un  patrimoine. 
Épié,  depuis  Syracuse,  par  des  troupes  prêtes  à  repousser 
la  moindre  tentative  de  descente,  il  s'impatienta.  Tolérer 
pareille  bravade,  c'était  compromettre  l'honneur  national 
et  la  réputation  des  deux  armées.  Attaquez  les  premiers, 
nous  suivrons  de  bien  près,  répondit  Dragut  à  son  envoyé. 
Velleron,  à  la  tête  de  onze  cents  hommes,  prit  pied  près  du 
cap  Passero,  sous  les  charges  furieuses  de  trois  escadrons, 
soutenus  par  quatre  enseignes  d'infanterie.  Un  instant,  la 
compagnie  de  débarquement  turque  fut  en  danger;  son 
chef,  un  lieutenant  de  Sinan,  fut  tué;  mais  rien  ne  put 
arrêter  l'élan  de  nos  troupes,  qui  infligèrent  de  lourdes 
pertes  aux  insulaires.  Plus  loin  à  l'ouest,  Licata,  le  grand 
a  réservoir»  de  blé  de  la  Sicile,  fut  saccagée  et  livrée  aux 
flammes. 

Le  lendemain,  quatre  transports  chargés  de  grains  pour 
Gênes,  et  le  surlendemain,  Tile  de  Pantellaria,  que  défen- 
daient vingt  grosses  pièces,  tombaient  au  pouvoir  des 
alliés.  A  mi-chemin  de  Tunis,  les  raïs  faillirent  ne  point 
résister  à  la  tentation  de  s'en  rendre  maîtres  et  d'aban- 
donner notre  escadre.  A  force  de  diplomatie  et  d'adresse, 
le  baron  de  La  Garde  parvint  à  les  entraîner  encore;  mais 
on  comprend  comment  toutes  ces  péripéties  et  ces  tiraille- 
ments retardèrent  jusqu'au  9  août  son  arrivée  à  Port'Er- 
cole  (1). 

(1)  Les  leUres  au  roi,  dans  lesquelles  il  rend  compte  de  son  voyage, 
marquent  les  dernières  étapes  de  son  itinéraire  :  31  juillet,  île  de  Tavolara 
sur  la  côte  nord-ouest  de  la  Sardaigne  ;  7  août,  Montecristo  ;   9  août,  Port' 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  511 

Là,  le  général  des  galères  trouva  l'ordre  d'acheminer 
toutes  les  forces  navales  sur  la  Corse,  en  persuadant  au 
prince  de  Salerne  que  l'expédition  de  Naples  n'était  que 
partie  remise  et  que  les  entreprises  projetées  étaient  «  au- 
tant d'arrhes  gagnés  sur  le  royaume  "  des  Deux-Siciles  (I). 


VI 

CONQUÊTE    DE   LA   CORSE 

En  cas  de  tempête,  les  flottes  françaises  qui  se  rendaient 
en  Italie  n'avaient  sur  leur  route  aucun  lieu  de  refuge,  les 
ports  de  la  Rivière  de  Gènes  leur  étant  interdits.  Cette  con- 
sidération stratégique  nous  porta  à  faire  revivre  nos  droits 
sur  la  Corse,  qui  nous  avait  été  cédée  jadis,  en  1402,  par 
Gènes.  Le  promoteur  de  la  conquête  de  l'île  fut  un  Corse, 
réputé  pour  le  meilleur  officier  d'infanterie  de  l'armée 
française,  tant  il  avait  montré  de  bravoure  aux  sièges  de 
Marseille,  de  Perpignan  et  de  Landrecies,  là  en  arrêtant 
avec  trois  cents  arquebusiers  toute  la  cavalerie  légère  de 
Charles-Quint,  ici  en  sauvant  les  bagages  du  Dauphin  qui 
levait  le  siège  de  Perpignan,  à  Landrecies  enfin  en  ravitail- 
lant la  ville. 

En  réunissant  sa  patrie  à  la  France,  le  colonel  Sampiero 
ou  Sampietro  délia  Bastilica,  si  célèbre  sous  le  nom  de 
colonel  d'Ornano,  trouvait  aussi  le  moyen  d'assouvir  sa 
vengeance  contre  l'aristocratie  génoise  qui  l'avait  faitchas- 
ser  de  l'île  (2).  N'avait-il  pas,  l'humble  soldat  de  fortune, 


Ercole;  14,  ile  d'Elbe  (Ribiee,  t.  II,  p.  442  et  suiv.  ;  B.  N.,  Franc;.  20463, 
fol.  45). 

(i)  Lettres  de  Henri  II  au  baron  de  La  Garde  et  au  sieur  d'Aramont,  2  et 
8  juillet  (RiBiER,  t.  II,  p.  4;  CiiARiiiKnE,  t.  II,  p.  263). 

(2)  Arrighi,  Histoire  de    Sampiero   Corso.  Bastia,  1842,  in-8°.  Henri  II 


512  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

eu  l'audace  de  préfendre  au  plus  riche  parti  de  la  Corse  et 
d'évincer  ses  rivaux,  les  nobles  sénateurs  de  la  République, 
en  épousant  la  fille  du  gouverneur  d'Ornano  !  Ce  l'ut  lui  qui 
proposa  au  Conseil  la  conquête  de  la  Corse,  la  représentant 
comme  une  opération  d'une  facilité  extrême  (l),qui  mettait 
aux  mains  de  la  France  le  frein  de  r Italie  f2),  la  clef  de  la 
Méditerranée  (3). 

Plus  d'un  conseiller  royal  était  acquis  d'avance  à  sa 
cause.  Au  château  de  Saint-Maur,  le  cardinal  Du  Bellay  en 
avait  longuement  devisé  avec  le  chevalier  de  Villegagnon, 
qui  connaissait  les  points  faibles  de  l'île  a  aussi  bien 
qu'homme  de  France  et  d  Italie  "  .  Trois  ou  quatre  mille 
soldats  suffiraient  à  enlever  les  forteresses  du  littoral  :  en 
haine  des  Génois  "  qu'ils  estiment  marcadants  et  canailles 
au  prix  d'eux  qui  se  disent  nobles  " ,  ajoutait  le  cardinal, 
les  Corses  s'enrôleraient  en  foule  sous  le  drapeau  français 
et  constitueraient  une  réserve  importante,  dix  mille 
hommes  au  moins,  pour  nos  guerres  d'Italie  (4).  André 
Doria  l'avouait,  par  la  Corse  on  tenait  Gênes  et  la  Toscane 
la  corde  au  cou,  et  on  s'ouvrait  sur  Sienne,  Rome  etNaples 
un  chemin  sûr  qu'on  fermait  à  l'ennemi. 

Or,  nous  avions  pied  en  Italie.  Une  révolution  avait 
éclaté  à  Sienne;  la  ville  s'était  donnée  à  la  France  (5);  le 
11  août  1552,  le  maréchal  de  Termes  y  faisaitson  entrée  (6). 

était  intervenu  en  faveur  de  Sampiero  en  menaçant  les  (iénois,  ses  persécu- 
teurs, de  représailles  sur  leurs  marchands. 

(1)  Variixas,  Henry  second  (B.  N.,  Franc.  6197,  fol.  148). 

(2)  Lettre  de  Sampiero  à  Cosme  I"  (Livi,  Coshno  de  Medici). 

(3)  Lettre  de  Rivarola  (Tommaseo,  Lettere  di  Pasquale  Paoli,  p.  159). 

(4)  RiniER,  Mémoires  d'État,  t.  II,  p.  467.  —  A.  Heuliiahd,  Villega- 
qnon,  p.  77  :  le  cardinal  Du  Bellay  expédie  au  connétable  un  plan  de 
descente  et  renvoie  au  chevalier  de  Villegagnon  pour  plus  ample  informé 
(7  juin  1553). 

(5)  Cf.  le  traité  passé  entre  Henri  II  et  la  république  de  Sienne.  20  jan- 
vier 1552  (B.  N.,  Franc.  3112,  fol.  1). 

(6)  Sozzixi,  Bivoliizioni  di  Siena,  éd.  Gaetano  Milanesi  dans  V Aiehivio 
storico  de  Vieusseux,  t.  II.  —  Biaise  de  Monluc,  Commentaires,  éd.  A.  de 


DERNIERE   GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  513 

Abusant  de  la  confiance  qvie  nous  lui  témoignions,  le  duc 
Cosme  I"  de  Alédicis  tenta  de  soulever  la  population  sien- 
noise  contre  la  garnison  française  (1).  Il  méritait  d'être 
châtié  :  et  le  châtiment  était  d'autant  plus  opportun  que 
les  ports  de  Toscane  constituaient  une  excellente  base 
d'opérations  navales.  La  Maremma  était  peuplée  de  Corses, 
qui  se  seraient  soulevés  au  moindre  signe  du  colonel  Sam- 
pie  tro  (2). 

Ce  fut  un  motif  pour  Dragut  et  le  baron  de  La  Garde  de 
préluder  au  débarquement  en  Corse  par  l'attaque  de  l'île 
d'Elbe.  Un  seul  port  résista.  Porto-Ferraio  donnait  asile 
au.Y  quatre  galères  du  jeune  prince  d'Appiano,  que  vint 
rejoindre,  avec  trois  cents  nouveaux  défenseurs,  la  galère 
de  Simeone  Rossermlni  :  Rossermini  avait  traversé  intré- 
pidement, dans  la  nuit  du  10  août,  l'escadre  française  et 
quatre  bâtiments  turcs  en  reconnaissance.  Malgré  l'appât 
d'une  prime  de  trente  mille  écus,  Dragut  ne  parvint  pas  à 
enlever  la  place.  Et,  donnant  comme  défaite  que  le  port 
n'en  valait  pas  la  peine,  il  recula  devant  l'attaque  dePiom- 
bino,  que  défendaient  les  douze  cents  hommes  de  Chiap- 
pino  Vitelli,  épaulés  par  l'armée  du  marquis  de  Marignan. 
Non  sans  peine,  La  Garde  le  décida  à  passer  en  Corse  (3). 

Laissant  au  cardinal  de  Ferrare  le  gouvernement  du 
Siennois,  le  maréchal  de  Termes  embarqua  sur  la  flotte 
franco-turque  son  petit  corps  d'armée  :  les  douze  compa- 
gnies italiennes  de  Gian-Bernardino  San-Severino,  duc  de 

Ruble,  t.  I,  p.  438.  —  Duc  de  Dino,  Chroniques  siennoises.  Paris,  1846,  in-8''. 
(i)  Lettre  de  Cosme  I"  à  Pandolfini.  17  août   1552   (A.    Desjardins,   Né- 
gociations diplomatiques  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  321). 

(2)  Mémoires  de  Cesare  Vajari  sur  les  moyens  que  le  roi  peut  employer 
pour  secourir  Sienne  (Duc  de  Dino,  p.  232). 

(3)  Lettres  du  baron  de  La  Garde  au  roi  et  au  connétable.  12-14  août  1553 
(B.  N.,  Franc.  20463,  foi.  39  et  51  ;  Ribier,  t.  II,  p.  450).  —  Lettre  en- 
voyée de  Florence  au  duc  de  Modène.  22  septembre  (Man froni,  iVfarùïa  rfa 
querra  del  granducato  Mediceo.  Roma,  1895-1896,  2  in-8'',  t.  I,  p.  39,  et 
Storia  délia  marina   italiana,  p.  387).  — De  Thod,  livre  xii,  t.  II,  p.  377 

m.  33 


514  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Somma,  et  de  Giordaiio  Orsini,  les  six  compajjnies  gas- 
connes de  Velleron,  aux  effectifs  de  trois  cents  hommes 
chacune,  et  les  irrcguliers  corses  de  Sanipicro.  Le  21  août 
1553,  la  flotte  française  quittait  1  île  d'Elbe  :  Dragut  la  ral- 
liait en  roule.  Le  lendemain  matin,  Somma  et  Sampiero, 
détachés  de  l'avant  avec  une  dizaine  de  galères,  débar- 
quaient à  IWranella.  près  de  Bastia.  La  garnison  de  Bastia 
parlemente;  les  Corses  désertent  à  la  voix  de  leur  com- 
patriote Sampiero  ;  et  l'arrivée  du  reste  de  la  flotte  fran- 
çaise dans  la  nuit  décide  Gentile  da  Erbalunga  à  capituler. 

De  cette  base  d  opérations,  colonnes  et  escadres  rayon- 
nent, le  colonel  Velleron,  les  Gascons  et  les  Corses  de 
Sampiero  sur  Corté,  Paul  de  Termes  sur  Saint-Florent,  la 
flotte  turque  le  long  de  la  côte  orientale  et  l'escadre  fran- 
çaise sur  la  côte  ouest  (1).  Contournant  le  cap  Corso,  le 
baron  de  La  Garde  invite  à  son  bord  le  seigneur  du  pays, 
Giacomo  Santo  da  Mare  et  le  force  à  se  déclarer  pour  la 
France.  Il  débarque  une  douzaine  de  canons  à  Saint-Florent 
pour  l'armement  des  bastions  que  le  maréchal  y  élève, 
reconnaît  Calvi,  de  trop  forte  assiette  pour  être  enlevée, 
et  jette  deux  compagnies  dans  Ajaccio. 

Il  n'a  plus  à  compter  sur  les  Turcs.  Furieux  de  savoir 
que  les  galères  françaises  regorgent  de  musulmans  fugitifs 
qui  ont  cru  y  trouver  le  salut  et  sont  retombes  dans  l'escla- 
vage (2),  Dragut  a  pris  congé  :  il  a  consenti  toutefois  à 
réduire,  en  s'en  allant,  les  ports  du  sud-est,  Porto-Vecchio 
et  Bonifacio.  Mais  seize  jours  de  bombardement,  trois 
assauts  qui  coûtent  aux  Turcs  quinze  cents  hommes,  n'ont 

(1)  Du  ViLLARS,  Mémoires,  dans  la  J\'ouvelle  collection  MicLaud  et  Pou- 
joulat,  p.  129.  —  Lettre  de  Paul  de  Termes.  Saint-Florent,  30  août  (Ribier, 
t.  II,  p.  452).  —  CiBO  PiECCHi,  Historiae  Geniienses  (B.  N.,  Nouv.  acq. 
latines  1764,  p.  219).  —  C.4Mbiagi,  Istoria  di  Corsica,  t.  II,  lib.  vu.  — 
Fiuppixi,  Istoria  di  Corsica,  l.  III,  lib.  vu. 

(2)  Lettre  de  Dragut  à  Henri  II,  en  italien.  De  l'ile  de  Corse,  23  août 
1553  (B.  N.,  Franc.  20648.  fol.  15). 


DERNIERE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  5i:. 

pas  raison  du  vaillant  défenseur  de  Bonifacio;  Antoine  da 
Canneto  ne  capitule  qu'entre  les  mains  des  Français,  intro- 
duits par  un  stratagème  dans  la  place,  mais  spectateurs 
impuissants  du  massacre  de  la  garnison.  Encore  Dragut 
menaçait-il,  si  on  ne  lui  donnait  trente  mille  écus,  de  brû- 
ler la  ville  et  d'emmener  en  captivité  les  habitants! 

Il  nous  laissait,  en  partant,  un  ambassadeur  que  le 
baron  de  La  Garde  emmena  incontinent  à  Marseille  (1), 
afin  de  s'en  prévaloir  comme  d'une  caution  à  la  Cour;  il 
laissait  aussi  vm  plénipotentiaire  près  du  dey  d'Alger,  dont 
La  Garde  escomptait  le  concours  pour  remplacer  la  flotte 
turque  (2);  en  attendant,  l'envoi  des  cinq  galères  garde- 
côtes  de  Provence  (3j,  conduites  par  Scipione  Fieschi,  ne 
causa  pas  un  médiocre  plaisir  aux  troupes  de  Corse. 
.  C'est  qu'un  redoutable  adversaire  entrait  en  scène.  Un 
demi-siècle  plus  tôt,  en  1503,  lorsque  l'aristocratie  insu- 
laire avait  essayé  de  secouer  le  joug  des  Génois,  elle  avait 
trouvé,  à  Gênes,  le  même  ennemi  et,  en  France,  le  même 
accueil.  Tandis  que  Louis  XII,  alors  souverain  de  la  ville 
ligurienne,  offrait  au  brave  Ranuccio  délia  Rocca,  chef  du 
parti  de  1  indépendance,  un  asile  et  le  collier  de  Saint- 
Michel,  André  Doria  traquait  Ranuccio  de  maquis  en 
maquis  et  le  cernait  au  sommet  d'une  colline  :  le  prison- 
nier aurait  péri  sans  l'intervention  du  roi  (4).  Cinquante 
ans  plus  tard,  la  République  remettait  l'étendard  de  la 
guerre  au  capitaine  qui  avait  jadis  maintenu  la  Corse  dans 
sa  dépendance. 

Cette  tache  difficile  entre  toutes,  protéger  un  État  faible 

(1)  Où  il  arriva  le  10  septembre.  L'ambassadeur  repartit  le  30  avril  1554, 
en  compagnie  du  capitaine  de  La  Salle,  pour  presser  le  départ  de  la  flotte 
algérienne  (B.  N.,  Coll.  Morcau,  vol.  738,  fol.  55). 

(2)  Lettre  de  Termes.  30  août  (Ribier,  t.  II,  p.  453). 

(3)  Elles  appareillèrent  à  Marseille  le  20  août.  Lettre  de  Scipione  Fieschi, 
19  août  (B.  N.,  Franc.  20460,  fol.  31). 

(4)  SicONius,  De  vita  et  rcbus  gestis  Andrew  Doriœ,  cap.  v. 


516  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

et  mal  arme  contre  les  convoitises  de  denx  puissants  voi- 
sins, du  roi  comme  de  Tempereur,  un  vieillard  de  quatre- 
vingt-sept  ans  l'assumait.  Et  que  de  subtilité  diplomatic|ue 
il  sut  déployer  pour  intéresser  Charles-Quint  à  sa  cause, 
sans  lui  donner  de  gages!  Si  la  Corse  venait  à  succomber, 
disait-il,  les  Génois  entravés  dans  leurs  navigations  et 
ruinés  seront  contraints  de  subir  les  volontés  du  roi  et  de 
payer  de  leur  indépendance  leur  fidélité  à  Tempereur.  — 
Ma  flotte  est  à  votre  disposition,  répondit  Charles-Quint  (1) . 
Et  tout  de  suite,  la  situation  changea. 

Dés  le  mois  d'octobre,  Calvi  était  débloqué  par  l'avant- 
garde  génoise  :  trois  mille  hommes,  amenés  par  Agostino 
Spinola,  forçaient  les  troupes  du  colonel  Velleron  à  gagner 
la  montagne.  Le  mois  suivant,  Doria,  avec  huit  mille 
hommes  et  un  parc  de  siège,  investissait  Saint-Florent. 
«  Si  Dieu  lie  faict  ung  grand  miracle,  écrivait  un  homme 
de  guerre,  il  ne  demeurera  de  la  Corse  au  roy  que  Boni- 
face;  »  la  place,  il  est  vrai,  «  vault  plus  que  tout  le  demeu- 
rant ensemble  »  . 

Le  maréchal  de  Termes,  irrésolu  et  comme  perdu  dans 
un  labyrinthe,  la  guerre  conduite  à  la  guise  des  Corses, 
c'est-à-dire  subordonnée  aux  vendettas,  un  millier  d'insu- 
laires à  peine  sous  les  armes,  alors  que  la  population 
entière  se  montrait  fort  affectionnée  à  la  France,  le  pays 
presque  désert  et  inhabité,  telle  était  l'impression  pénible 
d'un  capitaine  qui  venait  de  parcourir  toute  l'île  (2). 

Le  baron  de  La  Garde,  chargé  de  porter  à  la  Cour  ces 
sinistres  nouvelles,  avait  passé  non  loin  de  trente-deux 
galères  et  de  quinze  vaisseaux  en  croisière  de  blocus  devant 
Saint-FIorenl.  Doria  espérait  prendre  la  ville  parla  famine; 
des  transports  envoyés  de  Marseille,  avec  une  cargaison  de 

(1)  Capkli.om,  p.  174.    . 

(2)  La  lettre  est  vraisemblablement  de  fictro  Strozzi.  Elle  est  datée  de 
Bonifacio,  8  décembre  1553  (B.  N.,  Franc.  3007,  fol.  86). 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  517 

vivres,  n'y  purent  pénétrer  (1).  Mais  "  Giordano  Orsini, 
enfermé  dans  la  ville  avec  quinze  cents  hommes,  mettait 
autant  d'énergie  à  la  défendre  que  Doria  à  rattatjuer  (2)  »  . 
Enthousiasmé  de  cette  magnifique  résistance,  le  roi  donna 
ordre  avi  général  des  galères  de  risquer  toute  sa  Hotte  pour 
le  dégager.  Avec  quatre  mille  hommes  de  renfort,  pensait- 
il,  général  des  galères  et  maréchal  couronneraient  leur  vic- 
toire en  Corse  par  l'attaque  et  la  prise  de  Gênes. 

La  Garde  disposait  de  forces  sensiblement  égales  à  celles 
de  Doria,  trente-cinq  ou  trente-six  galères,  six  vaisseaux  et 
quatorze  enseignes  de  trois  cents  hommes  à  bord  (3).  Elles 
furent  réparties  en  six  divisions  pareilles,  aux  ordres  du 
général  lui-même,  des  commandeurs  de  Charlus  et  de 
Beynes,  du  comte  de  Roussy,  de  Baccio  Marlelli  et  de 
Pierre  Saint-Martin;  les  éléments  de  chaque  division,  en 
cas  de  danger,  se  devaient  un  mutuel  appui.  Dans  le 
groupe  du  général,  formé  d  une  élite  de  bâtiments,  trois 
des  galères  sur  les  cinq  préposées  au  soutien  de  la  Réale 
étaient  des  capitanes,  celles  du  comte  de  Tende,  du  prieur 
de  Lombardie  et  de  Cabassolles,  que  flanquait  une  galiote 
■d'avis.  Dans  la  conversion  de  la  colonne  de  marche  en 
ordre  de  bataille,  Roussy  et  Charlus  se  rangeaient  à  la 
droite  de  létendard  avec  treize  galères,  les  divisions  du 
général  et  de  Beynes  formaient  la  gauche;  Charlus  et 
Beynes  étaient  aux  deux  cornes  du  croissant.  Martelli  et 
Saint-Martin,  à  la  tête  de  quatre  bâtiments  chacun,  for- 
maient la  réserve  sur  les  flancs  (4). 

Faute  de  signaux  convenus,  une  de  nos  escadrilles  qui 

(1)  FlUPPIM,   t.   III,   liv.   VII,  p.   391.   —  CHARniKRE,   t.    Il,  p.  291. 

(2)  Jean  Gatjdin,  Essai  sur  la  vie  du  baron  de  La  Garde  (ms.),  2'^  partie, 
«hap.  IV. 

(3)  B.  N.,  Collection  Duchesnc  61,  fol.  262. 

(4)  «  C'est  l'ordre  que  Mgr  le  baron  de  La  Garde,  général  des  gallaires 
<iu  roy,  veult  et  entend  estre  observé  au  présent  voiaige  tant  à,  la  navigation 
que  pour  le  combat  "    (Ibidem,  fol.  260). 


518  IIISTOIRK    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

arrivait  de  Corse,  avait  failli  livrer  bataille  au  grand  prieur 
de  Lorraine  en  partance  à  Porquerolles  (1).  La  Garde, 
pour  V  parer,  munit  ses  bâtiments  de  "  contresignes  »  ou 
signaux  de  reconnaissance  (2),  qui  leur  permettaient  éga- 
lement d'apprendre  des  guetteurs,  à  l'arrivée  en  Corse,  si 
la  côte  était  »  nette  ou  brutte  de  vaisseaux  «  ennemis.  Le 
signal  fut  qu'elle  était  «  brutte  "  . 

Et  le  baron  de  La  Garde  arrivait  devant  Saint-Florent 
avec  trois  bâtiments  de  moins  qu'au  départ,  la  galère  de 
Martelli  fracassée  sur  les  rochers  d'Antibes  et  les  galères 
de  Carcès  et  de  Beynes,  que  la  bourrasque  avait  mises 
hors  d'état  de  continuer  leur  route  (3).  Prévenu  par  ses 
guetteui's,  André  Doria  s'apprêtait  à  soutenir  le  choc  avec 
trente-deux  galères  et  quinze  vaisseaux  rangés  en  ligne  de 
bataille.  La  Garde,  intimidé  par  cet  appareil,  passa  outre 
et  sema  le  long  de  la  côte,  à  Ajaccio,  Bonifacio,  Porlo- 
Vecchio,  les  renforts  qu'il  amenait.  Dans  la  dernière  de 
ces  villes,  il  apprit  la  chute  imminente  de  Saint-Florent. 
Le  bouillant  colonel  d'Ornano  lui  offrit  de  s'embarquer 
avec  ses  bandes,  afin  de  livrer  bataille  à  Doria  :  u  les 
hommes  combattent,  disait-il,  et  non  le  bois  (A).  » 

Mais  un  nouvel  ouragan  éclata,  comme  la  flotte  passait 
par  le  travers  de  1  île  Pianosa,  et  dispersa  les  bâtiments 
dans  toutes  les  directions.  Dix  galères  seulement  et  un 
brigantin   suivirent  le  fanal  du  jjénéral,  qui  s  acheminait 


(i)  Le  10  flécembre  1553,  selon  une  lettre  du  grand  prieur  ^Meinoiies- 
Joui-naitx  du  duc  de  Guise,  dans  la  Aouvelle  collection  Michaud  et  Pou- 
joulat,  1''  série,  t.  VI,  p.  219). 

(2)  «  Ce  sont  les  contresignes  que  Mgr  le  baron  de  La  Garde,  général  des 
gallaires  du  roy,  veult  et  entend  estre  observez  à  la  présente  navigation. 
Thollon,  28  janvier  155.3,  ..  n.  st.  1554  (B.  N.,   Duchesne  61,  fol.   259). 

(3)  Ils  regagnèrent  Marseille  (Procès-verbal  du  naufrage  aux  Arcbives 
des  Bouches-du-RhÔne,  B  239,  fol.  126). 

(4)  Lettre  de  La  Garde  au  connétable.  14  février  1554  (B.  N.,  Moreau 
778,  fol.  257.  —  Jean  Gaudin,  Essai  sur  la  vie  du  baron  de  La  Garde, 
2*^  partie,  chap.  iv). 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  519 

de  nuil  vers  Porto-Longone.  Dans  les  ténèbres,  un  vaisseau 
espagnol,  chargé  de  cinq  cents  fantassins,  tomba  au  milieu 
de  notre  division,  qui  promptement  l'amarina.  Tout  un 
convoi  de  troupes  suivait  pour  le  camp  du  duc  de  Ferrare; 
La  Garde  l'apprit  par  les  prisonniers,  et  de  se  mettre  aus- 
sitôt en  embuscade.  A  l'aube,  trois  vaisseaux  parurent, 
faisant  route  sur  Pionibino.  L'un  d'eux  ne  put  échapper 
à  nos  galères,  qu'une  embellie  favorisait  et  qui  rafraî- 
chirent leurs  chiourmes  «  des  plus  belles  gens  et  mieulx 
armez  que  vistes  onques;  "  des  quatre  compagnies  espa- 
gnoles qui  venaient  de  Naples,  on  ne  laissa  aller  que  les 
blessés,  préalablement  u  dévarizés  »  selon  les  cruelles 
habitudes  de  l'époque  (1).  Les  autres  bâtiments  avaient 
fui  vers  Livourne.  Le  lendemain,  la  prise  d'une  grosse  nef 
de  Raguse,  chargée  de  blé  et  de  sucres,  ravitaillait  la 
flotte. 

Mais  à  l'île  Pianosa,  un  triste  spectacle  s'offrit  au  baron 
de  La  Garde.  Une  partie  de  sa  flotte,  cinq  galères  dont  il 
n'avait  plus  de  nouvelles,  y  gisaient  fracassées.  Les  forçats, 
Espagnols  et  Italiens,  délivrés  par  l'ouragan,  avaient  pris 
les  armes  et  refusèrent  de  quitter  la  terre.  On  eut  peine  à 
sauver  les  naufragés  français.  Désormais  trop  faible  pour 
tenir  la  mer,  le  général  des  galères  n'eut  d'autre  ressource 
que  de  gagner  Marseille  à  la  fin  de  février,  après  avoir 
expédié  à  Codignac  (:2)  un  avis  instant  de  presser  le  départ 
de  la  flotte  turque  :  de  concert  avec  les  Algériens,  on  tra- 
vaillerait la  Sicile  et  Naples,  on  empêcherait  en  tout  cas  la 
jonction  des  flottes  impériales. 

Il  n'était  plus  question  de  la  Corse.  Après  une  défense 
héroïque  qui  avait  coûté  à  Doria  les  deux  tiers    de    son 


(1)  Lettre    de   La  Garde   du    14   février  citée.  —    Du  Villars,    dans   la 
Nouvelle  coll.  Michaud...,  p.  139. 

(2)  Mémoires-Journaux  du  duc  de    Guise,    dans    la    Nouvelle  coll.  Mi 
chaud...,  p.  201,  note. 


520  HISTOIRE    DE   LA   MARINE    FRANÇAISE. 

armée  et  avait  failli  lui  faire  lâcher  prise,  Giordano  Orsini, 
mourant  de  faim,  son  dernier  caméléon  mangé,  avait  capi- 
tulé le  27  février  1554  (1).  Il  avait  si  bien  forcé  Testime 
publique,  qu'un  auteur  lui  dédiait,  comme  à  un  maître 
dans  Tart,  un  traité  sur  la  castramétation  romaine  (2j .  Les 
troupes  du  siège  étaient  trop  affaiblies  pour  continuer  la 
guerre  :  une  partie  fut  laissée  en  garnison  à  Saint-Florent, 
Adamo  Genturione  emmena  quelques  compagnies  contre 
Calvi  et  Doria  l'etourna  vers  le  continent,  pour  nous  donner 
le  coup  de  grâce  sur  les  côtes  du  Siennois  (3).  Un  adver- 
saire inopiné  se  dressa  devant  lui. 


VII 

LES    DERNIERS   JOURS    DU    PRIEUR    DE    CAPOUE 

Leone  Strozzi  fugitif  avait  goûté  le  pain  amer  de  l'exil. 
In  propria  venu,  et  sui  eum  non  receperunt,  lit-on  sur  un 
parement  d'autel  qu'il  offrit  à  la  Madone  de  Filermo  (4).  A 
Malte,  ses  frères  en  religion,  hôtes  de  l'empereur,  ne 
l'avaient  accueilli,  en  octobre  1551,  qu'avec  l'assentiment 
du  vice-roi  de  Sicile  :  et  sa  nomination  dégénérai  des  galères 
de  l'Ordre  fut  encore  soumise,  pour  approbation,  au  même 
lieutenant  impérial.  Strozzi  l'avait  pourtant  payée  de  son 
sang. 

(i)  Quatre  iiiille  lioinmes  étaient  morts  sous  tes  murs  de  Saint-Florent 
(liCttre  de  Trotti  au  duc  de  Modène,  28  février  :  Manfroni,  p.  389,  note  4). 

—  Lettre  de  Selve  à  Henri  II,  Venise,    8  mars  :  GnAnniKRK,   t.    II,  p.   307. 

—  FiLiPPiNi,  t.  III,  p.  394. 

(2)  1"  août  1555  (Gabriel  Simeoxi,  Discorso  sopra  la  castranietatione  et 
disciplina  militare  de  Romani,  trad.  de  Guillaume  Du  Cuoul  :  Cf.  É.  Picot, 
Les  Italiens  en  France  au  XVt  siècle,  dans  le  Bulletin  italien  (1901), 
p.  116). 

(3)  Manfroki,  p.  389. 

(4)  Bacdoin  et  de  Naberat,  Histoire  des  chevaliers  de  l'ordre  de  S.  Jean 
de  lliérusalem  (1629),  t.  I,  p.  413. 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  r)21 

Chargés  de  compléter  les  chiourmes  de  l'Ordre  par  des 
razzias  en  pays  barbaresques,  ses  douze  cents  hommes  de 
troupe,  débarquant  de  nuit  en  Tripolitaine,  marchaient  en 
trois  colonnes  sur  la  ville  de  Zoara,  quand  ils  tombèrent 
soudain  au  milieu  d'un  camp  turc  dont  on  apercevait  con- 
fusément les  tentes  dans  un  ravin.  C'étaient  quatre  mille 
vieux  soldats  commandés  parle  l»ey  de  Tripoli,  Mourad-Aga. 
Dans  le  furieux  corps  à  corps  qui  s'engagea,  Leone  Strozzi 
fut  blessé  à  la  cuisse;  son  neveu  Scipione,  capitaine  de 
galère,  fut  tué  :  mais  les  Turcs  subirent  des  pertes  terribles, 
un  millier  d'hommes,  sans  parvenir  à  empêcher  le  rembar- 
quement (1) . 

-  Les  trois  galères  de  Strozzi,  aux  ordres  de  Martines  de 
Casseda,  vengèrent  cet  échec  par  des  courses  fructueuses 
et  ramenèrent  du  Levant  des  prises  par  dizaine,  après  avoir 
coulé  le  galion  de  Roustan-Pacha,  gendre  du  sultan,  et 
capturé  l'aga  du  sérail  de  la  sultane.  Mais  le  prieur  avait 
l'âme  trop  haute  pour  se  contenter  d'un  gain  aussi  vul- 
gaire. Jaloux  de  son  indépendance,  n'ayant  d'autre  maître 
que  Dieu,  disait-il,  il  eût  voulu  disposer  pour  son  propre 
compte  d'une  place  forte.  Il  fit  des  ouvertures  en  ce  sens  à 
la  garnison  espagnole  d'Africa,  rebelles  que  le  gouverneur 
de  la  place,  réfugié  dans  l'ile  de  Pantellaria,  bloqxiait  à 
distance  (2).  Il  essuya  un  refus;  et  la  garnison  profita  de  la 
médiation  de  l'Ordre  de  Malte  pour  obtenir  le  pardon  de 
l'empereur. 

.  La  mort  du  Grand  Maître  Omedès  ouvrit  au  prieur  de 
Capoue  un  nouvel  horizon.  Il  avait  toutes  les  chances  de 
lui  succéder.  Mais  dans  le  conclave  de  l'Ordre,  une  voix 
s'éleva,  la  voix  de  la  peur,  pour  montrer  combien  il  était 


(1)  L'expédition  dura  du  6   au   2i   août  1552  (Piero   Strozzi,   Mcinorie 
ver  la  vita  cl i  Fia  Leone  Strozzi,  p.  62-73.  —  Baudoin,  p.  416). 

(2)  Instructions-  données    à    Salvago,    qu'il    envoyait    à    Africa.    Malte, 
24  mai  1553  (Piero  Strozzi,  p.  76.  —  B.tDDOiN^  p.  421). 


522  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

compromettant  d'appeler  à  la  suprême  magistrature  le 
frère  d'un  général  français  qui  guerroyait  contre  l'empereur 
en  Italie.  Et  ce  ne  fut  pas  le  nom  de  Leone  Strozzi  qui 
sortit  de  l'urne  le  1 1  septembre  1553  (1).  Le  prieur  eut 
même  la  mortification  d'aller  quérir  lui-même  à  Terra- 
cine  (2),  à  la  tête  de  l'escadre,  son  heureux  rival,  Claude  de 
La  Sengle. 

Profitant  de  son  passage  dans  les  Etats  pontificaux  pour 
s'aboucher  avec  son  frère  Pietro  et  négocier  son  retour  en 
grâce,  il  promit  de  reprendre  du  service  en  mars  1554,  à 
l'expiration  du  contrat  qui  le  liait  à  l'Ordre.  Le  titre  de 
général  des  galères  d'Italie  et  le  pavillon  de  commandant 
en  chef,  avec  la  faculté  de  se  faire  suppléer  par  un  lieute- 
nant lorsque  ses  galères  rallieraient  les  galères  de  France, 
lui  semblaient  des  sauvegardes  suffisantes  pour  son  indé- 
pendance (3).  Toute  satisfaction  fut  donnée  à  ses  demandes, 
tant  ses  offres  venaient  à  point  :  on  lui  adjoignit  pour  lieu- 
tenant-général des  galères  Flaminio  Orsini  dell'  iVnguillara, 
gouverneur  de  Port'  Ercole  (4). 

La  réponse  royale  lui  parvint  à  Palerme,  en  même  temps 
que  des  lettres  nombreuses  de  ses  frères  et  parents  l'enga- 
geaient à  venger  son  père,  en  attaquant  le  duc  Cosme  de 
Médicis.  Or,  le  vice-roi  de  Sicile,  Juan  de  Vega,  avait  reçu 
l'ordre  de  s'assurer  de  la  personne  du  prieur  (5),  plus  que 
suspect  depuis  qu'il  avait  décliné  les  offres  magnifiques  de 
l'empereur,  le  gouvernement  d'Africa  avec  trente  mille 
écus  de  pension  ou  le  généralat  des  galères  des  Deux-Siciles. 

(1)  Piero  Smozzi,  p.  86. 

(2)  7  décembre  1553. 

(3)  Lettre  de  Pietro  Strozzi  au  connétable.  Home,  25  décembre  1553 
(B.  N.,  Franc.  3129,  fol.  19;  copie  dans  B.  N.,  Giairambault  347, 
fol.  153).  —  Réponse  du  connétable.  Paris,  26  janvier  1554  (B.  N.,  Franc. 
3129,  fol.  46  :  Giairambault  347,  fol.  136  :  Décrue,  Aune,  duc  de 
Montmoreucy,  p.  149). 

(4)  11  mars  1554  (B.  N.,  Giairambault  825,  fol.  115). 

(5)  Piero  Strozzi,  p.  92. 


DERNIERE    GUERRE    CONTRE   Cil  A  RLES-QUI  NT.  523 

Strozzi,  flairant  le  piège,  s'en  tira  par  un  stratagème.  Aux 
questions  du  vice-roi,  il  répondit  que  le  roi  et  ses  frères  le 
mandaient,  leurs  lettres  —  et  il  les  sortit  de  sa  poche  —  en 
faisaient  foi,  mais  qu'il  n'avait  point  la  moindre  envie  de 
retourner  sous  la  griffe  d'un  ennemi  comme  le  connétable 
de  Montmorency.  Sur  ces  entrefaites,  son  lieutenant,  Frère 
Bernardino  Scaglia,  accourut  essoufflé  au  palais,  disant 
qu'on  avait  eu  connaissance  de  galiotes  turques  et  que  les 
galères  de  l'Ordre  s'apprêtaient  à  leur  donner  la  chasse. 
Strozzi  prit  aussitôt  congé,  gagna  Malte,  car  les  galiotes 
turques  étaient  une  pure  fiction  inventée  pour  se  ménager 
une  sortie.  Et  le  16  avril  1554,  il  repartait  pourPort'  Ercole 
à  la  tétc  de  sa  propre  escadrille,  laLeona,  la  Santa-Barbara 
et  la  Porfiada,  que  montaient  en  grand  nombre  des  cheva- 
liers des  plus  illustres  familles  toscanes,  Soderini,  Rucel- 
laï,  del  Bene,  Guicciardini,  Ridolfi,  Asdrubale  de'  Medici, 
résolus  comme  lui  à  s'employer  désormais  au  salut  de  leur 
patrie  (1) . 

De  Port'  Ercole,  le  prieur  de  Gapoue  se  rendit,  en  com- 
pagnie de  son  frère  Roberto  et  du  duc  de  Somma,  à  Gros- 
seto  et  à  Sienne,  afin  d'embrasser  d'un  coup  d'œil  notre 
situation  militaire  dans  le  Siennois.  Puis,  renforçant  sa 
base  d'opérations  par  l'érection  du  fort  .Saint-Elme  sur  la 
colline  qui  domine  Port'  Ercole,  il  combina  un  plan  d'at- 
taque contre  les  places  ennemies.  Aux  faibles  moyens  dont 
il  disposait,  trois  galères  et  trois  compagnies  d'infanterie, 
il  joignit  plusieurs  barques  fabriquées  spécialement  pour 
l'attaque  d'Orbetello.  Mais  l'agent  chargé  de  rapporter  des 
renseignements  sur  cette  ville,  sur  Livourne,  Pise  et  Piom- 
bino,  au  lieu  d'accomplir  sa  mission,  au  lieu  de  s'aboucher 
avec  le  seigneur  de  Piombinoetde  lui  faire  des  ouvertures, 
alla  tout  dévoiler  au  duc  Cosme  de  Médicis.  Andi'é  Doria 

(1)  Piero  Sxnozzi,  p.  95  :  lettre  de  Leone  Strozzi  au  vice-roi  de  Naples 
lui  notifiant  sa  resolution.  Malte,  16  avril. 


524  HISTOIRE   DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

n'avait  })as  détaché  moins  de  dix  galères  avec  des  muni- 
tions et  des  troupes  pour  secourir  Orbetello  (1)  ;  il  jugea 
bientôt  nécessaire  d'intervenir  en  personne.  Comme  il  arri- 
vait dans  les  parages  de  Piombino,  il  apprit  la  mort  de  son 
redoutable  adversaire  (2). 

Le  prieur  de  Gapoue  n'avait  pas  eu  la  patience  d'attendre 
l'arrivée  des  renforts  de  France.  Le  24  juin,  il  débarquait 
près  du  petit  cbàteau-fort  de  Scarlino;  ses  forçats,  auxquels 
il  avait  donné  des  armes  et  quatre  cents  fantassins,  amenés 
de  Grosseto  par  le  duc  de  Somma,  lui  prêtaient  leur  con- 
cours pour  enlever  la  place.  Soudain,  une  arquebusade 
partit  soit  d  vin  buisson  où  s'était  embusqué  un  paysan  (3), 
soit  d'un  moulin  où  s'était  retranchée  une  patrouille  espa- 
gnole. Strozzi,  frappé  au  ventre,  s'affaissa.  Transporté  mou- 
rant à  bord  de  sa  capitane,  il  eut  la  force  d'écrire  au  maré- 
chal, son  frère,  une  longue  lettre  d'adieux.  Il  mourait 
comme  les  héros  de  Plularque,  laissant,  en  guise  de  testa- 
ment, un  plan  de  campagne  (4)  :  tel,  son  père  Filippo 
Strozzi,  victime  des  Médicis,  traçait  avec  son  sang  sur  les 
murs  de  sa  prison  cet  appel  suprême  à  un  vengeur  : 

Exoriaie  aliquis  nostiis  ex  ossibus  ultor!  (5). 

Ce  déplorable  événement  plongea  dans  les  plus  graves 

(1)  Avis  «  escript  à  Don  Bernard  de  Mandoce,  cajipitainc  jiféncral  des 
gallaires  d'Espaignc.  "  30  juin  (B.  N.,  Franc.  20537,  fol.  36). 

(2)  Adbiam,  X,  753.  —  M,\>froni,  p.  390.  —  En  avril,  treize  galères 
impériales,  commandées  par  Agostino  Spinola,  donnaient  la  chasse  a  dix 
de  nos  galères  qui  avaient  enlevé  un  convoi  do  blé  près  du  Montc-Argen- 
tario  (CiBO  Recchi,  B.  N.,  Nouv.  acq.  lai.  1764,  p.  260). 

(3)  Archivio  storico  italiano,  t.  II,  p.  560.  —  Le  meurtrier  aurait  eu 
nom  Mario  d'Antonio  da  Montieri  (Lettre  dudit  Mario,  27  mai  1556  : 
Archivio  de  Florence,  Carlegqio  universelle  di  G.  duchi  di  Toscaiia,  Lctta 
casa  de'  Medici,  hlza  446). 

(4)  Settimaisni,  Biario,  fol.  649-650.  —  Picro  Strozzi,  p.  97,  112.  — 
Récits  des  principaux  faits  de  la  querre  de  Sienne,  par  Girolamo  Roi-fia, 
1554  (éd.  duc  DE  DiNO,  Chroniques  siennoises,  p.  292). 

^5)  Brantôme,  éd.  Lalanne,  t.  IV,  p.  137. 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE    CHARLES-QUINT.  r)25 

embarras  le  maréchal  Strozzi.  Les  deux  frères  avaient  tou- 
jours eu  même  volonlé,  mêmes  projets  :  et  déjà,  une  divi- 
sion de  l'armée  du  maréchal  marchait  sur  Piombino,  que 
l'escadre  du  prieur  devait  prendre  à  revers.  Tous  ces  plans 
se  trouvèrent  bouleversés  :  Pietro  Strozzi  dut  détourner  sa 
marche  vers  Port'  Ercole,  où  il  espérait  à  tout  instant  voir 
apparaître  l'escadre  et  les  renforts  de  France  (1). 


VIII 

LA    PERTE    DE   LA    MAREMMA 

Les  retards  de  notre  flotte  étaient  imputables  au  sultan 
et  à  Dragut.  Le  sultan,  engagé  dans  une  guerre  meurtrière 
contre  le  sophi  de  Perse,  ne  prêtait  guère  d'attention  à 
une  campagne  navale  que  les  Vénitiens  lui  représentaient 
comme  désastreuse  pour  ses  intérêts  :  elle  interrompait 
tout  trafic.  Codignac,  notre  ambassadeur  près  de  la  Porte, 
pensait  y  parer  et  supplanter  en  même  temps  les  armateurs 
vénitiens,  en  organisant  des  caravanes  de  deux  navires 
chacun  vers  Alexandrie,  Tripoli  de  Syrie  et  Constanti- 
nople  :  assurés  de  la  protection  du  roi  et  du  sultan,  les 
négociants  de  Lyon,  Paris  et  Rouen,  n'auraient  point  man- 
qué de  faire  les  frais  de  l'armement  (2).  Quand  Soliman  II 
se  décida  à  mobiliser  sa  flotte,  ce  fut  Dragut  qui  nous 
opposa  une  force  d'inertie  incompréhensible,  soit  intrigues 
impériales  (3) ,  soit  rancune  contre  les  alliés  qui  l'avaient 
frustré  de  la  conquête  de  Bonifacio. 

Faute  de  Turcs,  le  baron  de  La  Garde  alla  quérir  les 

(1)  Girolamo  Roffia,  dans  1  éd.  du  duc  de  Dino,  p.  293. 

(2)  Lettre  de  Codignac  au  roi.  t6  avril  1554  (Ribier,  t.  II,  p.  93). 

(3)  Lettres  d'Hippolyte  d'Esté  et  de  Codignac  au.  roi  (Ribier,  t,  II, 
p.  527;  CiiARRiÈnE,  t.  II,  p.  331). 


526  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Algériens  (1),  «  non  point  comme  général  des  gallères, 
mais  comme  amy,  pour  ne  laysser  perdre  la  sayson  de  fère 
dommaige  au  commun  ennemy.  "  Le  beglerbey  Salah  Raïs 
mit  à  sa  disposition,  sous  promesse  de  réciprocité,  toute  sa 
flotte  :  une  vingtaine  de  bâtiments  pour  la  fin  de  mai,  le 
double  à  la  mi-juin  (2).  Rendez-vous  pris  à  Bonifacio,  La 
Garde  comptait  courir  les  côtes  d'Espagne  et  se  mesurer  au 
besoin  avec  Doria  (3).  Il  ignorait  qu  une  frégate  marseil- 
laise était  à  sa  recherche  (4),  avec  l'ordre  urgent  de  rallier 
la  Provence.  Les  dix  compagnies  françaises  de  Biaise  de 
Monluc  et  le  régiment  allemand  de  Georg  Rockrod,  expé- 
diés au  secours  du  maréchal  Strozzi,  attendaient  le  pas- 
sage. Dès  que  La  Garde  eut  atterri  à  Toulon,  les  renforts 
s'embarquèrent;  et,  sans  avitre  incident  de  route  que  la 
capture  de  huit  ou  neuf  transports  de  blé  de  Sicile  (5),  les 
vingt-six  galères  de  France,  doublées  de  quatorze  galères 
et  seize  bâtiments  légers  de  Salah  Raïs,  arrivèrent  le 
6  juillet  devant  Port'Ercole  (6).  La  proximité  des  troupes 
du  marquis  de  Marignan  les  força  à  rebrousser  chemin 
vers  Scarlino  et  à  opérer  la  descente  tout  près  de  l'endroit 
où  le  prieur  de  Capoue  venait  de  trouver  la  mort  (7) .  Avec 


(1)  Le  capitaine  de  La  Salle  était  parti  de  l'avant,  le  30  avril,  avec  l'am- 
bassadeur de  Dragut  pour  "  haster  de  tant  plus  le  partement  de  l'armée 
dudit  Argier  »    (B,  N.,  Moreau  738,  fol.  55). 

(2)  En  tout,  25  vaisseaux,  16  galères  et  4  galiotes  d'Alger  entrèrent, 
cette  annëe-là,  à  notre  service  :  la  Hotte  française  comprit  40  galères, 
16  navires,  4  galions,  3  fustes  et  6  frégates  (Comptes  des  irésoriers  de  la 
marine  du  Levant  :  B.  N.,  Franc.  17329,  fol.   195). 

(3)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  roi.  Alger,  24  mai  1554  (B.  N., 
Moreau  774,  fol.  263). 

(4)  Elle  était  partie  le  16  mai  (Archives  des  Bouches-du-Rhône,  B  2549, 
fol.  31). 

(5)  Biaise  de  Moluc,   Commentaires,  éd.  A.  de  Ruble,  V  I»  P-  ^''*^- 

(6)  Piero  SïROZzi,  p.  97.  —  «  Du  XXX""  juing.  Escript  à  Don  Bernard 
de  Mandoce,  cappitaine  général  des  gallaires  d'Espaigne  «  (B.  N.,  Franc. 
20537,  fol.  36).  —  Lettre  datée  de  Bruxelles,  19  juin  [Papiers  d'Etat  de 
Granvclle,  t.  IV,  p.  261). 

(7)  Monluc,  ibidem. 


DERNIERE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  527 

le  renfort  des  troupes  de  Monluc,  Je  maréchal  Strozzi  se 
crut  en  mesure  de  dégager  Sienne.  Le  2  août,  à  Scanna- 
gallo,  près  de  Lucignano,  il  se  heurtait  au  corps  d'armée 
du  marquis  de  Marignan,  qui  lui  infligea  une  sanglante 
défaite  :  les  colonels  Yelleron,  Ghiaramonte,  Fourque- 
vaulx  restaient  sur  le  champ  de  bataille,  tués  ou  pris  (1). 
Biaise  de  Monluc  était  malade.  Louis  de  Saint-Gelais- 
Lansac  avait  été  pris  en  cherchant  à  pénétrer  à  Sienne;  la 
situation  était  des  plus  compromises  (2j . 

Dragut  pouvait  la  rétablir  :  mais  il  ne  fit  que  paraître 
au  large  des  côtes  napolitaines.  Et  sans  nous  prêter  le 
moindre  appui  ni  en  Corse,  ni  dans  la  Maremma,  ni  contre 
Naples.  il  reprit  la  route  du  Levant  (3).  Ce  fut  1  effondre- 
ment de  toutes  nos  espérances.  Le  prince  de  Salerne  par- 
ticulièrement escomptait  la  venue  de  la  flotte  turque  pour 
reprendre  l'expédition  de  Naples  tant  ajournée  :  il  ne  de- 
mandait que  trois  mille  hommes  au  roi  :  que  dis-je?  il  se 
serait  contenté  de  trois  cents  soldats  et  six  canons;  et  can- 
tonné dans  l'île  de  Tremiti.  qui  surveille  le  massif  du  Gar- 
gan,  il  eût  préparé  l'insurrection  en  Fouille  (4).  André 
Doria  s'attendait  si  bien  à  une  attaque  devers  Naples,  qu'il 
y  avait  expédié  deux  mille  deux  cents  soldats  de  renfort, 
détachés  de  l'armée  de  Corse  (5). 

Il  faillit  être  complètement  dérouté.  Notre  général  des 
galères  eût  voulu  opérer  une  diversion  contre  Gènes  et 
soulager  ainsi  le  maréchal  Strozzi.  Jointe  à  l'escadre  algé- 
rienne, notre  flotte  eût  enlevé  Albenga,  que  fortifiaient  les 
Génois  :  c'était  affamer  Gênes  et  Savone  (6).  Approuvé  par 


(1)  Cf.    le   récit    de   la  bataille   par  Girolamo   Roffia,   éd.   duc  de  Dino, 
p.  314. 

(2)  Lettre  d'Odet  de  Selve  au  roi.  21  août  (Ribier,  t.  II,  p.  506). 

(3)  Ch.-vrrière,  t.  II,  p.  322. 

(4)  Lettre  du  cardinal  Farnèse  au  roi.  Août  (Ribier,  t.  II,  p.  530). 

(5)  Avis  du  30  juin  (B.  N.,  Franc.  20537,  fol.  36). 

(6)  Dr  ViLLARS,  dans  la  Nouvelle  coll.  Michaud  et  PoujouIat,p.  159,  176. 


528  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

le  maréchal,  secondé  par  la  belle  Diane  de  Poitiers,  le 
baron  de  La  Garde  se  vit  désavouer  par  le  roi  et  refuser 
toute  audience.  On  lui  imputait  l'inexplicable  retraite  de 
Dragut,  dont  il  fut  le  bouc  émissaire  (1). 

De  part  et  d'autre,  on  se  préparait  à  une  action  décisive 
en  Toscane  et  en  Corse.  André  Doria  passa  l'hiver  à  ren- 
forcer les  troupes  d'Agostino  Spinola,  qui  tenait  tête  au 
maréchal  de  Termes  à  Galvi,  Gorté  et  ailleurs,  tandis  que 
Gian-Andrea  Doria  et  Bernardino  de  Mendoza  prêtaient  le 
concours  de  leurs  vingt-cinq  galères  au  marquis  de  Mari- 
gnan  (2).  Le  baron  de  La  Garde,  à  la  tête  de  vingt-huit 
galères,  remplissait  ce  même  rôle  de  ravitailleur.  Parti  de 
Toulon  en  mars,  ayant  débarqué  à  Ajaccio  les  sept  com- 
pagnies de  Giordano  Orsini,  il  comptait  aller  sur  les  côtes 
du  Siennois  faire  une  démonstration  navale  (3). 

La  famine  sévissait  dans  toutes  les  places  de  la  Ma- 
remma.  Sur  l'ordre  du  maréchal  Strozzi  (4),  les  gouverneurs 
des  ports,  les  capitaines  des  trois  galères  de  garde  à  Port' 
Ercole  arrêteraient  toutes  les  barques  chargées  de  vivres, 
sauf  à  rembourser  le  prix  de  la  cargaison.  Dans  chaque 
place  de  guerre,  on  avait  fait  le  décompte  des  bouches  à 
nourrir,  qui  s'élevaient.  Sienne  non  compris,  à  4,020  (5). 
Et  c'était  une  joie  quand  un  transport  parvenait  à  franchir 
le  blocus  de  Port'Ercole,  comme  ce  bâtiment  chargé  de 
grains  qui  échappa,  après  neuf  heures  de  combat,  à  une 
galère  florentine  venue  à  sa  rencontre  en  se  parant  fausse- 

(1)  Lettre  de  Simon  llenard  à  l'empereur.  23  novembre  {Papiers  d'État 
du  cardinal  de  Granvelle,  t.  IV,  p.  342). 

(2)  Manfroni,  p.  391. 

(3)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  maréchal  Strozzi.  Ajaccio,  23  mars 
1555  (B.  N.,  Franc.  20463,  fol.  61). 

(4)  Port'  Ercole,  20  décembre  1554  (Archivio  Estense  à  Modène,  Corres- 
pondance du  maréchal  Strozzi  :  Copie  dans  le  ms.  de  la  B.  N.,  Italien  1134,. 
fol.  206  v°). 

(5)  A  Port'  Ercole,  il  y  avait  2,000  marins  et  soldats,  à  Grosseto, 
2,000,  etc.  8  janvier  1555  (B.  N.,  Italien  1134,  fol.  206  v'). 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  529 

ment  des  coulevirsde  Bacclo  Martelli  (l).  Mais  aussi  quelle 
désillusion  amère,  lorsqu'on  apprit  que  le  baron  de  La 
Garde,  parvenu  en  Corse,  refusait  de  pousser  plus  loin  et 
de  se  faire  jour  à  travers  la  croisière  impériale.  En  vain, 
Strozzi  essaya-t-il  par  ses  émissaires  de  le  faire  revenir  svir 
sa  résolution  (2).  La  Garde  entreprit  le  siège  de  Calvi. 

Le  21  avril  1555,  lorsque  tous  les  ânes,  chevaux,  chats 
et  rats  eurent  été  mangés  dans  Sienne,  lorsque  les  soldats 
n'eurent  plus  à  se  mettre  sous  la  dent  l'herbe  des  remparts, 
la  ville  se  rendit  au  marquis  de  Marignan  :  la  ville,  mais 
non  le  brave  Monluc.  Il  sortit  de  Sienne,  "  enseignes  des- 
ployées,  armes  sur  le  col  et  tabourin  sonnant,  »  ayant  juré 
que  jamais  son  nom  ne  figurerait  au  bas  d'une  capitula- 
tion (3) . 

Après  une  promenade  sensationnelle  et  quasi  triomphale 
à  Rome,  l'héroïque  Gascon  s'embarqua  le  4  mai  sur  une 
galère  du  maréchal  Strozzi.  A  la  nuit,  il  était  aux  Bouches 
de  Bonifacio.  Il  avait  appris  à  Civita-Vecchia  que  Doria 
avait  quitté  Piombino  avec  cinquante-deux  galères  et 
quatre  mille  fantassins,  afin  de  prendre  à  revers  l'armée 
qui  battait  Calvi.  Un  exprès,  dépéché  de  Bonifacio,  arriva 
juste  à  point  pour  mettre  en  garde  l'armée  de  siège.  Le 
maréchal  de  Termes  n'eut  que  le  temps  de  gagner  la  mon- 
tagne, en  jetant  ses  canons  à  la  mer,  et  le  baron  de  La 
Garde  de  prendre  la  fuite.  Quelques  heures  plus  tard, 
paraissait  la  flotte  impériale.  La  fuite  de  nos  quinze  galères 
fut  le  salut  du  camp  :  Doria  crut  les  rattrapera  la  course... 

Le  lundi  G  mai,  la  galère  de  Monluc  faisait  route  vers 
Marseille  par  un  brouillard  épais,  quand  tomba  de  la  hune 
le  cri   Vellel  Vellel  et  tôt   après,    Gallere!   Gallerel  C'était 

(1)  Lettre  de  Strozzi  au  connétable.  Montalcino,  17  mars  1555  (Ibidem, 
fol.  197  v").  —  Le  12  mars,  Strozzi  demandait  au  roi  l'envoi  de  300  hommes 
pour  renforcer  la  garnison  de  Port'Ercole  {Ibidem,  fol.  197). 

(2)  Lettre  de  Strozzi  au  roi.  Montalcino,   17  avril  {Ibidem,   fol.   201  v"]. 

(3)  Monluc,  éd.  de  Ruhle,  t.  Il,  p.  139. 

m.  34 


530  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

toute  la  flotte  de  Doria  qui  revenait  de  chasse,  la  proie 
manquée  et  hors  datteinte.  Le  brouillard  se  dissipa...  qua- 
torze galères  enveloppaient  la  nôtre.  Saisis  d'une  terreur 
indicible,  nos  pilotes  parlaient  de  fuir  vers  les  côtes  barba- 
resques;  Monluc  et  ses  compagnons  Bertrand  d'Esparbès 
de  Lussan,  Jacques  de  Forest  de  Blacons,  Gaspard  de 
Saint-Auban,  les  intrépides  défenseurs  de  Sienne  eussent 
«bien  voulu  estre  à  planter  des  choux...  Tout  à  coup,  — 
raconte  Monluc,  —  quatre  des  quatorze  commencèrent  à 
tourner  les  vovles  à  nous  pour  nous  donner  dessus;  les 
autres  amenèrent  jusques  à  la  moitié  de  l'arbre  pour 
attendre.  «  Les  navires  de  pointe  n'étaient  plus  qu'à  une 
portée  d'arquebuse,  leur  proue  à  la  hauteur  du  t'ougon; 
tout  le  monde  hurlait  de  peur  dans  notre  galère;  seul,  le 
capitaine,  un  chevalier  de  Malte,  ne  disait  mot. 

«  Vous  nous  perdez,  lui  criait  Monluc.  —  No,  per  Dto, 
riposta  le  capitaine,  mas  io  garda  la  mie.  »  Je  sauve  ma 
galère.  — Les  rameurs,  excités  par  lui,  se  courbent  sur  leurs 
avirons;  les  marins  mettent  toutes  voiles  dehors,  et  u  avec 
la  peur  qui  nous  donnoit  des  aisles,  il  nous  sembloit  que 
nostre  gallère  volloit.  "  En  un  instant,  elle  avait  distancé 
de  cinquante  brasses  les  plus  agiles  de  ses  adversaires, 
qvi'elle  narguait  par  des  arquebusades.  Les  ennemis,  vite 
découragés,  levèrent  leurs  rames.  —  Le  lendemain,  l'ami- 
ral de  Tende,  la  comtesse  sa  femme  et  le  baron  de  La 
Garde,  qui  soupaient  dans  le  jardin  de  Saint-Blancard, 
furent  saisis  en  vovant  apparaître  le  défenseur  de  Sienne, 
tué,  pensait-on,  dans  une  sortie  suprême  «  à  la  désespé- 
rade  » . 

Et  La  Garde  fut  plus  ébahi  encore  d'apprendre  que 
Doria  lui  avait  donné  la  chasse  (1). 

Les  nouvelles  étaient  d'une  telle  gravité  que   le  général 

(i)  Monluc,  éd.  de  Rublc,  t.  II,  p.  125. 


UERXIÈRE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  531 

des  galères,  mandé  d'urgence  par  le  maréchal  de  Termes, 
l'ésolut  de  réappareiller  le  surlendemain  9  mai  :  il  ne  lais- 
sait à  Marseille,  pour  parer  à  tout  événement,  que  les 
divisions  Baccio  Martelli  et  Albisse  (1).  Chaque  général 
tirait  à  soi  dans  la  détresse  commune;  et  Giordano  Orsini, 
défenseur  de  l'ile,  se  voyait  traiter  de  u  parole  convenable 
à  varlet  f2j  d  par  le  défenseur  du  continent,  Pietro 
Strozzi. 

Si  mauvaise  qu'elle  fût  en  Corse,  notre  situation  était 
plus  critique  encore  dans  la  Maremma.  Presque  au  moment 
où  Sienne  succombait,  nous  perdions  le  port  de  Talamone, 
livré  aux  flammes  par  les  marins  de  Gian-Andrca  Doria  et 
Bernardino  de  Mendoza  (3).  Port'Ercole,  le  dernier  refuge 
des  débris  de  notre  armée,  était  investi  le  31  mai  par  le 
marquis  de  Marignan  et  par  la  Hotte  d'André  Doria.  Une 
petite  île  fortifiée,  1  Ercoletto,  qui  commandait  l'entrée  du 
port  (4,  fut  enlevée  par  Chiappino  Vitelli,  lieutenant  de 
Marignan  (5) . 

Pour  ne  point  laisser  prendre  dans  une  souricière  un 
maréchal  de  France,  Pietro  Strozzi  sortit  audacieusement 
de  la  place  avec  sa  seule  galère  et  gagna  Civita-Vecchia, 
en  territoire  pontifical.  De  là,  il  écrivit  une  lettre  déses- 
pérée, demandant  des  renforts  (6).  Amiral  et  général  des 
galères  lui  expédièrent  Jean  de  Saint-Estève  avec  cinq 
galères  et  la  compagnie  Carrière  (7). 

(1)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  connétable  de  Montmorency.  Mar- 
seille, 8  mai  1555  (B.  N.,  Franc.  20463,  fol.  63). 

(2)  Lettre  de  Giordano  Orsini  au  connétable.  Grosseto,  30  avril  (B.  N., 
Franc.  3129,  fol.  93\ 

(3)  M.^NKROXi,  p.  391  :  lettres  de  Venise,  15  et  22  avril  1555. 

(4)  Bi.\xciii,  /  porti  délia  Alaremma,  dans  V Archivio  storico  italiano, 
série  II,  t.  XII,  fasc.  2. 

(5)  Lettre  de  d'Avanson.  Rome,  8  juin  (B.  N.,  Franc.  20442,  fol.  109  v"). 

(6)  Lettres  de  Soubise.  Civita-Vecchia,  14  juin  (Ibidem,  fol.  111),  et  de 
d'Avanson.  Rome,  14  juin  (Ibidem,  fol.  112). 

(7)  Marseille,  20  juin  (Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise,  dans  la  Nou- 
velle collection  Michaud  et  Poujoulat,  1"^  série,  t.  VI,  p.  240). 


532  IIISTOIUF.    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Nou3  comptions,  à  la  vérité,  sur  une  diversion  autrement 
puissaule.  qui  devait  se  produire  dans  les  premiers  jours 
de  juin  ;  nuiis  avant  rarrivécde  la  Hotte  turque,  Port'Ercole 
succomba.  A  la  suite  d'une  rixe  avec  des  Italiens,  les  Alle- 
mands de  la  garnison  ouvrirent  â  l'ennemi  les  portes  d'un 
des  bastions  (1) . 

La  division  Sainl-Blancard,  —  quatre  galères,  une  fré- 
gate et  un  brigantin,  —  avait  été  dépêchée  au-devant  de 
nos  alliés,  qu'elle  devait  attendre  à  Prevesa  pour  les  guider 
au  rendez-vous.  Chassée  par  des  galères  et  des  vaisseaux 
ennemis  aux  aguets,  contrariée  par  le  mauvais  temps  (2), 
elle  dut  contourner  la  vSicile,  au  lieu  de  passer  par  le  phare 
de  Messine.  Et  par  une  vraie  fatalité,  sans  qu'elle  en  eût  le 
moindre  soupçon,  la  flotte  de  Piali-Pacha  franchissait  au 
même  moment  le  détroit  sicilien  (3). 

Ainsi,  selon  la  pittoresque  expression  du  roi,  les  escadres 
étaient  a  travaillées  d'vine  mesme  maladie,  qui  estoit  de 
sçavoir  des  novivelles  l'une  de  l'autre  " ,  quand,  le  19  juil- 
let, un  raïs  arriva  mander  à  Toulon  que  Piali-Pacha  était 
à  l'île  d'Elbe.  Surpris  de  voir  flotter  sur  Port'Ercole  le  dra- 
peau impérial,  Piali  s'était  rabattu  le  12  juillet  sur  Piom- 
bino,  où  Ghiappino  Vitelli  l'avait  tenu  en  échec  (4). 

Le  baron  de  La  Garde  expédia  incontinent  vers  les  Turcs 
la  galère  du  commandeur  de  Charlus  et  le  baron  Gochard  (5) , 
afin  de  leur  donner  rendez-vous  devant  Calvi.  Lui-même 
suivait  de  près  avec  toute  la  flotte  :  chargeant  à  Ajaccio 
un  parc  de  siège  que  Gioi'dano  Orsini,  prévenu  d'avance 
par  le  capitaine  Baccio  Martelli,  avait  fait  apprêter,  il  le 

(1)  ClIARRiÈRE,    t.    II,    p.    351. 

(2)  Lettre  de  Henri  II  à  Soliman.  22  octobre  1555  (Ribier,  t.  II,  p.  592.) 
rS)  Lettre  du  baron  de  La  Garde.  Devant  Calvi,  29  juillet  (B.  N.,  Franc. 

20463,  fol.  67). 

'4)  Lettre  de  Henri  II  citée  :  Cino  Recciu,  B.  N.,  Nouv.  acq.  latines  1764, 
p.  298. 

(5)  Lettre  du  capitaine  Cabassolles  du  Iléal  au  connétable.  Toulon,  19juil- 
let  (B.  N.,  Franc.  20460,  fol.  96). 


DERNIÈRE    GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  533 

débarquait  à  Calvi,  laissait  devant  la  place  une  division 
navale  pour  seconder  les  travaux  d'approche,  envoyait 
Martelli  quérir  munitions  et  troupes  à  Bonifacio  et  se  por- 
tait, avec  les  vingt  dernières  galères,  au-devant  de  Piali- 
Pacha.  La  jonction  de  son  escadre  avec  les  soixante-dix 
galères  et  les  vingt-quatre  galiotes  turques  se  fit  à  Saint- 
Florent,  avec  de  telles  démonstrations  d'amitié  que  les 
acclamations  des  matelots  couvraient  presque  la  voix  du 
canon  (1) . 

Piali  était  vine  créature  de  la    sultane,   de   la   fameuse 
Roxelane.  Il  sentait  si  bien  son  insuffisance,  qu'il  ne  voulut 
rien  décider  sans  l'assentiment  de  Dragut,  quand  le  baron 
de  La  Garde  lui  demanda  de  rester  hiverner.   Dragut,  au 
lieu  de  répondre  aux  avances  amicales  du  baron,   «  entra 
en  une  collère  turquesque  la  plus  furieuze  du  monde  »  ;  le 
roi  de  France,  criait-il,  a  payé  mes  services  par  des  calom- 
nies. Le  corsaire  s'apaisa  pourtant  :  et  des  présents  habile- 
ment distribués    le  retinrent  et  permirent  de  pousser  le 
siège  de  Calvi  :  les  Turcs  jetèrent  dans  les  vignes  des  fau- 
bourgs trois   mille  hommes  pour  soutenir  notre  attaque. 
Mais  nos  galères,  mal  approvisionnées,  n'avaient  de  muni- 
tions  que   pour  deux   mille    coups;    la   place,    ravitaillée 
depuis  peu  par  Gian-Andrca  Doria  (2)   et  fortifiée  de  nou- 
veaux ouvrages,  était  des  plus  difficiles  à  prendre;  de  plus, 
notre  base  d'opérations,  Ajaccio,  était  menacée  :  des  lettres 
saisies  sur  trois  frégates  ennemies  ne  laissaient  là-dessus 
aucun  doute.   La  Garde  détacha   donc  vers  Marseille  six 
galères  pour  chercher  des  munitions,  et  pour  amener  au 
besoin  dans  le  Siennois  les  renforts  de  Paul  de  Termes  (3). 
Après  plusieurs  jours  de  bombardement,  quand  la  ville 
de  Calvi  eut  été  foudroyée  par  le  feu  de  vingt  grosses  pièces, 

(1)  CiboReccuï,  B.  N.,  Nouv.  acq.  latines  1764,  p.  298-299. 

{%)Ibid.,  p.  297. 

(3)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  citée,  29  juillet. 


534  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

non  sans  avoir  riposté  si  heureusement  que  Tun  des  capi- 
taines de  nos  galères,  d'Albissc,  avait  été  tué  et  le  baron  de 
La  Garde  blessé  (1),  les  alliés  songèrent  à  donner  l'assaut 
\e  10  aoîit.  Mais  les  défenseurs  Guilico  Spinola  et  Martine 
Doria  étaient  prévenus  par  des  transfuges  corses  de  l'en- 
droit où  porterait  l'attaque.  La  tête  de  colonne  de  nos 
troupes  était  déjà  sur  les  remparts,  quand  une  mine  formi- 
dable éclata  sous  ses  pas  :  sur  les  ruines  fumantes,  semées 
de  cadavres,  Spinola  planta  un  crucifix,  le  labarum  de  la 
garnison.  Sur  le  signal  d'un  Gascon,  la  colonne  un  moment 
ébranlée  remontait  à  l'assaut,  suivie  à  l'arrière-garde  par 
les  Turcs;  maîtresse  des  premiers  retranchements,  trois 
fois  en  trois  heures,  elle  renouvela  ses  efforts  contre  les 
remparts;  mais  l'explosion  d'une  nouvelle  mine  la  fit 
reculer,  et  Giordano  Orsini  sonna  la  retraite.  Trois  cents 
cadavres  et  trois  enseignes  restaient  sur  le  chauip  de 
bataille  (2). 

Les  troupes  rembarquées,  on  tint  conseil  sur  la  conduite 
à  suivre  :  allons  dans  la  rivière  de  Gênes,  disaient  les  prin- 
cipaux officiers  français,  et  enlevons  quelque  forte  position 
pour  intercepter  les  renforts  envoyés  par  les  (îénois  et 
l'empereur.  Mais  Giordano  Orsini  insista  pour  une  nouvelle 
démonstration  en  Corse,  afin  de  rendre  courage  à  nos  par- 
tisans. Le  18  août,  les  flottes  alliées  étaient  devant  Bastia, 
défendu  par  Pallavicini.  La  plage,  de  toutes  parts  exposée 
aux  vents,  n'eût  pas  permis  de  rembarquer  rapidement 
l'ai'mée  en  cas  de  surprise  :  aussi  les  Turcs,  refusant  de 
mettre  du  monde  à  terre,  se  bornèrent  à  courir  des  bordées 
en  vue  de  la  place.  Ils  avaient  promis  pourtant  de  la  bom- 
barder par  mer  au  premier  jour  de  bonasse  et,  le  23  août, 
de  participer  à  l'escalade  :  mais  ils  trouvèrent  que  les  tra- 

(i)  Lettre  du  comte  de  Tende  qui  vient  de  recevoir  une  lettre  du  baron 
de  La  Garde.  Marseille,  6  août  (B.  N.,  Franc.  20460,   fol.  99). 
(2)  CiBO  Recchi,  B.  N.,  j>}ouv.  acq.  lat.  1764,  p.  301-302. 


DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE   CHARLES-QUINT.  535 

vaux  d'approche,  conduits  par  Giordano  Orsini,  n'étaient 
pas  assez  avancés  pour  tenter  l'assaut,  et,  faute  de  vivres 
pour  rester  davantage,  ils  signifièrent  leur  départ.  Après 
quelques  jours  de  croisière  qui  permirent  aux  nôtres  de  se 
rembarquer  et  d'aller  à  Ajaccio,  Piali-Pacha  reprit  le  che- 
min de  Constantinople  (1). 

Une  désertion  vint  encore  nous  affaiblir.  Alessandro 
Sforza,  avec  la  complicité  du  cardinal  Guido  Ascanio  Sforza, 
fougueux  impérialiste,  nous  déroba  deux  des  galères 
qu'avait  commandées  leur  frère  Carlo,  prieur  de  Lom- 
bardie,  et  il  les  emmena  à  Naples  au  service  de  l'empe- 
reur (2).  Fail  plus  grave,  le  secrétaire  du  cardinal  révéla 
dans  les  tortures  qu'une  conspiration  était  ourdie  à  Rome 
pour  infliger  aux  Français  de  nouvelles  vêpres  siciliennes  le 
jour  de  la  Saint-Louis  (3). 

Au  lendemain  de  cette  sinistre  conspiration,  les  cardi- 
naux de  Lorraine  et  de  Tournon  débarquaient  à  Givita- 
Vecchia,  en  route  pour  Rome.  Après  les  avoir  déposés  à 
terre,  La  (îarde  reprit  la  mer  par  un  temps  affreux,  qui 
l'obligea  à  s'abriter  en  Corse,  près  de  Saint-Florent.  Tandis 
qu'il  y  était,  onze  grands  vaisseaux  furent  signalés  au  large, 
faisant  route  sur  (Tênes.  C'étaient  des  bâtiments  espagnols 
chargés  de  troupes  (4).  Malgré  son  infériorité  numé- 
rique (5),  malgré  la  grosse  mer  qui  donnait  l'avantage  aux 
navires  ronds  sur  les  galères,  La  Garde  attaqua,  dirigeant 

(1)  Lettre  de  Codignac.  Bastia,  23  août  (RiniEn,  t.   II,  p.  590). 

(2)  Coleccioii  (le  docianentos  ineditos  para  la  historia  de  Espaha,  t.  IL, 
(1843). 

(3)  Lettre  de  Rabelais,  qui  était  de  la  suite  du  connétable  Du  Bellay, 
Rome,  3  septembre  1555  (B.  N.,  Clairambault  348,  fol.   313). 

(4)  Trois  vaisseaux  espagnols  chargés  de  blé  à  destination  de  Calvi, 
allaient  être  attaqués  au  large  de  la  Corse  par  la  galère  de  Saint-Blancard  et 
une  autre,  quand  les  deux  galères  tombèrent  au  milieu  de  huit  fustes  algé- 
riennes qui  capturèrent  la  première.  Lettre  de  Soranzo  au  doge.  La  Ferté- 
Milon,  27  octobre  1555  (B.  N.,  Italien  1717,  fol.  154). 

(5)  Dix  galères,  selon  de  Thou.  liv.  XVI.  —  Six  galères,  selon  Brantômk, 
t.  IV,  p.  143. 


536  HISTOIRE   DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

ses  coups  sur  le  plus  fort  et  u  le  plus  brave  »  des  vais- 
seaux espagnols:  il  ne  tarda  pas  à  le  couler  à  fond;  un 
second  voilier  subit  le  même  sort,  si  bien  que  le  reste 
de  l'escadre  prit  la  fuite,  protégée  contre  la  poursuite 
acharnée  des  galères  par  la  violence  de  l'ouragan.  Dans 
ce  rapide  corps  à  corps,  les  Espagnols  n'avaient  point 
perdu  moins  de  mille  hommes,  noyés  ou  prisonniers  (l,. 
Une  de  leurs  barques  d'avis,  expédiée  en  avant  durant  le 
combat,  avait  été  quérir  du  secours  à  Gènes  :  et  quinze 
galères,  montées  de  six  mille  hommes,  étaient  parties  en 
toute  hâte  pour  le  théâtre  de  l'engagement  (2).  Mais  il 
n'était  plus  temps.  Ce  fut  le  dernier  acte  de  la  guerre 
navale  (3) . 

Pourtant,  dès  que  les  négociations  de  paix  avec  l  empe- 
reur parurent  en  voie  d'aboutir.  La  Garde  manda  par 
deux  avisos  dépêchés  coup  sur  coup,  à  Giordano  Orsini, 
de  se  nantir  «  du  plus  de  pavs  qu'il  pourroit,  et  surtout 
du  cap  Corse  et  Saint-Florent  (4)  "  .  Le  vieux  Doria  avait 
eu  la  même  idée  :  et  douze  de  ses  galères  voguaient  vers  la 
Corse  sous  le  commandement  de  son  jeune  neveu  Gian- 
Andrea.  Soit  erreur  de  pilotage,  soit  effet  de  la  tempête, 
nevif  d'entre  elles  vinrent  s'éventrer  sur  les  écueils  de  Porto- 
Vecchio;  Giordano  Orsini  recueillit,  en  fait  d'épaves,  de 
nombreux  Espagnols,  qu'il  retint  prisonniers,  sept  cents 
esclaves  chrétiens,  qui  furent  aussitôt  libérés,  six  cents 
Turcs  et  Maures  qu'il  comptait  renvoyer  au  sultan,  cL 
soixante-dix  bouches  à  feu.  De  nombreuses  échelles  trou- 
vées à  bord  ne  laissaient  aucun  doute  sur  la  nature  de 
l'expédition.    Quant   à    son   but.    que   nous    pensions    être 

(1)  Bra>"Tôme  parle  de  1,500  Espagnols,  Dk  Tiior  de  1.000. 

(2)  Du  ViLLARS,  éd.  Michaud  et  Poujoulat,  p.  2V8 

(3)  Durant  cette  guerre,  notre  Hotte  du  Levant  tit  trente-trois  j)riscs  Ar- 
chives des  Bouches-du-Rhône,  B  2548\ 

(4)  «  Estât  au  vray  de  la  despence  extraordinaire  que  le  seigneur  de  La 
Garde  a  faicte.  «  1556-26  janvier  1557  [B.  N.,  Moreau  778,  fol.  237). 


DERNIÈRE    GUERRE    CONTRE    C H ARLESQ  UI N T.  537 

Porlo-Vecchio  (1),  c'était  en  réalité  Bonifacio,  où  Doria 
avait  des  intelligences  (2).  Comme  le  naufrage  avait  eu 
lieu  le  6  février,  lendemain  de  la  signature  de  la  trêve 
de  Vaucelles,  André  Doria  réclama  la  restitution  des 
épaves  (3) . 

Henri  II  ne  cachait  point  qu'en  signant  la  trêve,  il  avait 
voulu  donner  à  l'empereur,  que  sa  longue  expérience  ren- 
dait redoutable,  tout  «  impotent  et  décrépit  "  qu'il  fût, 
l'occasion  de  se  retirer  et  de  céder  la  place  à  un  prince 
tout  il  adonné  à  ses  plaisirs,  volupléz  et  délices  (4)  "  .  De 
fait,  le  17  septembre  1556,  Charles-Ouinl  voyait  fuir  pour 
toujours  à  l'horizon  les  côtes  des  Pays-Bas.  El  Spùitu  Santo, 
luxueusement  aménagé  en  cabines  et  en  étuves,  le  por- 
tait; le  Venusberg,  les  Quatre- fils- Aymon,  le  Chevalier  de  la 
mer,  aux  dieu-conduits  symboliques  des  légendes  du  Rhin 
et  des  Flandres,  lui  faisaient  la  conduite;  et  sous  l'égide 
des  reines  douairières  de  France  et  de  Hongrie,  sous  la 
protection  du  capitaine  général  Luis  de  Garvajal  et  de 
l'amiral  Adolphe  de  Bourgogne-Wacken  (5),  le  vieil  empe- 
reur atteignit  l'Espagne  :  il  y  allait  mourir  sous  la  bure 
monastique. 

^1)  Lettre  de  Soranzo  au  doge.  Amboise,  9  mars  1556  (B.  N.,  Italien 
1717,  fol.  199). 

i2)  AoniANi,  lib.  XIII,  p.  936.  —  Lettre  de  Claudio  Ariosti  au  duc  de 
Modènc.  35  février  1556  [Schede  Neri  :  Manfroni,  p.  394). 

(3)  Papieis  d'Etat  de  Granvelle,  l.  IV,  p.  547. 

\k)  Lettre  de  Henri  II  à  de  La  Vigne,  ambassadeur  à  Constantinople, 
13  novembre  1556  (RiitiER,  t.   II,  p    659). 

(5)  Vas  Brdyssel,  Histoire  du  commeice  et  de  la  marine  en  Belgique, 
t.  III,  p.  43.  —  F.  Duno,  t.  I,  p.  316.  —  Nous  possédons  pour  la  tra- 
versée, du  17  au  28  septembre,  le  journal  de  bord  du  vice-atniral  Gérard 
van  Meekeren,  qui  montait  l'Eléphant  (Annales  de  la  Société  d'émulation 
tie  la  Flandre,  t.  VI,  %^  série,  p.  384). 


GUERRE   CO^TRE   L'ESPAGNE 

ET  L'ANGLETERRE 


1 

L'EXPÉDITION    DU    DUC    DE   GUISE    A    XAPLES 

La  trêve  de  Vaucelles  fit  deux  mécontents  :  le  pape  et 
le  sultan.  Le  sultan  n'avait  point  été  consulté;  l'armistice 
lui  paraissait  d'autant  moins  opportun  que  les  Espagnols 
en  profitèrent  pour  se  retourner  contre  l'Algérie.  Requis 
de  »  faire  épaule  aux  siens  »  avec  notre  armée  navale  (1), 
nous  éludâmes  tout  engagement;  et,  comme  il  y  a  parfois 
en  politique  une  justice  immanente,  nous  fûmes  immédia- 
tement payés  de  retour.  A  une  demande  semblable  de 
Henri  II  (2),  Soliman  II  répondit  par  le  dédain  d'un 
homme  «  superbe  et  opiniastre  comme  le  diable,  fantas- 
tique comme  un  mulet  (3)  »  .  De  Roustan-Pacha,  notre 
ambassadeur,  n'eut  pas  meilleur  accueil.  «  Que  me  parles- 


(1)  Lettre  de  Codignac  à  Henri  II.  31  mai   1556   (Ribier,   t.  II,  p.  637). 

(2)  Lettre  de  Henri  II  à  Jean  de  La  Vigne,  ambassadeur  de  France  à 
Constantinople.  13  novembre  1556  (Ribier,  t.  II,  p.  659). 

(3)  Lettre  de  Jean  de  La  Vigne  à  l'évêque  de  Lodèvc.  Constantinople, 
8  juin  1557  (CuARRiÈRE,  t.  II,  p.  397).  —  Autre  lettre  de  Jean  de  La  Vigne. 
Andrinople,  20  avril  1557  (Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise,  dans 
la  Nouvelle  collection  Michaud  et  Poujoulat,   l"^"  série,  t.  VI,  p.  345). 


GUERRE   CONTRE    L ESPAGNE    ET    L ANGLETERRE.         539 

tu  de  VOS  rois  chrétiens!  répliqua  vertement  le  ministre, 
qu'impressionnait  pourtant  la  rudesse  véhémente  de  notre 
diplomate.  D'eux  tous,  mon  maître  ne  fait  pas  plus  d'es- 
time que  d'un  flocon  de  neige  (1).  »  Et  il  nous  fallut 
renoncer  à  l'intervention  navale  des  Turcs  en  Italie.  11  v 
eut  plus  dépité  que  nous.  Le  véritable  évincé,  le  sollici- 
teur réel,  qui  avait  emprunté  notre  intermédiaire,  était  le 
pape  (2). 

Paul  l\  voulait  la  liberté  de  l'Italie  :  il  ne  voulait  point 
de  Philippe  II  d'Espagne.  Il  avait  dépéché  un  légat  en 
France,  afin  de  relever  nos  étendards  :  il  irait  de  l'avant  (3) , 
pourvu  que  douze  de  nos  galères  lui  aidassent  à  tenir  tête 
à  la  flotte  napolitaine  du  duc  d'Albe    4; . 

Des  deux  côtés  des  monts,  il  y  avait  un  parti  de  la  guerre. 
A  la  paix,  l'ambition  des  trois  neveux  du  pape,  des  Caraffa, 
ne  trouvait  point  son  compte,  et  la  faction  des  Guise  encore 
moins.  Cette  puissante  famille  lorraine,  qui  disposait  déjà 
de  la  couronne  d'Ecosse,  aspirait  à  la  tiare  et  rêvait,  pour 
un  troisième  de  ses  membres,  de  faire  valoir  sur  la  cou- 
ronne de  Naples  les  droits  de  la  Maison  de  Lorraine-Anjou. 

(i)  Ambassades  et  voyages  en  Turquie  et  Aniasic  fie  M.  BusiîeQUIL'S^  trad. 
Gaudon.  Paris,  i(j4G,  in-8",  p.  551. 

(2)  Le  maréchal  Strozzi  projetait  d'employer  la  flotte  turque  à  1  attaque 
qu'il  méditait  contre  Savone.  Novembre  1556  (Du  Villars,  dans  la  j.Yoî;- 
velle  collection  de  Mémoires  Michaud  et  Poujoulat,  t.  X,  p.  253). 

(3)  Lettre  de  Bcrnardo  Navagero.  Rome,  20  octobre  1556  (Calendar  of 
State  papers...  in  the  coleccions  of  Venise,  éd.  Rawdon-Brown,  vol.  VI, 
part.  II,  p.  721).  —  Martisetti,  Paolo  IV e  la  lega  per  la  libertà  d'Italia, 
dans  la  Rivista  Europea  (1877\  doc.  II.  —  Georges  Duruy,  le  cardinal 
Carlo  Carafa  (1519-1561),  étude  sur  le  pontificat  de  Paul  IV.  Paris, 
1883,  in-8». 

4)  Instructions  du  pape  à  Annibale  Ilucellai,  légat  en  France  ^Boralevi, 
I primi  mesi  del  pontificato  di  Paolo  IV.  Livorno,  1888,  in-8'',  p.  24.  — 
Abbé  Garnier,  Mémoire  sur  la  ligue  entre  la  France  et  le  Pape  Paul  IV, 
de  la  maison  Caraffa,  dans  les  Mémoires  de  littérature ,  tirés  des  registres 
de  l'Académie  royale  des  inscriptions,  t.  XLIII  (1786),  t.  X,  p.  598). 

(5)  Lettre  du  cardinal  Caraffa  à  Montmorency.  Rome,  6  février  1556  (Sci- 
pione  VoLPiCEi.LA,  Note  alla  storia  délia  guerra  di  Paolo  IV  contro  (jli  Spa- 
gitoli  di  Pietro  ^oj\ks,  d»nsVArcliivio  storico  italiano,  sér.  I,  t.  XII,  p.  384). 


540  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Entre  toutes  ces  convoitises,  Tunion  se  fit.  Le  cardinal  de 
Lorraine  agitait  déjà  à  Rome  son  esprit  brouillon;  le  car- 
dinal Caraffa  vint  à  Paris  prêcher  la  gvierre.  En  juin  1556, 
Henri  II  accréditait  près  du  pape  François  de  Lorraine, 
duc  de  Guise,  pour  diriger  en  son  lieu  et  place  l'expédition 
de  Naples  (1).  Le  maréchal  Strozzi  mettait  en  état  de 
défense  les  Etats  pontificaux,  et  le  cardinal  Caraffa,  sur  la 
Béale  de  France  parée  aux  armes  papales,  ramenait  quinze 
cents  Gascons  (2),  qui  prenaient  logis  partie  à  Rome, 
partie  à  Civita-Vecchia. 

Ainsi  encouragé  et  malgré  la  déclaration  de  neutralité 
des  Vénitiens,  malgré  les  offres  de  raédiation  du  duc  de 
Toscane  (3),  Paul  IV  ouvrit  les  hostilités  :  ce  fut  pour  son 
malheur.  Le  1"  septembre  1556,  le  duc  d'Albe  quittait 
Naples  à  la  tête  d'une  armée  de  treize  mille  cinq  cents 
hommes  :  le  mois  suivant,  Rome  était  investie  à  distance 
par  l'occupation  de  Grotta-Ferrata,  de  Tivoli,  et,  le  18  no- 
vembre, par  l'enlèvement  d'assaut  d'Ostie  (4).  En  vain,  le 
baron  de  La  Garde  avait-il  songé  à  une  diversion  contre 
Port'Ercole  (5),  appelant  même  à  la  rescousse  le  dey 
d'Alger  (6)  pour  contrebalancer  les  forces  navales  de  Gian- 
Andrea  Doria;  en  vain  avait-il  bombardé  Nettuno,  près 
des   ruines  d'Antium,  et  attiré  de  ce  côté  tout  un  corps 


(1)  Lettres  de  créance  de  Henri  II  adressées  au  pape.  Fontainebleau, 
juin  1556  (Archivio  storico  ilaliaiio,  série  I,  t.  XII,  p.  390).  —  Pouvoirs 
donnés  par  Henri  II  pour  commander  l'armée  d'Italie  (B.  N.,  Dupuy  160, 
fol.  354}. 

(2)  Pietro  Norks,  Ibidem,  p.  67,  121.  —  «  Estât  de  la  dcspence  du  sieur 
de  La  Garde,  »    1556-26  janvier  1557  (B.  N.,  Moreau   778,  fol.  238). 

(3)  Babbi,  Siirnmarii  délie  cosc  notabili  successe  dal  principio  d'aprile 
1556  a  tittto  qiuqiio  1557  (Archivio  storico  italiano,  série  I,  t.  XII, 
p.  351). 

(4)  Pietro  NoRES,  p.  122,  151. 

(5)  Cette  attaque  était  réclamée  par  Pietro  Strozzi  dans  une  lettre  à 
Henri  II  en  date  du  12  août  {^Archivio  storico  italiano,  Ibid.,  p.  400). 

(6)  Il  Estât  de  la  despence  du  sieur  de  La  Garde  »  (B.  N.,  Moreau  778, 
fol.  238). 


GUERRE    CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE  541 

d'armée  du  duc  d'Albe  (1).  Il  ne  pouvait,  à  lui  seul, 
dégager  Rome,  non  plus  que  les  Gascons  de  Moulue  et 
Lansac  n'auraient  pu  la  sauver,  si,  le  24  novembre,  un 
armistice  n'avait  interrompu  les  hostilités. 

L'armistice  ne  dura  guère.  Il  prit  fin,  le  6  janvier  1557, 
en  même  temps  que  la  trêve  de  Vaucelles.  Quel  que  fût 
l'auteur  responsable  de  la  rupture  (2),  Philippe  II  et 
Henri  II  donnèrent  aussitôt  à  la  guerre  toute  son  ampleur 
par  des  attaques  multipliées  en  Flandre,  en  Italie,  sur  terre 
et  sur  mer.  Au  déchaînement  des  corsaires  espagnols  (3), 
Henri  II  répondit  par  la  mobilisation  en  masse  de  ses 
marins  pour  «  la  revenge  d'une  entreprise  faite  par  le  roy 
d'Espaigne  (4)  »  . 

A  l'entrée  en  ligne  de  l'Angleterre,  que  la  passion  amou- 
reuse de  la  reine  Marie  pour  son  époux  avait  entraînée 
dans  l'orbite  de  l'Espagne,  la  ligue  franco-pontificale  eût 
servi  de  contrepoids,  si  nous  n'avions  eu  à  en  supporter 
tout  le  faix.  Nos  quarante  galères  furent  mises  à  la  dis- 
position du  pape,  à  la  condition  qu'on  leur  assurât  un 
point  d'appvii  à  Civita-Vecchia  (5).  Et  au  mois  de  jan- 
vier 1557,  le  duc  de  (luise,  ses  frères  d'Elbeuf  et  d'Au- 
male ,  les  ducs  de  Nemours ,  de  Glèves ,  de  Vendôme 
descendirent  avec  quatorze  mille  hommes  vers  les  Etats 
pontificaux  (6) . 

(1)  Les  troupes  de  Marc-Antonio,  du  comte  de  Popoli  et  d'Ascanio  délia 
Cornia.  Octobre  (Pietro  ÎNorks,  p.  143). 

(2)  Cf.  les  motifs  de  rupture  allégués  par  les  deux  partis  (Pietro  Noues, 
p.  160) 

(3)  Lettre  de  L'Aubespinc  au  roi.  29  janvier  1557  (B.  N.,  Franc.  20991, 
fol.  2.'|.7). 

(4)  Lettre  de  Henri  II  à  Colignv.  8  février  (B.  N.,  Franc.  32614, 
foi.  279  v"). 

(5)  Instructions  à  l'arcbevêque  de  Vienne,  allant  comme  ambassadeur  à 
Rome.  Janvier  (B.  N.,  Moreau  738,  fol.  103). 

(6)  Pietro  NoRES,  p.  161.  — -  Cf.  le  dénombrement  de  l'armée  du  duc  de 
Guise  dans  le  »  Mémoire  du  voyage  de  M.  le  duc  de  Guise  en  Italie  » 
(Michaud  et  Poujoulat,  Nouvelle  collection  de  Mémoires,  t.  VI,  p.  323). 


542  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

Dès  son  arrivée  à  Rome,  le  2  mars  (1),  le  duc  de  Guise 
discuta  en  conseil  de  guerre  le  plan  de  campagne  à  suivre 
par  les  alliés.  Monluc  souhaitait  une  revanche  en  Toscane; 
le  duc  de  Paliano,  capitaine  général  des  troupes  du  Saint- 
Siège,  insistait  pour  une  revanche  contre  le  duc  d'Alhe;  et 
comme  l'expédition  de  Naples  cadrait  avec  les  projets  am- 
bitieux du  duc  de  Guise,  il  obtint  gain  de  cause.  Mais  de 
nos  alliés,  nous  n'eûmes  à  attendre  ni  le  «  ner  de  la  guerre  » , 
ni  un  concours  effectif  (2).  Tandis  que  François  de  Guise 
s'enfonçait  dans  le  royaume  de  Naples,  l'attention  des  Ro- 
mains se  trouva  divertie  d'un  autre  côté;  Gosme  I"  de 
Médicis  sortait  de  la  neutralité,  et,  en  retour  du  don  de 
Sienne  en  fief,  il  se  vouait  corps  et  àme,  avec  troupes  de 
terre  et  de  mer,  à  la  défense  des  domaines  de  l'Espagne  (3). 
Il  donna  incontinent  la  preuve  de  sa  vassalité. 

Gian-Andrea  Doria  chargeait  à  Gènes  quatre  mille  Alle- 
mands du  comte  Lodrone,  qui  allaient  au  secours  du  duc 
d'Albe.  Le  baron  de  La  (îarde,  avisé  du  fait,  appareilla  le 
18  mars,  afin  de  lui  couper  la  route.  Il  le  manqua  de  quel- 
ques heures  :  Doria  avait  levé  l'ancre  dans  la  nuit.  Gagné 
de  vitesse  et  attendu  dans  le  canal  de  l'Elbe,  il  esquiva 
encore  notre  poursuite,  parce  que  la  violence  du  courant 
nous  avait  forcés  à  relâcher  en  Corse,  où  nous  enlevâmes, 
le  dimanche  des  Rameaux,  la  petite  bicoque  d'Erbalunga, 
près  de  Bastia.  Les  adversaires  se  trouvèrent  enfin  en  pré- 
sence à  Port'Ercole,  les  trente  galères  et  les  deux  galiotes 
de  La  Garde,  formées  en  bataille  au  large,  les  vingt-sept 
galères  et  les  deux  galiotes  de  Doria  serrées  en  ligne  à 
l'entrée  du  port,  entre  deux  tours  qui  les  épaulaient.  Forcer 
la  passe  sous  le  feu  des  forts  était  impossible;  d'autre  part, 

(1)  Pietro  NoRES,  p.  174. 

(2)  u  De  l'entreprise  de  Naples  par  Mgr  de  Guise  «  (B.  N.,  Moreau  738, 
fol.  117  V»). 

(3)  Masfrom,  La  marina  da  querra  dcl  (jiniiducato  Medicco.  Roiiia,  1895- 
1896,  2  in-8*. 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE   ET    L'ANGLETERRE.         543 

les  Impériaux,  deux  jours  de  suite,  refusèrent  le  combat. 

Le  baron  de  La  Garde,  pour  ne  point  retarder  les  opé- 
rations de  Tarmée  de  terre,  se  hâta  d'aller  débarquer  à 
Givita-Vecchia  un  millier  d'hommes  que  Charles  de  La 
Rochefoucault-Randan  et  Gianfrancisco  d'Acquaviva,  duc 
d'Atria  (1),  amenaient  au  duc  de  Guise.  Puis  il  alla  se 
poster  une  dernière  fois  sur  la  route  de  Doria  :  avec  sa 
flotte  et  les  galères  de  garde  de  Civita-Yecchia,  il  prit  posi- 
tion aux  îles  Ponza,  «  aux  bouches  de  Naples.  »  Il  arrivait 
à  temps.  Le  lendemain,  les  vigies  signalèrent  du  haut  de 
la  montagne  qu'une  flotte  arrivait  du  nord.  La  Garde  se 
mit  aussitôt  en  chasse.  Malheureusement,  une  bourrasque, 
qui  éclata  aux  approches  de  la  nuit,  l'empêcha  de  garder 
l'ennemi  en  vue.  Avec  une  habileté  consommée,  Doria, 
dépassant  le  golfe  de  Naples,  alla  jusqu'en  vue  de  Salerne; 
puis,  l'ennemi  dépisté,  il  revint  sur  sa  route  en  serrant  la 
côte. 

Le  lendemain,  comme  La  Garde  louvoyait  du  côté 
d'Ischia  et  de  Procida,  il  apprit  par  des  barques  napoli- 
taines qu'il  avait  été  joué,  que  le  régiment  allemand  était 
débarqué  à  Naples  et  que  la  flotte  de  Doria  (2j  stationnait 
dans  le  port  pour  contenir  la  populace  en  cas  de  révolte  : 
car  on  soupçonnait  le  duc  de  (yuise  d'entretenir  des  intelli- 
gences dans  la  place.  Le  baron  espérait  prendre  une  re- 
vanche contre  une  escadre  venue  d'Espagne  :  au  bout 
d'une  semaine  de  croisière  aux  iles  Ponza,  ne  voyant  rien 
venir,  il  regagna  Civita-Yecchia  (3). 

Compromise  par  l'arrivée  de  ces  renforts  ennemis,  l'ex- 

(1)  Cf.  sur  lui,  É.  Picot,  Les  Italiens  en  France  au  XVI'  siècle,  dans  le 
Bulletin  italien,  t.   I  (1901),  p.  109. 

(2)  28  galères,  2  brigantins  et  3  frégates. 

(3)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  roi.  Civita-Vecchia,  23  avril  1557 
(B.  N.,  Franc.  20463,  fol.  75).  —  «  Touchant  l'armée  de  mer  de  M.  le 
baron  de  La  Garde,  pour  empesclier  le  secours  de  Naples  en  l'année  1557)) 
(B.  N.,  Moreau  738,  fol.  129  v"). 


544  IIISTOIKE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE 

pédition  de  Naplcs  le  fut  davantage  par  l'inertie  des  troupes 
pontificales.  Depuis  le  24-  avril,  le  duc  de  Guise  était  arrêté 
par  la  place-forte  de  Civitella,  sise  au  sommet  d'une  col- 
line que  baigne  le  Salinello  (1).  Le  duc  d'Albe  accourait 
au  secours  de  la  forteresse  :  et  loin  de  nous  appuyer,  les 
troupes  romaines  faisaient  défection.  Le  marquis  de  Mon- 
tebello  désertait  avec  ses  chevau-légers.  La  ligue  était  si 
ébranlée  que  nous  songions  à  nous  nantir  sur  nos  alliés 
d'un  gage  (2).  Nous  avions  besoin  d'un  port.  Et  la  prise  de 
Port'Ercole  que  Moulue  déclarait  aisée  et  pour  laquelle  le 
baron  de  La  Garde  avait  recruté  l'appui  de  dix  galiotes 
turques  et  de  huit  galères  de  Giordano  Orsini  (3),  était 
impossible  depuis  qu'un  détachement  de  quatre  mille  im- 
périau.x:  était  entré  dans  la  place. 

La  Garde  peusait  a  se  saisir  doulcement  "  de  Civita-Vec- 
chia  avec  la  connivence  du  cardinal  Caraffa.  Mais  le  cardi- 
nal refusa  de  se  prêter  à  une  complicité  déshonorante;  son 
oncle,  le  pape,  refusait  de  couvrir  les  frais  des  dix  galères 
supplémentaires  dont  la  ligue  nous  imposait  l'entretien;  et 
il  ne  voulut  point  davantage  donner  au  duc  d'Orléans  l'in- 
vestiture de  Naplcs  avant  d'avoir  Sienne  en  son  pouvoir. 
Son  ambassadeur  enfin,  le  marquis  de  La  Gava,  qu'on 
attendait  en  France,  ne  parut  pas. 

En  désespoir  de  cause,  le  général  des  galères  et  le  ma- 
réchal Strozzi  fortifiaient  les  îles  Ponza,  afin  d'assurer  à 
nos  flottes  un  point  d'appui,  quand  notre  ambassadeur 
leur  révéla  le  revirement  de  la  politique  rovale,  le  rap- 
pel du  duc  de  Guise,  l'abandon  de  l'expédition  de  Na- 
plcs. Le  pape,  bouleversé  à  cette  nouvelle,  vint  à  résipis- 

(1)  Cf.  la  description  et  l'histoire  fin  siège  de  Civitella  par  l'ietro  Nouks, 
p.  183. 

(2)  Lettre  de  Charles  de  Marillac  au  connétable.  Marseille,  17  mai  (B.  N., 
Franc.  20460,  fol.  131). 

(3)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  duc  de  Guise.  Marseille,  2  juin 
1557  (B.  N.,  Franc.  20463,  fol.  81). 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         545 

cence  et  manda  en  toute  hùLe  Strozzi,  mais  trop  tard  (1). 

Dès  qu'il  avait  appris  le  désastre  de  Saint-Quentin,  la 
déroute  de  l'armée  française  et  la  capture  du  connétable 
de  Montmorency  (2),  le  roi  Henri  II  avait  expédié  au  duc 
de  Guise  l'ordre  de  gagner  en  toute  diligence  le  port  de 
Civita-Vecchia  :  La  Garde  l'y  attendrait  pour  le  ramener 
en  France  (3).  Il  y  avait  neuf  mois  que  nos  capitaines  de 
galères  n'avaient  reçu  le  moindre  denier;  et  pourtant,  dès 
que  leur  général  leur  manda  ce  qu'on  attendait  d'eux  dans 
le  péril  national,  ils  se  déclarèrent  prêts  à  tout  pour  le 
service  du  roi.  Vu  l'urgence,  La  Garde  partit  de  l'avant 
avec  une  dizaine  de  galères,  les  seules  en  état  d'appareiller 
à  Marseille  (4). 

Mais  comment  retourner  en  France?  u  Si  les  ennemys 
font  ce  qu'ilz  doibvent,  écrivait-il  au  duc  de  Guise,  il  est 
impossible  que  puissiez  passer  sans  avoir  chasse  (5).  u 
Il  fut  donc  convenu  que  nos  galères,  pour  l'cster  lestes 
et  promptes  à  la  fuite,  n'embarqueraient  à  Civita-Vec- 
chia que  le  duc  de  Guise,  son  état-major  de  grands 
seigneurs  et  sept  compagnies  d'arqueliusiers  (6).  Un  se- 
cond convoi  reviendrait  charger  le  gros  de  l'armée,  les 
enseignes  du  colonel  Chiaramonte,  les  lansquenets  de 
Rockrod,  etc.  (7). 

Il  était  temps  pour  François  de  Guise  de   regagner  la 

(i)  «  Lettre  esciipte  au  Roy  par  ledit  sieur  de  Vienne  venant  de  Rome  et 
estant  arrivé  à  Marseille  «  (B.  N.,  Moreau  738,  fol.  134). 

(2)  10  août  1557. 

(3)  Lettre  de  Henri  II  au  baron  de  La  Garde,  en  date  du  14  août,  citée 
dans  la  lettre  ci-dessous. 

(4)  Lettre  du  baron  de  La  Garde  au  duc  de  Guise.  Marseille,  22  août 
(B.  N.,  Franc.  20463,  fol.  93). 

(5)  Lettre  du  même.  Civita-Vecchia,  8-9  septembre  (B.  N.,  Franc. 
20463,  fol.  89,  97). 

(6)  Calendar  of  State  papers  ,  Vciictian,  éd.  Rawdon-Brown,  t.  VI, 
2^  partie,  p.  1304^  1309. 

(7)  Rôles  des  compagnies  à  rembarquer  (B.  N.,  Clairambault  351,  fol.  151, 
152,  155). 

I".  35 


546  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

France  (1).  A  peine  avail-il  quitté  Rome  le  9  septembre, 
que  le  duc  dAlbe  y  faisait  son  entrée  ;  le  14,  le  pape  se 
détachait  de  la  Ligue  ;  plusieurs  nefs  françaises,  après  le 
départ  de  notre  escadre,  furent  mises  sous  séquestre  à 
Civita-A^ecchia.  Furieux  de  ce  procédé,  le  baron  de  La 
Garde,  qui  revenait  chercher,  avec  vingt-deux  galères  et 
treize  transports,  le  gros  de  nos  troupes  (ij,  parlait  d'ar- 
rêter par  mesure  de  représailles  les  galères  pontificales.  Le 
duc  de  Guise  trouva  «  plus  honeste  »  une  protestation 
(i  par  voie  diplomatiqvie  " .  Frappé,  lors  de  son  débarque- 
ment à  Marseille,  du  mauvais  équipement  des  galères,  le 
duc  proposait  d'en  réformer  dix  sur  quarante-quatre,  afin 
de  renforcer  d'autant  l'armement  des  autres  :  une  dizaine 
des  meilleures  iraient  exécuter,  sous  Baccio  Alartelli,  cer- 
taine entreprise  rêvée  par  le  baron  de  La  Garde,  —  nous 
verrons  où,  —  tandis  que  Charlus  ferait  sentinelle  avec 
six  auti^es  à  Antibes  (3). 

Il  y  avait  quelque  chose  de  plus  pressant  :  c  était  le  ravi- 
taillement de  nos  places  de  la  Corse.  Sans  la  moindre  cons- 
cience du  discrédit  qu  on  jetait  ainsi  sur  elle,  n'avait-on 
pas  eu  la  fâcheuse  idée  de  transformer  lile  en  un  lieu  de 
déportation  pour  les  malfaiteurs  (4').  Les  convois  succé- 
dèrent dès  lors  aux  convois.  En  octobre  L557,  trois  trans- 
ports, escortés  par  un  pareil  nombre  de  galères,  s'achemi- 
naient vers   Bonifacio   (5).    En   décembre    L557,   le  grand 

(1)  «  Discours  touchant  l'année  de  Monseijjneur  do  Guise  estant  à  l'entrée 
du  royaume  de  jXaples,  en  délibération  de  retourner  en  France  «  (B.  N., 
Franc.  17826,  fol.  30).  —  Le  duc  de  Guise  arriva  le  20  septembre  à  Mar- 
seille (Mèmoires-Jouniaux,  p.  391). 

(2j  II  passait  en  octobre  dans  le  golfe  de  Saint-Florent,  en  route  pour 
Civita-Vecchia  (CiiiO  IIeccih,  HIsloriw  Jaiiuciises  :  B.  N.,  Nouv.  acq.  lat. 
1764,  p.  334-335). 

(3)  Avis  du  duo  de  Guise  sur  les  projets  du  baron  de  La  Garde  (B.  N., 
Franc.  3124,  fol.  14.  —  Clairambault  340,  fol.  1). 

(4)  Ordonnance  enregistrée  au  Parlement  le  14  janvier  1557. 

(5)  Cir.o  Recciii,  Hitoriw  Janucnses  :  B.  N.,  Nouv.  acq,  lat.  1764, 
p.  335. 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         547 

prieur  de  France  amenait  à  Giordano  Orsini  une  dizaine  de 
galères  (1),  et  Baccio  Martelli  et  Cabassolles  du  Real  un 
train  de  munitions  (2),  sans  que  Lodrono  osât  leur  barrer 
la  route,  dans  la  crainte  d'une  défaite;  quittant  même 
Bastia  (;i),  Lodrono  regagnait  Gènes. 


II 

LA   TRAHISON    DE    PIALIPACHA 

A  la  suite  du  rapport  du  duc  de  Guise  sur  l'état  fâcheux 
des  galères,  le  baron  de  La  Garde  fut  supplanté  par  le 
propre  frère  et  filleul  du  duc  de  Guise,  François  de  Lor- 
raine, grand  prieur  de  France.  En  voyant  arriver  de  la 
Cour  cet  adolescent,  La  Garde  avait  eu  l'intuition,  dès 
1553,  que  la  maison  de  Guise  lui  préparait  un  successeur. 
En  dépit  des  paroles  rassurantes  du  cardinal  de  Lorraine, 
en  dépit  des  protestations  du  connétable  qu'il  ne  laisserait 
jamais  «  oppresser  et  rejeter  en  arrière  les  bons  serviteurs 
du  Roy  (4),  1)  le  baron  se  méfiait.  Et  pourtant,  quand  le 
grand  prieur  revint  de  Malte,  ses  caravanes  faites,  La 
Garde  lui  céda  libéralement  «  son  admiraulté  et  généralité 
des  gallères  (5j  " ,  au  lieu  de  reconnaître  la  u  prééminence)) 
nominale  du  prince,  tout  en  conservant  sa  charge   (6).  Il 


(1)  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  Michiel.  Poissv,  tO  décembre  1557 
(Calendar  of  State  papers,  Venetian,  éd.  Rawdon-Brown,  t.  VI,  3°  partie, 
p.  i399j. 

(2)  Quittances  des  deux  capitaines.  15  et  20  février  1558  (Bibliothèque 
du  ministère  de  la  marine,  G  182,  pièces  4  et  5). 

(3)  Le  21  décembre  1557  ^^Cibo  IIecchi,  passage  cité). 

(V)  Lettre  de  Pietro  Strozzi  au  connétable.  19  novembre  1553  (Brantôme, 
t.  IV,  p.  140j. 

(5)  Lettres-patentes  du  8  mars  1558  (B.  N.,  Clairambault  825,  fol.  115). 

(())  Lettre  de  Fourquevaulx.  Narbonne,  8  mai  1558  (B.  N.,  Latin  8589, 
fol.  56.) 


548  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

poussa  l'abnégation  jusqu'à  lui  abandonner  sa  fameuse 
quadrirème,  la  Réale  ou  la  Diane  (1). 

Voici  quels  étaient  les  titres  du  grand  prieur  de  Lor- 
raine au  commandement  en  chef.  Nommé  général  des 
galères  de  Malte  dès  son  arrivée  dans  l'île  (2),  parce  que  ses 
deux  bâtiments  suppléaient  à  point  la  flotte  de  l'Ordre 
engloutie  par  un  typhon,  il  lui  avait  pris  fantaisie  de 
donner  une  aubade  à  la  garnison  turque  de  Rhodes.  Le 
gouverneur  Deli-Djafer,  renégat  corse,  lui  épargnant  moitié 
de  la  route,  vint  à  sa  rencontre  avec  quatre  galères,  char- 
gées à  couler  de  janissaires.  François  de  Lorraine  en  avait 
cinq,  presque  dégarnies  de  soldats  à  la  suite  de  nombreux 
amarinages.  L'action  s'engagea  près  de  Candie  :  c'était  en 
juin  1557. 

Djafer,  que  tenaient  en  échec  le  tir  à  mitraille  de  maître 
Langlois  et  les  arquebusades  de  la  S<(int-Plnlippe,  amate- 
lotée  avec  la  capitane,fut  reconnu  à  son  bâton  de  comman- 
dement et  abattu  d'une  balle  dans  le  ventre  :  la  patronne 
turque  était  maltraitée  par  la  Saint-Foy,  dont  l'artillerie 
était  pourtant  hors  d'usage,  etla  galère  de  Mustapha  Golaxis 
allait  succomber  sous  la  violente  attaque  à  l'abordajje  du 
chevalier  de  Tenance,  quand  une  action  héroïque  compromit 
le  succès  des  chrétiens.  La  Saint-Jacques  avait  balayé  de 
son  feu  le  pont  de  la  galère  de  Memmi  Raïs  :  maître  de  la 
proue  et  de  la  rambade,  mais  arrêté  vers  la  poupe  par  un 
gros  de  janissaires,  le  chevalier  provençal  de  Ghàteausac, 
plutôt  que  de  reculer,  un  tison  à  la  main,  fit  sauter  la 
Sainte-Barbe.  Il  comptait  ainsi  venger  le  chevalier  de 
Gaylus,  son  parent,  tombé  mort  à  ses  pieds,  et  donner  aux 

(1)  Suivant  prisée  en  date  du  30  avril  (B.  N.,  Pièces  orig.,  vol.  400, 
doss.  Bompar  en  Provence,  pièce  10). 

(2)  Le  21  décembre  1555  (Lettre  de  François  de  Lorraine  au  duc  de 
Guise.  Malte,  23  décembre  1555  :  Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise, 
dans  la  Collection  de  mémoires  Michaud  et  Poujoulat,  1"  série,  t.  VI, 
p.  254). 


GUERRE    CONTRE    L'ESPAGNE   ET    l'aNGLETERRE.         549 

siens  la  victoire.  Il  en  advint  tout  autrement.  Les  Turcs 
épargnes  par  l'explosion  refluèrent  vers  la  Saint-Jacques^ 
dont  ils  se  rendirent  maîtres  à  leur  tour;  et  ils  prirent  le 
large.  Les  autres  équipages  musulmans  profitèrent  de  notre 
désarroi  momentané  pour  se  dégager  et  s'enfuir.  Ils  avaient 
six  cents  hommes  hors  de  combat,  les  chrétiens  cent  qua- 
rante, en  dehors  de  la  chiourme.  Nombre  de  chevaliers 
français,  Aguerre,  Glandèves,  Montesquiou,  Gaylus,  Sv- 
méan,  La  Coste,  Nogaret,  Girèmes,  Du  Puy-Montbrun, 
étaient  parmi  les  morts;  les  galères  de  Malte,  à  moitié  fra- 
cassées, n'avaient  plus  forme  de  navire.  François  de  Lor- 
raine avait  une  balle  dans  les  bras,  une  flèche  au  genou  ; 
mais  il  était  sacré  héros  (I). 

Or,  en  vertu  de  ses  fonctions  nouvelles  de  général  de  nos 
galères,  ce  fut  à  lui  qu'échut  le  devoir  d'aller  au-devant  de 
ses  adversaires  de  la  veille,  devenus  nos  alliés.  Le  20  juin 
1558,  il  quittait  Marseille  pour  la  Corse,  fixée  comme 
rendez-vous  à  l'énorme  flotte  de  Piali-Pacha.  Cent  onze 
galères  avaient  appareillé  à  Constantinople  le  14  avril,  elles 
en  avaient  rallié  d'autres  en  route  (2)  ;  et  l'attaché  mili- 
taire français,  le  capitaine  Dupeyrat,  avait  pour  instruc- 
tions de  les  amener  le  plus  promptcment  possible  à  notre 
service  (3).  Malheureusement,  Piali,  »  perdant  le  temps  à 
s'amuzer,  "  s'oublia  au  sac  de  Reggio,  de  Sorrente,  de  Torre 
del  Greco,  d'Ischia,  de  Gaètc,  de  Santa-Severa  (4) ,  mais,  par- 
venu aux  bouches  de  Bonifacio,  le  25  juin,  il  n'eut  pas  la 
patience  d'attendre  notre  escadre  et  poussa  de  l'avant  (5). 

(1)  I.  Baudoin  et  F. -A.  de  Nabkrat,  Histoire  des  chevaliers  de  l'Ordre 
de  Saint-Jean  de  Nie'rnsalem.  Paris,  1629,  in-fol.,  t.  I,  p.  431,  438.  — 
Brantôme,  (.  IV,  p.  151. 

(2)  LeUre  de  J.  de  La  Vigne.  15  avril  (CharriÈre,   t.    II,    p.  464,    note). 

(3)  27  avril  (Ihidem,  p.  462,  note). 

(4)  Lettre  de  J.  de  La  Vigne.  Juin  {Ibidem,  p.  476,  note).  — Manfrom, 
p.  400. 

(5)  Lettre  de  J.  de  La  Vigne  (Charrikre,  t.  II,  p.  493,  note). 


550  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Le  grand  prieur,  dans  lldée  que  1  amiral  turc  venait 
nous  rallier  en  Provence,  avait  rebroussé  chemin  jus- 
qu'aux îles  d'Hyères  (1).  Il  scrutait  vainement  l'horizon, 
quand  un  courrier  dépêché  par  Giordano  Orsiai  arriva 
mander  quelle  direction  avait  prise  l'immense  flotte. 

Elle  s'était  abattue  comme  un  fléau  sur  ^linorque.  A 
l'extrémité  occidentale  de  l'ile,  le  P'  juillet,  les  Turcs 
débarquèrent  par  milliers  avec  vingt  pièces  de  siège  qui 
furent  mises  en  batterie  contre  Ciudadela.  Les  défenseurs, 
au  nombre  de  six  cent  vingt,  repoussèrent  assaut  sur  assaut  : 
le  lieutenant-gouverneur  Arcjuimbau  et  le  capitaine  Negrete 
ne  voulurent  point  entendre  parler  de  capitulation.  Mais, 
incapables  de  résister  davantage,  ils  évacuaient  silencieu- 
sement la  place  pour  se  retirer  à  Mahon,  quand  leur  fuite 
fut  éventée;  en  vain,  engagèrent-ils  une  lutte  désespérée. 
Le  12  juillet,  Ciudadela  n'était  plus  qu'une  ruine  fumante 
et  sa  population  un  monceau  de  cadavres  fi;. 

Le  surlendemain,  la  flotte  turque  était  aux  lies  de  Mar- 
seille. Un  message  du  grand  prieur,  dont  Garces  était  por- 
teur, l'avait  enfin  touchée.  De  Toulon,  François  de  Lor- 
raine vint  à  sa  rencontre  pour  l'amener  dans  notre  grand 
port  de  guerre,  où  tout  était  prépai'é  pour  la  recevoir.  Un 
conseil  fut  tenu  entre  Piali  et  nos  officiers  généraux,  le 
général  des  galères,  le  baron  de  La  Garde,  commandant 
les  troupes  de  terre,  le  colonel  Sampieiro  et  le  diplomate 
Hurault  de  Boistaillé  :  nous  pensions  dresser  immédiate- 
ment un  plan  de  campagne. 

A    notre   grande   surprise,   Piali-Pacha    ne   voulut   rien 

(i)  Lettre  du  baron  de  I-a  (iardc.  Marseille,  1'''' juillet  (H.  X.,  Fram;. 
20463,  fol.  107). 

(2)  Arquimbau,  Negrete  et  quelques-uns  de  leurs  compagnons,  emmenés 
captifs  à  Constantinople,  y  rédigèrent  en  forme  authentique  un  récit  du 
siège  (Victor  Balaguer,  El  Deqolladcro,  dans  les  œuvres  de  la  Academia 
de  la  Historia.  Madrid,  1885,  t.  VII.  —  F.  Dcno,  t.  II,  p.  10  et  12, 
notes). 


GUERRE   CONTRE   L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         5:>1 

entendre;  dix  jours  de  pourparlers  ne  purent  ébranler  sa 
force  d'inertie.  «  Attaquer  les  forts  de  Villefranche?  disait- 
il  :  impossible;  Caram  Mustapha  en  a  inspecté  les  abords; 
qu'arriverait-il  si  les  bourrasques  m'obligeaient  à  aban- 
donnermes  batteries  desiègeetmes  gens?  — Maisle  Grand 
Seigneur  vous  a  donné  ordre  de  nous  seconder;  les  lettres 
que  voici  en  font  foi,  objecta  Bolstaillé. —  Si  je  le  juge  bon, 
répliqua  Piali.  —  Au  moins,  restez  en  croisière  jusqu'au 
15  août,  dit  en  désespoir  de  cause  François  de  Lorraine, 
qui  avait  été,  lui  aussi,  examiner  les  abords  de  la  place  : 
nous  enlèverons  Villefranche  avec  nos  seules  forces.  — 
Impossible  de  demeurer  jusque-là.  .>  La  discussion  fut  tran- 
chée par  l'arrivée  subite  de  huit  cents  hommes  de  renfort 
amenés  par  vingt-quatre  galères  ennemies  le  20  jviillct;  la 
ville  était  hors  de  danger.  »  Allons  assaillir  Bastia  en  Corse, 
reprîmes-nous.  — Même  refus.  — Alors  Port'  Ercole  en  Tos- 
cane. —  Figure-t-il  sur  la  liste  des  points  d'attacjue  cjue 
vous  avez  dû  soumettre  au  sultan?  répliqua  Piali.  Non?  Eh 
bien,  je  n'y  risquerai  point  ma  flotte  (1).  » 

Ce  jour  même,  le  24  juillet,  le  grand  prieur  avait  à  peine 
regagné  son  bord  après  un  colloque  aussi  vain,  qu'une  fré- 
gate génoise  battant  pavillon  espagnol  vint  se  ranger  sous 
la  poupe  de  Piali  et  offrit  aux  Turcs  force  fruits.  Surpris 
d'un  fait  aussi  étrange,  qu'un  bâtiment  ennemi  osât  péné- 
trer, bannière  déplovée,  dans  un  port  français,  le  grand 
prieur  envoya  demander  des  explications  à  l'amiral  turc. 
—  Pendez  donc  les  (jénois,  si  bon  vous  semble,  fut  toute  la 
réponse  du  pacha,  qui  ne  les  fit  pas  moins  escorter  jusqu'à 
Nice  par  toute  son  avant-garde.  Trois  autres  frégates 
génoises  apparurent  le  lendemain,  chargées  de  draps  d'or 

(i)  BoiSTAiLi.É  (?),  "  Discours  et  rapport  ilu  voyage  de  l'année  de  mer 
turquesque  despuis  qu'elle  est  comparue  es  mers  de  deçà,  jusques  au  jour 
qu'elle  est  partie  d'avec  les  gallaires  du  roy  pour  s'en  retourner  sans  rien 
faire  pour  le  service  de  S.  M.  "  (B.  N.,  Franc.  39t5,  fol.  43  :  CuarriÈre, 
t.  II,  p.  509,  note). 


552  MISTOIKE    DE    LA   MARINE   FRANÇAISE. 

et  de  soie  et  de  présents  considérables,  que  la  République 
de  Gênes  envoyait  à  Piali,  sans  parler  d'une  invitation  à 
un  festin  solennel  qu'elle  comptait  lui  offrir.  L'armée 
navale  de  Doria  était  au  large  pour  lui  faire  la  conduite. 

Cette  découverte  inattendue  fut  un  coup  de  foudre  pour 
nos  marins,  qui  se  hâtèrent  de  vider  les  lieux  pour  se  réfu- 
gier sous  le  fortd'Antibes,  laissant  la  flotte  turque  reprendre 
la  route  du  Levant  (1) .  C'était  le  dernier  acte  d'une  comé- 
die qui  se  jouait  à  notre  insu  et  dont  le  premier  acte  avait 
eu  lieu  à  Gonstantinople.  Un  soi-disant  négociant  en  grains, 
le  Génois  Tortorino,  envoyé  à  Byzance,  avait  corrompu  les 
pachas  pour  détourner  des  côtes  ligures  et  de  la  Corse 
l'orage  menaçant.  Piali  venait  de  toucher  le  prix  de  sa 
vénalité  f2). 


III 

LA    PRISE    DE    CALAIS 

Par  son  mariage  avec  la  reine  d'Angleterre,  Philippe  II, 
roi  d'Espagne,  des  Deux-Siciles,  des  Indes  et  des  Pays-Bas, 
disposait  de  la  plus  formidable  puissance  navale  qui  eût 
existé.  Les  éléments  épars  s'en  rassemblèrent  en  1557  pour 
nous  porter  un  coup  décisif;  l'escadre  andalouse  d'Alvaro 
de  Bazan  passait  en  Guipuscoa,  capturant  en  route  quatre 
de  nos  vaisseaux  (3),  tandis  que  l'escadre  basque  de  Car- 


(i)  «  Discours  et  rapport  du  voyage  turqucsque  "  (CuarriÈrk,  t.  II, 
p.  522,  note). 

(2)  Lettre  de  la  Seigneurie  génoise  au  capitaine  général  de  la  flotte 
turque  (20  juin  1558)  ;  «Instructio  domini  Francisci  Costa-,  niissi  ad  classeni  » 
à  l'Archivio  di  Stato  de  Gènes;  lettres  de  Piali  au  prince  Doria,  etc. 
(Mam-rom,  p.  398-401). 

(3)  Lettre  d'Alvaro  de  Bazan  à  la  reine.  Laredo,  il  juin  1557  (F.  DuKO, 
Armada  espanola,  t.  TI,  p.  449). 


GUERRE    CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE,         553 

vajal  venait  au-devant  du  British  Squadron,  et  que  vingt- 
deux  croiseurs  de  Londres  et  Lee  ralliaient  le  pavillon  Ha- 
mand  de  l'amiral  de  Wacken  (1).  L'ennemi  était  maître  de 
la  mer,  notre  marine  hors  d'état  de  livrer  bataille  (2j ,  malgré 
une  mobilisation  générale,  terre-neuviers  compris  (3),  la 
France  à  la  veille  d'une  invasion.  Un  émissaire  anglais, 
Lawrence  HoUinshed,  avait  déjà  exploré,  en  vue  d'une  des- 
cente, les  abords  de  La  Hougue  et  du  Havre  (A). 

Un  incident  de  voyage  dérangea  l'harmonie  de  ces  plans. 
Garvajal  s'attarda  dans  une  attaque  contre  Belle-Isle  (5), 
puis  contre  Guérande  et  Le  Groisic,  une  ville  de  corsaires. 
Mais  ses  troupes  n'avaient  pas  plus  tôt  débarqué  à  Ghé- 
moulin,  le  4  mai,  que  le  sénéchal  de  (Tuérande,  Ghauvigné, 
se  jetait  sur  elles  avec  trois  cents  arquebusiers,  mille  brais 
longs,  et,  en  guise  de  canons,  des  arquebuses  à  croc  mon- 
tées sur  charrettes.  Force  fut  aux  pillards,  le  soir  même,  de 
regagner  leurs  campements  de  Belle-Isle  (6),  où  les  marins 
du  Groisic  brûlaient  de  leur  donner  la  chasse  et  d'anéantir 
leurs  quarante  galions  et  chaloupes  (7) . 

De  fait,  on  apprit  avec  stupéfaction  à  Londres  que  Gar- 
vajal battait  en  retraite  vers  l'Espagne,  à  la  suite  d'un  vio- 
lent combat  contre  un  convoi  de  pêcheurs  bretons,  escorté 
par  quelques  vaisseaux  de  guerre.    Les  six  maigres  prises 


(1)  6  juin  1557  (Kervys  de  liETTEXHOVE,  Relations  politiques  des  Pays- 
Bas  et  de  l'Angleterre   sous...    Philippe  II.   Bruxelles,    1882,   in-i",  t.   I, 

(2)  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  Surian.  J^ondrcs,  1'"'  juin  [Calcn- 
dar  of  State  papers,   Veuetian,  t.  VI,  2"  partie,  p.   1131,  n"  912). 

(3)  Lettre  du  gouverneur  de  Bretagne  au  vice-amiral  de  Bouille.  18  avril 
(Doni  MoRicE,  Mciuoires  pour  servir  de  preuves  à  l'Histoire  de  Bretagne, 
t.  III,  col.  118V). 

(4)  Avril  (Calcndar  of  State  papers,  foreign  séries  of  thc  rcirjn  of  Elisa- 
beth (1558-1577),  éd.  Stevenson  cl  Crosby.  London,  1863,  t.   I,  n"  579). 

(5)  Le  18  avril  {Calcndar  of  State  papers,  Venetian,  éd.  Rawdon-Brown, 
t.  VI,  2«  partie,  p.  1827,  n°  872). 

(6)  Dom  MoRicE,  Mémoires...  de  Bietugne,  t.  III,  col.   1194. 

(7)  Dès  le  30  avril  (Ibidem,  col.  1187).' 


554  IIISTOIHI':    DE    I.A    .MARINE    FRANÇAISE 

qu'il  avait  failes  ne  compensaient  point  réchec  de  la  cam- 
pagne navale  (1) . 

Las  d'attendre  son  collègue  espagnol,  l'amiral  anglais 
avait  paru  le  15  juin  1557  devant  Cherbourg  et  brûlé  le 
vaisseau  royal  du  capitaine  Coq,  impuissant  à  lutter  contre 
seize  gros  navires  de  guerre;  mais  il  s'était  fait  repousser 
par  les  batteries  de  la  Hague  (:2j .  La  croisière  anglo-espa- 
gnole reprit  dès  lors  pour  champ  d'action  nos  côtes  de 
l'Atlantique;  elle  signalait  sa  présence,  le  10  décembre,  par 
l'attaque  de  Sucinio  et  de  Sainl-Oildas  de  Rhuys  (iV  ,  le  30, 
par  la  capture  du  plus  beau  vaisseau  de  guerre  du  Croisic, 
le  Grand-Jésus  (4),  et  de  son  convoi. 

Pour  parer  aux  incursions  ennemies  dans  le  sud,  le  Bor- 
delais La  Salle,  constructeur  et  capitaine  du  meilleur  galion 
de  la  flotte  (5),  proposa  à  1  amiral  de  Guyenne  tout  un  sys- 
tème de  défense  mobile  :  un  fort  démontable  en  bois,  facile 
à  transporter  sur  les  points  menacés;  à  reml)oucluire  de  la 
Gironde,  une  batlcrie  flottante  de  cent  cinquante  pièces 
disposées  en  trois  étages  de  feux  et  servies  par  cinq  cents 
hommes;  enfin,  le  long  du  littoral,  huit  garde-côtes,  four- 
nis, deux  par  les  ports  du  sud,  de  Saint-Jean-de-Luz  à  Cap- 
breton,  trois  par  les  ports  du  nord,  de  Bordeaux  jusqu'en 
Bretagne,  et  les  derniers  par  les  villes  de  la  Garonne  inté- 
ressées au  commerce  marilime,  Toulouse,  Agen  et  Mar- 
mande.  Du  garde-côtes  idéal,  à  l'épreuve  du  canon  et  léger 
à  la  course,  notre  capitaine  traçait  un  devis,  inspiré  de  la 
forme  des  «  barques  passaigères»  ((>j,  qui  fut  réalisé  par  les 


(i)  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  Surian.  Londres,  8  juin  (Calcndar 
of  Slalc  papers,    Vcnetian,  t.  VI,  2''  partie,  p.  1147,   n"  925). 

(2)  Journal  de  Gouberville,  p.  497. 

(3)  Dom  MonicK,  Mémoires...  de  fSretarjne,  t.  III,  col.  1206. 
{k)  Ibidem,  col.  1208. 

(5)  R.  N.,  Franc.  20008,  fol.  13. 

(6)  Mémoire  de  La  Salle  au  roi  de   Navarre.   1557  (Archii'ex   liisloriques 
de  la  Gironde,  t.  L  p.  120). 


GUERRE   COiVTRE   L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         555 

Bayoïinais.  Leur  Coran  haj^hotat,  en  croisière  à  Tcmbou- 
chure  de  l'Adour,  était  un  navire  blindé,  portant  sous  cou- 
verte un  corps  de  garde  (1).  L'escadre  garde-côtes  de 
Guyenne,  ajoutait  le  capitaine,  aura  pour  équipages  mille 
à  douze  cents  marins  d'élite  des  côtes  normandes,  pour 
artillerie  l'airain  des  cloches  enlevées  des  églises  du  Bor- 
delais et  conservées  au  château  de  Nantes,  pour  vivres  le 
butin  fait  sur  l'ennemi. 

En  faisant  appel  aux  marins  normands,  rompus  à  la 
guerre  de  croisière,  on  évitait  les  rivalités  locales.  Cette 
même  année  1557,  deux  galions  montés  par  les  échevins 
bayonnais  et  les  soldats  du  gouverneur,  ne  donnèrent-ils 
point  la  chasse  à  trois  bâtiments  de  Capbreton,  sous  pré- 
texte qu  ils  avaient  pris  port  dans  l'Adour  ailleurs  qu  à 
Bayonne!  Ils  furent  poursuivis  eux-mêmes  par  deux  vais- 
seaux de  guerre  de  Gapi)reton,  aux  cris  de  :  «  Rendez-vous, 
larrons!  "  et  plusieurs  bordées  ne  les  arrêtèrent  point  (2). 

Comme  riposte  aux  attaques  anglaises,  nous  avions  pro- 
voqué outre-mer  une  sédition.  Un  outlaw,  Thomas  8taf- 
ford,  petit-fds  du  duc  de  Buckinghamet  neveu  du  cardinal 
Pôle,  avait  débarqué  une  centaine  de  soldats  anglo-fran- 
çais dans  le  nord-est,  et,  la  forteresse  de  Scarborough 
enlevée,  s'était  proclamé  roi.  Ephémère  monarchie,  qui 
sombrait  dès  la  fin  du  mois  d'avril  sous  l'attaque  des 
milices  provinciales  (3). 

Henri  II  attendait  un  tout  autre  résultat  de  la  diversion 
classique  des  Ecossais.  Les  Anglais  avaient  tenté  de  leur 

(1)  DucKiiK,  Ilisloirc  maritinic  de  Baynune.  Les  Corsaires  sous  l'ancien 
réqime,  xy.hQ.  —  Dès  la  tin  du  quinzième  siècle,  Léonard  de  Vinci  proposait 
au  duc  de  Milan  la  construction  de  bateaux  blindés,  où  les  bombardes 
étaient  protégées  par  des  mantelets  de  palplanches  (Cf.  Ravaisson-Moi.lien, 
Les  manuscrits  de  L^conard de  Vinci,  ms.  2037  de  la  Bibl.  Nat.,  fol.  7). 

(2)  26  août  1557  (Archives  de  Bayonne,  FF  2,  p.  14). 

(3)  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  Surian.  Londres,  29  avril  et  6  mai 
(Calendar  of  State  papers,  Venetian,  éd.  Ilawdon-Brown,  t.  VI,  2''  partie, 
p.  1026,  n°'  870  et  873). 


556  HISTOIRE   DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

enlever  les  îles  Orcades;  mais  l'attaque  de  l'amiral  britan- 
nique avait  été  repoussce;  une  expédition  danoise  qui 
devait  la  soutenir  avait  été  contremandée  à  la  suite  des 
démarches  de  notre  ambassadeur  (I)  ;  et  nous  envoyâmes 
à  nos  alliés  un  corps  auxiliaire  de  quatre  mille  fantassins 
français;  partie  des  troupes  eurent  ordre  d'embarquer  sur 
l'escadre  de  Glamorgan  de  Saanne  (2),  partie  sur  les  trans- 
ports apprêtés  à  Brest  par  le  capitaine  de  Carné  (3). 

Avant  que  la  diversion  pût  se  produire,  la  France  fut 
envahie  par  l'armée  anglo-espagnole  d'Emnianuel-Phi- 
libert  de  Savoie.  Coligny  se  jeta  dans  Saint-Quentin  pour 
enrayer  l'invasion  :  Montmorency  se  fit  battre  le  10  août 
1557  en  essayant  de  dégager  la  place,  qui  succomba  elle- 
même  le  ^7  :  amiral  et  connétable  de  France  étaient  pri- 
sonniers, 1  armée  et  la  flotte  privées  de  chef. 

Du  fond  de  l'Italie,  un  sauveur  accourut;  le  duc  de 
(îuise,  nous  l'avons  vu,  avait  embarqué  sur  les  galères  du 
baron  de  La  Garde  la  Heur  de  son  infanterie,  laissé  sa 
cavalerie  au  duc  d'Aumale,  son  frère,  les  autres  troupes 
au  duc  de  Ferrare,  son  beau-père,  et  il  revenait  précipi- 
tamment enrayer  l'invasion.  Il  existait,  dans  les  coffres  de 
l'amiral  de  Coligny,  un  rapport  très  circonstancié  qu'un 
agent  secret,  François  de  Briquemault,  avait  fait  sur  les 
fortifications  de  Calais,  en  profitant  des  trêves  pour  s'in- 
troduire dans  la  ville.  Sur  ce  rapport,  l'amiral  avait  dressé 
un  plan  d'attaque,  que  sa  fâcheuse  captivité,  qui  allait 
durer  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre,  semblait  rendre  illusoire. 


(1)  Octobre  1557  {Ibidem,  n"  13V7.  —  Louis  Paris,  La  Clironir/ue  tir 
Nestor.  Paris,  1834,  in-8",  t.  I,  p.  337). 

(2)  Lettre  de  l'ainbassadeur  vénitien  Soranzo.  Reims,  18  juin  {Ibidem, 
p.  1174). 

(3)  Lettres  de  Henri  II  au  duc  d'Etainpes.  4  octobre  (Doni  MomcE,  t.  III, 
col.  1204).  —  L'expédition  par  Brest  était  de  cinq  enseignes  de  fantassins, 
selon  un  mandement  du  duc  dÉlampes.  Laniballe,  6  novembre  (B.  N., 
Franc.  22310,  fol.  114). 


GUERRE   CONTRE   L'ESPAGNE   ET    L'ANGI^ETERRE.         :,:n 

François  de  Guise  en  connaissait  heureusement  Texistence  : 
il  en  obtint  communication  de  la  femme  du  captif.  Atta- 
quez en  hiver,  disait  le  mémoire  de  Goligny  :  l'été,  les  eaux 
sont  si  basses  autour  de  la  place  que  les  Anglais,  craignant 
pour  sa  sécurité,  y  mettent  une  grosse  garnison  :  en  hiver, 
ils  y  laissent  peu  de  gens,  tant  la  ville,  par  la  hauteur  des 
eaux,  est  de  difficile  accès  (1). 

Moins  que  jamais,  les  Anglais  songeaient  à  l'éventualité 
d'une  attaque  :  les  derniers  jours  de  1557  avaient  été  si 
rigoureux  que  les  rivières  charriaient  de  grands  blocs  de 
glace  (2).  Le  gouverneur  de  Calais,  lord  Wentworth , 
avisé  du  rassemblement  dans  la  Somme  de  quarante  trans- 
ports, qu'une  escorte  de  cinq  grands  vaisseaux  de  guerre 
attendait  près  de  Boulogne,  ne  soupçonna  pas  un  instant 
que  Calais  fût  menacée  (3).  Son  aveuglement  eut  quelque 
chose  d'inconcevable.  Le  30  décembre,  les  transports 
étaient  à  Ambleteuse,  convoyés  par  deux  navires  de  guerre; 
une  armée  de  douze  mille  hommes  était  massée  à  Bou- 
logne; la  cavalerie  campait  dans  la  vallée  de  Licques,  et 
Wentworth  était  encore  à  se  demander  sur  quel  point  por- 
terait l'attaque  :  Guines  ou  Ardres?  (4) 

Tandis  que  Jean  de  Monchi  de  Sénai'pont  organisait  le 
ravitaillement  par  mer  de  l'armée  en  campagne,  le  lieute- 
nant d'amirauté  à  Dieppe  ne  restait  point  inactif.  Ponsard 
de  Fors,  avec  une  escadre  volante  de  huit  vaisseaux,  montés 
de  huit  cent  cinquante  hommes  d'équipage,  —  le  Nicolas  et 
le  Pantagruel  entre  autres,  —  devait  appareiller  lors  de  la 
grande  marée  du  22  décembre.  A  la  pleine  mer  du  8  jan- 
vier, l'escadre  recevrait  comme  renforts  deux  vaisseaux  de 

(1)  Brantôme,  t.  IV,  p.  213. 

(2)  Lettre  de  René  de  Sanzay.  Nantes,  31  décembre  1557  (^Doni  MomcE, 
Mémoires  de  Bretagne,  t.   III,  col.  1208). 

(3)  Lettre  datée  de  Calais,  26  décembre  (Calendar  uf  Slule  Papers 
Foreiqn,  p.  351). 

(4)  Lettre  à  la  reine,  30  décembre  (Calendar...,  Foreign,  p.  353). 


558  IIISTOIRK    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

fort  tonnage  et  le  contingent  de  Fécamp  pour  le  a  voyage 
de  Monseigneur  de  Guyse  (1)  »  . 

Jusqu'au  dernier  moment,  nous  donnâmes  le  change  à 
l'ennemi.  L'àpretc  des  compagnies  suisses  à  réclamer  leur 
solde  faillit  cependant  tout  compromettre,  en  retardant  le 
duc  de  Guise  à  Amiens.  Il  dépêcha  de  l'avant  le  corps 
d'armée  dvi  maréchal  Strozzi  pour  isoler  Calais  de  Grave- 
lines  (â),  arrêta,  le  31  décembre,  les  mouvements  combinés 
de  la  flotte  avec  ses  troupes  (3),  et  le  1"  janvier  1558,  il 
investissait  inopinément  Calais  (4-). 

Une  vingtaine  de  transports,  détachés  vers  l'armée  de 
siège  avec  le  capitaine  Jean  Ribaut,  capitaine  de  la  Fleur 
de  Lis  (5),  assuraient  le  service  des  subsistances,  pendant 
que  l'escadre  de  Ponsard  de  Fors,  pourchassant  les  bâti- 
ments britanniques,  faisait  le  vide  dans  le  détroit  et  isolait 
la  place.  Après  avoir  u  rembarré  "  l'ennemi  le  long  du  lit- 
toral d'Angleterre,  Fors  vint,  selon  qu'il  l'avait  dit,  cher- 
cher des  l'enforts  à  Dieppe.  Sans  attendre  la  grande  marée 
du  8,  il  reprit  la  mer  le  G  janvier  (6j,  sur  les  instances 
pressantes  de  la  Cour  de  ne  plus  laisser  à  découvert  les 
côtes  boulonnaises  (7). 


(1)  "  Double  de  lestât  des  navires  que  le  sieur  de  P'ors  fera  tenir  prestz 
pour  le  voyage  de  Monseigneur  de  Guyse  :  >'  le  Nicolas  (200  tonneaux),  la 
Cathctine  (i20),  le  Pantagruel  (110),  le  Lion  (100),  le  Bon  temps  (60),  la 
Lézarde  (60),  l'Esprit  (50),  le  Courrier  (50)  (B.  N.,  Franc.  3085,  fol.  72; 
Franc.  3397,  fol.  14). 

(2)  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  Micliiei.  Paris,  1'^'' janvier  (Calendar  of 
State  papers,  Venetian,  éd.  l\a\vdon-Bro\vn,  t.  VI,  3"  part.,  p.  1407,  n°  1121). 

(3)  "  Vostre  lettre  du  dernier  du  mois  passé  au  sieur  de  Fors,  »  écrit 
Henri  II  au  duc  de  Guise  le  7  janvier  1558  (B.  N.,  Franc.  20645,  fol.  14). 

(4)  Sur  le  siège  de  Calais,  on  lira  avec  fruit  l'excellent  ouvrage  de  M.  Georges 
D.\liiMKT,  Calais  sous  la  domination  anglaise.  Arras,  1902,  in-S",  p.  37.  Le  seul 
reproche  que  je  ferai  à  l'auteur,  c'est  d'avoir  omis  le  rôle  de  la  flotte  française. 

(5)  Lettre  de  Wotton  à  Marie  d'Angleterre.  27  avril  1557  (Calendar  of 
State  papers,  Foreign  séries,  of  the  reign  of  Mary,  p.  299). 

(6)  Lettre  de  Fors  au  duc  de  Guise.  Dieppe,  6  janvier  (B.  N.,  Franc. 
20645,  fol.  10). 

(7)  Lettre  de  Henri  II  du  7  janvier,  citée. 


GUERHE   COM'RE   L  ESPAGNE   ET    L'ANGLETERRE.         559 

C'est  qvie,  du  côté  de  Calais,  les  événements  se  préci- 
pitaient. Le  3  janvier,  le  risban  et  les  positions  qui  com- 
mandaient l'entrée  du  port  et  l'accès  de  la  ville,  tom- 
baient au  pouvoir  du  duc  de  Guise.  Le  8,  les  vice-amiraux 
Ralf  Chamberlain  et  William  Woodhouse  arrivaient  à 
toutes  voiles  pour  sauver  la  ville  (1).  Les  batteries  de 
siège  tiraient  encore  :  mais  deux  capitaines  de  vaisseaux 
anglais,  envoyés  en  reconnaissance,  à  voir  deux  bâti- 
ments sous  pavillon  à  croix  blanche  garder  la  gorge  du 
havre,  tandis  que  le  drapeau  l)ri(annique  à  croix  rouge 
avait  disparu  du  risban,  flairèrent  un  piège  {''2).  Calais 
venait  de  capituler;  et  si  les  di.x-huit  vaisseaux  de  guerre 
de  Chamberlain  avaient  eu  le  malheur  de  pénétrer  dans 
le  port,  toutes  les  dispositions  élaicnt  prises  pour  les  fou- 
droyer. 

Au  rovaume  dont  elle  était  détachée  depuis  plus  de 
deux  siècles,  la  place  fut  solidement  rivée  par  des  forces 
imposantes  :  une  garnison  de  quatre  mille  hommes  et  une 
escadre  de  garde  de  quatre  vaisseaux  (3).  Il  n'y  eut  point 
de  retour  offensif  de  la  Hotte  anglaise;  un  ouragan  l'avait 
si  gravement  endommagée  que  Marie  d'Anjjletcrrc  dut 
faire  appel  à  l'amiral  espagnol  Luis  de  Carvajal  pour 
embarquer  les  troupes  du  comte  de  Rutlarul  (4j .  Mais  à  la 
ruine  de  la  domination  anglaise  en  France,  il  n'était  plus 
de  remède.  L'escadre  espagnole  de  Dunkerque,  assaillie  à 
son  tour  par  une  violente  tempête,  en  cours  de  route  pour 

(1)  Calcudar  of  Slate  papers,  acts  of  tlie  Privy  Council  (30  décembre 
1557,  2-8  janvier  1558),  p.  222,  227,  235. 

(2)  Interropaloire  des  marins  d'un  vaisseau  armé  à  llye  et  amené  à  Calais 
par  trois  navires  de  Dieppe  qui  l'avaient  capturé.  Calais,  27  janvier  1558 
(B.  N.,  Franc.  23191,  fol.  201). 

(3)  Daumet,  p.  42,  d'après  les  gestes  d'Anne  de  Montmorency  (B.  N., 
Cinq-Cents  Colbcrt  26,  fol.  128,  141). 

(4)  Cinq  mille  hommes.  Lettre  de  Marie  Tudor  au  duc  de  Savoie,  18  jan- 
vier (IvEnvYN  DK  Le'xïenuove,  Relations  politi(jues  des  Pays-Bas  et  de  l'An- 
gleterre, t.  I,  p.  118). 


560  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

l'An^jleterre,   perdit  deux  vaisseaux  sur  les  bancs  et  dut 
chercher  un  refuge  en  Zélande. 

La  chute  de  Calais  causa  dans  les  Pays-Bas  non  moins 
qu'en  Angleterre  un  émoi  indescriptible,  que  trahit  lar- 
mement  de  vingt-cinq  croiseurs,  tandis  qu'un  capitaine 
espagnol,  du  nom  de  Guiliano,  demandait  une  escadre  et 
des  troupes  pour  recouvrer  la  place  :  avant  un  mois, 
disait-il,  ce  sera  chose  faite  (1).  Il  avait  échappé  à  un 
diplomate  de  Philippe  II  cette  confidence  imprudente  que. 
Calais  reconquis,  son  maître  le  garderait  pour  lui  (2). 
Aussi  les  Anglais  jugèrent-ils  bon  de  ne  point  laisser  leurs 
alliés  opérer  seuls.  L'amiral  Clinton  alla  s'entendre  avec 
son  collègue  flamand  Wacken  pour  une  attaque  combinée 
contre  Calais,  Rue  et  Saint-Valéry,  et  contre  l'expédition 
que  préparait  Vendôme  à  destination  de  l'Ecosse  (3). 

Mais  nos  marins  n  étaient  plus  d'humeur  à  se  renfermer 
dans  un  rôle  passif.  Ils  marcheraient  en  masse  à  la  ren- 
contre de  l'ennemi  :  tel  était  le  mot  d'ordre  donné  en  Nor- 
mandie et  Bretagne  par  d'Andelot,  frère  et  lieutenant  de 
l'amiral  (4).  Par  Calais,  nous  étions  maîtres  de  l'entrée  de 
la  Manche,  dont  notre  poste  d'Aurigny  gardait  l'autre  issue. 
De  la  conquête  de  l'île  normande,  effectuée  le  21  juin,  le 
gouverneur  de  Dieppe  (5)  et  le  capitaine  Malésart,  fils  d'un 
aubergiste  de  Cherbourg,  avaient  été  les  héros.  Ils  don- 
naient à  nos  corsaires,  tels  que  Jean  Ravalet  de  Side- 
ville   (6),  une  base  d'opérations  navales,  que  l'ingénieur 

(1)  Lettres  de  l'ambassadeur  vénitien  à  Bruxelles.  t5,  20  et  23  janvier 
(^Calendar  of  State papers,  Vcnetian,  t.  VI,  3'  p.,  p.   1426). 

(2)  Mémoire  de  M.  de  Rubbav,  6  février  (Alexandre  Teclet,  Relations 
de  la  France  et  de  l'Espagne  avec  l'Ecosse  au  XVI"  siècle,  t.  I,  p.  298). 

(3)  Rapport  de  l'amiral  Clinton  à  la  suite  de  sa  mission  à  Bruxelles,  Hn 
de  mai  (Kervyx  de  Lettenhove,  t.  I,  p.  205,  226). 

(4)  Lettre  de  l'ambassadeur  de  Venise  Micliiel.  1*'  avril  fCalendar  of 
State  papers,  Venetian,  t.  VI,  p.  1483,  n"  1210). 

(5)  Journal  de  Gouberville,  p.  437. 

(6)  Ibidem,  p.  504. 


GUERRE    CONTRE    LESPxVGNE   ET    L'ANGLETERRE,         ôGl 

Antoine  de  Maioricy,  auteur  des  forlifieations  des  îles 
Ghausey  el  de  la  Houjj,ue,  mit  aussitôt  en  état  de  dé- 
fense (l). 

A  défaut  de  l'amiral  prisonnier,  le  colonel  du  ban 
et  de  l'arrière-ban  de  Normandie  se  fit  chef  d'escadre. 
Depuis  longtemps  familier  avec  la  guerre  de  course  (2), 
Jean  V,  baron  de  Clères,  obtint  commission  royale  pour 
équiper  dix  grands  vaisseaux  et  courir  sus  à  Icnuemi, 
ainsi  qu'un  bon  et  vaillant  homme  de  guerre  (3) .  Le  bruit 
de  ses  armements  à  Dieppe  jeta  si  loin  l'effroi,  que  dans 
la  crainte  d  être  attaqué  par  lui,  le  commandant  du  con- 
voi des  Açores,  Alvaro  de  Bazan,  revint  en  Espagne  qué- 
rir des  renforts  (4)  ;  une  escadre  anglaise  parut  le  13  mai 
devant  Dieppe,  dans  l'espoir  de  le  paralyser.  Yains  ef- 
forts! le  29  mai,  cinq  de  nos  vaisseaux  enlevaient,  entre 
Nieviport  et  Flessingue,  deux  bâtiments  britanniques  ve- 
nant d'Espagne;  outre  trois  cent  mille  francs  de  prises, 
ils  rapportaient,  par  certaines  lettres  trouvées  à  bord  de 
cutters,  des  renseignements  précieux  sur  la  révolte  do 
l'Irlande  (5). 

Une  seconde  croisière  du  baron  de  Clères  fut  plus  fruc- 
tueuse encore.  En  juillet,  il  tombait  sur  une  division  an- 
glaise qu'une  bourrasque  avait  séparée  de  la  flotte  de  Clin- 
ton et  s'en  rendait  maître  après  un  vif  combat.  A  bord  des 
neuf  prises,  cent  cinquante  grosses  pièces  d'artillerie,  dont 


(i)  B.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  20030,  p.  10. 

(2)  Dès  1551,  le  vaisseau  de  guerre  du  baron  se  ravitaillait  à  Boulogne, 
les  17  août  et  10  novembre,  au  cours  de  sa  croisière  fructueuse  contre 
l'ennemi  (Archives  de  Boulogne-sur-Mer,  liasse  706). 

(3)  Commission  en  date  du  20  janvier  1558  fOi-aison  fuiièhre  sur  le  très- 
pas  de  Jacques  de  CU-re  :  B.  N.,  Franc.  20230,  fol.  97). 

(4)  Lettre  du  chevalier  de  Seure.  Juin  1558  (F.\i,gairolle.  Le  rlievalier  de 
Seure  (1896),  p.  21,  34). 

(5)  Lettre  de  l'ambassadeur  de  Venise,  Michiel.  23  juin  (Calendar  of 
Slate  papers,  Veiielian,  t.  VI,  3'  p.,  p.  1508,  n"  1242.  —  Calendar  of 
State  papers,  Forcifjn,  p.  383). 

ni,  36 


562  HISTOIRE    DE    LA    MARIEE    FRANÇAISE. 

moiLic  sur  affût,  appartenant  à  un  parc  de  siège,  ne  lais- 
saient aucun  doute  sur  les  desseins  de  l'ennemi.  Le  roi,  le 
cardinal  de  Lorraine,  auxquels  le  baron  était  venu  faire 
son  rapport,  attachèrent  un  g[rand  prix  à  cette  victoire 
navale,  où  ils  voyaient  Feffondrement  d'un  projet  d'inva- 
sion (1). 

Dans  le  temps  même  que  les  flottes  de  Glinlon  et  Wacken 
effectuaient  leur  jonction,  l'offensive  du  maréchal  de 
Termes,  gouverneur  de  Calais,  non  moins  que  la  croisière 
de  Clères,  jeta  le  désarroi  dans  leur  plan  de  campagne.  Au 
lieu  d'attaquer  nos  ports,  elles  furent  réduites  à  défendre 
les  leurs.  — Dunkerque  cstbloquée  par  les  Français,  écrivait 
Clinton  à  la  reine  d'Angleterre  :  envoyez-moi  des  instruc- 
tions par  la  voie  d'Ostende  (i!) .  La  ville  de  Dunkerque  était 
déjà  enlevée  depuis  le  6  juillet.  Mais  le  maréchal  de  Termes 
eut  le  tort  de  s'attardera  embanjuer  le  butin  ;  il  avait  laissé 
derrière  lui  la  place  forte  de  (Travelines,  dont  la  garnison 
venait  d'être  renforcée  par  sept  cents  hommes  de  l'escadre 
de  Carvajal  (3).  Envoyés  en  reconnaissance  devant  cette 
ville  le  10  juillet,  Sénarpont  et  son  collègue  d'Estouteville 
s'étaient  promptemcnt  rendu  compte  que  leur  chef  allait 
être  pris  entre  deux  feux  et  l'avaient  supplié  de  l)attre  en 
retraite  :  on  avait  dégarni,  pour  marcher,  Calais,  Ardres, 
Boulogne,  Abbeville;  la  frontière  était  ouverte.  Le  maré- 
chal répliqua  qu'il  s'ébranlerait  le  lendemain,  après  avoir 
fait  partir  à  la  marée  de  la  nuit  les  navires  chargés  de 
butin  (4),  entre  autres  les  prises  dunkerquoises  l'Aigle  et 

(1)  Lettre  de  l'ambassadeur  de  Venise,  Michicl.  La  Ferté-Milon,  16  juil- 
let (B.  N.,  Italien  17J9,  fol.  66  :  Calendar  of  State  papers,  Veuetiaii, 
t.  VI,  3«  p.,  p.  1519,  n"  1252). 

(2)  A  bord  du  Lion,  8  juillet  (Kkrvyn  dk  Lkttexhovk,  Rr/titions  poli- 
ti/jnes  fies  Pays-Ihta  et  de  i Anqlelei-re,  t.  I,  p.  229). 

(3)  Lettre  de  Surian.  Bruxelles,  26  juin  (Calendar  of  Slale  papers,  Venc- 
tiau,  t.  VI,  3-^  p.,  p.  15J1,  n"  1245). 

(1')  Lettre  de  d'Estouteville  à  Henri  II.  Juillet  (B.  N.,  Moreau  774, 
fol.  123). 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         563 

le  Chien,  commandées  par  La  Place,  un  de  ses  hommes 
d'armes  (1) . 

Il  était  trop  tard.  Quinze  mille  hommes  du  comte  d'Eg- 
mont  étaient  à  ses  trousses.  Goutteux,  en  litière,  le  vieux 
maréchal  fut  prévenu  par  son  jeune  et  fou,yueux  adver- 
saire, et,  l'Aa  franchie  à  son  embouchure,  près  de  Grave- 
lines,  le  13  juillet,  il  se  vit  barrer  la  route  parEfjmont,  qui 
avait  passé  la  rivière  en  amont.  Sautant  à  cheval  et,  le 
bras  tourné  vers  Calais  :  "  Voilà  votre  pays,  cria-t-il  à  ses 
troupes;  battons  lenncmi  pour  y  arriver.  »  Les  Gascons, 
couverts  à  gauche  par  les  bagaj];es,  à  droite  par  la  mer, 
chargeaient  avec  furie,  quand  le  canon  tonna  soudain  sur 
leur  flanc  droit.  Dix  vaisseaux  de  Carvajal  les  accablaient 
de  boulets,  et  cinq  cents  marins  du  Guipuscoa  venaient 
renforcer  le  centre  espagnol.  La  bataille  était  dès  lors 
perdue.  Quinze  cents  des  nôtres  tombèrent,  le  double  de- 
meura prisonnier,  le  maréchal  entre  autres.  Comme  tro- 
phées de  la  victoire  de  (-Jravelines,  les  marins  emmenèrent 
deux  cents  de  nos  soldats  (^) . 

La  concentration  des  flottes  anglaise  et  hollandaise  avait 
chassé  nos  croiseurs  vers  l'ouest.  Bernardo  de  Fresneda, 
archevêque  de  Tolède,  et  le  régent  Fijjueroa  faillirent 
l'expérimenter  à  leurs  dépens.  Passant  de  Zélande  en  Es- 
pagne, ils  avaient  relâché  à  Falmouth  et  ils  reprenaient 
leur  route  le  21  juillet,  quand,  à  quelques  lieues  du  port, 
quatre  vaisseaux  français  aux  aguets  leur  tombèrent  dessus. 
C'est  avec  la  plus  grande  peine  que  les  Espagnols  échap- 
pèrent à  l'abordage  et  regagnèrent  le  port.  Mais  notre 
petite  division,  en  courant  des  bordées  du  cap  Lizard  à 
Dungeness,  les  perdait  si  peu  de  vue,  que  les  Grands  d'Es- 

(t)  Auquel  Henri  II  confirme  l'autorisation  d'armer  en  guerre  les  deux 
vaisseaux.  9  août  (B.  N.,  Franc.  4588,  fol.  18). 

(2)  Dk  Thou,  Histoire  universelle,  t.  III,  p.  240.  —  Campana,  vita  del 
Filippo  II.  —  Coleccion  de  documentos  historicos  del  archiva  municipal 
de  la  ciiiddad  de  San  Sébastian.  San  Sébastian,  1895,  p.  23. 


564  HISTOIRE   DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

pa^jnc  demandèrent  à  Tamiral  d'Angleterre  une  escorte  (1). 
L'amiral  avait  de  tout  autres  soucis. 


IV 

ATTENTAT    CONTRE    BREST 

D'avoir  perdu  Calais,  la  reine  Marie  Tudor  mourait  de 
désolation  :  une  nouvelle  l'eût  sauvée,  la  prise  de  Brest. 
L'amii^al  Clinton  avait  l'ordre  de  s'en  emparer,  à  peine 
d'être  pendu.  Aux  cent  vingt  bâtiments  anglais,  Adolphe 
de  Bourgogne,  sieur  de  Wacken,  avait  joint  ses  trente  vais- 
seaux, dont  lallure  martiale  n'avait  rien  de  cet  aspect  de 
Coquilles  de  noix  qui  faisait  jadis  la  joie  de  leurs  compa- 
gnons de  route. 

L'amiral  de  Wacken,  le  vice-amiral  (rérard  Van  Mecke- 
ren,  qui  battaient  pavillon  au  grand  mat  de  la  Compagne  Qi 
au  mat  de  misaine  de  l'Eléphant,  et  le  capitaine  Cornélius 
de  Coninck,  signalé  par  un  simple  guidon,  avaient  trois 
divisions  homogènes  parfaitement  organisées,  les  bâtiments 
amatelotés  en  prévision  d'une  bataille,  des  tonnes  d'eau 
parées  en  proue,  au  grand  mât  et  en  poupe  en  cas  d'incen- 
die, des  signaux  arrêtés  en  cas  de  brume  (2).  Et  ce  fut  l'es- 
cadre flamande,  en  définitive,  qui  subit  tout  le  faix  de  la 
campagne. 

La  flotte  des  alliés,  relâchant  à  Saint-Pierre-Port  en 
(niernesev,    détacha    deux   escadrilles    contre   Aurigny   et 

(1)  Lettres  de  Figueroa  et  de  l'arclievêquc.  Falmoulh,  26  juillet  (Calen- 
tlar  of  State  papcrs,  Fotaiçjii,  p.  389,  390).  —  A  la  tin  de  septembre,  Pon- 
sard  de  Fors  mena  une  division  dieppoise  au  secours  de  l'Ecosse.  Lettre  de 
Robert  de  La  Marck.  Abbeville,  10  octobre  (B.  N.,  Franc.  20646,  fol.  127). 

(2)  Ordre  de  marche  adopté  le  2  juillet  par  l'amiral  de  Wacken  (L.  dk 
Baecker,  Étude  bioqraphique  sur  Gérard  Van  Meckercn,  vice-amiral  de 
Flandre,  dans  les  Annales  de  la  Société  d'émulation  de  la  Flandre,  t.  VI 
(2^  série),  p.  365). 


GUERRE    CONTRE   L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         565 

Sercq.  Aurigny  fut  vite  reprise  par  le  gouverneur  de  l'ar- 
chipel, Léonard  Chamberlain  :  malgré  une  prompte  re- 
traite, les  corsaires  normands  perdirent  plusieurs  bateaux 
et  une  centaine  de  prisonniers,  dont  le  capitaine  Malésart. 
Le  capitaine  Malherbe  s'était  fait  tuer  en  tenant  tête  à 
renncmi  (1).  Contre  Sercq  avait  été  envoyé  un  vaisseau 
hollandais  avec  des  guides  et  un  pilote.  Notre  garnison, 
réduite  à  trente  hommes,  fut  surprise  dans  son  sommeil; 
de  nuit,  les  assaillants  avaient  traversé  la  Coupée  et  péné- 
tré dans  le  fort  de  l'Eperquerie.  Tactique  bien  simple,  à 
laquelle  Walter  Raleigh  a  prêté  une  allure  dramatique  en 
racontant  que  les  marins  hollandais  avaient  demandé  à 
enterrer  un  mort  en  terre  sainte.  Le  cercueil  contenait  des 
armes.  On  devine  le  reste  (2). 

Le  ;29  juillet,  à  neuf  heures  du  matin,  apparaissait  tout 
à  coup  devant  Le  Conquet,  sans  qu'elle  eût  été  signalée 
par  les  vigies,  la  Hotte  anglo- flamande.  Une  centaine 
d'hommes  tentèrent  de  disputer  la  descente,  mais  en  vain. 
Les  ennemis  débarquaient  par  milliers  sur  les  chcvau-légers 
de  leur  flotte,  qui  balayait  la  côte  de  son  feu.  Tous  les 
navires  en  rade,  au  nombre  de  trente-sept,  trois  cents 
bouches  à  feu  furent  capturés,  la  ville  pillée  et  brûlée  : 
il  ne  resta  debout  que  8  maisons  sur  450  et,  à  Lochrist- 
Plougonvelin,  12  sur  un  total  identique;  à  Plougonvelin, 
220  fuirent  la  proie  des  flammes.  A  Tabbaye  de  Saint-Ma- 
thieu, chaires  du  chœur,  livres,  ornements,  sacristie,  dor- 
toir furent  détruits,  deux  buffets  d'orgue  enlevés  (3). 

Tandis  que  les  ennemis  s'attardaient  à  piller,  les  Bre- 
tons, nobles,  bourgeois,  paysans,  aux  lueurs  des  incendies, 

(1)  Lettre  de  lambassadeur  de  Venise,  Michiel.  25  juillet  {Calcndar  cf 
State  papeis,    Vcnetian,  t.  VI,  o"  partie,  p.  1522,  n"  1255). 

(2)  Sir  Walter  R.hleigh,  History  of  the  World,  I.  IV,  chap.  u.  — Dlpokt, 
Histoire  du  Cotciilin  et  de  ses  iles,  t.  III,  p.  338. 

-    (3)  Une  enquête    fut  faite    sur    les    ravages  de    i'enneuii    (Dom   Morice, 
Mémoires  pour  L'histoire  de  Bretagne,  t.  III,  col.  1226L 


566  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

accouraient  et  se  rangeaient  en  foule  sous  les  ordres  du 
capitaine  de  l'arrière-ban,  Guillaume  Du  Chastel,  sieur  de 
Kersimon.  En  une  demi-journée,  il  rallia  9,000  hommes; 
alors,  Guillaume  Du  Chastel,  à  Tinstar  de  ses  ancêtres, 
tombe  rudement  sur  les  envahisseurs,  les  pousse  l'cpée 
dans  les  reins  vers  la  mer,  leur  tue  500  hommes  et  oblige 
les  Anglais  à  se  rembarquer  en  hâte,  non  sans  boire  "  plus 
que  leur  saoul  d'eau  sallée  "  (1) .  Le  vice-amiral  Gérard  Van 
Meckeren,  avec  quatre  compagnies  flamandes,  essaie  de 
couvrir  la  retraite  en  se  battant  en  désespéré.  Il  n  y  par- 
vient qu'au  prix  de  nouvelles  pertes  :  340  prisonniers,  dont 
le  capitaine  de  vaisseau  de  Bosschuysen,  restent  aux  mains 
des  paysans  bretons,  qui  les  dirigent  sur  Saint-Renan  (2). 
Quatre  hourqucs  anglaises  ont  été  coulées  dans  la  baie  (3). 
Bref,  la  victoire  était  éclatante.  Cette  brillante  rescousse 
sauvait  Brest.  On  apprit,  en  effet,  par  l'un  des  prisonniers, 
que  l'amiral  Clinton  avait  mission  de  s'emparer  de  Brest, 
sous  peine  d'être  pendu  (4) . 

La  flotte  ennemie  se  retira  du  coté  de  Roscoff,  sans  doule 
en  vue  de  quelque  coup  de  main  sur  Morlaix  ou  Saint-Pol- 
de-Léon.  Mais  les  communes  de  Cornouailles  et  de  Léon, 
levées  en  masse,  bordaient  la  côte,  et  toute  velléité  de  des- 
cente eût  été  accueillie  par  une  armée  de  vingt  mille 
hommes  aux  ordres  du  duc  d'Etampcs.  Tenace  comme  un 
Anglais,  1  amiral  Clinton  avait  de  plus  de  bonnes  raisons 
pour  s'obstiner  à  prendre  Brest.  Le  25  août,  sa  flotte  était 
de  nouveau  signalée  parle  travers  de  l'Aber-Vrac'h;  peu 
après,  elle  jctaitdes  troupes  sur  la  plage  des  Blancsablons. 
Faute  d'artillerie  de  marine,  le  vaillant  (Tuillaume  Du 
Chastel  ne  savait  comment  armer  les  galères  et  les  navires 

(1)  François    de    Rabutix,     Commentaires,   dans    la  Nouvelle    collection 
Michaud  et  Poujoulat,  t.  VII,  p.  601.  —  De  Tuou,  t.  III,  p.  242. 

(2)  Rapport  du  duc  d'Étampes  (B.  N.,  Franc.  22310,  fol.  350). 

(3)  De  ViLi-ARs,  dans  la  Nouvelle  collection  Michaud  et  Poujoulat,  p.  296. 

(4)  Frani^ois  de  Rabuto  cité. 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE   ET    L'ANGLETERRE.         567 

du  port  de  Brest  pour  barrer  la  route  aux  deux  cents  voiles 
ennemies  (1) . 

La  situation  était  critique  :  par  le  sort  de  Saint-Jean-de- 
Luz,  que  le  vice-roi  de  Navarre  Bertran  de  La  Gueva,  duc 
d'Albuquerque,  venait  de  surprendre  le  31  juillet  et  de 
brûler  avec  tous  les  navires  en  rade  (2),  on  pouvait  prévoir 
quelle  serait  la  destinée  de  Brest.  Du  Gbastel,  heureuse- 
ment, veillait  :  il  avait  inspiré  aux  assaillants  une  crainte 
SI  salutaire  qu'ils  n'osèrent  se  mesurer  une  seconde  fois 
avec  lui.  Mais  ils  infestèrent  la  mer  de  leurs  croiseurs  et 
brûlèrent  le  port  du  Blavet  (3)  :  du  continent,  l'on  n'osait 
passer  à  Belle-Isle  :  arrivé  à  Quiberon,  le  porteur  de  la 
solde  de  la  garnison  faisait  trois  signaux  lumineux  pour 
aviser  le  capitaine  de  Sourdeval  de  l'envover  hâtivement 
quérir  (4) . 

Dans  les  îles  anglo-normandes,  nous  avions  au  contraire 
repris  pied  :  le  capitaine  d'une  compagnie  de  quatre  cents 
hommes,  Léon  de  La  Haie,  avait  réoccupé  Aungny  comme 
lieutenant  du  roi  (5).  De  (jucrnesev,  le  capitaine  ^falésart 
offrait  à  Goligny  de  s  emparer,  grâce  aux  intelligences  qu'il 
y  avait  nouées  durant  sa  captivité;  et  le  sieur  de  Glatigny  se 
cbargeait  de  faire  de  Jersey  une  colonie  française  (G).  Plût 
à  Dieu  que  le  gain  net  de  celle  guerre  eût  été  le  rétablisse- 
ment de  notre  domination  dans  l'archipel  !  Mais,  avant  qu'il 
eût  été  donné  suite  à  ces  projets,  les  hostililcs  prirent  fin. 

(i)  Lettre  de  Guillaume  Du  Cluistel  au  gouverneur  de  Bretajjne.  25  août 
(B.  N.,  Franc;.  205i0,  fol.  76,  79). 

(2)  DrcÉRÉ,  Histoire  niaritime  de   Bayonnc .  Les  Cotsaiies  sons  /'(iiicicii 
réqime,  p.  '2.'^. 

(3)  Septembre    {^Me'morial    de    Jehan    de    Ge^'Kes,    continué    par    Rend 
Le  Coco,  sieur  des  Croix). 

(4)  Lettre  du  greffier  ^lallet.  Vannes,  3i  août  (Dom  Morice,  Mémoires... 
de  Bretagne,  t.  III,  col.  1228). 

(5)  Quittance,   couinie  tel,   du   7   décembre   1558   (Archives  nat.,    K  92, 
n"  15). 

(6)  1560    (Calendar  of  State   papers,   Elisabeth,  t.    I,   n"  716  :  DuP0^T, 
Histoire  du  Cotcntin,  t.  III,  p.  363). 


r,r,8  HISTOIRE    DE   LA    MARINE   FRANÇAISE. 

Accablée  de  toutes  parts,  trahie  par  la  désertion  de  la 
flotte  turque,  la  France  ne  pouvait  lutter  davantage.  Le 
12  octobre  1558  s'ouvrirent,  entre  la  France.  l'Espagne, 
l'Angleterre,  la  Navarre  et  la  Savoie,  des  négociations  de 
paix  (|ui  durèrent  tout  l'hiver.  Deux  de  nos  plénipoten- 
tiaires, le  connétable  de  Montmorency  et  le  maréchal  de 
Saint-André,  encore  prisonniers  de  l'ennemi,  manquaient 
de  leur  libre  arbitre.  Peut-être  est-ce  là  une  des  causes 
occasionnelles  du  honteux  traité  qui  fut  signé  les  2  et 
3  avril  1559  à  Cateau-Canibrésis,  etque  les  contemporains, 
Monluc,  d'Aubigné,  déplorèrent  unanimement.  "  Glorieuse 
aux  Espagnolz,  désavantagevise  aux  François,  redoutable 
aux  réformés  "  (1).  elle  rendait  «  par  un  trait  de  plume 
toutes  nos  conquestes  de  trente  ans  "  ["2).  Si,  dans  le  nord, 
nous  conservions  pour  huit  ans  un  droit  de  garde  sur 
Calais,  nous  rendions  au  duc  de  Savoie  toute  la  frontière 
du  sud-est,  annexée  en  1536,  depuis  la  Bresse  jusqu'au 
Piémont.  Nous  rendions  le  Montferrat  au  duc  de  Mantoue, 
Montalcino  et  le  Siennois  au  duc  de  Toscane,  et  à  Gènes 
l'île  de  Corse  (3). 

Tandis  qu'une  partie  de  notre  flotte  était  occupée  à  éva- 
cuer nos  garnisons  de  Toscane  et  de  Corse,  à  effectuer  la 
remise  aux  (îénois  de  Saint-Florent,  de  Bastia,  de  Calvi, 
d  Ajaccio  (4j,  comme  si  ce  n'était  point  assez  de  perdre 
pied  en  Italie,  nous  mettions  une  coquetterie  ridicule  à 
envoyer  saluer  chez  eux  nos  ennemis  de  la  veille.  Si  un 
prince  de  Lorraine  entra  dans  Naples,  ce  fut  pour  jeter  de 

(1)  D'AuiiiGXÉ,  Histoire  universelle,  éd.  de  l\uble.  Paris,  1886,  in-S", 
t.  I,  p.  50. 

(2)  Pasquier,  Les  Recherches  de  la  France,  dans  ses  OEuvres.  Trévoux, 
1723,  in-fol.,  t.  I,  p.  76. 

(3;  Sur  l'historique  du  traité  de  Cateau-Cambresis,  voyez  Francis  Décrue^ 
Anne,  duc  de  Montmorency,  p.  213. 

(4)  Lettre  de  Carcès.  De  Corse,  5  septembre  1559  (B.  N.,  Franc.  J5871, 
fol.  286)  :  lettre  du  chevalier  de  Seure.  Marseille,  8  août  1559  (B.  N., 
Franc.  15872,  fol.  141). 


GUERRE    CONTRE    L'ESPAGNE    ET    L'ANGLETERRE.         569 

l'eau  bénite  sur  les  tombeaux  de  la  maison  d'Anjou,  dont 
la  maison  de  Lon-aine  revendiquait  l'iiéritage.  Cette  sorte 
de  service  funèbre,  cet  ensevelissement  de  nos  prétentions 
sur  le  royaume  des  Deux-Siciles,  n'eut  rien  de  triste. 

Le  grand  prieur  François  de  Lorraine,  qui  venait  de 
mener  à  Rome  son  frère,  le  cardinal  de  Lorraine,  pour 
lélection  d'un  nouveau  pape  (l),  salua  Naples  de  tous  les 
canons  de  ses  seize  galères  et  accosta  le  môle  sous  grand 
pavois,  les  forçats  de  la  Réale  vêtus  de  velours  cramoisi  et 
les  soldats  de  sa  garde  couverts  de  mantilles  aux  passemen- 
teries d'argent.  L'artillerie  des  châteaux  et  des  forts  ton- 
nait de  toutes  parts  :  et  ce  fut  dans  un  cortège  triomphal, 
sur  des  coursiers  caparaçonnés  d  or  et  d'argent,  que  le 
général  des  galères  de  France  et  ses  deux  cents  gentils- 
hommes se  rendirent  au  palais  du  vice-roi  duc  d'Alcala. 
Les  grands  seigneurs  napolitains  se  disputaient  l'honneur 
d'héberger  leurs  visiteurs;  et  depuis  six  semaines,  la  vie 
s'écoulait  dans  les  délices  de  Gapoue,  quand  un  courrier 
royal  apporta  au  général  des  galères  l'ordre  de  passer  dans 
le  Ponant.  La  guerre  avait  éclaté  en  Ecosse  (2). 

(i)  Paul  IV  était  mort  le  18   août  1559. 

(2)  Bramomk,  l.  IX,  p.  365.  Brantôme  ajoute  que  les  galères  ne  se  ren- 
dirent en  Ponant  que  huit  mois  après. 


((   LES    ISLES    DU   PEROU   » 


Le  roman,  la  légende,  riiistoireont  rendu  populaires  les 
Uibusticrs  du  temps  de  Louis  XIV,  Montbars  rexLermina- 
leur,  rOlonnais  et  autres  compagnons  des  rudes  boucaniers 
de  l'île  de  la  Tortue.  Des  inirépides  aventuriers  qui  avaient, 
au  siècle  précédent,  tenté  de  déloger  des  Antilles  les  con- 
quistadors  espagnols,  personne  ne  sait  le  nom.  Et  pourtant, 
ils  méritaient  bien  de  passer  à  l'histoire,  ces  Normands 
avises  qui  cherchaient,  comme  jadis  les  vikings  leurs 
ancêtres,  les  sites  les  plus  riants  du  Nouveau-Monde  ;  ou 
ces  cadets  de  Gascogne  insouciants,  qui  partaient  à  l'aven- 
ture sans  argent,  sans  vivres,  confiant  dans  la  bonne  foi 
d  un  pilote  étranger  pour  se  guider  et  dans  leur  étoile  pour 
se  ravitailler  en  roule,  toujours  prêts,  quand  la  lâcheté 
gouvernementale  laissait  insulter  nos  couleurs,  à  Acnger 
1  honneur  du  drapeau  outragé. 


I 

UN'    CADET    DE    GASCOGNE 

Un  de  ces  cadets,  avant  de  devenir  «  capitaine  marin  » , 
avait  fait  son   apprentissage  sous  les  ordres    du    corsaire 


«   LES    ISLES    DU    PÉROU.   "  571 

Hallebarde,  un  nom  qui  était  une  vraie  enseigne.  Menjouyn 
de  La  Cabanne,  c'était  son  nom,  se  reposait  à  Gapbreton 
d  une  captivité  de  dix-huit  mois  sur  les  galères  d'Espagne, 
quand  des  bruits  de  guerre,  en  1549,  vinrent  réveiller  son 
ardeur  guerrière.  On  se  battait  autour  de  Boulogne  contre 
les  Anglais.  Equiper  de  ses  deniers  un  navire  de  guerre  fut 
vite  fait;  et  Menjouyn  s'acheminait  avec  quatre-vingts 
marins  vers  le  théâtre  de  la  guerre,  quand  il  apprit,  à  Bor- 
deaux fl),  la  signature  de  la  paix.  La  paix,  c'était  pour  lui 
la  ruine  :  toute  sa  fortune  avait  passé  dans  l'armement.  11 
n'était  qu'un  moyen  de  la  refaire  :  aller  aux  <i  isles  du 
Peyrou  »,  ainsi  nommait-on  communément  les  Antilles. 
Mais  comment  s  y  rendre? 

Il  n'avait  point  de  vivres,  point  de  fret,  plus  d'argent. 
Qu'importe!  Menjouyn  a  remède  à  tout.  A  un  navire  breton 
qui  passe,  il  emprunte  des  barriques  de  vin  :  voici  une 
cédule,  dit-il,  nous  vous  paierons  au  retour.  Un  autre  bâti- 
ment fournit  le  maigre,  des  merlues;  un  troisième  navire, 
aux  Canaries,  donna  le  gras,  trois  cents  lapins  salés  : 
comme  celui-ci  était  sous  pavillon  espagnol,  Menjouyn  se 
dispensa  de  bailler  quittance,  mais  les  lapins  sont  de  si 
peu  de  valeur  aux  Canaries!  on  en  tue  en  un  jour  des  cen- 
taines à  coups  de  bâton.  D'autres  vaisseaux  espagnols  don- 
nèrent, qui  du  millel.  qui  du  fromage,  le  dernier  quatre- 
vingts  pots  d'huile.  "  Sans  mesfaire,  ni  mesdire  "  .  nos 
corsaires  avaient  une  façon  si  éloquente  de  faire  com- 
prendre leur  détresse,  qu'on  les  entendait  à  demi-mot. 

Ainsi  allant,  on  gagna  les  ilcs  du  Pérou. 

Mais  là,  la  réception  des  Espagnols  manqua  totalement 
de  cordialité.  Dix  navires  saluèrent  le  notre  par  des  volées 
de  balles  et  de  boulets  :  Menjouyn,  tout  en  fuyant,  mit  le 

(i)  Il  y  achetait,  le  6  février  1550  (n.  st.),  un  harnais  d'homme  et  une 
pièce  d'artillerie  (Minutes  de  Douzeau,  notaire  bordelais;  cf.  Francisque 
Michel,  Histoire  du  commerce  de  Bordeaux,  t.  I,  p.  W6.  note  1). 


672  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

prappln  sur  une  caravelle  qu'il  emmena  à  la  Dominique. 
Excellente  aubaine  pour  l'église  de  Gapbreton,  se  diL-il; 
certaine  robe  de  satin  cramoisi  trouvée  à  bord  fera  une 
belle  chappe  pour  les  jours  de  fête. 

Un  homme  si  pieux  pouvait-il  songer  à  mal?  Il  s'appro- 
chait tranquillement  de  neuf  navires  espagnols  ancrés  près 
de  Saint-Domingue  sans  intention  de  leur  nuire,  quand,  de 
la  Hotte  et  de  la  ville,  on  lui  tira  dessus.  C'en  était  trop.  Le 
pauvre  homme  ne  songeait  qu'à  se  rafraîchir  à  terre  :  on 
l'attaquait;  il  "  rua  »  :  et  il  rua  si  bien  que  la  flotte,  après 
un  jour  de  combat,  dut  capituler  et  payer  comme  rançon 
des  deniers  d'abord,  puis  deux  cents  caisses  de  sucre,  du 
vin  et  des  cuirs  de  bœufs.  C'était  du  fret  à  bon  compte,  que 
l'on  compléta,  dans  une  autre  île,  de  semblable  façon,  du 
reste  le  plus  galamment  du  monde,  «  sans  meffaire  »  à 
l'équipage  rançonné.  Et  le  plus  curieux  fut  qu'en  effet 
aucune  plainte  ne  fut  déposée  contre  l'heureux  corsaire. 

Mais  comme  bien  mal  acquis  ne  profite  guèi'e,  Menjouyn 
ne  fit  pas  fortune.  Le  tiers  des  prises  distribué  à  l'équipage, 
il  lui  restait  un  peu  plus  de  deux  mille  écus  sur  lesquels  le 
lieutenant  d'amirauté  à  Bayonnc  mit  l'embargo.  Mais  le 
Gascon  expliqua  si  bien  l'affaire  que  le  roi  lui  lit  grâce  (l). 

Car  le  roi  avait  à  pardonner  :  la  guerre  n'était  pas 
ouverte  contre  l'Espagne.  Mais  cela  ne  tarda  point,  et  alors 
quel  émoi!  Au  mot  magique  de  Pérou,  qui  désignait  l'Amé- 
rique centrale  et  ses  abords  (2),  la  fièvre  de  lor  s  empaiait 
des  plus  calmes.  Au  corsaire  assez  hardi  pour  entreprendre 
le  voyage,  les  armateurs  prêtaient  leurs  vaisseaux,  les 
négociants  ouvraient  leur  escarcelle  à  50  pour  100  d'inté- 

(1)  Lettres  de  rémission  de  Henri  II.  Septembre  1552  ( Archives  nat., 
JJ261^  n"  386,  fol.  304). 

(2)  «  Costoyàmes  la  terre  du  Pérou  et  les  isles  estans  sur  ceste  coste  de 
mer  océane  appelées  isles  du  Pérou  jusques  à  la  hauteur  de  l'isle  espa- 
gnole »  (Hispaniola)  (André  Thevet,  Les  Sinqularitéz  de  la  France  antarc- 
ticjue,  Paris,  1558,  in-4",  p.  130,  137,  143). 


«   LES    ISLES    DU    PEROU,   "  573 

rêt  (1)  ;  et  à  bord,  affluaient  des  serviteurs  qui  avaient  fur- 
tivement quitté  leurs  maîtres,  ou  des  pères  de  famille  qui 
avaient,  de  nuit,  déserté  le  toit  conjugal...  Lisez,  pour 
vous  édifier,  le  journal  d'un  gentilhomme  campagnard  du 
temps,  le  sire  de  Gouberville  (2). 

De  tous  nos  ports,  des  vols  de  corsaires  s'abattirent  sur 
les  eaux  espagnoles.  Tel,  le  Bordelais  La  Salle,  construc- 
teur et  capitaine  du  galion  royal  la  Diane,  amenait  à  Mar- 
seille un  vaisseau  enlevé  à  son  retour  des  Indes  (3j .  Tels, 
les  matelots  de  la  roberge  de  Saint-Malo,  des  braves  qui 
ne  craignaient  pas  de  donner  la  chasse  à  cinq  vaisseaux 
réunis  (4),  engageaient  une  lutte  terrible  contre  le  corsaire 
basque  Martin  de  Mendaro,  au  cours  d'une  expédition  en 
Amérique.  La  hache  d'abordage  au  poing,  les  Bretons 
abattirent  le  capitaine,  son  fils  et  une  trentaine  d'hommes; 
ayant  eux-mêmes  soixante  et  un  tués  et  blessés,  ils  durent 
lâcher  prise  :  leur  proie  s'enfuit  toute  désemparée,  mais 
avec  le  pavillon  malouin,  qu'on  exhiba  comme  un  trophée 
à  Saint-Sébastien  (5).  Gomme  bravoure,  les  Normands  ne 
le  cédaient  point  aux  Bretons,  aux  Bordelais  et  aux  Basques. 

(i)  Cf.  de  nombreux  contrats  (rariiicincnt  pour  "  les  Indes  et  islcs  du 
Pérou  »  ,  à  partir  de  1574  (Charles  et  Paul  Biikard,  Documents  relatifs  a  la 
marine  normande  et  a  ses  armements  aux  XVI'  et  XVIP  siècles  pour  le 
Canada,  l' Afrique,  les  Antilles,  le  Brésil  et  les  Indes,  lloucn,  1889,  in-8", 
p.  148). 

(2)  Le  journal  du  sire  de  Gouberville,  éd.  de  Beaurepaire,  p.  433. 

(3)  Février  1552  (B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  356  v».  —  Franc.  20008, 
p.  12). 

(4)  Tdevet,  Cosmnçjraphie  (1575),  p.  598  v",  665. 

(5)  «  Informacion  hecha  en  la  villa  de  San  Sébastian,  para  acreditar  las 
acciones  marineras  de  los  capitanes  armadores  de  Guipuzcoa.  »  15  octobre 
1555  (F.  Duno,  Arca  de  Noé,  libro  sexto  de  las  disquisiciones  nauticas. 
Madrid,  1881,  in-8",  p.  355.  — Ducérk,  Histoire  maritime  de  Bayonne.  Les 
corsaires  sous  l'ancien  régime,  p.  341). 


574  HISTOIRK    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

[I 

JAMBE    DE    BOIS 

il  Les  deux  premiers  vaillans  et  hardis  capitaines  nor- 
mans  que  l'on  scent  trouver  et  qui  ont  fait  les  plus  beaux, 
valeureux  exploits  et  prinses,  le  tems  des  guerres  avenues 
en  Ire  les  François  et  Espaignols  "  ,  furent  Glamorgan  de 
Saane  et  François  Le  Clerc,  dit  Jambe  de  Bois  (1);  l'un 
était  un  savant,  l'autre  un  héros.  Glamorgan  rendit  aux 
capitaines  de  vaisseau,  ses  collègues,  un  immense  service 
en  mettant  au  point  un  atlas  de  cartes  hydrographiques  (2). 
Le  Clerc  leur  donna  l'exemple  d'une  «  hardiesse  et  vail- 
lance »  sans  égale,  dont  je  ne  veux  d'autre  preuve  que  ses 
lettres  d'anoblissement,  en  septembre  L55L  On  y  verra  en 
même  temps  l'origine  de  son  glorieux  sobriquet  :  "  Tou- 
jours des  premiers  —  à  l'abordage,  écrit  Henri  II,  —  il  a 
esté  grandement  mutilé  do  ses  membres,  y  ayant  perdu 
une  jambe  et  un  de  ses  bras  fortement  endommagé,  ne 
laissant  toutefois  pour  cela  son  dict  service  (3).  "  Nous  ne 
savons  à  quel  combat  naval  font  allusion  les  lettres  du  roi, 
peut-être  à  l'affaire  de  Guornesey,  où  Le  Clerc  servait  sous 
les  ordres  du  général  des  galères  (4). 

Mais  les  documents  espagnols  se  chargeront  désormais 
de  nous  apprendre  quelle  indicible  épouvante  jetait  parmi 

(i)  TiiEVKT,  le  Grand  Insulaire,  B.  N.,  Franc.  15452,  fol.  272. 

(2)  «  Cosmographie  ou  cartes  géographiques  et  hydrographiques,  faites  par 
Jean  de  CLAMoncAN,  sieur  de  Saane,  capitaine  d'un  des  gallions  du  roy  dans 
la  mer  de  Ponant,  et  présentées  au  roy  François  I'"'  avec  les  figures  des  ins- 
truments »    (B.  N.,  ancien  fonds  français  6815,  en  déficit). 

(3)  Bibl.  de  Grenoble,  nis.  1397,  fol.  299  v°.  —  Mémoires  de  Pierre 
Mancjon,  vicomte  de  Valoqnes,  publiés  par  M.  L.  Delisle  :  extrait  de  l'An- 
nuaire de  la  Manche  (1891),  p.   17. 

(4)  En  1549  (B.  N.,  Franc.  3118,  fol.  11,  15,  26  :  cf.  plus  haut,  p.  440.) 


"   LES    ISLES    DU    PEROU.    »  575 

les  ennemis  Tapparilion  de  Pié  de  Palo  (Jambe  de  Bois),  et 
les  textes  français  quelle  déférence  avaient  pour  l'infirme 
les  plus  hauts  personna^jcs.  A  sa  table  hospitalière  de 
Réville,  près  de  Saint- Vaast-la-Houguc,  l'amiral  de  France 
ne  dédaignait  pas  de  s'asseoir  avec  le  lieutenant  général 
Martin  Du  Bellay  ou  le  héros  du  combat  naval  de  Barfleur, 
Le  Tourp  (I ) . 

Le  premier  coup  porté  à  nos  adversaires  fut  le  sac  de 
Porto  Santo,  île  portugaise  à  la  vérité,  mais  dont  la  neu- 
tralité avait  été  violée  par  les  insulaires  eux-mêmes  :  ils 
prêtaient  aux  Espagnols  un  concours  armé.  Le  7  juillet 
1552,  avant  l'aube,  cent  cinquante  de  nos  arquebusiers 
débarquaient  sur  l'îlot  et  couchaient  en  joue  tout  habitant 
qui  mettait  le  nez  à  la  fenêtre.  Les  notables,  mains  liées 
et  la  corde  au  covi,  furent  traînés  sur  la  place  publicjue, 
tandis  qu'on  pillait  leurs  maisons  {"1). 

En  L55;i,  Jambe  de  Bois  emmena  aux  îles  du  Pérou 
toute  une  division  royale,  le  Claude  qu'il  commandait  (3), 
l'Espérance  et  l' Aduentureux  des  capitaines  Jacques  de 
Sores  et  Robert  Blondel  (4),  sans  compter  les  corsaires. 
Contre  sa  Hotte,  les  escadrilles  de  couverture,  dont  les 
Espagnols  jalonnaient  la  route  de  leurs  galions,  demeu- 
rèrent impuissantes.  Cinq  de  nos  l)àtiments  barrèrent  la 
roule  à  Alonso  de  Maldonado  par  le  travers  de  la  (îrande 
Canarie  et  ne  lui  laissèrent  d'autre  ressource  que  de  fuir, 
en  abandonnant  deux  vaisseaux  (5).  Aux  Antilles,  Jambe 
de  Bois  ne  rencontra  pas  la  moindre  résistance.  Qui  eût 
osé   tenir  tête  à    six   gros    vaisseaux    et   quatre   patachcs. 


(i)  Journal  du  sire  fie  Goitherville,  p.  63,  i70. 

(2)  Vicomte  de  Sam'arem,   Quadro  elenianlar. 

(3)  Jambe  de  Bois  était  en  même  temps  armateur.  Le  3  septembre  1550, 
il  vendait  la  Marie,  de  retour  du  Brésil,  à  un  pilote  de  Honfleur  (Cher- 
bourg, registre  du  tabellion  Guiffart  (1550). 

(4)  B.  N.,  Franc.  18153,  fol.  408  v». 

(5)  F.  DcRO,  t.  i,  p.  444. 


576  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

mon  Lés  de  huit  cents  hommes!  Après  escale  à  San-German 
(h>  l*orto-Rico  et  aux  îhjts  de  Mona  et  vSaona,  renommes 
pour  leurs  aiguades,  leurs  pêcheries  et  leurs  "  beaux  et 
plantureux  jardinages  (1)  ",  il  fouilla  méthodiquement  les 
ports  de  Saint-Domingue,  en  contournant  l'île  par  le  sud. 
Au  port  d'Azua,  à  l'ouest  de  la  capitale  de  l'île,  à  la  Ya- 
guana,  notre  moderne  Port-au-Prince,  et,  le  29  avril,  à 
Monte-Ghristi,  dans  la  partie  du  nord-ouest,  il  enleva  des 
cargaisons  de  cuirs  et  de  salsepareille,  sans  parler  des  armes 
et  des  munitions  (2). 

Le  21  juillet.  Jambe  de  Bois,  de  retour  aux  Canaries, 
envoyait  une  corvée  à  l'aiguade  dans  lîle  de  Palma.  Elle 
fut  accueillie  par  une  vive  fusillade.  C'en  fut  assez  pour 
que  sept  cents  hommes  missent  aussitôt  pied  à  terre  et, 
onze  jours  durant,  se  livrassent  à  un  pillage  effréné  (3). 
Entre  autres  prises.  Jambe  de  Bois  ramenait  en  France 
une  magnifique  carraque  génoise,  le  Francon,  dont  l'arlil- 
leric  garnit  les  remparts  de  Brest  (4).  Avant  qu'il  fût  de 
retour,  une  nouvelle  escadrille  avait  repris  la  route  des 
îles  du  Pérou. 

Ainsi  que  des  oîseavix  de  proie  en  quête,  les  corsaires 
s  associaient  deux  à  deux  pour  chasser  de  conserve  :  l'un 
servait  de  rabatteur  ou  de  sentinelle  pendant  que  l'autre 
amarinait  la  prise.  Et  1  on  partageait  au  prorata  des  équi- 
pages toute  capture  faite  par  l'un  à  la  vue  de  sa  conserve, 
pourvu  que  les  deux  associés   ne   se   fussent  pas  séparés 

(1)  Cf.  la  description  de  l'île  de  Mona  dans  Tiikvkt,  Le  Grand  Insiiluiic, 
B.  N.,  Franc.   15452,  fol.  172  v". 

(2)  Rapports  datés  de  Saint-Domingue,  11  et  14  mai  1553  (F.  Duno, 
t.  I,  p.  444). 

(3)  L'escadre  de  Jambe  de  Bois  était  alois  de  six  galions  et  huit  cara- 
velles ou  pataches  (Rapport  espagnol  daté  de  Palma,  2  août  :  F.  Duno, 
t.  I,  p.  445.  —  Thevet,  Le  Grand  Lnsulairc,  R.  N.,  Franc.  15452,  fol. 
127,  et  Cosmographie  universelle,  livre  III,  chap.  x). 

(4)  Dès  le  14  août  1553,  quatre  canons  de  la  carraque  "  naguères  prinse 
par  François  Le  Clerc  «  y  étaient  en  batterie  (B.  N.,  Franc.  22326,  fol.  787). 


«   LES    ISLES    DU    PEROU.    »  577 

depuis  plus  de  quarante-huit  heures.  Cette  restriction  était 
la  loi  de  la  mer,  loi  fertile  en  ces  sortes  de  contestations 
qui  sont  d'heureuses  aubaines  pour  l'historien,  parce 
qu'elles  nous  permettent  de  revivre  les  chasses  mouve- 
mentées données  aux  galions  des  Indes. 

La  Barbe  et  la  Marguerite,  commandées  par  Vincent 
Bocquet,  étaient  parties  de  Dieppe  en  mai  1553.  Elles 
avaient  amariné  de  nombreuses  prises,  envoyées  sous  es- 
corte au  port  d'armement,  quand  elles  aperçurent,  à  la 
hauteur  de  Porto-Rico,  le  convoi  des  Indes.  Sans  la  moindre 
hésitation,  Bocquet  s'attachait  à  la  poursuite  des  quatorze 
vaisseaux  de  Farfan.  Chaque  soir,  après  une  rude  journée 
où  ils  avaient  harcelé  sans  trêve  leurs  formidables  adver- 
saires, Bocquet  et  son  camarade  de  la  Marguerite  se  rejoi- 
gnaient et  se  concertaient  pour  la  tactique  du  lendemain. 
Le  bouillant  capitaine  de  la  Marguerite  eût  voulu  brusquer 
l'attaque,  offrant  à  maintes  reprises  d'aller  u  impugner  et 
assubjectir  »  avec  sa  coque  de  noix  l'amirale  espagnole. 
Mais  le  Fabius  Cunctator  de  la  Barbe  répliquait  qu'il 
n'était  point  opportun  de  hâter  la  bataille  :  le  convoi  se 
disloquerait  peu  à  peu  et  on  ferait  alors  main  basse  sur  les 
traînards.  C'est  ce  qui  arriva  durant  cette  poursuite 
acharnée  de  quarante  jours  :  deux  navires  chargés  d'or, 
de  cochenille  et  de  perles,  succombèrent  les  premiers,  en 
octobre;  puis  ce  fut  le  tour  du  grand  vaisseau  de  Diego 
Marin,  jeté  par  la  tempête  hors  du  convoi  :  sommé  de  se 
rendre,  il  arbora  aussitôt  au  grand  mât  le  pavillon  blanc  (1) . 
Bref,  de  quatorze  bâtiments  partis  de  Saint-Domingue, 
huit  seulement  parvinrent  à  Cadix  le  7  décembre.  Bocquet 
avait  joué  gros  jeu  :  il  aurait  pu  se  trouver  pris  entre  deux 

(1)  Le  récit  de  cette  brillante  campagne  nous  est  conservé  dans  un  procès, 
devant  l'amirauté  de  Dieppe,  entre  Olivier  Tardieu  et  Etienne  Chauvin, 
bourgeois  de  la  Marguerite,  et  Jean  de  Montpeley,  bourgeois  de  la  Barbe 
(Archives  de  la  Seine-Inférieure,  Registres  dû  Parlement,  février-avril  1557 
avant  Pâques). 

III.  37 


578  HISTOIRE    DE    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

feux,  mais  l'escadre  de  onze  bâtiments  envoyée  à  la  ren- 
conlre  du  convoi  fut  dispersée  par  la  tempête,  et  son 
commandant,  Tello  de  Guzman,  dut  soutenir  avec  deux 
vaisseaux  un  combat  sanglant  contre  trois  nefs  fran- 
çaises (1). 

Depuis  octobre,  sept  de  nos  bâtiments  étaient  en  croi- 
sière dans  les  parages  de  Madère  (2)  ;  le  commandant  de 
l'escadre  des  Açores,  Pejon,  leur  avait  vainement  donné 
la  chasse  (3)  ;  et  Jambe  de  Bois,  en  février  1554,  rentrait 
en  scène  à  la  tète  de  huit  gros  vaisseaux  (4-).  Il  ne  fut 
plus  de  mois  où  Ton  ne  vît  passer  au  large  de  Porto -Rico 
des  détachements  de  nos  corsaires.  Leurs  efforts  se  por- 
tèrent cette  fois  contre  Cuba.  Une  nuit  de  juillet,  trois 
cents  arquebusiers  débarquèrent  à  Santiago  de  Cuba,  où 
pendant  un  mois  ils  pillèrent  à  loisir.  Dès  que  les  ga- 
lions, au  nombre  de  quinze,  s'ébranlèrent  pour  l'Espa- 
gne, quatre  de  nos  vaisseaux  s'attachèrent  à  leur  poursuite 
et  ne  quittèrent  plus  le  contact  de  Porto-Rico  jusqu'aux 
Açores  (5). 

Tremblant  pour  les  trésors  dont  il  avait  la  garde,  le 
capitaine  général  de  la  flotte  des  galions  ne  prenait  presque 
plus  de  repos.  Au  premier  quart,  on  voyait  sortir  de  leur 
cabine,  revêtus  d'une  grande  capote,  Francisco  de  Men- 
doza,  fils  du  vice-roi  des  Indes,  ou  le  terrible  adelantado 
Menendez  de  Avilés,  le  futur  bourreau  de  nos  colons  flori 

(i)  F.  DuRo,  t.  I,  p.  449. 
.  (2)  Lettre  de  Diogo  Cabrai  au  roi  tic  Portugal.  20  octobre  1553  (Lisbonne, 
Archivo  de  la  torre  do  tombo,   Corpo  Chronolog.,  P.   I,    leg.   81,    doc.  31. 
—  Santarem,  Qiiadro  elementar,  p.  336). 

(3)  En  octobre  (F.  Duro,  t.  I,  p.  445). 

(4)  Ibidem,  p.  446. 

(5)  Lettres  du  gouverneur  de  Porto-Rico,  octobre  1554,  et  de  Panama, 
24  novembre  iColeccion  de  docianentos  iiicditns...  de  las antit^itus  pnscsiones 
espaùoles  de  Ultramar,  Cuba,  t.  III,  319,  427.  —  Gabriel  Marcel,  Les 
corsaires  français  au  XVI'  siècle  dans  les  Antilles.  Paris,  1902,  in-8% 
p.  19  :  extrait  du  Compte  rendu  du  Congrès  international  des  Anierica- 
itistes  (1902). 


«   LES    ISLES    DU    PEROU.   "  579 

diens;  et  de  la  nuit,  ils  ne  quittaient  plus  le  banc  de  quart 
au  pied  du  grand  mat  (1), 

Embusqué  aux  Açores  avec  sept  vaisseaux,  Jambe  de 
Bois  attendait  les  galions  qvie  poursuivait,  telle  une  meute, 
notre  autre  escadrille  (2).  Cosme  Rodriguez  Farfan  ne  lui 
échappa  que  pour  se  perdre  par  un  ouragan.  Pour  comble 
d'infortune,  les  Espagnols  apprenaient  en  mars  1555,  que 
Pîé  de  Palo  apprêtait  douze  vaisseaux  pour  ravager  les 
Canaries  (3).  Un  incident  fortuit,  une  scission  entre  deux 
de  nos  capitaines,  fit  dévier  nos  coups. 


III 


LA    PRISE    DE    LA    HAVANE 

Ah  !  les  courtoises  passes  d'armes  que  ces  combats  aux 
îles  du  Pérou,  où  les  Français  n'encouraient  ni  la  peine  de 
mort,  ni  l'esclavage  f^),  s'ils  succombaient;  où  les  Espa- 
gnols, s'ils  avaient  le  dessous,  se  voyaient  restituer  un  de 
leurs  navires,  avec  munitions  et  vivres,  pour  retourner 
chez  eux  :  «  la  furye  passée,  le  vainqueur  souventesfois 
gratifiait  son  ennemv,  le  laissant  aller  libre  sans  le  ran- 
çonner, ny  molester  (5).  " 

A  ces  procédés  chevaleresques,  qui  contrastaient  avec 
les  cruautés  portugaises,  une  guerre  de  religion  mit  fin.  De 
voir  tourner  leur  culte  en  dérision,  les  Espagnols  s  offen- 
sèrent et  nous  vouèrent  une  haine  à  mort.  A  Santa-Marta 

(1)  «.  Itinerario  de  navegacion  de  los  mares  y  tierras  occidentales,  por  el 
capitan  Jhoan  de  Escalante  de  Mendoza  (1575),  »  publié  par  F.  Duro, 
Disaidsiciones  nauticas,  t.  V,  p.  487. 

(2)  F.  Duro,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  448. 

(3)  Ibidem,  p.  449. 

(4)  Décision  du  Conseil  d'Espagne,  4  juillet  1552  (Madrid,  coll.  Muîioz, 
t.  LXXXVI,  fol.  117  v"). 

(5)  Thevet,  CoS7noqj-tiphie  (éd.  1575),  p.   484. 


580  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

sur  la  côte  colombienne,  nos  corsaires,  en  1555,  revêtirent 
de  cottes  de  maille  les  images  saintes;  et,  à  La  Havane,  la 
même  année,  ils  les  poignardèrent  après  une  parade  en 
habits  sacerdotaux. 

L'auteur  responsable  de  cette  manifestation  calviniste 
était  un  ancien  compagnon  de  Jambe  de  Bois,  Jacques  de 
Sores,  qui  ne  pouvait  plus  s'entendre  avec  son  chef.  Après 
avoir  parcouru  la  côte  colombienne,  la  Marguerite,  rio  de 
la  Hacha,  Santa-Marta,  il  avait  gouverné  sur  Hispaniola, 
puis  sur  Cuba.  Un  pilote  des  Açores,  Pero  Braz,  le  guidait. 

Le  mercredi  10  juillet  1555,  à  l'aube,  le  sémaphore  de 
La  Havane  hissait  le  signal  :  navire  en  vue,  que  la  forte- 
resse appuyait  d'un  coup  de  canon  (1).  Le  navire  était 
de  petite  taille  :  quelque  caravelle  de  Nombre  de  Dios, 
se  dit-on.  Cependant  à  demi-lieue  de  là,  elle  débar- 
quait du  monde,  arquebusiers  et  soldats  en  corselets  et 
salades  au  nombre  de  deux  cents.  Tambours  battant, 
enseignes  de  France  au  vent,  la  colonne  fonçait  sur  la  ville 
par  vine  sente  étroite  et  encaissée,  à  couvert  du  feu  de  la 
forteresse.  "  Tout  cela  s'était  passé  si  vite  qu'on  aurait  cru 
rêver.  »  Un  bastion  sur  la  côte  était  enlevé  en  un  moment, 
la  ville  envahie,  une  maison  transformée  en  prison-arsenal, 
l'alcade  de  la  forteresse  sommé  de  se  rendre  sous  peine 
d'être  «  raccourci  »  .  —  «  Je  tiens  cette  forteresse  de  Sa 
Majesté  Catholique  :  je  ne  la  rendrai  pas,  riposta  brave- 
ment l'alcade  Juan  de  Lovera;  j'ai  plus  de  cent  hommes  et 
des  munitions  à  profusion.  »  Et  il  agit  comme  s'il  les  avait 
eus  en  effet. 

Les  arquebusiers  de  Juan  del  Piano,  lieutenant  de  Sores, 
avaient  planté  leur  drapeau  sur  un  ermitage  proche  du 

(1)  "  Relacion  de  lo  ocurrido  en  la  Habana,  acerca  de  los  franceses  en  ella  »  : 
Coleccion  de  documentos  iiieditos. . .  de  Ultramar,  2''  série,  t.  VI  {^Cuha), 
p.  364,  386;  1"  série,  t.  XII,  p.  49.  —  F.  Dl'RO,  Armada  espanola,  t.  I, 
p.  211,  490. 


«   LES    ISLES    DU    PÉROU    ».  581 

môle.  Trois  fois,  Lovera  les  obligea  à  reculer.  En  même 
temps,  il  pointait  quatre  pièces  de  marine  sur  une  grande 
nef  à  trois  hunes,  dont  la  caravelle  n'était  que  l'aviso  et 
qui  cherchait,  pavillon  fleurdelisé  au  mât,  canons  tonnant, 
à  franchir  la  passe.  Toute  la  journée,  il  la  tint  en  échec. 

La  forteresse  comprenait  trois  ouvrages,  une  barbacane, 
une  tour  centrale  et,  sur  le  port,  une  terrasse.  Nous  étions 
informés  de  cette  disposition  par  le  pilote  Braz,  venu  l'an- 
née précédente  à  La  Havane.  A  la  tombée  de  la  nuit,  les 
arquebusiers,  soutenus  par  le  feu  de  deux  pièces,  donnèrent 
un  assaut  furieux  à  la  barbacane.  Vingt-trois  des  leurs 
tombèrent  tant  sous  un  feu  très  vif  que  sous  une  grêle  de 
pierres.  Maîtres,  à  ce  prix,  du  poste  avancé,  ils  firent  sauter 
la  porte  de  la  tour;  les  flammes  gagnèrent  tout  l'édifice,  en 
dépit  des  sacs  de  terre  et  des  barriques  d'eau  que  les 
assiégés  lançaient  dessus;  et  l'alcade  dut  chercher  un  der- 
nier refuge  sur  le  terre-plein  du  front  de  mer.  La  terrasse 
était  dépourvue  de  parapet;  les  barils  de  poudre  étaient  en 
plein  vent,  au  milieu  d'une  cohue  de  vieillards,  de  femmes 
et  d'enfarts.  Lovera  refusait  néanmoins  de  se  rendre  : 
dans  les  ténèbres,  une  petite  frégate,  montée  par  ses  nègres, 
s'éloigna  silencieusement.  Et  pour  presser  l'arrivée  des 
renforts  qu'elle  allait  quérir,  les  assiégés  battirent  la  géné- 
rale et  tirèrent  le  canon. 

Ils  n'avaient  ni  arquebuses,  ni  arbalètes,  ni  vivres  :  l'un 
d'eux  le  confia  en  allemand  à  une  de  nos  sentinelles. 
Lovera,  réduit  à  ses  canons  de  marine,  les  avait  fait  charger 
jusqu'à  la  gueule,  afin  de  les  faire  éclater  et  d'ôter  tout 
trophée  aux  vainqueurs  :  et  pressé  par  les  siens  de 
demander  quartier,  il  allait  s'évader  par  la  rade  avec  ses 
hommes,  quand  Sores,  avisé  de  l'état  de  la  place,  bondit  à 
l'escalade  et,  en  un  clin  d'oeil,  la  garnison  fut  garrottée. 

Il  Où  est  le  trésor  impérial?  "  clamait  le  vainqueur,  per- 
suadé qu'on  recelait  à  La  Havane  une  grosse  somme  pro- 


582  HISTOIRE    DK    LA    MARINE   FRANÇAISE. 

vcnanL  des  vaisseaux  naufragés  en  Floride.  —  «  Sa  Majesté 
n'a  point  d'argent  ici  » ,  répliqua  Lovei'a.  Et  de  fait,  Sores 
trouva,  seulement,  dans  le  secrétaire  de  l'alcade,  une 
bague  d'émeraude  qu'il  se  passa  au  doigt  et,  dans  un  coin, 
une  petite  caisse  remplie  de  marcs  d'argent.  Relâchant  les 
femmes  et  leurs  enfants,  Sores  envoya  demander  au  gouver- 
neur trente  mille  douros,  cent  charges  de  pain  et  deux 
cents  arrobes  de  vin  pour  la  rançon  de  la  garnison.  Un 
armistice  fut  signé  en  conséquence. 

Au  mépris  de  la  trêve,  le  gouverneur  Angulo,  qui  avait 
détalé  dès  les  premiers  coups,  nous  surprit  traîtreusement 
dans  la  nuit  du  17  juillet.  Ses  trente-cinq  Espagnols  gui- 
daient trois  cents  nègres  et  indiens  armés  de  pierres  et  de 
poignards  emmanchés.  Nos  gens  dormaient  partie  sur  la 
flotte,  partie  dans  la  ville.  Logés  çà  et  là  sur  la  foi  de  1  ar- 
mistice, les  blessés  furent  massacrés,  ainsi  que  le  barbier 
qui  les  soignait  et  un  parent  du  capitaine.  Trois  mousses 
eurent  le  même  sort  dans  l'ermitage  du  mole,  où  ils  gar- 
daient les  voiles.  Déjà  les  deux  sentinelles  qui  veillaient  à 
la  porte  de  la  prison  étaient  tombées  sous  le  poignard  des 
nègres,  les  deux  pièces  braquées  sur  la  place  étaient  prises, 
quand  nègres  et  indiens  crièrent  trop  tôt  victoire. 

Leurs  hurlements  éveillèrent  en  sursaut  nos  gens.  Sores 
bondit  vers  la  pièce  où  étaient  enfermés  ses  trente-trois 
prisonniers,  et,  à  coups  de  poignards  et  d'estocades,  on  en 
fit  une  horrible  boucherie.  L'alcade  ne  dut  son  salut  qu'à 
son  geôlier,  devenu  son  ami,  le  Navarrais  Juan  del  Piano, 
qui  Ivii  fit  un  rempart  de  son  corps.  Le  gouverneur,  sommé 
de  battre  en  retraite  pour  éviter  le  massacre  des  prison- 
niers, avait  répondu  :  «  Qu'ils  meurent!  "  Et  il  mit  le  feu 
à  la  porte  de  la  prison.  Cette  attaque  le  perdit.  A  la  lueur 
des  flammes,  nos  arquebusiers  tirèrent  à  coup  sûr  par  les 
fenêtres  et  reconnurent  que  la  majorité  de  leurs  adversaires 
étaient  des  sauvages.  Une  sortie  de  vingt  hommes,  dirigée 


»   LES    ISLES    DU    PÉROU   ".  583 

par  Sores,  suffit  à  disperser  les  assaillants,  dont  quarante- 
cinq  restèrent  sur  le  Icrrain. 

Sores  offrit  aux  notables  d'épargner  les  cases  des  pauvres. 
Mais  ennuyé  de  n'avoir  que  des  réponses  dilatoires,  le 
28  juillet,  il  incendia  toute  la  ville,  légllse,  l'hôpital,  les 
hôtels,  les  canots  des  pécheurs,  faisant  du  grand  port  de 
relâche  espagnol  un  monceau  de  cendres.  Il  eût  voulu 
châtier  aussi  le  perfide  Angulo.  A  minuit,  sur  l'avis  que  le 
gouverneur  dormait  à  Gojimar,  il  partit  avec  des  guides  et 
quarante  soldats.  Mais  il  ne  trouva  qu'un  Espagnol  blessé 
et  cinq  nègres  de  ses  agresseurs.  Ceux-ci  furent  alignés, 
au  retour,  le  long  de  la  prison  et  fusillés. 

Durant  quatre  jours,  Sores  procéda  lui-même  à  des  son- 
dages dans  la  baie,  dont  un  dessinateur  leva  le  plan,  ainsi 
que  du  port  et  de  la  forteresse.  Questionné  sur  la  force  de 
Saint-Domingue,  l'alcade  répondit  :  "  La  ville,  très  forte, 
est  garnie  d'une  artillerie  puissante;  deux  mille  cavaliers 
et  piétons  défendent  son  enceinte,  qu'il  ne  vous  sera  pas 
aussi  facile  de  forcer  que  La  Havane.  —  Allons  donc!  inter- 
rompit le  pilote  portugais  Braz.  Je  vous  mettrai,  capitaine, 
dans  la  forteresse  de  Saint-Domingue  avant  que  personne 
s'en  doute.  De  nuit,  les  pataches  vous  déposeront  à  une 
poterne  qui  borde  la  mer,  et  vous  aurez  facilement  raison 
des  cinq  ou  six  hommes  qui  veillent  la  nuit  dans  le  fort.  » 
Sores  se  promit  d'y  donner  suite  l'année  suivante,  et  le 
5  août,  par  la  pleine  lune,  11  appareilla. 

Il  avait  si  bien  ruiné  La  Havane,  qu'une  escadre  fran- 
çaise de  seize  voiles,  au  mois  d'octobre  suivant,  n'y  trouva 
rien  à  piller  (I). 

Philippe  H,  comme  jadis  Charles-Quint,  tenta  de  mettre 
un  terme  aux  coups  de  main  de  nos  corsaires.  Par  une 
addition  à  la  trêve  de  Vaucelles,  le  5  février  1556,  il  obtint 

(1)  F.  DuRO,  Armada  espanola,  t.  I,  p.  213. 


584  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

que  nos  sujets  ne  pussent  naviguer,  ni  négocier,  sans  un 
congé  exprès  signé  de  lui,  aux  Indes  espagnoles  (1).  Peu 
de  temps  auparavant,  Henri  II  avait  eu  la  faiblesse  de  faire 
pareil  accueil  aux  prétentions  des  Portugais  (2).  Mais  nos 
corsaires  n'en  tinrent  aucun  compte.  Ils  se  bornèrent, 
comme  le  baile  de  Saint-Jean-de-Luz,  Jean  d'Ansogai'lo, 
et  ses  compatriotes  Haristague  et  Somian,  à  se  faire  ab- 
soudre par  lettres  royales,  «  pour  avoir,  sans  congé  préa- 
lable, enlevé  plusieurs  vaisseaux  du  côté  des  Indes  (3)  h  . 


IV 

UN    NAUFRAGE   AUX    BERMUDES 

Au  lendemain  même  de  la  trêve  de  Vaucelles,  en  mars 
1556,  le  capitaine  Mesmin  partit  de  La  Rochelle  avec  un 
navire  de  guerre,  une  patache  et  cent  cinquante  hommes. 
Un  bâtiment  espagnol,  plus  fort  de  tonnage  à  lui  seul  que 
l'escadrille,  avait  été  amariné  par  elle,  quand,  une  nuit,  à 
trois  lieues  de  l'une  des  Bermudes,  il  donna  à  pleines  voiles 
sur  une  roche  et  s'éventra.  Averti  du  péril  par  un  coup  de 
canon,  Mesmin  prit  aussitôt  le  large  en  attendant  l'aube. 
Le  jour  se  leva  sur  une  scène  sinistre  :  accrochées  aux  cor- 
dages et  aux  manœuvres  courantes,  des  grappes  de  nau- 
fragés pendaient  aux  flancs  de  1  épave  dans  une  position 
affreuse.  Mesmin  ne  s'émut  pas  :  ses  officiers,  mandés  en 
chambre  du  conseil,  déclarèrent  froidement  qu'il  restait 
trop  peu  de  vivres  pour  le  retour  de  tous  en  France;  et,  la 
voile  haute,  l'escadrille  s'éloigna. 


(1)  DoMOST,  Corps  diplomaticjue,  Suppl.,   p.  84. 

(2)  Traité  du  13  décembre  1554  (B.  N.,  Dupuy  223,  fol.  133). 

(3)  1556  (DrcÉRK,    Histoire  maritime  de  Bayonne.    Les    Corsaires  SoiiS 
l'ancien  régime,  p.  23  note  2,  24  note  2). 


«   LES    ISLES    DU    PÉROU   ».  585 

"  Les  pavivres  malautruts  "  ne  perdirent  pas  courage, 
raconte  1  auteur  d'une  Histoire  véritable  de  plusieurs  voyages 
adventtireux  (l).  Sur  deux  rats  —  ainsi  appelait-on  les 
radeaux,  —  ils  gagnèrent  la  Bermude.  Les  radeaux  abor- 
dèrent à  sept  lieues  l'un  de  l'autre,  de  part  et  d'autre  d'une 
rivière  qu'il  fallut  franchir  pour  se  réunir.  L'ile  était  inha- 
l)itée.  De  leurs  chapeaux,  les  matelots  se  firent  des  se- 
melles, car  les  épines  traversaient  leurs  chaussures.  Sur 
les  feux  de  bivouac  qu'ils  allumaient  la  nuit  sous  les 
arbres,  des  oiseaux,  gros  comme  des  courlis,  venaient  se 
jeter  et  se  rôtir;  et  la  rosée  qui  restait  sur  les  feuilles  de 
palmier  au  matin  désaltérait  les  naufragés. 

Ils  fabriquèrent  une  barque  de  dix  tonneaux,  sur  laquelle 
ils  s'embarquèrent  quarante-deux  :  le  maître  d'équipage, 
le  pilote  et  un  autre  marin  poitevin  avaient  été  condamnés 
par  un  jugement  en  règle,  après  procès,  délibéré  et  verdict 
à  la  pluralité  des  voix,  à  la  rélégation  dans  l'ile;  on  leur 
infligeait  la  peine  du  talion,  car  on  avait  découvert  à  temps 
le  complot  qu'ils  avaient  formé  de  partir  seuls. 

Voilà  donc  nos  aventuriers  n  dans  leur  arche  » ,  avec  de 
la  chair  de  tortue  séchée,  des  oiseaux  rôtis  et  une  barrique 
d'eau  pour  tous  vivres,  deux  épées  rouillées  pour  armes. 
Gagner  la  France  avec  cette  nacelle  parut  téméraire  :  on 
gouverna  sur  les  Antilles,  à  trois  cents  lieues  de  là. 

Au  bout  de  trois  semaines,  on  eut  en  vue  l'ile  de  Mona, 
près  de  là  une  petite  caravelle  d  une  douzaine  de  tonneaux, 
dont  l'équipage  se  sauvait  à  terre.  Nos  aventuriers  changent 
de  logis  et  repartent  pour  Saint-Domingue.  En  rade  de 
Monte-Christi,  les  matelots  d'un  navire  portugais  chargé 
de  sel  ne  font  pas  meilleure  contenance  que   les  autres  : 

(1)  Par  I.  p.  T.,  capitaine  de  mer,  160i,  in-8°,  p.  17  et  suiv.  —  Cette 
œuvre  est  une  réédition  de  V Histoire  véritable  de  certains  voiages  périlleux 
et  hazaideux  sur  la  mer,  dédiée  à  Philippe  Du  Plessis-Mornay  par  Lois  de 
La  Blachiéhe,  qui  tenait  ses  récits  du  capitaine  Bruneau  de  Rivedoux. 
IN'iort,  1599,  in-12. 


586  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

et  voilà  nos  naufraj^jés,  d'étape  en  étape,  parvenus  à  pos- 
séder un  ])àtlmenten  état  d'affronter  la  traversée  de  l'Océan. 
Il  ne  leur  manquait  plus  qu'un  pilote. 

La  fortune  les  servit  à  souhait.  Le  pilote  portu^jais  vint 
offrir  de  racheter  son  bâtiment.  Retenu  à  bord,  «  de  dépit, 
en  print  un  Ici  mal  au  cœur  qu'il  en  pensa  mourir.  Gomme 
le  cerf  poursuivi  des  chiens  a  ceste  industrie  de  se  jetter 
sur  quelque  autre  et  à  coups  de  corne  le  faire  lever  pour 
se  mettre  en  sa  place,  »  le  Portugais  chercha  le  moyen  de 
se  libérer  avix  dépens  d'autrui.  En  vue  de  l'île  Léogane,  il 
montre  à  ses  geôliers  un  vaisseau  de  cent  soixante  ton- 
neaux, bien  équipé  il  est  vrai  et  armé  en  guerre.  Mais  nos 
quarante-deux  n'étaient  point  gens  à  reculer;  leurs  deux 
vieilles  flamberges  au  vent,  sous  une  pluie  de  boulets,  ils 
montent  à  l'abordage,  et  quand  ils  sont  sur  le  tillac,  étrange 
phénomène!  l'ennemi  s'est  évanoui.  Sans  attendre  un  corps 
à  corps,  les  Espagnols  s'étaient  tous  jetés  à  la  mer.  Deux 
ans  après  leur  départ,  alors  qu'on  les  avait  rayés  du  nombre 
des  vivants,  les  naufragés  revenaient  à  La  Rochelle  et 
riches.  Riches!  au  moment  même  où  leur  capitaine  était 
presque  ruiné,  comme  si  la  fortune  parfois  se  plaisait  à 
réparer  l'injustice. 

Le  capitaine  Mesmin  venait  de  peindre,  dan.s  une  ren- 
contre avec  les  garde-cotes  portugais,  son  navire  de  guerre 
et  une  magnifique  prise  espagnole  venant  de  Saint-Do- 
mingue. Eatigué  de  réclamer  raison  à  la  cour  de  Lisbonne, 
où  il  s'était  rendu  (1),  Mesmyn  résolut  de  se  faire  justice 
lui-même.  Un  léger  bâtiment  qu'il  fréla  revint  à  Bordeaux 
chargé  de  butin.  Les  rôles  se  trouvant  par  là  intervertis, 
ce  fut  à  l'ambassadeur  de  Portugal  de  réclamer  satisfac- 
tion et,  en  plus,  un  châtiment  exemplaire.  Mais  dans  une 

(1)  L'affaire  se  passe  en  1558  (Correspondance  du  chevalier  de  Seure, 
ambassade«r  de  France  en  Portugal.  Lisbonne,  12  février  1559  :  B.  N., 
Nouv.  aeq.  franc.  6638,  p.  46-47  :  cf.  ci-dessous,  p.  588,  n.  1). 


«   LES    ISLES    DU    PEROU   ».  387 

ieltre  énergique,  où  il  donnait  au  roi  une  leçon  de  dignité, 
le  vice-amiral  Biaise  de  Monluc  couvrit  son  subordonné, 
un  «  vaillant  et  expérimenté  capitaine  de  navire;  il  ne  fault 
perdre  telles  gens,  écrivait-il  à  Charles  IX  :  car  vous  en 
pourrez  bien  avoir  affaire  :  et  puisque  vous  voyez  que  les 
autres  princes  favorisent  et  soutiennent  leurs  subjets,  la 
raison  veult  que  vous  faictcs  de  semblable  à  l'endroit  des 
vostres  (l) .  » 


V 

UN    COUP    DE    MAIN    RÊVÉ    PAR    HENRI    II 

Du  temps  de  Henri  II,  pareille  leçon  eût  été  superflue. 
Tandis  que  les  marins  de  Bayonne  et  Saint-Jean-de-Luz, 
avec  quatre  bâtiments,  mettaient  à  sac  Puerto-Cavallos  et 
Fonduras  dans  la  Nouvelle-Espagne  (2),  deux  simples 
navires  de  Dieppe  et  La  Rochelle,  après  avoir  pillé  Santiago 
de  Cuba  ne  craignaient  point  de  livrer  combat  dans  le 
canal  de  la  Floride  à  toute  la  flotte  des  galions,  mandée  par 
le  gouverneur  de  l'île.  Rt  malgré  ses  vingt-deux  vaisseaux, 
le  capitaine  général  Pedro  de  Las  Roelas  ne  parvint  qu'au 
prix  de  grandes  pertes  à  couler  l'un  de  ses  adversaii'es  et  à 
capturer  1  autre. 

Mais  voici  que  le  roi  de  France  entrait  en  scène,  bien 
décidé  de  "  faire  enti'cprinse  sur  l'argent  que  noz  voisins 

(1)  Lettre  de  Monluc  au  roi  Charles  IX.  5  mai  1566  (MoNi.uc,  éd.  de 
Rublc,  t.  V,  p.  49). 

(2)  Lettre  de  Luis  de  Velasco,  vice-roi  de  Nouvelle-Espagne.  30  sep- 
tembre 1558  (Archives  du  centre  hydrographique  de  Madrid  :  coll.  Vargas- 
Ponce,  dans  DuoérÉ,  Les  Corsaii-es  sous  l'ancien  réqime,  p.  348).  —  Le 
12  septembre  1559,  "  les  guallères  de  Saint-Jean-de-I.,uz,  revenues,  quelques 
jours  devant,  des  Indes  »  sombraient  par  une  effroyable  bourrasque  dans 
leur  port  d'attache  (B.  N.,  Franc.  15872,  fol.  159). 

(3)  F.  Duno,  t.  Il,  p.  462. 


588  HISTOIRE    DE    LA   MARINE    FRANÇAISE. 

attendoicnt  du  Péru"  .  Un  courrier  spécial,  qu'il  dépêchait 
le  15  septembre  1558  à  son  ambassadeur  en  Portugal,  le 
lapidaire  parisien  Thierry  Badouère  rapporta  les  rensei- 
gnements suivants  :  »  La  contratacion  des  marchandises, 
qui  se  faict  au  Nombre  de  Dios  en  contreschange  de  l'or  et 
argent  qui  vient  chascun  an  du  Péru  par  la  mer  du  Sur  à 
Panama,  se  faict  ordinairement  durant  le  mois  de  niay.  » 
Si  donc  l'on  envoyait  à  cette  date  une  douzaine  de  vais- 
seaux de  guerre  aux  Antilles,  ils  pourraient  ruiner  d'un 
seul  coup  les  navigations  espagnoles. 

Ils  saccageraient,  en  passant,  Saint-Domingue,  faible- 
ment défendue  par  des  levées  de  terre,  et  Porto-Rico,  dont 
le  port  est  trop  éloigné  de  la  ville  pour  être  couvert 
par  elle.  A  Nombre  de  Dios,  ils  rafleraient  l'or  apporté 
pour  les  échanges  :  une  colonne  de  douze  cents  «  bons 
hommes  »  traverserait  l'isthme  et  surprendrait  à  Panama 
la  flotte  de  la  mer  du  Sud,  alors  à  sec  dans  le  port. 
Puis,  longeant  la  côte  du  Honduras,  l'escadre  tomberait 
sur  la  flotte  de  la  Nouvelle-Espagne,  en  partance  de  la 
Vera-Cruz  vers  la  fin  de  juin;  et  au  retour,  elle  démoli- 
rait les  fortifications  de  La  Havane.  Pareille  campagne 
mettrait  «  en  tel  effroy  toutes  les  Indes  et  tous  les  con- 
tractans,  qu'il  n'en  vicndroit  de  deux  ans  ung  seul  solz  (1)»  . 

La  colère  de  voir  traiter  en  esclaves  les  cent  dix  prison- 
niers de  Pedro  de  Las  Roelas,  inspirait  à  l'ambassadeur 
français  un  procédé  plus  radical,  qu'il  lui  déplaisait  pour- 
tant d'envisager.  Faites  bannir,  disait-il  au  roi,  et  ordonnez 
aux  corsaires  de  faire  «  mourir  tous  ceulx  qu'ilz  prendront, 
allans  ou  vcnans  de  tràicter  es  Indes...  Et  je  suis  asseuré 
que  le  jeu  cessera  bien  tost;  car,  pour  ung  des  nostres  que 

(1)  Correspondance  du  chevalier  Michel  de  Seure,  ambassadeur  de  France 
en  Portugal.  Lisbonne,  30  janvier  1559  (Bibliothèque  de  l'Ermitage  à  Saint- 
Pétersbourg,  ms.  n°  110  :  copie  dans  R.  N.,  Nouv.  acq.  franc.  6638,  p.  4 
et  suiv.  :  publiée  par  Edmond  Falgaiuolle,  Le  chevalier  de  Seure.  Paris, 
1896,  in-8",  p.  20V 


«   LES    ISLES    DU    PEROU   ».  589 

les  Espagnols  prendront,   il  en  sera  prlns  cinquante  des 
leur  fl).  » 


VI 

SUR    LES    BANCS    DE   TERRE-NEUVE 

Car,  du  rôle  d'assaillants  aux  îles  du  Pérou,  nous  pas- 
sions à  celui  d'assaillis  sur  les  bancs  de  Terre-Neuve.  Jaloux 
de  l'importance  sans  cesse  croissante  de  nos  pêcheries  de 
Terre-Neuve,  où  tel  port  de  la  Seine  expédiait  jusqu'à 
soixante  navires  (2),  Anglais  ou  Espagnols,  selon  que  les 
vicissitudes  de  la  politique  faisaient  des  uns  ou  des  autres 
nos  ennemis,  cherchaient  de  toutes  façons  à  les  troubler. 
En  1548,  sur  l'ordre  secret  du  protecteur  d'Angleterre, 
les  corsaires  anglais  armaient  en  masse  pour  guetter  au 
retour  nos  terreneuviers  (3).  Ceux-ci  ne  se  rendaient  point 
sans  combat  :  vingt  pièces  d'artillerie  pour  une  quaran- 
taine de  matelots,  armés  par  surcroît  d'arquebuses  et  de 
demi-piques  (4-),  leur  donnaient  parfois  l'allure  d'un 
vaisseau  de  guerre,  sans  compter  que  le  profil  de  leurs 
superstructures  d'avant  et  d'arrière  aidait  à  l'illusion  (5). 


(1)  Lettre  du  chevalier  de  Seine.  Lisbonne,  12  février  1559  (B.  N., 
Nouv.  acq.  franc.  6638,  p.  46). 

(2)  En  1542  (Henry  HAnnisSE,  Découverte  et  évolution  eartograplii(juc  de 
Terre-Neuve  et  lies  pays  cuconvoisins  (1497-1769. )Vatïs,,  1900,  gr.  in-8°, 
p.  xxxi). 

(3)  Correspondance  d'Odet   de   Selve,  éd.    G.    Lefèvre-Pontalis    (1889). 

(4)  Le  Saint-Esprit  de  Saint-Jean-de-Luz,  maître  Augerot  Damisquet,  de 
140  tonneaux  et  40  hommes  d'équipage,  armé  pour  la  pêche  de  la  morue  à 
Terre-Neuve,  avait  20  pièces  d'artillerie,  une  arquebuse  ou  arbalète  par 
homme,  24  piques  et  30  demi-piques.  22  avril  1552  (DucÉnÉ,  Histoire 
maritime  de  Bajoune.  Les  Corsaires  sous  l'ancien  régime,  p.  25). 

(5)  Cf.  le  protil  d'un  terreneuvier  rouennais  en  J545  (B.  N.,  Franc.  24269, 
fol.  55  :  cf.  supra,  t.   II,  p.  466). 


590  HISTOIRE    DE   LA    MARINE    FRANÇAISE. 

Cet  armement  devint  bientôt  insuffisant.  L'ordonnance 
espagnole  du  3  juin  1553,  spécifiant  que  la  flotte  des  terre- 
neuviers  basques  ne  naviguerait  plus  sans  escorte,  imposa 
à  nos  armateurs  de  nouveaux  sacrifices,  d'autant  que  les 
corsaires  de  Biscaie  avaient  fait  le  serment  de  ruiner  nos 
pêcheries,  la  source  la  plus  importante  de  notre  commerce 
maritime  (1). 

A  Saint-Malo  par  exemple,  chaque  citoyen  y  était  inté- 
ressé, gentilshommes,  bourgeois  et  gens  du  peuple.  Les 
matelots  louaient  leurs  services  contre  un  pot  de  vin  et  un 
lot  de  poissons,  s'ils  ne  parvenaient  à  fréter  en  commun 
un  navire  où  chacun  péchait  pour  son  compte.  Les  capita- 
listes partageaient  les  risques  en  prenant  des  parts  sur 
plusieurs  vaisseaux.  Le  clergé  prélevait  la  dîme,  et  les 
châtelains  du  voisinage  participaient  aux  profits  en  louant 
pour  la  durée  de  la  campagne  les  coulevrines  qui  dormaient 
sur  les  remparts  de  Chàteauneuf,  du  Plessis-Bertrand  et  de 
Goëtquen.  C'était  la  vie  de  Saint-Malo  et  c'était  son  sup- 
plice. Aux  mois  d'août  et  de  septembre,  une  odeur  infecte 
se  répandait  dans  la  ville  :  on  séchait  la  morue.  Elle  s'éta- 
lait sur  les  rochers  d'alentour,  au  Sillon,  au  Talard,  au  Bé, 
sur  les  remparts  et  les  tours,  au  faîte  des  maisons...  il  fallut 
des  ordonnances  de  police  répétées  en  1565,  en  1571,  pour 
soustraire  le  cimetière  à  l'invasion.  La  morue  trempait  au 
seuil  des  maisons,  la  saumure  rance  engluait  la  rue.  Bref, 
les  Malouins  prirent  le  parti  de  sécher  leurs  poissons  sur 
les  grèves  mêmes  de  Terre-Neuve  (^).  Et  c'est  ici  le  lieu  de 
dire  comment  ils  avaient,  dès  avant  1555,  exercé  leur 
mainmise  sur  l'île,  au  point  d'y  élever  des  fortifications. 

Pour  tenir  tête  aux  corsaires  basques,  il  avait  fallu  entre- 


(1)  JouON  DES  LoNGRAis,  Jacques  Cartier,  passim.  —  Ch.  de  La  RonciÈrk, 
La  question  de  Terre-Neuve  :  les  droits  indiscutables  de  la  France,  d'après 
des  documents  inédits.  Paris,  1904,  in-8°,  p.  9,  extrait  du  Correspondant 
du  10  avril  1904. 


"   LES    ISLES    DU    PÉROU   ».  591 

tenir  des  croiseurs  sur  les  bancs  de  Terre-Neuve  :  mais  au 
lieu  de  les  grouper  en  escadre,  nos  armateurs  eurent  la 
fâcheuse  idée  de  les  affecter  à  l'escorte  des  pêcheurs  de 
chaque  port,  fournissant  ainsi  aux  Espagnols  le  moyen  de 
nous  battre  en  détail. 

En  1554,  une  division  de  neuf  bateaux  de  pêche,  qui 
revenait  sous  l'escorte  de  la  Brave  de  Saint-Pol-de-Léon  et 
de  la  Brave  de  l'île  de  Ré,  fut  attaquée  par  le  corsaire 
Domingo  de  Albistur  (1).  Le  combat,  commencé  dans  la 
nuit,  durait  encore  la  nuit  suivante.  Nombre  de  pécheurs 
se  firent  tuer  avant  que  les  Basques  de  Saint-Sébastien  par- 
vinssent à  s'emparer  du  convoi. 

La  croisière  organisée  par  l'Espagne  sur  les  bancs  de 
Terre-Neuve  avait  été  confiée  à  un  autre  corsaire  de  Saint- 
Sébastien,  Juan  de  Eraso.  Elle  gênait  d'autant  plus  nos 
pécheurs  que  certains  d'entre  eux  avaient  l'habitude  de 
laisser  leurs  doris  dans  les  havres  de  l'île  :  tel,  ce  Rouen- 
nais  (!2)  qui  avait  immergé  au  havre  de  Jean  Denys,  dit 
Rognouse,  douze  barques  et  bateaux,  dont  la  marque  dis- 
tinctive  de  propriété  était  un  gros  clou  fiché  à  tribord 
arrière. 

La  troisième  campagne  d'Eraso,  en  1555,  fut  désas- 
treuse pour  nos  pêcheries.  Sa  grande  nef  de  trois  cents 
hommes  d'équipage,  formant  escadre  avec  les  vaisseaux  de 
Juan  de  Lizarza  et  Miguel  de  Iturain,  surprit  dans  un  port 
de  Terre-Neuve  douze  bâtiments  chargés  de  morue.  Malgré 
la  protection  de  la  Grande-Fantaisie àe  Saint-Brieuc,  navire 


(i)  Les  détails  qui  suivent  sont  empruntés  à  une  enquête  espagnole,  for- 
cément partiale  :  «  Informacion  hecha  en  la  villa  de  San  Sébastian,  para 
acreditar  les  aeciones  marineras  de  los  capitanes  armadores  de  Guipuzcoa 
durante  la  guerra  con  Francia.  »  i5  octobre  1555  (Publiée  dans  F.  Duno, 
Arca  de  Noé,  libro  sexto  de  las  disquisiciones  nauticas.  Madrid,  1881,  in-8", 
p.  355  :  et  dans  DrcKnÉ,  Histoire  7nai-itime  de  Bayonne  ;  Les  Corsaires 
sous  C ancien  régime,  p.  333.) 

(2)  Mémento  de  cet  armateur  rouennais  (B.  N.,  Franc.  24269,   fol.  55). 


592  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

portugais  jadis  capturé  par  les  Malouins  (1),  nos  pécheurs 
durent  capituler  après  un  violent  combat.  Iturain  continua 
sa  fructueuse  croisière  sur  le  Grand  Banc.  Eraso,  avec  la 
Grande-Fantaisie  et  ses  autres  prises,  remonta  les  côtes  de 
l'île. 

Le  15  août  1555,  il  tombait  sur  huit  terreneuviers  en 
ligne  à  l'entrée  d'un  havre,  que  défendaient  deux  fortins  et 
une  nef  de  guerre,  la  Grande-Françoise  de  Saint-Malo.  Or, 
on  sait  que  le  chenal  d'accès  à  Saint-Jean,  la  capitale 
actuelle  de  l'île,  est  battu  par  un  fort,  le  fort  Amherst,  et 
que  la  passe,  large  de  six  cents  pieds  (2),  est  d'une  entrée 
si  difficile  dans  un  creux  entre  deux  montagnes,  qu'elle 
défierait  des  forces  navales  redoutables.  C'est  là  que  les 
Malouins  étaient  embossés,  là  que  Jacques  Cartier  avait 
jadis  donné  rendez-vous  à  Roberval;  et  peut-être,  parmi 
les  défenseurs  du  port  Saint-Jean,  v  avait-il  d'anciens  com- 
pagnons de  Cartier,  Boulain  {}\)  et  Jalobert  (4).  Sous  le  feu 
des  batteries  de  terre,  il  fut  impossible  à  Eraso  de  franchir 
la  passe. 

Le  Basque  feignit  de  s'éloigner  :  de  nuit,  débarquant 
assez  près  de  là  la  majeure  partie  de  ses  gens,  il  attaqua, 
drapeau  au  vent,  les  fortins,  qui  furent  enlevés  d'assaut. 
Foudroyés  par  l'artillerie  de  terre  et  par  les  vaisseaux  qui 
les  bloquaient,  les  Malouins  subirent  des  pertes  énormes, 
soixante-douze  tués  et  une  centaine  de  blessés,  contre  neuf 
hommes   tués  à  l'ennemi.   Les  survivants,  au  nombre  de 


(1)  En  1544,  la  Fantaisie  du  Portugais  Albarès  est  capturée  par  les 
Malouins  Lhostellier  et  Glavegris  (JoL'ON  dks  Loxgrais,  Jacques  Cartier, 
p.  57). 

(2)  Joseph  Haïxon  et  M.  Hakvky,  New/oitiullaiul.  London,  1883,  in-S"  : 
vues  du  port  et  de  la  passe. 

(3)  Le  31  août,  il  est  dit  »  de  présent  au  voiaige  des  Terres  Neufves  »  . 
(Archives  du  Parlement  de  Bretagne,  publié  par  A.  de  L.\  Bordkrie,  dans 
la  Revue  de  Bretagne  et  de  Vendée  (1880),  t.  II,  p.  377V 

(4)  En  avril  1555,  il  passait  à  Bordeaux  avec  la  Marqucrile-Bonnavcn' 
ture,  en  route  pour  Terre-Neuve  (Ibidem). 


«   LES    ISLES    DU    PEROU   ».  593 

cinq  cents,  furent  rapatriés  sur  quelques-uns  de  leurs  bâti- 
ments désarmes,  qu'Eraso,  selon  l'usage  chevaleresque  des 
Espagnols,  leur  i^endit.  A  bord  de  ses  différentes  prises, 
Eraso  n'avait  pas  trouvé  moins  de  cent  trente  bouches  à 
feu. 

Au  moment  où  le  vainqueur  regagnait  triomphalement 
son  port  d'armement,  six  vaisseaux  de  Saint-Jean-de-Luz, 
expédiés  par  le  capitaine  de  Bayonne  avec  ordre  de  recou^ 
vrer  à  tout  prix  nos  bâtiments,  lui  barrèrent  la  route.  Mais 
on  vit  accourir  d'autres  corsaires  de  Saint-Sébastien, 
Domingo  de  Albistur,  Pablo  de  Aramburu  et  Francis  de 
Illareta,  qui  venaient  d'enlever  à  l'abordage  un  beau  galion 
bayonnais  monté  de  deux  cents  hommes,  la  Cuba  ou  la 
Bretonne.  On  se  l)attit  un  jour  entier.  Sous  le  feu  écrasant 
des  Basques,  deux  de  nos  bâtiments  finirent  par  être 
désempai'és,  ce  qui  obligea  les  autres  à  reculer  en  remor- 
quant à  l'aviron  les  deux  infirmes. 

En  voyant  capturer  quarante-huit  de  leurs  navires,  nos 
terreneuviers,  saisis  de  panique,  quittèrent  en  déroute  les 
bancs,  sans  se  douter  que  les  corsaires  basques,  au  nombre 
d'une  trentaine,  s'armaient  de  Deva  à  Pasajes,  pour  les 
cueillir  au  retour. 

Les  Malouins,  furieux,  rêvaient  de  revanche.  Comme 
Henri  II  refusait,  en  1557,  de  laisser  partir  leurs  terreneu- 
viers, ils  déclarèrent  qu'ils  passeraient  outre,  un  sauf- 
conduit  royal  leur  permettant  d'aller  où  bon  leur  sem- 
blait (1).  En  mars  1557,  un  corsaire  en  chausses  rouges, 
casaque  et  cape  noires,  Guillaume  Pépin  de  La  Broussar- 
dière,  semait  l'épouvante  parmi  les  marins  espagnols  (2), 
que  pourchassaient  son  vaisseau  le  Croissant,  la  Lancette, 

(V)  Lettre  du  duc  d'Etaiiipes  au  vicc-ainiral  de  Bouille.  18  avril  1557 
(Doni  MoniCK,  Mémoires  pour  servir  de  preuves  a  l'histoire  de  Bretagne, 
t.  III,  col.   1184). 

(2)  Au  point  que  Philippe  II  mit  embargo  sur  les  flottilles  de  pêcheurs  en 
partance.  21  avril  (F.  Duro,  Arca  de  Noé,  p.  406). 

m.  38 


59*  HISTOIRE    DE    LA    MARINE    FRANÇAISE. 

le  Mal/iein'  et  le  Petit-Cerf  de  Saint-Malo  (  I) .  Les  Normands, 
à  leur  tour,  entraient  en  scène;  et  le  lieutenanl-général 
Martin  Du  Bellay,  Tannée  suivante,  organisait  une  véritable 
expédition  à  Terre-Neuve  (2). 

La  crise,  qui  avait  un  moment  compromis  l'avenir  de.n^s 
pêcheries,  était  conjurée.  La  paix  de  Cateau-Cambrésis'leur 
donna  même  un  tel  essor  que  des  havres  aussi  modestes 
que  Jumièges,  Yatteville  et  la  Bouille  armèrent  jusqu'à 
trente-huit  navires  (3) ,  et  Le  Croisic  vingt-cinq  à  lui  seul  (4) , 
faisant  bonne  figure  à  côté  des  grands  ports  d'armement 
comme  Saint-Malo,  Granville  (5) ,  Fécamp  (6) ,  Bordeaux  (7) , 
et  tantd'autres.  Terre-Neuve  restait  si  bien  notre  domaine, 
que  les  pêcheurs  anglais  demandaient  humblement  aux 
Malouins  la  permission  de  s'y  rendre  (8)  ;  la  nomenclature 
actuelle  de  l'île  affirme  encore,  nous  le  verrons  plus  tard, 
la  prise  de  possession  effectuée  par  nos  marins  normands, 
bretons  et  basques,  de  même  qu'un  nom,  celui  de  Villega- 
gnon,  restera  le  dernier  vestige  de  la  colonisation  tentée  par 
Henri  II  au  Brésil. 

Dans  la  conception  de  notre  rôle  maritime  à  travers  le 
monde,  une  évolution  s  était  lentement  accomplie.  Alors 

(1)  JouON  DKS  LoNGRAis,  Jacijues  Cartier,  p.   101-103. 

(2)  Lettre  de  Martin  Du  Bellay  au  duc  de  Guise.  Glatignv,  2(i  mars  1558 
(Aniericana,  Autographes,  manuscrits,  pièces  et  documents  liistoritiues. 
Librairie  Dufossé,  Paris.  Catalogue  6^  série,  n"  1,  p.  5). 

(3)  Janvier-février  1560  (E.  Gossklin,  Documents  (luthcuticjues. . .  pour 
servir  à  l'histoire  de  la  marine  normande,  p.  13;  Gt  Nouvelles  /flancs  histo- 
i'iqucs  normandes,  p.  7). 

(4)  En  1565  (Archives  de  Nantes,  EE  223). 

(5)  Cf.  pour  1564,  les  arclii\cs  de  Granville,  et  .Ial,  Glossaire  )ututi(jue, 
art.  Hable. 

(6)  "  Il  existe  des  documents  faisant  remonter  cette  pèche  une  trentaine 
d'années  plus  haut  que  1590  "  (Amédée  Hkij.ot,  Fécamp  au  temps  de  la 
T.ique.    Yvetot,  1897,  in-8",  p.  5V). 

(7)  Les  armements  bordelais  commencent  en  1561  (Francisque  Miguel, 
Histoire  du  commerce  de  Bordeaux .  Bordeaux,  1866,  in-S",  t.  II,  p.  337, 
339). 

(8)  En  1591  (H.  Harrisse,  p.  vi). 


«   LES    ISLES    DU    PÉROU  «.  595 

que  les  énergies  de  nos  voisins  se  dépensaient  à  son  mettre 
les  Indes,  nous  n'avions  vu  dans  les  conquêtes  lointaines, 
au  Canada  et  même  en  Corse,  qu'un  exutoire  pour  la  lie 
de  la  population,  pour  «  les  humeurs  peccantcs  »  de  la 
France,  1  selon  l'expression  d'un  colonisateur  du  temps, 
Filippo  Strozzi.  Cette  notion  fâcheuse  s'effaça  avec  un  des 
événements  les  plus  douloureux  de  notre  histoire,  les 
guerres  de  religion.  De  tous  temps,  la  liberté  proscrite  a 
cherche,  par  delà  les  frontières  d'une  patrie  marâtre,  un 
asile  où  se  fixer.  Les  disciples  de  Calvin  crurent  trouver  un 
refuge  au  Nouveau-Monde,  dans  la  France  antarctique  ou 
sur  les  rives  enchanteresses  des  fleuves  de  Floride,  plus 
tard,  sous  la  zone  torride  de  la  France  équinoxiale. 

Puis,  ridée  d'une  plus  grande  France  à  fonder  outre- 
mer,  sans  distinction  de  croyances,  se  fit  jour  dans  les  cer- 
veaux les  plus  puissants  du  règne  de  Henri  IV.  Et  il  se  fallut 
de  peu  qu'un  courant  d'émigration,  sans  cesse  renouvelé, 
jetât  sur  le  Nouveau-Monde  des  milliers  de  colons,  levés 
parla  voie  de  la  conscription  à  travers  toutes  les  paroisses 
de  la  métropole.  Mais  notre  inconstance  nous  perdit  :  et 
ballottés  de  Tx^-mérique  aux  Indes  orientales,  de  l'Afrique 
australe  à  la  France  arctique,  en  proie  à  des  rêves  presque 
aussitôt  évanouis  que  conçus,  nous  fûmes  pendant  près 
d'un  siècle  en  quête  de  l'empire  colonial  à  fonder,  sans 
jamais  aboutir. 


FIN    DU    TOME   TROISIEME. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


CHARLES    VUI 

i/expédition   de   naples 

Evolution  de  la  politique  française.  Les  rêves  chimériques  d'un  enfant  : 
Conquête  du  royaume  de  Naples  et  restauration  de  l'empire  d'Orient. 
Rôle  capital  de  la  marine 1 

l.  Ur«E  FLOTTE  IMPROVISÉE.  — •  Lc  bilan  de  la  Hotte  royale  en  1494.  —  Un 
poète,  Guilloche,  promet  le  concours  des  marins  italiens.  Or,  les  Véni- 
tiens pendent  à  Zante  l'équipage  d'un  de  nos  navires  êclaireurs;  les  Tos- 
cans se  dérobent.  —  Un  amiral  chef  de  brigands.  Toulon  s'éveille  port 
de  guerre.  L'improvisation  d'une  Hotte  à  Gênes 3 

IL  L.\  Conquête. — Escarmouche  de  Porto-Venere  entre  la  flotte  de  Pierre 
d'Urfé  et  la  Hotte  napolitaine  de  Frédéric  de  Tarente  (19  juillet  1494). 
Revue  navale  passée  à  Gènes  par  le  capitaine  général  de  la  Hotte,  Louis, 
duc  d  Orléans.  Bataille  de  Rapallo  entre  Louis  d'Orléans  et  Frédéric  de 
Tarente  (8-9  septembre).  Démonstration  navale  contre  les  ports  toscans  et 
pontificaux,  pour  appuyer  l'armée  d'invasion.  Naples  ouvre  ses  portes  à 
Charles  VIII  :  l'incendie  de  l'arsenal  et  des  vaisseaux  (février  1495). 
Conquête  instantanée  du  royaume  de  Naples.  —  Les  préparatifs  de 
Charles  VIII  pour  passer  en  Orient.  Djem.  La  terreur  des  Turcs..  7 

III.  Li  DÉRACLE.  —  Les  délices  de  Capoue.  Armements  des  Espagnols, 
des  Vénitiens  et  des  Génois  contre  nous.  Charles  VIII  remonte  en 
hâte  vers  le  nord.  L'escadre  de  Miolans  et  Nefve  est  battue  et  cap- 
turée à  Rapallo  par  le  Génois  Spinola  le  More.  La  division  provençale 
de  Villeneuve-Trans  brûle  un  bourg  de  la  Riviera,  oii  l'on  insultait  en 
eftigic  Charles  VIII  (août  1495).  —  Sédition  de  Gaête  réprimée  par 
l'escadre  d'occupation  laissée  au  prince  de  Salerne.  Insurrection  de 
Naples  (juillet).  La  petite  escadre  française  tient  en  respect  la  puissante 
Hotte  du  roi  Ferrand  et  foudroie  les  colonnes  d'assaut  lancées  contre  le 
fort  de  la  Lanterne.  Magnifiques  défenses  de  Trani  et  de  Tarente.  Bom- 
bardement de  l'escadre  française  de  La  Chapelle  réfugiée  sous  le  château 
de  rOEuf.  Contre-attaques.  Capitulation  à  terme  du  Castel  Nuovo  et  de 
1  escadre  française  sous  Naples  (octobre).  L'escadre  prove"'''led'Aleman 


508  TABLE    DES   MATIERES. 

d'Aibenlest  dispersée  aux  iles  Ponza  par  la  flotte  de  blocus.  Capitulation 
du  château  de  l'OEuf  (décembre).  —  Défense  de  Gaète.  Le  lieutenant 
général  Fregoso,  puis  une  petite  division  amènent  des  secours,  malgré 
la  croisière  de  blocus  hispano-vénitienne  (janvier  et  juillet  1496).  Appel 
désespéré  des  assiégés.  Capitulation  de  Gaète  (novembre).  Perte  du 
royaume  de  Naplcs.  —  L'escadre  de  Bretagne,  mandée  à  la  rescousse, 
secourt  Pise  assiégée  par  l'empereur  Maximilien  (octobre).  Les  Génois 
mates.  Un  vrai  marin  succède  à  nos  amiraux  d'occasion 17 


LOUIS    XII 

LA     F  R  A  A  ^^  E     EN     OUI  E  N  T 

Louis  XII,  roi  de  Jérusalem  et  des  Deux-Siciles^  duc  de  Milan,  seigneur  de 
Gênes 37 

I.  Uke  bataille  de  Navarix-Lépaxte  iGNORiÎE.  —  Silence  des  historiens 
français  sur  cette  bataille  de  quatorze  jours  (12-25  août  1499).  Soixante 
mille  Turcs  et  Vénitiens  en  présence.  L'escadre  française  de  Guy  de 
Blanchefort  arrive,  le  18,  au  secours  des  Vénitiens.  Ordre  de  bataille 
adopté  par  Grimani  et  Blanchefort.  Action  d'éclat  de  la  Charente.  Pusil- 
lanimité de  Grimani  qui  bat  en  retraite.  —  Brillante  croisière  de  Prégent 
de  Bidoux  à  Volo,  Schyros  et  Xègrepont  (1500).  René  Parent  rallie  les 
Vénitiens  sous  le  fort  Saint-Georges  de  Céphalonie.  Ses  rodomon- 
tades          38 

II.  ExPÉDiTiOJX  DE  MiTYLÈNE.  —  Louis  XII  et  Anne  de  Bretagne  arment 
contre  les  Turcs  les  escadres  du  Ponant  et  du  Levant,  de  quatorze  bâti- 
ments chacune,  sous  les  ordres  de  Philippe  de  Clèves.  amiral  des  royaumes 
de  Xaples  et  Jérusalem  (1501).  Sur  l'avis  de  Bidoux  et  de  Staglieno,  on 
gouverne  sur  Mitylènc,  excellente  base  d'opérations  pour  attaquer  les 
Turcs  à  la  sortie  des  Dardanelles.  Malgré  le  concours  de  Pesaro,  capi- 
taine général  des  Vénitiens,  des  assauts  répétés  contre  Mételin  échouent. 
Le  Grand  et  le  Petit  Porcon,  capitaines  de  la  Charente  et  de  la  division 
normande,  sont  tués.  Durant  la  traversée  de  retour,  le  vaisseau-amiral  la 
Lomellina  et  la  Pensée  sombrent  sur  les  écueils  de  Cythère '.        46 

III.  Siège  du  fort  Sasta-Madra.  ■ —  Prégent  de  Bidoux  concourt  active- 
ment avec  les  escadres  vénitienne  et  pontificale  à  la  prise  du  fort  de 
Santa-Maura,  dans  l'ile  Leucade  (30  août  1502).  Patriotique  réponse  de 
Prégent  aux  Vénitiens  qui  veulent  le  retenir  à  leur  service.  —  Les  Véni- 
tiens se  rapprochent  des  Turcs  en  vue  du  percement  de  l'isthme  de 
Suez  (1504).  Projet  d  expédition  française  en  Egypte  et  Syrie.,  ,.        56 


EXPEDITIONS    D'ITALIE 

i.  CA.MrAG>E  DE  Xai'le.s.  —  Le  partage  du  royaume  de  Aaples  entre 
Louis  XII  et  Ferdinand  le  Catholique  (1500),  est  bientôt  suivi  d'une 
guerre  entre  les  deux  rois.  L'escadre  du  capitaine  général  Louis  de  Bigars 
ne  peut  venir  au  secours  des  quatre  galères  de  Bidoux,  cernées  à  Otrante 


TABLE   DES    MATIERES.  599 

par  Lezcano  :  Bidoux  coule  lui-même  ses  galères  pour  ne  pas  baisser  pa- 
villon (16  février  i503\  —  Le  vice-roi  François  de  Saluées  et  Prégent 
de  Bidoux  amènent,  de  Marseille  et  de  Gènes,  deux  escadres  au  secours 
de  Bigars  et  cernent  dans  le  port  d'Ischia  la  flotte  de  Lezcano  et  Villa- 
uiarin  ijuin).  Pour  avoir  voulu  la  prendre,  au  lieu  de  l'incendier,  Bidoux 
la  laisse  échapper.  —  I^a  flotte  française  participe  à  la  défense  de  Gaète. 
Le  lieutenant-général  Antoine  de  Conflans  amène  une  nouvelle  division 
navale^  après  un  vigoureux  engagement  contre  Villamarin  dans  les  parages 
de  Port'Ercole  (août).  Diversion  de  Bidoux  dans  le  golfe  de  Napics 
(octobre).  Capitulation  de  Gaète  (l"^^  janvier  1504).  —  Croisière  de  Portz- 
moguer  dans  le  Ponant.  —  L'escadre  marseillaise  du  bâtard  Henc  de 
Savoie  protège  la  retraite  de  l'armée  qui  assiégeait  Salscs  (oc- 
tobre 1503) 60 

II.  RÉVOLTE  DE  GÈiS'ES.  —  Collision  entre  la  noblesse  génoise  et  «  le  peuple 
gras  1),  qui  se  révolte  contre  la  France  et  chasse  notre  garnison  (1507). 
Bidoux  accourt  et  barre  l'accès  du  port  à  la  flotte  génoise  envoyée  contre 
Monaco.  Louis  XII  fait  guillotiner  les  meneurs.  Erection  du  château-fort 
de  Godefa îi 

III.  Complication  iN.iTTKNDUE.  Ux  corsair?:  trop  ciievalerksoue.  —  Deux 
gentilshommes,  Chapperon  et  d'Aulon,  épousent  la  cause  du  duc  Charles 
de  Gueidre,  attaqué  par  les  Flamands.  Leurs  croisières  dans  le  Ponant 
(1507).  L'amiral  de  Flandre  et  l'empereur,  exaspérés  par  ces  attaques, 
arment  contre  nous.  —  Les  Vénitiens,  nos  alliés,  battent  les  troupes 
impériales.  —  Réorganisation  de  notre  marine  de  guerre  aux  trais  des 
amiraux,  des  provinces  et  des  villes  (1507-1509) 7o 

IV.  Guerre  (joktre  Venise.  —  La  Ligue  de  Camlirai  dirigée  contre  Venise. 
La  flotte  de  Trevisano  est  coulée  dans  le  Pô  par  nos  batteries  de  ca»i- 
pagnc  (22  décembre  1509) 81 

V.  Guerre  contre  Venise  et  le  Saint-Siège.  —  Bidoux,  rappelé  de  croi- 
sière pour  couvrir  Gênes  contre  Biassa  et  Contarini,  attaque  à  la  fosse  de 
Villamarino  les  capitaines  généraux  du  pape  et  de  Venise.  Contre  sa  for- 
mation de  combat,  trois  lignes  et  trois  étages  de  feux,  les  alliés  ne  peuvent 
tenir  ^19  juillet  1510).  —  Nouveaux  engagements  à  Vado  (5  septembre) 
et  Capo  di  Monte  ;^8  septembre)  :  nouveaux  triomphes  de  l'ordre  pro- 
fond sur  la  formation  en  croissant  adoptée  par  Contarini 8  »• 


LA    SAINTE-LIGUE 

Le  pape,  1  empereur,  les  rois  d'Espagne  et  d'Angleterre,  les  Suisses,  les 
Républiques  italiennes  se  liguent  contre  la  France  (1511) 89 

I.  La  nÉEENSE  DES  CÔTES  DU  PoNANT.  —  Mobilisation  générale  de  la  Hotte. 
Le  corsaire  malouin  Roussel.  Un  plan  de  campagne  anglais.  Les  paysans 
bretons,  menacés  d'excommunication,  ne  résistent  pas  à  la  descente  de 
l'amiral  Howard 90 

II.  La  Cordelière  et  le  liégcnl.  —  Nouvelle  apparition  de  I  amiral  Howard 
au  large  de  Saint-Mathieu.  Le  vice-amiral  de  Clermont  se  porte  de  Brest 
à  sa  rencontre,  puis  se  dérobe.  Sa  nef,  la  Louise,  est  démâtée  par  Howard  : 
la  Coideliète  et  la  Dieppoise  restent  seules  aux  prises  avec  la  flotte  an- 


60J  TABLE    DES    .MATIERES. 

glaise  i  10  août  J5i2).  Assaillie  par  quatre  vaisseaux,  la  Cordelière  s'ac- 
croche au  Re'qeiit  et  se  fait  sauter  avec  lui.  Querelle  d'humanistes  à  l'oc- 
casion de  ce  magnifique  exploit.    Portzmoguer-Primauguet 93 

III.  Combat  naval  dks  BLANcs-SABLO^s  aux  «  CROYX-PniMOGrET  » .  —  Ras- 
semblement des  escadres  bretonne,    normande   et   pro\ençale  dans    «  la 

.  Chambre  de  Brest  "  .  Howard  met  en  bouteille  le  vice-amiral  Du  Chillou, 
en  bloquant  le  goulet  (avril  1513).  Menacé  d'une  attaque  à  revers  par 
Progent  de  Bidoux  qui  revient  du  nord  avec  dix  le'gers  bâtiments,  Howard, 
avec  une  division  détachée  de  la  flotte  de  blocus,  essaie  de  déloger 
Bidoux  de  la  baie  des  Blancs-Sablons.  Sa  division  est  écharpée  par  les 
batteries  delà  pointe  de  Kermorvan  et  par  le  feu  des  galères;  lui,  il  est 
tué  en  sautant  à  bord  de  la  capitane  française  (25  avril).  Bidoux  fait 
repécher  son  corps.  Terrorisés  par  nos  galères,  les  Anglais  lèvent  le  blocus 
de  Brest.  —  La  flotte  franco-écossaise  de  Louis  de  llouville  et  Gordon  de 
Letterfury  tente  de  capturer  Henri  VIII  dans  le  pas  de  Calais  (octobre). 
—  Coup  de  main  de  Bidoux  contre  Brighton  (avril  1514).  Les  amiraux 
Windham  et  Thomas  Howard  tentent  vainement  d'envelopper  ses  galères 
à  Boulogne  (mai).  Désintéressement  sublime  de  l'amiral  de  Graville  : 
«  le  soulaigement  du  povre  peuple  » lOll- 

IV.  Un  siège  de  deux  ans.  La  défense  de  i-a  Mauvoisine.  —  La  Mauvoi- 
sine  de  Godefa,  la  seule  redoute  que  nous  gardions  à  Gênes,  résiste, 
deux  ans  entiers  (23  juin  1512-26  août  1514),  aux  attaques  des  armées 
et  des  flottes  de  la  Sainte-Ligue.  Les  forccurs  de  blocus  :  Janot  le  Mar- 
seillais, Cristol  Esclavon,  Paul  Corse.  Les  dépêches,  en  langage  chiffré, 
du  gouverneur  de  la  place  :  ses  hommes,  manquant  de  tout,  se  battent 
tous  nus.  L'intervention  navale  du  lieutenant-général  Claude  Durrc. 
Capitulation.  —  Glorieux  combat,  près  d  Aigues-^Iortes,  entre  une  petite 
division  et  la  flotte  de  Doria  (août  1514).  Bidoux  détruit  huit  galions 
génois  à  Varazze 116 


LE  NOUVEAU  MONDE 

I.  Le  voyage  Dh:  LItx/joir  Es  Inde.s  méiudionalks  et  occidentales.  — - 
L'écho,  à  Honfleur,  de  la  découverte  de  Christophe  Colomb  :  les  Nou- 
velles admirables  ;  le  manuscrit  de  Marco  Polo  acquis  par  la  confrérie 
des  marins  de  Honfleur.  Les  Normands  et  les  Bretons  furent  les  premiers 
Européens  qui  abordèrent  au  Brésil.  —  Journal  de  voyage  de  l'Espoir 
de  Honfleur  es  Indes  méridionales  et  occidentales,  c'est-à-dire  dans  la 
partie  méridionale  et  septentrionale  du  Brésil,  au  rio  San-Francisco-do- 
Sul  et  à  Bahia  (24  juin  1503-20  mai  1505)  I.  Espoir  n'a  pu  doubler  le 
Cap  de  Bonne-Espérance  et  aller  à  Calicut  :  il  est  capturé,  au  retour, 
près  de  Jersey.  Le  premier  Indien  raïuené  en  France.  —  Croisière  du 
corsaire  Mondragon  dans  le  canal  de  Mozambique  (1506) 129 

II.  Terre-Neuve.  —  Les  Bretons  en  possession  du  «  secret  de  Terre- 
Neuve  ».  Un  canot  d'Indiens  à  la  dérive  est  amené  à  Rouen  (1509). 
Terre-Neuve  est  le  flef  de  nos  marins.  La  dîme  payée  à  Bréhat  (1514), 
La  Hougue  ri520)  sur  les  morues  de  Terre-Neuve 138 


TARLK    DES    MATIÈRES.  601 

FRAA'ÇOIS   l"' 

I.A     I-nANCE     COTRE     l' ISLAM 

François  I"  promoteur  d'une  croisade 141 

I.  BARBEnonssK.  —  Exploits  fabuleux  d'Ilaroudj,  dit  Rarljerousse,  dont 
Kidoux  et  Federijjo  Frcgoso  tentent  vainement  de  brûler  la  Hotte  dans  la 
rade  de  Bizerte  (1516\  — Pero  Navarro,  un  "  Africain»  renomme,  passé 
au  service  de  la  France,  dirige  diverses  expéditions  françaises,  également 
infructueuses,  vers  l'île  Lampedouse  (1516),  contre  El-Mehdiah  (1517) 
et  Monastir  (1518).   Sanglante  riposte  des  musulmans 11i-2 

II.  Le.s  der:?;iers  jours  de  Rhodes.  —  Préliminaires  d'une  croisade  contre 
les  Turcs  de  Constantinople  :  le  plan  franco-impérial  (1518).  Les  divi- 
sions françaises  de  Prégcnt  de  Bidoux  et  de  Chanoy  sont  envoyées  aux 
renseignements  (1518).  Chanoy  détruit,  après  un  vif  combat  au  cap  Sa- 
lamone  en  Crète,  la  division  turque  qui  transporte  le  tribut  de  l'Egypte 
(janvier  1519).  Il  repart,  avec  quinze  vaisseaux  et  galères,  pour  secourir 
les  Hospitaliers  de  Rhodes.  Il  est  tué  au  cours  d'une  attaque  contre  Bey- 
routh, et  les  têtes  de  ses  soldats  sont  tichées  par  centaines  aux  créneaux 
,9  octobre  1520).  Son  lieutenant,  Saint-Rlancard,  bat  dans  les  parages 
de  Schyros  l 'arrière-garde  de  Kara-Mahmoud  (mai  1521).  —  La  guerre 
avec  Charles-Quint  nous  oblige  à  refuser  au  grand  maître  Villiers  de 
L'Isle-Adaui  les  divisions  de  ^Navarro  et  de  Baux.  Rhodes  défendu  par 
L'Isle-Adam  et  Bidoux  contre  le  sultan.  Appels  désespérés  du  grand 
maître  à  François  I"'.  Capitulation  de  Rhodes  (25  décembre  1522).  — 
Bidoux  meurt  à  la  suite  d'un  combat  victorieux  contre  un  corsaire  turc 
(août  1528) 148 


RIVALITE   DE  FRANÇOIS   I"  ET   DE   CHARLES-QUINT 

P  R  K  M  I È  R  E     n  V  ERRE 

I.  En  QUÊTE  d'alliances.  —  "  En  paix  gardée,  il  n'y  a  guère  d'amour  »  . 
Projet  d'alliance  avec  Christian  de  Danemark,  auquel  nous  envoyons  un 
millier  d'hommes  sur  l'escadre  du  prince  Gaston  de  Brézé.  Campagne  de 
Suède  (1519).  —  Entente  avec  l'Angleterre  pour  réglementer  la  piraterie 
(1518).  Le  Camp  du  Drap  d'Or.  Henri  VIII  s'érige  en  juge  entre  Fran- 
çois I"  et  Charles-Quint  (1520).  Recensement  de  nos  forces  navales. 
Agressions  déguisées  de  la  France  contre  la  Navarre,  de  l'Empire  contre 
Gènes  (1521V  —  Surprise  méditée  contre  notre  flotte  :  Henri  VIII  jette 
le  masque  et  prend  parti  pour  l'empereur  (15221 164 

IL  La  PATRIE  ES  DANGER.  —  «  Le  temps  est  tel  qu'il  faut  que  chacun 
s'esvertue  à  faire  service  et  garder  son  pays.  »  Arniements  en  masse.  La 
création  du  Havre-dc-Grace.  Attaque  de  l'amiral  Thomas  Howard  contre 
Saint-Pol-de-Léon  et  Morlaix  (juin  1522).  Richard  de  La  Pôle,  notre 
hôte,  ne  parvient  pas  à  relever  l'étendard  de  la  Rose-Blanche  en  Angle- 
terre. L'escadre  de  Lartigue  et  Vidal  de  Plantade  transporte  en  Ecosse 


602  TABLE    DES    MATIERES. 

un  corps  d'année  (septembre  1523).  —  Le  Trépoit  brûlé  par  le  vice- 
amiral  Fitzwilliam.  Exploits  tic  corsaires  dieppois  contre  l'escadre  anglaise 
de  la  mer  ilu  iSord  (1523-152V)  et  contre  une  Hotte  espagnole  dans  le 
golfe  du  Morbihan  (1525) ^ 172 

III.  L'ixvASiON  DE  LA  PROVENCE.  —  L'amiral  de  Tende  essaie  vainement  de 
sauver  Gênes  :  Navarro,  commandant  lavant-garde  de  notre  escadre,  est 
capturé  par  les  Impériaux  (28  mai  1522).  —  L'oubli  d'un  signal  empêche 
André  Doria  de  planter  sur  Monaco  notre  pavillon  (août  15231.  • — Projet 
d'envoyer  dans  le  Levant  la  Graude-Françoyse,  «  bouUevert  Hottant  qui 
gardera  Nysse  et  saulvera  la  Prouvence  n  .  La  Provence  envahie  par  le 
connétable  félon  Charles  de  Bourbon,  appuyé  par  la  flotte  de  Moncada 
(juin  1524').  L'amiral  de  La  Fayette  arrive  à  enrayer  la  marche  de  la 
flotte  de  Moncada,  qu'il  bat  près  de  l'embouchure  du  Var.  Il  seconde 
activement  la  défense  de  Marseille,  dont  Bourbon  est  contraint  de  lever 
le  siège  (24  septembre).  Il  inflige  une  nouvelle  défaite  à  Moncada  à  Va- 
razze  (29  janvier  1525)  et  bombarde  Gênes  (30  janvier) 185 

IV.  Après  Pavie.  • —  Après  la  défaite  de  François  \"  à  Pavie,  nos  marins 
s'apprêtent  à  enlever  au  passage  le  roi  prisonnier.  François  \"  écarte  sa 
dernière  chance  de  salut  et  fait  escorter  de  ses  galères  la  flotte  ennemie 
qui  l'emmène  en  Espagne 196 

Y.  La  i.tgue  de  Cognac.  —  Réfection  de  notre  flotte  du  Levant.  Ligue  du 
roi  et  des  Etats  d'Italie  contre  l'empereur.  La  flotte  confédérée,  com- 
mandée par  Pero  Navarro,  attaque  Gênes  (2  septembre  1526).  Une  de 
ses  divisions  livre  bataille  à  Sestri-Levante,  à  l'escadre  d'Alarcon  et  Lanoy 
qui  amène  des  secours  aux  Génois  (22  novembre).  Lanoy  prend  pied  en 
Italie.  —  Doria  et  Louis  de  Lorraine- Vaudémont  s'emparent  de  Castel- 
lamarc,  Sorrente  (février  1527),  bloquent  Naples  (6  mars)  et  se  rendent 
maîtres  de  Salerne  (17  mars).  —  Rome  mise  à  sac  par  l'armée  de  Bour- 
bon. —  André  Doria  capture  à  Portotino  la  flotte  génoise  de  Giustiniano 
(15  août).  Gènes  capitule  (19  août) 201 

VI.  L'EXPÉniTiOiN  DE  Sardaigne.  —  Pero  Navarro  et  Renzo  da  Cei-i  préco- 
nisent une  expédition  en  Sicile,  Sainl-Blancard,  Doria  et  le  provédifeur 
Moro  une  descente  en  Sardaignc.  Débarquement  à  Caslel  Sardo,  en  Sar- 
daigne.  Prise  de  Sassari.  La  peste  à  bord.  Retour  de  Saint-RIaneard  en 
France  et  de  Doria  en  Italie  (février  1528V  André  Doria  ne  peut  plusse 
faire  obéir  des  capitaines  français 213 

VII.  Bataille  dt:  C.\p  d'Orso.  —  Filippino  Doria,  qui  a  ordre  d  appuyer 
les  opérations  de  Lautrec  dans  le  royaume  de  Naples,  enlève  au  large 
d'Ostie  une  flottille  espagnole  chargée  des  dépouilles  de  Rome  (16  fé- 
vrier 1528)  et  bloque  Naples.  Attaqué  au  cap  d'Orso  par  l'escadre  de 
Moncada,  il  met  en  réserve  la  division  Lomellino,  qui  intervient  au 
milieu  de  la  bataille  et  achève  la  débâcle  des  Espagnols  (28  avril).  Gom- 
ment Vieilleville  emmené  prisonnier  s  enqjara  des  deux  galères  qui 
avaient  éi  happé  à  la  dcbàcli , 220 

VIII.  Lb^  LAURIERS  DE  LA  DEEAUE.  —  Fdippino.  puis  Andrc  Doria,  sont 
furieux  qu  on  veuille  leur  enlever  les  prisonniers.  L'un  des  prisonniers, 
le  marquis  dcl  Vaslo,  en  gagnant  Doria,  récolte  les  lauriers  de  la  défaite. 
Doria  passe  au  ser\ice  de  Charles-Quint  (10  août) 228 

IX.  ChaojÉj  d  Italie.  —  Barbesieux,  le  nouveau  capitaine  général  de  notre 


TADLE    DES    MATIÈRES.  6'i3 

llollp,  qui  va  seconder  l'attaque  de  Lautrcc  contre  Naplcs,  est  mis  en 
fuite  par  Doria  ;  il  perd  près  de  Gênes  quatre  galères  et  revient  à  Mar- 
seille dans  une  panique  folle  (15  septembre).  Malgré  l'ordre  formel  du 
roi,  il  n'ose  risquer  sa  flotte  pour  dégager  Savone,  qui  capitule  (21  oc- 
tobre). Trivulce  est  chassé  de  Gênes  (28  octobre).  Barbcsieux  reçoit  ordre 
de  couvrir  Toulon  (novembre).  François  I"  se  résigne  à  la  pai.v  (3  août 

1529) '. 232 

X.  Au  SKRVicE  DE  L'EMPEREtTR.  —  Nos  galères,  prêtées  à  l'empereur  aux 
termes  du  traité  de  Cambrai,  coopèrent  à  l'expédition  de  Doria  contre 
Cherchell  et  Alger  (1530).  Elles  nous  sont  rendues  dans  un  état  lamen- 
table        240 


ANGO 

hX     LIBER  T  É     DES     M  ER  S 

I.  L.\  Re>aiss.\>ce  Florentine  a  Dieppe.  —  Fresques  et  sculptures  à 
l'italienne  de  l'hôtel  et  du  manoir  de  l'armateur  Ango.  Fuorusciti  floren- 
tins à  Dieppe  et  Rouen  :  Brunelleschi,  Toscanelli,  Rucellaï,  Verrazzano. 
Les  poésies  d'un   navigateur 2-l'0 

II.  La.  Cokquête  des  trésors  du  Mexique.  —  Gortès  envoie  en  Europe 
les  œuvres  d'art  splendides  des  trésors  de  Montézuma.  Les  équipages, 
décimés  par  des  jaguars,  sont  battus  aux  Açores  par  Jean  Fleury  et  les 
corsaires  d'Ango;  les  trésors  capturés  (1523).  L'ex-voto  de  Villcquier. 
Combat  naval  du  cap  Saint-Vincent  :  Fleury,  vaincu  par  Martin  Pérez  de 
Irizar,  est  pendu  par  ordre  de  Charles-Quint  (1527).  —  Le  triomphe 
d'Ango 249 

III.  A  LA  RECHERCHE  DES  IxDES  DU  Cathay  :  Verrazzaxo.  —  Les  quatre 
routes  de  l'Inde.  Confusion  commise  par  les  historiens  entre  Jean  Fleury, 
dit  Florin,  et  Giovanni  Verrazzano  de  Florence.  Armateurs  italiens  en 
France  :  des  Centurione  établis  à  Rouen,  l'un  est  raffineur  au  Brésil, 
l'autre  cherche  la  route  de  l'Inde  par  la  Moscovie.  Multiples  armements 
de  Verrazzano  pour  le  Cathay,  aux  frais  d'un  syndicat  florentin-lyonnais 
où  entre  Ango  (1523-1524),  puis  de  marchands  de  Rouen  et  de  Troycs 
(1524),  enlin  de  l'amiral  Chabot  et  d'Ango  (1526).  Son  exploration  des 
côtes  de  l'Amérique  du  Nord  :  nomenclature  mi-florentinc,  mi-normande 
des  cartes  verrazzanienncs.  Autres  voyages  par  le  nord-est  de  l'Europe  et 
le  détroit  de  Magellan.  Mort  tragique  de  l'explorateur 255 

IV.  L'expédition  des  Parmentier  a  Sumatra.  —  La  première  expédition 
française  dans  l'Océan  Indien  (1527\  Supplique  de  l'équipage  du  Grand- 
Anglais,  de  Rouen,  prisonnier  du  sultan  de  Diu,  dans  l'Hindoustan 
(1528).  —  Journal  de  voyage  du  Sacre  et  de  la  Pensée,  envoyés  par 
Ango  à  Sumatra  (1529-1530'  :  l'escale  des  frères  Parmentier  à  Mada- 
gascar; 1  arrivée  a  Tieou  ;  la  fourberie  malaise 267 

V.  A    LA    RECHERCHE    DES    ILES    MoLUOUES    PAR    LE    DKIROU     DE    MaGKLLAN.    

Expédition  organisée  par  Ango,  La  Meilleraye  et  le  duc  d'Albany  pour 
les  Moluques  :  plan  du  voyage  de  circumnavigation  dressé  par  le  pilote 
Leone  ['ancaldo,  ancien  compagnon  de  Magellan  (1531).  Les  agents  por- 


604  TABLE   DES    MAtlÊRÈS. 

tugais  débauchent  Pancaldo  et  les  autres  pilotes  engagés  par  Ango.  — 
Les  vaisseaux  d'Ango  ont-ils  été  en  Chine?  Un  explorateur  du  Pacifique, 
Pacheco,  au  service  de  François  I"  (1539) 274 

VI.  Notre  PREMii-;nE  colome  :  l'île  Saint-Alexis,  au  Brésil.  —  Un  diplo- 
mate apothicaire.  Combat  entre  Rodrigo  d'Acunha  et  des  bâtiments  de 
Saint-Pol-de-Lcon  au  Brésil  (1526).  Les  Bretons,  premiers  occupants  du 
pays,  enterrés  vifs  par  les  Portugais.  Noble  protestation  d'un  pilote  d'Ango 
contre  les  prétentions  lusitaniennes.  Etablissement  fondé  à  l'ile  Saint- 
Alexis,  près  de  Pernambouc,  par  la  Pèlerine,  appartenant  au  baron  de 
Saint-Blancard  (1530).  Capitulation  du  comptoir,  assiégé  par  l'escadre  de 
Lope  de  Sousa  (1531).  —  La  revanche  prise  par  Ango  sur  les  Portugais  : 
le  pseudo-blocus  de  Lisbonne.  L'intervention  de  Charles-Quint,  puis  de 
l'amiral  Chabot  contre  lui.  Ses  bâtiments  l'Alouette  et  la  Michelle,  cap- 
turés au  Brésil  (1532) 278 

V[I.  UxE  BASE  NAVALE  AU  Maroc.  —  L'ambassade  du  colonel  Pierre  de  Piton 
à  Fez.  Journal  de  route  du  Saiiit-Pie/'ie.  Tragique  rivalité  du  colonel  et 
du  capitaine  de  vaisseau  Auxilia.  Projet  de  conquête  du  Maroc.  Trahison 
d'Auxilia.  Mort  de  Piton.  T^cs  ports  marocains  ouverts  à  nos  marchands 
et  à  nos  corsaires  (1533) 287 

Vin.  La  COURSE  dÉciiaînée.  —  La  mer  est  commune  à  tous,  déclare  Fran- 
çois l"'  diins  des  lettres  de  marque  contre  les  F^ortugais  (1533).  La  lutte 
pour  la  liberté  des  mers  :  l'amiral  Chabot,  complice  des  Portugais  et 
soudoyé  par  eux,  triomphe  du  syndicat  des  armateurs  normands  :  des 
patentes  répétées  interdisent  toutes  navigations  aux  possessions  portu- 
gaises d'Afrique  et  d'Amérique  (1537-1539).  —  Horrible  supplice  de 
l'équipage  dieppois  du  Petit-Lion  aux  Açores.  Mobilisation  judiciaire 
contre  les  corsaires  Pradict  et  Turegal,  du  Croisic.  L'épouvante  causée 
par  nos  corsaires  aux  Antilles.  «  Eternuez  lor!  "  Descentes  répétées  à 
Porto-Rico,  Saint-Domingue,  Cuba 290 

IX.  Mare  apertuji-Mare  clausuii.  —  Mare  apcrtum .'  L'amiral  Chabot 
incarcéré,  la  prohibition  de  naviguer  au  Brésil  et  en  Guinée  est  levée 
(1540).  Un  mot  de  François  l"  :  "  Je  voudrais  bien  voir  la  clause 
du  testament  d'Adant  qui  m'exclut  du  partage  du  monde.  «  Congés  de 
"<  navigation  par  la  mer  ludicque  »  :  mémoire  du  capitaine  Jean  Denne- 
bault  sur  le  mécanisme  économique  de  ces  voyages  au  long  cours.  Arme- 
ments d'Ango,  etc.  pour  le  rio  de  la  Plata.  Agenda  de  l'armateur  rouen- 
nais  Jean  Cordier,  avec  des  dictionnaires  de  conversation  français-guinéen 
et  français-brésilien.  Nouvelles  tentatives  des  Portugais  et  des  Espagnols 
pour  entraver  nos  expéditions  (1541).  Ripostes  de  nos  corsaires  aux 
Antilles.  Croisière  d'une  escadre  bayonnaise  contre  les  ports  de  Santa* 
Margarita,  Santa-Marta  et  Carthagène  (1543).  —  Mare  clausiini .' Yran- 
çois  I"''  interdit  à  ses  sujets  d'aller  au  Pérou  et  aux  colonies  espagnoles 
(1545)  :  Henri  II  fait  la  même  prohibition  pour  les  possessions  portu- 
gaises (1547).  —  Derniers  vestiges  du  principe  de  la  liberté  des  mers  :  la 
mésaventure  d'un  Vénitien  en  France 296 

X.  Les  derniers  .iours  d'Ango. —  Le  défenseur  de  la  liberté  des  mers  meurt 
ruiné,  ruiné  par  les  prohibitions  royales  et  par  ses  sacrifices  pécuniaires 
pour  armer  notre  flotte  contre  l'Angleterre  (1551) 305 


TABLE    DES    MATIERES.  605 


JACQUES   CARTIER 


LA    DECOUVERTE     DU     CANADA 


I.  Premier  voyage  :  Larrador  et  raie  des  Chaleurs.  —  Joyaux  et  colliers 
d'or  rapportés  d'Amérique  par  le  terreneuvier  breton  Nicolas  Don  (1526). 
■ —  Voyage  du  malouin  Jacques  Cartier  organisé,  aux  frais  du  Trésor, 
pour  des  ilcs  aux  gisements  d'or  (1534).  Cartier  entre  dans  le  détroit  de 
Belle-Isle  et  va  jusqu'à  Gaspé,  près  de  l'embouchure  du  Saint-Lau- 
rent        307 

II.  Second  voyage:  Canadv  et  Hociielaga.  —  Des  vigies  détachées  par  les 
Indiens  hurons  attendent  le  retour  de  Cartier,  qui  remonte  le  Saint-Lau- 
rent et  visite  Stadaconé,  le  Québec  futur,  capitale  du  Canada,  et  Hociie- 
laga, plus  tard  Montréal  (1535).  Complot  et  punition  des  chefs  hurons. 
Retour  en  France  (1536) 311 

III.  Troisième  voyage  :  Charlesbourg  royal.  Les  mines  du  Saguesay.  — 
L'erreur  de  Cartier  :  le  Canada  est  «  un  bout  de  l'Asie  "  .  Le  Malouin 
nommé  capitaine-général  d'une  expédition  nouvelle,  et  Roberval  lieute- 
nant-général de  la  colonie  (154-1).  Le  pèlerin  de  Rocamadour  et  le  liber- 
tin. La  relcgation  au  Canada.  Cartier  part  de  l'avant  avec  cinq  navires. 
Fondation  de  Charlesbourg-Royal  au  confluent  du  Saint-Laurent  et  de  la 
rivière  du  Cap-Rouge.  Exploration  jusqu'à  Carillon.  L'atlas  perdu  de 
Cartier.    Départ  (1542) 315 

IV.  Roberval  :  Fort-de-France-Roy.  L'île  de  la  Demoiselle.  —  Armements 
de  Roberval  à  Honfleur.  Ses  déboires.  Fâcheuse  liaison  avec  ie  pirate 
Lartigue.  Le  pilote  Jean  Alfonse.  Départ  de  Roberval  et  de  ses  colons 
(1542).  Rencontre  de  Jacques  Cartier  à  Terre-Neuve  :  Cartier  revient  en 
France  avec  des  tonnes  pleines,  croit-il,  d'or  et  de  diamants.  Immense 
désillusion.  Faux  connue  un  diamant  du  Canada.'  —  Le  supplice  de  la 
relégation  :  l'ile  de  la  Demoiselle.  Roberval  s'établit  à  Charlesbourg- 
Royal,  qu'il  baptise  France-Roy.  En  route  pour  le  Saguenay.  La  fin  de 
la  relation  de  voyage  est  perdue.  —  L'évacuation  du  Canada  (1543).  — 
Roberval  échappe  à  l'incendie  du  carracon  le  Philippe  et  obtient  le  mo- 
nopole de  l'exploitation  des  mines  en  France.  Cartier,  honoré  de  l'estime 
et  des  visites  de  Rabelais,  Cabot,  Thevet,  meurt  à  Saint-Malo  en 
1557 321 

V.  La  mort  du  pilote  Alfonsk.  —  Après  avoir  achevé  une  Cosnwqrapliie 
(1544),  le  pilote  Jean  Alfonse  quitte  La  Rochelle  à  la  tète  de  trois  vais- 
seaux de  course  :  après  de  nombreuses  prises,  il  est  pourchassé  et  tué 
par  Menendez  (1544).  —  Le  plagiat  de  sa  Cosmographie  par  Séca- 
lart ". 330 


CROISADE   OU   ALLIANCE   TURQUE? 

I.  Velléité  de  croisade.   ^  Les  corsaires  barbaresques  mettent  à  sac  La 
Napoule  (juin   1530).  Armement  d'une  flotte  contre  Barberousse.  Fran- 


606  TABLE    DES    MATIÈRES. 

cois  I"  refuse  au  pape  d'en  confier  le  commandement  à  Doria  (1532).  Le 
roi  de  Tunis  nous  envoie  des  présents  :  Henri  VIII  promet  de  concourir 
à  la  Croisade,  si  on  lui  permet  de  divorcer 334 

II.  L'estrp;vuk  du  pape  et  du  roi  a  Marseille.  —  Clément  VII,  que  la 
flotte  de  Stuart  d'AIbany  a  été  quérir,  refuse  d'accéder  à  la  demande  de 
Henri  VIII    (1533) 338 

III.  Les  capitulations.  —  Trêve  marchande  (1535),  puis  alliance  formelle 
(1536)  avec  le  sultan.  La  prépondérance  française  dans  le  Levant  :  notre 
commerce  maritime  dans  les  Echelles 342 

IV.  L'amie  DU  BAROS  DE  Saikt-Blaxcard.  —  Société  d'armements  en  comman- 
dite formée  par  l'Avignonnaise  Magdeleine  Lartessuti  et  le  général  des 
galères.  Comment  la  défense  maritime  de  Marseille,  en  1536,  fut  orga- 
nisée par  une   femme 346 

V.  Les  Lyokxais  armateurs.  —  Commanditaires  de  l'expédition  de  Verraz- 
zano  dans  la  Franciscane,  ils  organisent  des  voyages  au  Brésil,  en 
Afrique  et  cherchent,  pour  leur  industrie  de  la  soie,  des  voies  d'accès  en 
Chine 349 


RIVALITE  DE  FRANÇOIS   I"  ET  DE  CHARLES-QUINT 

DEUXIÈXIE     GUERRE 

I.  Le  siège  de  Marseille.  —  L'amiral  Chabot  menace  les  frontières  du 
Milanais.  Charles-Quint,  de  retour  de  l'expédition  de  Tunis,  pénètre  en 
Provence,  enlève  Antibcs  (17  juillet  1536),  arrive  devant  Marseille 
(19  août).  Un  barrage  de  vaisseaux  coulés  dans  le  chenal  empêche  Doria 
d'entrer  dans  le  port.  Une  de  nos  divisions  navales  harcèle  les  assiégeants, 
qui  battent  en  retraite  avec  des  pertes  énormes  (13  septembre).  L'autre 
division,  avec  le  baron  de  Saint-Blancard,  a  été  quérir  l'escadre  algérienne 
pour  opérer  une  division  aux  Baléares  et  en  Catalogne  (septembre).  Bar- 
berousse,  à  notre  requête,  jette  l'épouvante  dans  l'Italie  du  sud;  puis  le 
sultan  lui-même  arrive  avec  son  armée  et  sa  flotte  au  camp  d'Avlona,  à 
l'entrée  de  l'Adriatique  (mai  1537).  Une  escadre  française  est  envoyée 
à  sa  rencontre  pour  combiner  avec  lui  l'invasion  du  royaume  de 
Naples '. 353 

II.  Le  voyage  de  Saixt-Blaxgard  daxs  le  Levast.  —  Mal  accueilli  par  le  bey 
de  Tunis,  ravitaillé  à  Hammamet,  Saint-Blancard  rallie  la  flotte  turque  à 
Prévésa.  Soliman  II,  après  l'incendie  de  Corfou,  a  battu  en  retraite  et 
abandonné  le  projet  de  conquête  de  Naples  (septembre  1537).  Saint- 
Blancard,  forcé  par  la  tempête  d'hiverner  à  Chio,  a  l'humiliation  d'aller 
mendier  à  la  Sublime-Porte  de  l'argent.  Pendant  son  absence,  son  frère 
Magdalon  reçoit  à  Chio  des  lettres  de  rappel  :  les  dix  galères  qu'il 
ramène,  tombent  au  milieu  de  la  flotte  de  Charles-Quint  à  l'ile  Riou,  près 
de  Marseille  ;  quatre  d'entre  elles  sont  enlevées,  puis  relâchées  aux  pour- 
parlers de  paix  :  les  six  autres  se  sont  réfugiées  sous  la  forteresse  de  La 
Ciotat  (5  mai  1538).  Trêve  de  Nice  (15  juin).  Vicissitudes  de  notre  poli- 
tique        360 

III.  L'alerte  anglaise.  —  Henri  VIII  croit  que  le  partage  de  l'Angleterre 


TABLE   DES    MATIERES.  60": 

est  le  gage  de  notre  rapprochement  avec  Charlcs-Quint.  Le  roi  Jacques  V 
d'Ecosse  a  épousé  successivement  deux  princesses  françaises,  Magdeleine 
de  France  (1537)  et  Marie  de  Guise  (1538),  que  nos  escadres  ont  escor- 
tées en  Ecosse.  Préparatifs  des  Anglais  dans  l'éventualité  d'une  invasion. 
La  rupture  évitée 369 


RIVALITE  DE  FRANÇOIS  I"  ET  DE  CHARLES-QUINT 

T  R  O  t  s  I  K  11  E     G  U  E  R  R  ?: 

I.  Ux  TRIO  d'ambitions.  —  Les  héros  de  la  sanglante  mêlée  navale  de  Mer- 
lera  (1537),  Leone  Strozzi  et  Virginio  Orsini  dell'  Anguillara,  se  dis- 
putent le  généralat  des  galères  de  France.  Le  troisième  larron  :  le  capi- 
taine Polin,  baron  de  La  Garde 372 

II.  L'alli.\>i:e  frakco-turque.  —  Assassinat  par  les  Impériaux  de  nos 
agents  diplomatiques  Rincon  et  Fregoso.  Le  capitaine  Polin  obtient  pour 
1542  le  concours  de  la  flotte  de  Barberousse,  qui  n'arrive  en  Provence 
qu'en  juillet  1543.  Le  lieutenant-général  de  notre  armée  navale,  François 
de  Bourbon,  comte  d'Enghien,  vient  de  perdre  dans  une  embuscade  près 
de  Nice  les  quatre  galères  de  son  avant-garde  (17  juin).  La  flotte  franco- 
turque  bombarde  Nice,  qui  capitule  (22  août),  à  l'exception  du  château. 
Barberousse  et  Doria  :  «  le  corbeau  ne  crève  pas  les  yeux  au  corbeau  »  . 
—  Hivernage  de  la  flotte  turque  à  Toulon  :  une  de  ses  divisions,  avec 
Salah  Raïs,  met  à  sac  la  côte  espagnole  et  va  quérir  l'escadre  algérienne. 
Polin  de  La  Garde  nommé  général  des  galères  de  France.  Une  entreprise 
mystérieuse.  Barberousse,  déçu  et  irrité  contre  nous,  quitte  Toulon  en 
emmenant  comme  otages  La  Garde,  Leone  Strozzi  et  six  de  nos  bâtiments 
(23  mai  1544).  Le  massif  de  l'Argentario,  enlevé  par  lui,  est  ensuite 
occupé  par  des  garnisons  françaises;  échec  de  Leone  Strozzi  devant  Orbe- 
tello;  bombardement  de  Pouzzolles,  Lipari.  La  Garde  et  Strozzi  reçoivent 
de  Soliman  II  une  audience  très  cordiale 376 

III.  L'alliasce  ANGLO-ESPAGNOLE.  — Devant  l'alHance  anglo-iuqjcrialc,  Fran- 
çois l"  envoie  la  division  navale  de  Clamorgan  de  Saane  quérir  la  Hotte 
danoise,  qui  ne  vient  pas.  Clamorgan  bat  une  escadre  flamande.  Une 
escadre  dieppoise,  envoyée  au  secours  de  l'Ecosse,  livre  plusieurs  com- 
bats à  Mancell  et  Willoughby  (juillet-août  1543).  Une  escadrille  bre- 
tonne apporte  à  Dumbarton  un  matériel  de  guerre  (octobre).  —  Deux 
vaisseaux  de  guerre  bietons  sauvent  Cherbourg  en  livrant  combat  à  une 
escadre  anglaise  (22  juillet).  Le  capitaine  Nicolas  Lcscollier  d'Ambreville 
poursuit  des  vaisseaux  anglais  qui  sont  venus  reconnaître  Le  Havre  (no- 
vembre). L'amiral  Henri  d'Albret  protège  La  Rochelle  contre  la  flotte 
anglo-flamande.  L'invasion  de  la  France  organisée  par  iin  traître,  le  vice- 
amiral  Lartigue.  Bataille  navale  de  Muros  entre  Clamorgan  de  Saane  et 
Alvaro  de  Bazan  (25  juillet).  —  La  France  envahie.  Henri  VIII  se  rend 
maître  de  Boulogne  (14  septembre  1544).  Traité  de  Crépy  avec  l'empe- 
reur      39a 


608  TABLE    DES    MATIERES. 


L'INVASION   DE   L'ANGLETERRE 

Épouvante  causée  en  Angleterre  par  une  menace  de  débarquement.  L'es- 
cadre de  Château-Chalon  transporte  en  Ecosse  le  corps  d'armée  de  Mont- 
gommery  de  Lorges  (3  juillet  1545).  Le  baron  de  La  Garde  amène  en 
Normandie  l'escadre  du  Levant,  après  un  fâcheux  retard  causé  par  le  mas- 
sacre des  Vaudois.  L'amiral  Lisie  essaie  de  détruire  notre  flotte  au  Havre. 
L'incendie  du  Carracon.  Combat  naval  de  Portsmouth  entre  Lisle  et 
d'Annebault  (19  juillet}.  Mort  du  capitaine  d'AuIps  à  Wiglit.  Ordre  de 
bataille  de  l'amiral  Lisle.  Combat  naval  de  Shoreham  (15  août).  Incendie 
du  Trcport  (2  septembre).  Combat  naval  d'Auibleteuse  (18  mai  1546). 
Traité  de  paix  (7  juin) 409 

INTERVENTION   EN   ECOSSE 

I.  Campaoes  d'Ecosse.  —  «  Le  peintre  françois  « ,  un  de  nos  agents,  suit  la 
campagne  d'Ecosse  abord  du  vaisseau  amiral  d'Angleterre.  Leone  Strozzi, 
avec  seize  galères,  s'empare  de  Saint-Andrew  (30  juillet  1547).  Monta- 
lembert  d'Essé  envoyé  en  Ecosse  (décembre).  Mobilisation  de  la  flotte  de 
Ponant,  que  le  vice-amiral  de  La  Meilleraye  emmène  à  Leith,  avec  les 
troupes  du  Rhingrave,  de  Pietro  Strozzi  et  d'Andelot  (juin  1548).  Vifs 
engagements  entre  les  galères  de  Pietro  Strozzi  et  les  vaisseaux  du  vice- 
amiral  Clinton.  Villegagnon  contourne  la  Calédonie  avec  quatre  galères 
et  amène  la  reine  ^larie  Stuart  en  France  (août).  —  La  flotte  de  La  Meil- 
leraye bloque  la  Gironde  pour  réprimer  l'insurrection  de  la  Guyenne 
(septembre).  —  Montalembert  enlève  d'assaut  l'Ile  d'Inch-Keith,  en  face 
de  Leith,  tandis  que  l'escadre  de  Villegagnon  la  cerne  (juillet  1549).      432 

II.  La  rupture  avec  l'Ascleterre.  —  La  crainte  d'une  intervention  impé- 
riale :  déclaration  de  guerre  à  l'Angleterre  (8  août  1549).  Agression 
redoutée  en  Cotentin.  Leone  Strozzi  s'empare  de  Sercq,  surprend  dans  le 
port  Saint-Pierre  de  Guernesey  l'escadre  du  vice-amiral  Wynter  (31  juil- 
let 1549)  et  opère  une  descente  à  Jersey 443 

III.  Le  siège  de  Roulogne.  —  Croisière  de  Leone  Strozzi  dans  le  pas  de 
Calais.  Roulogne  investi  par  Henri  II  et  le  connétable  (août).  La  Dunette 
battue  par  Coligny.  Villegagnon  tente  vainement  d'obstruer  la  passe,  en 
y  coulant  de  vieux  vaisseaux  (décendjre).  Rachat  de  Boulogne  et  traité  de 
paix  (février  1550) 448 


HENRI    II   PRECURSEUR   DE   COLBERT 

L'anarchie  et  la  concussion  dans  la  marine  de  François   l" 453 

I.  Une  flotte  modèle.  —  Construction  de  deux  escadres  homogènes  dans 
le  Ponant  et  le  Levant.  »  Se  mettre  sur  mer  aussi  fort  pour  le  moins  que 
ses  ennemis  «  .  Les  roberges  :  pièces  à  tir  rapide  et  à  mise  en  batterie 
automatique.  —  Budget  ordinaire  et  budget  extraordinaire  de  la  marine. 


TABLE    DES    MATIERES.  609 

Réseau  de  défenses  côtières.  Ordonnance  sur  la  marine.  La  stolonomie  : 
l'inscription  ou  description  maritime  :  gardes-marines 455 

II.  Victoire  sans  combat.  —  Le  nouveau  général  des  galères,  Leone  Strozzi, 
réclame  satisfaction  pour  une  injure  faite  à  nos  marins  en  Sardaigne.  Il 
répond  au  dédain  de  Doria  en  lui  barrant  la  route  avec  vingt-deux  ga- 
lères contre  quarante-deux,  aux  iles  près  de  Marseille  (28  juillet  1548). 
Doria  bat  en  retraite.  —  Avec  les  galères  de  Malte  et  celles  de  Dragut 
comme  renfort,  Strozzi  projette  d'enlever  l'Infant  d'Espagne  :  Henri  II 
n'y  consent  pas.  —  Sforza,  général  des  galères  pontificales,  rallie  notre 
pavillon  (1550) 463 

III.  Le,s  conséquences  d'un  acte  d'indiscipline.  —  L'armée  navale  divisée 
en  deux  factions.  Carcès,  lieutenant  du  général  des  galères,  soutenu  par 
l'amiral  de  Tende,  entre  en  insubordination  ouverte.  Leone  Strozzi,  au 
retour  d'une  attaque  hardie  contre  Barcelone  [24  août  1551),  tombe  dans 
un  guet-apens  dressé  par  la  faction  carciste.  Menacé  de  mort,  il  déserte 
et  s'évade  de  Marseille  avec  deux  galères  (16  septembre).  Carcès  surprend 
à  Villefranche  l'arrière-garde  de  Doria.  Le  Héau  de  notre  marine.  •      471 

DERNIÈRE   GUERRE   CONTRE  CHARLES-QUINT 

I.  Croisières  dans  le  Ponant.  —  Sourds  préparatifs  maritimes  des  Fla- 
mands. Le  baron  de  La  Garde  enlève  un  de  leurs  convois  près  de  Fal- 
mouth  (20  août  1551),  puis  un  second  :  lingots  d'or  cachés  sous  des 
monceaux  de  sel.  Le  sémaphore  de  Dunkerque  hisse  le  signal  d'alarme 
(1552).  I^a  course  partout  déchaînée.  Duel  à  mort  entre  Basques  français 
et  Basques  espagnols.  Le  musée  naval  de  l'alcade  de  Deva.  Les  escadres 
de  couverture  des  Espagnols.  —  Adrien  Crol,  d'Enkhuysen,  s'empare  par 
surprise  de  l'île  de  Sercq  (1553).  A  qui  appartient  l'archipel  anglo-nor- 
mand?       480 

II.  CoMiMENT  NOUS  FAILLIMES  ENLEVER  l'infant  d'Espagne.  —  Le  nouvcl  ami- 
ral de  France.  Villegagnon,  chargé  de  mettre  Brest  en  état  de  défense, 
préconise  l'enlèvement  de  l'Infant,  fiancé  de  la  reine  Marie  d'Angleterre. 
La  révolte  de  Wyatt  appuyée  par  la  France.  «  Les  guerriers  d  Irlande  "  , 
corsaires  malouins.  La  Bemba  tombe  au  milieu  d'une  grosse  flotte  fran- 
çaise, qui  guette  Philippe  d'Espagne  à  l'ouvert  de  la  Manche  (juin  1554). 
Philippe  nous  échappe 487 

III.  «  MÉMORABLE  COMB.AT  NAVAL    LIVRE  PAR    LES   DiEPPOIS  AUX   FLAMANDS  »  .    

Amatelotés  deux  à  deux,  dix-huit  petits  navires  dieppois  livrent  combat 
à  vingt-trois  grandes  hourques  flamandes.  De  Douvres  comme  de  Calais,  on 
aperçoit  la  bataille  (il  août  1555).  Terrible  mêlée.  Le  vice-amiral  fla- 
mand Melis  Claesson  est  tué,  l'amiral  Herman  Hens,  d'Enkhuysen,  fait 
prisonnier  :  l'amiral  de  Bures  et  plusieurs  de  nos  capitaines  sont  tués. 
La  lâcheté  de  trois  capitaines  dieppois.  Gigantesque  brasier.  Les  Diep- 
pois vainqueurs,  mais  en  quel  état!  — Jean  Ribault,  »  ung  des  meilleurs 
hommes  de  mer  de  la  Chrestienté  » 494 

IV.  Attentat  démasqué.  —  Comment  le  capitaine-général  Luis  de  Carvajal 
devait  s'emparer  du  Havre  avec  la  complicité  du  corsaire  Hollinshed 
(1556) 503 

III.  39 


610  TABLE    DES    MATIERES. 

V.  La  flotte  turque  entre  en  scène.  —  Mission  de  Gabriel  d'Araraont  à 
Alger,  Malte  et  Gonstantinople  (1551).  Le  dey  d'Alger  braque  ses  batte- 
ries sur  nos  galères;  le  grand  maître  de  Malte  nous  accuse  de  la  chute  de 
Tripoli;  la  flotte  de  Sinan  et  Dragut,  que  Gabriel  d'Aramonl  nous  amène 
en  1552,  saccage  le  sud  de  l'Italie,  bat  aux  iles  Ponza  l'escadre  d'André 
Doria  (5  août),  mais  manque  le  rendez-vous  pris  avec  le  baron  de  La 
Garde.  L'escadre  française,  en  quête  de  la  Hotte  turque,  la  rejoint  aux  îles 
Ioniennes  et  hiverne  à  Chio.  Echec  du  projet  d'xtccupation  de  Naples  : 
la  conspiration  d'Ascanio  Colonna  éventée.  La  flotte  franco-turque  de  La 
Garde  et  Dragut  saccage  Licata,  en  Sicile,  l'île  de  Pantellaria  et  arrive  le 
9  aoiît  1553  à  Port'Ercole.  Attaque  de  Porto-Ferraio 504 

VI.  Conquête  de  la  Corse.  —  Le  promoteur  de  la  conquête  de  la  Corse,  le 
colonel  d'Ornano  ;  vendetta  contre  les  Génois,  que  les  Corses  "  estiment 
mercadants  et  canailles  »  .  La  Maremma  siennoisc,  occupée  depuis  1552 
par  le  maréchal  de  Termes,  est  peuplée  de  Corses.  La  Garde  et  Dragut 
transportent  en  Corse  l'armée  du  maréchal  de  Termes.  Prise  de  Bastia  et 
Saint-Florent  :  Dragut,  privé  du  pillage  de  Bonifacio,  prend  congé  (août 
1553).  —  André  Doria,  auquel  la  République  génoise  remet  l'étendard 
de  la  guerre,  débloque  Caivi  et  investit  Saint-Florent.  Le  baron  de  La 
Garde  reçoit  mandat  exprès  de  le  combattre  :  ordre  de  bataille  et  code  de 
signaux  adoptés  pour  sa  flotte.  Il  n'ose  attaquer  Doria.  La  tempête  dis- 
perse notre  flotte,  dont  une  partie  fait  naufrage  sur  l'île  Pianosa,  mais 
dont  l'autre  enlève  un  convoi  de  troupes  espagnoles  (février  1554).  Capi- 
tulation de   Saint-Florent 511 

VII.  Les  derniers  jours  du  prieur  de  Capoue.  —  Leone  Strozzi,  fugitif,  était 
allé  à  Malte.  Il  dirige  une  attaque  contre  Zoara  en  Tripolitaine  et  devient 
général  des  galères  de  l'Ordre.  Frustré  de  la  grande  maîtrise,  il  rentre  au 
service  de  la  France  comme  général  des  galères  d'Italie  (mars  1554).  Son 
stratagème  pour  échapper  aux  embûches  du  vice-roi  de  Sicile.  Il  renforce 
les  ouvrages  de  Port'Ercole,  projette  l'attaque  d'Orbetello,  mais  tombe 
mortellement  frappé  près  de  Scarlino  (24  juin) 520 

VIII.  La  perte  de  la  Maremma.  —  La  flotte  franco-algérienne  de  La  Garde 
et  Salah  Raïs  amène  des  renforts  à  Port'Ercole  (6  juillet);  le  maréchal 
Pietro  Strozzi  est  défait  à  Lucignano  (2  août).  Dérobade  de  Dragut,  après 
une  courte  apparition  au  large  des  côtes  napolitaines.  La  famine  dans 
les  places  de  la  Maremma.  Capitulation  de  Sienne  (21  avril  1555).  Biaise 
de  Monluc  s'embarque  à  Civita-Vecchia,  prévient  La  Garde,  qui  s'attache 
au  siège  de  Calvi,  de  l'arrivée  imminente  d'André  Doria,  et  sauve  notre 
escadre.  Une  poursuite  émouvante.  —  Le  maréchal  Strozzi  s'échappe  de 
Port'Ercole,  investi  le  31  mai  par  Doria.  —  La  flotte  de  Piali-Pacha, 
que  la  division  Saint-Blancard  dépêchée  en  estafette,  n'a  pu  rallier,  échoue 
dans  une  attaque  contre  Piombino  (12  juillet).  Ralliée  dans  le  golfe  de  Saint- 
Florent  par  l'escadre  de  La  Garde,  elle  attaque  vainement  Calvi  et  Bastia 
(août).  Combat  naval  de  Saint-Florent  entre  La  Garde  et  une  escadre 
espagnole.  Naufrage  de  l'escadre  de  Gian-Andrea  Doria  à  Porto- Vecchio 
(6  février  1556).  Trêve  de  Vaucelles.  Charles-Quint  abdique  le  pou- 
voir       525 


TABLE    DES    MATIÈRES.  6H 


GUERRE   CONTRE    L'ESPAGNE   ET    L'ANGLETERRE 

T.  L'expkdition  du  duc  dk  Guisk  a  Naplks.  —  La  trêve  de  Vaucelles  mécon- 
tente le  sultan  et  le  pape.  Paul  IV  veut  la  liberté  de  l'Italie  :  la  maison 
de  Lorraine-Guise  fait  valoir  ses  prétentions  sur  Naples.  Ligue  contre 
Philippe  II.  La  flotte  de  La  Garde  amène  des  secours  au  pape,  que  le 
duc  d'Alhe  presse  (1556).  —  Henri  II  déclare  la  guerre  à  l'Espagne 
(7  janvier  1557).  L'armée  du  dtu;  de  Guise  descend  vers  Naples.  La 
Garde,  après  une  croisière  mouvementée,  laisse  échapper  la  flotte  de 
Gian-Andrea  Doria,  qui  mène  des  renforts  à  Naples  (mars-avril).  Il  songe 
à  «  se  saisir  doulcement  »  du  port  pontifical  de  Civita-Vecchia.  L'armée 
du  duc  de  Guise,  rappelée  en  France,  s'embarque  sur  la  Hotte  du  baron 
(septembre) 538 

II.  La  TRAHi.sois  DK  Pum-Pacha.  —  Le  nouveau  général  des  galères  :  brillant 
combat  naval  du  prieur  François  de  Lorraine  contre  le  gouverneur  de 
Rhodes.  Le  grand  prieur  va  au-devant  de  la  flotte  de  Piali-Pacha,  en- 
voyée au  secours  de  la  France.  Piali  manque  le  rendez-vous  en  Corse, 
saccage  Minorque  et,  sa  jonction  faite  à  Toulon  avec  notre  flotte,  refuse 
d'agir  soit  contre  Villefranchc,  soit  contre  Bastia  ou  Port'Ercole  (juin- 
juillet  1558).  Cruelle  découverte  :  Pinli  avait  été  corrompu  par  les 
Génois 547 

III.  La  PRisK  DK  Calais.  —  Rassciiiijicment  de  loiites  les  Hottes  ennemies, 
espagnole,  anglaise  et  flamande;  manque  d'unité  dans  le  commande- 
ment. Carvajal  attaque  Relle-Isle  et  Le  Croisic,  l'amiral  anglais  Cherbourg. 
Le  capitaine  Bordelais  de  La  Salle  imagine  un  svstème  de  défense  mo- 
bile, avec  batterie  flottante,  fort  démontable  et  garde-côtes  blindés  (1557). 
Diversion  tentée  en  Angleterre  par  Stafford.  Plan  de  Coligny  contre 
Calais.  L'escadre  de  Ponsard  de  Fors,  en  balayant  le  détroit,  isole  Calais 
et  permet  au  duc  de  Guise  de  s'en  emparer  (8  janvier  1558).  La  flotte  de 
Chamberlain,  arrivée  trop  tard,  manque  d'être  foudroyée  dans  le  port  de 
Calais.  Le  baron  de  Clères  enlève  une  escadre  anglaise  chargée  d'un  parc 
de  siège  (juillet) 552 

IV.  AïTKNTAT  co^iTRK  Rrkst.  - —  Défaite  des  amirau.x  Clinton  et  Wacken  au 
Conquet  (20  juillet).  Traité  de  Cnteau-Cambrésis  ;  perte  do  nos  conquêtes 
(1559) 564 


«  F, ES    ISLES    D[T   PEROn   „ 

I.  Un  cadet  dk  Gascognk.  —  Odyssée  de  Menjouyn  de  La  Cabanne,  de 
Capbreton  ;  parti  sans  vivres  pour  les  «  isles  du  Peyrou  »  ou  Antilles,  il 
bat  avec  un  seid  vaisseau  deu-x  escadrilles  (1550).  —  Le  mot  magique  de 
Pérou.  —  La   roberge  de   Saint-Malo 570 

IL  .Tambk  de  BOLS.  —  François  Le  Clerc,  flit  .Ïambe  de  Rois,  corsaire  nor- 
mand anobli  pour  sa  valeur.  Sac  de  l'île  de  Porto-Santo  (17  juillet 
1552),  des  côtes  de  Saint-Domingue  (avril  1553)  et  de  I  île  de  Palma 
aux  Canaries  (21  juillet).  Deux  corsaires  diepppis  donnent   la  chasse  à  la 


612  TABLE    DES    MATIERES 

flotte  des  galions  depuis  Porto-Rico  jusqu'en  Espagne,  et  en  capturent  la 
moitié  (1553).  —  Nouvelles  croisières  de  Jambe  de  Bois 574 

III.  La  prise  de  La  Havane.  —  Profanations  commises  par  Jacques  de  Sores 
à  Santa-Marta  sur  la  côte  colombienne.  La  guerre  navale,  jusque-là  très 
chevaleresque,  s'envenime  d'une  guerre  de  religion.  Sores,  à  la  tête  de 
deux  bâtiments  seulement,  s'empare  de  la  Havane  :  la  forteresse  du  port 
est  enlevée  d'assaut  (juillet  1555).  Sores  s'informe  des  fortifications  de 
Saint-Domingue 579 

IV.  Un  naufrage  aux  Bermudes.  —  Naufrage  aux  Bermudes  d'une  prise 
faite  par  le  capitaine  Mesmin,  de  La  Rochelle  (1556).  Odyssée  des  nau- 
fragés, qui  enlèvent  plusieurs  bâtiments  avec  deux  épées  pour  toutes 
armes,  et  gagnent  Saint-Domingue,  puis  La  Rochelle 584 

V.  Un  coup  de  main  rêvé  par  Henri  II  :  la  capture  des  galions  (1558).     587 

VI.  Sur  les  bancs  de  Terre-Neuve.  — Comment  chaque  classe  de  la  popula- 
tion était  intéressée  à  la  pêche  de  la  morue.  Nos  flottilles  de  terreneuviers 
pourvues  de  vaisseaux  d'escorte  (1554).  Combat  naval  livré  par  une  divi- 
sion malouine  sous  le  fort  Saint-Jean  à  Terre-Neuve  (15  août  1555). 
Nouvel  essor  de  nos  pêcheries  (1560). — Evolution  de  nos  idées  politiques 
en  fait  de  colonisation 589 


PARIS 

TYPOGRAPHIE     PLON-NOURRIT    ET    C'' 
Rue  Garancière,  8 


ûG  La  Roncière,    Charles  Germaine 

50  Marie  Bourel  de 
L37  Histoire  de  la  marine 

t. 3  française 


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